• il y a 7 mois
Transcription
00:00Étant né en Belgique, avec ma couleur, j'avais besoin de comprendre un peu les mécanismes culturels, les origines, j'avais envie de creuser là-dedans.
00:10Et donc j'ai fait mon parcours académique ici. J'ai même eu des heures de TP dans ce local ici.
00:16Et un fait marquant de mes études, c'était quand on étudie l'anthropologie, c'est toujours un regard scientifique sur les différentes cultures du monde.
00:28Mais c'est souvent un regard ethnocentré, un regard d'occidentaux sur qu'est-ce qui se passe, comment les Africains vivent, comment les Asiatiques vivent, comment les Américains vivent.
00:39Et lors de la réalisation de mon mémoire, j'ai eu le besoin d'un petit peu chambouler tout ça, de regarder les choses d'un autre point de vue.
00:50J'étais attiré par les écrits de Pierre Clastres, qui faisait une révolution copernicienne en anthropologie.
00:58Il essayait de regarder le monde à travers les yeux de ceux qui étaient étudiés.
01:04Et là, je suis arrivé à l'idée qu'il existait des sociétés contre l'État, des sociétés contre le pouvoir de l'Etat.
01:13Et j'ai fait un mémoire qui parlait de l'histoire d'Haïti avec ce regard-là.
01:19Ça m'a voulu beaucoup de problèmes, parce que ma maître de stage n'appréciait pas trop l'angle que je suivais.
01:27J'étais vu comme un réactionnaire, etc.
01:30Mais je m'en suis très, très bien sorti.
01:32Donc voilà, ça, ça a été mon diplôme ici.
01:35À côté de ça, dans la commune de Jet, j'ai aussi eu un impact à mon humble hauteur.
01:43On adorait le djembé avec mes amis.
01:46On jouait souvent de la percussion dans les parcs.
01:49Et de là est venue l'idée, parce qu'on était toujours chassés par la police, de créer un festival.
01:56Et c'est devenu le festival Jam in Jet, qui aujourd'hui rassemble plus de 10 000 invités chaque année,
02:02avec une philosophie pour laquelle je me suis vraiment battu au sein de l'organisation.
02:08C'était de faire de la musique du monde pour le monde.
02:11Donc faire un festival qui est gratuit et qui le reste.
02:15Parce que souvent, quand on s'intéresse à la musique africaine, à la musique américaine, etc.,
02:21on doit aller payer pour y aller.
02:24Mais souvent, nos communautés n'ont pas toujours les moyens de se payer ces concerts chers, etc.
02:31Et donc on a voulu vraiment faire un festival qui soit très populaire
02:35et qui permette aux gens de différentes cultures de pouvoir se rencontrer dans la gratuité, dans la convivialité.
02:43Et puis, qu'est-ce que je pourrais dire aussi ?
02:46De là, j'ai commencé à exercer ma profession, je suis devenu professeur.
02:51Et j'enseigne la religion.
02:53Alors j'enseigne la religion, mais je l'enseigne d'une manière un petit peu originale, on va dire.
02:59Parce que j'ai ces racines africaines qui m'habitent.
03:03Et connaissant l'histoire de religion, j'ai voulu aborder aussi le cours de religion avec un regard un peu plus critique.
03:14Et donc voilà, on pourra peut-être en parler lors du...
03:17Initialement, professeur, de quelle religion ?
03:19Alors, religion catholique, dans une école catholique.
03:22Je n'aurais pas choisi l'intituler de cette manière.
03:25Je n'aurais pas choisi l'intituler de cette manière.
03:27Mais voilà, je me retrouve en charge de ce cours.
03:30Et que dire encore ?
03:34Et oui, pour mes élèves, il est clair que je suis haïtien.
03:40Ils me reconnaissent à travers cette identité.
03:44Et lors du tremblement de terre de 2010, j'ai eu l'occasion avec eux d'organiser une grande marche.
03:51Qui a rassemblé les trois sites de l'école, chose qui n'avait jamais été faite.
03:55Et on s'est dirigé vers le parc de forêt aux couleurs d'Haïti, en bleu et en rouge.
04:01Là aussi, j'ai vécu ça comme un vrai succès.
04:07Et même, on a gardé tous de très bons souvenirs de cette marche.
04:11Et aujourd'hui, je reste impliqué dans mon pays d'origine à travers des activités de reboisement.
04:19Je me suis formé en agriculture synthropique.
04:22Et je forme mes compatriotes à la compréhension de l'écosystème, de l'environnement.
04:29Comment reboiser le pays de manière durable et saine.
04:34En étant ici, j'ai pris conscience que j'ai développé une sorte de combat de l'ombre.
04:43Où je me place toujours dans une position où je parviens à suggérer à l'autorité
04:51de prendre telle ou telle décision, d'aller dans tel ou tel sens.
04:55Et voilà.
04:58Quand c'est ici, en Belgique, par exemple avec mes élèves,
05:05je leur explique comment fonctionne le système scolaire.
05:09Comment en étant trop ballot, en arrivant, en pensant qu'on va refaire la révolution à soi tout seul,
05:15comment on risque de se planter complètement.
05:17Et donc j'ai une forme de coaching, une approche qui leur permet de faire un rétro-planning,
05:23de commencer à prendre conscience des deadlines.
05:29Et de voir comment ils pourraient étudier pour réussir.
05:32Quand j'arrive en conseil de classe, j'adopte le discours de l'institution.
05:37Et je parviens à montrer les difficultés que tel ou tel élève vit.
05:44Et comment on pourrait l'aider à surmonter certaines choses.
05:48Et par rapport à Haïti, j'ai l'impression que là aussi, par rapport à mes compatriotes,
05:56je leur montre les enjeux réels de ce monde.
06:00Parce qu'aujourd'hui on a des téléphones, on regarde la réalité dans des vidéos très courtes.
06:06On voit beaucoup de bling bling.
06:08Et je leur montre que ce n'est pas ça du tout.
06:11Et que finalement, le fait de vivre sur les deux pays me permet de me rendre compte d'une chose que j'aime bien rappeler.
06:19C'est qu'on est vraiment dans un rapport d'inégalité en termes monétaires.
06:25Et qu'on ne peut pas avoir les mêmes stratégies que les gens d'ici.
06:29Et par exemple, quand on va se battre pour faire de l'argent en Haïti,
06:34on va être payé en gourdes.
06:36Et on peut voir l'argent comme quelque chose de...
06:39Voilà, ce n'est pas forcément négatif, c'est une énergie, etc.
06:42On peut voir les choses comme on veut.
06:44Mais quand on change de devise, il y a une perte d'énergie complète.
06:49Quand on travaille pour des gourdes et qu'on espère être payé,
06:53tout ce qu'on va vouloir acheter va être en dollars, par exemple.
06:57Et là, on est perdant.
06:59On est directement perdant parce qu'il faut accumuler des choses.
07:02Et le temps de notre communauté n'est pas reconnu.
07:07Et ça, c'est quelque chose au niveau mondial.
07:10En Afrique, quand les gens travaillent, leur temps n'a pas de valeur.
07:15Unité dans la diversité ?
07:17Je dirais unité dans la diversité parce que dans l'histoire d'Haïti,
07:21c'est ce qui a fait la force des esclaves.
07:24Malgré leurs origines différentes,
07:27ils ont trouvé dans un langage commun une force
07:31qui les a permis de se libérer de l'oppression.
07:34Et puis j'ai aussi envie de nous dire,
07:37quand j'entends le terme afro-descendant et que je suis fidèle à la science,
07:42toute l'humanité est afro-descendante.
07:45Et j'ai envie qu'on apprenne à ne pas,
07:49même si on colle des étiquettes,
07:52il faut bien savoir que les couleurs qu'ils donnent
07:55ne rendent jamais compte de toutes les nuances
07:58qui existent au niveau des pigmentations.
08:01Et du coup, de ne pas rentrer dans le piège.
08:05Et de nous unir avec toutes les personnes
08:09qui sont pour la liberté, qui sont pour l'égalité,
08:12qui sont pour la fraternité.
08:15Et de trouver ensemble ce langage
08:18qui met fin à l'exploitation, à l'exclusion, à la ségrégation
08:23et toutes ces choses qu'on aura envie de vomir.