• il y a 8 mois
Transcription
00:00 [Musique]
00:29 [Musique]
00:37 Bonsoir, merci beaucoup pour votre accueil.
00:41 Rapidement, pour me présenter, je vais compléter un petit peu cette biographie.
00:48 Effectivement, j'ai trois vies professionnelles.
00:50 J'ai été ce qu'on appelle un haut fonctionnaire en France,
00:53 donc ça m'a amené à travailler pour la Commission européenne
00:56 comme fonctionnaire français détaché pendant cinq ans pour un conseil régional,
01:01 celui du Nord Pas-de-Calais à l'époque,
01:04 dont j'étais le DGA en charge du développement économique et de la formation permanente,
01:09 donc là, cette dimension un peu plus territorialisée,
01:11 et puis pour l'État central, j'ai mis en place un programme qui s'appelle Territoire d'Industrie,
01:16 qui est un peu la brique territoriale d'une politique industrielle.
01:19 Enfin, je dis un peu, on aime bien en français dire ces petits mots-là,
01:24 mais c'est la brique territoriale de notre politique industrielle.
01:27 À chaque fois, j'ai eu aussi la chance d'être conseiller, comme on dit dans les cabinets,
01:32 donc j'ai eu la chance de travailler à côté d'une commissaire européenne,
01:36 d'un président de région et du président de la République pour ce qui concerne l'État.
01:40 Ça, c'est ma partie fonction publique.
01:43 J'ai passé dix ans chez Saint-Gobain.
01:45 J'ai naturellement été d'abord dans un poste au siège,
01:50 parce que ces grands groupes, quand ils prennent des anciens fonctionnaires légitimement,
01:54 aiment bien vérifier une compatibilité de fonctionnement.
01:57 Donc j'ai passé deux ans à la Défense, en tant que directeur du développement durable.
02:03 Ça n'avait pas tout à fait ce titre-là, mais c'était la fonction, elle est plus parlante aujourd'hui.
02:08 Et puis j'ai été envoyé en Roumanie pour construire une usine, Greenfield.
02:13 C'est la plus belle de mes expériences professionnelles.
02:17 Je suis arrivé en janvier 2005. Saint-Gobain avait acheté 90 hectares,
02:22 avait loué un logement pour moi et ma famille et quelques bureaux.
02:27 Et le but, c'était "débrouillez-vous pour construire une usine, monter une équipe de chantier,
02:33 piloter le chantier, recruter les gens, former-les et démarrer une usine de flotte".
02:39 C'est une usine de verre plat qui produit des grands plaques de verre de 4 mètres par 6 mètres.
02:44 Et comme ça s'est bien passé, c'était quand même avant que la Roumanie rejoigne l'Union européenne,
02:50 donc des pays compliqués en transition, comme on dit poliment.
02:54 Saint-Gobain m'a permis de diriger l'ensemble de ses activités pour ce bloc de pays qu'on appelait PECO.
03:00 La dénomination s'est un petit peu perdue.
03:03 Tous ces pays d'Europe centrale et orientale qui avaient vocation à rejoindre l'Union européenne,
03:08 ce qu'ils ont pratiquement tous fait aujourd'hui, à l'exception d'une petite verrue sur l'ex-Yougoslavie.
03:13 Et puis depuis quelques années, je fais du conseil,
03:16 un métier qui n'est pas toujours très valorisé en France,
03:19 mais qui me permet d'avoir une grande liberté de temps,
03:22 notamment pour écrire et pour réfléchir à cette réindustrialisation.
03:27 Alors naturellement, vous attendez à ce que je vous parle d'industrie.
03:32 Et je vais commencer par vous dire que je vais vous parler surtout de vivre ensemble
03:37 dans une société qui est très fragmentée, très divisée,
03:42 par 40 ans de politique dite post-industrielle et de tertiarisation.
03:48 Quand on regarde les cartographies, je dirais, de votes ou de richesses dans notre pays,
03:55 quand on voyage et quand on visite des sous-préfectures,
04:00 on ne peut pas être indifférent aux résultats sociologiques, politiques
04:05 et pas simplement économiques de notre désindustrialisation
04:09 qui a paupérisé toute une série de territoires
04:13 qui pendant des décennies ont eu le sentiment justifié
04:17 de ne pas faire partie du récit économique de notre pays,
04:21 parce que ce récit était celui de la tertiarisation,
04:24 donc des métiers de services à haute valeur ajoutée
04:28 qui se sont concentrés dans les métropoles.
04:31 Et on ne leur a pas donné accès au récit économique
04:36 et quelque part on ne leur a pas donné non plus accès pendant des décennies
04:40 au récit de notre pays et à cette appartenance.
04:43 Et j'ai la conviction personnelle, je n'en ferai pas la démonstration,
04:48 que des mouvements comme ceux des Gilets jaunes que nous avons connus,
04:51 il y a d'autres raisons, ce n'est pas la seule,
04:54 mais sont très clairement liés à ce choix que nous avons fait
04:59 de modèles post-industriels de manière très radicale,
05:03 j'y reviendrai en Europe, on l'a fait plus que beaucoup d'autres,
05:07 nos seuls camarades d'infortune étaient ceux du Royaume-Uni
05:11 qui ont quitté l'Union Européenne, donc si on regarde l'Union Européenne,
05:14 nous sommes maintenant les plus démunis sur le sujet,
05:18 nous avons fait ce parcours de post-industrialisme
05:21 qui a paupérisé notre pays.
05:24 Alors une fois qu'on dit ça, ce n'est pas très optimiste,
05:28 et on se dit, est-ce que nous avons les moyens de réindustrialiser la France ?
05:34 Alors ma conviction est oui, sinon je ne serais pas là, je dirais.
05:39 Ce qui me stupéfait, que ce soit par les réflexions que j'ai menées auparavant
05:46 ou par celles assez intenses que je mène maintenant dans le cadre de la mission
05:50 qui m'a été confiée sur l'avenir de nos politiques industrielles,
05:54 c'est que nous avons en France beaucoup d'atouts pour réindustrialiser,
05:58 mais qu'on a mis beaucoup de choses à l'envers avec 40 ans de désindustrialisation
06:03 et qu'on a du mal à les remettre à l'endroit, y compris dans nos têtes.
06:07 Et je vais vous donner 4 ou 5 exemples de potentiel de réindustrialisation
06:12 que nous avons, ou pour accompagner cette réindustrialisation,
06:16 et que nous ne mobilisons pas, alors que nous en avons fait collectivement
06:20 dans la bouche, dans la parole présidentielle, une des grandes causes de notre pays.
06:26 Premier sujet, nous nous sommes passionnés pour l'innovation,
06:30 l'innovation technologique, la rupture, l'innovation de rupture.
06:34 C'est nécessaire dans l'industrie, l'industrie a toujours été un milieu
06:38 qui a fonctionné avec l'innovation, ça a été le moteur de l'industrie, c'est historique.
06:42 Néanmoins, il y a tout un tissu de PMI dans les territoires, ou d'ETI,
06:48 qui sont capables de développer des projets, qui sont des innovations
06:52 incrémentales mais pas de rupture, et que finalement, nos politiques
06:56 industrielles accompagnent très peu, voire pas du tout.
07:00 Et quand on commence à quantifier ce potentiel-là, on se rend compte
07:04 que ce gisement de projets des PMI et des ETI, qui sont des fois
07:08 le doublement d'une ligne de production, une petite extension
07:12 ou une petite modification sur un produit, on va sur un marché contigu,
07:16 ces projets représentent à peu près deux tiers de notre potentiel
07:20 de réindustrialisation en nombre d'emplois. Et on a tendance,
07:24 parce que ce n'est pas aussi hype, parce que ça ne fait pas le buzz,
07:28 parce que ce ne sont pas des start-up, parce qu'on ne fera pas toujours
07:32 avec ça des licornes, parce que ce sont souvent des sites qui sont
07:36 éloignés de nos centres de décision, on ne les accompagne pas ou peu.
07:40 Je vais vous donner quelques chiffres pour illustrer ça.
07:44 Le développement normalement de ce tissu de PMI est dévolu
07:48 aux collectivités locales et notamment aux régions.
07:52 Le budget de développement économique, pas simplement sur l'industrie
07:56 de nos régions, c'est 8 milliards d'euros par an, tout cumulé.
08:00 Le budget des aides d'Etat, le chiffre, je le mets un peu à caution,
08:04 mais l'ordre de grandeur vous parlera, des aides d'Etat aux entreprises
08:08 pour moitié par des niches fiscales, pour moitié directes, c'est
08:12 8 milliards d'euros par an pour aider la proximité,
08:16 200 milliards au niveau national avec des logiques
08:20 de centralisation et donc d'éloignement par rapport
08:24 à ces acteurs-là. Un autre élément qui illustrera
08:28 ce propos, j'ai lancé Territoires d'Industrie qui était
08:32 initialement une politique d'animation territoriale sans aucun moyen.
08:36 Aujourd'hui elle est dotée, 100 millions d'euros par an
08:40 pour accompagner justement cette dimension territoriale.
08:44 Du côté de France 2030 qui est notre fleuron, notre paquebot
08:48 de politique industrielle, si vous prenez le segment pour aider
08:52 l'industrie, vous avez 2 milliards d'euros par an sur la décarbonation
08:56 et les acteurs de rupture, l'innovation de rupture. Voilà juste
09:00 pour donner quelques éléments. D'un côté vous avez 2/3 du potentiel
09:04 en emploi et en termes d'aide vous avez 10 à 5%
09:08 de l'ensemble des accompagnements financiers que notre Etat
09:12 met à la disposition de ses entrepreneurs. Mais en fait
09:16 c'est pas le coeur de la bataille. Le coeur de la bataille c'est une des difficultés
09:20 que rencontrent beaucoup d'industriels pour se développer, c'est la question de la formation.
09:24 Vous ne rencontrez pas un industriel qui vous dira qu'il n'a pas des difficultés
09:28 pour recruter. J'étais par exemple, j'ai visité
09:32 il y a 10 jours une entreprise dont vous connaîtrez le produit,
09:36 le Babybel, à défaut d'Amesa vous le connaissez au moins.
09:40 Alors le chiffre, je vous demanderai de ne pas le répercuter trop mais
09:44 il refuse actuellement 15% de commandes par manque de bras.
09:48 Il a un site industriel, une ligne qui fonctionne parfaitement
09:52 par manque de ressources, de talent, il refuse 15% de commandes.
09:56 Cet exemple là vous en avez de partout.
10:00 Alors on se dit, bon, s'il n'y a pas de gens formés c'est peut-être que nous avons
10:04 une carence en formation. Et quand on fait le bilan des formations
10:08 aux métiers industriels en France, je vais exclure les cadres
10:12 et les ingénieurs, je suis du CAP au Bac +3
10:16 c'est pas le coeur de l'industrie mais c'est le coeur des métiers industriels.
10:20 Vous vous rendez compte qu'on en a largement suffisamment, y compris pour faire un petit
10:24 chemin de réindustrialisation. Alors donc c'est pas un problème de formation
10:28 ce qu'il se passe, c'est que vous avez 50% des jeunes formés
10:32 et diplômés aux métiers industriels qui n'y vont pas.
10:36 Qui ne travaillent pas dans l'industrie. Un taux d'évaporation de 50%
10:40 qui est lié essentiellement au fait
10:44 qu'ils ne connaissent pas les métiers auxquels ils se forment. Ils ont été
10:48 orientés vers ces formations par défaut.
10:52 Alors je le dis humblement parce que j'ai signé pas mal de chèques d'argent public
10:56 quand j'étais DGA à la région du Nord Pas-de-Calais dans les années 2000
11:00 on a utilisé beaucoup de formations pour éviter que les jeunes
11:04 aillent pointer au chômage. Mais c'était dans un contexte où il n'y avait pas cette tension
11:08 où on ne perdait pas du chiffre d'affaires parce qu'il manquait des gens
11:12 dans l'industrie. Le contexte était différent.
11:16 Et on se dit là qu'il y a un énorme potentiel
11:20 qu'on ne va pas chercher et qui ne coûterait pas beaucoup de moyens d'aller mobiliser
11:24 en termes de sensibilisation
11:28 orientation sur les métiers industriels. Je vous donne
11:32 juste un autre chiffre. J'essaierai de ne pas vous en donner trop.
11:36 J'aime les chiffres parce qu'ils donnent des repères de faits.
11:40 Aujourd'hui il y a 60 000 postes vacants dans l'industrie.
11:44 Nous perdons chaque année 6 milliards d'euros de valeur ajoutée.
11:48 6 milliards d'euros de valeur ajoutée pour accueillir
11:52 aux 60 000 postes vacants. Si on était capable d'investir
11:56 un tout petit peu de cet argent, c'est je dirais
12:00 peut-être 100, 200 millions d'euros par an pour
12:04 ouvrir les usines aux écoles, ouvrir les écoles aux usines.
12:08 Orienter plus le tourisme industriel. Je pense qu'on aurait
12:12 un retour sur investissement via la mobilisation
12:16 la meilleure connaissance de ces métiers et les formations qui serait fantastique.
12:20 Et là c'est une mobilisation de la famille de l'industrie
12:24 qui est défaillante. Souvent on pointe l'Etat.
12:28 Je les ai rencontrés et je les ai félicités pour ce programme. L'industrie a lancé
12:32 un programme de communication qui s'appelle "Avec l'industrie".
12:36 Mais c'est 15 millions d'euros sur 3 ou 4 ans. Quand vous êtes
12:40 capable d'investir entre guillemets collectivement que 15 millions d'euros. Alors c'est pas la seule
12:44 action, c'est l'action emblématique justement. 15 millions d'euros pour essayer
12:48 de combler un déficit de valeur ajoutée de 6 milliards d'euros.
12:52 Vous vous dites que là il y a quelque chose de mobilisation collective
12:56 qui nous manque. Et c'est à mon avis l'une des premières batailles
13:00 que nous avons. Nous avons un désamour des métiers industriels.
13:04 Il ne faut pas grand chose pour refaire cette jonction.
13:08 Et nous n'avons pas mobilisé les moyens, encore une fois collectivement
13:12 et c'est plutôt à la famille de l'industrie de le faire, pour se lancer dans des exercices.
13:16 Vous pensez à ce qu'a fait l'armée avec une campagne qui s'appelle "S'engager".
13:20 Je suppose que quand je vous en parle vous voyez les images.
13:24 Il y a quelques années c'était l'artisanat qui l'a fait, avec l'artisanat le premier métier de France.
13:28 En général ce slogan nous rappelle quelque chose. Nous n'avons pas encore
13:32 fait cet exercice là au niveau de l'industrie et c'est encore une fois
13:36 un atout ou un potentiel devant nous que nous n'utilisons pas.
13:40 Alors réindustrialiser, autre sujet sur lequel on a
13:44 plein de potentialités et dans notre tête on n'a pas encore pivoté, on n'a pas
13:48 vraiment basculé malgré cette bataille nationale autour de la réindustrialisation.
13:52 Pour réindustrialiser il faut de l'argent.
13:56 Alors je vous donnerai après quelques indications
14:00 du seuil de réindustrialisation que je vise mais
14:04 on a calculé pour faire le mi-chemin entre notre situation
14:08 actuelle et puis le niveau moyen de l'Union Européenne
14:12 qu'il fallait 200 milliards d'euros d'investissement supplémentaire dans l'industrie
14:16 justement pour faire la moitié du rattrapage à l'Union Européenne.
14:20 Alors 200 milliards d'euros ça peut paraître beaucoup, je suppose
14:24 que certains d'entre vous connaissent le chiffre, nous avons plus de 6 000 milliards d'euros
14:28 d'épargne des Français financières, je ne parle pas de l'épargne
14:32 immobilière en produits financiers. 200 milliards d'euros
14:36 c'est donc à peu près 3%. Aujourd'hui
14:40 même si nous en faisons une bataille nationale, nous ne sommes pas
14:44 capables, je suis un peu rude mais je pense que je ne suis pas très loin de la vérité
14:48 nous ne sommes pas capables d'orienter 3% de notre épargne vers notre
14:52 outil productif. Ca fait un peu mal
14:56 je dois dire, c'est pas une question d'argent, c'est une question de tuyaux
15:00 alors il ne faut pas se leurrer, les rendements dans l'industrie
15:04 il y a des contre exemples mais
15:08 sont en général plus faibles ou en tous les cas plus longs
15:12 en allocataire, en gestionnaire d'épargne, ce n'est pas l'endroit où vous irez naturellement
15:16 et ça je peux le comprendre. En revanche, la puissance publique
15:20 à travers des incitations fiscales ou réglementaires a tout à fait la capacité
15:24 à mon avis, de faire en sorte que cette petite partie
15:28 d'épargne puisse aller vers notre
15:32 industrie. Alors juste pour vous donner un petit ordre de grandeur parce que le chiffre
15:36 est cocasse, ce que j'ai trouvé, j'espère que le chiffre n'est pas trop faux
15:40 c'est que nous français, nous avons acheté des bons du trésor américain
15:44 pour à peu près 260 milliards de dollars
15:48 c'est à peu près le même montant, donc nous finançons à travers
15:52 ce système là, l'Inflation Reduction Act américain
15:56 qui est une pompe à projets européens, à peu près du montant
16:00 dont nous aurions besoin pour relancer notre industrie.
16:04 Un troisième sujet, un troisième ou quatrième sujet
16:08 où nous avons un potentiel, encore une fois, on a ce qu'il faut
16:12 et nous ne sommes pas mis dans l'étape psychologique de le faire
16:16 c'est que nous sommes un marché riche. S'il y a autant d'importations
16:20 en France, c'est que les pays exportateurs ou les industriels exportateurs
16:24 trouvent notre marché assez intéressant. Et je reprends
16:28 cette expression d'un acheteur public, en fait
16:32 le "Made in France" c'est le passager clandestin de nos politiques
16:36 d'achat public et globalement nous n'avons aucune réflexion
16:40 à pousser sur les achats "Made in France".
16:44 Alors je vais prendre d'abord la commande publique parce que je pense que dans cet exercice
16:48 l'Etat doit être ou la puissance publique doit être exemplaire.
16:52 Nous avons une commande publique qui est moins patriotique que nous tous.
16:56 Dans nos consommations, sans nécessairement beaucoup nous forcer
17:00 je reviendrai, nous achetons plus de "Made in France" et de biens "Made in France"
17:04 en proportion que ne le fait la commande publique.
17:08 Alors on va dire que c'est à cause de critères européens
17:12 ou d'application du droit qu'on a traduit en France.
17:16 Ce qui est très étonnant c'est que ce n'est pas le cas en Allemagne
17:20 ni en Italie. C'est une question de la manière dont on
17:24 met en oeuvre le code de la commande publique
17:28 via des acheteurs, et de manière à ce que
17:32 via des acheteurs qui sont formés ou pas formés
17:36 à utiliser les trucs et astuces de la commande publique
17:40 pour le faire. J'ai pas mal travaillé avec
17:44 cette profession récemment et on a
17:48 estimé collectivement qu'il y avait au minimum
17:52 dans l'achat public français un potentiel de 15 milliards
17:56 d'euros d'achat supplémentaire de produits "Made in France".
18:00 Alors juste pour mettre ce chiffre au rapport à quelque chose qui va vous parler
18:04 notre déficit commercial en biens manufacturés est de 60 milliards.
18:08 Donc nous avons juste avec ce levier là
18:12 à texte constant, je dis bien à texte constant
18:16 il ne faut pas l'échanger des directives européennes, de quoi résoudre au moins
18:20 le quart de notre déficit de balance commerciale sur la partie manufacturée.
18:24 C'est pas un levier négligeable, on est bien
18:28 sur des bons ordres de grandeur et c'est pour ça que je dis que
18:32 l'achat "Made in France" est une sorte de passager clandestin,
18:36 celui qu'on aimerait bien, qu'on cache, qu'on sait pas trop faire.
18:40 Je travaille aussi avec des acheteurs en "B2B", donc en inter-entreprise.
18:44 Réaction assez intéressante de leur part, quand on est en Allemagne et qu'on nous
18:48 demande d'acheter du "Made in Germany" ça marche bien parce que
18:52 le "Made in Germany" ça veut dire qualité. Or on retrouve
18:56 l'un des trois fondamentaux de l'achat d'une entreprise, qualité, prix, délai.
19:00 Le "Made in France" n'a pas cette même texture, cette même saveur
19:04 qui correspond à nos critères d'achat d'entreprise.
19:08 Et donc on a certainement un potentiel au moins
19:12 aussi grand. L'achat "B2B", inter-entreprise, c'est
19:16 juste dans l'industrie, c'est 400 milliards d'euros par an en France. Donc on a sans doute
19:20 également nous le moyen de faire nos 15 milliards, mais il faut
19:24 qu'on le prenne différemment, il ne faut pas que vous nous forciez des
19:28 incantations politiques sur le "Made in France", ça ne colle pas. Les valeurs du "Made in France"
19:32 ne collent pas avec notre pratique d'achat, ce qui est assez différent de l'Allemagne.
19:36 Et donc il faut qu'on trouve d'autres outils pour le faire, simples,
19:40 applicables. Le TCO pour ceux d'entre vous qui le connaissent,
19:44 le coût total d'ownership, c'est un outil compliqué qu'on ne peut pas utiliser
19:48 pour toutes les catégories de produits, mais on a au moins ce potentiel.
19:52 Et puis le dernier point où j'ai envie de vous interpeller,
19:56 c'est vous demander qu'est-ce que vous portez sur vous de "Made in France" ce soir.
20:00 Si je prends les trois
20:04 premiers déciles des consommateurs français, c'est-à-dire que je mets de côté
20:08 7 déciles en considérant qu'il y a
20:12 une question de pouvoir d'achat, et que le "Made in France" sera un peu plus cher
20:16 et que c'est une partie de nos concitoyens qui privilégieront
20:20 la fin du mois au "Made in France". Si on prend les trois premiers déciles
20:24 et que nous regardons notre consommation de biens manufacturés,
20:28 alors il y a toujours la question de combien coûte plus un bien "Made in France",
20:32 mais globalement il faut imaginer qu'à quelques centaines d'euros
20:36 par an supplémentaires dépensés dans du "Made in France",
20:40 nous sommes aussi capables de générer entre 10 et 20 milliards
20:44 d'euros supplémentaires de produits "Made in France".
20:48 Je ne pense pas que ce soit inaccessible
20:52 à aucune des personnes qui est ici, en tous les cas moi j'ai le même défaut,
20:56 je n'ai pas grand chose de "Made in France" sur moi ce soir, même si je vous fais cette présentation.
21:00 Voilà, nous avons tous ces leviers-là,
21:04 qui sont à notre disposition, et que nous ne mobilisons pas,
21:08 sans doute parce que 40 ans de désindustrialisation, ça ne s'efface pas
21:12 en claquant des doigts, c'est des habitudes, des biais cognitifs
21:16 comme on dit, assez profonds, que nous n'avons pas encore nettoyés.
21:20 Alors deuxième temps,
21:24 si on faisait tout ça, jusqu'où on pourrait aller ?
21:28 Quelle réindustrialisation on peut réaliser ?
21:32 D'abord je vais vous faire un paysage un peu singulier,
21:36 qui fait un peu peur, c'est la situation de notre industrie aujourd'hui.
21:40 On utilise beaucoup comme indicateur le pourcentage
21:44 de valeurs ajoutées manufacturières dans le PIB.
21:48 Nous sommes de l'ordre de 10%. On est sur un plateau
21:52 depuis que nous avons arrêté notre désindustrialisation, c'est-à-dire que nous sommes à ce niveau-là depuis 2009.
21:56 Notre réindustrialisation,
22:00 je la qualifie publiquement souvent de "encore fragile",
22:04 parce que macroéconomiquement, elle n'est pas visible.
22:08 10%, c'est l'un des taux les plus faibles
22:12 en Europe. Dans l'Union Européenne, nous avons pour seul compagnon
22:16 à peu près comparable la Grèce. Des fois, quand je dis ça,
22:20 on me dit "la Grèce n'est pas comparable". En dessous de nous,
22:24 nous avons trois économies qui ne sont pas comparables, qui sont Chypre, Malte
22:28 et Luxembourg.
22:32 Si je fais l'échelle en remontant, Espagne, Portugal,
22:36 12 à 13%, Belgique, 14%, Moyenne Européenne,
22:40 16%, Italie, 17%, Allemagne, autour de 20%.
22:44 Voilà la situation dans laquelle 40 ans de désindustrialisation
22:48 nous ont laissés.
22:52 Irlande,
22:56 il y a des pays, quand on fait ces types de corrélations-là, qui ont
23:00 des situations un peu particulières. L'Irlande, il y a sans doute une petite
23:04 réaction qui est lissée à sa fiscalité. Vous avez un bond du PIB
23:08 manufacturier en Irlande en espace de deux ans qui est un peu
23:12 suspicieux. Et puis, vous avez d'autres économies
23:16 qui rentrent dans la comptabilité manufacturière et qui sont un peu particulières.
23:20 Vous avez les Pays-Bas, j'ai confondu en vous écoutant, excusez-moi,
23:24 mais qui sont liés en fait à de la pseudo-transformation derrière les grands
23:28 ports d'importation. Voilà.
23:32 Voilà quelques éléments qui en font des pays
23:36 moins comparables.
23:40 Une fois qu'on a fait ce paysage-là, on se dit
23:44 qu'est-ce que nous pouvons faire ou quel est l'objectif
23:48 qu'on peut se donner. Aujourd'hui, il y a une forme de consensus,
23:52 il y a eu un débat la semaine dernière avec quelques petits articles de journaux.
23:56 Globalement, l'objectif politique, c'est 15%.
24:00 Je ne sais pas si ça parlera beaucoup, mais globalement, 15%, ça veut dire
24:04 qu'on revient dans le peloton européen dont nous sommes totalement détachés aujourd'hui.
24:08 Et la vraie question, c'est combien de temps
24:12 on va mettre si on se mobilise. Alors, il y a des gens
24:16 qui disent dans 6 ans, en 2030.
24:20 Je ne pense pas que ce soit réaliste.
24:24 Il y a eu une interview croisée de deux ministres de l'industrie,
24:28 M. Lescure et M. Montebourg, qui ont dit
24:32 ça en 2035.
24:36 Je suis d'un optimisme lucide, je vais dire,
24:40 et avec les études que nous sommes en train de conclure avec France Stratégie,
24:44 mais pas seulement, il y a aussi, on a un groupe de travail
24:48 d'ailleurs qui a été merveilleux, je dois le dire, avec la Direction générale
24:52 du Trésor, la Direction générale des entreprises, celle de l'énergie
24:56 climat, avec RTE pour les questions d'énergie, avec l'INSEE, avec la Banque de France.
25:00 Nous estimons que notre...
25:04 Nous sommes en capacité de rejoindre le peloton européen dans
25:08 15 à 20 ans, parce que si on regarde de manière fine
25:12 notre potentiel à 2035, il est plutôt à mi-chemin.
25:16 Les chiffres que je vous ai donnés, les 200 milliards d'euros
25:20 par exemple, sont liés à l'atteinte de cet objectif de mi-chemin
25:24 en 2035, et ce que j'essaye de faire passer comme message,
25:28 plutôt qu'on s'égrène des points de PIB qui ne parlent
25:32 que aux personnes un peu, je dirais, comme moi, passionnées
25:36 du sujet, 2035, ce que nous pourrions faire
25:40 si nous nous mobilisons bien, c'est avoir une balance commerciale
25:44 manufacturière équilibrée. Ça, ce serait
25:48 déjà un superbe objectif. On est dans un monde
25:52 où il n'y a pas simplement la réindustrialisation pour la réindustrialisation.
25:56 J'ai l'habitude de dire que réussir notre réindustrialisation
26:00 aujourd'hui, c'est aussi être capable
26:04 de diminuer nos dépendances, nos vulnérabilités,
26:08 c'est être capable de réduire notre empreinte environnementale,
26:12 et surtout à mes yeux, c'est ma conviction, mon engagement,
26:16 être capable de redistribuer de la richesse
26:20 sur l'ensemble du territoire français, et c'est pour ça que j'avais
26:24 cette introduction en vous disant, ce dont je vous parle, ce n'est pas que de l'industrie,
26:28 mais c'est du vivre ensemble, et du mieux vivre ensemble
26:32 dans notre pays, qui a été fragmenté socialement,
26:36 mais aussi terriblement territorialement, avec 40 ans de désindustrialisation.
26:40 Alors quand on se met,
26:44 quand on se projette à cet horizon-là,
26:48 15 ans, 20 ans, on prend un peu peur,
26:52 la première chose à être convaincue,
26:56 c'est qu'une politique de réindustrialisation, ce ne sera pas une blitzkrieg,
27:00 si vous me passez l'expression, ce ne sera pas le résultat d'une mandature,
27:04 d'une écurie présidentielle, d'un quinquennat,
27:08 c'est quelque chose qui va nous amener
27:12 à travailler sur plusieurs majorités, et peut-être sur des alternances.
27:16 Et ça, c'est un élément essentiel, à mon avis,
27:20 quand on commence à percevoir ça, pour définir les priorités
27:24 qu'on doit avoir sur une politique industrielle.
27:28 Il faut absolument que nous embarquions dans cette histoire-là,
27:32 pas simplement le monde économique, pas simplement l'élite qui décide,
27:36 mais il faut que les citoyens, nos concitoyens, nous suivent dessus,
27:40 que nous soyons capables de raconter un récit de réindustrialisation
27:44 positif, dans tous les territoires, et pour tous les niveaux sociaux,
27:48 parce qu'il faut qu'on soit capables de faire ce narratif
27:52 qui dépasse les clivages politiques et qui reste transpartisan.
27:56 Quand on... Je vous parlais tout à l'heure du potentiel des territoires,
28:00 c'est là, à mes yeux, qu'il a peut-être l'essence de sa valeur,
28:04 c'est pas simplement parce que c'est deux tiers du gisement d'emploi,
28:08 mais si vous faites une réindustrialisation uniquement avec de l'innovation de rupture,
28:12 si vous faites une réindustrialisation fondée par exemple sur les startups,
28:16 le cycle d'une startup, ça part d'une recherche,
28:20 après, il y a un prototype qui se fait pas très loin du labo de recherche
28:24 parce qu'il faut qu'il y ait cette connexion-là, et une première usine,
28:28 c'est un cycle sur 10 ans, qui va se mettre à 30 ou 40 km maximum,
28:32 parce que certains d'entre vous l'ont peut-être vécu, moi je l'ai vécu à mes dépens pour Saint-Gobain,
28:36 quand vous faites la mise au point d'un produit industriel loin du centre de recherche
28:40 qui l'a conçu, vous avez toutes les chances de vous planter.
28:44 Et là, si on fait ce type de réindustrialisation-là, qui a tout son sens, qui a son potentiel,
28:48 c'est un nouveau moyen d'innover, avec de la rupture, avec un risque financier important,
28:52 vous allez faire une réindustrialisation qui va surtout nourrir économiquement,
28:56 encore une fois, les métropoles,
29:00 et vous n'aurez pas eu cet rôle de redistribution de la richesse dans les territoires,
29:04 et donc vous aurez des territoires qui continueront à se sentir
29:08 pas embarqués dans un récit économique de la nation, et pas embarqués dans le récit de la nation,
29:12 et vous n'aurez sans doute pas cette continuité à laquelle
29:16 on ne peut qu'aspirer dans une politique industrielle.
29:20 J'insiste beaucoup là-dessus, parce que dans la façon
29:24 dont on pense nos priorités de politique industrielle, on a une analyse
29:28 technique, technologique, souvent économique,
29:32 on a rarement une analyse politique et sociologique du sujet,
29:36 alors que notre désindustrialisation a très fortement
29:40 impacté notre territoire, pas simplement dans sa dimension
29:44 économique et notre déficit commercial, mais aussi dans la manière
29:48 dont on a réparti la richesse, dont on a des territoires qui se sont
29:52 laissés pour compte de 40 ans d'investissement.
29:56 Voilà pour une deuxième partie
30:00 que je voulais évoquer avec vous,
30:04 et qui est sur cet objectif et sa manière de
30:08 dessiner ou de penser nos politiques industrielles.
30:12 La troisième partie, je ne sais absolument pas où j'en suis sur mon timing,
30:16 comme vous avez compris, je suis passionné par mon sujet, donc si je peux avoir
30:20 une petite indication de combien de temps il me reste, je suis preneur.
30:24 Il vous reste un quart d'heure. - C'est parfait.
30:28 La dernière partie que je voudrais,
30:32 la partie suivante que je voudrais aborder, c'est que tout ce que je vous ai raconté
30:36 là, c'est du franco-français. Et j'ai la sincère
30:40 conviction que pour atteindre un objectif de 12 à 13% de PIB,
30:44 cet objectif intermédiaire, ou alors, il faut que je m'y habitue, cette balance commerciale
30:48 manufacturière équilibrée, c'est long à dire, et il faudra peut-être trouver un petit raccourci,
30:52 on peut le faire simplement en remettant à l'endroit les choses qu'on a mis à l'envers
30:56 dans nos têtes et dans nos pratiques en France. D'ailleurs,
31:00 comme je vous le disais en vous aigrénant les différents pays européens,
31:04 tous ces pays-là sont dans le cadre du droit européen et ont
31:08 des niveaux d'industrie bien supérieurs aux nôtres. Il n'y a pas de raison que nous soyons
31:12 plus manchots qu'eux, si vous me permettez l'expression. Il n'y a pas de raison que nous ne puissions pas
31:16 refaire industrie, au moins à ce niveau-là, comme eux,
31:20 dans le cadre du droit européen et sans nécessairement le challenger,
31:24 le remettre en cause, voire le pointer comme un bouc émissaire à tout moment,
31:28 ce qui est quand même une pratique assez facile et assez tentante que nous pouvons avoir.
31:32 Néanmoins, on se rend bien compte
31:36 à un moment donné, même si on peut faire ce bout de chemin uniquement en mobilisant
31:40 nos atouts franco-français, on se rend bien
31:44 compte que les biens industriels sont essentiels
31:48 dans les échanges, ils font 80% du commerce international,
31:52 et que se pose la question de la compétition loyale.
31:56 J'ai beaucoup aimé, et je vous invite à la lire, une tribune
32:00 de Luca De Meo, le DG de Renault, qui est sorti, je crois que c'est
32:04 dans Le Monde, il y a une quinzaine de jours, où il dit
32:08 "Moi je suis prêt à me battre avec une compétition loyale, mais elle ne l'est pas.
32:12 Je ne suis pas pour du protectionnisme, mais je suis pour des règles."
32:16 Je vous laisse analyser la subtilité
32:20 de la deuxième phrase, pour moi elle est surtout liée au fait que le protectionnisme
32:24 renvoie à quelque chose, peut-être une tendance politique,
32:28 un message politique auquel il n'adhère pas, mais quand on met
32:32 des règles, on peut aussi assumer le fait qu'on protège son industrie.
32:36 Et toute la question qui va se poser à nous dans les années à venir,
32:40 à la France, mais aussi à l'Europe, c'est que nous avons un modèle
32:44 social qui est exigeant. Nous avons maintenant
32:48 des règles environnementales qui sont de plus en plus croissantes.
32:52 Depuis la crise de l'Ukraine, nous avons une énergie
32:56 chère. Je vous rappelle que nous avions un gaz russe
33:00 qui était à peu près deux fois moins cher que le gaz qui alimentait
33:04 l'industrie chinoise, et que cela n'est plus.
33:08 La Chine, comme l'Europe, désormais, s'alimente sur le marché mondial du gaz
33:12 liquéfié, et donc nous avons perdu
33:16 cet avantage compétitif. J'en n'en ai pas la démonstration,
33:20 mais je vous laisse le mot pour y réfléchir. Si en France,
33:24 on n'a pas réussi à développer notre industrie ou à maintenir notre industrie, ça n'a pas été le cas
33:28 en Europe. L'Europe est restée industrielle.
33:32 Louis Gallois et Pierre-André Tchalandart, qui coprésident la
33:36 Fabrique de l'Industrie, qui est l'un des principaux laboratoires d'idées
33:40 sur le domaine, ont l'habitude de dire que le commerce
33:44 extérieur, c'est le juge de paix de l'industrie.
33:48 Et je les suis en cela. Le commerce extérieur de l'Union européenne
33:52 est positif de 0,5 point de PIB, de manière
33:56 structurelle, avant la crise du Covid. Il y a eu un creux à cause de la facture énergétique.
34:00 L'Europe ne s'est pas désindustrialisée. Nous aussi.
34:04 Et je pense que si elle ne s'est pas désindustrialisée, c'est notamment parce qu'elle a profité
34:08 de ce gaz pas cher russe, et notamment toute l'industrie
34:12 allemande, et que de manière un peu ironique,
34:16 cette énergie pas chère nous a permis de financer notre modèle social.
34:20 Aujourd'hui, nous n'avons plus cette énergie pas chère.
34:24 Nous gardons notre modèle social exigeant,
34:28 et en plus, nous rajoutons des ambitions environnementales croissantes.
34:32 Le diable ne rentrera plus dans la boîte.
34:36 Nous ne pourrons plus, avec ces éléments-là, continuer à avoir un commerce
34:40 extérieur pleinement ouvert. Je pense que ce que
34:44 nous avons vécu à cause de nos faiblesses, à cause de notre choix
34:48 de politique économique, de tertiarisation dite post-industrielle,
34:52 l'Europe va commencer à le connaître de manière plus globale.
34:56 Il y a quelques articles qui commencent à le dire. La situation de la Chine allemande
35:00 est par exemple assez inquiétante.
35:04 Et donc nous ne pourrons pas continuer sur ce modèle-là sans remettre
35:08 un certain nombre de règles, et sans retrouver ce qu'on peut appeler joliment
35:12 suivant le terme de Luca Di Meo, une compétition loyale.
35:16 Comment le faire ? Alors je vais juste vous faire un petit retour
35:20 historique. Les derniers pays qui se sont industrialisés assez tardivement,
35:24 pas nous en Europe avec la révolution industrielle, mais je pense plutôt à des
35:28 pays comme les Tigres ou bien le Brésil, l'ont fait avec une politique
35:32 économique assez simple, qui a été théorisée dans les années 80, qui était la substitution
35:36 aux importations. Je prends un certain nombre de catégories
35:40 de produits, je mets des taxes à l'entrée, afin de permettre
35:44 et gêner mon industrie nationale à se développer, et en disant
35:48 quand elle sera suffisamment forte, j'enlèverai les taxes à l'entrée pour avoir
35:52 tous les bénéfices du commerce international, parce que mon industrie nationale
35:56 sera capable de faire cette compétition internationale. Si je ne la
36:00 protège pas pendant qu'elle est infante, qu'elle est naissante, elle ne naîtra jamais.
36:04 Elle n'aura pas les moyens de se développer. Et je pense que cela
36:08 doit nous inspirer, même si ce n'est pas nécessairement dans la pensée
36:12 constante que nous avons eue pendant 40 ans. Comment est-ce qu'on peut protéger ou
36:16 reprotéger une industrie renaissante ? Alors on peut imaginer
36:20 les taxes, comme ce qui a été fait. C'est un exercice
36:24 qui, à mon avis, ne serait pas accepté politiquement, parce que les Français
36:28 y verront des impôts, avant tout. Et puis nous avons signé
36:32 une oria de traité qui nous contraigne.
36:36 On peut avoir d'autres moyens de le faire.
36:40 On a tenté les règles et les certifications environnementales ou sociales
36:44 sur nos importations. Je voudrais vous livrer ici le témoignage d'une chef
36:48 d'entreprise de Lyon avec laquelle j'ai travaillé sur cette commission,
36:52 et qui disait "Bon, moi je suis allé me chercher des composants en Chine, j'ai négocié,
36:56 enfin j'ai posé mes spécifications, j'ai négocié mon prix,
37:00 et mon fournisseur chinois à un moment m'a dit "Madame, qu'est-ce que vous avez
37:04 besoin comme certification ?" Parce que,
37:08 et on passe au bureau d'à côté, il avait le "bureau des tampons", c'est son expression,
37:12 où il suffisait de tamponner un document pour avoir la certification.
37:16 C'est la réalité de notre commerce
37:20 dans un monde, surtout dans un monde qui n'est plus le monde de l'OMC,
37:24 qui est un monde de rapport de force, qui est un monde de défiance,
37:28 et donc pas un monde de confiance.
37:32 Et donc pour bien comprendre ce qui se passe aujourd'hui, par exemple, sur les directives
37:36 relatives au droit de vigilance,
37:40 c'est ça qui est derrière. Tout ce qui est de la certification
37:44 documentaire peut être falsifié.
37:48 Je ne dis pas qu'elle l'est systématiquement, mais qu'elle peut l'être largement,
37:52 et que les industriels connaissent tous des cas où elle l'a été.
37:56 Donc disons parfois profiter, ça peut exister.
38:00 Donc les règles de certification, difficiles pour faire des protections.
38:04 Il ne faudra pas être naïf, il faudra continuer à utiliser de l'aide publique.
38:08 Quand vous avez des subventions au niveau de l'Inflation Reduction Act
38:12 aux Etats-Unis, nous ne pourrons pas continuer et refaire industrie
38:16 en France si nous n'aidons pas un certain nombre de nos industries,
38:20 je dirais, au nom du principe de réciprocité. Alors quand on a la question
38:24 du budget et de l'état des finances français, je sais que ça pose
38:28 des difficultés fortes, mais je pense que c'est un principe que nous devons garder.
38:32 On a pu essayer de faire aussi le contenu carbone.
38:36 Je pense que c'est quelque chose qui est assez intéressant pour la suite
38:40 à prendre en retour d'expérience. On a fait une grande règle compliquée
38:44 pour internaliser le coût du carbone dans nos produits, avec les quotas.
38:48 On a voulu faire une règle générale qui s'appliquait à tout et pour tout.
38:52 Moralité, les Américains ont décidé de ne pas internaliser le prix du carbone,
38:58 puisque avec l'IRA, c'est plutôt de l'incitation et des subventions,
39:02 et nous sommes désormais isolés sur le sujet. Alors nous sommes précipités,
39:06 nous avons fait la taxe carbone aux frontières, qui est en fait aussi
39:10 un système de certification indirect, avec le même défaut que le premier
39:14 que je vous expliquais, c'est-à-dire qu'il est contournable, et en plus,
39:18 comme c'est complexe à faire un bilan carbone, il ne concerne que 6 catégories
39:22 de produits et expose énormément tout ce qui sont dans l'industrie
39:26 de la consommation. Les effets secondaires et néfastes de la taxe carbone
39:30 aux frontières sont peut-être supérieurs à l'effet principal qui est de protéger
39:34 les emplois. Il y a une étude là-dessus, sortie de la Fabrique de l'Industrie.
39:38 Nous menaçons plus d'emplois avec cette taxe carbone aux frontières
39:42 que nous en protégeons. Et ça, je pense que c'est une grande leçon pour l'avenir.
39:48 Et ce que je vais essayer de faire passer comme idée, c'est que nous ne devons
39:52 pas réfléchir de manière globale, mais nous allons devoir réfléchir,
39:55 comme on le fait d'ailleurs déjà, produit par produit.
39:59 Faisons la liste de la centaine de productions qu'on va qualifier essentielles
40:03 pour notre pays. Pas simplement des biens technologiques, il peut y avoir des armes
40:08 technologiques, mais aussi il y a des produits de base dont on considère
40:12 qu'ils sont essentiels à la résilience de notre pays dans un monde de multicrise,
40:16 pour passer ces crises. Sans produits, sans coopération entre industriels,
40:22 territoires, Etats, pour définir les conditions auxquelles on peut avoir
40:26 une compétition loyale. Alors on mettra dedans des règles, du style "je veux tel
40:33 taux de recyclabilité, je veux tel garantie de durabilité, je veux telle
40:37 récupération du produit en sa fin de vie". On mettra dedans des aides,
40:42 on mettra peut-être des bonus/malus carbone comme sur les véhicules électriques.
40:46 Mais il faut qu'on rentre dans cette guérilla. Nous sommes dans une guerre,
40:51 une guerre économique, mais dans une guerre dans laquelle on est le faible.
40:55 Elle est asymétrique si je reprends les termes des militaires. Et dans ce type
40:59 de guerre-là, souvent il faut reconquérir par des phénomènes de guérilla,
41:03 territoire par territoire, morceau de territoire par morceau de territoire,
41:07 notre capacité productive. Et ce que j'imagine venir demain, c'est qu'on le fasse
41:13 produit par produit, production essentielle par production essentielle.
41:17 Je vais m'arrêter là, sur ce programme que j'ai essayé de vous détailler.
41:23 Je voudrais juste rappeler quelque chose en conclusion. C'est qu'il faut jamais
41:30 oublier pourquoi on fait ça. Ce que je vous dis, c'est finalement des moyens,
41:35 c'est une recette, c'est des ingrédients ou des réflexions sur des ingrédients
41:39 qu'on pourrait mettre en route. Mais il faut jamais oublier la finalité que je
41:43 vous ai énoncée au départ. L'objectif, c'est le mieux vivre ensemble dans une
41:46 société qui s'est fragmentée. Une usine qui ouvre dans une ville moyenne,
41:51 c'est moins de déserts médicaux. C'est aussi des services publics qui reviennent,
41:55 c'est une qualité de vie qui s'accroît. Et si nous, ici, voulons être des parents
42:00 ou des grands-parents responsables, qui laissent à nos enfants un pays
42:05 qui a son destin en main, nous avons besoin de renouveler notre outil productif
42:10 parce qu'avec 100 milliards d'euros de déficit commercial par année,
42:14 on comprend bien toute la profondeur de nos dépendances.
42:18 Et enfin, je dirais aussi que c'est pour avoir la conscience en paix par rapport
42:23 à l'environnement parce que très clairement, en délocalisant notre production,
42:27 nous avons aussi délocalisé notre pollution. Et que réindustrialiser,
42:33 c'est aussi diminuer et reprendre le contrôle sur notre empreinte environnementale.
42:38 C'est un défi de deux décennies, c'est un défi d'une génération.
42:44 Je pense sincèrement qu'après quelques années de réflexion sur le sujet,
42:48 et je ne suis pas le seul à le porter, nous commençons à comprendre,
42:52 à avoir décortiqué tous ces biais cognitifs que 40 ans de désindustrialisation
42:56 nous ont apportés et que nous avons un chemin pour y aller si nous le jouons
43:00 tous ensemble. Je vous remercie de votre attention.
43:04 [Applaudissements]
43:10 [Musique]