Victoria a perdu son frère, sa tante et sa mère de l'Insomnie Fatale Familiale. Aussi porteuse de la maladie, elle nous raconte son histoire sans tabou.
Elle livre ici un témoignage courageux, bouleversant, mais aussi plein d'espoir.
Elle livre ici un témoignage courageux, bouleversant, mais aussi plein d'espoir.
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00:00 J'ai perdu mon père, j'avais 6 ans.
00:02 En fait, j'ai été en deuil toute ma vie.
00:04 Mon frère, je l'ai...
00:08 Donc après, ma mère, elle nous a élevés seules à 3 enfants.
00:11 -OK.
00:12 -Après, j'ai perdu mon frère, j'avais 13 ans,
00:17 d'une maladie qui s'appelle insomnie fatale familiale.
00:20 J'étais encore en deuil.
00:23 Mon meilleur ami s'est suicidé. Enfin, il s'est pendu.
00:26 Ah, ça, j'ai oublié de t'en parler.
00:29 Et puis, après, mon père adoptif,
00:32 parce que du coup, ma mère a refait sa vie,
00:35 il est mort pendant le confinement d'une leucémie.
00:39 Et à l'enterrement de ce dernier,
00:44 donc de mon père adoptif qui avait remplacé
00:47 la figure masculine, la figure paternelle, dans ma famille,
00:50 il y a ma tante qui a déclenché la même maladie que mon frère,
00:56 insomnie fatale familiale.
00:59 Et elle est décédée quelques mois plus tard.
01:04 Et le nom, il fait un peu peur, insomnie fatale familiale.
01:09 -C'est bizarre, je pense que les gens connaissent pas.
01:12 -Non. Non, et puis c'est un des seuls...
01:15 Je connais pas toutes les maladies, évidemment.
01:17 C'est une maladie qui est orpheline,
01:19 mais c'est une maladie où c'est décrit dans le nom.
01:22 C'est une insomnie fatale, et c'est familial,
01:25 et tu meurs parce que tu peux plus dormir.
01:28 Donc imagine que tu dors plus,
01:31 et tu vas petit à petit ou très rapidement,
01:34 très violemment, perdre toutes tes capacités
01:37 que tu as acquises tout au long de ta vie.
01:39 Toutes tes capacités motrices, toutes tes capacités mentales.
01:42 Donc l'écriture, la lecture, même de parler,
01:45 de marcher, de bouger un bras, de coordonner,
01:48 de s'habiller, de faire ses lacets, de tout.
01:51 Jusqu'à ne plus pouvoir aller aux toilettes,
01:55 ne plus pouvoir manger et ne plus pouvoir respirer.
01:58 -Ouais. -Alors ça, c'est vraiment le truc.
02:00 C'est fou, ça. Ça annonce vraiment...
02:02 Tu sais que c'est la fin de la faim,
02:04 quand on te dit "Bon, elle a perdu...
02:07 Elle a fait une pause respiratoire de tant de secondes."
02:11 Tu te dis "Bon, elle souffle, c'est vraiment la dernière énergie vitale,
02:15 son dernier signe de vie, en fait."
02:19 Du coup, ma mère, pour me protéger, entre guillemets,
02:22 à la façon vietnamienne, elle m'a toujours dit
02:25 "T'inquiète pas, tu pourras pas mourir de ça
02:28 parce que ça peut toucher un enfant par génération."
02:31 Je me suis jamais posé la question,
02:33 mais je pense que moi-même, j'avais pas envie de savoir.
02:35 -Elle t'a mentie ? -Ouais.
02:37 -Pour te protéger ? -Ouais.
02:39 Pour me protéger, pour que je fasse ma vie
02:42 un peu comme si la vie était un long fleuve tranquille,
02:45 alors que pas du tout.
02:47 -Tu es en veux de t'avoir mentie ?
02:49 -Je lui en ai voulu énormément, énormément, énormément, énormément.
02:53 Et d'ailleurs, on a déjà eu une confrontation par rapport à ça.
02:57 Mais maintenant, je lui en veux plus.
03:01 -Tu es en voulu pour quoi ?
03:03 -Je lui en voulais parce que...
03:07 Du coup, j'ai fait le test pour savoir si j'étais porteuse
03:11 et du coup, j'ai découvert que je l'étais.
03:15 Et si j'avais su, j'aurais pas forcément fait mon fils comme ça.
03:19 Enfin...
03:21 Si j'avais su que j'étais porteuse avant,
03:24 parce que j'ai un fils qui a 5 ans,
03:27 et du fait que je sois porteuse du gène de l'insomnie fatale,
03:33 il a 50 % de chance à son tour d'être porteur.
03:36 En fait, c'est une maladie qui touche 50 familles dans le monde,
03:40 mais c'est toujours les mêmes.
03:42 Donc en fait, il n'y a pas de cure,
03:45 on ne peut rien faire pour le prévenir,
03:48 selon la médecine allopathique en tout cas.
03:51 Mais c'est toujours les mêmes qui sont touchés.
03:54 C'est-à-dire que moi, je le transmets en faisant un enfant.
03:58 Mon fils, si jamais il est porteur et qu'il refait un enfant,
04:01 il va le transmettre.
04:03 En l'occurrence, avec l'insomnie fatale,
04:05 on a 90 % de chance en étant porteur d'en mourir.
04:08 Mais bon, moi, je me dis toujours que je fais partie des 10 %.
04:11 Je le sais.
04:12 C'est un mindset où je me suis dit,
04:15 déjà, d'avoir "gratté" 20 ans...
04:20 J'avais combien de vêtements d'écart ?
04:22 Mon frère est mort à 19 ans, moi j'en ai 34.
04:26 Donc déjà, d'avoir gratté tout ce temps de vie sur lui,
04:29 alors qu'on mangeait la même chose,
04:31 on a grandi dans le même environnement,
04:33 on a eu les mêmes traumas,
04:35 je me dis que je suis dans les 10 %.
04:37 Tu te sens comme une survivante ?
04:39 Franchement, oui.
04:40 Surtout de voir mourir les autres.
04:43 Et comme je te disais,
04:45 je n'en veux plus à ma mère aujourd'hui,
04:47 parce qu'il y a un mois,
04:49 elle est morte aussi de l'insomnie fatale
04:52 qu'elle avait déclenchée,
04:55 je pense, quelques mois après sa soeur.
04:58 Quelques mois après sa soeur.
05:00 Et donc, quand elle l'a déclenchée,
05:02 je me suis sentie...
05:04 Comment dire ?
05:06 Dure, en fait.
05:07 Trop dure d'avoir été super dure avec elle.
05:09 Parce que je comprends d'un côté qu'elle n'ait pas voulu...
05:12 Qu'elle ait voulu me protéger.
05:16 Qu'elle ait voulu que je continue ma vie.
05:18 Je comprends.
05:20 C'est juste que...
05:22 C'est super dur maintenant pour moi
05:24 de me dire que je suis responsable, peut-être,
05:27 de l'avoir transmise à mon fils.
05:29 Et quand on le voit,
05:31 il est trop mignon,
05:33 il a 5 ans, il a la vie devant lui,
05:35 et me dire même que je vais devoir lui raconter ça ?
05:38 Que je vais devoir, à un moment, lui dire ?
05:41 C'est super dur.
05:43 Toi, t'en as jamais voulu à ta mère,
05:45 de te transmettre le jeûne ?
05:47 Non.
05:48 Bah non, parce que...
05:50 C'est pas sa faute.
05:52 Alors pourquoi tu penses que ton fils t'en voudrait ?
05:55 Je sais pas.
05:57 Et elle, tu dirais qu'elle était...
05:59 Elle était en paix elle-même,
06:01 et comment elle a essayé de réagir par rapport à toi ?
06:03 Qu'est-ce qu'elle avait vu autour d'elle ?
06:05 Est-ce qu'elle s'est rassurée ?
06:07 Elle faisait beaucoup pour me rendre
06:09 tous les efforts que je lui donnais,
06:11 parce que j'étais H24 avec elle, mais H24.
06:13 Vraiment, j'ai un peu mis en pause ma vie de famille,
06:16 et je pense que c'est ça qui a fragilisé aussi mon couple,
06:19 ma famille, mon ex, aujourd'hui.
06:22 C'est que j'ai voulu sauver ma mère.
06:25 J'ai voulu la sauver parce que je...
06:28 Parce qu'en fait, ça me donnait de l'espoir à moi-même aussi.
06:31 Ça me donnait de l'espoir, parce que je me disais,
06:33 "Bon, bah, vu qu'il n'y a pas de recherche,
06:37 je vais faire ma recherche."
06:40 Moi, je ne suis pas docteur,
06:42 mais je me disais,
06:44 "Je vais aller à l'encontre des symptômes."
06:49 - Combattre le truc. - Combattre le truc.
06:52 Je me disais que le cerveau, c'est une machine à entraîner.
06:55 Si elle n'arrive pas à écrire, il faut justement la faire écrire.
06:58 Il ne faut pas la laisser perdre la capacité,
07:00 et je l'avais vu sur ma tante et mon frère.
07:03 À partir du moment où ils étaient malades
07:06 et que ça devenait vraiment fatal,
07:09 ce côté fatal d'un insomnie, c'est vraiment ça.
07:12 C'est du voir que c'est fatal.
07:14 Je ne voulais pas être fataliste,
07:17 je voulais aller à l'encontre de ça,
07:19 et je voulais l'entraîner.
07:21 Elle me le rendait grave bien,
07:23 mais je lui demandais beaucoup d'efforts.
07:26 - À quel moment tu as accepté que c'était fatal ?
07:28 - Jusqu'au jour où ma soeur m'a dit
07:31 "Non mais t'es au courant que..."
07:33 Elle est allée aux toilettes et elle a fait tout à côté.
07:36 C'est que toi, tu ne veux pas le voir,
07:39 mais elle est en train de perdre ses capacités,
07:42 et ça va être hors de contrôle pour toi.
07:47 Il faut que je te protège,
07:49 il faut qu'on la mette dans un hôpital.
07:51 Elle est malade, Victoria.
07:53 - C'est ta soeur qui t'a fait réaliser ?
07:56 - T'es pas neurologue ?
07:58 Ouais.
07:59 Ma soeur, mon ex aussi,
08:02 qui m'a dit "T'es en train de prioriser
08:07 la vie de quelqu'un qui est mourant
08:09 à la vie de ton fils,
08:11 parce que tu ne t'occupes plus de ton fils."
08:14 C'est à ce moment-là que j'ai arrêté
08:18 de m'occuper d'elle,
08:20 et elle est allée à Charlefoix.
08:22 Elle arrive à l'hôpital,
08:24 elle ne peut plus marcher,
08:26 et apparemment,
08:27 ma soeur m'a bien raconté,
08:29 elle s'est levée,
08:31 elle s'est vraiment levée.
08:33 Elle s'est levée, tu vois.
08:35 Elle a fait un moonwalk,
08:37 elle ne pouvait plus marcher,
08:39 elle a fait un demi-tour,
08:41 et hop, elle s'est raciste sur sa chaise.
08:44 Et ensuite, c'était un truc de fou.
08:47 - La bad bitch tu as arrêté,
08:49 elle voulait montrer que...
08:51 - C'est pour ça qu'elle avait la force,
08:53 et c'est pour ça que je te dis,
08:55 dans le cerveau,
08:56 il y a des choses qui sont quand même mystérieuses,
08:59 et qu'on ne peut pas expliquer.