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00:00Les Matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06Voilà, c'est la une de nombreux journaux aux Etats-Unis, mais aussi en France.
00:12Je lis Le Monde par exemple, la guerre à Gaza met les campus américains en effervescence
00:17avec un épicentre du mouvement, cet épicentre c'est l'université de Columbia à New York
00:24et c'est là où vous enseignez Thomas Dönemann. Bonjour.
00:27Bonjour.
00:28On vous doit un livre remarqué sur la nostalgie au seuil dans la collection de l'univers historique.
00:34Alors je ne sais pas s'il y aura des liens avec la nostalgie, on va en discuter dans quelques instants.
00:39Mais vous êtes aussi enseignant, maître de conférences à l'université de Columbia à New York,
00:45cette université qui est le lieu de nombreux mouvements pro-palestiniens.
00:51J'aimerais tout d'abord que vous nous présentiez cette université.
00:54Alors l'université de Columbia est une des universités les plus anciennes et les plus prestigieuses aux Etats-Unis,
01:00fondée en 1754 et qui est une université privée, une très grande université où il y a à peu près 36 000 étudiants.
01:09L'université se décline de plusieurs façons avec une base d'enseignement, de recherche,
01:15avec des étudiants en premier cycle qui suivent tout un tas de cours sur toutes sortes de sujets,
01:20avec des chercheurs, des étudiants qui font des doctorats, des écoles professionnelles, des facultés de droit,
01:26des facultés d'ingénierie, de business.
01:29Mais c'était aussi un grand conglomérat, on pourrait dire, avec un hôpital universitaire,
01:35avec un chiffre d'affaires assez mirabolant, avec aussi un fonds d'investissement très important,
01:43qui est un des problèmes auxquels nous allons...
01:47C'est très singulier d'entendre ça parce qu'une fac qui investit en France !
01:51Exactement, alors tout ensemble c'est un conglomérat qui a un chiffre d'affaires d'à peu près 6 milliards de dollars,
01:59avec un fonds de réserve de 15 milliards.
02:02C'est une université privée, ceci veut dire que c'est à double tranchant, c'est aussi une université qui a une autonomie,
02:09qui a une culture de la gestion autonome,
02:12et c'est un des autres problèmes dont on voit les conséquences aujourd'hui,
02:16lorsque la police intervient sur le campus pour régler les problèmes que d'habitude nous réglons entre nous.
02:20Voilà, alors il y a donc ce cadre-là.
02:23Qu'est-ce que vous avez observé Thomas Dodeman ?
02:26On évoque donc ces mobilisations en faveur de la Palestine et de Gaza.
02:32Est-ce qu'elles concernent une poignée d'étudiants, beaucoup d'étudiants,
02:36des personnes qui viennent de l'extérieur de l'université ?
02:39J'imagine que ce n'est pas facile de le savoir, mais en tout cas, avec vos yeux, qu'avez-vous vu ?
02:45Ce n'est pas facile en effet, mais je vais essayer d'être simple et surtout d'être clair,
02:49pour essayer de clarifier des représentations un peu faussées de ce qui s'est passé.
02:56Depuis 6 mois, mais en fait c'est depuis plus longtemps,
02:59il y a en effet un mouvement étudiant à Columbia en soutien à la cause palestinienne,
03:04depuis un peu plus de 6 mois maintenant, le début de la guerre à Gaza.
03:08C'est un mouvement où il y a plusieurs centaines d'étudiants,
03:12de profils très divers qui viennent de toutes sortes d'horizons,
03:16y compris beaucoup d'étudiants de confession juive,
03:20et qui font partie d'associations diverses et variées,
03:24y compris des associations d'étudiants juifs,
03:27qui se sont mobilisés depuis 7 mois pour apporter leur soutien à la cause palestinienne et au peuple palestinien.
03:37Leur démarche est entièrement pacifique, leurs opérations sont entièrement pacifiques,
03:44se passe dans une très bonne ambiance de partage, de soutien mutuel.
03:51Leurs revendications sont simples en fait.
03:55Ils demandent à ce que cesse la guerre à Gaza.
04:00Ils prennent acte du fait que leurs représentants politiques ne réussissent pas à apporter un terme à ce conflit,
04:10et demandent que la guerre soit portée à bout, qu'elle soit terminée.
04:17Ils demandent en particulier, et c'est des enjeux plus locaux,
04:20que l'université de Columbia se désinvestisse d'entreprises qui profitent de cette guerre,
04:26qui spéculent sur la mort de 35 000 palestiniens, dont une grande partie de civils et d'enfants.
04:33Je tiens à signaler une dernière chose.
04:36Ils le font dans un esprit pacifique, avec des manifestations qui ont été interdites par l'administration universitaire,
04:44qui a manipulé les règles de l'expression libre d'opinion sur le campus,
04:50avec des campements pacifiques qui se sont installés pendant plusieurs semaines sur le campus de Columbia,
04:57et avec des référendums d'initiative populaire des étudiants,
05:02à chaque fois se trouvant face à un mur qui était la seule réponse de l'administration.
05:09C'est très important de savoir si l'université est publique ou privée,
05:13puisque c'est en fonction de cela que la législation sur la liberté d'expression, qui est très large aux Etats-Unis,
05:20s'applique ou ne s'applique pas, sachant que si elle est publique, c'est le premier amendement.
05:25Si elle est privée, tout dépend du code intérieur de l'université.
05:29C'est un peu plus compliqué que ça.
05:31Déjà, je trouvais ça compliqué.
05:33C'est encore plus compliqué.
05:34En fait, la liberté d'expression s'applique partout aux Etats-Unis,
05:38que l'on soit en milieu public ou en milieu privé,
05:42notamment à Columbia.
05:44C'est une université privée en effet,
05:46mais les lois, tous les amendements,
05:49toutes les réglementations qui ont été mises en place lors des combats pour les droits civils dans les années 1960,
05:56s'appliquent aussi à Columbia.
05:58Ce qui se passe actuellement, c'est que Columbia dépend aussi de fonds publics.
06:03Une très grande partie du budget de l'université provient de fonds publics.
06:07L'université actuellement est prise en tenaille par des pressions politiques
06:14qui s'exercent à la fois sur le versant des fonds publics,
06:18mais aussi des fonds privés.
06:21Cette tenaille est en train de s'exercer par un usage instrumental
06:26de l'accusation d'antisémitisme,
06:28de l'accusation de radicalisation,
06:30de violence sur le campus.
06:32C'est un usage instrumental et je tiens à le signaler.
06:34Sur ce point-là, puisque c'est évidemment l'un des points qui fait le plus débat,
06:39est-ce que vous avez entendu des propos antisémites ?
06:42Est-ce que vous savez si certains étudiants juifs se sentent mal à l'aise
06:48ou bien en danger sur le campus de Columbia ?
06:51Moi personnellement, je n'en ai pas entendu.
06:54Je n'ai pas passé beaucoup de temps ce semestre à New York,
06:57donc je ne suis pas forcément la personne la mieux placée pour répondre à cette question.
07:02Ce que je peux dire en ayant discuté pendant dix jours aux étudiants
07:06et à des collègues qui sont sur place tous les jours,
07:09c'est qu'il y a bien sûr des incidents de discrimination,
07:13y compris des exemples d'antisémitisme,
07:15comme il y en a partout dans la société.
07:18On ne va pas nier ça.
07:20Il n'y en a pas plus qu'ailleurs.
07:22Et surtout, les quelques exemples qu'il y a eu,
07:27on en a extrapolé une image d'un mouvement violent
07:32qui est structurellement antisémite.
07:35Ce qui se passe actuellement à Columbia
07:38et dans la cinquantaine d'autres universités aux Etats-Unis
07:41où le mouvement a fait tâche d'huile,
07:45et maintenant il y a à peu près une centaine, j'ai vu tout récemment,
07:48de campements similaires à travers le monde maintenant,
07:50évidemment en France aussi.
07:52Ce qui est en train de se passer, c'est une sorte d'alliance, de convenance
07:55entre l'usage politique, instrumental de l'antisémitisme
08:02comme quelque chose pour délégitimiser toute critique
08:08de l'action de l'Etat israélien qui existe depuis longtemps.
08:11La spécificité actuelle, c'est que certains politiques,
08:13notamment à droite et les républicains aux Etats-Unis,
08:16ont décidé de faire cause commune avec cet usage instrumental
08:20pour des fins politiques immédiates,
08:22pour déstabiliser les universités
08:24et au final les rompre.
08:26Parce que ce qui est en jeu là maintenant, actuellement,
08:28c'est la survie des universités comme lieu de critique,
08:31comme lieu de pensée libre aux Etats-Unis.
08:33Ces étudiants pro-palestiniens soutiennent-ils le Hamas ?
08:38Parmi leurs revendications, ils appellent à la paix,
08:41vous le disiez Thomas Dodeman,
08:43mais appellent-ils par exemple à la libération des otages israéliens ?
08:48Il faudrait leur demander, je ne sais pas exactement ce qu'ils demandent,
08:53je pense qu'il y en a plusieurs qui demandent toutes sortes de choses.
08:56Leurs revendications immédiates sont un cessez-le-feu,
09:00un arrêt des hostilités.
09:02Et encore une fois, je tiens à...
09:05Et donc du coup, par défaut aussi, à la libération des otages,
09:08parce qu'elle ne peut advenir que s'il y a un cessez-le-feu.
09:13Je tiens à signaler que leur mouvement
09:17vient d'un sentiment de désespoir,
09:20de désespoir envers les politiques,
09:22envers le fait que personne aujourd'hui
09:25ne relève la cause du peuple palestinien.
09:29Ils sont les seuls, quasiment les seuls...
09:32Il y a des membres du parti démocrate qui sont particulièrement investis.
09:37Les Etats-Unis financent cette guerre.
09:41Les étudiants ne supportent pas que leurs sous,
09:45leurs impôts financent une guerre
09:47où, je le rappelle, un enfant meurt entre toutes les 10 et 15 minutes.
09:51J'oublie le chiffre actuel.
09:55Et ils n'en peuvent plus que l'université,
09:58auquel eux versent des fonds,
10:01parce qu'ils payent des frais universitaires pour y être,
10:03finance cette guerre.
10:05Et donc ils demandent à ce que cela cesse.
10:07Thomas Daudemane, sur la question du Hamas,
10:09est-ce qu'il y a un discours de ces étudiants en faveur ou pas du Hamas ?
10:14Non, pas que je sache.
10:16Je tiens à signaler moi-même que je condamne fermement les attaques du 7 octobre,
10:21dont j'ai été choqué.
10:23J'ai été même choqué par le manque de réaction
10:25de nombreux collègues et amis
10:27qui ont été insensibles, on va dire,
10:30à la barbarie de cette attaque.
10:32La plupart des étudiants à qui j'ai parlé, moi,
10:34sont horrifiés par cette attaque
10:37et sont des militants pacifistes, en fait,
10:40qui veulent qu'il y ait une solution pacifique
10:43à la situation au Moyen-Orient.
10:45Il y a sur les réseaux sociaux,
10:48mais aussi dans The Economist,
10:50le Financial Times,
10:52ou bien le New York Times,
10:54un certain nombre de questions
10:56qui ont surgi au sujet des mobilisations à Columbia,
10:58notamment une bannière Intifada,
11:01l'Intifada étant un mouvement
11:04qui n'est pas un mouvement pacifique.
11:06L'avez-vous vue, cette banderole ?
11:08Qu'est-ce qu'elle signifie dans ce contexte-là ?
11:11Moi, je n'ai pas vu cette banderole,
11:13je n'ai pas été présent tout le temps.
11:15Le Financial Times l'a vue.
11:17Je l'ai vue, sans doute qu'elle y est.
11:19Et encore une fois, je ne nie pas
11:21qu'il puisse y avoir des membres
11:23qui tiennent des propos douteux
11:26ou extrêmes,
11:28qui moi-même me révoltent.
11:30J'ai eu moyen de discuter avec nombreux étudiants,
11:32y compris des étudiants que j'ai eus en cours,
11:34que je vais avoir en cours
11:36si l'université ne les suspend pas
11:38et ne les exclut pas.
11:40Nous ne sommes pas d'accord sur tout.
11:42C'est ce qu'est une université.
11:44On discute entre nous, on débat
11:46et on essaye de trouver des points communs
11:48pour progresser.
11:50Ce que je voudrais vous dire aussi,
11:52c'est que les banderoles que j'ai vues,
11:54il y en a une en particulier à laquelle je tiens beaucoup,
11:56c'était sur une des tentes dans le campement
11:58qui était vraiment une sorte de micro-société,
12:00d'université populaire
12:02qui s'est créée pendant deux semaines
12:04avec une organisation, un service d'ordre,
12:06un service de partage extraordinaire,
12:08vraiment très très beau à voir.
12:10Il y avait une tente où il y avait écrit dessus
12:12« Juifs éthiopiens
12:14pour la cause palestinienne,
12:16tout le monde est bienvenu ».
12:18Et moi, c'est ça l'esprit de ce mouvement
12:20auquel je tiens. C'est un mouvement
12:22pacifique dans la très grande majorité
12:24et il le serait resté
12:26si seulement l'administration
12:28les avait écoutés,
12:30avait été à leur rencontre et n'avait pas appelé
12:32la police sur le campus. Je rappelle,
12:34c'est la première fois depuis 1968
12:36que la police intervient sur le campus
12:38de Columbia. Ce sont des choses qui se passent
12:40peut-être ici de façon un peu plus récurrente
12:42mais aux Etats-Unis, on ne fait pas ça
12:44parce qu'on sait que quand on fait ça, il y a
12:46le risque de violence, il y a le risque
12:48de danger. Les seules violences qu'il y a eues sur le
12:50campus de Columbia depuis octobre,
12:52c'est quand il y a la police ou alors
12:54des politiques républicains qui ont été
12:56laissés entrer sur le
12:58campus.
13:00On va voir comment ça se passe en France.
13:02Dans quelques instants, Thomas Donneman,
13:04je rappelle que vous êtes historien, vous avez publié
13:06notamment un livre sur
13:08la nostalgie aux éditions du Seuil. Vous serez
13:10rejoint par un étudiant de Sciences Po
13:12qui est membre du comité Palestine
13:14et puis un chercheur
13:16aux séries à Sciences Po, Laurent
13:18Gaillet. 7h56
13:20sur France Culture.
13:28Et l'on retrouve notre
13:30invité, l'historien Thomas Donneman.
13:32Il enseigne à l'université de
13:34Columbia à New York,
13:36qui est l'épicentre d'un mouvement
13:38en faveur des Palestiniens
13:40et en faveur de la cause de Gaza.
13:42Un mouvement qui a essaimé aux Etats-Unis mais qui est également
13:44présent en France,
13:46notamment dans les instituts
13:48d'études politiques et particulièrement
13:50dans celui de Sciences Po Paris.
13:52C'est la raison pour laquelle j'ai convié
13:54Laurent Gaillet, chercheur aux séries
13:56Sciences Po. Bonjour.
13:58Et à côté de vous,
14:00Hicham, c'est ainsi que vous avez demandé
14:02qu'on vous appelle. Hicham, vous êtes
14:04étudiant à Sciences Po, membre du comité
14:06Palestine. Pouvez-vous nous dire, Hicham,
14:08qu'est-ce que vous réclamez au travers de
14:10cette mobilisation ? Bonjour.
14:12Oui. Alors, il y a plusieurs choses
14:14qu'on revendique. Je pense la première,
14:16c'est l'égalité des droits pour
14:18tous les Palestiniens, que ce soit à Gaza et en fait
14:20dans le reste de la Palestine. Et
14:22ce qu'on parle surtout, c'est en fait la responsabilité
14:24universitaire, en fait, par rapport
14:26à ces droits-là.
14:28Qu'est-ce qu'on peut faire en tant qu'universitaire quand on sait
14:30qu'il n'y a plus d'universités à Gaza ?
14:32Quand on sait que plus de 70% des bâtiments
14:34sont détruits à Gaza ? Quand on sait que des
14:36professeurs palestiniens en Israël se font
14:38emprisonner pour dénoncer les actions
14:40d'Israël à Gaza ? Et nous, ce qu'on demande, c'est la coopération
14:42de nos universités pour une solidarité internationale
14:44avec les universités en Palestine
14:46et pas que. Est-ce qu'il y a
14:48là aussi,
14:50par rapport à ce qui se passe
14:52à Gaza, un discours
14:54sur le Hamas ?
14:56Hicham, est-ce que vous considérez
14:58ce mouvement comme légitime,
15:00comme un mouvement de résistance ? Quel est votre point de vue
15:02à cet égard ? Alors en fait, nous, ça a toujours
15:04été très clair au sein du comité, mais au sein de
15:06toutes les organisations à Sciences Po, c'est de
15:08s'attacher au droit international.
15:10Donc on peut dire, évidemment, sans trembler, que le 7 octobre
15:12sont des exactions du droit international monstre
15:14qu'on est encore en train de qualifier
15:16s'il s'agit de crime contre l'humanité.
15:18Et en utilisant le droit international
15:20comme boussole, c'est ça qui est extrêmement simple
15:22d'avoir un discours qui, justement, est nuancé,
15:24qui, justement, est complexe et qui, justement,
15:26nous permet d'appréhender l'histoire
15:28palestinienne et israélienne dans
15:30sa totalité. Donc voilà, bien sûr,
15:32que ces discours existent là, et c'est justement parce qu'on
15:34l'apprend à Sciences Po.
15:36Est-ce que, justement, parmi les
15:38différentes choses enseignées
15:40à Sciences Po, est-ce que le mot
15:42« sioniste » est un mot
15:44qui, pour vous, est un anathème ?
15:46Est-ce que l'on traite
15:48les étudiants de sionistes
15:50entendu comme un mot éminemment péjoratif ?
15:52Ou est-ce que c'est une opinion
15:54et des opinions, eh bien, on peut
15:56discuter en démocratie, Hicham ?
15:58Alors, effectivement, le mot sionisme,
16:00il est utilisé, puisque, justement, encore une fois,
16:02à Sciences Po, on parle de ces mots-là,
16:04on les débat, on les discute.
16:06Quand on parle d'idéologie,
16:08quand on essaie de comprendre ces idéologies-là,
16:10les projets qui existent, en fait,
16:12nous, on remonte souvent à l'histoire.
16:14L'histoire et de la déclaration
16:16de Balfour, et de toutes ces
16:18théories sionistes. On étudie Herzl,
16:20on étudie, voilà, tout ce qui a été dit, et tous ces
16:22projets qui existent depuis très longtemps,
16:24et dans le mandat anglais, et dans
16:26la Palestine qui existe aujourd'hui. Donc,
16:28le mot sioniste qu'on utilise, c'est souvent pour
16:30citer des Palestiniens eux-mêmes
16:32qui emploient ces mots-là, pour qualifier
16:34le régime d'Israël de sionistes.
16:36Après, on s'amuse peu, quand même,
16:38à décrire des gens comme sionistes, ou comme
16:40on s'amuse peu à décrire des gens comme
16:42n'importe quelle identité avec un seul mot, en fait.
16:44Mais alors, ce que je veux dire,
16:46est-ce que, par exemple, l'anti-sionisme,
16:48c'est la volonté,
16:50donc, de nier le droit à l'existence
16:52d'Israël, de nier l'existence
16:54même d'Israël, Hicham ?
16:56Non, non, du tout. C'est de
16:58critiquer,
17:00je l'entends, ce projet
17:02du coup, qui existe, et
17:04depuis avant 1947
17:06même, et qui a
17:08nié l'existence
17:10palestinienne, qui a nié les
17:12négociations avec les Palestiniens sur
17:14la terre où ils vivaient, avec des Juifs et
17:16des Chrétiens, avant le mandat
17:18britannique et avant la création de l'état d'Israël.
17:20Donc, c'est plutôt de ça. Mais, pour être
17:22tout à fait honnête, on parle peut-être
17:24un peu moins dans nos actions de ce mot
17:26sionisme et de l'existence
17:28du mot Israël. On parle plus, en fait, encore une fois
17:30du respect du droit international
17:32et à Gaza et dans les territoires occupés
17:34et à Jérusalem.
17:36Si je vous pose la question, vous l'avez compris
17:38Hicham, c'est pour tenter de comprendre
17:40si votre
17:42souhait, le vous et collectif,
17:44en l'occurrence, vous voulez
17:46un état qui rassemblerait
17:48je ne sais trop comment, mais
17:50c'est à vous de me le dire,
17:52des Juifs et des
17:54Palestiniens, au contraire
17:56bannir les Juifs de cette région
17:58ou bien encore
18:00avoir deux états avec
18:02des frontières qui seraient
18:04respectées
18:06de part et d'autre avec
18:08un cadre fourni par l'ONU, par
18:10exemple. Alors, nous, on est étudiants
18:12en sciences politiques, on est étudiants en
18:14droit, donc je pense que ce serait
18:16moins à nous qu'aux Palestiniens
18:18et aux Israéliens eux-mêmes de définir une solution
18:20ensemble, main dans la main.
18:22Quand on parle de ce qui est
18:24revendiqué, c'est l'égalité des droits entre
18:26tout le monde. Comme
18:28certains disent, du Jourdain à la mer, en fait,
18:30pour tout le monde, ces droits-là. La solution
18:32politique, elle sera décidée plus tard par
18:34des décideurs politiques. Nous, là où c'est
18:36important, c'est de pointer du doigt
18:38la totale impunité de l'état d'Israël
18:40parce qu'est-ce qu'ils sont en train de faire et à Gaza
18:42et dans les territoires occupés. Et alors, parmi
18:44les choses qui, évidemment, font polémique,
18:46il y a ce fameux slogan
18:48de la rivière
18:50à la mer. Est-ce que vous l'utilisez ?
18:52Qu'est-ce qu'il signifie ? Est-ce qu'il signifie
18:54que les Juifs doivent être mis à la mer
18:56voire au pire ?
18:58Hicham ? Non, non, non, du
19:00tout. Je pense que ça fait quand même bien longtemps que tout ça
19:02ça a été débunké. Je pense que ça fait longtemps
19:04qu'on sait que ces slogans ont été utilisés
19:06dans les années 60 en Israël, ont été utilisés
19:08un peu partout dans le pays
19:10et dans le monde. Et je pense que c'est bien ça
19:12qui se passe et c'est ça qu'on dénonce aussi.
19:14C'est cette sorte de
19:16présomption d'innocence qui n'est pas respectée
19:18c'est cette sorte de...
19:20essayer de pointer du doigt certains slogans, certaines choses
19:22qui sont dites quelques jours après
19:24les actions qu'on organise. Moi, j'aimerais
19:26pointer quand même du doigt la créativité
19:28dont on fait preuve quand même dans nos actions politiques
19:30la stratégie qu'on emploie pour essayer
19:32d'obtenir quelque chose de notre école
19:34qui a été silencieuse depuis le début du coup
19:36Sciences Po. Mais c'est le cas pour plein d'autres universités
19:38en France. Et voilà.
19:40Donc on continue dans la créativité
19:42et dans le respect de tout ça à l'université.
19:44Laurent Gaillet, vous êtes enseignant à Sciences Po
19:46alors il y a eu toute une série de noms
19:48d'oiseaux au sujet de Sciences Po
19:50des revoquistes, avec
19:52beaucoup de
19:54commentaires de la part
19:56de Gilles Figaro sous les yeux par exemple.
19:58Il y a eu énormément de commentaires
20:00peu à même sur
20:02votre établissement dans
20:04ce quotidien. Comment vous avez
20:06vécu ces jours-ci ? Qu'est-ce que vous en pensez ?
20:08Oui, bonjour. Alors moi
20:10j'enseigne à Sciences Po depuis une vingtaine
20:12d'années. J'y ai fait mes études.
20:14J'y ai fait mes études au milieu des années 90
20:16et je voudrais juste rappeler un événement.
20:18En 1995, les étudiants
20:20de Sciences Po ont voté la grève générale.
20:22Ils ont rebaptisé, puisqu'il y avait un projet
20:24du directeur de Sciences Po de l'époque
20:26Alain Lancelot, de couper les
20:28bourses des étudiants
20:30boursiers. Du coup les étudiants s'étaient
20:32rassemblés dans le fameux amphibootmeet
20:34symbolique à Sciences Po.
20:36Ils avaient rebaptisé l'amphibootmeet
20:38Farinelli en référence au fameux
20:40Castra, parce que précisément on leur avait coupé
20:42les bourses. Et je rappelle cette action
20:44parce qu'elle montre
20:46comment depuis les années 90, au cours des
20:48dernières décennies, les formes d'action,
20:50de mobilisation, d'occupation,
20:52de grève, de transgression font partie
20:54intégrante
20:56de la vie ordinaire, de la vie
20:58universitaire ordinaire à Sciences Po.
21:00Ce qu'on voit, et on a plutôt une forme
21:02de décru, de l'intensité de ces mobilisations.
21:04Il n'y a pas eu de nouvelle grève, justement, similaire
21:06à celle de 1995,
21:08dans les années suivantes. Et donc les
21:10mobilisations auxquelles on a assisté ces
21:12derniers temps, ne rompent pas
21:14avec cette ordinaire de la vie
21:16étudiante. Par ailleurs, il est important
21:18de souligner qu'elle se déroule dans le calme,
21:20qu'il n'y a aucune atteinte aux biens
21:22aux personnes, et pour une grande partie,
21:24je ne parle pas au nom de toute la communauté universitaire
21:26de Sciences Po, mais pour une grande partie d'entre nous,
21:28elle s'inscrive dans un fonctionnement normal
21:30et sain de l'institution.
21:32Alors, par rapport à cela,
21:34un enseignant à Sciences Po,
21:36qui enseigne depuis
21:38aussi longtemps que vous, Laurent Gaillet,
21:40signale
21:42que lui ne vit pas cette période
21:44comme vous la vivez.
21:46Une pétition, je l'ai sous les yeux, vous l'avez aussi,
21:48on la mettra sur le site, pétition à
21:50Partisanes pour la liberté d'étudier et de débattre
21:52au sein de Sciences Po, qui a aujourd'hui
21:54897
21:56signatures,
21:58signale qu'un certain nombre d'étudiants
22:00juifs, mais aussi non-juifs,
22:02se sentent extrêmement mal à l'aise,
22:04attaqués. Alors, on ne voit
22:06pas nécessairement d'insultes
22:08antisémites, à proprement dit,
22:10en revanche, le mot « sioniste », qui est utilisé
22:12non seulement comme une insulte, mais comme une sorte
22:14de périphrase pour ne pas
22:16dire le mot « juif »,
22:18et puis un climat qui est considéré
22:20comme étant un climat de peur.
22:22Laurent Gaillet, qu'est-ce que vous en pensez ?
22:24Je découvre cette pétition,
22:26donc il est difficile. Par ailleurs, je n'ai pas
22:28les signataires de cette pétition.
22:30L'enseignant
22:32qui me l'envoie à tous ces
22:34quartiers de noblesse
22:36universitaire, pour employer
22:38les termes de Bourdieu. Oui, mais ça
22:40n'empêche pas que certains de
22:42ces quartiers de noblesse universitaire n'empêchent pas
22:44des positions partisanes.
22:46Ce n'est pas moins que les vôtres.
22:48Certes, absolument, mais en l'occurrence,
22:50il est difficile de relier
22:52justement des prises de position sur
22:54les questions universitaires sans avoir les listes des signataires.
22:56Mais peu importe.
22:58Sur le fond,
23:00je ne constate absolument aucune
23:02tension.
23:04Comme je le disais, je ne parle pas au nom
23:06de toute la communauté universitaire de Sciences Po.
23:08J'enseigne essentiellement au niveau du master,
23:10dans l'école de la recherche, au niveau de l'école internationale.
23:12L'école internationale
23:14est intéressante à cet égard
23:16parce qu'elle est très diverse.
23:18Il y a des étudiants juifs. J'ai entendu,
23:20j'ai organisé des débats. J'ai entendu
23:22des étudiants juifs prendre position
23:24pour dénoncer l'instrumentalisation
23:26de l'antisémitisme.
23:28Donc, pour ma part, mais là encore,
23:30je ne vois qu'une partie, peut-être,
23:32de la situation.
23:34Moi, je n'ai jamais constaté de tension. Le débat reste
23:36ouvert et les étudiants
23:38sont très respectueux des positions
23:40des uns et des autres. Et par ailleurs,
23:42sur ces mobilisations, ce que suggère cette pétition,
23:44que les dernières manifestations
23:46organisées au sein de l'établissement empêchent
23:48le bon déroulement des cours,
23:50je pense qu'il faut relativiser ça. Comme je le suggérais,
23:52des blocages, des occupations,
23:54ça fait partie du fonctionnement ordinaire
23:56de la vie universitaire. À Sciences Po,
23:58un peu plus qu'ailleurs, peut-être.
24:00Et par ailleurs, on ne perd pas d'heures de cours.
24:02On reporte quelques heures de cours
24:04chaque année. Je ne crois pas que ça perturbe
24:06fondamentalement le fonctionnement de l'institution.
24:08Hicham, comment réagissez-vous
24:10à ce propos ?
24:12Est-ce que vous reconnaissez
24:14que certains étudiants, juifs ou non-juifs,
24:16d'ailleurs, se sentent mal à l'aise
24:18aujourd'hui à Sciences Po,
24:20voire aient peur de venir
24:22en cours ou d'exprimer
24:24leurs opinions ?
24:26Bien sûr, c'est totalement entendable.
24:28Je pense qu'il y a quelque chose qui, pour nous tous,
24:30ayant étudié tout un tas de choses,
24:32on comprend qu'est-ce que c'est
24:34le mal-être de ne pas se sentir à l'aise,
24:36de ne pas se sentir représenté, de se sentir pointé du doigt.
24:38Nous, en militant
24:40à côté de Palestiniens, on comprend très bien,
24:42parce qu'eux-mêmes nous le disent, que lorsque
24:44les attaques du 7 octobre sont arrivées
24:46et que l'offensive sur Gaza a commencé,
24:48les Palestiniens de Sciences Po n'ont pas reçu
24:50de mails de soutien de la part de l'administration,
24:52là où les étudiants israéliens le ressentit.
24:54Cette exclusion, on la comprend.
24:56Pour ce qui est de la pétition,
24:58je la trouve totalement regrettable.
25:00On nous accuse constamment de ne pas
25:02rentrer dans la complexité.
25:04On demande dans la pétition
25:06comment est-ce qu'on peut dire ce qui est juste ou non.
25:08La réponse est très simple, c'est le droit.
25:10On peut savoir ce qui est juste et ce qui n'est pas juste.
25:12En parlant du droit, on nous impose des choses
25:14qui ne sont pas vraiment vraies.
25:16On parle de couper les cours aux gens,
25:18alors qu'on a bloqué l'entrée à un seul bâtiment,
25:20là où il y a un autre bâtiment qui a coûté des millions d'euros
25:22à Sciences Po, qui était toujours ouvert.
25:24C'est en réalité très facile de reporter des cours.
25:26En plus, c'était la dernière semaine de cours où on a bloqué.
25:28En fait, on nous reproche des choses
25:30et je pense que les gens ne comprennent pas bien que cette mobilisation
25:32est spécifique. C'est qu'elle rassemble
25:34une population qui est très diverse, qui n'a jamais
25:36vraiment été vue auparavant
25:38dans le monde militant,
25:40et qui a des demandes très claires, très précises,
25:42sur le droit, et je pense que ça les choque un peu.
25:44Ce qui est toujours compliqué
25:46dans cette question israélo-palestinienne,
25:48c'est qu'on y va toujours au trébuchet.
25:50On va dire que ces étudiants
25:52pro-palestiniens réclament
25:54la paix, mais ne réclament pas
25:56explicitement la libération des otages.
25:58Hicham, qu'est-ce que vous en pensez ?
26:00C'est totalement faux.
26:02Dans le sens où réclamer les otages,
26:04c'est quelque chose qui va
26:06évidemment main dans la main
26:08avec un cessez-le-feu.
26:10C'est quelque chose qui va main dans la main avec la libération
26:12des prisonniers palestiniens également.
26:14Encore une fois, quand on demande la liberté,
26:16c'est aussi la libération.
26:18Ça vient du même mot.
26:20Ce qui est important aussi, c'est qu'on sait bien
26:22qu'on demande tous le retour des otages,
26:24on demande tous un cessez-le-feu.
26:26Et nous, la voix qu'on essaie d'apporter, c'est celle qui n'est pas entendue.
26:28Elle se fait entendre parce qu'on le demande à nous-mêmes,
26:30mais celle qui n'est pas entendue,
26:32c'est réellement un cessez-le-feu et la fin
26:34du risque potentiel de génocide.
26:36Thomas Dunman, vous qui êtes enseignant à Columbia,
26:38vous avez entendu des débats à New York.
26:40Tout à fait.
26:42Je rejoins Hicham et Laurent Gaillet sur les propos tenus.
26:44C'est une question tout simplement
26:46de faire entendre une voix.
26:48Une voix qui n'est pas entendue,
26:50une cause qui n'est pas entendue,
26:52qui n'a pas de recours dans les milieux politiques.
26:54C'est étrange que vous disiez ça.
26:56La question palestinienne est une question
26:58qui est au cœur de l'actualité.
27:00Je suis journaliste.
27:02C'est probablement l'une des causes
27:04les plus médiatisées.
27:06Sans doute.
27:08Mais vous savez que 75% des journalistes
27:10qui sont morts depuis un an sont morts à Gaza.
27:12À Gaza, il n'y a plus d'université.
27:14À Gaza, 625 000 enfants
27:16ne vont plus à l'école.
27:18Bien sûr, je sais tout ça.
27:20Il y a des informations.
27:22C'est là ce que l'on dit tous les jours.
27:24Oui, mais personne n'agit dessus.
27:26Les étudiants, en fait,
27:28sont en train de prendre en leurs mains
27:30le manque d'action
27:32des pouvoirs politiques.
27:34Avec des moyens, encore une fois, pacifiques.
27:36Avec une créativité.
27:38Avec une diversité de profils.
27:40Qui, justement, fait peur.
27:42Parce qu'elle promet quelque chose
27:44de nouveau. Quelque chose qui remet en question
27:46la façon dont les choses se font actuellement.
27:48Thomas Dönemann, vous êtes
27:50historien. Vous connaissez la complexité du monde.
27:52Et il y a, hélas,
27:54des martyrs dans de nombreux lieux de la planète.
27:56Il y en a
27:58au Congo, actuellement.
28:00Au Sud Kivu. Enfin, je ne vais pas
28:02faire la liste, parce que ce serait absurde
28:04et scabreux. Ce qui est étonnant,
28:06au contraire, moi, c'est plutôt
28:08la focalisation, pas sur
28:10ces manifestations pro-palestiniennes, mais sur le fait
28:12qu'il y a, et c'est
28:14les médias qu'on pourrait incriminer
28:16là-dessus, une sorte de focalisation
28:18sur la question israélo-palestinienne.
28:20Alors que d'autres guerres
28:22sont impossibles à faire
28:24entendre. On le fait, à France Culture,
28:26dans les enjeux internationaux, mais c'est
28:28terriblement dur. C'est beaucoup plus dur de parler
28:30du Togo que de parler
28:32de la Palestine. Bien sûr, mais
28:34si vous lisez le manifeste
28:36de la position, par exemple,
28:38de l'association qui réunit
28:40toutes les associations étudiantes à
28:42Colombien, une cinquantaine d'associations
28:44qui actuellement manifestent,
28:46enfin, maintenant, elles ne peuvent plus parce que la police
28:48quadrille le campus,
28:50mais elles réclament la fin
28:52de guerres à travers le monde.
28:54Leur position, évidemment, on peut dire que
28:56cela est un peu naïf, évidemment,
28:58mais il y a une urgence
29:00actuellement, de leur point de vue maintenant,
29:02sur la question palestinienne, mais ils ne vont
29:04pas s'arrêter là. Ils demandent à ce que
29:06l'Université de Columbia se désinvestisse
29:08de toute entreprise qui profite,
29:10qui spécule sur la violence
29:12partout à travers le monde.
29:14Même question, Hicham,
29:16pourquoi, par exemple, cette
29:18mobilisation, aujourd'hui,
29:20elle n'a pas eu lieu, je ne sais pas, il y a six
29:22mois, pour les Rohingyas, enfin, bref,
29:24tous ces lieux que vous connaissez aussi
29:26bien que moi, où il y a des êtres humains
29:28qui souffrent. Alors, en fait, il y a plusieurs
29:30choses. La première, c'est que, justement,
29:32je vous rejoins, on lit toutes ces choses-là.
29:34Et je pense que c'est pour ça, justement,
29:36que les
29:38gouvernements ont peur, en fait, que nous, on met
29:40à l'ordre du jour le respect du droit
29:42international en Palestine. Ce qui est en train de se
29:44passer, c'est quand même, voilà, beaucoup d'organisations,
29:46comme les 500 frontières, parlent
29:48d'une des plus grosses catastrophes de maintenant.
29:50En revanche, en même temps, on n'achète pas
29:52de nouvel appareil téléphonique par rapport
29:54à l'exploitation de cobalt au
29:56Congo. Enfin, c'est des choses qui nous animent
29:58tous. Et, en fait, on était, justement, dans
30:00la rue pour crier « Femme, vie, liberté ».
30:02On était dans la rue pour toute autre
30:04lutte qui se passe pas qu'en France, mais
30:06outre France. — Alors, puisque vous parlez de « Femme,
30:08vie, liberté », quand, par exemple,
30:10Khamenei est dirigeant
30:12iranien, triste dirigeant,
30:14apporte son soutien
30:16à ce mouvement estudiantin, qu'est-ce que
30:18ça suscite en vous ?
30:20— Alors, moi, j'ai rien à répondre à
30:22Khamenei, pour
30:24être honnête. Je pense que
30:26le mouvement étudiant, il existe sans
30:28Khamenei, il existe sans
30:30ces soutiens-là. Et, enfin, voilà, moi,
30:32j'ai trouvé ça quand même assez drôle qu'on
30:34demande « Qu'est-ce qu'on pense de
30:36quelqu'un à l'étranger
30:38qui soutient un mouvement totalement
30:40juste et pour la paix ? » Et pour
30:42répondre peut-être à la question. — Non, mais comme l'antisémitisme est considéré
30:44comme étant instrumentalisé, est-ce que
30:46on ne peut pas considérer
30:48aussi que Khamenei vous
30:50instrumentalise en faisant un tweet ?
30:52— Oui, bien sûr, sûrement. Mais ce n'est pas à nous de
30:54le justifier. En fait, nous, notre lutte, elle
30:56existe. — Non, c'est pas de le justifier, c'est de le dénoncer.
30:58— Oui, oui, c'est totalement
31:00possible de dénoncer cette instrumentalisation-là.
31:02Et on le fait d'ailleurs. Quand il y a eu
31:04la condamnation à mort
31:06de ce rappeur en Iran,
31:08on était évidemment tous attristés.
31:10Et on dénonce ça. On n'a jamais été
31:12en train de soutenir des régimes
31:14qui massacrent nos sœurs en Iran.
31:16Ça n'a jamais été quelque chose.
31:18Mais justement, pour revenir sur cette question de pourquoi
31:20ça nous anime tant, je pense qu'il y a vraiment quelque chose
31:22qui se joue aujourd'hui. Effectivement, il y a
31:24une attention médiatique sur la Palestine.
31:26Si le droit n'est pas respecté, si rien ne
31:28fait, et que les institutions
31:30internationales sont impuissantes face à ce qui se passe
31:32en Palestine, c'est la fin pour
31:34le droit international partout. Ça sera la fin du droit
31:36au Soudan. Ça sera la fin du droit
31:38pour ce qui se passe en Haïti.
31:40— Voilà. C'est ça qui vous inquiète.
31:42Laurent Gaillet, une réaction ?
31:44— Non, je pense que ce qui est frappant
31:46c'est la mobilisation récente des étudiants pour y revenir.
31:48Moi, je la trouve admirable.
31:50C'est-à-dire je la trouve admirable par rapport
31:52au code de la vie démocratique,
31:54au code de la vie citoyenne.
31:56Et en tant qu'enseignant à Sciences Po,
31:58je suis fier de ce que
32:00dit Hicham, c'est-à-dire la manière dont ils
32:02appliquent nos enseignements,
32:04cet esprit critique, cet esprit rationnel,
32:06ce rapport au droit, ce rappel
32:08à nos responsabilités. Je crois qu'ils s'inscrivent
32:10dans une longue et noble histoire
32:12de mobilisation étudiante.
32:14— Justement, pour rejoindre Laurent Gaillet là-dessus,
32:16on pourrait faire le même raisonnement
32:18par rapport à 68 et la cause du Vietnam.
32:20Pourquoi juste se mobiliser
32:22autour du Vietnam ? Il y avait plein d'autres guerres aussi.
32:24Souvent, il faut
32:26un événement comme ça, une situation
32:28qui catalyse après un mouvement beaucoup plus vaste
32:30et qui repense
32:32la transformation d'une société, etc.
32:34— Justement, je pense que
32:36le parallèle avec le Vietnam
32:38est inexact, ne serait-ce que
32:40parce que
32:42ce phénomène
32:44auquel on a assisté
32:46avec le Vietnam était
32:48de toute évidence
32:50une guerre qui est asymétrique
32:52comme en Israël, c'est ce que l'on pourrait
32:54dire, mais... — De colonisation.
32:56— Mais la guerre du Vietnam
32:58n'a pas débuté avec un 7 octobre.
33:00La guerre du Vietnam
33:02n'avait pas d'otages
33:04vietmines. Alors ensuite, je ne veux pas
33:06poursuivre le parallèle parce qu'il serait
33:08absurde. Mais
33:10vous voyez bien ce que je veux dire.
33:12— Bien sûr, ce n'est pas tout à fait le même conflit,
33:14mais la guerre,
33:16le conflit palestinien ne commence pas le 7 octobre
33:18non plus.
33:20— Vous avez bien sûr raison.
33:22Mais les otages sont
33:24emprisonnés depuis le 7 octobre.
33:26— Bien sûr, et on appelle encore une fois à la libération
33:28de ces otages. Il n'est pas question,
33:30évidemment, de nier
33:32cela. Mais il faut remettre
33:34tout ça dans un contexte qui remonte, évidemment,
33:36à la Nakba et à 1949, etc.
33:38Le parallèle
33:40est un peu traître, peut-être, mais
33:42il est important pour les étudiants, pour comprendre
33:44la mobilisation des étudiants.
33:46Il y a une situation
33:48qui les bouleverse. Face
33:50à l'insensibilité du monde, ils
33:52prennent la situation en main et ils
33:54agissent en conséquence. — Hicham,
33:56par rapport à ce qui se passe
33:58en Israël dans les universités,
34:00puisqu'il y a aussi des étudiants
34:02en Israël,
34:04effectivement, les universités
34:06sont fermées ou dans un triste
34:08état à Gaza. Est-ce que
34:10vous avez la possibilité
34:12de discuter avec des étudiants
34:14israéliens, avec des profs israéliens ? Est-ce que vous
34:16accepteriez d'avoir
34:18cours avec des profs israéliens
34:20aujourd'hui ? — Totalement, totalement.
34:22Moi, j'ai passé un peu de temps à Harvard
34:24et à NYU dans le cadre d'un projet de recherche
34:26et je parlais avec une professeure
34:28qui est palestinienne et qui est en contact avec des professeurs
34:30palestiniens en Israël,
34:32qui parlent justement de la militarisation des étudiants,
34:34par exemple, en Israël, et les professeurs
34:36palestiniens, les étudiants palestiniens
34:38sont effrayés, en fait, de voir
34:40cette militarisation-là. Évidemment qu'on a envie
34:42d'en parler. Il y a d'ailleurs des chercheurs israéliens
34:44comme Ilan Papey, qui a beaucoup travaillé sur
34:46la Nakba, qui parlent de ces suspensions
34:48académiques, de ce boycott académique qui est nécessaire
34:50et qui est peut-être l'arme... — Vous, vous êtes en faveur d'un boycott
34:52académique ? — Totalement, en fait. Et encore une fois,
34:54pour reprendre
34:56ces choses qui ont été faites auparavant...
34:58— Vous ne trouvez pas que c'est tout à fait contraire,
35:00justement, à la question de la libre
35:02discussion ? Car
35:04s'il y a quelque chose qui va à l'encontre
35:06du boycott, pardon,
35:08de la liberté d'expression, c'est le fait
35:10de boycotter, de faire un embargo.
35:12On connaît une multitude
35:14d'enseignants israéliens.
35:16Ce n'est pas un peu...
35:18— Alors, pour clarifier, la première
35:20chose, c'est que l'embargo, c'est un
35:22devoir, déjà, dans une situation où il y a un risque
35:24plausible de génocide déclaré par la Cour internationale
35:26de justice. La deuxième, c'est qu'on ne demande
35:28pas la fin des partenariats avec des
35:30sports, mais avec des institutions. Ça, c'est extrêmement
35:32important. Couper des partenariats académiques,
35:34c'est couper un partenariat entre une institution et une autre
35:36institution qui, du coup, est
35:38complice de violation du
35:40droit international. On ne demande pas
35:42d'arrêter les échanges avec ni des professeurs, ni des
35:44étudiants israéliens. Ça a été le fait,
35:46en fait, quand la Russie a agressé l'Ukraine en 2022.
35:48Les partenariats ont cessé, mais les
35:50étudiants russes pouvaient continuer
35:52de postuler à des masters ou des licences en France.
35:54Ça n'a jamais été le cas. En revanche, ces institutions-là,
35:56quand on voit des professeurs
35:58qui sont emprisonnés pour dénoncer un cessez-le-feu
36:00dans les universités israéliennes,
36:02quand on voit la complicité des entreprises qui existent
36:04au sein des campus, qui créent des drones
36:06avec Elbit Systems, notamment, quand on voit
36:08des parties du campus qui sont utilisées comme
36:10bases militaires, c'est des choses qu'il faut cesser
36:12immédiatement. Mais le
36:14type de société, je parle
36:16de la société israélienne, est quand même beaucoup plus proche
36:18de votre mode de vie que le
36:20type de société prônée par
36:22le Hamas et que l'on
36:24voit en Palestine, Hicham. Mais la société
36:26palestinienne n'est pas le Hamas.
36:28Nous, on parle justement à des gens de la société civile,
36:30et à Gaza et dans les territoires occupés.
36:32Et plein de gens, de peu importe,
36:34moi j'ai rencontré des gens qui étaient haïtiens,
36:36des gens qui étaient pakistanais, et qui sentaient
36:38une proximité immense avec le peuple palestinien.
36:40Gaza est la zone la plus lettrée au monde au mètre carré,
36:42la majorité des étudiants sont des femmes.
36:44Non mais je veux dire, il y a
36:46une proximité immense avec la culture
36:48palestinienne qui nous habite tous. Moi, je suis
36:50algérien marocain, il y a énormément
36:52de choses dans l'histoire palestinienne qui
36:54nous touchent, peu importe qui on est,
36:56et je ne vois pas plus de ressemblance avec la société
36:58israélienne. Et en plus, on ne parle pas de la société
37:00israélienne, on parle d'institutions qui sont
37:02complices, qui ne respectent pas les libertés
37:04académiques, et qui aussi sont complices de violations
37:06du droit international. Laurent Gaillet, ça ne vous choque pas
37:08que l'on demande la fin
37:10d'une collaboration
37:12avec des institutions
37:14israéliennes, puisque j'imagine, je ne connais
37:16pas vos opinions politiques, mais si
37:18l'on considérait que telle ou telle décision
37:20du gouvernement français devait être
37:22rendue comptable à Laurent Gaillet, ça vous rendrait
37:24peut-être... Non, la simple chose,
37:26ça ne vous choque pas ? Je pense que
37:28la discussion a déjà été menée
37:30après l'invasion russe de
37:32l'Ukraine. Sciences Po a suspendu
37:34ses collaborations avec les
37:36universités russes, ça a été un crève-coeur
37:38pour les universitaires, pour mes collègues
37:40impliqués dans ces collaborations,
37:42souvent pendant des années,
37:44mais il y a eu une décision unanime pour suspendre
37:46cette collaboration. Je peux considérer
37:48que l'on perçoive la situation différente
37:50au cadre du conflit israélo-palestinien,
37:52mais je pense qu'au regard de ce qui a été fait
37:54par Sciences Po, par le directeur de l'époque,
37:56Mathias Wischra, en collaboration avec les spécialistes
37:58de la Russie dans notre institution,
38:00le débat est légitime.
38:02Merci d'avoir participé
38:04à ce dialogue.
38:06Thomas Daudemann, je rappelle que vous êtes
38:08historien, maître de conférences à l'université
38:10de Columbia, Laurent Gaillet,
38:12chercheur au CERI Sciences Po, merci
38:14Hicham, étudiant à Sciences Po
38:16et membre du comité Palestine.