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00:00Bonjour, je m'appelle Jean-Baptiste Julliard, je suis professeur agrégé de philosophie,
00:09colleur en classe préparatoire et je prépare une thèse à la Sorbonne sur la notion de
00:13violence légitime en démocratie.
00:15Quand on parle de la violence, on pense assez rapidement à son opposé qui est la non-violence
00:25qui renvoie à toute une histoire et à des grandes figures politiques.
00:29Il est intéressant d'aller écouter ce qu'a dit Barack Obama lorsqu'il a reçu le
00:35prix Nobel de la paix, quelques mois seulement après avoir été élu président des Etats-Unis.
00:39Cette récompense n'a pas manqué à l'époque de susciter de vives réactions, qu'on comprend
00:44bien puisque, comme il le dit lui-même au début du discours qu'il a prononcé en 2009
00:48au moment de la réception de son prix, il est à la tête de la plus grande armée du
00:51monde et il donne systématiquement des ordres à de jeunes soldats américains d'aller
00:56parfois trouver la mort au combat.
00:58Au cours de son discours, Obama revient sur sa formation intellectuelle.
01:01Et à ce moment-là, il explique que quand il était étudiant, il était absolument
01:05fasciné par en particulier Martin Luther King et il précise par la suite que selon
01:11lui il y a une véritable force morale de la non-violence, incarnée donc à la fois par
01:15Martin Luther King mais aussi par Gandhi et Mandela, et que selon lui la non-violence
01:19n'a rien de naïf, n'a rien de faible et qu'elle est au contraire un modèle moralement
01:24indépassable.
01:25Après, Obama se justifie compte tenu de ses responsabilités.
01:28Mais ce qui est révélateur dans ce discours d'Obama, c'est que sur le plan moral, la
01:32non-violence semble pleinement triompher de la violence.
01:34En revanche, quand on regarde l'histoire humaine, c'est le contraire, la violence
01:38semble clairement prendre le dessus, avoir pris le dessus sur la non-violence malgré
01:42ses quelques grandes figures historiques.
01:49Alors, il y a une notion qui a été théorisée au 19ème siècle, qui est maintenant très
01:53connue, qui s'inscrit dans cette approche de la non-violence face à la violence, celle
01:58de la désobéissance civile, qui date d'un petit texte de Henry David Thoreau, qui s'est
02:03révolté parce qu'il ne voulait pas que ses impôts financent un état esclavagiste.
02:06Et cette notion est maintenant très populaire, elle a été retravaillée depuis dans d'autres
02:10contextes, et il est intéressant de se pencher sur sa définition.
02:13Alors, on constatera d'abord que le mot violence n'y est pas, mais il est impliqué
02:17en fait par cette approche en termes de désobéissance civile, puisque les désobéissances civiles
02:22sont non-violents.
02:23Alors certes, ils désobéissent, mais il ne s'agit pas d'une désobéissance privée,
02:27il s'agit d'une désobéissance à la loi, lorsqu'on estime que la loi porte atteinte
02:31au bien commun.
02:32Et si cette désobéissance reste civile, c'est justement parce qu'elle refuse d'utiliser
02:36le moyen de la violence pour faire avancer la cause, même quand on juge que la cause
02:39est juste, et c'est aussi parce qu'elle respecte finalement une forme de politesse
02:44civile, c'est aussi civilité.
02:45Parfois, les désobéissants civils peuvent aller loin dans leurs actions, ils s'interdiront
02:49de porter atteinte aux personnes.
02:51Il peut y avoir des discussions sur la question de l'atteinte par exemple au bien, qui est
02:54moralement moins importante bien sûr que l'atteinte aux personnes.
03:02Plusieurs questions ont émergé s'agissant de la question de la non-violence et des luttes
03:06non-violentes, la première étant celle de son efficacité.
03:09Certains théoriciens radicaux estiment que la non-violence fait le jeu du pouvoir en
03:13place parce qu'au fond, elle ne met pas assez suffisamment en danger l'État.
03:17D'autres au contraire montrent à quel point la non-violence peut, lorsqu'elle est massive
03:22et lorsqu'elle s'incarne dans des figures morales qui suscitent admiration, être très
03:26efficace.
03:32Il est intéressant de se pencher sur les conditions qui font qu'une doctrine non-violente
03:37peut avoir l'espoir de changer véritablement les choses.
03:41Et c'est ce qu'a fait notamment Paul Ricoeur, un philosophe, dans un livre qui s'intitule
03:46Histoire et Vérité, où il s'intéresse justement à ce qu'il appelle les conditions
03:51d'une doctrine authentique de la non-violence.
03:54Il pose trois conditions.
03:55La première, dit-il, c'est d'avoir mesuré la profondeur de la violence.
04:02Ricoeur explique qu'il existe des formes extrêmement diverses de violences, donc que
04:06veut dire être non-violent, à quelles violences s'oppose-t-on, s'agit-il des violences
04:10uniquement physiques, des violences morales, s'agit-il des violences de l'État ou
04:13d'autres formes de violences qui existent dans la société ? C'est la première condition
04:16dit Ricoeur pour que la non-violence ait un sens, c'est d'avoir fait une bonne
04:20analyse des différentes formes de la violence.
04:22La seconde, dit Ricoeur, la seconde condition, c'est de ne pas oublier que nous sommes
04:28dans l'Histoire, nous sommes pris dans des mouvements qui parfois nous dépassent et
04:31il faut se poser la question de la manière dont les actions non-violentes peuvent véritablement
04:34s'inscrire dans l'Histoire.
04:36Et Ricoeur écrit ainsi la chose suivante « Il me semble que la non-violence ne peut
04:43être une attitude valable que si on peut en attendre, une action peut être fort cachée
04:50sur le cours de l'Histoire ». C'est-à-dire que pour Ricoeur, la non-violence comme idéale
04:55ne suffit pas.
04:56Si la non-violence ne permet pas vraiment de changer l'Histoire, elle perdra forcément
04:59face à la violence.
05:00Il est intéressant de noter ici que Ricoeur évoque aussi une influence cachée, peut-être
05:05que c'est sur le long terme que les grandes figures de la non-violence qui nous inspirent
05:07encore aujourd'hui finiront par triompher des apôtres de la violence.
05:12La troisième condition et question que doit se poser selon Ricoeur une doctrine de la
05:17non-violence, c'est celle du rapport entre la non-violence et une violence progressiste
05:22mise au service du bien.
05:23Puisque la question qui se pose alors est de savoir si la non-violence est un moyen
05:29et ou une fin.
05:30Si la non-violence est la fin, nous serons tous d'accord pour dire que nous aimerions
05:33que le progrès aille vers une diminution de la violence dans nos sociétés.
05:36En revanche, le non-violent peut être confronté au fait qu'il existe parfois des luttes
05:41qui ont tactiquement été avancées, qui ont progressé grâce à certains actes qui
05:47ont pu être violents et qui ont pu appliquer parfois la mort de certaines personnes.
05:50Et donc, dit Ricoeur, si trois conditions sont satisfaites et si on a répondu à ces
05:55trois questions, alors on pourra reconnaître que la non-violence peut véritablement avoir
06:01une portée dans l'histoire.
06:02Ricoeur souligne aussi que la non-violence a d'abord une origine morale.
06:11Il fait un lien aussi avec la morale religieuse telle qu'elle transparaît par exemple
06:15dans le christianisme, avec le sermon sur la montagne.
06:17Mais Ricoeur indique ensuite que de cette base morale, la non-violence doit devenir
06:24politique si elle veut avoir un espoir de prendre le dessus sur la violence dans l'histoire.
06:33Ricoeur a aussi identifié la tentation de la violence qui est en chacun de nous, parce
06:39qu'il y a une forme d'excitation, de plaisir même, de la destruction.
06:42Il écrit ainsi la chose suivante « que les meutes explosent dans la rue, que la patrie
06:47soit proclamée en danger, quelque chose en moi est rejoint et délié, à quoi ni le
06:53métier, ni le foyer, ni les quotidiennes tâches civiques ne donnaient issue.
06:58Quelque chose de sauvage, quelque chose de sain et de malsain, de jeune et d'informe,
07:04un sens de l'insolite, de l'aventure, de la disponibilité, un goût pour la rude
07:09fraternité et pour l'action expéditive, sans médiation juridique et administrative.
07:14» Et cette tentation, dit Ricoeur, est universelle, elle est tapie au fond de la conscience.
07:20On pourrait aussi penser à ce que la psychanalyse a pu dire de notre rapport à la violence.
07:24Elle fait partie en fin de compte de la nature humaine.
07:26C'est une disposition qui est présente en chacun de nous et il revient ensuite à
07:30notre éducation de la contenir pour que nous puissions faire société.
07:33Mais Ricoeur est extrêmement lucide sur le fait qu'à la faveur de certains grands
07:37événements, on puisse être tenté, plus que dans notre vie ordinaire comme il est
07:40fait allusion, de recourir à la violence sans même lui donner un objectif politique.

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