• il y a 7 mois
Stéphane Blakowski reçoit Marlène Schiappa, ancienne ministre déléguée en charge de l'égalité homme-femme et écrivaine.

Marlène Schiappa est l'exemple typique des personnes issues de la société civile qui grimpent les échelons différemment. En se livrant sur son parcours personnel elle montre une vraie alternative au chemin traditionnel. Politisée depuis petite par un père militant qui lui transmet sa passion, elle mène sa barque, persuadée que si on le veut vraiment on peut contribuer à faire bouger les choses. La politique se fait pour elle de toutes les manières possibles mais toujours avec indépendance et au contact des autres. C'est ce qu'elle fait en se présentant sur une liste du conseil municipal de Paris en 2014 ou en allant au contact des maires pour appuyer les actions de son blog 'Maman travaille'. Ainsi, c'est grâce à ses convictions profondes, sa curiosité sans limite et son travail acharné qu'elle entre au gouvernement d'Emmanuel Macron ; ce qui lui vaudra une hospitalisation due à un malaise le soir de sa nomination. Son ingénuité et ses passages remarqués dans les médias lui ont valu beaucoup de critiques des siens comme des autres mais elle devient rapidement un atout de popularité qui la propulse sur le devant de la scène. Cela ne l'empêchera pas de se battre pour des réformes qui lui tiennent à coeur quitte à parfois aller contre ses propres collègues.

En 1988, dans son discours de politique générale, Michel Rocard s'inquiétait déjà de la défiance croissante entre les citoyens et leurs représentants. Pour afficher sa volonté de "réconcilier l'État et la société civile", le nouveau Premier Ministre confiait donc le Ministère de la Santé au Professeur Schwartzenberg, une sommité en médecine mais un novice en politique. Neuf jours plus tard, l'éviction de Léon Schwartzenberg rappelait qu'on ne s'improvise pas ministre si facilement.
La politique est-elle une vocation ou un métier ? Contrairement à ce que croient beaucoup de gens, disait Le Président Chirac en 2004, la politique n'est pas seulement une vocation, c'est aussi un métier qui demande une formation. Il justifiait ainsi l'éviction de tous les ministres de la société civile du nouveau Gouvernement Raffarin.
Aujourd'hui, la question se pose avec la même acuité. Lors de sa première campagne, le candidat Macron s'était vanté de ne pas "être un professionnel de la vie politique". Pourtant, quasiment aucun ministre de la société civile ne figure dans le nouveau Gouvernement de Gabriel Attal ...
Pourquoi est-il si difficile d'être ministre lorsqu'on est novice en politique ? Quatre personnalités ayant vécu cette expérience à différentes époques, nous livrent leurs témoignages : former un cabinet, organiser des déplacements, faire sa place dans un milieu encore surtout masculin, défendre ses projets à l'Assemblée, s'imposer dans les médias, le tout, sans avoir le temps de reprendre son souffle.
Et si c'était le premier pas pour nous réconcilier avec nos responsables politique

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Transcription
00:00 *Musique*
00:25 Bonjour Marine Schiappa. - Bonjour. - Merci beaucoup d'avoir accepté cette invitation dans une série consacrée aux ministres de la société civile.
00:31 On avait forcément envie de vous inviter puisque en 2017, quand vous vous êtes nommée secrétaire d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes,
00:39 vous êtes la plus jeune du gouvernement et franchement pas la plus connue. D'ailleurs, pour cette première photo du gouvernement traditionnel,
00:46 vous êtes au dernier rang à la limite, on peut le comprendre, mais vous avez carrément le visage masqué par la ministre posée devant vous.
00:51 Ça dit quoi de votre statut dans ce gouvernement quand vous y arrivez ? - D'abord, ça dit qu'il y a un choix et un arbitrage,
00:57 puisque le photographe, c'est un photographe professionnel, il n'a pas fait juste une photo, ce n'est pas un selfie avec des copains,
01:02 donc cette photo, elle est validée et ça veut dire qu'il y a différentes personnes à différents niveaux de validation qui considèrent que ce n'est pas très grave
01:09 si on ne voit pas la secrétaire d'État chargée de l'égalité femmes-hommes sur la photo officielle du gouvernement.
01:14 - Et vous avez protesté un peu contre ça ? - Pas du tout, parce que contrairement à ce que tout le monde pense,
01:20 je n'ai jamais cherché particulièrement la médiatisation ou la visibilité, j'ai juste constaté que j'étais au fond comme la mauvaise élève de la classe
01:27 et en fait, pour tout vous dire, j'étais un peu triste pour le sujet que j'incarnais, l'égalité femmes-hommes, c'est-à-dire qu'on considérait,
01:33 au-delà de ma personne, que le sujet ne méritait pas qu'on fasse attention à ce que le ministre soit un peu identifiable.
01:39 - Cela dit, vous êtes issue de la société civile, vous n'aviez pas présenté des élections, vous n'étiez pas inscrite dans un parti.
01:44 - Vous étiez mère adjointe au Manche, chargée de l'égalité femmes-hommes, ce n'est pas une responsabilité nationale.
01:49 - Exactement, mais dans votre cas, malgré tout, on ne peut pas dire que vous êtes novice, parce que la politique, vous êtes quasiment tombée dedans quand vous étiez petite.
01:56 Vous avez été élue dans une famille où on parlait politique matin, midi, soir, la nuit peut-être, je ne sais pas.
02:00 - Oui, complètement, j'ai une famille très politisée. Mon grand-père était syndicaliste en Corse, il a participé à la création de forces ouvrières en Corse.
02:08 Il est reconnu pour ça, et mon père est un historien qui est aussi président d'un institut de recherche sur la laïcité, qui s'appelle l'institut de recherche de la libre-pensée.
02:17 Il est aussi chargé, par exemple, de la question de l'histoire à l'institut de la Boétie.
02:22 - C'est ce qu'il est devenu aujourd'hui, mais quand vous étiez enfant, il était lui-même syndicaliste et militant trotskiste.
02:28 - C'est exactement ça. Alors, quand j'étais petite, il travaillait à la CAF, mon père, il est devenu ensuite prof d'histoire, et ensuite il a eu un doctorat, il est devenu historien,
02:34 mais à l'époque, il travaillait à la CAF, il était syndicaliste, effectivement, et militant trotskiste.
02:38 Et donc, chez moi, on tractait sur les marchés le dimanche, on parlait de "Marx a dit", "Trotsky a dit",
02:45 et je raconte souvent que moi, je pensais que Marx, Lenin, Trotsky, c'étaient des copains de travail de mon père,
02:50 parce que je m'entendais toujours dire à ma mère le soir "oui, Lenin a dit ci, Lenin a dit ça", je me disais "Lenin, ça doit être un copain, lui, à la CAF".
02:56 - J'ai entendu que votre père vous traitait parfois de "Menshevik" en disant...
03:00 - Oui, c'est très particulier, c'est très précis, il faut avoir le sous-texte pour comprendre,
03:06 mais en fait, vous savez que mon père travaille beaucoup sur la révolution russe,
03:09 et effectivement, vous avez les Bolcheviks et les Mensheviks, et pour mon père, les Mensheviks, les socialistes,
03:14 c'est pas un compliment dans sa bouche. Il nous dit qu'on est Mensheviks, par exemple, si on dit "j'ai fait ce que j'ai pu",
03:19 quand on ramenait, je sais pas, un 14 au lieu d'un 16, il nous disait "14", et on disait "oui, mais on a fait ce qu'on a pu",
03:25 il disait "non, on fait pas ce qu'on peut dans la vie, on fait ce qu'on doit", c'est Mensheviks, ça, comme argument.
03:29 - Donc une enfance, malgré tout, dans un climat politique. Vous parlez d'un livre que vous a offert votre père quand vous étiez enfant,
03:34 qui s'appelle "La politique expliquée aux enfants", dans lequel il y a cette phrase "si tu ne t'occupes pas de la politique,
03:41 la politique, elle, s'occupera de toi". J'ai l'impression que c'est resté un peu votre mantra jusqu'à aujourd'hui, cette phrase-là.
03:45 - Complètement, oui, oui. C'est un livre de Denis Langlois aux éditions ouvrières, je m'en souviens très bien.
03:49 - Vous aviez quel âge ? - Je sais pas, j'avais peut-être 8 ans, 9 ans, quelque chose comme ça.
03:53 Mon père publiait lui-même aux éditions ouvrières, et donc on avait été dans un salon,
03:56 et il nous avait permis de choisir un livre, chacune, ma soeur et moi. D'ailleurs, le poupon de ma soeur s'appelait "Gorbatchev",
04:01 parce qu'il avait une tâche de vin sur le crâne. - Très politique, cette famille.
04:05 - Voilà, oui, nos barbies, elles avaient des draps robustières, en fait. C'était les foulards robustières des congrès de mon père,
04:10 et ça leur faisait des draps de barbies. Donc, oui, oui, assez... - Donc si on ne s'occupe pas de politique, la politique s'occupe de vous.
04:16 - Oui, mais ça, j'en suis toujours profondément convaincue, c'est-à-dire les gens qui disent "la politique ne m'intéresse pas",
04:20 mais qui, juste après, vont râler contre tel ou tel responsable politique, ou telle ou telle décision.
04:25 Je pense que la beauté de la démocratie, c'est qu'on... n'importe qui a la capacité de s'engager dans la vie politique.
04:31 Il suffit, à un moment, de le vouloir, de proposer un programme, de se présenter à des élections,
04:35 et même sans être élu, d'être militant, et d'influer sur la ligne, sur le programme, et sur ce qui sera présenté aux élections.
04:41 - Alors, j'ai lu qu'à 18 ans, vous avez été candidate municipale à Paris. Donc c'était sur une liste soutenue par le Parti des travailleurs,
04:47 qui est donc le parti de votre père. - Absolument. - Ça veut dire que vous étiez là pour rendre service à papa,
04:53 ou vous étiez vraiment engagée à l'extrême-gauche à l'époque ? - Non, ni l'un ni l'autre, en fait.
04:57 Vous savez, l'extrême-gauche travaille beaucoup avec des satellites. C'est l'organisation politique qui se faisait à l'époque,
05:02 qui se fait moins dans les grands partis aujourd'hui. C'est-à-dire qu'il y avait des associations satellitaires autour.
05:07 Et moi, j'étais très engagée pour la sauvegarde de la gynécologie médicale.
05:10 Il y avait une association qui s'appelait l'Association pour la Défense de la Démocratie Locale et des Services Publics,
05:15 qui menait ce combat pour sauvegarder les hôpitaux dans le 14e arrondissement de Paris et leur spécialité gynécologie médicale.
05:21 - Donc cette première campagne, ce n'était pas votre engagement définitif dans le combat politique ?
05:26 - Non, mais en tout cas, c'était un engagement associatif. Et moi, quand je me suis engagée dans les élections,
05:31 ce que je comprends, c'est que mon père était militant politique, mais il n'était pas élu.
05:34 C'est-à-dire que je ne vivais pas sous les dorures de la République. Il était candidat avec l'OCI, avec les Lambertises.
05:39 Donc ce sont des partis qui ne remportent pas les élections, qui font vraiment des campagnes de conviction,
05:44 parce qu'ils croient profondément à des valeurs qu'ils veulent défendre.
05:47 Et ils savent très bien en se présentant qu'ils ne vont pas remporter l'élection.
05:50 Et c'est une mentalité du coup très militante et très, j'ai envie de dire, entre guillemets, "pure" dans l'approche,
05:56 puisqu'il n'y a pas de calcul pour être élu. C'est vraiment une candidature pour défendre quelque chose.
06:00 - Celui-là, il n'y a pas besoin non plus d'être ni militant, ni être élu pour faire de la politique,
06:04 parce que dans votre cas, en 2008, vous avez lancé une association et un blog qui s'appelle "Maman Travail".
06:12 Ça, c'est quand même une manière de faire de la politique, un peu autrement.
06:14 - Absolument, c'est très politique et merci de le constater.
06:17 Parce que j'ai présidé pendant une dizaine d'années, un peu moins de dix ans, ce réseau associatif.
06:21 Il y avait près de 15 000 membres et on a fait beaucoup de choses.
06:23 Par exemple, on a engagé des maires MIRES de ville sur la transparence dans l'attribution des places en crèche,
06:30 avec des chartes, avec des événements qu'on organise dans les ministères à l'époque.
06:33 - Vous avez été voir Annie Delgaux et Alain Juppé, droite et gauche.
06:35 - Absolument, on est allé voir tout le monde. On avait d'autres élus aussi, le maire du Mans d'ailleurs,
06:39 et plein de maires qui se sont engagés. Et on leur a demandé de faire la transparence
06:43 dans les critères d'attribution des places en crèche, en disant que les soupçons de népotisme
06:48 étaient très difficiles pour les parents qui voulaient avoir des places en crèche.
06:52 - Vous faisiez du lobbying, donc vous connaissiez déjà un peu le monde politique de l'intérieur.
06:56 - Oui, je pense que je savais comment ça marchait. Et au-delà du fait d'avoir été élevée par mon père,
07:01 qui a fait beaucoup, beaucoup de politique et de stratégie, de propagande même, peut-on dire.
07:06 Moi, je suis passionnée par la politique. Donc quand j'ai commencé à Maman Travail,
07:10 j'avais lu, je pense que je lis tous les livres politiques qui sortent, toutes les biographies
07:15 du moindre ancien secrétaire d'État. J'ai lu toutes les anecdotes.
07:18 Donc en observant et en me passionnant pour ce sujet, j'ai compris comment ça fonctionnait,
07:23 quels étaient les codes qu'il fallait faire. Finalement, j'ai essayé d'apprendre le mode d'emploi.
07:26 J'ai fait ni Sciences Po, ni l'ENA. Mais en étant passionnée, en regardant tous les débats,
07:30 je comprenais ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas.
07:32 - Cela dit, vous avez eu assez vite du succès, puisque je vois, enfin j'ai lu,
07:36 on ne fait que cinq ans après le lancement de Maman Travail, le Parisien vous classe
07:40 dans les dix personnalités les plus influentes sur le web.
07:45 C'est-à-dire que là, vous êtes déjà quand même très, très forte pour faire passer des idées
07:50 sur les médias numériques. C'est votre métier quasiment.
07:52 - C'est mon métier. C'était mon métier, puisqu'en parallèle de l'association Maman Travail,
07:56 j'avais une agence où on faisait de la production de contenu web.
07:58 Et là aussi, je me suis passionnée pour ce sujet. Et à l'époque, les gens n'en faisaient pas,
08:02 je ne faisais pas trop. Quand j'ai attendu ma première fille, j'étais chez Avas,
08:05 l'agence médias, publicité, etc. Et j'ai dit à ma patronne à l'époque,
08:10 j'avais peut-être 21 ans, 22 ans, et je lui ai dit voilà, j'aimerais qu'on lance un blog
08:15 sur la vie quotidienne des femmes qui travaillent, qui doivent tout cumuler.
08:18 Et elle m'a dit, tu sais, la parole des femmes sur Internet, ça ne marchera pas.
08:22 - Visionnaire. - Oui, visionnaire.
08:24 Et un blog, ça ne te mènera jamais nulle part. - Exactement.
08:27 - Du coup, j'ai démissionné peu après pour créer ma propre agence
08:30 et effectivement travailler sur la manière dont on peut militer.
08:34 Mais vous savez, quand j'étais nommée au gouvernement, pas mal de commentateurs ont dit
08:38 c'est une blogueuse. Et c'était un peu méprisant de dire ça. Ce n'était pas pour faire un compliment.
08:42 - On ne connaissait pas les influenceuses qu'on voit aujourd'hui, mais c'était un peu comme ça qu'on voyait.
08:45 - En fait, quand vous avez un blog qui s'appelle "Maman travaille" et que tous les jours,
08:48 vous publiez un ou deux articles sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes,
08:52 sur les places en crèche, vous voyez par exemple comment les internautes arrivent sur votre blog.
08:56 Vous savez ce que des femmes tapent sur les moteurs de recherche.
08:59 Et on sait très bien que ce qu'on tape sur un moteur de recherche,
09:02 dans les sujets les plus intimes, liés à la grossesse, au travail,
09:05 ce sont tous les sujets tabous dont on ne parlera jamais, ni à ses collègues,
09:08 ni à son employeur, ni même à son médecin.
09:10 C'est comme ça que je comprends que les places en crèche, c'est un sujet.
09:13 C'est comme ça que je comprends que les violences gynécologiques et obstétricales, c'est un sujet.
09:17 Et que je lance la première un rapport sur ce sujet dont on ne parle pas à l'époque.
09:20 Et c'est comme ça aussi que je comprends que les violences conjugales
09:23 sont très très présentes dans la société, dans la vie quotidienne des femmes.
09:26 Là on voit un peu votre parcours, malgré tout très politique avant d'arriver au gouvernement.
09:31 Mais avant la rencontre avec Emmanuel Macron en 2016,
09:34 il y a quand même une rencontre sur laquelle vous insistez,
09:37 et qui a vraiment beaucoup compté pour vous,
09:40 c'est celle de Jean-Claude Boulard, qui était le maire du Mans à l'époque.
09:44 Sans cet homme, vous ne seriez jamais en train de gouverner.
09:46 Complètement. Je parle tous les jours de Jean-Claude Boulard.
09:49 Tous les jours j'ai une anecdote qui me revient.
09:51 Vraiment c'était un homme incroyable, qui était sénateur maire du Mans,
09:54 qui était rocardien à la base,
09:56 qui est un des fondateurs du principe du RMI par exemple,
09:59 mais aussi de la couverture santé universelle,
10:01 qui a fait énormément de grandes choses,
10:03 et qui n'a jamais eu la mise en lumière qu'il aurait méritée
10:06 eu égard à ses engagements et à tout ce qu'il a fait pour le pays,
10:09 et qui nous a quittés hélas au début.
10:11 Cité souvent chez Dicton, que je trouve souvent marrant et pertinent.
10:14 Il est anthropologue, il dit "Chez les peuples primitifs,
10:17 quand on devient chef, on fait la tête, on ne fait pas la fête."
10:20 Parce que c'est une grosse responsabilité.
10:22 - Exactement. En fait il avait des mantras pour tout, et c'est génial.
10:25 Et notamment il avait un mantra qu'il me répétait très souvent,
10:27 et je n'ai pas toujours réussi à le mettre en oeuvre.
10:29 Il disait "Si ça te fait trop plaisir, ne le fais pas dans la vie politique.
10:32 Si tu as un bon mot, tu as vraiment envie de moucher quelqu'un, si tu veux..."
10:36 Moi il détestait Twitter, et il me disait tout le temps
10:39 "Si ce tweet te fait trop plaisir à écrire, efface-le et ne l'envoie pas."
10:43 - Cela dit, on ne devient pas non plus ministre par hasard.
10:46 Je pense à ce que dit votre sœur à la préface du livre que vous avez écrit.
10:49 Vous avez dit que vous êtes devenue ministre à ses yeux,
10:51 un peu comme un sportif de haut niveau qui donne tout pour atteindre son objectif.
10:54 Vous vouliez vraiment être ministre ?
10:56 - Ce n'est pas tant que je voulais vraiment être ministre,
10:58 c'est que je voulais vraiment être entendue et que ma voix compte dans la vie politique.
11:02 Et en fait j'avais peut-être ce côté aussi à la fois bonne élève
11:05 et en même temps complètement en dehors du cadre.
11:07 Donc par exemple dans la campagne d'Emmanuel Macron,
11:10 moi j'étais là à 7h tous les matins,
11:12 je faisais deux ou trois notes par jour de stratégie,
11:14 je présentais des gens, je faisais des réunions publiques,
11:17 j'introduisais les meetings, j'organisais des événements,
11:19 j'étais responsable pour le département de la SART,
11:21 mais aussi au niveau national sur le programme pour l'égalité entre les femmes et les hommes.
11:25 J'étais aussi membre de la commission d'investiture
11:28 pour trouver les futurs députés qui allaient être élus.
11:31 Donc je pense que j'ai été, oui, sur tous les fronts, j'ai fait les choses vraiment à fond.
11:34 - Et donc vous avez été récompensée puisque vous avez fini par être nommée au gouvernement.
11:39 Et d'ailleurs j'ai l'impression que ça vous a fait un gros choc cette nomination,
11:41 parce que vous dites que le soir même de cette nomination,
11:44 vous êtes évanouie, les pompiers vous ont amené à l'hôpital.
11:46 - Oui, tout à fait, j'ai eu un malaise de beaucoup de choses,
11:50 parce que ma famille vient d'un milieu plutôt modeste,
11:53 j'ai grandi dans une cité, enfin je ne sais pas du tout,
11:56 il y a un peu quelque chose de l'ordre d'un vertige,
11:59 on se demande si on va être à la hauteur,
12:01 et puis en même temps tout le monde vous écrit subitement.
12:03 Moi je vivais ma vie, j'étais au McDo avec mes filles et leur père pour tout vous dire.
12:07 - Plus de 1000 SMS le jour où...
12:09 - Exactement, plus de 1000 SMS, j'en ai 999 et au millième mon téléphone bug,
12:13 je me dis "Oh, je ne vais pas pouvoir répondre à tout le monde".
12:15 Il y a des journalistes qui commencent à m'engueuler parce que je ne leur réponds pas,
12:18 je n'ai personne à l'époque pour faire ça.
12:21 - Donc le lendemain, premier conseil des ministres, vous deviez être super en forme j'imagine.
12:23 - Non, j'étais complètement... je n'avais pas dormi,
12:25 parce que j'étais à l'hôpital toute la nuit,
12:27 j'étais passée chez moi prendre une robe qui était encore mouillée,
12:30 je devais prendre le train, j'avais trois caméras qui me suivaient dans le train,
12:33 et moi j'étais un peu genre "Mais qu'est-ce que je fais là ?"
12:36 Mon office de sécurité qui m'attendait sur le quai de la gare,
12:38 et d'ailleurs une des journalistes me dit "C'est la dernière fois que vous achetez vous-même un billet de train en rigolant"
12:43 et je me suis dit "Mais de quoi elle parle en fait ?"
12:45 Je ne comprenais pas ce truc de changement de vie dont tout le monde me parlait.
12:48 - Donc vous n'étiez pas forcément au courant des usages et des codes du gouvernement ?
12:53 - Pas du tout.
12:54 - Alors ça se voit d'ailleurs un peu dans vos débuts, vous vous en plaisantez, vous le rappelez vous-même.
12:57 Par exemple, on vous dit "Il faut trouver un directeur de cabinet"
13:01 et donc vous dites "J'ai qu'à placer une petite annonce sur Twitter pour le récrucer".
13:04 - Ah bah je me dis de faire un tweet comme je fais d'habitude
13:06 quand je cherche par exemple un prestataire ou une psychiste ou un bénévole pour mon association.
13:11 Donc je fais un petit tweet, ce que je ne referai pas aujourd'hui,
13:14 mais à l'époque je suis débutante et je ne connais pas d'énarques.
13:16 Maintenant j'ai que ça, des énarques dans mon agenda,
13:19 mais à l'époque je ne connais personne qui a fait l'ENA en fait,
13:21 pour moi, à part Jean-Claude Boulard, pour moi c'est quelque chose d'inaccessible.
13:25 Et donc je fais un tweet en disant "Recherche directrice de cabinet, femme de préférence,
13:28 ayant fait l'ENA, à vos tweets !"
13:30 - Et là c'est la première fois qu'on vous dit "Attention Marlène, le gouvernement ne peut pas faire ça".
13:34 - En fait il y a des centaines d'articles et des bandeaux dans les chaînes d'infocontinu
13:37 disant "Une ministre cherche à dire cab sur Twitter".
13:40 J'ai en plus un rappel officiel du défenseur des droits
13:43 qui me dit que je suis discriminante envers les hommes,
13:45 parce que j'ai dit que je voulais une directrice de cabinet,
13:47 donc j'ai un rappel officiel avec un petit courrier.
13:50 Et là je me dis qu'en fait la moindre chose que je dis ou que je fais
13:53 va prendre des proportions énormes.
13:55 - Cela dit, ça ne vous donne pas envie de vous cacher pour autant,
13:57 puisque qu'un jour plus tard, vous êtes invitée à la télévision,
14:00 et vous dites "C'était une des promesses du candidat Macron,
14:05 on va installer le congé maternel unique, et ça sera fait dans deux mois".
14:09 Apparemment personne ne vous avait dit que ça prend plus de temps que deux mois pour faire une loi.
14:12 - Exactement, j'en rigole, mais effectivement je fais la mission "Les maternelles"
14:16 et on me dit "Quelle est votre feuille de route ?"
14:17 et donc au lieu de dire "C'est en cours, nous allons en discuter avec les parlementaires,
14:21 je présenterai, je maîtrise, je suis bilingue, élément de langage français",
14:26 et au lieu de dire ça, moi je dis "On a plein de trucs à faire,
14:29 il y a urgence quand même, la situation des femmes en France n'est pas si réjouissante que ça,
14:33 par exemple les indépendantes, les agricultrices, elles ont des congés de maternité,
14:36 et là, mentable, on va faire un congé de maternité unique,
14:38 et elles seront bien rémunérées, bien indemnisées".
14:41 On me dit "Et c'est quand ?" et moi je suis présente,
14:43 je dis "Je ne sais pas, ouais, dans un mois, deux mois maximum".
14:45 Et là on me dit "Bah non, en fait, ça doit passer en Conseil des ministres,
14:48 ça doit être voté accessoirement, il faut que la FQ le mette en place,
14:51 enfin il y a quand même deux, trois choses à faire".
14:53 - Sans oublier, à Foy, vous avez soutenu publiquement des féministes,
14:57 des fémenes qui étaient au tribunal, alors là on vous a vraiment tapé sur les doigts,
15:02 on a dit "Stop".
15:03 - Edouard Philippe était mécontent, mais il avait raison de l'être,
15:06 c'est-à-dire que moi, les fémenes me demandent leur soutien,
15:08 bien sûr je leur accorde mon soutien, parce qu'elles sont poursuivies en justice,
15:12 pour exhibition, alors que c'était une arme politique le fait d'être seins nus
15:15 pour défendre les droits des femmes.
15:18 Donc je fais une lettre avec une nantête république française du ministère,
15:21 dans laquelle je dis "Monsieur le juge, je tiens à vous signaler
15:26 que je soutiens cette association remarquable et je l'envoie".
15:30 Et donc bien évidemment, et c'est normal, un certain nombre d'acteurs me disent
15:33 "Tu ne peux pas faire une nantête république française,
15:36 il y a un principe de séparation des pouvoirs, tu n'interviens pas dans une affaire judiciaire,
15:40 ça ne rend pas service en plus aux personnes qu'on soutient d'agir de cette manière
15:44 et c'est un principe constitutionnel en fait,
15:46 donc quand on est ministre on respecte les principes constitutionnels".
15:48 - Le paradoxe c'est que dans ce début, on comprend bien qu'à chaque fois
15:51 que vous prenez la parole, Matignon s'inquiète "Mais qu'est-ce qu'elle va dire ?"
15:54 et en fait, au bout d'un an je dirais, vous êtes devenue une figure médiatique
15:59 du gouvernement qui compte dans les médias.
16:01 Comment vous avez fait cette mutation ?
16:04 - En fait c'est vrai qu'au début, on m'a raconté après que à Matignon,
16:06 à chaque fois que j'avais une émission de télévision,
16:09 plusieurs conseillers se réunissaient dans une pièce,
16:11 fermaient les portes, mettaient leur téléphone en mode avion et regardaient
16:14 "Hop, elle va parler, qu'est-ce qu'elle va dire, qu'est-ce qu'elle va dire ?"
16:17 Et voilà, et c'est vrai que petit à petit, je pense qu'ils se sont dit d'abord
16:21 que je n'étais pas juste une activiste hors de contrôle,
16:26 mais que j'avais aussi du sens politique, que j'étais hyper loyale
16:29 et que j'avais une capacité justement à imprimer dans les médias.
16:33 J'ai aussi beaucoup d'autres défauts, mais j'ai en tout cas cette qualité-là.
16:36 Et finalement, je pense qu'ils se sont dit que ça pouvait aussi être utile
16:39 pour le collectif et c'est là qu'ils ont commencé,
16:41 qu'on a commencé à très bien s'entendre avec Matignon
16:43 et notamment avec l'équipe d'Edouard Philippe
16:45 et qu'ils ont commencé à se dire que m'envoyer sur les plateaux
16:48 peut-être pour défendre la parole du gouvernement, ça pouvait être intéressant.
16:52 Vous parlez collectif, mais en fait, votre notoriété toute nouvelle,
16:54 ça crée aussi des jalousies. Je vois qu'il y a une ministre de la Culture
16:57 qui voulait vous interdire l'accès au César parce qu'elle redoutait
17:00 que ça vous fasse de l'ombre. Elle est où la solidarité féminine ?
17:03 Je ne comprends pas.
17:04 En politique, il n'y a pas vraiment de solidarité féminine.
17:06 D'abord parce qu'avec le principe des quotas, en fait, vous êtes en rivalité
17:09 avec les gens qui vous ressemblent le plus.
17:11 Donc quelqu'un, si vous êtes un homme du modem, par exemple,
17:15 votre rival, ça va être un autre homme du modem de votre génération
17:18 parce que vous serez sur les mêmes quotas d'une part.
17:21 Et d'autre part, c'est vrai qu'il y a une espèce d'agacement
17:23 parce que certaines se disent, nous, en fait, on ne bénéficie pas
17:26 de cette visibilité médiatique alors qu'on fait plein de choses
17:29 aussi hyper intéressantes, et c'est bien sûr vrai,
17:32 mais on n'a pas cette visibilité. Pourquoi ? Comment ça se fait ?
17:35 Donc oui, ça crée des jalousies.
17:36 Vous savez, c'est la théorie du champ de tournesol.
17:38 Vous savez que j'ai toujours des théories pour tout.
17:40 C'est la théorie du champ de tournesol.
17:41 On dit que quand vous avez un grand champ de tournesol,
17:44 si vous avez un tournesol plus grand que les autres,
17:46 qu'on voit de loin, qui dépasse, vous ne vous dites pas
17:48 quel magnifique tournesol qui dépasse un peu plus.
17:51 Vous vous dites, je vais couper ce tournesol parce qu'il tue
17:53 l'harmonie de mon champ de tournesol.
17:55 C'est la théorie qui dit que si vous êtes trop visible,
17:57 on vous le fait payer d'une manière ou d'une autre.
17:59 - Cela dit, vous savez aussi, je vous découde,
18:01 je peux prendre l'exemple de la loi contre les violences sexuelles,
18:04 qui est baptisée loi Schiappa sur Wikipédia, on peut la vérifier,
18:08 alors qu'au départ, vous la défendez avec Nicole Bellbouin,
18:11 qui est la ministre de la Justice.
18:12 Elle ne vous en a pas voulu de lui vauder la vedette,
18:14 de vous approprier cette loi que vous défendiez à deux ?
18:16 - Pas qu'elle m'en ait voulu, il faudrait lui demander,
18:18 mais je pense que Nicole Belloubin, c'est une femme,
18:20 pour le coup, très intelligente, je pense,
18:22 et qui a une grande intelligence sociale,
18:24 et qui garde des sceaux, et à ce moment-là, en tout cas,
18:27 elle savait que ce n'était pas sa loi,
18:29 ce n'était pas elle qui l'avait.
18:30 - Elle était numéro un dans l'ordre du protocole du gouvernement,
18:32 vous n'êtes que secrétaire d'État,
18:33 et c'est vous qui a tiré toute la lumière.
18:35 - Oui, mais en fait, c'est mon sujet, je veux dire, je l'incarne,
18:38 c'est moi qui l'ai défendue, c'est moi qui ai créé cette loi,
18:40 qui l'ai travaillée, qui ai obtenu l'arbitrage pour que la loi passe,
18:44 donc ça me paraît normal que ce soit ma loi.
18:48 - Depuis cette loi, d'ailleurs, le harcèlement de rue est pénalisé en France,
18:51 mais j'ai l'impression que ce qui a vraiment changé votre statut au gouvernement,
18:54 c'est quand même le grenelle contre les violences conjugales,
18:57 l'enfer avec Édouard Philippe.
18:58 - Absolument.
18:59 D'abord parce que, déjà, avec MeToo, en fait,
19:03 on se dit que ce que dit Marlène depuis des années,
19:06 c'est peut-être pas complètement à côté de la plaque,
19:08 et peut-être que ça correspond effectivement à une réalité de la vie des femmes,
19:12 et plus largement sur la question des violences en général.
19:15 Et c'est vrai que le grenelle des violences conjugales marquait un tournant,
19:18 parce qu'on est peu après l'affaire d'Alexia Daval, Alexa Fouillot,
19:22 je ne sais pas si vous vous en souvenez,
19:23 qui m'a marquée profondément et qui était terrible,
19:26 parce qu'à l'époque, je dis, c'est un féminicide,
19:28 et c'est une des premières fois qu'on entend ce terme
19:30 dans la bouche d'un responsable politique,
19:32 et à l'époque, on se dit, mais qu'est-ce que c'est que ce mot ?
19:34 Marlène Schiappa avant un mot, etc.
19:36 Et on commence à prendre conscience que les violences conjugales
19:38 et les féminicides sont d'une gravité sans nom dans la société,
19:42 grâce à l'action que je mène, mais aussi, bien sûr,
19:44 grâce à l'action des associations, des activistes,
19:47 qui font tout pour qu'on entende ce fait,
19:49 et des féministes de tous bords.
19:51 Et donc, je propose à Édouard Philippe quelque chose de structuré,
19:53 et pour le coup, qui a vraiment les codes politiques.
19:55 Je lui dis, on va faire un grenelle des violences conjugales.
19:58 On va mettre tout le monde autour de la table,
19:59 on va travailler pendant des mois,
20:01 on va réunir chacune et chacun.
20:03 Ça donnera lieu à des dispositions législatives
20:05 pour améliorer la situation.
20:07 Et donc, effectivement, on se dit que...
20:08 - Ça a marqué, effectivement.
20:09 - Ça a marqué, je pense, oui, oui.
20:11 - On parlait des erreurs que vous avez commises au départ,
20:13 les méexpériences.
20:14 Je vois en 2020, Muriel Pénicaud,
20:16 qui est ministre du Travail,
20:18 refuse qu'on allonge le congé de deuil
20:21 quand un parent a perdu ses enfants.
20:23 Donc là, vous faites un clash avec elle,
20:25 mais ce n'est pas une erreur, là.
20:27 - Non, je ne pense pas que ce soit une erreur.
20:29 En fait, ce qu'il faut comprendre,
20:31 c'est que ce que je vous disais tout à l'heure
20:32 eu égard à mon éducation,
20:34 pour moi, la loyauté est très importante,
20:36 les convictions sont très importantes.
20:37 Et moi, je suis Corse, élevée par un père trotskiste.
20:40 Pour moi, à la fin de la journée,
20:41 ce qui compte, c'est est-ce que vous pouvez vous regarder dans la glace,
20:43 est-ce que vous êtes clair avec ce que vous avez fait.
20:46 Et là, moi, j'apprends que le gouvernement
20:48 donne un avis négatif sur la loi
20:50 qui vise à offrir et à permettre aux parents
20:53 qui sont en deuil d'enfants d'avoir des jours de congé.
20:55 Je reçois des tonnes de messages
20:57 de gens qui étaient dans mon association, dans mon travail,
20:59 pour certains qui ont vécu ce drame.
21:03 - Donc vous vous opposez à ça.
21:05 Mais alors, quand on veut faire valoir son point de vue comme ça,
21:07 est-ce qu'on peut aller jusqu'à donner sa démission
21:09 ou menacer de démissionner ?
21:10 - Alors, moi, je vais sur BFM et en fait,
21:11 je me dis que je suis tout à fait consciente
21:13 que je peux être virée pour manque de solidarité
21:15 vis-à-vis du gouvernement.
21:17 Et je dis à ce moment-là que je ne me sens pas tenue
21:19 d'être solidaire avec un gouvernement
21:21 qui considère que ça coûte trop cher
21:23 de permettre aux parents qui vivent
21:25 le deuil de leur enfant... - Donc, vous menacez de démission, en quelque sorte.
21:27 - Je ne menace pas, mais je vais sur BFM et je dis ça.
21:29 Et je dis que pour moi, c'est inadmissible.
21:31 Et que le gouvernement, je ne veux pas mettre en cause les parlementaires,
21:33 je dis que le gouvernement doit revoir sa copie.
21:35 Et on doit absolument, avant le passage au Sénat,
21:37 changer de point de vue.
21:39 Et à ce moment-là, je me fais insulter
21:41 littéralement de tous les côtés du gouvernement,
21:43 en me disant "mais non, pas du tout,
21:45 on a un arbitrage".
21:47 Et j'écris aux présidents de la République
21:49 et à Brigitte Macron pour leur partager ma position
21:51 et leur dire que pour moi,
21:53 on ne peut pas...
21:55 C'est un non-sens, cette position, je veux dire, économiquement.
21:57 C'est pas vrai de dire que ça coûte de l'argent,
21:59 parce que je pense que n'importe quel employeur
22:01 qui est confronté à un de ses salariés
22:03 qui lui dit "j'ai perdu mon fils ou ma fille,
22:05 je suis en deuil", je pense que n'importe quel employeur
22:07 digne de ce nom lui dit "tu prends le temps dont tu as besoin".
22:09 Donc, créer des jours n'a pas
22:11 un impact économique grave
22:13 pour les entreprises, c'est pas vrai.
22:15 Et derrière, il y a l'humanité.
22:17 - Là, vous citez le nom de Brigitte Macron.
22:19 Vous êtes proche de Brigitte Macron depuis la campagne 2017.
22:21 Est-ce que c'est arrivé que vous
22:23 en appeliez à son soutien
22:25 pour défendre vos positions ?
22:27 - Oui, mais pas pour me défendre personnellement.
22:29 - Vous dites vos positions.
22:31 - Oui, là, par exemple, oui, et je sais qu'elle y sera sensible.
22:33 C'est une mère de famille,
22:35 c'est une grand-mère aussi, elle reçoit beaucoup d'associations.
22:37 Et d'ailleurs, je découvre dans ce fait-là,
22:39 même pas un jour après,
22:41 je découvre à la télévision que le président de la République
22:43 a fait un communiqué dans lequel
22:45 il demande au gouvernement de revoir sa copie
22:47 sur son point de vue sur cette loi.
22:49 Donc je me dis, en fait, un, non seulement je ne me suis pas fait virer,
22:51 deux, le président de la République m'a donné raison,
22:53 et trois, on a toujours raison
22:55 de défendre ses convictions parce que
22:57 au final, au pire, on gagne.
22:59 - Et au quatre, vous êtes finalement
23:01 promue ensuite au poste de ministre
23:03 cette fois-ci, au ministère de l'Intérieur.
23:05 Ça change quoi pour vous ?
23:07 - Ça change tout. D'abord, ce ne sont plus les mêmes sujets.
23:09 Je quitte avec un pincement au cœur
23:11 les questions d'égalité femmes-hommes
23:13 qui sont vraiment mes sujets
23:15 dans lesquels je me sens très légitime.
23:17 Au ministère de l'Intérieur,
23:19 quand vous êtes une activiste féministe
23:21 et que vous arrivez parmi les préfets, les généraux, etc.,
23:23 ce n'est pas intuitif, en fait, comme mariage.
23:29 J'ai un ministre de tutelle dorénavant,
23:31 le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin,
23:33 et je suis sur d'autres sujets.
23:35 Et puis ma vie quotidienne change
23:37 puisque je suis au ministère de l'Intérieur,
23:39 donc je suis sous protection policière renforcée.
23:41 Je vis au ministère de l'Intérieur avec mes enfants,
23:43 donc avec des badges pour l'accès,
23:45 avec beaucoup moins de liberté, finalement.
23:47 Et puis on traite au ministère de l'Intérieur
23:49 tous les drames du pays,
23:51 les attentats terroristes, les féminicides,
23:53 les suicides de policiers.
23:55 Tout ce qui est un drame dans le pays
23:57 arrive au ministère de l'Intérieur.
23:59 - Alors, si on fait le bilan de ce premier quinquennat,
24:01 vu qu'il y avait 69 ministres
24:03 qui étaient pincés par le gouvernement,
24:05 il y en a seulement 9 qui ont fait
24:07 l'ensemble du quinquennat dont vous faites partie.
24:09 Qu'est-ce que vous avez de plus
24:11 que ceux qui se sont fait virer ?
24:13 - D'abord, je ne situerais pas les choses comme ça
24:15 parce qu'en fait, on peut être très brillant
24:17 et pour des raisons d'équilibre, ne pas rester au gouvernement,
24:19 d'équilibre politique ou autre.
24:21 Donc je n'en tire pas une gloire personnelle.
24:23 En revanche, je pense que
24:25 j'ai une loyauté absolument sans faille.
24:27 Je pense que personne ne m'a jamais,
24:29 nulle part, entendu dire quelque chose de négatif
24:31 sur le président de la République.
24:33 Jamais, ni en privé, ni en public.
24:35 Et je pense que la loyauté,
24:37 c'est quelque chose qui compte
24:39 et qui est important dans ce monde-là.
24:41 Je suis une marcheuse de la première heure aussi.
24:43 J'étais là dès 2016 quand on nous disait
24:45 "Vous ferez comme Baladur,
24:47 vous ne réussirez à rien, vous réunissez dans des cabines téléphoniques,
24:49 ils vont se moquer de nous".
24:51 On pensait qu'Alain Juppé ou François Fillon seraient présidents de la République
24:53 successivement. - Et non en fait.
24:55 - Finalement non. Et ensuite, j'ai énormément
24:57 travaillé et j'ai imprimé des sujets.
24:59 J'ai incarné des sujets, des causes,
25:01 des thèmes en restant, je crois,
25:03 proche des militants et des militantes
25:05 de terrain dont je fais partie.
25:07 - Alors, moins d'un an après votre départ du gouvernement,
25:09 vous avez déjà multiplié les projets,
25:11 vous penchez sur une série télé, vous avez écrit un livre,
25:13 vous avez lancé une fondation. C'est-à-dire que la politique,
25:15 c'est derrière vous maintenant ? - Ce n'est pas derrière moi,
25:17 dans la mesure où je suis toujours élue. Je suis élue de Paris,
25:19 je suis conseillère régionale d'Île-de-France.
25:21 J'ai un... d'opposition,
25:23 donc c'est très modeste comme capacité
25:25 à transformer le pays.
25:27 Mais la politique n'est jamais
25:29 derrière soi. Je pense que c'est présider
25:31 une organisation, une ONG, comme je le fais,
25:33 qui s'appelle Actif, qui travaille pour la réussite
25:35 des femmes dans le monde du travail.
25:37 Je pense que c'est un engagement politique
25:39 en soi aussi.
25:41 J'étais à l'ONU pour intervenir récemment,
25:43 ça fait partie des engagements politiques
25:45 avec un grand P qu'on peut mener.
25:47 - C'est fou ce que le temps passe vite quand on vous parle,
25:49 mais il faut que vous posiez une dernière question.
25:51 Je vais la poser à chacun, mais je vous la pose.
25:53 Dans votre cas, vous avez été pendant six ans
25:55 au gouvernement, au gouvernement de la France.
25:57 Donc, quelles sont les
25:59 trois qualités pour être
26:01 une bonne ministre ?
26:03 - Je dirais que, un, il faut avoir du courage,
26:05 parce que si on ne défend
26:07 pas vraiment ses convictions et si on n'est pas
26:09 capable de s'opposer à des gens
26:11 ou à des principes ou à des habitudes,
26:13 c'est compliqué. Donc, un, le courage,
26:15 ça fait une.
26:17 Deux...
26:19 - Le courage.
26:21 - Oui, finalement, je pense que... Non, j'essaie d'en trouver d'autres,
26:23 mais je dirais que le courage est la première.
26:25 Deux, je pense qu'il faut
26:27 savoir rester connecté
26:29 aux personnes,
26:31 ne pas s'enfermer dans sa tour
26:33 d'ivoire ou dans son ministère.
26:35 C'est très facile d'être isolé.
26:37 C'est très beau, c'est doré, vous avez des majordomes,
26:39 des intendances, c'est très calme, vous êtes au cœur de Paris.
26:41 Finalement, pourquoi vous sortiriez de votre
26:43 ministère ? Et en fait, je pense que vraiment,
26:45 être en lien avec ce que disent les gens, ça permet
26:47 aussi de sentir l'air du temps, de sentir aussi
26:49 parfois les colères.
26:51 Et trois,
26:53 je dirais qu'il faut être animé par une certaine
26:55 forme d'urgence. Je ne sais pas si c'est une qualité ou un
26:57 défaut, mais je pense que si vous vous dites
26:59 "Je suis content d'être ministre et puis j'attends que ça
27:01 se passe et on verra après", ça ne marchera
27:03 pas. Et en revanche, vous arriverez
27:05 à faire des choses si vous vous dites "Je suis animé par
27:07 une forme d'urgence, peut-être que dans une semaine c'est fini,
27:09 qu'est-ce que j'aurais fait ?" 17 semaines.
27:11 - Merci beaucoup, Maren Schiappa,
27:13 d'avoir accepté notre invitation. - Et moi qui vous remercie.
27:15 Avec plaisir.
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