Marie-Pierre Pruvot alias Bambi
L’une des pionnières trans en France
Histoire TV diffuse un documentaire qui retrace 60 ans de lutte des personnes transgenres pour sortir de l’invisibilité
L’une des pionnières trans en France
Histoire TV diffuse un documentaire qui retrace 60 ans de lutte des personnes transgenres pour sortir de l’invisibilité
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00:00 Bonjour Marie-Pierre Pruveau.
00:01 Bonjour.
00:02 Comment préférez-vous être appelée d'ailleurs Marie-Pierre ou Bambi qui était votre nom
00:06 de scène quand vous étiez artiste ?
00:07 C'est-à-dire que ça dépend.
00:10 Quand on me parle en tant que Bambi, on peut aussi bien m'appeler Bambi.
00:15 Autrement, on m'appelle souvent Bambi en ce moment.
00:18 En ce moment, pourquoi en ce moment ?
00:19 En ce moment, parce que ces derniers temps, il y a eu un peu de presse autour de moi.
00:22 Et puis c'est Bambi qui est le plus employé.
00:26 Enfin, les deux sont mon nom.
00:30 Je considère Bambi comme étant mon nom.
00:32 Mais c'est sûr que quand j'ai passé 30 ans dans l'éducation nationale, personne
00:36 à part ma mère, personne ne m'a appelé Bambi.
00:39 Mais parce que personne ne savait que vous étiez Bambi et que vous étiez une personne
00:43 trans.
00:44 Ah non, ça certainement pas.
00:45 Non, ça je ne voulais absolument pas le dire.
00:47 Pourquoi ?
00:48 Mais parce que ça n'aurait pas été possible.
00:50 Ça aurait choqué.
00:51 Les enfants n'en seraient pas revenus.
00:54 Ils auraient demandé quoi ? Qu'est-ce ? Pourquoi ?
00:56 Et puis, savoir si un jour, ils étaient fâchés d'être punis ou quelque chose.
01:01 On ne m'aurait pas appelé Travelo ou quelque chose comme ça.
01:04 À quoi j'aurais eu du mal à me fâcher.
01:09 J'aurais eu du mal à accepter.
01:10 Vous auriez perdu votre autorité, vous pensez ?
01:13 Disons qu'elle aurait été remise en cause.
01:16 Je pense que l'autorité, je l'avais en moi quand même vis-à-vis des élèves parce
01:20 que j'avais une grande habitude de la scène.
01:22 Je l'avais en moi, je crois.
01:24 Mais quand même, il ne fallait pas.
01:26 Et puis, vous savez, ce que je voulais, c'était être Madame Tout-le-Monde.
01:31 Alors si on avait su qui j'étais, c'était fini.
01:33 Je n'étais plus du tout Madame Tout-le-Monde.
01:35 Comme maintenant.
01:36 Vous racontez votre parcours avec d'autres femmes trans dans ce documentaire qui s'appelle
01:41 "60 ans de combat pour exister" parce que les personnes transgenres, pendant longtemps,
01:46 très longtemps, étaient invisibles.
01:48 Elles se cachaient.
01:49 Elles n'avaient pas le droit de faire partie de la société.
01:51 Ce qui n'a pas été votre cas, Bambi, grâce au cabaret, parce qu'à l'époque,
01:55 dans les années 50, pour exister quand on était trans, il fallait être artiste.
01:59 C'était un peu le seul moyen d'avoir une place ?
02:00 Ah ben oui, c'était le seul moyen d'avoir une place parce qu'avec une carte d'identité
02:04 masculine, vous ne pouviez vous présenter nulle part.
02:07 Pas de travail ?
02:08 Pas de travail.
02:09 Alors, il y en a qui ont connu la prostitution à cause de ça.
02:13 Et bon, ça n'a pas été mon cas.
02:15 Dieu merci, je suis rentrée chez Madame Arthur, puis au Carousel.
02:20 Et puis, ça a bien marché.
02:22 J'ai pris goût.
02:23 Je suis restée 20 ans.
02:25 Vous étiez à la même époque que Coccinelle, qui est la première femme trans française,
02:31 en tout cas, que l'on connaît.
02:32 Oui, voilà.
02:33 C'est Coccinelle.
02:34 Alors, quand j'ai débuté, Coccinelle a fait ma connaissance et elle m'a trouvé
02:39 agréable, etc.
02:40 Elle m'a dit "Viens vivre avec moi, j'ai besoin d'une amie avec moi.
02:44 Tu seras nourrie et logée gratuitement.
02:46 Regarde que tu es très peu payée.
02:48 Tu as acheté des robes, des choses".
02:50 J'ai accepté et puis je ne m'en suis pas repentie parce qu'elle était adorable avec moi.
02:54 Le premier cas connu de transidentité, c'est l'américaine Christine Jorgensen, née garçon,
03:00 qui est allée se faire opérer au Danemark en 1953.
03:03 Que vous êtes-vous dit quand vous avez découvert l'existence de cette femme ?
03:07 Qu'est-ce que cela représentait pour vous ?
03:09 C'est-à-dire qu'on en parlait dans la presse, mais ce GI, ça ne m'inspirait pas.
03:17 D'ailleurs, quand j'ai connu Coccinelle, elle m'a dit, elle s'était informée pour savoir exactement
03:26 parce que c'était ce à quoi elle aspirait, mais elle m'a dit "Ce n'est pas pour nous, il faut attendre".
03:31 Et en effet, on a attendu jusqu'à ce qu'on découvre le Dr Bureau.
03:36 Et alors elle a découvert ce fameux Dr Bureau qui lui a fait florès partout,
03:41 qui a gagné un argent fou d'ailleurs, mais il ne se doutait pas de ce qui allait lui arriver
03:45 quand il a commencé. Parce qu'à nos yeux, pour nous, le Dr Bureau, c'était un saint qui avait fait un miracle.
03:52 Vous comprenez ? Oui.
03:53 Vous avez eu peur de vous faire opérer ?
03:55 Moi, je n'ai pas eu peur parce que j'ai attendu.
03:58 Coccinelle a connu quelqu'un qui lui a dit qu'il était électricienne, figurez-vous.
04:08 Et un beau jour, elle la rencontre à Nice, elle lui dit "Bonjour".
04:13 Elle était soi-disant un garçon, mais on ne voyait pas que c'était un garçon.
04:17 Elle lui dit "Je suis un petit garçon comme vous", elle dit à Coccinelle.
04:20 Coccinelle dit "Ah bon d'accord, elle ne s'en est pas occupée".
04:23 Un an après, à Casablanca, elle lui dit "Mais vous ne me reconnaissez pas ? On s'est reconnus".
04:31 Alors elle l'a reconnue, elle lui dit "Mon opération est faite".
04:34 Et c'était l'opération en question, elle l'a amenée au docteur Bureau qui a pris rendez-vous immédiatement.
04:40 Moi, j'ai attendu deux ans avant parce que je me méfiais du résultat.
04:45 Je voulais être sûre qu'on n'y perdait rien, qu'on y gagnait quelque chose.
04:52 Et vous étiez heureuse du résultat ?
04:54 Oui, j'étais heureuse du résultat, oui bien sûr.
04:57 Ça doit être affreux de ne pas être heureuse du résultat.
05:00 Ça doit arriver, cela dit.
05:01 Oui, ça arrive, je sais que ça arrive.
05:03 En voyant le film, j'ai découvert que finalement, je me trompe peut-être, vous allez me le dire Bambi,
05:08 ça semblait plus simple de changer de sexe et d'état civil au moment où vous l'avez fait, plus simple que maintenant ?
05:15 Pas du tout. C'était très difficile.
05:18 Coccinelle l'a eue par surprise en quelque sorte, et elle a été défendue par M. Badinter.
05:24 Mais il s'est occupé de tout ça.
05:27 Mais le problème, c'est que la médecine et les magistrats se sont aperçus qu'un problème qui pouvait dépendre d'eux, leur échappait complètement.
05:39 Et ils ont fait des lois, des interdits nouveaux, etc.
05:42 Plus personne n'a pu l'avoir, surtout à Paris même.
05:45 Moi, je suis passée par l'intermédiaire de l'Algérie, mes papiers n'étaient pas en France.
05:49 Il fallait absolument faire tout ça en Algérie, je suis allée.
05:53 Je n'ai pas eu de problème.
05:54 Et pour changer d'identité sur vos papiers ?
05:57 C'est ça, oui.
05:58 C'est de ça dont vous parliez ?
05:59 C'est de ça dont je parle, oui.
06:00 Pendant des décennies, on a aussi décrété que la transidentité, c'était une maladie mentale.
06:05 Donc il fallait vous soigner.
06:06 Comment avez-vous vécu cela ?
06:08 Je ne l'ai pas vécu parce que ça n'était pas encore décrété à l'époque.
06:11 A l'époque, ça n'était pas une maladie mentale.
06:14 On n'en parlait pas, personne ne le connaissait.
06:16 Et donc ça se passait très bien, de même que les ordonnances pour avoir tous les médicaments nécessaires,
06:22 on n'en avait pas besoin.
06:24 Il n'y avait qu'à en acheter.
06:25 Les hormones, exactement comme on achète du sel et du poivre à l'épicerie.
06:31 Donc ça allait très bien.
06:33 On n'avait besoin de rien ni personne.
06:36 On faisait soi-même son traitement et on voyait comment on réagissait.
06:41 Mais c'était dangereux du coup ?
06:43 Oui, ni plus ni moins que quand c'est prescrit.
06:46 Parce que le médicament, il ne sait pas d'où il vient, s'il est prescrit ou s'il ne l'est pas.
06:50 L'important c'est qu'on le prenne et voir comment on réagit.
06:53 Est-ce qu'on peut dire, Bambi, que vous êtes devenue militante pour les droits des trans sur le tard ?
06:58 Mais je ne suis pas devenue militante.
07:00 Je me défends d'être militante.
07:01 Alors Hélène Azera me dit toujours "mais tu es militante malgré toi".
07:04 Je ne suis pas militante, je n'adhère pas à aucune association.
07:09 Je ne suis plus de l'époque que nous vivons actuellement.
07:13 En réalité, je n'ai rien à leur dire.
07:15 Elles n'ont pas besoin de mes conseils.
07:17 Elles savent où elles sont.
07:18 Elles ont des associations performantes.
07:21 Elles n'ont pas besoin de moi.
07:23 Je viens comme ça, je les vois.
07:26 Vous êtes une icône quand même.
07:27 Je suis une ancêtre.
07:28 Oui, c'est vrai.
07:30 Parce qu'on dit 60 ans de combat.
07:33 Mais moi ça fait 70 ans que je combat.
07:36 Donc j'ai combattu.
07:37 Ça fait longtemps que je ne combat plus du tout.
07:39 Et quel combat reste-t-il à mener aujourd'hui ?
07:42 Alors ce n'est pas à moi qu'il faut poser la question.
07:45 Parce que j'ai l'impression qu'elles ont progressé avec beaucoup d'efficacité et de rapidité.
07:51 Alors nous on a mis beaucoup plus longtemps.
07:53 C'est vrai qu'on était plus au calme, mais on a mis beaucoup plus longtemps.
07:57 Mais vous comprenez que certains soient mal à l'aise avec la transidentité ?
08:02 Bien sûr, naturellement, je comprends très bien que certains soient mal à l'aise avec la transidentité.
08:06 Je comprends quand ça se passe dans les familles.
08:09 Moi je sais qu'à part ma mère, mon père était mort, ma sœur aussi.
08:14 Mais à part ma mère, tout le monde dans la famille m'a ignoré du jour au lendemain.
08:20 On disait des horreurs, on les disait même à ma mère, avec qui on ne s'est pas fâché.
08:24 Mais tout le monde, tout le monde condamnait absolument.
08:28 Mais ils condamnaient sans savoir.
08:30 D'abord le Carouzel, il y avait des gens qui venaient dire à ma mère que le Carouzel était une maison de prostitution.
08:35 Ma mère se désolait, je lui assurais que ce n'était pas du tout.
08:38 C'est pour ça que quand elle est rentrée à Paris, je lui ai immédiatement fait connaître le Carouzel pour qu'elle se rassure.
08:44 Il n'y avait pas besoin d'être experte pour savoir que c'était un cabaret sérieux,
08:48 que les artistes ne correspondaient pas avec le public et que c'était très très bien tenu.
08:54 Votre mère vous a toujours soutenu ?
08:56 Toujours, oui. Elle m'a toujours soutenu.
08:58 C'est une chance ?
08:59 Oui, mais elle a toujours été extrêmement reconnaissante, oui, naturellement.
09:03 Est-ce de la transphobie selon vous, que d'interdire la transition de genre aux mineurs ?
09:09 C'est vrai que c'est une question délicate, voyez.
09:12 C'est une question qui est posée dans le fameux livre qui fait tant parler de lui en ce moment.
09:16 C'est une question délicate.
09:19 Je sais que dans les associations, on demande que ce soit fait.
09:30 Mais moi, je ne suis pas au courant.
09:33 Ce que je ne sais pas, c'est si on donne des médicaments anti-hormones aux personnes avant l'adolescence,
09:42 je ne sais pas quel est le résultat sur la sexualité.
09:47 Si je le savais, je pourrais avoir une opinion.
09:49 Mais si ça interdit toute sexualité, c'est difficile à accepter.
09:55 En fait, quand on est adulte soi-même, c'est difficile.
09:59 Je ne sais pas si les parents se placent de ce point de vue.
10:02 Moi, je vous donne le mien, naturellement, celui que j'ai vécu.
10:05 Parce qu'il me semble qu'il faut que l'adolescence se fasse pour qu'on soit bien dans sa peau.
10:13 Si l'adolescence ne se fait pas, je n'ai pas eu l'occasion de parler.
10:17 Il y avait une jeune trans, très jolie d'ailleurs, que j'ai vue hier,
10:22 mais on n'a pas eu l'occasion, qui a été soignée dès l'adolescence.
10:26 Et avant même.
10:28 Donc, nous n'avons pas eu le temps de parler de ces choses-là.
10:30 Puis c'est tellement intime que peut-être je n'aurais pas osé lui poser la question.
10:34 Mais il ne faudrait pas qu'on crée toute une sorte de personne privée de sexualité.
10:43 Ça serait dangereux.
10:45 C'est ce que je ne sais pas. C'est pourquoi je ne peux pas me prononcer.
10:48 Vous avez vu, je crois, le documentaire hier soir seulement.
10:51 Comment vous l'avez trouvé ?
10:52 Oh, excellent ! Il est plein de vie, plein d'informations.
10:56 Moi, j'ai même trouvé qu'il y avait de l'humour encore,
10:59 que certains parlent de façon extrêmement sérieuse.
11:02 Mais je me suis amusée.
11:05 Surtout, j'ai constamment eu Coccinelle à l'esprit.
11:09 J'imaginais Coccinelle en train de voir en même temps que moi
11:13 et des rires qu'on aurait eus toutes les deux.
11:15 Parce que naturellement, on a ri d'un petit peu tout, y compris de nos malheurs.
11:20 Et surtout, vous étiez dans ce documentaire interviewé sur la Seine,
11:23 où vous avez sévi pendant des années.
11:26 Oui, oui.
11:28 Et surtout, où je suis passé pour la première fois en Seine.
11:31 C'était très important.
11:33 Madame Arthur, ça m'a ouvert les portes de la vie, en quelque sorte.
11:37 J'y ai pris tellement goût, je vous dis, que j'ai mis 20 ans à en sortir.
11:40 Merci beaucoup d'être venue nous faire partager votre témoignage, Bambi.
11:43 Merci infiniment.