À la veille du funeste 1er mai, la commémoration des 30 ans de la mort d'Ayrton Senna fait l'actualité avec de multiples publications : nous lui rendons hommage dans une émission spéciale de F1i TV.
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00:00Bienvenue sur F1ITV à l'occasion d'un triste anniversaire, puisqu'il y a 30 ans, à quelques
00:14jours près, que disparaissait Ayrton Senna au Grand Prix de Saint-Marin en 1994.
00:21Alors Ziv, on se souvient tous forcément de ce jour-là, de l'endroit où on était,
00:27un peu comme on se souvenait pour les plus anciens, où ils étaient pour l'assassinat
00:33de Kennedy, ou pour l'homme qui a marché sur la Lune, ou pour les tours du World Trade
00:38Center à New York.
00:39C'est vraiment des événements qui marquent.
00:41Et celui-là, dans notre domaine, dans notre contexte passionnel, évidemment, tout le
00:46monde s'en souvient.
00:47Oui, absolument.
00:48Je me souviens que j'étais chez un copain, connaisseur, avec qui je regardais souvent
00:53les Grands Prix, et on était abasourdis, on était cassés, comme on dit de nos jours.
00:58Je suis rentré à la maison, je ne savais pas à quelle heure il était.
01:02En plus, comme on me considère un peu comme le connaisseur de la F1, tout le monde, mais
01:08enfin tous mes amis, même ceux qui ne s'intéressaient pas à la Formule 1, m'ont appelé pour me
01:13demander quels étaient mes sentiments, pour à la limite me donner des condoléances.
01:19C'était assez spécial, évidemment.
01:23On était abasourdis, parce que Pierre, on se disait, tout le monde n'est pas lui.
01:29Ayrton était tellement devenu légendaire de son vivant et tellement extraordinaire,
01:36il ne faut pas oublier qu'il est décédé alors qu'il était en tête, une fois de
01:39plus, qu'on ne pouvait pas s'imaginer que quelque chose puisse lui arriver.
01:46Et malheureusement, Imola, ce virage étant tellement dangereux.
01:51On l'avait vu par le passé avec des accidents, avec Alboreto, avec Berguer, ils s'en étaient
01:57sortis de manière miraculeuse, mais Senna n'a pas eu cette chance.
02:01C'est vrai que sur ce circuit d'Imola, il y a encore eu une course récemment en WEC,
02:07c'est vrai que c'est une piste à l'ancienne, une piste étroite.
02:09Alors Tamburello en tant que tel, ce n'était pas vraiment un virage, c'était un virage
02:14à fond.
02:15Donc je ne pense pas qu'on puisse vraiment mettre le circuit en cause.
02:21Oui, le fait qu'il y ait un mur puisqu'il y a une rivière derrière, on connaît l'histoire.
02:24De nos jours, on a simplement mis une chicane, une de plus, comme souvent sur les circuits,
02:29pour éviter ce souci-là.
02:31Mais c'est vrai que c'était déjà arrivé, comme tu le rappelles, avec Miquel et Alboreto,
02:35avec Gerhardt, et Gerhardt et Ayrton avaient été constatés que ce mur était impossible
02:43à bouger, et puis ils n'avaient pas pensé à l'époque à faire une chicane.
02:48Alors c'est vrai qu'un des héritages d'Ayrton Senna, c'est quand même que la sécurité
02:54a considérablement évolué après le drame du 1er mai 1994, avec que ce soit les voitures
03:02ou les circuits ou les équipements en général, c'est vrai que ça a considérablement fait
03:07changer, fait bouger les lignes, et même les mentalités.
03:11Alors il y a eu quelques surréactions, on se souvient des chicanes un peu n'importe
03:16où, mais dans l'ensemble, c'est vrai que la fédération a pris les choses en main,
03:21le suivi médical, l'encadrement, et puis bon, la sécurité des voitures, les voitures
03:27sont devenues quasiment incassables, entre guillemets, alors bon, le risque zéro n'existe
03:34pas, on le sait, puisqu'on l'a malheureusement vécu avec Jules Bianchi, ou en Formule 2,
03:40avec le pauvre Antoine Hubert, et puis bon, ça arrive encore, c'est arrivé il n'y a
03:43pas si longtemps, dans des formules de promotion en monoplace, mais ça, c'est, voilà, ça
03:48reste un sport dangereux, le risque zéro n'existe pas, mais tout ce qui peut être
03:53fait pour limiter le danger, il est, je pense, dans l'ensemble, il est vraiment pris en
04:01compte.
04:02Oui, on a été vraiment choqués par ce week-end, déjà, Pierre, parce qu'il y a eu l'accident
04:08mortel de Ratzenberger, puis il y a eu l'accident qui aurait pu être mortel, de Barrichello,
04:14puis Senna, puis il y avait, au départ, JJ Leto, donc un immense accident qui aurait
04:19pu très mal se terminer aussi, et puis, quinze jours plus tard à Monaco, l'accident de
04:25Wendlinger, et là, il fallait faire quelque chose, et maintenant, quand on regarde les
04:30photos d'époque, on voit comme les pilotes étaient exposés, ils avaient le cockpit
04:36au niveau des épaules, des fois, on en parlait avec Thierry Boutsen, ou même, il y a deux
04:41ou trois ans, j'en ai parlé avec Jean-Pierre Jabouille, les jambes étaient exposées,
04:48les têtes étaient exposées, aujourd'hui, on ne peut pas s'imaginer, parce qu'on voit
04:52les cockpits, les pilotes sont bien protégés, le halo, ils ont des coussins partout, et
04:59tant mieux, évidemment, d'un autre côté, bon, c'est vrai que ça enlève un peu le
05:05côté héroïque de l'époque, mais tant mieux, il ne faut pas qu'il y ait de mort
05:09sur les circuits.
05:10Un souvenir que j'ai de ce week-end-là, en particulier, et après, on va avancer dans
05:13l'évocation, c'est cette espèce d'impitoyable loi des séries, tu as parlé de l'accident
05:19de Rubens le vendredi, de l'accident et de la mort, malheureusement, de Roland Ratzenberger
05:25le samedi.
05:26Effectivement, au départ, il y a ce crash Pedro Lamide-Gegeletto, avec des morceaux
05:33partout, avec une roue qui vole dans le public, il y a eu des blessés, puis dans les stands,
05:39il y a eu Michel Alboreto qui a renversé un mécanicien, moi j'étais là, j'ai vécu
05:43ça sur place, et on se disait, mais c'est une malédiction, est-ce que ça va s'arrêter,
05:50on voulait faire arrêter la course, il y a des pilotes qui voulaient faire arrêter
05:54la course, mais bon, Bernie Ecclestone, on le connaît dans ces cas-là où les organisateurs
06:00en général, on n'arrête pas une course si la grande foule est présente, et le problème
06:06c'est que si on prive les gens de spectacles, même si on peut se considérer dans ce cas-ci
06:11que c'est un peu du pain et des jeux, le danger s'amplifie avec les mouvements de
06:17foule éventuels, comme on l'a vu dans des matchs de foot, etc.
06:21Mais bon, bref, pour en revenir à l'héritage d'Ayrton Senna, Ziv, au-delà de la sécurité
06:27dont on a parlé, moi je trouve toujours étonnant que les pilotes actuels, la génération
06:33contemporaine, fassent toujours référence à Senna, et que Senna est toujours une légende,
06:38y compris pour des pilotes qui n'étaient pas nés quand l'accident s'est produit.
06:43On voit Charles Leclerc qui est toujours prêt à rendre hommage à Senna, on a vu d'autres
06:49pilotes comme Pierre Gasly avec un casque en référence à Senna, il y en a eu plein
06:53d'autres.
06:54Il n'y a pas très longtemps, la course d'Imola en WEC, il y avait Charles Lézy,
06:58un jeune pilote français qui court pour Alpine, et qui a eu cette bonne idée de quoi faire
07:03un casque Senna.
07:04Et puis bon, Alain Prost bien sûr, qui était l'alter-ego, qui restait quand même un témoin
07:12de toute cette période.
07:13Et puis voilà, l'après-Senna aussi, Ziv, au Brésil, toi tu connais un peu ça.
07:19Il y a eu Rubens, Barrichello, Filippe Massa, et puis Bruno Senna dans une certaine mesure,
07:27là on a Philippe Edrugovic, mais malheureusement ils n'arrivent pas à trouver, en tout cas
07:32pas à mettre la main forcément sur un champion de la dimension de Senna, mais même une présence
07:37en F1 du Brésil, malheureusement, est absente aujourd'hui.
07:40Oui, c'est assez particulier, parce que le Brésil est un grand pays de la course automobile
07:45et de la Formule 1.
07:46On a eu Emerson Fittipaldi, et puis on a eu tous les grands champions.
07:51Nelson Piquet.
07:52Nelson Piquet, trois champions du monde, et puis Ayrton, et puis après, bon, un peu
07:56moins, bien que Filippe Massa soit passé à côté d'un titre en 2008, c'est un autre
08:02sujet.
08:03Mais Ayrton a laissé vraiment une impression légendaire, déjà de son vivant, il avait
08:09une aura, il avait quelque chose de mystique, on se souvient de ses tours de qualification
08:15à Monaco en 88, en 89, où il était vraiment tellement au-dessus du lot, et même lui disait
08:22qu'il était dans un état second, il avait ce côté aussi religieux, il était assez
08:28particulier.
08:29Quand on lui posait une question, il avait l'émotion à fleur de peau, et alors on doit
08:34pas s'étonner que beaucoup de pilotes, des jeunes, se sont inspirés de lui, en se disant
08:41« moi, je veux être comme Ayrton un jour, et qui porte aujourd'hui des casques aux
08:46couleurs de Sénat ».
08:47C'est vrai qu'il se transcendait, et on se souvient effectivement, comme tu dis, des
08:51tours de calife où il était presque dans un état second, alors la dimension « religieuse
08:57», je pense qu'on a déjà évoqué ça dans le film Sénat et à d'autres occasions.
09:02Oui, il y a un rapport à la religion, mais ça c'est très personnel, et je pense pas
09:06qu'Ayrton se considérait protégé par Dieu d'une manière ou d'une autre, contrairement
09:11à ce qu'Alain a parfois voulu lui laisser entendre, mais bon, ça, ça faisait partie
09:14de la petite guerre psychologique entre eux.
09:17Mais c'est vrai que Sénat avait ce charisme et cette confiance en lui qui irradiait, et
09:26c'était bluffant.
09:27C'était aussi un personnage assez réservé, assez pondéré, en tout cas professionnellement.
09:34Dans la vie privée, c'était quelqu'un de beaucoup plus chaleureux, mais il mettait
09:37vraiment des barrières.
09:38C'était très difficile de s'approcher de Sénat, et ce qu'on peut dire aussi, c'est
09:45qu'il a été au-dessus du lot, parce que c'est vrai que c'est aussi un symbole, la
09:53mort d'un pilote sur un circuit, aujourd'hui c'est devenu une chose quasiment impossible,
09:58mais dans les années 50, 60, c'était monnaie courante, malheureusement, les mecs tombaient
10:04comme des mouches tous les week-ends, il y avait des accidents, et souvent des accidents
10:07mortels.
10:08Je me souviens dans les années 60, Jim Clark, la mort de Clark, c'était un peu la même
10:12chose, c'était le pilote, le surhomme à qui rien ne pouvait arriver, on n'imaginait
10:18pas une seconde que Clark pouvait se faire mal, sauf que voilà, dans une petite course
10:23de Formule 2, par un plus vieux dimanche, voilà, la fatalité l'a rattrapée.
10:29Bon, Jochen Rind, et puis dans les années 70, encore un Peterson et d'autres, et jusqu'à
10:36Gilles Villeneuve.
10:37Donc, les morts de pilotes sur un circuit en F1, c'était malheureusement encore récurrent.
10:44Le Sénat, c'est un peu le dernier, et depuis, voilà, depuis ce week-end maudit, il n'y
10:51a plus vraiment mort d'hommes, ou en tout cas, en grand prix, on n'a plus été confronté
10:57à ça, sauf Jules, mais bon, c'est arrivé quelques mois plus tard, sauf Antoine Hubet,
11:03etc., mais bon, c'est pas comparable.
11:05Alors, ce qui est différent aujourd'hui par rapport à l'époque, je vous parle pas
11:09de Jim Clark, mais même l'époque d'Ayrton, c'est qu'Ayrton, c'est la première fois
11:12qu'il y a la mort en direct à la télé.
11:14Ça aussi, ça a beaucoup marqué les gens, je pense.
11:16Aujourd'hui, je vous dis pas, avec les réseaux sociaux, etc., ce serait un carnage.
11:22Donc, heureusement, on touche du bois, le sport automobile est devenu beaucoup plus
11:26sûr.
11:27Et c'est pour ça qu'Ayrton, moi, je pensais à... il est vraiment dans une période charnière.
11:33C'est peut-être le dernier pilote vraiment du XXe siècle, ce genre de chevalier qui
11:40mourait au combat, des fois, et c'était accepté, comme tu le dis, dans les années
11:4460, 70, 80, et lui, c'est un peu le dernier de cette lignée, parce qu'il était tellement
11:51chevaleresque, son pilotage aussi était très spectaculaire.
11:56Donc, un, c'était le dernier des pilotes du XXe siècle, mais aussi le premier du XXIe
12:03siècle, parce qu'il a... sa préparation physique était... donc, il a senti au début
12:11de sa carrière qu'il n'était pas au top au niveau préparation physique, on l'a vu
12:15dans des états terribles à l'arrivée, mais il a compris ça, il a commencé à travailler
12:19son physique, etc.
12:20Et après, on a vu que ça...
12:22Son professionnalisme.
12:23Son professionnalisme.
12:24Avec les ingénieurs, la manière dont il rentrait dans les détails, ça n'avait jamais été
12:29vu auparavant.
12:30On était encore au prémice de la télémétrie, on ne peut pas encore parler vraiment de
12:35data, comme on dit aujourd'hui.
12:38Et puis, la technique de pilotage du karting, le côté, je te mets un coup de roue, je
12:44veux au contact, je dirais même parfois un peu des coups de vache sur la piste, ce que
12:48ne faisaient pas les pilotes de la génération précédente.
12:51Absolument.
12:52Donc, il a poussé ça, d'abord, la condition physique, et puis, au niveau pilotage, il
12:57y avait des règles, il y avait des règles de gentleman, parce que c'était tellement,
13:00la course était tellement dangereuse, on ne se faisait pas des sales coups.
13:05Et Ayrton a poussé les limites de ce qui était permis au niveau pilotage, et après,
13:11on a vu, au XXIe siècle, on a vu Schumacher les adopter, puis récemment même Max, avec
13:20un pilotage évidemment tout à fait décomplexé, étant donné que la sécurité aussi avait
13:25fait d'énormes progrès, et donc, Ayrton, c'est vraiment un pilote charnière, et c'est
13:34pour ça qu'il nous a tellement marqués.
13:35Alors, il reste évidemment dans la mémoire collective, comme la légende, la référence,
13:42au même titre, je dirais, que Fangio, je n'en vois pas d'autre qui a ce niveau de reconnaissance.
13:49Fangio, au siècle dernier, comme tu dis, encore aujourd'hui, on dit, tu roules comme
13:53un Fangio, etc.
13:54Ce qui est quand même assez incroyable, 50 ou 60 ans après, et Ayrton, c'est un peu
14:00le même rapport, la même référence.
14:04Donc voilà, chapeau, enfin chapeau, c'est une forme d'hommage qu'on lui rend aujourd'hui,
14:09avec ce triste anniversaire, mais qui aura quand même marqué les esprits et fait évoluer
14:14les mentalités et la sécurité, c'est l'essentiel, je pense, de son héritage aujourd'hui.
14:19Oui, absolument.
14:20Bon, évidemment, on a peut-être un peu omis de parler de sa fondation aussi, et ça, ça
14:27l'a rendu légendaire, tu connais les chiffres mieux que moi, Pierre, sa fondation avec sa
14:34sœur qui gère son héritage et son nom, aide des centaines de milliers, voire des
14:41millions d'enfants à subvenir à leurs besoins, à aller à l'école, et donc, ça ajoute
14:47encore plus cette dimension mythique du personnage à Ayrton, qui est dans nos cœurs,
14:53hein, encore grâce à ça.
14:54C'est vrai, parce qu'au Brésil, c'est vraiment, voilà, c'est un dieu, quoi, quelque part,
14:59une idole, une icône, et la fondation, je me souviens bien de l'origine de tout ça,
15:05c'est vraiment des conversations qu'il avait avec sa sœur à Gradozrège pendant les périodes
15:11hivernales, enfin, estivales, en l'occurrence, au Brésil, où il ressentait une forme de
15:16malaise, quand même, dans le fait qu'il, matériellement, évidemment, il avait réussi,
15:20il gagnait énormément d'argent, il avait monté un gros business Ayrton Senna Group
15:25avec son manager Julian Jacobi, et donc, il avait cette phrase, hein, « on ne peut pas
15:32être prospère sur une île déserte dans un océan de pauvreté », je ne me souviens
15:40des mots exacts, mais enfin, c'était ça que ça voulait dire. Et donc, avec sa sœur, Viviane,
15:44qui est psychologue, il a eu cette idée de venir en aide aux enfants défavorisés du Brésil,
15:49et la fondation qui a été créée de son vivant, en réalité, qui s'appelle l'Institut Ayrton Senna
15:54au Brésil, Viviane s'en est extraordinairement bien occupée, maintenant c'est Bianca, c'est la
16:00fille de Viviane qui est en charge, et on est aujourd'hui à 34 millions d'enfants qui sont
16:06passés par les programmes sociaux de l'Institut Ayrton Senna dans plus de 3 000 localités au Brésil,
16:13c'est vrai que ça aussi, c'est sans doute l'héritage le plus symbolique de ce personnage hors normes.
16:19Et ce qui le rend immortel.