• il y a 7 mois
Thibault Hénocque reçoit Christine Pirès Beaune, députée socialiste du Puy-de-Dôme sur le projet de loi "Fin de vie".

Le débat sur la fin de vie dépasse les clivages politiques traditionnels car il concerne à la fois l'intime et l'universel, l'individu et la civilisation. Alors, quand la politique se penche sur des notions aussi fondamentales que la vie et la mort, la souffrance et la dignité, comment faire la loi ? Faut-il autoriser l'aide à mourir ?
A l'occasion de l'examen de la loi sur l'aide à mourir qui s'ouvre à l'Assemblée nationale le 27 mai prochain, La politique et moi donne la parole dans 10 émissions spéciales, présentées par Clément Méric et Thibault Hénocque, à 10 députés qui ont décidé de défendre leurs convictions sur ce sujet.

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Transcription
00:00Quand la politique se penche sur des notions si fondamentales que la vie et la mort, la souffrance et la dignité, comment faire la loi ?
00:08Dans le cadre des débats sur la fin de vie et l'instauration d'une aide à mourir, nous recevons les députés en première ligne sur ces sujets.
00:15Aujourd'hui, Christine Pires-Bône, députée socialiste du Puy-de-Dôme.
00:30Bonjour, Christine Pires-Bône. Bonjour.
00:37Nous allons tenter de comprendre votre position politique sur ces questions.
00:41Vous êtes favorable à l'aide à mourir. Vous jugez en réalité le texte du gouvernement insuffisant.
00:46Vous réclamez un droit plus large, moins restrictif. Vous parlez même à propos de l'aide à mourir d'un nouveau droit.
00:53Alors, première question, pourquoi ce terme de nouveau droit ?
00:57Parce qu'en fait, il s'agit de permettre aux gens qui le souhaitent et uniquement aux gens qui le souhaiteraient d'avoir recours à cette aide à mourir,
01:07ce qu'on appelle dans le texte l'AAM, l'aide à mourir.
01:10Et donc, à partir du moment où, comme par exemple pour le mariage pour tous ou pour l'IVG, c'est une possibilité que l'on offre,
01:20je parle d'un nouveau droit qui n'enlève évidemment rien à personne.
01:25Et c'est peut-être là que nous ne serons pas tous d'accord, c'est-à-dire que je me place sur un texte qui est basé sur le patient, le citoyen, la citoyenne,
01:41et qui est donc, pour moi, une liberté individuelle.
01:45La mort faisant partie de la vie, le choix doit appartenir à la personne.
01:51Alors, je crois savoir qu'à ce titre, le texte du gouvernement vous met en colère.
01:55Alors, vous allez nous dire pourquoi, mais je rappelle d'abord ses contours, les contours qui sont envisagés pour demander une aide à mourir dans cette nouvelle loi.
02:02Maladie grave et incurable, pronostic vital engagé à court ou moyen terme, souffrance insupportable et discernement du malade.
02:10En quoi ces critères vous posent-ils problème ?
02:13Alors, on doit reconnaître que pour la première fois, on a un projet de loi, c'est-à-dire un texte qui émane du gouvernement.
02:20Donc, on peut espérer aboutir et donc qu'il y ait une majorité pour voter ce texte.
02:27Mais où je suis insatisfaite, c'est que ce texte ne va pas assez loin.
02:35Et si vous prenez les cas qui ont été médiatisés, que ce soit Vincent Lambert, Vincent Humbert, Chantal Sébire, Anne Baird,
02:45ces cas n'auraient pas, ces personnes-là, n'auraient pas pu profiter de l'aide médicale à mourir.
02:53Et donc, ça me pose problème.
02:55Alors, vos convictions sur le sujet ne sont pas nouvelles.
02:58Elles remontent déjà à plusieurs années.
03:00En 2021, vous posiez déjà une question au gouvernement.
03:04Notre pays n'est pas à la hauteur des attentes des Français qui se prononcent étude après étude massivement en faveur de ce droit nouveau.
03:14Nombre de Français malades, à l'image de Paulette Guinchard, atteints d'une maladie incurable,
03:19partent chaque année à l'étranger mourir paisiblement, du moins pour ceux qui en ont les moyens.
03:25Le temps n'est plus seulement à la réflexion, mais à l'action.
03:29Alors, on entend que vous parlez de Paulette Guinchard.
03:31C'est une ancienne députée, une ancienne secrétaire d'État.
03:34Elle était atteinte d'une maladie neurodégénérative irréversible.
03:37Elle s'était rendue en Suisse en 2021 pour bénéficier d'un suicide assisté.
03:42C'est une figure qui a compté pour vous.
03:44Alors, moi, je ne l'ai pas vraiment connue, Paulette Guinchard, pour être honnête.
03:49Par contre, oui, j'ai lu, évidemment, son histoire.
03:57Et le fait qu'elle se soit, eux, opposée, puisque c'était une opposante de l'euthanasie,
04:04et que le moment venu, elle ait choisi de s'exiler en Suisse pour un suicide assisté, ça pose question.
04:11Mais c'est comme les témoignages dans nos auditions de médecins
04:17qui sont passés d'une opposition à une acceptation, voire même à militer pour ce nouveau droit.
04:26Elle avait rendu publiques les raisons de son choix.
04:29Elle refusait de vivre et de faire vivre à ses proches sa déchéance physique et intellectuelle.
04:35Ce désir de dignité, cette image aussi qu'on veut laisser à l'autre, c'est une dimension de l'aide à mourir.
04:39C'est aussi un souci de l'autre.
04:41Oui, c'est parfois beaucoup d'altruisme.
04:46Je dis que c'est un droit individuel, c'est un droit qu'on ouvre,
04:51donc c'est d'abord la personne, et ça doit toujours être la personne,
04:54qui est au centre de nos débats, le patient, rien que le patient.
04:59Par contre, le patient, oui, il n'est pas tout seul, il n'est pas isolé,
05:02il a une famille, il a des proches, il a des amis,
05:05et donc ça peut rentrer en ligne de compte dans ce qu'il souhaite pour lui,
05:12et notamment pour ceux qui rédigent des directives anticipées,
05:15on peut avoir des gens qui expliquent effectivement qu'ils le souhaitent pour eux,
05:20mais ils le souhaitent aussi pour ne pas infliger certains moments à leur entourage.
05:26Je remonte encore un petit peu dans le temps.
05:28Vous êtes députée depuis 2012.
05:30En 2016, sous le quinquennat de François Hollande, vous votez la loi Claisse-Léonetti
05:34qui ouvre la possibilité d'une sédation profonde et continue,
05:37mais qui exclut à ce moment-là l'aide à mourir.
05:40Est-ce que vous regrettez que ce nouveau droit, la gauche, ne l'ait pas ouverte ?
05:44Oui, parce que je me souviens que déjà, à l'époque, on avait essayé d'aller plus loin.
05:51Qu'est-ce qui vous en a empêchée à l'époque ?
05:54Les mêmes conservatismes qu'aujourd'hui, c'est-à-dire qu'on a les cultes,
06:03de toutes confessions, et je le respecte et je le comprends.
06:10On a aussi beaucoup de personnes qui travaillent dans les soins palliatifs,
06:15qui sont opposées à cette ouverture du droit à mourir.
06:21Parmi les députés, le fait qu'on ait peut-être aussi une moyenne d'âge plus jeune dans cet hémicycle,
06:31ça compte peut-être aussi pour expliquer qu'aujourd'hui, je crois qu'il y a une majorité pour voter ce texte.
06:38Mais je vais même plus loin. Je pense qu'il y a une majorité pour aller plus loin.
06:42Alors, en préparant cette émission, je vous ai demandé quelle figure, quelle histoire, quel témoignage vous avez particulièrement touché.
06:49Et vous m'avez parlé d'une lettre reçue en début d'année, celle d'une femme, Aurélie Donnet, 44 ans.
06:55Elle est atteinte depuis plus de dix ans d'un cancer de l'ovaire rare, incurable et qui évolue lentement.
07:01Elle a décidé d'arrêter les traitements et depuis, elle réclame une aide à mourir.
07:06Je crois que vous vouliez lire quelques mots de ce qu'elle a écrit à l'ensemble de la représentation nationale.
07:13Oui, alors ce courrier, on en reçoit beaucoup.
07:17Des gens qui se manifestent contre, des gens qui se manifestent pour et beaucoup de témoignages.
07:22Mais celui-ci était particulièrement poignant.
07:26Et si je vous le lis, c'est que j'ai pas pu répondre à ce courrier par écrit, mais je me suis procuré ses coordonnées téléphoniques.
07:33Et j'ai appelé cette dame et je lui ai demandé si je pouvais faire état de ce courrier, ce qu'elle m'a confirmé.
07:40C'est pour ça que je me permets de lire un court extrait parce que son courrier fait trois pages.
07:46Je ne veux pas mourir à petit feu. Je refuse que mon corps se dégrade petit à petit d'une façon que je considère inhumaine.
07:54Je considère que l'aide active à mourir n'est pas un homicide, mais l'ultime soin que les soignants pourraient m'apporter.
08:02Je préfère mourir le sourire aux lèvres, quitter définitivement mon mari à un instant choisi tous les deux,
08:09plutôt que de laisser un hasard morbide et mortel nous séparer.
08:14Alors ces mots d'Aurélie Donnet, qu'est-ce qui vous inspire ?
08:21Je trouve qu'ils représentent bien ce droit individuel espéré par une très très grande majorité de Français.
08:32Parce qu'enquête après enquête, on a de plus en plus d'adhésion des Français à cette demande d'aide active à mourir.
08:44Que ce soit le suicide assisté, mais aussi l'euthanasie.
08:49Je trouve qu'elle a un courage monstrueux.
08:57C'est évident quand on lit l'ensemble du courrier, on voit les phases par lesquelles elle est passée.
09:04C'est-à-dire que c'est quelqu'un qui a 44 ans aujourd'hui, qui a eu un cancer diagnostiqué quand elle avait 30 ans,
09:11donc ça fait 14 ans, qui a eu une dizaine de protocoles de chimio, qui a eu 35 séances de radiothérapie,
09:17qui a eu des interventions chirurgicales dans tous les sens.
09:20Et qui, à ce stade, décide effectivement d'arrêter les traitements pour vivre intensément ce qu'il lui reste à vivre.
09:29C'est à peu près ces mots.
09:31Et je trouve que ce qu'elle dit là, ça résume bien.
09:35En tout cas, c'est assez révélateur de ce que beaucoup revendiquent quand ils le disent.
09:44Voilà, on aimerait effectivement avoir ce droit.
09:47Je pense que oui, c'est un témoignage parmi beaucoup de témoignages qui, moi, me fait dire que,
09:58même si je respecte toutes les opinions, j'ai beaucoup de mal à accepter que certains s'opposent à ce qui n'est qu'une ouverture, une possibilité.
10:11Et on n'impose évidemment rien à personne.
10:14Et je suis même persuadée que le fait d'aller vers cette légalisation est surtout un élément de sérénité.
10:23Elle parle aussi de soulagement face à l'idée de la mort.
10:26Exactement. Savoir que si on a besoin, si on n'en peut plus, s'il y a cette possibilité-là,
10:34sans aller en Belgique ou en Suisse ou au Luxembourg ou aux Pays-Bas,
10:39rien que le fait de savoir que cette possibilité existe là apporterait beaucoup de sérénité dans la fin de vie de beaucoup de personnes.
10:47Un dernier mot, peut-être.
10:48Le président du comité d'éthique, Jean-François Delfraissy, estime que la loi proposée par le gouvernement est, je le cite,
10:53une étape et qu'il en faudra peut-être d'autres. C'est aussi votre avis. Vous allez continuer à vous battre sur ce sujet ?
11:00Alors, c'est une étape, mais moi, je vais me battre dès à présent.
11:04C'est-à-dire que je pense que l'étape telle qu'elle nous est proposée, la marche telle qu'elle nous est proposée,
11:08n'est pas suffisante, encore une fois, par rapport au cas que je vous ai cité.
11:12C'est-à-dire qu'on a ce qu'on appelle aujourd'hui des directives anticipées qui sont possibles.
11:17C'est-à-dire que vous pouvez soit utiliser le formulaire du ministère, que vous trouvez sur le site du ministère,
11:24soit le formulaire de l'association Droit de mourir dans la dignité, soit même un formulaire libre,
11:30et vous écrivez, par exemple, voilà, si je devais être victime, atteinte d'une maladie de Charcot,
11:38je souhaiterais pouvoir avoir accès à l'aide à mourir à l'instant où moi, je le décide.
11:42C'est quelque chose que vous avez fait ?
11:44J'y réfléchis depuis déjà des mois. Je ne suis pas encore passée à la rédaction de ces directives anticipées.
11:52D'abord parce que ce n'est pas simple. Ce n'est pas facile.
11:55Rédiger ces directives anticipées, c'est, quelque part, se confronter déjà à sa propre mort.
12:02Et c'est un sujet quand même tabou. On a du mal à parler de sa mort.
12:07Même si, moi, j'ai coutume de dire que la mort fait partie de la vie,
12:12et que la vie ne s'arrête pas à la porte de l'hôpital,
12:15et que, donc, la mort doit pouvoir être choisie.
12:20Donc, j'y réfléchis, je vais les faire.
12:23C'est aussi difficile de trouver une personne de confiance, et j'évolue aussi.
12:27Est-ce qu'il faut choisir quelqu'un, un proche ?
12:31Est-ce qu'au contraire, c'est quelque chose qui serait trop difficile à accepter pour ce proche,
12:38voire à vivre ensuite avec ce geste ?
12:42Est-ce que c'est un geste, vous, que vous pourriez faire pour quelqu'un d'autre ?
12:46Je crois que oui.
12:48Alors, je ne peux pas, là, vous l'affirmer, parce qu'on ne sait jamais,
12:51au moment où on est confronté à la demande, est-ce qu'on a le courage de le faire.
12:55Je crois que je le ferai par amour.
12:57Je pense que je ne pourrais pas le faire comme d'autres militants d'associations
13:02qui le font sans connaître forcément la personne.
13:05Je pense que par amour, je pourrais le faire.
13:07Merci, Christine Peresbonne.
13:09Merci à vous.
13:27Sous-titrage Société Radio-Canada

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