L'actrice et réalisatrice, Isild Le Besco, témoigne ce samedi soir sur BFMTV au sujet de son expérience du sexisme et de la prédation sexuelle au cinéma. Auteure du live "Dire Vrai", paru aux éditions Denoël, elle a été en couple avec le réalisateur Benoît Jacquot lorsqu'elle avait 16 ans et lui 52 ans.
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00:00 Merci d'avoir accepté notre invitation, soyez les bienvenus dans Weekend 3D sur BFM TV.
00:05 Vous venez donc de publier « Dire vrai » aux éditions de Noël.
00:09 Qu'est-ce qui vous a fait vous sentir prête à dire vrai ?
00:14 Je pense qu'il faut beaucoup de temps pour dire la vérité,
00:23 que souvent le temps est proportionnel au trauma
00:27 et qu'aujourd'hui je me sentais absolument en devoir de donner une parole
00:35 pour soutenir les femmes qui sont dans ce combat
00:40 et soutenir les femmes de manière générale dans cette libération de la parole
00:48 qui n'est pas du tout facile à prendre parce que pas tellement accueillie aujourd'hui.
00:55 Ça a été une concomitance de toutes ces choses et de moi qui avais écrit mon livre aussi déjà
01:04 qui fait que voilà, il est sorti.
01:10 Et puis il y a un élément déclencheur.
01:13 Ce sont les premières pages de votre livre.
01:16 Oui, l'élément déclencheur, évidemment, c'est le fait que je suis dans un TGV
01:22 et je me fais agresser, taper par une femme qui est sous drogue
01:27 et elle a une puissance hallucinante.
01:29 Elle me tape et je suis en sidération.
01:32 En tétanie, je retrouve en fait cet état où on a l'impression qu'on a fait quelque chose de mal
01:39 ou qu'on aurait pu agir autrement.
01:41 Et les gens autour de moi étaient vraiment sidérés
01:44 par la manière dont j'avais à me défendre presque de cette agression d'une inconnue.
01:52 Et ils s'inquiétaient pour moi puisque j'étais défigurée vraiment.
01:57 Et voilà, ça m'a fait replonger dans toute ma sidération,
02:03 tout le long de ma vie et de toutes les fois où j'ai été victime.
02:08 Le temps de l'écriture est donc arrivé.
02:10 En parallèle de nombreuses sollicitations médiatiques à la suite des accusations
02:15 portées par Judith Gaudrech contre le réalisateur Benoît Jacot,
02:18 désormais poursuivie pour viol.
02:20 Benoît Jacot, que vous aussi pointez du doigt.
02:22 Vous avez joué dans deux de ses films.
02:24 Dans ce livre, vous abordez, Isile de Bescau, justement, la prédation exercée sur vous par Benoît Jacot.
02:30 Au début de votre relation, vous aviez 16 ans, lui 52.
02:33 Vous finirez par le quitter à l'âge de 24 ans.
02:35 Je précise qu'aujourd'hui, vous avez 41 ans.
02:38 Que lui reprochez-vous concrètement d'abord, pour qu'on comprenne bien ?
02:41 Je ne veux pas minimiser les faits, évidemment.
02:44 Les faits sont terribles et surtout, ils sont massifs.
02:49 C'est-à-dire que je me prends, moi, pour parler des faits horribles
02:55 et qu'on subit massivement les femmes sans nécessairement qu'on s'en rende compte.
03:00 Et même encore aujourd'hui, pratiquement 25 ans plus tard,
03:05 j'ai encore du mal à dire qu'est-ce que je reproche.
03:10 C'est-à-dire que je décris les faits
03:13 et je crois que je suis encore dans une forme de sidération
03:20 puisque je n'ai pas encore la violence, la volonté de vengeance, par exemple.
03:31 Donc voilà, je crois que 25 ans, ce n'est finalement pas assez complètement
03:36 pour se sortir de la sidération et de la tétanie.
03:39 Aussi, quand même, évidemment, j'en suis sortie beaucoup,
03:43 mais quelqu'un qui nous a fait du mal,
03:46 normalement, on veut quelque part lui rendre d'une certaine manière, forcément.
03:53 Jusqu'à présent, vous n'avez pas encore déposé plainte formellement
03:58 contre Benoît Jacot, comme l'a fait Judith Gaudrech, par exemple.
04:03 Il faut clairement, tout le temps, le plus possible, signifier
04:09 qu'un homme, quand il est accusé, a tout à perdre s'il dit la vérité,
04:16 alors qu'une femme qui dit la vérité a tout à perdre, vraiment.
04:23 Donc, on se coupe de tout à partir du moment où on dit les choses
04:29 et c'est très difficile de les dire.
04:31 C'est comme une vérité qui a besoin de surgir.
04:34 - Et donc, vous avez peur à l'idée de déposer plainte ?
04:39 - Ce n'est pas que j'ai peur, non.
04:41 C'est que ce genre de choses, ce n'est pas la tête qui le décide.
04:47 C'est qu'à un moment donné, on est prêt à affronter comme encore une autre épreuve cela.
04:56 Peut-être que là, si j'y allais, je serais mieux accueillie
05:01 que si j'étais une femme lambda.
05:04 Mais on ne peut pas considérer le fait qu'a priori, on ne sera pas du tout bien reçu
05:13 et qu'on sera à nouveau retraumatisé parce qu'on aura le doute en face de la personne
05:20 qui a priori, qui prend la déposition, ne vous croit pas, on doit montrer des preuves.
05:25 C'est le monde à l'envers.
05:27 Dès qu'on rentre dans les violences sexistes, et en Espagne, ils appellent cela les violences machistes,
05:34 on est dans le monde à l'envers, complètement.
05:36 On n'est pas dans le même monde, on est dans un monde de non-sens.
05:40 Je précise pour le téléspectateur, votre livre "Dire vrai" n'est pas un livre sur Benoît Jacquot.
05:47 Loin de là.
05:49 Je dirais, vous m'arrêtez si je me trompe, que c'est plutôt un livre sur la violence
05:52 comme cause et comme conséquence dans une vie, la vôtre en l'espèce.
05:58 Il dit de Lebesco, vous parlez beaucoup de votre enfance, de votre éducation,
06:02 vous écrivez notamment ceci, "mes parents étaient autoritaires et violents,
06:07 ils m'ont transmis autant leur schéma toxique que la force de ne pas m'en contenter".
06:11 J'ai l'impression que c'est une clé de compréhension essentielle.
06:14 Oui, je crois que c'est surtout un livre, comme je l'ai dit tout à l'heure, où je vais à mon secours.
06:22 Et où du coup, en moi allant à mon secours de la petite fille, et d'aller dans l'affection pour elle,
06:30 j'ai fait ça aussi pour inviter n'importe qui à aller à son propre secours.
06:39 C'est essentiel, on croit toujours, quand on a des épreuves, qu'on va pouvoir se raccrocher à d'autres.
06:46 Mais malheureusement, il y a peu de situations et peu de gens sur lesquels on peut se raccrocher.
06:52 Il faut se porter secours soi-même.
06:55 Et une fois qu'on fait le premier pas, on attire d'autres gens qui vous portent secours aussi.
07:05 Et c'est une chaîne qui devient positive.
07:08 Je pense que ce que vous dites permet aussi de comprendre pourquoi, dans ce livre,
07:13 vous abordez la relation de votre sœur aînée, l'actrice et réalisatrice Maiwen,
07:18 avec le metteur en scène et producteur Luc Besson, quand elle avait 15 ans, lui 31.
07:22 Comment vous relisez cette relation, cette rencontre ?
07:28 J'ai été, dans ma tendre enfance, très exposée à la violence de l'abandon.
07:35 Et ça m'a marquée par le fait d'avoir peur de se faire abandonner,
07:44 qui m'a empêchée d'avoir du bon sens.
07:47 Aussi, il y a quelque chose qui s'est figé.
07:51 On dit souvent que les gens ont l'âge de leur trauma.
07:54 Et j'essaie d'illustrer tous les traumas pour revenir à ces âges et grandir.
08:04 Vous avez vous-même des enfants, Isile Lebesco, deux adolescents,
08:08 aujourd'hui âgés de 12 et 14 ans, avec un homme dont vous êtes séparés.
08:12 Cette histoire-là aussi, je crois, elle est complexe.
08:15 Elle s'inscrit dans un schéma global de violence, là encore ?
08:20 Oui, je pense qu'autant qu'on n'a pas relevé bien la tête et fait le point avec soi-même,
08:28 et qu'on ne s'est pas sauvé, je le répète encore une fois, je crois que c'est très important,
08:34 qu'on n'a pas été se sauver, qu'on n'a pas été se choyer, s'aimer, se respecter,
08:41 et qu'on n'a pas appris à mettre ses limites.
08:44 Ce sont des cycles qui ne peuvent pas s'arrêter tout seuls.
08:49 Vos enfants sont essentiels dans cette capacité que vous avez eue à surmonter les traumatismes.
08:55 Oui, bien sûr, ils ont donné un sens à ma vie.
09:00 Un sens d'avoir envie de continuer à vivre, parce que c'est trop décevant.
09:07 On n'a pas envie de vivre dans un monde où on est d'avance déçus par les trahisons,
09:12 la violence et l'humain des gens bas.
09:16 Ces violences que vous décrivez dans ce livre, et puis ailleurs,
09:19 vous estimez, malgré leurs conséquences, les avoir surpassées.
09:24 Vous dites aussi que ces faits ne vous définissent pas.
09:26 Est-ce à dire que vous ne vous considérez pas, vous ne voulez pas vous considérer comme une victime ?
09:33 Non, ce n'est pas que je ne veux pas me considérer comme une victime,
09:36 c'est qu'évidemment je suis victime.
09:38 La seule chose, c'est que ça ne m'appartient pas.
09:43 On m'a fait des choses, ce n'est pas moi qui ai décidé de les faire.
09:48 Je les ai endurées, surpassées, elles ne m'appartiennent pas.
09:52 Donc pourquoi les gens ont honte de ce qu'on leur a fait ?
09:56 C'est quand même incroyable.
09:58 En fait, on vous viole et c'est nous qui avons honte de dire qu'on nous a violés.
10:03 On est dans un monde à l'envers.
10:06 Quelles sont les réactions à votre livre ? Je précise qu'il est sorti il y a une semaine.
10:11 Les réactions sont très touchantes pour les femmes et beaucoup d'hommes en fait.
10:18 Beaucoup d'amis d'enfance m'écrivent, m'envoient des cœurs et c'est très touchant.
10:24 Beaucoup d'hommes en fait et c'est très touchant.
10:27 Peut-être avez-vous vu la réaction d'Emmanuel Berco à votre livre ?
10:31 Emmanuel Berco, réalisatrice de "Mon roi", de "Son vivant", "La tête haute".
10:36 Vous avez commencé ensemble au cinéma d'une certaine manière.
10:38 Elle comme réalisatrice, vous comme actrice, notamment dans "La puce" en 1998.
10:42 L'histoire d'une adolescente qui se donne à un homme plus âgé.
10:46 Vous restez marqué par le tournage de la scène du dépucelage de votre personnage
10:50 lorsque vous êtes confronté à l'érection de votre partenaire.
10:53 Emmanuel Berco, dont vous dites dans votre livre qu'elle était votre seule amie, comme votre sœur.
10:57 Elle dit, elle, que vous êtes, je la cite, "sans doute la femme dont elle a été la plus proche de toute sa vie".
11:02 Sauf qu'elle dit aussi cela dans une interview très récente, il y a quelques jours.
11:05 "J'apprécie peu de servir de chair à canon médiatique de la promotion d'un livre, de votre".
11:10 Qu'est-ce que ça vous fait ?
11:13 Est-ce que vous entendez ce qu'elle dit ? Est-ce que vous comprenez ce qu'elle veut dire ?
11:16 Mais en fait ça me touche parce que moi c'est aussi une femme très importante pour moi.
11:21 Comme ma sœur.
11:24 Mais je me sers de moi.
11:28 Je me mets à nu et je n'ai pas peur de m'humilier pour raconter des mécanismes.
11:32 Et raconter la violence sur des tournages, des films et téléfilms d'Emmanuel Berco.
11:38 Mais vous en aviez déjà parlé ?
11:40 Et moi-même ?
11:41 Vous lui en aviez déjà parlé, de ce ressenti que vous aviez eu ?
11:44 Ça fait longtemps qu'on ne se parle pas, donc je n'ai pas eu cette occasion.
11:47 Mais par contre, si elle lisait le livre, elle pourrait voir que je ne m'épargne pas non plus.
11:53 Et que ce qui m'intéresse c'est de décrire les mécanismes de domination.
11:57 Et que quand les femmes se mettent à avoir le même comportement d'hommes voulant dominer des gens,
12:07 c'est tout aussi répressible.
12:10 C'est le machisme.
12:12 Et il y a des femmes qui décident tout d'un coup d'avoir un comportement machiste.
12:15 Donc on est obligé de dire que là c'est de la domination, c'est un abus de pouvoir,
12:21 c'est l'abus d'un amour inconditionnel qu'on donne à quelqu'un.
12:26 Il y a des gens et puis il y a des combats.
12:30 Et il y a des rencontres et il y a des films.
12:33 Et ce que je dis sur les gens, sur les aventures, ce n'est pas non plus pour dénigrer les films.
12:40 J'y suis attachée au film, comme je suis attachée à l'histoire de cinéma que j'ai avec Emmanuel Berco.
12:46 Mais c'est une honnêteté, c'est une moralité.
12:51 On peut dire qu'à un moment donné on était dans un système qui fait qu'on a agi de telle manière qu'on a pu peiner l'autre.
13:01 Moi aussi j'ai été très bouleversée et ça a été très dur d'entendre le mal que j'ai pu faire à mon petit frère.
13:10 Parce que j'estimais que c'était mon petit frère et que c'était un dieu qui pouvait tout me donner dans mes films.
13:17 Ça a été très dur à entendre et même encore aujourd'hui j'aurais du mal à recueillir sa parole parce que c'est dur.
13:25 Mais à un moment donné il faut bien y aller.
13:29 Parce que quand on voit et qu'on entend autour de soi, encore une fois moi je ne suis qu'un exemple,
13:34 dans un système tellement massif, je crois qu'il n'exclut pas de femmes, il faut vraiment mettre tout sur la table.
13:44 Le festival de Cannes débute mardi prochain, Isile de Besko, une édition 2024 qui pourrait être agitée.
13:52 Un article du Figaro a révélé l'existence d'une liste d'une dizaine de personnalités du cinéma français,
13:57 trentenaires, cadragénaires, sur de supposées violences sexuelles, on verra ce qu'il en est vraiment.
14:02 Mais vous qu'attendez-vous de ce festival de Cannes ?
14:06 Alors moi le festival en particulier j'attends rien de spécial.
14:10 Par contre évidemment que j'attends comme nous toutes que les mentalités changent.
14:16 Évidemment qu'on le fasse dans le cinéma parce que ce sera que l'illustration d'une société qui change.
14:23 Cette semaine est aussi marquée par les mots d'Emmanuel Macron qui s'exprime dans le magazine Elle,
14:29 cette semaine interrogée notamment sur ses propos très controversés concernant Gérard Depardieu au mois de décembre dernier,
14:36 dans lesquels le chef de l'État disait que Gérard Depardieu rendait fière la France.
14:44 Il dénonçait aussi une chasse à l'homme, il s'explique dans les colonnes du magazine Elle cette semaine.
14:48 Il dit "j'ai utilisé l'expression chasse à l'homme de manière non sexuée, si je puis m'exprimer ainsi,
14:52 je n'aime pas les procès médiatiques, nous sommes dans une société qui cherche à abattre les gens en quelques jours,
14:57 puis qui les oublie". Il affirme n'avoir jamais défendu un agresseur face à des victimes.
15:02 Il dit avoir un profond respect, une bienveillance, une grande confiance pour aider dans la parole des femmes.
15:07 Ma priorité est et a toujours été la protection des victimes et c'est aussi le cas pour l'affaire Depardieu.
15:12 C'est qu'au démon en fait. Je pense qu'Emmanuel Macron n'a probablement jamais vécu des choses difficiles
15:18 pour qu'il mente à ce point à lui-même et à toute la France. C'est faux ce qu'il dit, c'est totalement faux.
15:26 Comment il peut considérer les femmes en disant et en agissant surtout comme il fait ?
15:33 C'est-à-dire ?
15:35 Bien, il n'a aucune considération. Ça veut dire quoi de dire Depardieu, il y a les films, il y a ses œuvres,
15:43 mais quand on voit un entretien où une femme s'est fait violer, que ce n'est pas considéré, que la justice place à son suite,
15:54 alors que justement c'est quelqu'un de connu, moi je trouve ça absolument fou.
16:01 En fait, il méprise les femmes au plus profond, sinon il aurait un autre discours et puis il mettrait, je ne sais pas,
16:10 il tiendrait à cœur un minimum de choses. Il dit d'un côté "oui, vous devez armer la France, vous, femmes"
16:16 et d'un autre côté "on va vous saquer et toutes vos plaintes de toute façon seront classées sans suite".
16:21 Voilà, c'est d'une ambivalence absolue.
16:24 Ce n'est pas ce qu'il dit exactement.
16:26 Oui, mais c'est la réalité.
16:27 Est-ce que vous percevez comme...
16:28 Non, ce n'est pas moi, c'est la réalité. C'est la réalité. Je ne connais pas les sondages exacts, mais il suffit de les savoir.
16:35 Je veux dire, un homme peut violer, un homme peut taper une femme, un homme peut l'écraser.
16:40 Voilà, on est dans cette société.
16:42 Quel message vous souhaitez ce soir, Isile de Besko, adresser aux jeunes femmes et aux jeunes hommes aussi,
16:48 ceux en particulier qui rêvent de devenir actrices et acteurs ?
16:52 J'aurais envie de porter un message plus global pour les femmes, pour les petites filles, qu'elles se portent secours avant tout.
17:03 Je pense qu'elles sont plus fragiles dans ce monde et que mon attention va sur elles d'abord.
17:09 Merci.
17:11 Merci.
17:12 Merci encore d'avoir accepté l'invitation de Weekend 3D sur BFMTV.
17:15 Merci.