Clément Méric reçoit Pierre Dharréville, député communiste des Bouches-du-Rhône sur le projet de loi "fin de vie".
Le débat sur la fin de vie dépasse les clivages politiques traditionnels car il concerne à la fois l'intime et l'universel, l'individu et la civilisation. Alors, quand la politique se penche sur des notions aussi fondamentales que la vie et la mort, la souffrance et la dignité, comment faire la loi ? Faut-il autoriser l'aide à mourir ?
A l'occasion de l'examen de la loi sur l'aide à mourir qui s'ouvre à l'Assemblée nationale le 27 mai prochain, La politique et moi donne la parole dans 10 émissions spéciales, présentées par Clément Méric et Thibault Hénocque, à 10 députés qui ont décidé de défendre leurs convictions sur ce sujet.
Le débat sur la fin de vie dépasse les clivages politiques traditionnels car il concerne à la fois l'intime et l'universel, l'individu et la civilisation. Alors, quand la politique se penche sur des notions aussi fondamentales que la vie et la mort, la souffrance et la dignité, comment faire la loi ? Faut-il autoriser l'aide à mourir ?
A l'occasion de l'examen de la loi sur l'aide à mourir qui s'ouvre à l'Assemblée nationale le 27 mai prochain, La politique et moi donne la parole dans 10 émissions spéciales, présentées par Clément Méric et Thibault Hénocque, à 10 députés qui ont décidé de défendre leurs convictions sur ce sujet.
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00:00C'est un débat qui dépasse les clivages politiques traditionnels.
00:03Il concerne à la fois l'intime et l'universel, l'individu et la civilisation.
00:09Faut-il autoriser l'aide à mourir ?
00:11Dans le cadre du débat sur la loi fin de vie,
00:13nous recevons les députés qui ont décidé de défendre leur conviction sur ce sujet.
00:18Aujourd'hui, Pierre Darréville, député communiste, membre du groupe GDR.
00:30...
00:37Bonjour, Pierre Darréville.
00:38Bonjour.
00:39Avant de voir comment vous vous êtes forgé votre opinion sur ce sujet,
00:42je demande à chacun de mes invités d'exposer brièvement sa position sur ce projet de loi.
00:48En quelques mots, c'est un texte qui, sur le volet aide à mourir, autorise cette aide à mourir sous deux formes.
00:55Il y a une forme de suicide assisté, c'est-à-dire que c'est le patient
00:58qui va s'inoculer lui-même un produit létal qui aura été prescrit par un médecin.
01:02Et puis, il y a une forme d'euthanasie.
01:05Si le patient n'est pas en mesure de pratiquer ce geste lui-même,
01:08il va demander soit un proche, soit un médecin, soit un infirmier de le faire à sa place.
01:14Êtes-vous favorable à ce dispositif ?
01:17J'y suis plutôt réticent, ça suscite en moi un certain nombre de réserves.
01:22La question auquel nous devons répondre, c'est d'abord celle des personnes qui souffrent.
01:27Et il y en a beaucoup et beaucoup trop dans notre société qui sont laissées dans des situations de souffrance.
01:32Je crois que ça doit être le point de départ de toute la réflexion.
01:37Et donc, la société doit à ces personnes tout l'accompagnement nécessaire.
01:43La proposition qui est mise sur la table, en réalité, il faut bien avoir conscience qu'elle constitue une rupture au regard de l'histoire.
01:52De notre pays, de l'histoire, de l'accompagnement qui s'est forgé à travers différentes lois.
01:59Les lois Léonetti, Claes Léonetti.
02:02Donc, ce que je souhaite, c'est que nous puissions véritablement accepter d'engager une réflexion sur les enjeux qui sont convoqués par cette proposition.
02:14On va évoquer justement les enjeux à travers une personne qui a compté pour vous.
02:19Michel Vaxès, qui était le député communiste élu dans votre circonscription un peu avant vous.
02:25Votre réflexion s'est nourrie avec des échanges avec Michel Vaxès.
02:31On va écouter la façon dont il s'était opposé à la proposition de loi de Jean-Marc Ayrault sur le droit de finir sa vie dans la dignité.
02:37C'était en 2009.
02:40Je refuse d'inscrire dans notre droit que la mort puisse être rangée parmi les ultimes thérapeutiques.
02:48La civilisation ne commence et n'avance que par les interdits qu'elle proclame et les limites qu'elle fixe.
02:57Celles-ci sont pour moi intransgressibles.
03:01Nous savons tous ici qu'une dérogation admise risque toujours d'autoriser la suivante.
03:10C'est ce qu'exprime la sagesse populaire lorsqu'elle affirme que lorsque les bornes sont franchies, il n'y a plus de limites.
03:18Vous citez souvent Michel Vaxès sur ce sujet.
03:21Est-ce que vous pensez comme lui qu'il y a un enjeu de civilisation derrière cette question de l'aide à mourir ?
03:27Oui, bien sûr, c'est émouvant de l'entendre puisqu'il est décédé aujourd'hui.
03:31C'est quelqu'un avec qui j'ai beaucoup cheminé, réfléchi.
03:35Oui, je pense que la question qui nous est posée, c'est bien une question de civilisation.
03:39La manière dont nous nous traitons mutuellement, la manière dont nous accompagnons les plus vulnérables, les plus fragiles,
03:46celles et ceux qui sont le plus en difficulté, qui souffrent, c'est une question fondamentalement de civilisation.
03:51La manière dont nous respectons chaque être humain, chaque personne humaine et tout l'humain, toute l'humanité.
03:57Moi, c'est ça qui guide mon engagement politique dans la globalité.
04:01C'est la dignité de la personne humaine.
04:03Vous évoquez la dignité de la personne humaine.
04:05Elle est aussi évoquée, invoquée par les partisans de l'aide à mourir, le droit à mourir dans la dignité.
04:12Oui, mais moi, je crois qu'on est digne, quel que soit son état de santé.
04:15Même quand on est malade, même quand on est diminué, notre dignité humaine est là, elle ne disparaît pas.
04:22Elle est présente tout au long de la vie.
04:24Et donc, on est dans une société où, finalement, il faut être en permanence performant, productif.
04:30Une société parfois marquée par ce qu'on appelle le validisme.
04:34Et je crois qu'il faut faire attention à ça.
04:36Vous citez souvent également une phrase du philosophe marxiste Lucien Sève
04:40pour expliquer en quoi votre conception de la dignité humaine est incompatible avec l'acte de donner la mort.
04:46Il a dit un jour, la libre volonté du sujet ne crée d'obligations éthiques pour la collectivité
04:52que sous la condition d'être universalisable.
04:55Est-ce que vous pouvez expliciter un peu cette phrase ?
04:57Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que les intérêts de la société doivent primer sur ceux des individus
05:01quand les deux sont incompatibles ?
05:03Non, ça veut dire qu'il faut les articuler et que la liberté de la personne,
05:08elle se juge aussi à la manière dont elle peut s'appliquer à chacune et à chacun.
05:15L'idée qu'il y aurait en soi une liberté a priori qui existerait,
05:19et a fortiori, au moment de sa vie, on est le plus fragile, au moment où on va faire sa fin,
05:24je crois que c'est une idée qu'il faut discuter.
05:26Vous êtes communiste, mais vous avez aussi été longtemps engagé
05:29au sein des jeunesses ouvrières chrétiennes.
05:31La foi relève de la vie privée, mais forcément, sur une question comme celle de la fin de vie,
05:35je ne peux pas ne pas vous poser la question.
05:37Est-ce que votre foi a nourri votre réflexion sur ce sujet ?
05:41Je suis un responsable politique, j'ai une réflexion politique,
05:45je prends des positions politiques.
05:47Et je refuse que dans le débat, on cherche à enfermer les gens dans des cases.
05:54Vous avez peur d'être enfermé dans cette case-là ?
05:56En tout cas, ça me semblerait préjudiciable,
05:58et je souhaite être entendu pour ce que je dis,
06:00et pour la réflexion qui est la mienne, qui est une réflexion politique,
06:03qui est très liée à la famille politique qui est la mienne.
06:05Vous avez cité Michel Waxès, vous avez cité Lucien Sèvres,
06:08qui ont profondément nourri ma réflexion.
06:10Et oui, c'est une certaine conception de la société,
06:13de l'articulation entre l'individu et le collectif, qui a nourri ma réflexion.
06:16Le combat pour l'euthanasie, pour l'aide à mourir,
06:19il est souvent présenté comme un combat de gauche,
06:21comme une forme de progrès pour la société.
06:24Ça vous agace ? Vous avez peur de passer pour un réac ?
06:27Non, parce que je ne crois absolument pas que ce soit le cas.
06:31Je ne vois pas en réalité, j'attends qu'on me démontre
06:36en quoi cette proposition est de gauche.
06:38Je suis curieux, quand on me démontre ça pour l'instant,
06:41je n'ai entendu aucun argument qui me le démontre.
06:43Ça ne veut pas dire que c'est une position de droite.
06:45Je pense qu'évidemment, les clivages sont un peu bousculés par ce questionnement-là.
06:50On va voir en quoi votre réflexion est de gauche
06:52à travers votre propre prise de parole
06:54dans le cadre du débat sur la proposition de loi Falorni.
06:58C'était en 2021, dans l'hémicycle.
07:00On va écouter un extrait de votre intervention.
07:03Comment évoquer enfin, sans être obscène,
07:06l'inquiétude que peut inspirer la toile de fond,
07:09les logiques d'économie budgétaire sur la santé,
07:11la pression pour libérer des lits,
07:13le discours sur le trou de la sécurité sociale et le coût du vieillissement ?
07:16Je sais bien que là n'est pas l'objectif poursuivi,
07:18mais il serait fou d'ignorer le poids de cette pression sociale.
07:22Pour dire les choses un peu plus clairement,
07:24vous craignez que les plus pauvres,
07:26les plus isolés, les plus fragiles,
07:28ne soient ceux qui fassent davantage le choix de l'aide à mourir
07:32pour des raisons économiques ou sociales
07:34et que, potentiellement, ça devienne une source d'économie pour les pouvoirs publics.
07:39La question va s'imposer à tous et à toutes, en réalité,
07:45même celles et ceux qui ne le souhaitent pas.
07:48Donc, effectivement, je pense qu'on ne peut pas écarter la question sociale
07:51et qu'on sera inégaux face à cette question.
07:55Et que lorsque, comme je vous l'expliquais tout à l'heure,
07:58on a des conditions de vie difficiles,
08:00dans un contexte où on a abîmé le droit à la retraite,
08:04dans un contexte où les pensions de retraite
08:06ont, ces dernières années, plutôt été mises à la diète,
08:11dans un contexte où on a de la difficulté à accéder à des EHPAD,
08:15dans un contexte où on a refusé de faire la loi Granthage,
08:18dans un contexte où on n'a pas donné les moyens aux soins palliatifs.
08:21Il faudrait quand même en dire quelques mots,
08:22parce qu'on a le sentiment qu'il ne se fait rien.
08:24Il y a beaucoup de possibilités ouvertes aujourd'hui par la loi.
08:27Les soins palliatifs font partie de ce projet de loi ?
08:29Il y a un plan décennal qui vise à...
08:31Il était temps !
08:32Il était temps !
08:33Ça fait des décennies que nous disons que la société n'est pas au rendez-vous
08:36d'accompagner les personnes jusqu'au bout de leur vie.
08:39Donc, quand on a une situation,
08:42on nous annonce une amélioration réelle
08:44et substantielle pour dans dix ans.
08:46Il faut quand même mesurer les choses.
08:48Donc, moi, je crois que dans ces conditions-là,
08:51il y a quand même, oui, un problème qui se pose,
08:53qui est lourd, qui est qu'en réalité,
08:55la question sociale va faire irruption.
08:58Mais vous ne faites pas confiance aux législateurs que vous êtes
09:00pour fixer des garde-fous,
09:02pour éviter ce type de risque, de dérive ?
09:06La société est traversée d'inégalités profondes.
09:11Cette loi ne va pas résoudre ces inégalités.
09:14Nous sommes inégaux devant la mort.
09:16C'est une réalité.
09:17Et donc, la question qui se posera,
09:19elle va se poser de manière différente aux uns aux autres.
09:22Ça ne signifie pas, si vous voulez,
09:24que certains y échapperont.
09:27Mais les conditions dans lesquelles nous vivons,
09:29on pourrait prendre des exemples très concrets,
09:31mais lorsque vous êtes en difficulté, isolé,
09:34que parfois vous avez le sentiment d'être un fardeau pour votre entourage
09:37qui, lui-même, vit dans des conditions difficiles, etc.,
09:39cette question va se poser dans des conditions tout à fait différentes
09:42pour quelqu'un d'autre.
09:44Est-ce qu'il n'y a pas une inégalité face à la mort,
09:47face à la fin de vie, aujourd'hui,
09:49mais une inégalité inversée,
09:51c'est-à-dire que seules les personnes qui en ont les moyens
09:53peuvent aujourd'hui se rendre en Belgique ou en Suisse
09:56pour bénéficier d'une aide à mourir ?
09:58À condition de considérer que ça doit être un droit,
10:00et que mourir soit un droit, et puis ça être un droit.
10:03La première inégalité, si vous voulez,
10:06c'est de ne pas avoir accès aux soins palliatifs.
10:08Aujourd'hui, 48% seulement des personnes qui pourraient y prétendre
10:11y ont droit.
10:12Ça, c'est une inégalité.
10:13Elle est là, elle est sous nos yeux.
10:15Et depuis des années, Michel Vaxès, qu'on a vu tout à l'heure
10:17à la tribune de l'Assemblée nationale,
10:19depuis la fin des années 90,
10:21à chaque fois qu'il est monté sur ce sujet-là,
10:23a dit que les lois que nous faisions ne serviraient à rien
10:25si on ne donnait pas les moyens aux soins palliatifs d'exercer.
10:28Donc, la première inégalité, elle part de là.
10:31Et je veux dire, je veux réaffirmer,
10:33permettez-moi de le dire,
10:34qu'aujourd'hui, la loi est très méconnue
10:36et qu'elle permet d'accompagner dignement...
10:38C'était la question que j'allais vous poser.
10:40Est-ce que vous estimez que la législation, en l'état actuel,
10:43permet de répondre à tous les cas de figure qui peuvent se poser ?
10:46Je crois, d'abord, que pour l'essentiel, oui,
10:49et qu'ensuite, la loi ne peut pas tout codifier.
10:51Il faut qu'elle codifie tout ce qu'elle peut
10:54et de la manière la plus intelligente possible.
10:57Mais on sait également qu'il y a des sujets sur lesquels
11:01on ne peut pas simplement, y compris légiférer,
11:03à partir de cas qui soient des cas trop particuliers,
11:06et qu'ensuite, il faut aussi que les acteurs et les actrices
11:09aient leur marge d'action.
11:11Ce sont des professionnels.
11:12Et donc, je pense qu'ils sont capables d'évaluer les situations.
11:15Et la loi le leur permet aujourd'hui.
11:17Vous évoquez beaucoup l'importance des soins palliatifs.
11:19Il y a un volet soins palliatifs dans ce texte,
11:21dans ce projet de loi,
11:22mais vous auriez préféré qu'il ne soit pas inclus dans le texte.
11:25Pourquoi ?
11:26Il y a deux raisons à cela.
11:28La première, c'est que cette dimension des soins palliatifs,
11:34elle n'apparaît que pour, finalement, justifier la deuxième dimension.
11:37Il fait longtemps qu'on aurait dû avoir un plan de soins palliatifs
11:40et que certains d'entre nous, dont je fais partie,
11:43l'ont demandé et qu'il n'est pas venu.
11:45Donc, on aurait pu rassembler, effectivement,
11:48l'Assemblée nationale assez largement sur un plan offensif
11:50en faveur des soins palliatifs.
11:52Ça méritera d'être discuté.
11:53Il faudra vérifier ce qu'il y a à l'intérieur de ce plan.
11:56La deuxième chose, c'est qu'un certain nombre de personnes
12:00discutent l'idée qu'on puisse faire cohabiter les deux logiques,
12:03celle des soins palliatifs, d'un côté,
12:06qui est la logique du prendre soin,
12:08et de l'autre, la logique, finalement,
12:10de dire à la personne qui souffre,
12:12bon, tu veux t'en aller,
12:14finalement, vas-y,
12:16et de convoquer la société elle-même
12:18pour participer à ce geste.
12:20Aujourd'hui, quand une personne souffre et qu'elle veut partir,
12:23la société lui dit, on tient à toi, on va t'accompagner.
12:26Elle ne tient pas toujours sa promesse,
12:28et c'est un des nœuds du problème.
12:30Mais le signal qu'elle envoie à ces personnes qui souffrent,
12:33c'est celui-là, c'est nous tenons à toi, ta vie a de la valeur.
12:36Et c'est le travail qui est accompli par les soins palliatifs.
12:39Et on constate que lorsque les soins palliatifs sont au rendez-vous,
12:42en réalité, les demandes finissent,
12:45bien souvent, la plupart du temps, en réalité, par s'éteindre.
12:48Nous sommes traversés de pulsions de vie
12:50et parfois aussi de pulsions de mort,
12:52toutes et nous tous, dans nos existences.
12:54Et quand on est en situation de fragilité,
12:56ces pulsions de mort, bien sûr qu'elles s'expriment et qu'elles sont là.
12:59Mais dans la même personne,
13:01quand elle exprime parfois le désir de s'en aller,
13:03la pulsion de vie n'a pas disparu.
13:05Et lorsque l'accompagnement humain est là,
13:07la fraternité est là, ça change les choses.
13:09Lorsque les soins sont là, lorsque la souffrance est prise en charge,
13:12ça change les choses.
13:13Je crois qu'il ne faut pas minimiser
13:15la portée de ce que peuvent apporter les soins palliatifs
13:17et il ne faut pas les dévaloriser.
13:19Merci beaucoup, Pierre Darréville, d'être venu dans cette émission spéciale.
13:22Merci à vous.