• il y a 7 mois
Entre 2019 et 2022, la mortalité à vélo a bondi de 31 % en France. Et pour cause, nos pistes cyclables sont dangereuses. Le résultat de décisions politiques prises dans les années 70 en faveur du modèle tout-voiture, qui ont grandement retardé la modernisation de nos infrastructures. Mais tandis que la France tournait le dos aux vélos, d'autres pays ont fait de la construction de pistes cyclables une spécialité.

Qu'est-ce qui cloche avec nos pistes cyclables ? Et comment les améliorer ? On vous emmène à Copenhague, voir comment la capitale danoise est devenue l'eldorado des cyclistes, mais aussi - et c'est moins connu -, comment des villes comme Bogota ou Séville ont viré cyclistes en deux temps trois mouvements.

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Transcription
00:00 Nos pistes cyclables sont dangereuses.
00:02 En termes de sécurité à vélo, la France figure entre le Portugal et l'Estonie
00:14 parmi les mauvais élèves européens.
00:15 Et ça ne va pas en s'arrangeant.
00:17 En 2022, 245 cyclistes sont morts sur la route en France métropolitaine,
00:21 soit une hausse de 31% par rapport à 2019.
00:24 Et alors que 55% des ménages français en sont équipés,
00:27 seuls 3% des trajets se font à vélo.
00:30 À Paris, c'est à peine plus, 11%.
00:32 C'est dire le fossé qui nous sépare des villes championnes en la matière
00:36 comme Amsterdam, 35%, ou Copenhague, 49%.
00:40 Mais alors quel est le problème avec nos pistes cyclables ?
00:43 Voici l'axe cyclable le plus emprunté de France.
00:51 On est à Paris, sur le boulevard de Sébastopol,
00:54 qui traverse la capitale du Nord au Sud.
00:56 Sur ces deux bandes de 120 cm de large,
00:58 ce sont plus de 4 millions de trajets qui sont réalisés chaque année,
01:01 soit près de 17 000 trajets par jour ouvré.
01:04 Tout ça sur cette piste étroite coincée entre trottoirs et voitures.
01:07 Ramené à la surface occupée, cette autoroute du vélo représente à peine 9% de la voie,
01:12 contre 41% pour les voitures et 50% pour les piétons.
01:16 Même constat à quelques coups de pédale de là, sur le boulevard Magenta,
01:19 le troisième axe cyclable le plus fréquenté de la capitale.
01:22 Ici, les deux pistes de 120 cm occupent 8% de l'espace public,
01:26 contre 64% pour les voitures et 28% pour les piétons.
01:30 Des pistes étroites et saturées sur lesquelles on double à ses risques et périls,
01:33 et où l'accident n'est jamais loin.
01:35 Dans les grandes villes de France, les pistes cyclables sont arrivées au coup par coup.
01:40 Rénovation après rénovation, les routes se sont dotées parfois de bandes cyclables,
01:44 parfois de voies partagées avec les bus,
01:46 et, pour les plus chanceuses, de pistes séparées.
01:49 Une hétérogénéité qui n'arrange personne.
01:51 Côté cycliste, on ne sait pas toujours où aller.
01:54 Côté voiture et piétons, on se fait surprendre par des passages vélos
01:57 qui nous, parfois, nient que une tête.
01:59 Dans nos villes, on trouve trois principaux designs de pistes.
02:02 Des pistes unidirectionnelles, des pistes bidirectionnelles et des pistes centrales.
02:06 Et en ville, on sait que le mieux, c'est la piste unidirectionnelle.
02:09 Elle est la plus naturelle pour tout le monde,
02:11 à la fois pour les usagers du vélo, mais aussi pour les usagers de la chaussée,
02:14 pour les voitures, qui vont savoir où trouver, où positionner,
02:17 où faire attention aux cyclistes.
02:19 On va permettre de tourner à droite, à gauche, assez facilement,
02:22 d'organiser des intersections de manière tout à fait classique.
02:25 Et c'est précisément ce qui n'est pas possible avec les pistes centrales et bidirectionnelles,
02:29 qui vont complexifier les intersections
02:31 et qui placent les cyclistes sur des zones inhabituelles,
02:33 du point de vue des automobilistes.
02:34 Et si nos pistes sont si hétérogènes,
02:36 c'est parce que, pendant longtemps, la priorité, c'était ça.
02:39 En 1979, la France est en crise.
02:44 Le monde peut s'acheminer vers un désastre.
02:47 Le gouvernement de Raymond Barr cherche à faire des économies
02:49 et va couper les subventions au développement des infrastructures cyclables
02:52 pour privilégier le tout voiture.
02:54 Une décision politique dont les conséquences se ressentent encore aujourd'hui.
02:58 On va commencer à véritablement perdre la compétence technique
03:01 sur la conception des infrastructures cyclables.
03:03 Les experts mobilité, les experts voirie, d'une part à l'école,
03:06 n'apprennent plus du tout ce que c'est, mais ne le voient pas, ne le pratiquent pas.
03:09 Et au final, on ne sait plus ce que c'est que construire correctement
03:12 un réseau d'infrastructures cyclables.
03:14 L'autre, c'est l'usage.
03:15 Il devient de plus en plus dangereux de se développer à vélo
03:17 puisqu'on ne construit pas les infrastructures qui sont déviées.
03:20 Et puis, une troisième explication assez franco-française,
03:23 ça va être dans ces années-là le développement du Solex,
03:26 du vélo moteur, de la mobilette.
03:28 Et en fait, ce mode de déplacement qui va remplacer le vélo,
03:31 qui va avoir beaucoup d'accidents.
03:32 Et au final, il va y avoir une image assez négative de ce mode de déplacement
03:36 associé à quelque chose de très dangereux.
03:38 Et tandis que la France s'éloigne du vélo,
03:41 d'autres pays vont faire le choix radicalement inverse.
03:43 Direction Copenhague, LA ville du vélo.
03:46 Dans la capitale danoise, un déplacement sur deux est fait à vélo.
03:49 Ici, c'est simple, il y a plus de vélos que d'habitants.
03:52 Un paradis du cycliste que les Danois ont conquis par la rue.
03:55 Dans le Danemark des années 70, comme en France, la mode est à la voiture.
03:59 Les centres-villes sont transformés pour permettre aux automobiles
04:02 de circuler plus facilement.
04:04 Un modèle tout voiture qui va voler en éclat en 1973
04:07 avec le premier choc pétrolier qui va exposer la dépendance de l'Occident
04:11 au pays producteur d'or noir.
04:13 Les pays producteurs d'or de l'arabe ont décidé d'utiliser leur or en armes politiques.
04:18 Une dépendance à laquelle le Danemark va être particulièrement sensible.
04:21 Le vélo apparaît alors comme un symbole d'indépendance et de liberté.
04:26 La lutte s'organise notamment contre un projet d'autoroute
04:28 censé traverser les lacs et le centre-ville de Copenhague.
04:31 Devant la fronde populaire, les autorités danoises renonceront finalement au projet.
04:35 Pour les Danois, le vélo est une affaire politique.
04:38 Et ça a porté ses fruits.
04:39 Depuis 2015, la ville accueille plus de vélos que de voitures,
04:42 un long processus qui aura duré plus de 40 ans.
04:45 La recette ? Des pistes larges, unidirectionnelles,
04:48 mais surtout insérées dans un réseau cyclable qui vise un objectif suprême, la continuité.
04:53 Michael Colville-Anderson est un urbaniste danois
04:55 qui a tellement travaillé sur la place du vélo dans les villes
04:58 qu'il a fini par en faire une série documentaire.
05:00 Pour mieux comprendre le comportement des cyclistes,
05:02 il a enregistré le passage de plus de 16 000 vélos
05:05 sur une intersection très fréquentée de Copenhague.
05:07 Pour quatre directions élémentaires,
05:09 à gauche, à droite, tout droit ou demi-tour,
05:12 il a observé pas moins de 57 trajectoires possibles.
05:15 Et plus il y a de trajectoires possibles, plus la piste sera dangereuse.
05:18 Et ça, ça s'explique par un désir naturel des cyclistes,
05:26 ne pas s'arrêter.
05:37 Les cyclistes vont privilégier naturellement les itinéraires
05:40 qui leur permettent de rester en mouvement.
05:41 Moins on va avoir d'interruptions,
05:43 moins on va avoir de trajectoires différentes,
05:45 et plus la piste sera sûre.
05:46 Ça, Copenhague l'a bien compris,
05:56 et ça se retrouve jusque dans le mobilier urbain,
05:58 comme ces poubelles inclinées qui encouragent à ne pas dévier de sa trajectoire,
06:02 ou ces repose-pieds qui incitent les cyclistes
06:04 à se positionner aux endroits les plus sûrs.
06:06 Vous avez les piétons qui sont sur les trottoirs,
06:08 les voitures qui sont sur la chaussée,
06:10 et les cyclistes qui sont sur les pistes cyclables.
06:12 Chacun sait où il doit se positionner.
06:14 Vous trouvez des pistes unidirectionnelles partout.
06:17 L'exemple de la capitale danoise séduit,
06:20 et même dans les pays chauds.
06:21 Loin du froid danois,
06:23 Séville est l'un des exemples les plus fulgurants de transformation cyclable.
06:27 Entre 2006 et 2011,
06:28 la capitale andalouse est passée de 7 000 trajets quotidiens à vélo
06:32 à plus de 72 000,
06:33 soit une augmentation de près de 1 000 %
06:35 en seulement 5 ans.
06:36 Un exploit dans une ville
06:38 où la température dépasse les 40 degrés
06:40 près de la moitié de l'année,
06:41 et où la voiture bénéficie,
06:42 depuis la fin de la dictature franquiste,
06:44 d'une préférence culturelle
06:45 associée au développement économique de l'Espagne.
06:47 Et à qu'occurre que,
06:48 comme Séville est une petite ville du sud d'Europe,
06:50 n'a t-elle pas de questions ?
06:51 Avant, Séville, c'était ça.
06:53 15 km de pistes isolées,
06:55 principalement autour des parcs municipaux.
06:57 5 ans plus tard,
06:58 Séville, c'est ça.
06:59 120 km de pistes sécurisées,
07:01 réalisées à 70% sur des anciens stationnements.
07:05 Le premier point,
07:06 c'est de prendre en compte
07:07 l'utilisateur qui n'utilise pas la voiture actuellement.
07:09 Le public objectif n'est pas celui qui utilise la voiture
07:11 avant qu'il y ait l'asphalte,
07:13 mais le 98% de la population
07:15 qui n'utilise pas la voiture d'habitude.
07:17 Le projet, comme je te le dis,
07:19 n'était pas des pièces
07:20 ou des morceaux de carrières de voiture
07:21 ou de routes cyclistes
07:22 dans un pavillon ou un carré ou une avenue,
07:24 mais c'était de constituer une règle complète et connectée.
07:27 Le fait que cette règle soit essentielle
07:30 nous obligeait à ce qu'elle soit aussi opérative
07:33 en très peu de temps.
07:34 Insiste, ce n'est pas une question de quantité,
07:36 c'est une question de la règle connectée.
07:38 Mais cette transformation de séville
07:39 n'a pas forcément plu à tout le monde.
07:41 Les automobilistes ont un argument massue contre le vélo.
07:44 Plus il y a de pistes cyclables,
07:45 moins il y a de routes,
07:46 et moins il y a de routes,
07:47 plus il y a de bouchons.
07:48 Et même si ça paraît logique,
07:49 c'est faux.
07:50 Imaginons une voie avec 6 voitures.
07:53 Ça bouchonne.
07:54 Ajoutez une voie,
07:55 vous divisez les embouteillages par deux.
07:57 Ajoutez-en 10
07:58 et on voudrait croire que tout devient fluide.
08:00 Mais en réalité,
08:01 plus il y a de voies,
08:02 plus il y a de voitures.
08:03 C'est ce qu'on appelle la demande induite.
08:05 Ajouter des voies,
08:06 c'est rendre la voiture plus intéressante.
08:08 Retirer des voies,
08:09 c'est rendre les autres moyens de transport plus attractifs.
08:12 Les usagers vont identifier la meilleure option à l'instant T
08:15 et adapter leur comportement.
08:16 C'est ce qu'on appelle l'évaporation du trafic.
08:18 Plus on construit de pistes cyclables,
08:21 plus on aura de cyclistes.
08:22 Vous prenez une rue où vous faites des travaux.
08:25 Du coup, la rue, elle n'est quand même pas praticable
08:27 pendant un certain nombre de temps.
08:28 Et les usagers de cette voirie,
08:30 les automobilistes avant,
08:31 vont utiliser potentiellement
08:33 un autre chemin.
08:34 Ou alors, vont se rendre compte que c'est compliqué
08:36 et vont aller vers un autre mode de déplacement.
08:39 Et c'est là que vous avez une évaporation du trafic automobile.
08:42 Parce que la technique du trafic
08:44 est toujours assimilée aux flux d'eau
08:46 ou aux flux d'un liquide.
08:48 En fait, on parle de flux,
08:49 on parle d'impédance.
08:51 Ce qui se passe,
08:52 c'est que cela fait cas omnis
08:54 que la mobilité est en réalité
08:56 le résultat d'un comportement.
08:58 Et c'est ce qu'on a observé aux États-Unis.
09:01 À New York, l'emblématique 8e avenue
09:03 a été transformée pour aménager
09:05 une piste cyclable sécurisée
09:07 en grignotant de l'espace aux voitures.
09:09 Résultat, la circulation a été accélérée
09:11 de 14% en moyenne.
09:13 À Chicago, le bilan n'est pas aussi positif
09:15 mais il est tout aussi intéressant.
09:17 En 2021, 40 km de pistes cyclables
09:19 ont été construits.
09:20 Sur la majorité de ces axes,
09:21 les embouteillages ont empiré.
09:23 Mais les nouvelles infrastructures
09:24 ont eu un effet sur tout le reste de la ville
09:26 avec une réduction des temps de trajet
09:28 pour 40% des axes restants.
09:30 Construire des pistes cyclables
09:32 pour désengorger les routes,
09:33 c'est aussi le pari de la capitale
09:34 de la Colombie, Bogotá.
09:36 Avec une superficie de 16 fois Paris,
09:38 les temps de trajet sont naturellement longs
09:40 pour les 7 millions d'habitants
09:41 de la ville la plus embouteillée d'Amérique latine.
09:43 Une situation qui, dès 1998,
09:45 va conduire le maire de Bogotá,
09:47 Enrique Peña Loza,
09:48 à mettre en place d'immenses pistes cyclables.
09:50 L'objectif ?
09:51 Faciliter les déplacements
09:53 entre les zones résidentielles,
09:54 situées majoritairement à l'ouest,
09:56 et les zones de travail,
09:57 majoritairement à l'est.
09:58 Il fallait créer des infrastructures
10:00 à un niveau de qualité acceptable,
10:01 pour que les gens puissent voir ça
10:03 comme un moyen de transport légitime.
10:05 Un véritable saut dans le vide
10:06 pour le maire de l'époque,
10:07 qui décide d'investir massivement
10:09 dans des infrastructures dédiées
10:10 à des usagers qui n'existent pas encore.
10:12 C'était comme un cycle vicieux.
10:14 Si on ne faisait pas de routes cyclables,
10:15 il n'y aurait pas de cyclistes.
10:16 Et si il n'y avait pas de cyclistes,
10:17 on ne pouvait pas faire de routes cyclables.
10:18 Pourquoi ?
10:19 Pour moi, il y avait deux objectifs.
10:21 D'une part, protéger les cyclistes.
10:23 Mais d'autre part,
10:24 élever le statut social du cycliste.
10:27 Avec ces pistes,
10:28 le vélo devient un moyen de transport légitime.
10:30 Et les portes de la ville s'ouvrent
10:32 pour toute une partie de la population
10:33 qui n'a pas les moyens de se déplacer
10:35 en bus ou en voiture.
10:36 Les pistes vont prendre
10:37 une dimension émancipatrice.
10:39 Année après année,
10:40 Bogotá va poursuivre son expansion cyclable,
10:42 et aujourd'hui,
10:43 la ville compte près de 630 km de pistes.
10:45 La plupart des gens
10:46 qui se déplacent à vélo à Bogotá,
10:48 c'est parce que c'est le moyen
10:49 le plus économique.
10:50 Pas tout le monde a le moyen
10:51 de s'acheter une voiture.
10:53 C'est pareil,
10:54 il ne compte pas,
10:55 mais même si on pense,
10:56 le vélo reste le moyen le plus économique.
10:58 Avec un prix de l'essence
10:59 qui bat des records,
11:00 et des abonnements au transport qui explosent,
11:02 le vélo séduit de plus en plus à Paris.
11:04 Résultat,
11:05 de plus en plus de pistes cyclables
11:06 sont construites dans la capitale,
11:07 qui en compte désormais
11:08 près de 300 km.
11:09 Le problème,
11:10 c'est que ça concerne
11:11 surtout l'hypercentre parisien.
11:12 Comme le montre le baromètre
11:13 des villes cyclables,
11:14 dès qu'on s'éloigne un peu,
11:15 le ressenti des cyclistes
11:16 vire au rouge.
11:17 Pourtant,
11:18 c'est dans les périphériques
11:19 que les besoins de mobilité
11:20 sont les plus importants.
11:21 Bref,
11:22 pour les gens à faire du vélo,
11:23 rien de plus simple,
11:24 il suffit de construire
11:25 des pistes larges,
11:26 connectées,
11:27 et surtout,
11:28 accessibles à tous.
11:29 Sous-titrage Société Radio-Canada
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11:40 [Sonnerie de fin]
11:42 [SILENCE]

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