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00:00 * Extrait de la vidéo *
00:06 Alors là, Marguerite Caton, je vous salue !
00:08 Bonjour Guillaume et bonjour à tous !
00:10 De l'agriculture ce matin.
00:11 De l'agriculture, suite à l'annonce hier à Versailles de la construction d'une usine de production d'engrais.
00:16 Dans la somme, une usine innovante qui promet des engrais décarbonés pour 1,3 milliards d'euros d'investissement.
00:24 Peut-on fertiliser sans polluer ? C'est ce dont nous allons discuter avec Xavier Poux.
00:28 Bonjour !
00:29 Bonjour !
00:30 Vous êtes ingénieur agronome, membre du bureau d'études ASCA, chercheur associé à l'hydrie.
00:35 Peut-être faut-il commencer par dire qu'il ne s'agit pas de n'importe quels engrais,
00:39 mais bien des principaux et des plus polluants, les engrais azotés.
00:43 Quel rôle joue-t-il ? Quelle consommation en fait-on ?
00:46 Alors le rôle qu'il joue est absolument essentiel parce que je ne vais pas faire trop de chimie le matin,
00:52 c'est l'heure du petit déjeuner.
00:53 Mais il faut savoir que dans le vivant, en gros, il y a du carbone, de l'hydrogène, de l'oxygène.
00:59 Donc ça c'est les sucres.
01:00 Et puis il y a l'azote.
01:02 L'azote c'est un composé qui est essentiel dans le vivant parce que c'est celui qui compose des acides aminés
01:08 et qui fait que tous les organismes fonctionnent.
01:11 C'est l'intelligence du vivant.
01:13 Alors quand on est dans un écosystème, qu'il soit cultivé ou naturel,
01:16 cette quantité d'azote en fait, elle est déterminante pour fixer la productivité globale de cet écosystème.
01:23 Donc les engrais azotés, ils ont ce rôle essentiel depuis l'histoire de l'agriculture.
01:27 En fait, ils ont ce rôle essentiel de nourrir les plantes pour aller vite,
01:32 en leur apportant cet élément clé qui est par ailleurs dans l'atmosphère.
01:37 80% de l'air que nous respirons est composé d'azote, mais sous une forme inerte.
01:41 Et donc cet azote, il va rentrer dans le système agricole.
01:46 Et avec l'eau, on va dire que c'est, on va parler un peu agronomie, c'est le facteur limitant de la production.
01:52 C'est-à-dire que c'est cette quantité d'azote qui va fixer le rendement que vous pouvez espérer d'une production.
01:59 Nourrir les plantes, donc on retient que c'est vraiment un fertilisateur.
02:02 Et la France en est un très gros consommateur, le premier consommateur d'Europe, 2 millions de tonnes en 2021.
02:08 La promesse de la future usine des carbonés, c'est de ne plus utiliser de gaz naturel pour fabriquer ces engrais azotés.
02:15 C'est une promesse autant écologique que politique, car qui dit gaz naturel dit Russie.
02:20 Et avec la guerre en Ukraine, on a vu un piège se refermer sur les agriculteurs français.
02:23 L'explosion du prix du gaz a obligé les fabricants d'engrais européens à réduire leur production.
02:29 Les agriculteurs se sont donc tournés vers des importations directes d'engrais, c'est-à-dire vers la Russie.
02:32 Raison pour laquelle, c'est quand même à noter, il n'y a pas de sanctions européennes sur ces produits.
02:37 Est-ce que vous pouvez nous expliquer, Xavier Poux, comment se fabriquent ces engrais azotés de synthèse ?
02:43 Alors, la fabrication de ces engrais de synthèse, elle a été inventée par deux chimistes allemands.
02:49 Haber et Bosch. Donc on parle du procédé Haber-Bosch, qui a plus de 100 ans, 1913.
02:56 Et ce qu'il faut savoir, c'est que mobiliser cet azote qui est dans l'air pour le faire rentrer dans les écosystèmes,
03:03 mobilise beaucoup d'énergie, énormément d'énergie. Alors, naturellement, ça s'est fait.
03:08 On n'a pas attendu des chimistes allemands pour avoir de l'azote dans les écosystèmes, fort heureusement.
03:14 Naturellement, ça se fait beaucoup par ce qu'on appelle la fixation symbiotique,
03:19 par les bactéries qui sont associées aux légumineuses.
03:22 Et ces deux chimistes ont inventé une voie de synthèse qui mobilise énormément d'énergie
03:28 et beaucoup de méthane en particulier dans leur procédé à deux titres.
03:32 Un, comme un des éléments qui rentrent dans l'équation chimique pour faire la synthèse de l'azote
03:40 et faire ce qu'on appelle de l'ammoniaque dans de l'azote et de l'hydrogène.
03:43 Donc c'est ça qui est le fertilisant qu'on va pouvoir utiliser en agriculture.
03:46 Et deux, pour faire cette synthèse, pour casser les liaisons chimiques et faire les bonnes,
03:50 on utilise énormément d'énergie et de manière très intense, si je puis dire.
03:55 D'où l'usage du gaz naturel qu'on va retrouver dans d'autres industries qui sont très très intenses en énergie,
04:01 le ciment, l'acier, etc. Donc on utilise cet énergie.
04:07 Pour donner un chiffre, pour faire une tonne d'engrais,
04:10 on considère qu'il faut l'équivalent d'une tonne de pétrole.
04:13 On parle d'équivalent pétrole. Donc ça donne l'idée d'intensité.
04:17 D'autres chiffres pour se donner une idée, la moitié du bilan énergétique français,
04:23 c'est lié à la fabrication des engrais. La moitié.
04:26 Donc on voit cette chimie qui est à l'oeuvre et qui est très très très intense en énergie.
04:32 Et donc l'objectif de notre nouvelle future usine, c'est d'aller chercher l'hydrogène
04:36 non plus dans le gaz naturel mais dans l'eau par électrolyse.
04:40 Le problème, Xavier Poucq, c'est que les engrais azotés ont des effets sur l'environnement
04:43 qui dépassent largement la seule question des énergies fossiles et du CO2
04:48 dépensés lors du processus de fabrication.
04:51 Alors on va retrouver des problèmes à peu près à tous les niveaux.
04:55 D'ailleurs je pense que c'est la bonne nouvelle de cette usine,
04:58 c'est qu'on parle enfin peut-être d'azote qui est un des éléments
05:01 qui passe complètement sous le radar des enjeux environnementaux
05:04 alors qu'hier c'était le jour du dépassement planétaire de la France.
05:10 Et la pollution à l'azote au niveau mondial est identifiée par les chercheurs
05:15 du Stockholm Institute comme étant la première pression sur l'environnement.
05:19 On en parle très peu avec les pesticides, les antibiotiques, etc.
05:24 Donc c'est très bien de parler de cet azote.
05:26 Alors on peut décomposer le problème en deux.
05:28 Premier déjà d'un point de vue énergétique, décarboné, etc.
05:32 Il y a des chercheurs qui ont publié dans une revue qui s'appelle
05:36 "Environmental Research Letters", donc une publication scientifique.
05:41 Et ils ont comparé l'impact énergétique et de consommation d'eau
05:46 de la fabrication conventionnelle d'engrais à partir d'un borboche
05:50 et à partir de l'hydrolyse de l'eau par l'électricité
05:53 qui est celle du projet dont on parle ce matin,
05:56 qui est censé être décarboné.
05:59 Et ce dont ils se sont aperçus, c'est que l'intensité énergétique
06:03 de la voie décarbonée, c'est 50 fois plus que la borboche.
06:10 Alors je ne suis pas là pour faire la promotion d'un borboche,
06:12 ce n'est pas du tout mon propos, mais c'est dire qu'on est en train
06:15 peut-être de faire des transferts d'impact.
06:17 On va afficher un bilan a priori écologique parce qu'on dit que c'est décarboné,
06:21 mais si on compte tout, on va retrouver des problèmes qui sont majeurs.
06:25 Je voudrais citer Heidi Svestra.
06:28 L'autre jour, elle parlait du fait de pomper de l'eau de mer
06:31 pour la mettre sur la banquise et finalement pour renforcer la banquise.
06:36 Avec cette usine, on est exactement sur le même type de système,
06:39 Shadock, qui déplace le problème et peut-être d'une manière plus grave pour l'énergie.
06:43 - Et d'autant qu'il y a aussi des effets de l'azote, une fois qu'il est répandu,
06:47 des effets sur la pollution des cours d'eau notamment.
06:51 On a aussi une contribution de cet ammoniac dans les particules fines.
06:56 Est-ce qu'on pourrait, Xavier Poucq, se passer des engrais azotés de synthèse ?
06:59 Vous avez parlé tout à l'heure des légumineuses.
07:01 Est-ce qu'il y a une voie naturelle pour azoter les cultures ?
07:06 - Comme je l'ai dit, on n'a pas attendu à Barboche pour produire avec les contraintes d'azote dont on a parlé.
07:12 La voie naturelle, c'est vraiment la bonne nouvelle,
07:16 c'est d'intensifier cet usage des légumineuses qui fixent naturellement ces engrais
07:21 via cette symbiose avec les bactéries.
07:26 Ce qui est clair, c'est que ce n'est pas un hasard si à Barboche,
07:29 les engrais de synthèse ont connu le succès qu'on leur connaît,
07:34 parce que ça booste les rendements.
07:37 C'est clair là-dessus.
07:38 Avec tous les impacts environnementaux, là je pense qu'il faudrait une matinale, rien que là-dessus,
07:42 sur la biodiversité, sur les algues vertes, etc.
07:45 Mais quand on utilise ces légumineuses dans les systèmes agricoles,
07:50 on arrive complètement à se passer des engrais de synthèse.
07:52 C'est ce que fait aujourd'hui l'agriculture biologique, qui est un des fondements.
07:57 En changeant les rotations, en valorisant au mieux l'azote qui est naturellement présent dans les prairies
08:03 avec ces légumineuses, en faisant ce qu'on appelle des transferts de fertilité,
08:07 on arrive à se passer complètement des engrais de synthèse.
08:10 Merci beaucoup Xavier Poux, votre ouvrage co-écrit avec Pierre-Mario Baird.
08:13 Demain, une Europe agro-écologique est parue chez Actes Sud.
08:16 Je signale aux auditeurs que ce soir, le temps du débat d'Emmanuel Laurentin
08:19 poursuivra la réflexion avec cette question politique.
08:22 Agricole, la voix des scientifiques, porte-t-elle ?