C’est passionnant les rêves que nous faisons la nuit, c’est émouvant, remuant, révélateur parfois… Mais il y a un truc encore plus passionnant, c’est la vie que nous menons de jour.
Retrouvez les chroniques de Christophe André sur France Inter : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-de-christophe-andre
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00:00 Chaque matin, une de mes amies artistes note un des rêves qu'elle vient de vivre
00:04 et elle l'illustre d'un dessin aussi beau qu'énigmatique.
00:08 Puis elle publie tout ça sur Instagram et le résultat est fascinant.
00:12 Un peu embarrassant parfois, tant elle s'y livre avec sincérité.
00:16 Elle m'a expliqué sa méthode pour ne pas oublier ses rêves.
00:20 Sortir tout doucement du sommeil, les laisser remonter à son esprit
00:24 et surtout les noter tout de suite, dès le réveil.
00:27 Je m'y suis entraîné et j'ai pratiqué quelques temps.
00:30 Ça marche très, très bien.
00:32 Mais au bout d'un moment, j'ai laissé tomber.
00:34 Il y a tellement d'activités intéressantes à observer dans notre cerveau.
00:40 Moi, mon truc, finalement, c'est plutôt ce qui s'y passe quand nous sommes éveillés.
00:45 Voir vivre les autres humains, tenir un journal pour comprendre mes émotions, mes réactions, méditer.
00:52 Pour ce qui se passe la nuit, je préfère laisser faire ma cervelle
00:56 et observer le résultat sans trop chercher à creuser.
00:59 Un peu comme un jardin que je laisserai vivre à l'état naturel sans y intervenir.
01:05 C'est vrai quand même que c'est un univers incroyable
01:07 et je suis d'accord avec ce qu'en disait l'humoriste Pierre Dacque.
01:11 Les rêves, c'est pour ne pas s'ennuyer en dormant.
01:15 Effectivement, on ne s'ennuie jamais quand on rêve
01:18 et parfois vient un songe qui nous marque pour toujours.
01:22 C'est ce que le psychanalyste Jung appelle les grands rêves.
01:26 Et il assure qu'on n'en ferait que quelques-uns dans sa vie.
01:31 Pour ma part, je me souviens très précisément de mon grand rêve.
01:35 Je l'ai vécu vers l'âge de 10 ans, en fin d'école primaire.
01:39 Ça se passe dans une immense pièce sombre,
01:41 avec des femmes qui marchent en silence dans des coursives qui me surplombent.
01:46 Moi, je suis en bas, tout seul, allongé sur des grands lavabos collectifs,
01:51 comme ceux d'une école ou d'une colonie de vacances.
01:55 J'ai froid.
01:56 Je me demande ce que je fais là, tout seul,
01:59 ce que font ces femmes et ce qui va m'arriver.
02:03 Je ne cherche pas à fuir, à agir, à partir.
02:07 J'attends, sans peur, calmement,
02:10 mais avec l'impression que quelque chose d'important va advenir.
02:16 C'est bizarre, hein ?
02:17 Et le plus bizarre, c'est que je m'en souvienne aussi précisément
02:21 depuis si longtemps.
02:23 Bon, pour l'interprétation, ne comptez pas sur moi.
02:26 Je vous laisse la faire si ça vous amuse,
02:28 mais vous feriez mieux de vous plonger dans vos propres grands rêves.
02:32 Vraiment, j'adore les rêves.
02:34 Faire les miens, écouter ceux des autres, mais j'adore de loin.
02:39 Comme j'adore la poésie hermétique, celle de Saint John Perth, par exemple.
02:43 Écoute aux nuits, dans les préaux déserts et sous les arches solitaires,
02:48 parmi les ruines saintes et les miettements des vieilles termitières,
02:52 le grand pas souverain de l'âme centennière,
02:56 comme aux dalles de bronze où rôderait un fauve.
03:00 Grand âge, nous voici, prenez mesure du cœur d'homme.
03:04 C'est beau, mais un peu compliqué.
03:07 Alors, on peut en rester là, laisser courir notre esprit
03:10 à partir de ces images et de ces mots,
03:12 ou bien on peut décider de rentrer dans l'analyse, la compréhension, l'exégèse.
03:16 Et alors, on s'aperçoit que c'est un poème sur le vieillissement.
03:20 C'est un peu la même chose pour les rêves.
03:22 Pour ma part, bien souvent, je préfère en rester là.
03:25 La musique des mots, la poésie des rêves me suffisent parfaitement.
03:29 C'est quand même passionnant, ces rêves que nous faisons la nuit.
03:31 C'est émouvant, remuant, révélateur parfois,
03:34 mais il y a quand même un truc encore plus passionnant.
03:37 C'est la vie que nous menons de jour.
03:40 Et de mon côté, je préfère réfléchir à mes jours plutôt qu'à mes nuits.
03:44 Je préfère comprendre la veille plutôt que le sommeil.
03:47 Et je me sens proche du philosophe Diogène quand il dit
03:51 « Nous sommes plus curieux du sens de nos rêves
03:55 que des choses que nous vivons éveillées ».
03:58 Alors oui, de mes deux cerveaux, cerveau de jour et cerveau de nuit,
04:01 je préfère jardiner le premier et laisser le second vivre sa vie sauvage,
04:05 non sans admirer sa créativité.