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00:00 *Générique*
00:06 L'actualité du jour, si j'en crois la une de tous vos journaux,
00:10 ce sont les investissements étrangers en France avec Choose France.
00:16 C'est la nouvelle manière d'évoquer ces investissements.
00:20 Pour en parler, nous sommes avec vous, Philippe Aguillon.
00:23 Bonjour.
00:23 Bonjour.
00:24 Vous êtes économiste, professeur au Collège de France et vous êtes également…
00:28 Aline Seade, également.
00:30 Aline Seade, vous êtes également…
00:31 PLL.
00:32 Je vais tout dire.
00:32 Co-président de la Commission de l'intelligence artificielle
00:35 et vous publiez avec Anne Bouvreau, l'intelligence artificielle,
00:39 notre ambition pour la France, c'est aux éditions.
00:42 Odile Jacob, si je me saisis de la une des échos,
00:47 je vois donc Choose France avec différents pays
00:51 qui se proposent d'investir 15 milliards d'euros dans notre pays,
00:57 dont Microsoft qui va investir 4 milliards.
01:00 Une réaction.
01:01 Oui, écoutez, je pense qu'il y a eu un certain nombre de réformes
01:07 qui ont été faites depuis 2017, même peut-être avant,
01:10 fiscalité, marché du travail, formation professionnelle,
01:15 qui ont contribué à rendre la France plus attractive en matière d'investissement.
01:22 Donc voilà, je pense que Choose France est une manifestation de plus
01:27 du fait qu'on a endigué la désindustrialisation en France.
01:33 Voilà, on peut mettre au crédit du président de la République
01:38 l'idée vraiment de mettre toute la gomme sur l'économie
01:43 et d'inverser le mouvement de désindustrialisation
01:48 et de prendre une série de mesures pour…
01:50 Donc il y a eu également France 2030,
01:52 c'est-à-dire à la fois des mesures horizontales, fiscalité, marché du travail,
01:57 qui concernent tous les secteurs, et puis des mesures plus verticales,
01:59 on va investir dans certains domaines, en particulier l'IA, l'innovation verte,
02:04 et je pense que ça porte ses fruits, voilà.
02:06 Donc Choose France pour moi est une manifestation de plus
02:10 de l'attractivité, du fait que la France redevient un pays attractif
02:13 pour les investissements étrangers.
02:14 Petit bémol à la une des échos…
02:16 Je suis pas un inconditionnel de tout ce que fait le gouvernement.
02:19 Non, attendez, on va en parler.
02:20 On va discuter justement de cela.
02:22 Petit bémol déjà, à la une des échos,
02:24 les États-Unis, la Chine et l'Inde continuent de bouder la France.
02:29 Mais ce sont des concurrents.
02:30 Les États-Unis…
02:31 Alors, les États-Unis et la Chine sont quand même des concurrents pour l'essentiel.
02:35 C'est ça tout le problème, c'est qu'en fait,
02:38 les États-Unis, on l'a vu avec l'Inflation Reduction Act,
02:42 les États-Unis s'engagent dans une politique industrielle très agressive,
02:47 et la Chine également.
02:48 Donc, l'Europe doit faire front.
02:51 L'Europe doit se relever.
02:53 Et c'est vrai qu'au sein de l'Europe,
02:55 la France est le pays qui est le plus conscient,
02:57 un des pays les plus conscients,
02:59 qu'on ne peut pas simplement faire des réformes structurelles.
03:04 Il faut également avoir une vraie politique industrielle,
03:07 si possible au niveau européen,
03:08 mais la France ne veut pas attendre.
03:09 Et la France dit « moi, je m'y mets de toute manière ».
03:11 Et je pense qu'elle a raison,
03:13 parce que si on ne fait rien en Europe,
03:14 l'Europe va décliner.
03:16 On pourra parler du déclin européen par rapport aux États-Unis.
03:18 C'est très clair.
03:19 Dans les innovations de pointe,
03:20 l'Europe décline par rapport et aux États-Unis et à la Chine.
03:24 Donc, il faut renverser la vapeur.
03:26 Et la France veut être un peu la figure de proue dans ce mouvement-là.
03:30 - Bon, alors, le petit bémol, je l'ai cité.
03:32 Le gros bémol, on le trouve dans le Figaro.
03:34 C'est une étude publiée par Jérôme Fourquet,
03:39 avec l'IFOP et le Figaro,
03:42 qui, je cite, fait le constat de l'impasse absolue
03:45 du modèle « stato-consumériste » français.
03:48 Alors, ce que veut dire Jérôme Fourquet
03:51 par cette expression de « stato-consumérisme »,
03:53 c'est que l'État fournit aux Français,
03:56 via un certain nombre de mécanismes redistributifs,
03:59 les moyens de consommer.
04:00 Mais voilà, c'est un pays qui consomme, qui réglemente,
04:03 mais qui ne produit plus.
04:05 Philippe Aguillon ?
04:06 - Il y avait beaucoup de ça.
04:09 On a été beaucoup…
04:10 Alors, c'est très bien d'aller vers les services.
04:11 On a été trop vers les services.
04:12 On a trop désindustrialisé.
04:14 C'est vrai pour la France.
04:15 C'est moins vrai pour l'Allemagne, par exemple.
04:16 L'Allemagne est restée un pays industriel.
04:18 Même le nord de l'Italie est resté très industriel.
04:21 Et nous, en France, depuis les milieux des années 90,
04:24 on a trop désindustrialisé.
04:26 Et on a délocalisé nos industries.
04:28 Voilà, et je pense qu'il était important
04:30 d'inverser la tendance.
04:33 - Mais alors, est-ce qu'elle est vraiment inversée, cette tendance ?
04:35 - Et donc, c'est pour ça qu'il y a eu le tournant de l'offre.
04:37 C'est ça qui est important.
04:37 Quand même, n'oublions pas que déjà, même sous Hollande,
04:40 avec le CICE, le rapport gallois, etc.,
04:43 il y a eu le tournant de l'offre.
04:45 On s'est dit non, on ne peut pas simplement se reposer
04:47 sur la demande pour générer de la croissance.
04:49 Il faut que nous soyons compétitifs dans des domaines.
04:54 Oui, on est resté compétitif en aéronautique et en nucléaire
04:58 et dans le luxe, mais on avait d'autres secteurs
05:00 dans lesquels on était très bon et dans lesquels
05:02 la position de la France s'est dégradée au niveau international.
05:04 Donc, il faut inverser la vapeur.
05:06 Il y avait d'autres secteurs,
05:08 moi, je ne sais pas si c'était des machines agricoles
05:11 ou d'autres secteurs, je ne veux pas les détailler,
05:12 dans lesquels on était très bon et dans lesquels on a perdu.
05:16 Donc, il fallait inverser.
05:18 Voilà.
05:19 C'est pour ça qu'il faut voir qu'il y a eu un moment
05:22 de création d'entreprises depuis quelques années.
05:25 On crée davantage d'usines qu'on en détruit,
05:28 on crée davantage d'emplois qu'on en détruit.
05:30 Et ça, c'est quand même nouveau.
05:32 Et voilà, ça prend du temps.
05:33 Mais il y a une prise de conscience chez nous en France maintenant
05:37 qu'il fallait faire le tournant de l'offre
05:39 et il fallait endiguer la désindustrialisation.
05:41 Donc moi, je suis quand même moins pessimiste que Fourquet.
05:43 Je crois qu'il a raison.
05:44 C'est un nombre de constats qu'il a fait dans ses excellents ouvrages.
05:47 Mais je crois qu'il y a quand même maintenant une prise de conscience
05:49 en France qu'il faut réindustrialiser à France.
05:52 Mais alors là aussi, ce qu'explique Jérôme Fourquet,
05:56 c'est qu'on a trop privilégié la consommation.
05:59 Est-ce que ça, c'est exact selon vous, Philippe Aguillon ?
06:04 Oui, je le mettrai en termes de...
06:05 On a trop cru à la croissance par la demande.
06:08 Voyez, c'est-à-dire, c'est important d'avoir de la demande.
06:10 Si on n'a pas de demande, il n'y a pas de débouchés pour les produits.
06:12 Mais il faut en même temps avoir un appareil productif compétitif.
06:15 C'est-à-dire que la croissance, c'est aussi beaucoup...
06:17 Par exemple, on a un commerce international qui s'est fortement dégradé.
06:22 Voilà, donc c'est important qu'on ait un appareil productif
06:24 où on puisse avoir des débouchés internationaux pour nos produits.
06:27 Ça, c'est très important.
06:28 Et donc, qu'on devienne compétitif.
06:30 D'où l'importance de l'IA.
06:31 L'IA, la robotisation nous rend plus productifs.
06:35 Il y a toujours eu cette idée que l'IA détruit les emplois,
06:37 l'intelligence artificielle.
06:39 Ça en détruit, mais nous, on montre dans le rapport
06:41 dont vous parliez tout à l'heure, que globalement, l'IA crée des emplois.
06:44 Parce qu'on devient plus productif et donc plus compétitif au niveau international.
06:48 Et je pense qu'il faut vraiment pousser ces révolutions-là
06:52 qui vont nous permettre d'avoir des débouchés à l'international.
06:54 On ne peut pas juste se reposer sur le marché intérieur.
06:56 On doit également se reposer sur le marché international.
06:59 - Bon, on va parler bien sûr de l'intelligence artificielle,
07:02 mais Philippe Aguillon, ce qui est étonnant,
07:04 c'est que lorsqu'on lit ce constat de Jérôme Fourquet,
07:09 qui est partagé par d'autres observateurs, bien sûr,
07:12 sur le fait que notre pays consomme de trop,
07:16 réglemente de trop, en tout cas sur la consommation,
07:20 c'est étonnant parce que les Français voient plutôt
07:23 leur pouvoir d'achat diminuer.
07:25 - Il a été quand même pas mal.
07:27 Depuis le Covid, il a peut-être un peu réduit,
07:28 mais c'est vrai que jusqu'au Covid, j'avais regardé ça de près,
07:31 le pouvoir d'achat avait été relativement bien maintenu
07:32 par rapport à d'autres pays quand même.
07:34 Ça, on peut dire vraiment, il y avait eu le pouvoir d'achat,
07:37 même de toutes les couches, la population avait plutôt,
07:40 en tout cas, pas régressé.
07:42 Donc, il y avait eu un gros effort de maintien de pouvoir d'achat quand même.
07:46 Alors, peut-être qu'après le Covid, il y a eu un peu,
07:48 je ne sais pas, il y a eu l'inflation et évidemment,
07:51 tout n'est pas indexé sur l'inflation.
07:52 Donc, peut-être à ce moment-là, il y a eu une petite perte de pouvoir d'achat,
07:55 mais jusqu'au Covid, le pouvoir d'achat chez nous
07:58 avait été beaucoup mieux maintenu que dans les pays voisins.
08:02 Donc, c'est une bonne chose, je trouve que c'est une très bonne chose.
08:05 Mais il y avait cette vision en France qu'on peut se reposer uniquement
08:07 sur la croissance par la consommation et la consommation de services essentiellement.
08:11 Et moi, je pense qu'on pourrait être un grand pays face aux États-Unis
08:14 qui réindustrialisent et à la Chine qui innove.
08:17 Il faut qu'on industrialise par l'innovation.
08:19 Si on n'est pas un pays innovant, on perd la partie.
08:23 Parce qu'on ne peut pas consommer ce qu'on ne produit pas.
08:26 Vous voyez, je crois qu'il y a quand même ça au départ.
08:28 Je crois que pour consommer, il faut d'abord produire.
08:30 Moi, je ne crois pas qu'on peut opposer production et consommation.
08:33 Il faut être un pays de production et d'innovation
08:35 pour pouvoir être véritablement un pays de consommation.
08:37 - Alors, comment cela se fait-il que le PNB par habitant français
08:42 décroche par rapport à l'Allemagne, par rapport aux États-Unis ?
08:46 - Alors, écoutez, il y a d'abord des raisons un peu, disons,
08:50 plus conjoncturelles et des raisons plus structurelles.
08:52 D'abord, je crois qu'il y a le contre-coût du chômage qui baisse
08:55 et de la rétention de main d'œuvre qui augmente.
08:57 Il y a eu les réformes du marché du travail.
09:00 On a fait une série de réformes en France pour augmenter le taux d'emploi,
09:03 ce qui est une bonne chose.
09:04 Mais c'est vrai que les nouveaux venus sur le marché du travail
09:07 tendent à être moins productifs que les individus déjà titulaires d'un emploi.
09:11 Donc, quand vous augmentez l'emploi, le taux d'emploi,
09:14 mécaniquement, ça a un effet négatif sur la productivité.
09:18 Donc ça, je pense, c'est un aimant.
09:19 Mais c'est pour ça qu'il faut…
09:21 L'innovation est une bonne chose parce que l'innovation
09:23 vous permet d'augmenter le taux d'emploi sans réduire la productivité.
09:27 C'est pour ça qu'on a besoin de ça.
09:29 La deuxième chose, c'est que la conjoncture économique récente
09:32 a joué négativement également.
09:33 Il y a eu la hausse des taux d'intérêt pour endiguer l'inflation
09:36 et la hausse des prix d'énergie dont on a particulièrement souffert.
09:41 Les Américains, eux, partaient d'un niveau d'emploi plus élevé.
09:43 Donc, ils n'ont pas été sujets à cette augmentation similaire de taux d'emploi
09:47 et cet effet mécanique dont je parlais tout à l'heure.
09:49 Et puis, ils ont moins souffert que nous de la hausse du prix d'énergie.
09:52 Et surtout, ils ont stimulé leur économie avec le Inflation Reduction Act.
09:56 Nous, on n'a pas fait l'équivalent.
09:57 Ça, c'est des raisons conjoncturelles.
09:58 Après, il y a des raisons plus structurelles de décrochage.
10:01 Et là, effectivement, c'est un fait que nous n'avons pas assez investi
10:06 dans les innovations de rupture depuis des années.
10:09 Vous voyez, dans tout ce qui est high-tech,
10:10 l'Europe et la France en particulier demeurent à la traîne par rapport aux États-Unis.
10:15 Tout ce qui est technologies de pointe, industries high-tech.
10:18 Et pourquoi on ne l'a pas été ?
10:19 Ça, c'est des grandes raisons parce qu'en fait,
10:22 il y a aux États-Unis un écosystème de l'innovation
10:24 qui commence avec la recherche fondamentale.
10:26 Les universités sont beaucoup mieux financées que chez nous.
10:29 Tout ce qui est recherche fondamentale.
10:30 Il y a le capital risque pour les startups,
10:33 les investisseurs institutionnels pour l'innovation dans les grandes entreprises.
10:36 Et il y a les fameuses DARPA, Defense Advanced Research Project Agency,
10:40 qui est une manière moderne de faire de la politique industrielle
10:42 et de pousser des secteurs de pointe.
10:44 Eh bien, dans tous ces domaines-là, on est moins bon.
10:46 Donc, ils ont pu développer ce qu'on appelle des clusters.
10:48 Vous voyez, vous allez pouvoir faire des universités, des startups.
10:51 Aux États-Unis, vous avez beaucoup de clusters.
10:53 Nous, on en a beaucoup moins chez nous.
10:54 Et ils ont vraiment été dans le high-tech.
10:56 Et en France, on n'a pas fait suffisamment.
10:59 Et en Europe, en manière générale.
11:00 Donc, ça, c'est des raisons de plus long terme.
11:02 Il y a des raisons de conjoncturel dont je parlais tout à l'heure.
11:04 Hausse du taux d'emploi, hausse du prix de l'énergie, etc.
11:07 Puis, il y a des raisons de plus long terme, un décrochage de plus long terme,
11:09 qui fait que nous, eh bien, on n'a pas assez investi
11:12 dans l'écosystème de l'innovation par rapport aux États-Unis, notamment.
11:16 Mais alors, ça veut dire qu'il va falloir énormément de temps pour renverser la vapeur ?
11:21 Ça va prendre du temps. Mais il faut s'y mettre dès maintenant.
11:23 Absolument. Du temps, ça veut dire combien de temps à la chaîne des exercices ?
11:27 Mais je veux dire, même sur 5 ans, 10 ans, on peut faire déjà la différence.
11:29 Je veux dire, déjà, vous mettez un gros effort sur l'intelligence artificielle,
11:32 on peut déjà faire des choses formidables.
11:35 On va parler d'intelligence artificielle maintenant.
11:37 Mais je pense qu'il n'est pas trop tard.
11:39 Et un des gros problèmes chez nous, il y a eu par exemple les LabEx.
11:42 Vous savez, les laboratoires d'excellence.
11:43 Ça a été une expérience formidable parce que les laboratoires d'excellence
11:46 ont stimulé les innovations de rupture dans les industries environnantes.
11:49 On se retrouve dans une vingtaine de minutes pour parler d'intelligence artificielle.
11:53 Philippe Aguillon, vous êtes professeur à l'INSEAD et au Collège de France.
11:58 Il y a "Notre ambition pour la France".
12:00 C'est le rapport que vous publiez en compagnie d'Anne Bouvreau aux éditions Odile Jacob.
12:04 Après la politique, de la politique économique avec vous, Philippe Aguillon.
12:16 Vous êtes économiste, professeur à l'INSEAD au Collège de France,
12:19 co-président de la commission de l'intelligence artificielle.
12:21 Vous publiez un extrait des décisions ou des commentaires que vous faites au sujet de l'IA.
12:28 "Notre ambition pour la France", c'est chez Odile Jacob.
12:32 Tout d'abord, j'aimerais comprendre ce qu'est l'intelligence artificielle pour un économiste.
12:38 L'intelligence artificielle, c'est quelque chose qui vous permet
12:47 d'automatiser un certain nombre de tâches, à la fois dans la production de biens et services.
12:54 C'est quelque chose qui vous rend plus intelligent.
12:57 C'est quelque chose qui remplace, qui aide l'intelligence humaine,
13:02 qui permet d'automatiser un certain nombre de tâches,
13:06 à la fois dans la production de biens et services et dans la production d'idées.
13:11 L'intelligence artificielle permet de résoudre un certain nombre de problèmes.
13:19 Ça peut créer des images, des textes, des sons, ça recombine.
13:22 Vous voyez ce que je veux dire ? C'est du savoir et vous prévoyez avec du texte.
13:26 On peut prévoir, voilà, je mets un certain nombre de mots
13:29 et je sais que si j'ai ce nombre de mots, je sais ce qui vient après.
13:32 Donc, à une vitesse extraordinaire, l'intelligence artificielle vous permet de très vite recombiner.
13:40 Ça recombine les idées, ça ne fait pas des inventions fondamentales,
13:46 mais l'intelligence artificielle vous permet à une vitesse beaucoup plus grande
13:49 de recombiner du savoir, de synthétiser du savoir
13:53 et donc est un outil extraordinaire pour vous permettre de faire de la recherche,
13:57 pour vous permettre d'innover, pour vous permettre de faire plein de choses.
14:00 Mais l'intelligence artificielle, est-ce que c'est tout simplement un gain de productivité ?
14:04 Parce que si c'est un gain de productivité, y compris dans le domaine des idées, Philippe Aguillon,
14:10 quelle différence y a-t-il entre l'intelligence artificielle
14:14 et les différents processus de modernisation depuis l'invention du métier à tisser ?
14:20 Est-ce que c'est une différence de degré ?
14:23 Est-ce que c'est une différence de nature, l'intelligence artificielle ?
14:26 Je crois que la différence de nature, c'est que ça permet non seulement d'automatiser
14:30 un certain nombre de tâches dans la production de biens et services,
14:33 mais ça permet d'automatiser des tâches dans la production d'idées.
14:37 Vous voyez, vous pouvez générer des textes, des images, des sons à une vitesse incroyable,
14:42 avec un étonnant degré de réalisme.
14:45 Vous ne pouviez pas faire ça avant.
14:47 C'est cette idée de recombiner.
14:49 Vous savez, souvent les idées, donc il y a des fois, on fait des changements de paradigme,
14:52 mais souvent la recherche normale, c'est je recombine des choses qui existent.
14:56 Eh bien, l'intelligence artificielle est un outil formidable
14:59 pour vous permettre de le faire beaucoup plus vite.
15:00 Ça vous permet de conseiller beaucoup plus vite.
15:03 Je peux accéder, par exemple, il y a des entreprises qui conseillent des PME
15:08 sur l'intelligentisation de logiciels.
15:11 Eh bien, avec l'intelligence artificielle, ils arrivent à conseiller beaucoup plus de monde
15:15 dans un laps de temps donné, parce que tout de suite,
15:18 l'intelligence artificielle va leur proposer un certain nombre de réponses,
15:21 parce qu'ils vont recombiner, ils vont pouvoir dire voilà, des situations semblables,
15:26 et donc voilà ce que je prévois.
15:28 Voilà, donc je pense qu'à telle question, sur la base de ce qui existe,
15:32 voilà, mais ça ne veut pas dire que je peux m'en remettre entièrement à l'intelligence artificielle,
15:35 je dois quand même être là, moi l'humain, pour vérifier qu'il n'y a pas d'erreur,
15:39 pour voilà, comme je vérifierais n'importe quel,
15:43 mais ça vous fait gagner énormément de temps,
15:45 donc justement dans quelque chose qui vous permet de produire du savoir.
15:49 - C'est une évolution ou une révolution ?
15:51 - Moi, je pense que c'est vraiment une révolution,
15:52 parce que justement, il y a cette dimension production d'idées,
15:56 on va innover avec une meilleure technologie, ce qu'on le faisait avant.
16:01 - On a beaucoup parlé de Choose France en première partie de cette émission,
16:05 vous intitulez votre rapport "Notre ambition pour la France",
16:08 aujourd'hui, comment la France est-elle placée
16:10 du point de vue de l'intelligence artificielle ? Philippe Aguillon.
16:12 - Écoutez, je crois qu'on a des atouts indéniables,
16:14 on a des mathématiciens et des ingénieurs parmi les meilleurs du monde,
16:17 on a des professionnels très bien formés aux technologies numériques,
16:21 et on a également d'excellentes données,
16:22 notamment dans des domaines comme la santé,
16:24 où l'IA peut considérablement accélérer le processus d'innovation.
16:28 Mais le problème, c'est qu'il faut que la France ait un gros retard
16:31 par rapport à d'autres pays, et pour jouer dans la cour des grands,
16:35 il faut qu'elle investisse vraiment dans la formation,
16:37 dans la puissance de calcul, dans la recherche en IA,
16:40 dans la diffusion de l'IA à l'ensemble du tissu économique,
16:43 et c'est pour ça que nous, on propose dans ce rapport
16:46 d'investir 5 fois 5 milliards d'euros.
16:49 Donc, sur 5 ans, 25 milliards, voilà.
16:52 Et l'État français, puis après, évidemment,
16:55 il faut que c'est un co-investissement entre le public et le privé.
16:59 Alors, on propose à la fois une grande politique industrielle de l'IA,
17:03 mais également, on propose de faciliter l'accès aux données.
17:06 Par exemple, il faudrait supprimer des procédures d'autorisation préalable
17:12 d'accès aux données de santé, par exemple.
17:13 Vous voyez que des chercheurs en santé,
17:15 des fois, il leur faut 18 mois pour obtenir une autorisation préalable.
17:19 En 18 mois, vous perdez la course.
17:21 Donc, il faudrait passer à quelque chose à postériorité.
17:23 Plutôt que de dire autorisation préalable,
17:25 pour les chercheurs en santé, il faudrait qu'a priori, ils puissent le faire,
17:29 mais qu'évidemment, il y ait des contrôles à postériorité
17:31 de voir s'il y a eu des abus ou pas.
17:32 Vous voyez, passer d'une logique a priori à une logique à postériorité.
17:35 Sinon, la CNIL, elle est débordée. Elle ne peut pas.
17:38 - Je voudrais revenir tout d'abord au montant d'investissement.
17:41 25 milliards, est-ce que c'est suffisant, sachant par exemple que
17:45 certaines entreprises américaines, Sam Altman par exemple,
17:49 propose des plans d'investissement équivalents à des trillions de dollars ?
17:53 25 milliards, on n'est pas dans le même ordre de grandeur.
17:56 - C'est 25 milliards publics.
17:58 Donc, il y a l'idée d'accélérateur.
18:00 Donc, c'est vraiment du co-investissement.
18:02 Et donc, on pense que nous, si on a essayé d'abord beaucoup dans la formation,
18:05 dans la recherche en IA, pour que nos chercheurs n'aillent pas tous dans le privé,
18:09 mais puissent faire en partie leur recherche dans le public,
18:12 pour diffuser l'IA dans l'économie,
18:14 on peut faire beaucoup avec 25 milliards.
18:16 Vous voyez, pour aider, pour diffuser l'IA dans l'ensemble du tissu économique français.
18:20 Les 25 milliards, ça fait une grosse différence.
18:22 Mais l'idée, évidemment, est celle d'un co-investissement.
18:24 C'est-à-dire que c'est des fonds d'amorçage,
18:26 et le privé vient compléter ce que fait le public.
18:28 Donc, ce n'est pas le total de ce que nous allons financer.
18:31 Mais déjà, 25 milliards, c'est déjà beaucoup plus que ce qui avait été prévu
18:35 par le rapport Villani ou par les rapports précédents.
18:38 - On parle d'écosystème défaillant, puisque vous nous expliquez tout à l'heure, Philippe Aguillon,
18:44 que l'intérêt des États-Unis, par exemple, par rapport à la France,
18:49 c'était d'avoir un meilleur écosystème.
18:52 Donc, depuis les laboratoires de recherche jusqu'aux entreprises de production,
18:57 a-t-on cet écosystème ?
18:59 Sachant, par exemple, que la France a loupé le virage de l'informatique,
19:05 de la production de matériel informatique,
19:08 alors que nous avions jadis un plan calcul,
19:12 toute une série de décisions gouvernementales.
19:15 - Oui, le plan calcul n'a pas été forcément un grand succès.
19:18 C'était une vieille manière de faire de la politique industrielle.
19:20 Maintenant, les Américains ont inventé la DARPA,
19:22 la Defense Advanced Project Research Agency.
19:25 L'argent vient d'en haut, mais vous avez des chefs d'équipe,
19:28 et les chefs d'équipe suscitent des laboratoires concurrents.
19:31 Et donc, vous réconciliez le haut en bas au bas en haut, si vous voulez.
19:36 Et c'est une manière de faire de la politique industrielle qui maintient la concurrence.
19:39 C'est très important d'avoir de la concurrence.
19:41 On l'a vu avec les vaccins.
19:43 Il y a l'équivalent de la DARPA pour les biotech,
19:47 qui est la BARDA, la Biomedical Advanced Research and Development Authority.
19:51 Et ils ont financé plein de laboratoires,
19:52 Moderna, Pfizer, Johnson.
19:55 Et donc, c'est une manière de faire de la politique industrielle beaucoup plus intelligente,
19:58 parce que vous maintenez la concurrence.
20:00 Le gros problème en Europe, c'est qu'on n'a pas l'équivalent des DARPA.
20:05 Il y a le European Institute of Innovation,
20:10 mais le European Institute of Innovation, essentiellement,
20:13 il finance des PME existantes et les PME ne sont pas dans les innovations de rupture.
20:18 C'est ça le gros problème en Europe.
20:19 Nous n'avons pas en Europe l'équivalent, ni en France encore moins,
20:21 l'équivalent des DARPA.
20:23 Et le plan calcul, c'était une vieille manière de faire de la politique industrielle.
20:26 On choisissait d'emblée les champions qui on allait financer et qui on n'allait pas financer.
20:29 C'est une vieille manière de faire de la politique industrielle.
20:31 Mais ça ne vous étonne pas quand même que l'on ait loupé à ce point,
20:35 parce que les différentes innovations,
20:37 l'électricité, l'automobile, la France était présente.
20:41 Et puis là, soudainement, il n'y a pas de constructeur de microinformatique français.
20:48 Comment un économiste tel que vous, Philippe Aguillon, explique cette lacune ?
20:53 Alors qu'on a de très bons chéris, Yann Lequin, qui était par exemple dans notre commission,
20:58 a été fondamental.
21:00 Il a eu une fricturine.
21:01 Justement, il ne travaille plus en France.
21:03 Mais oui, parce qu'il faut créer en France des considérations.
21:06 Il faut créer des conditions qui rendent attrayant de faire de la recherche en France.
21:10 Donc nous, on propose une exception IA,
21:13 ce qu'on pourrait plutôt dire pilote IA,
21:16 pour les chercheurs en IA, c'est-à-dire de leur permettre de leur donner des financements de long terme.
21:19 Nous n'avons rien en France, par exemple, pour financer de la recherche à long terme.
21:23 J'ai mon collègue Alain Prochiens du Collège de France, qui a écrit un livre qui s'appelait Accident également,
21:27 qui montre qu'en France, nous n'avons pas l'équivalent des instituts Max Planck aux Etats-Unis
21:31 ou de vecteurs qui permettent de parier sur des très bons chercheurs
21:35 et de leur donner des financements de long terme pour faire de la recherche.
21:37 Nous n'avons pas l'équivalent en France.
21:38 Alors le CNRS, qu'est-ce qu'il fait ?
21:40 Alors le CNRS fait un peu ça, mais il vous donne des salaires,
21:43 mais il ne vous donne pas forcément des moyens.
21:44 Le CNRS, c'est quelque chose de très important,
21:46 mais il ne vous donne pas des financements de long terme pour poursuivre un projet très cher.
21:51 Nous n'avons pas des vecteurs de ce type.
21:52 Et également, ce qui manquerait...
21:55 Pardon ?
21:56 L'ANR, l'agence...
21:57 L'ANR, c'est les projets de court terme.
21:59 L'ANR, vous avez une ANR pour quelques années et vous n'avez aucune garantie d'être renouvelé.
22:03 Vous voyez, il faudra avoir des moyens de donner des financements de long terme à des chercheurs prometteurs.
22:07 Il faudrait aussi permettre à des chercheurs de dire,
22:09 voilà, par exemple, vous pouvez travailler chez Google trois jours par semaine
22:12 et deux jours ou deux jours par semaine chez Google et trois jours à l'université.
22:16 Il faudrait permettre des arrangements hybrides.
22:19 Pour le moment, ça n'existe pas.
22:20 Donc, il faudrait faciliter le fait que, eh bien, des chercheurs puissent,
22:24 voilà, puissent être un peu à cheval sur le privé et le public, par exemple.
22:29 Voilà, différentes choses auxquelles on peut penser
22:31 pour rendre, que la France soit attrayante.
22:33 Vous savez, beaucoup de gens de français aiment vivre en France.
22:35 Moi, j'étais prof à Harvard pendant 15 ans.
22:39 J'ai voulu, je suis rentré en France.
22:40 Je n'avais pas les mêmes conditions que j'avais à Harvard.
22:42 Mais on aime rentrer chez soi.
22:44 Mais il faut un minimum de bonnes conditions pour pouvoir faire de la recherche.
22:47 Alors, nous avons d'excellents chercheurs, d'excellents mathématiciens, d'excellents ingénieurs.
22:50 On peut rendre la France beaucoup plus attrayante en investissant des montants
22:54 qui sont tout à fait, vous voyez, raisonnables.
22:58 - Mais est-ce que vous n'avez pas peur, en faisant une exception
23:01 pour l'intelligence artificielle dans la recherche publique,
23:04 de susciter l'agacement pour ne pas dire pire d'autres chercheurs ?
23:08 Pourquoi vos collègues économistes ne seraient pas dans l'exception ?
23:13 Il y a aussi...
23:14 - Non, alors l'idée, ce n'est pas de dire je déshabille Pierre pour habiller Paul.
23:17 Ce n'est pas du tout de dire je vais prendre au reste.
23:19 C'est plutôt de dire on va être pilote, c'est-à-dire essayons de faire quelque chose
23:22 pour l'IA pour montrer la différence que ça fait.
23:25 Mais l'idée, c'est qu'il faut aller dans tous les domaines.
23:27 Donc, il faut aider les chercheurs et financer la recherche.
23:30 Pas seulement en IA, mais l'IA peut être un des domaines pilotes
23:33 dans lequel on peut faire ça.
23:35 Voilà, et c'est vraiment le financement.
23:37 Donc, par exemple, on a l'Institut universitaire de France.
23:39 Tu as un financement, eh bien, il faudrait permettre à quelqu'un
23:42 qui a été très bon chercheur d'avoir des fonds.
23:45 Ce n'est pas seulement des salaires payés pour enseigner moins,
23:48 et également des financements et d'être renouvelé s'il a été performant.
23:51 Et là, du coup, on arrive à l'idée de financement de long terme.
23:54 Vous voyez, ce genre d'arrangements, nous ne les avons pas chez nous.
23:56 Vous suggérez une gouvernance mondiale de l'intelligence artificielle, Philippe Aguillon.
24:02 Oui, alors voilà, en tout cas, la création d'une organisation mondiale de l'IA
24:06 pour évaluer et encadrer les systèmes IA.
24:08 Un fonds international pour l'IA au service de l'intérêt général
24:12 et un mécanisme de solidarité 1% IA pour les pays en voie de développement.
24:15 On pense que c'est important de diffuser l'IA.
24:17 Il y aura un sommet IA et la France a la chance de pouvoir
24:21 d'être l'hôte du prochain sommet IA.
24:25 Le sommet IA précédent, c'était à Londres et c'était très sous le signe,
24:29 le risque existentiel.
24:30 Il faut quand même dire sur l'IA, je voudrais pouvoir le dire aujourd'hui,
24:34 il y a cette peur que l'IA va détruire beaucoup d'emplois.
24:37 J'y venais, j'y venais.
24:39 Mais nous, on veut quand même, on veut dire non, il faut être optimiste,
24:43 mais d'un optimisme, évidemment pas panglossien, d'un optimisme de combat.
24:47 Et c'est très important de prendre conscience que l'IA a un formidable potentiel
24:52 de création de croissance et d'emplois.
24:54 Mais évidemment, il faut que les institutions s'adaptent et les politiques s'adaptent.
24:57 C'est vraiment le point de vue qui, à mon avis, va être poussé par le sommet français.
25:03 Voyez, j'ai par rapport au sommet anglais, qui était très placé sous le signe,
25:07 le risque existentiel.
25:08 Je crois que le sommet français va être placé sous le risque de cet optimisme de combat.
25:13 Ça ne veut pas dire que tout va aller pour le mieux dans le meilleur des mondes,
25:15 mais qu'il y a un formidable potentiel.
25:17 Et l'idée, c'est tout est comment je peux le mettre en valeur à la fois au niveau français,
25:22 européen et international plus généralement.
25:24 Il va falloir que vous m'expliquiez cela, Philippe Aguillon, parce qu'à priori,
25:30 il est quand même relativement difficile de comprendre comment une invention
25:35 qui va augmenter la productivité de manière radicale, puisque vous dites,
25:40 c'est une révolution, ce n'est pas une évolution.
25:42 Dans certains secteurs, ça ne va pas entraîner des suppressions massives d'emplois.
25:47 Alors, c'est très intéressant parce qu'on a eu la même crainte.
25:49 D'abord, pour toutes les révolutions pédétechnologiques,
25:51 on a eu la même crainte que ça crée du chômage de masse.
25:54 Ça n'a pas été le cas.
25:54 La révolution, il y avait eu le mouvement des luddites.
25:57 Vous savez, au moment de la révolution de la machine à vapeur en Angleterre,
26:00 un mouvement ouvrier, c'était développer les luddites parce qu'ils avaient la crainte
26:03 justement d'un chômage de masse en Angleterre, qui ne s'est pas produit.
26:06 Quand il y a eu la révolution de l'électricité, Keynes avait prédit chômage de masse.
26:10 Il n'y a pas eu lieu.
26:11 Et quand il y a eu les robots, certains voulaient taxer les robots.
26:15 Et en fait, des études que moi, j'ai faites avec des collègues,
26:17 avec Xavier Jaravelle, Simon Bunel et Sylvain Tonin,
26:21 on a montré que les entreprises qui robotisent ou qui automatisent,
26:26 en fait, sont créateurs net d'emplois.
26:29 Pourquoi ? Parce que c'est vrai qu'il y a des machines qui remplacent des hommes.
26:32 C'est vrai.
26:33 Mais d'un autre côté, les entreprises qui automatisent, et c'est vrai pour l'IA,
26:36 et nous le montrons dans le rapport, on devient plus productif, donc plus compétitif.
26:41 Donc, la demande globale pour le produit, la demande mondiale pour nos produits,
26:44 augmente. Et donc, comme la demande pour nos produits augmente,
26:47 eh bien, on embauche davantage.
26:48 Cet effet de productivité l'emporte globalement sur l'effet de substitution.
26:54 Alors, ce n'est pas uniforme sur tous les jobs.
26:56 Il va y avoir un certain nombre de jobs. Un job, un emploi, c'est des tâches.
27:00 Donc, beaucoup d'emplois, une partie des tâches va être automatisée par l'IA,
27:05 mais ça va laisser plus de temps pour les tâches plus créatives.
27:07 Mais il y a un certain nombre d'emplois, on les évalue à 5% des emplois,
27:10 où eux, ils sont vraiment menacés par l'intelligence artificielle.
27:14 Mais c'est une minorité d'emplois et il va falloir évidemment organiser le marché du travail.
27:18 Une vraie flexi-sécurité.
27:19 Moi, je suis très danois.
27:20 Je suis très pour la flexi-sécurité à la danoise, pour former et pour permettre aux gens de rebondir d'un emploi à un autre,
27:26 pour ces gens qui vont perdre un emploi à cause de l'IA.
27:29 Mais nous, ce que nous, on considère dans le monde, dans le rapport également,
27:32 c'est que ça concerne une minorité d'emplois qui vont être vraiment totalement remplacés par l'IA.
27:37 La plupart des emplois verront une partie des tâches automatisées par l'IA,
27:40 qui mettra en jeu, qui laissera davantage de temps pour la partie créative de l'emploi.
27:45 Oui, parce que c'est quand même une profonde inquiétude si on est dans ces emplois.
27:49 Bien sûr, si vous êtes, par exemple, traducteur.
27:51 Alors là, ça va être très compliqué.
27:53 Traducteur, doubleur de film.
27:55 Voilà, donc il va falloir repenser les métiers.
27:59 Et là, il faut.
28:00 C'est pour ça que l'éducation, formation et une bonne politique du marché du travail
28:06 est fondamentale pour réussir cette révolution, pour que vraiment la transition se fasse de manière harmonieuse.
28:12 Mais il y a un vrai potentiel de création d'emplois globalement.
28:14 Et vous n'avez pas peur que cela produise aussi une forme de rétrécissement des esprits ?
28:19 Je vous donne un exemple.
28:21 Il y a chez nos aînés l'idée selon laquelle la machine à calculer aurait tué notre capacité de calcul mental.
28:29 Le fait qu'aujourd'hui, l'intelligence artificielle puisse faire des traductions de plus en plus fidèles
28:35 et demain probablement des traductions en temps réel,
28:39 est-ce que ça ne va pas, par exemple, diminuer notre propension à apprendre des langues étrangères ?
28:44 Est-ce que cela ne peut pas contribuer à rétrécir l'intelligence humaine ?
28:49 Je pense que vous soulevez un problème très important.
28:50 Je pense qu'à l'école, de la même manière que moi,
28:52 je pense que c'est une très bonne chose de ne pas autoriser le téléphone portable à l'école
28:57 et il faut faire lire les élèves.
29:01 Je suis très traditionnel de ce point de vue là.
29:02 Je pense qu'il faut vraiment réguler très, très sérieusement l'utilisation de ces outils par les élèves
29:10 et faire en sorte que la lecture, l'apprentissage du calcul
29:15 soient des matières fondamentales sur lesquelles on met plus que jamais l'accent.
29:19 Je pense que c'est très important.
29:20 Et les devoirs à l'école pour s'assurer que les élèves lisent,
29:22 ça je pense que plus que jamais il faut le faire.
29:24 Mais ça peut être un outil dans les mains des pédagogues, des professeurs très utile.
29:29 Voilà, je pense qu'il va falloir très fortement réguler l'utilisation de l'intelligence officielle à l'école
29:34 parce qu'effectivement, il y a le danger que vous soulevez.
29:36 Et l'intelligence artificielle pour les économistes ?
29:38 Philippe Aguillon, parce que la question se pose,
29:43 vous utilisez, vous les économistes, beaucoup de modèles.
29:46 Est-ce que le fait justement d'avoir accès à l'intelligence artificielle,
29:51 cela pourrait améliorer la recherche en économistes ?
29:54 On dit souvent du mal des économistes, on les accuse de se tromper souvent dans leurs prévisions.
29:58 Est-ce que d'après les différentes recherches en cours,
30:02 l'intelligence artificielle pourrait rendre des prévisions plus fidèles au futur ?
30:08 Il y a ce qu'on appelle le machine learning ou le big data.
30:11 C'est-à-dire qu'effectivement, il y a eu quand même des gros progrès
30:14 dans la recherche en économie, mais dans d'autres disciplines.
30:18 Je crois beaucoup que la compréhension des phénomènes économiques
30:23 passe beaucoup par un va-et-vient permanent entre la théorisation, la modélisation,
30:29 enfin théoriser, c'est-à-dire essayer de dire comment j'imagine le monde,
30:32 quelles sont les variables.
30:34 J'essaye de représenter le monde de manière simplifiée
30:36 pour avoir une théorie de la croissance ou une théorie des cycles.
30:39 Et puis, j'établis un dialogue entre la modélisation et les données empiriques.
30:47 Effectivement, le fait qu'il y ait d'abord les ordinateurs beaucoup plus puissants qu'avant,
30:52 puis l'accès à des bases de données beaucoup plus importantes qu'avant,
30:56 et le big data va aider à ce processus.
30:59 Ce qui ne faudrait pas, il y a des gens qui ont cru que comme on avait accès au big data,
31:03 on pouvait s'affranchir de la modélisation.
31:06 Ça, ce n'est pas vrai.
31:07 En économie, il faut toujours avoir des schémas de pensée.
31:10 Et puis, les schémas de pensée, on les soumet aux données,
31:12 et après, les données vous montrent que peut-être votre schéma n'était pas bon,
31:14 et on revient à son métier, et on change, et on fait le va-et-vient.
31:19 Je crois que c'est important de garder cette démarche-là.
31:21 Les données ne remplonceront pas la nécessaire pensée.
31:25 Et également, je revenais au truc d'avant,
31:28 en économie, il y a souvent des changements de paradigme.
31:30 À un moment donné, on réalise qu'un modèle de croissance,
31:32 moi par exemple, avec d'autres, il y avait un vieux modèle néo-classique de croissance,
31:36 le modèle de Solow, et on a considéré que ce modèle n'était pas bon
31:39 et qu'il fallait passer au modèle de croissance endogène.
31:42 Mais l'intelligence artificielle n'aurait pas pu faire ça.
31:44 Ce n'est pas possible.
31:46 L'intelligence artificielle ne vous permet pas de changer de paradigme,
31:49 mais elle peut vous aider à tester des modèles,
31:52 vous voyez, et d'améliorer votre modèle.
31:56 Mais alors, il y a une crainte supplémentaire,
31:58 c'est que pendant longtemps, les économistes se sont dit
32:02 qu'une planification de type soviétique était impossible
32:05 parce que précisément, nous n'avions pas les capacités de calcul,
32:09 la manière de rendre intelligible un mécanisme aussi compliqué que le marché.
32:13 Si aujourd'hui, nous l'avons,
32:15 est-ce que ça ne change pas complètement les choses, Philippe Aguillon ?
32:18 Il y a eu une époque, c'était Oscar Languet,
32:22 et à l'époque d'Oscar Languet, on pensait que finalement,
32:25 l'économie planifiée et l'économie de marché, c'était la même chose
32:28 parce qu'on pouvait définir un optimum planificateur
32:31 et on pouvait le décentraliser par des prix,
32:33 c'était les théorèmes de bien-être.
32:35 Et à un moment donné, on a cru à l'équivalence
32:38 de l'économie planifiée et de l'économie de marché.
32:40 Je crois qu'il y a quand même une différence fondamentale,
32:43 et ça, Janosch Kornai et d'autres l'ont bien montré,
32:45 c'est que l'économie de marché permet l'innovation,
32:47 beaucoup mieux que l'économie planifiée.
32:50 On a besoin de liberté dans le système économique pour pouvoir innover.
32:54 Il faut la liberté, il faut laisser les gens innover,
32:57 il faut les entrepreneurs qui viennent avec des idées,
32:59 qui pensent qu'ils peuvent gagner de l'argent en les mettant en œuvre.
33:01 Il n'y a pas que l'argent qui motive, c'est la curiosité scientifique.
33:04 Et je crois que ça, c'est très important.
33:06 Et ce qui a manqué au système planifié,
33:08 c'est que le système planifié, partout où ils ont été mis en œuvre,
33:10 n'ont pas généré, il y a eu de très bons mathématiciens,
33:14 mais en général, ils n'ont pas généré de grandes innovations.
33:17 Il y a eu dans les domaines de la défense,
33:19 oui, parce qu'il y avait concurrence internationale,
33:21 mais dans les domaines, les grandes innovations
33:23 se sont faites dans les économies de marché.
33:25 Et donc, il n'y a pas équivalence entre l'économie planifiée
33:28 et l'économie de marché pour avoir une économie dynamique,
33:31 d'innovation et donc de croissance, et de croissance verte.
33:35 Vous voyez ce que je veux dire ?
33:36 Là, il faut une certaine liberté.
33:38 Il faut des gens qui librement disent, moi,
33:40 je vais arriver avec de nouvelles idées
33:42 et les gens en place ne m'empêcheront pas d'avoir de nouvelles idées.
33:44 Je peux faire quelque chose avec.
33:46 Et ça, c'est l'économie de marché qui le permet.
33:48 Alors maintenant, il faut la faire.
33:49 Moi, je la préfère à la scandinave qu'à l'américaine.
33:52 Vous avez présenté ce rapport, vous le publiez avec Anne Bouvreau.
33:56 Il y a notre ambition pour la France aux éditions d'Ile Jacob, Philippe Aguillon.
34:00 Quelle réception a-t-il eu de la part d'Emmanuel Macron ?
34:04 Écoutez, il faut demander à l'intéressé.
34:05 J'ai l'impression qu'ils étaient contents du rapport.
34:08 Donc, je crois que c'est un rapport qui a beaucoup plu.
34:11 Et même généralement, pas j'ai dit le président, mais aussi dans la presse.
34:14 J'ai l'impression qu'il a été plus d'envers eux.
34:15 La question, c'est de savoir est-ce qu'il va être suivi des faits ?
34:17 Alors, tout ce qui est accès aux données,
34:20 tout ce qui ne coûte pas pour le moment est fait.
34:22 J'ai l'impression que tout ce qui coûte pour le moment, on ne le fait pas.
34:24 Alors, pourtant, on parlait d'une somme de 25 milliards.
34:28 On se disait, vous et moi, que ce n'était pas grand chose, 25 milliards.
34:30 Oui, mais c'est beaucoup parce qu'il y a la dette publique.
34:34 Mais là, c'est important.
34:35 Je crois que j'ai l'approche draguee, si vous voulez.
34:37 Je pense qu'on ne peut pas mettre toutes les dépenses sur le même plan.
34:40 Je pense que la France a raison de dire
34:42 il faut réformer l'État pour avoir une meilleure efficacité de la dépense publique.
34:45 La réforme des retraites était importante.
34:47 Je ne l'aurais peut-être pas fait exactement comme elle a été faite,
34:49 mais il fallait faire un certain nombre de réformes
34:51 pour réduire nos dépenses de fonctionnement, en tout cas les rationaliser.
34:55 Et ça, ça vous permet d'être crédible pour faire des dépenses d'investissement
34:59 dans la croissance, dans l'IA, dans l'innovation verte.
35:01 Vous allez les avoir ces 25 milliards ou pas, Philippe Aguillon ?
35:03 Écoutez, moi, je n'en sais rien si je les aurai.
35:04 Moi, je pense que ça serait de mauvaise politique
35:07 de vouloir faire des économies là-dessus,
35:09 parce que vous réduisez votre croissance future.
35:11 Vous savez, ce n'est pas la dette en elle-même seulement qui compte.
35:14 C'est la dette et le taux de croissance.
35:16 La même dette avec une croissance potentielle plus grande.
35:19 Les investisseurs internationaux sont d'accord
35:21 parce qu'ils savent que vous avez, grâce à la croissance future,
35:24 la capacité de rembourser votre dette.
35:26 C'est pour ça qu'il faut à la fois ne pas mettre sur le même plan
35:28 les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'investissement dans la croissance.
35:32 Et l'IA est typiquement un dépens.
35:34 Nous, on pense qu'on peut générer une augmentation de croissance
35:37 de 0,8 à 1% de plus par an pendant au moins 10 ans avec l'intelligence artificielle.
35:43 Ça veut dire 400 milliards en cumulé.
35:44 Alors, 25 milliards pour générer 400 milliards en cumulé,
35:47 c'est quand même un excellent investissement.
35:49 Merci Philippe Aguillon d'avoir été avec nous.
35:51 Je rappelle que vous êtes professeur à l'INSEAD et au Collège de France.
35:54 Vous publiez avec Anne Bouvreau, IA.
35:57 Notre ambition pour la France, c'est aux éditions Odile Jacob.