Vote RN : les motivations des électeurs ont-elles changé ?
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00:00Les Matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06Après d'un mois des Européennes, le Rassemblement National mené par Jordan Bardella caracole
00:11en tête des sondages.
00:12Comment expliquer la popularité de l'héritier de Marine Le Pen au-delà des clichés habituels
00:17par quoi est aujourd'hui motivé le vote RN ?
00:21Bonjour Félicien Faurie.
00:22Bonjour.
00:23Les électeurs ordinaires, c'est cette étude que vous consacrez à, je vous cite,
00:30la normalisation de l'extrême droite et c'est aux éditions du Seuil et aujourd'hui cette
00:36normalisation si j'ose dire, on va discuter bien sûr ce terme, elle a un visage et ce
00:41visage c'est celui de Colombe, c'est une électrice du Rassemblement National qui a
00:48été interviewée et dont un extrait de l'interview a énormément circulé sur les réseaux sociaux.
00:55On écoute un extrait de cette interview.
00:57Qu'est-ce que vous faites là aujourd'hui madame ?
00:59Je viens écouter quelqu'un qui a ses convictions et je vais essayer de trouver les miennes.
01:05Ça fait des années que je la suis et je trouve que c'est une dame qui a une grande
01:09prestance et qui est compative.
01:11Vous pouvez enlever vos lunettes ? Oui.
01:13Ah oui, vous pleurez ? Qu'est-ce qui vous fait pleurer ?
01:16Qu'est-ce qui me fait pleurer ? Parce qu'on est arrivé dans un monde de fous et il faut
01:20absolument qu'on trouve des solutions.
01:22Parce que, regardez, moi je suis un RSA et on a du mal à vivre, on ne peut pas payer
01:29les factures, on a les huissiers, on a les menaces de tout et donc aujourd'hui c'est
01:33vrai qu'il y a quelqu'un qui ressort sur ce système de dire « allez, suivez-moi
01:38et on va combattre ». Ici on a quand même un taux énorme du RN et on est tous en colère,
01:44on a tous du mal, il n'y a pas de travail.
01:47Un extrait de cette interview, Colombe, puisque c'est le nom de cette électrice.
01:51Félicien Faury, dans quelle mesure Colombe est aujourd'hui un visage, le visage, bref,
01:58en quoi est-elle représentative des électeurs du Rassemblement national ?
02:03Alors, le visage, je ne sais pas, de toute façon c'est un peu compliqué de définir
02:08un portrait robot type de l'électeur ou l'électrice du RN, mais en fait ce qui
02:14me semble important, donc j'ai vu effectivement passer cet extrait qui est très poignant
02:20en fait, il faut le dire, qui est aussi par contre très court et c'est peut-être l'avantage
02:26aussi des sciences sociales de pouvoir faire des entretiens plus longs et plus répétés
02:30et approfondis, qui permet de voir toutes les composantes du vote RN et ici on a une
02:35part, une part très importante de ce qui fonde le vote RN, c'est-à-dire des inégalités
02:40de classe qui sont subies par une grande partie de l'électorat du RN et donc ces
02:46inégalités de classe elles sont très importantes à prendre en compte et par contre il faut
02:50aussi toujours préciser en plus que si on regarde sous un autre prise, notamment la
02:55question des inégalités ethno-raciales spécifiquement, là, de ce point de vue-là, les électeurs
03:00du RN sont moins en position de dominer, si j'ose dire, ils sont davantage du bon
03:04côté en quelque sorte des inégalités ethno-raciales, ils sont dans une position
03:08de pouvoir, mais de pouvoir relative et ce qui va les amener à vouloir conserver justement
03:13cette position de pouvoir.
03:14Alors, ce qui étonne et peut-être explique en partie l'intérêt que cette très brève
03:22interview de Colombe a suscité, Félicien Faurie, c'est que cette femme évoque donc
03:28les inégalités de classe, le déclassement diriez-vous en sociologue, mais je crois que
03:35d'autres parties évoquent ces inégalités de classe, qu'est-ce qui fait que cette
03:39femme porte son suffrage de manière quasiment religieuse, puisqu'il y a une dimension
03:46presque charismatique dans le rapport qu'elle a manifestement avec Marine Le Pen, alors
03:51pourquoi est-ce Marine Le Pen qui remporte son suffrage et pas, par exemple, d'autres
03:56parties de gauche ?
03:57Deux points, la question de l'identification religieuse, je ne sais pas si j'emploierais
04:03ce terme, mais en tout cas, effectivement, cette identification très forte à Marine
04:07Le Pen, je l'ai retrouvée dans certains des électeurs et notamment certaines des
04:12électrices que j'ai rencontrées sur mon terrain, notamment une personne que j'appelle
04:16Monique dans l'ouvrage, qui développe justement cette très forte identification, cet attachement
04:22à Marine Le Pen et derrière, du coup, au Rassemblement National.
04:25En fait, c'est une personne qui va voter ensuite pour d'autres élus du RN, mais elle
04:28connaît surtout cette figure de Marine Le Pen, qu'elle appelle Marine, comme beaucoup
04:32en fait, donc par son prénom.
04:34Et ça, c'est en fait, Marine Le Pen est arrivée, c'est assez frappant sur mon terrain,
04:38Marine Le Pen est arrivée à développer sur le temps long une proximité, une impression
04:43de proximité sociale avec notamment les classes populaires, ce qui n'est pas du tout son
04:46cas parce que c'est une personne qui est issue de milieu bourgeois, qui est bourgeoise
04:50elle-même, qui est ancienne avocate, etc.
04:52Mais elle est arrivée sur le temps long à forger cette image qui a du coup une efficace.
04:56Et par ailleurs, comme je le disais, justement, il faut comprendre comment certaines relégations
05:02économiques qui sont subites de façon très douloureuse par ces électeurs s'articulent
05:07à d'autres formes, à d'autres perceptions du monde, notamment qui peuvent être xénophobes
05:13ou islamophobes, même si là, je ne connais pas cette dame, je n'ai pas fait d'entretien
05:16avec elle.
05:17Et c'est peut-être cette articulation justement qui explique pourquoi ça va davantage vers
05:21le RN plutôt que vers la gauche.
05:23Alors, il faut parler de votre enquête, Félicien Faurie, vous, vous avez eu un parti pris puisque
05:28vous ne pouviez pas interviewer tous les électeurs du Rassemblement national.
05:33Vous avez décidé donc d'aller à la rencontre de ceux qui votent pour le RN dans le sud
05:40de la France.
05:41Oui, tout à fait.
05:42Il me semblait qu'on parlait beaucoup, en fait, ce qui est très important, mais du
05:46vote plutôt du nord de la France, qui est un vote plutôt populaire et précaire en
05:50tendance, même s'il ne faut pas caricaturer cette opposition.
05:53Et il y avait cette idée de territoire délaissé et abandonné.
05:57Et en fait, on oublie souvent le sud-est de la France, notamment la région PACA, qui
06:01est en fait un bastion historique de l'extrême droite, qui apporte toujours des suffrages
06:04très importants au RN, mais qui n'est pas un territoire concrètement abandonné.
06:10Le problème, ce n'est pas l'abandon de l'État, mais c'est plutôt celui des inégalités
06:14territoriales très importantes, notamment parce qu'il y a beaucoup de tourisme, il
06:17y a beaucoup de personnes assez prospères qui vont acheter des résidences secondaires
06:22dans ces territoires, ce qui crée une pression sur les territoires, une pression immobilière
06:26qui est ressentie très vivement par les électeurs et les électrices que j'ai rencontrés.
06:32Et donc là, effectivement, il y avait traditionnellement une opposition, en tout cas, le terme était
06:39utilisé par les journalistes, entre RN du Nord et RN du Sud.
06:43Pour vous, en fait, cette opposition tenait, ne tient plus.
06:47Bref, qu'en est-il aujourd'hui, selon vous, Félicien Faury ?
06:50Alors, en fait, elle peut être intéressante si derrière ces distinctions géographiques,
06:56on s'intéresse à la question des positions de classe, en fait, parce qu'on pourrait
07:00dire qu'il y a deux types d'électorats, là encore, il ne faut pas caricaturer, mais
07:03il y a un électorat plutôt précaire, populaire, ouvrier du RN et un autre type d'électorat
07:09qu'on trouve davantage, encore une fois, c'est en tendance, mais qu'on trouve davantage
07:13dans le Sud-Est, que moi, j'ai plutôt étudié, qui sont des classes populaires qu'on dit
07:17stabilisées, qui sont plutôt stables sur le marché de l'emploi et des petites classes
07:21moyennes ou des classes moyennes qui, encore une fois, ne sont pas, par exemple, ne sont
07:26pas au chômage, n'ont pas peur de se retrouver au chômage, mais qui vont avoir d'autres
07:29types de préoccupations économiques qui sont très matérielles, mais qui vont porter
07:33davantage sur les questions de redistribution, de logement, d'éducation.
07:37Je vais mettre les pieds dans le plat bruyamment, Félicien Faury, quel est le déterminisme
07:44du vote RN ? Quel est le déterminisme du racisme dans le vote RN ? Et je vais vous
07:50laisser, évidemment, problématiser le mot racisme.
07:53Alors, je ne sais pas de chercher quelle serait la variable, en quelque sorte, c'est une
07:58enquête de terrain.
07:59Donc, c'est justement ce qui m'intéresse, c'est l'articulation entre plusieurs expériences
08:03de vie et plusieurs visions du monde.
08:05Et par contre, effectivement, en fait, quand j'ai commencé à travailler sur ce sujet,
08:09je me suis rendu compte qu'il y avait beaucoup de travaux de sens social qui portaient sur
08:13le vote RN, qui insistaient beaucoup et à raison, et j'en parle beaucoup dans mon livre,
08:18qui insistaient beaucoup sur les expériences de classe et notamment, je l'ai dit, des
08:21expériences d'inégalités subies.
08:23Et ça, ça me semble très important et très salutaire, mais parfois, il m'avait semblé
08:27que cette dimension de classe pouvait être mise en avant au détriment d'autres dimensions
08:33et avec une euphémisation, voire une évacuation de ce qui continue à structurer très fortement
08:38le vote RN, c'est-à-dire des sentiments islamophobes et xénophobes et qu'on peut
08:42qualifier de visions du monde raciste.
08:45Alors, on va interroger les termes d'islamophobes et de xénophobes, mais en tout cas, ce qui
08:51est certain, Félicien Faury, c'est que dans l'échantillon que vous avez rencontré,
08:56beaucoup de personnes évoquent leurs sentiments de mal-être vis-à-vis, alors les termes
09:04peuvent varier, mais des musulmans, des arabes, comment ces gens-là vous ont-ils parlé et
09:10que vous ont-ils dit sur leur colère, leur mal-être, bref, les différentes gradations
09:17de leurs sentiments ?
09:19Effectivement, les minorités qui sont les plus visées sur mon terrain, c'est notamment
09:26les personnes qui sont identifiées comme musulmanes, les personnes qui sont identifiées
09:29comme arabes et aussi les personnes qui sont identifiées comme turques, parce que la turcophobie,
09:35c'est un point assez important que je retrouve sur mon terrain.
09:38Encore une fois, ce n'est pas du tout la seule composante du vote erraine, mais ce
09:41n'est pas une composante qu'on peut évacuer.
09:43On est obligé, on ne comprend pas le vote erraine si on ne prend pas en compte cette
09:47question.
09:48Il faut regarder ça avec lucidité et regarder avec lucidité tout un ensemble d'essentialisations
09:55négatives de ces minorités ethno-raciales telles qu'elles sont perçues dans l'espace
10:00local et la manière dont c'est rapporté à des expériences de vie concrète et à
10:06des formes de concurrence entre les pauvretés qui est très forte.
10:09Effectivement, il y a beaucoup de choses sur la communauté turque, sur ce que vous appelez
10:14la turcophobie.
10:15Le racisme antinois ?
10:16Alors ça, je le retrouve, il y a d'autres enquêtes qui montrent que ça peut être très
10:20présent.
10:21Moi, je le retrouve assez peu en réalité sur mon terrain.
10:23C'est sans doute dû à certaines spécificités locales du territoire que j'ai étudié.
10:29L'antisémitisme qui a été pendant longtemps l'une des composantes du discours de Jean-Marie
10:37C'est pareil, c'est quelque chose que je ne retrouve pas de manière flagrante sur
10:42mon terrain.
10:43Il s'agit soit d'un résultat, c'est-à-dire que ce n'est pas présent parmi les personnes
10:46que j'ai interrogées.
10:47C'est aussi potentiellement d'un biais d'enquête, il faut réfléchir à ces questions.
10:51C'est à quel point le tour qu'ont pris nos entretiens, les conversations, les questions
10:57qui ont été posées n'ont pas permis de révéler certaines formes d'antisémitisme.
11:02« Islamophobie », c'est un terme qui est très discuté, Félicien Faurie, est-ce
11:06qu'il y a une incompatibilité entre un discours très dur contre une religion et
11:13une attitude beaucoup plus ouverte vis-à-vis des fidèles de cette religion ?
11:18C'est un terme qui est discuté oui et non.
11:21Il est discuté dans l'espace public, dans l'espace politique.
11:23En réalité, je suis chercheur et dans l'espace scientifique dans lequel je travaille au niveau
11:29national mais aussi international.
11:31En fait, le terme d'islamophobie est un terme qui n'est pas parfait mais qui est
11:34employé de manière assez commune pour désigner le racisme anti-musulman.
11:38Ce qui est intéressant, c'est que la dimension religieuse de l'islamophobie apparaît de
11:45manière spécifique.
11:47La plupart des électeurs du RN ne sont pas des catholiques pratiquants très fortement
11:52socialisés à la religion.
11:54Ce n'est pas le référentiel religieux, ce n'est pas quelque chose qui émerge spontanément.
11:58Mais par contre, il va émerger lorsque justement on parle de l'islam, c'est-à-dire qu'on
12:02va se dire chrétien ou catholique par distance et souvent par hostilité aux personnes qui
12:08sont désignées comme musulmanes.
12:09On va continuer d'évoquer cette étude et on va la discuter.
12:15Vous publiez des électeurs ordinaires en quête sur la normalisation de l'extrême
12:19droite.
12:20C'est aux éditions du Seuil.
12:21Vous serez rejoint par le journaliste du Figaro Alexandre Devecchio qui publie les
12:26nouveaux enfants du siècle aux éditions Lectio.
12:29En quête sur une génération fracturée, c'est l'étude de la jeunesse militante
12:33de Jordane Bardella, Sarah Knafo, Marion Maréchal et François-Xavier Bellamy.
12:386h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
12:46Alors, nos invités pour évoquer les déterminants du vote RN, c'est donc un sociologue, Félicien
12:51Faurie, des électeurs ordinaires.
12:53C'est l'étude que vous publiez aux éditions du Seuil.
12:56On en a parlé dans la première partie, vous êtes allé à la rencontre des électeurs
13:02du RN dans le sud de la France et vous avez rencontré des personnes qui se sentent déclassées
13:09avec de fortes problématiques résidentielles, de fortes problématiques également de scolarisation
13:15des enfants et des questions, et on va en reparler largement, d'islamophobie, de racisme,
13:22de termes employés, pour en discuter justement.
13:25Nous sommes en compagnie du journaliste Alexandre Devecchio, Les nouveaux enfants du siècle,
13:31c'est l'ouvrage que vous republiez aux éditions Lectio.
13:33Avant cela, Félicien Faurie, ce que vient de dire mon camarade Jean Lemari, il a rappelé
13:38les chiffres, en 2019, Jordane Bardella avait fini en tête à 23%, pas à 30, 31%, comme
13:45dans les intentions de vote.
13:46Alors, est-ce que l'échantillon qui ne se veut pas représentatif des personnes que
13:50vous avez rencontrées, est-ce qu'il l'agrossit ? Est-ce qu'on a aujourd'hui de nouveaux électeurs
13:56ordinaires du RN ?
13:57Oui, il y a des, j'allais dire des primo-votants RN dans les personnes que moi j'ai rencontrées,
14:03mais effectivement, ce qui peut être intéressant, c'est que là, je me suis beaucoup intéressé
14:07à l'électorat de classe moyenne en fait, qui est un électorat très important pour
14:11le RN, notamment pour les européennes, parce qu'on sait qu'il y a une abstention différentielle,
14:15les classes populaires votent moins généralement, notamment pour les élections intermédiaires
14:19type européenne.
14:20Et donc, ce socle de classe moyenne, qui est une dimension importante de l'électorat
14:25lepéniste, il est très important pour les européennes, donc pour Jordane Bardella.
14:28Alexandre Devecchio ?
14:29Oui, ce qu'on observe, c'est que Marine Le Pen avait réussi à agréger, à constituer
14:35ce que le sondeur Jérôme Sainte-Marie appelait un bloc populaire, et que là, il arrive à
14:40agréger d'autres catégories, qui ne sont pas justement ces classes populaires, mais
14:45les classes moyennes, des retraités, également, je pense que c'est dû à plusieurs facteurs.
14:53D'une part, effectivement, la stratégie de normalisation, l'opposition avec Jean-Luc
14:58Mélenchon, qui a une stratégie beaucoup plus tapageuse à l'Assemblée nationale,
15:01ce qui donne à Marine Le Pen une image plus rassurante, mais je crois qu'il y a aussi
15:08des problématiques de fond, en réalité, qui servent aujourd'hui le RN.
15:13Ils ont fait depuis longtemps un certain diagnostic sur l'insécurité, l'insécurité culturelle,
15:18et ce type de problème a tendance à se propager à toute la société, plus seulement les
15:24classes populaires, y compris le diagnostic social, d'ailleurs.
15:26On voit qu'au surfond d'inflation, il y a une forme de paupérisation de la société
15:30française, et je crois que le Rassemblement national en tire parti et agrège de nouvelles
15:35catégories, notamment les retraités, si on regarde de manière très précise, ce
15:38sont plutôt les jeunes retraités.
15:39En réalité, la génération des boomers qui, généralement, eut de bonnes retraites
15:44a pu se constituer un patrimoine, et plutôt reste anti-RN, mais les jeunes retraités
15:50qui vont toucher des petites retraites, qui ne sont pas forcément de la génération
15:53qui a agrégé un gros patrimoine, sont plus enclins aujourd'hui à voter RN, donc je
15:58crois que pour toutes ces raisons, ils sont en train d'élargir leur base électorale
16:02et aujourd'hui de toucher toutes les catégories.
16:05Juste un point qui a été signalé, le sentiment anti-Macron, c'est quelque chose qui est
16:10très présent.
16:11Moi, j'ai travaillé de 2017, donc élection présidentielle, à 2022, autre élection présidentielle,
16:16et je vois un effet Macron, en quelque sorte, c'est-à-dire qu'une détestation du personnage
16:21et de ce qu'il représente, qui est très très importante.
16:23Dans ce qu'il représente, ce que vous évoquez dans des électeurs ordinaires, Félicien
16:27Faurie, il y a le diplôme.
16:29Oui, ça c'est un point qui est important.
16:31En fait, la variable la plus prédictive du vote RN sur le temps long, c'est la faiblesse
16:35du niveau de diplôme.
16:36Et en fait, ce que moi, je retrouve derrière ce résultat statistique, c'est des trajectoires
16:41scolaires qui sont heurtées, souvent vécues difficilement, et ce qui crée en fait une
16:46défiance vis-à-vis de l'ordre scolaire et de ce qu'il va représenter.
16:50Et ça, c'est quelque chose qu'on retrouve après, en fait, après la scolarité des individus,
16:55qui donne certains rapports, notamment à la gauche et à la classe politique dans son
16:59ensemble d'eux qui sont considérés comme des beaux-parleurs, des donneurs de leçons.
17:03Et donc, il y a une forme de mépris de classe qui est vécue de cette façon.
17:06Et il y a un autre type de critique vis-à-vis des élites, notamment économique, c'est
17:10la critique de l'argent, de « ils se gavent », ils se sont mis plein les poches, c'est
17:14quelque chose qui revient souvent.
17:15Et juste pour terminer, Emmanuel Macron, il combine ces deux.
17:18C'est à la fois le banquier et le beau-parleur, c'est à la fois une personne qui fait partie
17:21des mondes de l'argent et qui est intelligent, c'est un terme qui revient beaucoup, mais
17:26qui va utiliser cette intelligence, ce capital culturel, au service d'autres personnes
17:31que ses électeurs.
17:33Je crois que sur le mépris de classe, ça tient peut-être aussi à la personnalité
17:38d'Emmanuel Macron.
17:39On a vu précédemment dans l'histoire de France des élites qui n'étaient pas forcément,
17:44qui ne suscitaient pas la même détestation.
17:46Je crois que s'il y a un mépris de classe à l'égard d'Emmanuel Macron, c'est
17:50aussi parce que, par certaines paroles, il a pu laisser lui-même transparaître un mépris
17:55de classe.
17:56On pense à la petite phrase « ceux qui ne sont rien », qui revient souvent dans la
18:00bouche des électeurs RN qu'on peut interroger.
18:04Je crois que son attitude aussi, sa volonté d'incarner les gagnants de la mondialisation,
18:09en tout cas au début de son premier mandat, fait qu'il a suscité une détestation particulière.
18:15Bon mais, Jean-Les-Maris, quand on passe de 23% à 30%, ça veut dire qu'on n'est
18:20pas encore à un français sur trois, comme le disait Valéry Giscard d'Estaing, mais
18:24on y est presque !
18:25Ça pose toute une série de questions.
18:28Question pour les adversaires évidemment du Rassemblement National, mais question aussi
18:32pour tous les observateurs, politologues, sociologues, journalistes parfois.
18:37Quelle est la bonne grille de lecture aujourd'hui pour décrire le plus précisément possible
18:41le phénomène qui est à l'œuvre ?
18:42Je vais laisser la parole à Félicien Fabry qui n'avait pas l'air d'accord, d'ailleurs
18:45je me suis trompé, Valéry Giscard d'Estaing parlait de deux français sur trois.
18:49C'est sur le français sur trois qu'il faut toujours prendre en compte l'abstention,
18:52qui est très importante pour les européennes.
18:54Donc en fait, même ces 33%, il y a énormément de françaises qui s'abstiennent pour les
18:59élections européennes, mais ce qui ne veut pas dire que c'est évidemment une dynamique
19:03très importante et que ça va être un signal politique fort si Jorban Bardella arrive en
19:09tête.
19:10Alexandre de Vécu, Félicien Faury estime qu'il y a une composante importante dans
19:17le vote RN, je parle en face de vous Félicien Faury, vous me dites évidemment si vous n'êtes
19:22pas d'accord avec la manière dont je résume votre ouvrage, c'est à la fois l'islamophobie
19:27et le racisme des électeurs du RN, ou en tout cas leur fixation sur la présence trop
19:36importante de musulmans, de personnes venues des pays du Maghreb ou de Turcs, puisqu'il
19:44y a effectivement une turcophobie dans l'échantillon que vous analysez.
19:48J'aimerais votre réaction par rapport à ça Alexandre de Vécu.
19:52Eh bien, ça dépend de ce qu'on appelle déjà l'islamophobie et le racisme.
19:56Le terme d'islamophobie est quand même extrêmement controversé, s'il n'a pas été forgé,
20:01c'est popularisé par l'ayatollah Roumeni pour interdire toute critique de l'islam,
20:07par exemple.
20:08Ensuite, le terme de racisme, à mon avis, renvoie à la hiérarchisation des races, à
20:13l'idée que parce qu'on serait maghrébin, par exemple, on serait inférieur, on serait
20:17une mauvaise personne par essence.
20:19Je ne crois pas que c'est, en tout cas, chez la majorité des électeurs RN, ce soit le
20:23sentiment.
20:24Par contre, il y a ce que Christophe Guy, lui, a appelé l'insécurité culturelle, l'insécurité
20:29physique.
20:30Effectivement, parfois, Félicien Faury qualifie de racisme le fait que certains électeurs,
20:35peut-être avec des mots crus, déplorent qu'il n'y a pas assez de mixité dans leur quartier,
20:39déplorent qu'il y a trop de voiles, par exemple.
20:43Je pense que ça, c'est un réflexe défensif, mais aussi lié à un communautarisme qui
20:48peut parfois être agressif dans certains quartiers.
20:52Qu'est-ce que vous en pensez, Félicien Faury ?
20:55Sur le terme d'insécurité culturelle, en fait, comment dire ? Ce n'est pas un terme
21:00qui est utilisé dans la recherche que je pratique.
21:06Et ça, on peut l'élaborer.
21:07Oui, mais de fait, ça n'a pas été repris par des chercheurs.
21:11Vous considérez que c'est un terme qui n'est pas sérieux ?
21:13Oui, je pense que ce n'est pas un terme qui a été suffisamment défini et qui ne
21:19donne pas lieu à un champ de recherche spécifique.
21:21Par contre, il y a une sociologie du racisme qui est très fournie et que je mobilise beaucoup
21:25dans ce livre.
21:26Justement, si on parle de la sociologie du racisme, parce qu'on voit bien que le racisme
21:31est un mot compliqué, ne serait-ce que, et ça, c'est une question qu'on peut tous
21:35se poser, il y a une gradation entre, disons, des stéréotypes, qui sont des généralisations
21:41abusives et une volonté d'extermination.
21:46Donc, entre ces deux pôles qui désignent une gamme d'opinions, d'attitudes, de gestes,
21:53parce que dans le racisme, il y a des mots, mais il peut y avoir aussi des actes.
21:57Comment situez-vous ces électeurs du RN que vous avez rencontrés ?
22:03Deux points.
22:04Premièrement, effectivement, il s'agit de préciser ce qu'on entend par ce terme.
22:10Et notamment, vous avez parlé justement de la question du discours et des actes.
22:13Et ça, c'est quelque chose qui est très important pour comprendre, me semble-t-il,
22:18ce qui va animer ces électeurs, c'est que ce sont des personnes qui peuvent avoir un
22:22discours raciste, xénophobe, très explicite, mais qui, par contre, ne vont pas souvent
22:27avoir les ressources sociales pour le mettre en acte et pour le mettre en œuvre matériellement.
22:32Donc, c'est pour ça que j'ai beaucoup de raisonnements qui sont un peu conditionnels
22:36en quelque sorte.
22:37Par exemple, sur la question résidentielle, c'est « j'aimerais quitter ce quartier
22:40que je ne supporte plus, mais je n'arrive pas à déménager ».
22:43Donc, c'est des personnes qui peuvent avoir des désirs ségrégatifs en quelque sorte,
22:46mais qui n'ont pas les ressources sociales à la hauteur de ces désirs.
22:50Moi, je pense que c'est parfois des désirs de déségrégation, d'une certaine manière.
22:54Pour avoir vécu en banlieue, parfois, quand vous vous retrouvez dans des quartiers où
22:58mes parents y habitent toujours, où il n'y a plus que des boucheries à l'âle, où
23:02dans les galeries commerciales, vous avez des magasins de voile et de burqas, alors
23:06que la burqa est interdite, vous vous sentez un peu seul, d'une certaine manière.
23:11Et face, je le disais, à un communautarisme qui peut être agressif.
23:16Ce sont des quartiers où il y a très peu de mixité, en réalité, aujourd'hui, parce
23:19qu'on a des populations d'origine immigrée qui partagent la même confession et qui sont
23:25totalement homogènes.
23:26Donc, je ne suis pas sûr que ce soit un désir d'entre-soi, c'est un désir d'éviter
23:31le communautarisme et ses effets parfois délétères, qui sont la violence physique directe ou
23:37ce que j'appelais l'insécurité culturelle.
23:39Ensuite, sur le racisme, on voit bien qu'effectivement, vous avez raison, ça peut toucher différents
23:46milieux sociaux et sans doute pas seulement des gens qui votent RN, un milieu que vous
23:52connaissez bien, les sciences sociales, et que vous mobilisez.
23:56On voit aujourd'hui dans les universités qu'il y a un antisémitisme qui s'exprime
24:00parfois de manière décomplexée, que ce soit outre-Atlantique ou même en France,
24:05on a pu le voir à Sciences Po Paris, évidemment, ce n'est pas tout Sciences Po, mais ça existe
24:09particulièrement dans les universités de sciences humaines.
24:11Et ensuite, dans les quartiers populaires que veulent quitter ces personnes, par exemple,
24:15je note que les personnes de confession juive ont été les premiers à quitter ces quartiers,
24:20que dans les écoles publiques du 93, il y a de moins en moins de Juifs, parce qu'ils
24:23sont victimes précisément d'un antisémitisme qui peut être meurtrier.
24:27Là, pour le coup, il y a un racisme qui est palpable et qui a des conséquences tragiques.
24:33Donc, bien sûr qu'il y a des racistes au Rassemblement National, aujourd'hui c'est
24:37un parti qui a fait 40% au second tour, je ne crois pas que la majorité des électeurs
24:41soient racistes.
24:42Félicien Fauré, est-ce que vous voulez répondre à ce que vient de dire Alexandre Devecquiaud ?
24:45C'est très important de rappeler qu'effectivement, le racisme, comme le sexisme, au fond, c'est
24:50quelque chose qui traverse toute la société française et qu'on retrouve dans tous les
24:53milieux sociaux, dans les milieux bourgeois, dans les milieux de classe moyenne, comme
24:56moi j'ai plutôt étudié, et dans les milieux populaires.
24:58Donc, c'est un phénomène qui est transversal à toute la société.
25:01Et du coup, c'est très important de comprendre que le vote RN, le vote, pas à les individus,
25:05le vote RN, c'est une modalité parmi d'autres, et non la seule, de participation au processus
25:10de racialisation.
25:11Jean-Les-Barry.
25:12Vous le dites encore autrement, Félicien Fauré, dans votre livre, c'est un fil rouge
25:15qui traverse votre enquête et les témoignages que vous recueillez, que vous analysez, le
25:19sentiment d'être minoritaire chez soi, le minoritaire versus le majoritaire.
25:24J'aimerais que vous nous en disiez davantage là-dessus, parce que vous l'expliquez aussi,
25:27vous avez passé du temps dans ces lieux que vous avez étudiés, que vous avez accompagnés,
25:31que vous avez vécu sur place, plusieurs semaines, parfois plusieurs mois.
25:34Avez-vous ressenti cela vous aussi ?
25:36Non, mais après, peu importe, j'allais dire, mais par contre, effectivement, c'est un point
25:43très important.
25:44C'est qu'il y a ce sentiment, justement, que l'on a été majoritaire, c'est-à-dire
25:48qu'on s'est senti chez soi, dans un environnement familier, et on a l'impression que cette
25:53norme, justement, s'effrite.
25:54Et il y a cette inquiétude, justement, de devenir minoritaire, de ne plus être majoritaire,
25:59de perdre un certain nombre de privilèges, spécifiquement racialisés, j'allais dire,
26:05et qui fondent, me semble-t-il, une grande partie de l'inquiétude du voteur.
26:10Parce qu'il y a, par exemple, ce coiffeur que vous avez interrogé, ce coiffeur, il
26:16a l'impression de ne plus retrouver le village du Sud qui l'appréciait.
26:22J'ai presque envie de vous dire, est-ce que son attitude vous semble légitime ou
26:27illégitime ?
26:29Ce n'est pas du tout des questions que moi, je me pose, justement, j'ai envie de vous
26:32la poser.
26:33Oui, mais ce qui m'intéresse, c'est à quel point, pour lui, ce sentiment devient
26:38légitime, c'est-à-dire comment c'est normalisé, comment ce type de sentiment
26:43est partagé autour de lui ?
26:45Pour ce qui est du coiffeur, est-ce qu'il ne se sent pas chez lui parce que les gens
26:50n'ont pas la même couleur ? Il y a un basculement ethnique ou démographique, ou est-ce qu'il
26:55ne se sent pas chez lui parce qu'il y a un basculement des modes de vie ?
26:58C'est ça aussi, quand je parlais de communautarisme agressif, je crois que beaucoup ont dépassé
27:05la question de la couleur de peau et de l'ethnie.
27:07Ce sont dans les quartiers où, justement, les Blancs, pour parler comme ça, même si
27:12je n'aime pas racialiser le débat, sont en train de devenir minoritaires, mais je
27:16crois qu'ils ne souffrent pas d'être minoritaires en tant que Blancs, mais minoritaires en tant
27:24qu'ils avaient un mode de vie français, une culture, des traditions, et qu'ils se
27:29sentent là, finalement, oui, parfois en pays étranger, vous l'avez dit, mais je crois
27:34que c'est un sentiment qu'on pourrait ressentir dans tous les pays du monde.
27:38Si vous prenez de main un village du Maghreb et que ce village a une immigration chinoise,
27:45je dis n'importe quoi, massive, vous allez avoir exactement le même sentiment d'insécurité.
27:51Je ne sais pas si on peut appeler ça du racisme.
27:54Par contre, oui, il y a un phénomène de basculement démographique, de changement
27:56des modes de vie qui peut être parfois inquiétant, surtout quand il y a une progression en même
28:02temps de l'islamisme.
28:04Félicien Faury, votre réaction ?
28:06En fait, le risque, me semble-t-il, c'est celui de l'euphémisation, en quelque sorte.
28:10En fait, je ne pense pas qu'on puisse comprendre l'ampleur des discriminations raciales qui
28:14ont encore lieu dans notre pays si on se restreint à une définition du racisme qui reste centrée
28:20sur la question de la hiérarchisation biologique entre des pseudo-races.
28:24Donc, je pense que c'est important de prendre en compte des formes, oui, de racisme culturel
28:28qui ont encore lieu, dont l'islamophobie est un des exemples.
28:32Et si vous voulez, on risque de manquer tout un ensemble de phénomènes si on donne une
28:37définition très restrictive, en réalité, du racisme.
28:41Oui, mais d'un autre côté, et vous revenez évidemment là-dessus, Félicien Faury, le
28:45terme de racisme n'est évidemment pas neutre.
28:48Il n'y a pas de neutralité axiologique, comme on dit en sciences sociales vis-à-vis
28:51du racisme, puisque c'est considéré comme étant un crime et un délit, à la fois sur
28:56le plan juridique, mais aussi sur le plan moral.
28:58Et donc, la question finalement de ce sentiment d'extranéité que peuvent avoir certains,
29:04je pense aussi aux pompiers que vous avez interrogés.
29:08Ce pompier, il est intéressant parce qu'il dit finalement, voilà, on travaille avec
29:12ma femme, on ne s'en sort pas.
29:14Eux, ils sont assistés, ils ont toutes les aides et eux, ils renvoient bien entendu
29:20à une minorité musulmane qu'il ne nomme pas précisément, mais peut-être que vous
29:26allez nous éclairer là-dessus.
29:28Et il explique comment, dans une intervention, il y a eu une sorte de rixe automobile avec
29:35l'un de ces immigrés, tout en expliquant bien, bien sûr, qu'il ne discrimine pas
29:43les personnes à qui il porte assistance.
29:45Donc, c'est un tableau finalement assez complexe, Félicien Faury.
29:48Ah, c'est tout à fait complexe.
29:50En fait, les individus, ils sont complexes, ambivalents et changeants.
29:53Il ne s'agit pas du tout de nier ça.
29:55Mais par contre, ce qui m'intéresse, c'est à quel point dans le vaut terrain, ce qui
29:59est activé, il y a des formes de glissements entre justement des faits ponctuels, singuliers
30:06et des formes de généralisation négative à l'ensemble des minorités ethno-raciales.
30:10Et c'est ça, ce type de glissement, qui me semble important à regarder avec lucidité.
30:15Oui, mais alors ce pompier ?
30:16Pour le coup, dans ce pompier, j'en donne beaucoup d'exemples dans le livre, il y a
30:21des formes de généralisation négative à l'encontre des personnes qu'il nomme arabes
30:25ou musulmans et parfois qui sont nommées dans des termes aussi plus dégradants.
30:29De toute évidence, il se livre à des généralisations abusives.
30:32Mais ces généralisations abusives sont de l'ordre de la représentation, alors que
30:35dans ses actes, semble-t-il en tout cas, il ne se livre pas à des discriminations ?
30:40Oui, mais moi, ce qui m'intéresse, c'est les représentations qui sont convoquées
30:44dans le vaut-terrain, en fait.
30:46Donc, je n'essaie pas d'identifier et d'essentialiser un individu en son entier,
30:52j'en suis pas capable, mais par contre, ce qui m'intéresse, c'est qu'est-ce qui
30:54est mobilisé dans le vaut-terrain de l'humain ?
30:56Je crois que vous avez bien résumé, Guillaume Hernard, en parlant de généralisation abusive.
31:01C'est-à-dire que les gens, pardonnez-moi, ne parlent pas comme sur France Culture le
31:07matin, non mais sur France Culture ou d'autres...
31:08De plus en plus, Alexandre Devecchio parle comme sur France Culture.
31:12Ou dans d'autres médias, je ne visais pas du tout France Culture, c'est-à-dire que
31:15moi, quand je vais m'exprimer, effectivement, je vais faire attention à ne pas généraliser,
31:19ce que ne font pas forcément les gens.
31:20Par contre, je peux vous dire qu'ils vivent avec des gens différents, parfois il y a
31:24des mariages mixtes, parfois il y a même des immigrés, des immigrés d'origine maghrébine
31:29ou de confession musulmane qui trouvent eux-mêmes qu'il y a un communautarisme abusif.
31:33Donc, en fait, les choses sont extrêmement nuancées, si vous voulez, et donc il n'y
31:39a pas de décentralisation.
31:41Par contre, il y a la constatation d'une dégradation, en réalité, de la vie quotidienne
31:47de beaucoup de Français et le vote RN est une manière d'avoir une réponse à cette
31:53dégradation que les partis politiques traditionnels n'ont pas donnée jusqu'ici.
31:56Jean Lemarie, dans votre enquête, dans votre travail, Félicien Fauré, justement, l'immigration
32:01et l'intégration dans ce qu'elles ont de réussit, d'évident, de quotidien, de
32:06banal finalement, d'évident, ça apparaît peu dans les témoignages puisqu'on parle
32:10de généraliser dans un sens ou dans l'autre.
32:12Pourquoi est-ce que vos témoins, ceux que vous rencontrez, vous en parlent peu ?
32:16C'est une bonne question, mais effectivement, il y a une sélectivité, une sélection des
32:23équivalences.
32:24En fait, une des choses qui m'a beaucoup aussi intéressé, c'est les équivalences
32:27qui sont mises en place entre, par exemple, immigrés et chômeurs, immigrés et insécurité,
32:32immigrés et logement social.
32:33Et ça, effectivement, je pense qu'il y a un travail peut-être pédagogique, enfin
32:37en termes de représentation, il y a un travail à faire pour ne pas, par exemple, invisibiliser
32:42le travail ou la réussite scolaire, par exemple, d'un nombre très, très important d'immigrés.
32:47Et juste un point qui a été dit juste avant, qui me semble très important, c'est la question
32:52du langage.
32:53Effectivement, en fait, c'est ce que je disais tout à l'heure, c'est que le vote
32:56irène, ça peut être, ça peut traduire un racisme qui est explicite en discours, mais
33:01il y a tout un ensemble d'autres manières plus policées, plus silencieuses aussi de
33:06participer au procédus de discrimination.
33:08Pourquoi, Félicien Fauré, je vais le dire très, très vite et très brutalement, mais
33:13pourquoi dans ce cas-là, ces électeurs que vous avez rencontrés ne se portent pas sur
33:17un vote qui peut être plus explicitement hostile aux immigrés ?
33:22Je pense, bien sûr, au vote reconquête.
33:24Eh bien, je pense que, bon, deux choses, c'est-à-dire, premièrement, la perception du programme
33:29du RN, en fait, il ne faut pas prendre les gens pour complètement des imbéciles, c'est-à-dire
33:32qu'ils savent ce qu'ils font.
33:33Je ne les prends pas du tout.
33:34Non, non, absolument.
33:35Je ne vous disais pas du tout, mais les gens savent ce qu'ils font, en fait, quand ils
33:38votent irène, en tout cas, sur la question migratoire ou de l'insécurité.
33:42Et par ailleurs, ce qui est très important à comprendre, c'est l'articulation avec
33:45les intérêts de classe.
33:46Et on sait que le vote Zemmour, par exemple, est plus bourgeois que le vote RN, et donc
33:50c'est tout le temps cette articulation qui permet de comprendre les orientations électorales
33:54des individus.
33:55Non, non, on est absolument d'accord là-dessus, ce qui prouve, encore une fois, que le racisme
33:58n'est pas le motif principal du vote RN, que ça s'articule avec des questions sociales.
34:05Et effectivement, je pense que la faiblesse d'Éric Zemmour, qu'il n'a pas été suffisamment
34:13sur ces questions sociales, et donc que les électeurs, notamment des classes populaires,
34:19ont préféré l'offre du Rassemblement National.
34:22La question la plus difficile pour la fin, Félicien Vaurie, si d'aventure d'aucun avait
34:29l'intention de contrer cette progression du RN, que devrait-il faire ? Je parle bien
34:33sûr des politiques.
34:34Qu'est-ce qui, sur le plan politique, serait possible pour tenter de juguler ce vote ?
34:40Bon, je n'ai pas trop de solutions là-dessus, et je n'ai aucune leçon à donner aux élus
34:46et aux militants de terrain.
34:48Peut-être que ce que je vois sur mon terrain, c'est qu'en tout cas, la politique, ça
34:52ne se joue pas que pendant les élections.
34:54C'est quelque chose de très important que je vois dans tout mon enquête, c'est que
34:58la politique, c'est aussi le quotidien.
34:59Donc c'est aussi investir les conversations communes, les expériences de vie concrètes
35:04des individus.
35:05Et là, je pense que peut-être les syndicats, les associations, voire les partis politiques
35:09ont un rôle à jouer pour prendre pied justement dans ce quotidien, et notamment dans certains
35:14milieux sociaux où la gauche, en fait, concrètement est absente.
35:18Mais est-ce que la vie de ces électeurs est organisée par l'ERN, comme dans les temps
35:23mythiques, la vie de certains électeurs était organisée par le parti communiste ?
35:26Pas du tout.
35:27Je pense que c'est une comparaison qui ne peut pas être faite.
35:30Il y a des résultats un peu cumulatifs sur l'ERN qui montrent qu'il y a une faible
35:34implantation locale, en réalité, même si ça a peut-être changé à partir de 2022
35:38avec l'accès au parlement et en fait tout un ensemble de ressources qu'a le parti
35:44maintenant.
35:45Un mot de conclusion, Alexandre ?
35:46Je suis d'accord sur le parti communiste, effectivement, l'ERN n'est pas aussi implanté
35:49notamment dans les villes, il n'y a pas de maillage associatif.
35:52En revanche, je pense que si on veut le faire baisser, je ne sais pas s'il faut le faire
35:58baisser, mais en tout cas il faut s'attaquer aux causes, en réalité, et pas dire c'est
36:02du racisme, ces électeurs ne voient pas ce qu'ils voient, en quelque sorte.
36:07Je pense que si vous faites baisser la sécurité physique, la sécurité culturelle, que vous
36:11répondez aux problématiques de pouvoir d'achat, vous pouvez faire baisser ce parti.
36:16Hélas, les partis politiques ont échoué sur ces trois domaines ces dernières décennies.