Avoir 20 ans - Laïcité chez les jeunes : pourquoi ça coince ?

  • il y a 5 mois
Il y a eu 1905, la loi fondatrice de la laïcité, séparant l’Eglise et l’Etat. Il y a aussi eu 2004, la loi sur l’interdiction des signes religieux ostensibles à l’école, l’un des piliers récents de la laïcité française.
Une loi qui fête ses 20 ans mais de moins en moins comprise par les moins de 20 ans. L’anniversaire est percuté par la montée des menaces liées à la laïcité envers les enseignants ou encore récemment les proviseurs.
Alors y a-t-il une fracture générationnelle sur la laïcité¿? Les jeunes y sont-ils moins attachés que leurs parents et pourquoi ? Cette exception française a-t-elle encore un avenir¿alors que d’autres modèles s’y opposent outre-manche ou encore outre-atlantique¿? On en débat dans "Avoir 20 ans".
Année de Production : 2024

Category

📺
TV
Transcript
00:00 [Musique]
00:20 Il y a eu 1905 la loi fondatrice de la laïcité séparant l'Église et l'État.
00:25 Il y a aussi eu 2004 la loi sur l'interdiction des signes religieux ostensibles à l'école,
00:31 l'un des piliers récents de la laïcité française.
00:34 Une loi qui fête donc ses 20 ans mais de moins en moins comprise par les moins de 20 ans.
00:39 L'anniversaire est en effet percuté par la montée des menaces liées à la laïcité
00:44 envers les enseignants ou encore récemment les proviseurs.
00:48 Alors y a-t-il une fracture générationnelle sur la laïcité ?
00:51 Les jeunes y sont-ils moins attachés que leurs parents ?
00:53 Et pourquoi cette exception française a-t-elle encore un avenir
00:57 alors que d'autres modèles s'y opposent, outre Manche ou encore outre Atlantique ?
01:02 On ouvre le débat sur ce plateau avec Ania Hamidi, bonjour.
01:05 – Bonjour.
01:06 – Vous avez 25 ans, vous êtes secrétaire générale de l'UNEF,
01:09 ce syndicat étudiant classé à gauche.
01:12 Également sur ce plateau Maxime Lod, bonjour.
01:14 – Bonjour.
01:14 – Vous avez 21 ans, vous êtes responsable du printemps républicain à Sciences Po Paris.
01:19 Le printemps républicain c'est ce mouvement politique
01:21 qui a été lancé au lendemain des attentats de 2015
01:24 et qui fait de la défense de la laïcité son combat principal.
01:28 À côté de vous, Valentine Zuber, bonjour et bienvenue.
01:31 Vous êtes historienne des idées, spécialiste de la liberté religieuse
01:35 et des droits de l'homme et je cite l'un de vos ouvrages
01:38 qui concerne ce débat, "La laïcité en débat"
01:42 qui a été publié en août 2023 aux éditions Le Cavalier Rouge.
01:46 Et enfin sur ce plateau, j'ai le plaisir d'accueillir Yanis Roder, bonjour.
01:49 – Bonjour.
01:49 – Vous êtes professeur d'histoire-géographie dans un collège de Seine-Saint-Denis,
01:53 directeur de l'Observatoire de l'éducation de la Fondation Jean Jaurès
01:57 et je cite deux de vos livres.
01:58 Tout récemment, vous êtes co-auteur de "Préserver la laïcité, les 20 ans de la loi" de 2004
02:04 et également en août 2022, je cite "La jeunesse française, l'école et la république",
02:10 deux livres qui sont parus aux éditions de l'Observatoire.
02:14 Alors je vous propose tout simplement de commencer par le début,
02:16 on va essayer de définir les termes du débat en quelque sorte et définir la laïcité.
02:23 Je vous cite la définition du Robert, c'est le principe de séparation
02:28 de la société civile et de la société religieuse.
02:32 Ania, tout simplement, comment est-ce que vous comprenez ce principe
02:36 et est-ce que c'est un principe auquel vous adhérez ?
02:38 – Oui, évidemment, c'est un principe auquel on adhère
02:41 et pour revenir un petit peu plus en profondeur sur ce principe-là,
02:44 pour nous la laïcité, effectivement, c'est la séparation de l'Église et de l'État,
02:49 mais c'est surtout la liberté de chacun de croire ou de ne pas croire
02:53 et ça rentre effectivement dans le principe aussi de la République
02:57 qui permet à chacun d'être libre de croire et de ne pas croire
03:00 et de ne pas discriminer les personnes qui croient ou qui ne croient pas.
03:03 – Donc un principe de liberté et de tolérance, Maxime Lotte,
03:07 pour vous, je le disais, c'est d'autant plus un principe fondamental
03:11 que c'est pour le défendre que s'est constitué aussi le printemps républicain.
03:15 – Oui, tout à fait, et au même titre que l'universalisme,
03:19 la laïcité est en fait le ciment de notre société, de notre République
03:22 qui permet aux individus, aux citoyens et aux jeunes
03:26 de vivre ensemble en société, en nation
03:29 et c'est ce qui permet aux individus de vivre dans une certaine cohésion sociale.
03:32 – Valentine Zipper, est-ce que vous êtes d'accord
03:33 à ce que viennent de dire nos deux jeunes ?
03:36 – Oui, bien entendu, je suis très sensible à ce principe de laïcité
03:40 même si je reviendrai un peu sur cette définition qui me paraît incomplète
03:45 parce qu'en fait, à l'origine, c'est un principe de séparation
03:48 de l'État et des sociétés religieuses, au pluriel d'ailleurs,
03:53 pas seulement l'Église catholique,
03:56 et en cela, c'est un pilier effectivement de la conception républicaine française.
04:02 J'ajouterai aussi peut-être cette attention à la liberté de conscience
04:07 qui est très importante dans la laïcité
04:08 puisque dans toute l'histoire de France,
04:10 cette liberté de conscience a été combattue par les rois,
04:13 par d'autres régimes pas forcément républicains
04:17 et donc la liberté de conscience est aussi un des piliers de la laïcité.
04:22 – Un principe consubstantiel à notre République, Yanis Rodin, la laïcité ?
04:25 – Oui, bien sûr, elle est vraiment consubstantielle à la République,
04:28 notamment parce que les républicains l'ont pensée comme telle,
04:31 c'est-à-dire qu'avant la loi 1905, la laïcité, elle touche les enseignements.
04:37 La loi Ferry de 1882, donc elle est déjà philosophiquement,
04:41 elle occupe déjà une place extrêmement importante
04:43 puisque les enseignements sont rendus laïcs.
04:46 Et puis en 1886 avec la loi Gobelet,
04:48 ce sont les personnels de l'éducation,
04:50 l'instruction publique à l'époque, qui deviennent laïcs.
04:53 – D'abord l'école et ensuite la République.
04:55 – D'abord l'école et puis après la République avec cette idée,
04:58 en quelque sorte, d'une double émancipation,
05:01 l'émancipation du politique vis-à-vis du religieux,
05:04 c'est-à-dire que le religieux n'a plus à dire son mot sur les politiques
05:07 et la politique telle qu'elle est menée par l'État.
05:09 Donc l'État devient areligieux, attention l'État n'est pas athée,
05:13 comme le disent parfois certains de mes élèves,
05:15 mais l'État est areligieux.
05:16 Et deuxième émancipation, celle des religions,
05:19 vous avez tout à fait raison Valentin Zuber,
05:21 les églises, c'est-à-dire les religions,
05:23 qui s'émancipent du pouvoir, du pouvoir étatique
05:26 et qui donc vont profiter de cette liberté de conscience
05:28 et surtout aussi également de cette liberté de culte
05:31 qu'offre le principe de laïcité.
05:33 – Alors on commence à avoir une perception de comment définir la laïcité,
05:36 on va essayer de comprendre aussi comment est-ce que c'est perçu
05:39 aujourd'hui par les Français ce principe,
05:41 on va en parler avec Quentin Lewilin, bonjour,
05:44 vous êtes directeur conseil à l'Institut CSA
05:47 qui a mené une étude sur le sujet il y a quelques semaines,
05:51 peut-être on peut commencer par le premier renseignement de cette étude
05:54 qui est un enseignement plutôt rassurant comme ce qu'on entend sur ce plateau,
05:57 c'est qu'il y a un attachement profond des Français à la laïcité.
06:01 – C'est vraiment un enseignement majeur de cet un
06:03 qu'on a réalisé en février dernier,
06:05 les Français, en tout cas dans leur très grande majorité,
06:08 à 70% témoignent de la laïcité et dans le détail d'en près de 40%
06:12 qui s'y disent même très attachés.
06:15 Et quand on regarde un petit peu le détail des résultats,
06:16 on voit que c'est un score qui culmine même à 81% auprès des 65 ans et plus
06:21 et qui est majoritaire quel que soit son bord politique
06:24 ou son rapport même à la religion.
06:27 Mais c'est vrai que c'est intéressant pour rebondir sur ce que vous disiez en introduction,
06:30 qu'on note un décalage générationnel important qui est à l'œuvre
06:34 quant à l'appréciation de ce principe
06:36 et en fait il passe sous le seuil des 50% auprès des jeunes de 18 à 24 ans.
06:41 Autrement dit, on a seuls 45% d'entre eux qui se disent attachés à la laïcité,
06:46 dont seulement 12% très attachés et à l'inverse,
06:50 on en a 38% qui vont s'estimer pas attachés à ce principe
06:54 et 17% qui vont même faire part d'une certaine indifférence par rapport à la laïcité.
06:59 Donc autrement dit, vous avez plus d'un jeune sur deux de 18 à 24 ans,
07:02 55% qui va mettre à distance ce principe entre le désintérêt et l'indifférence.
07:09 – Il y a aussi un autre enseignement dans votre étude,
07:12 c'est que les contours concrets de la laïcité ne sont pas faciles à saisir pour tout le monde
07:17 parce que vous avez par exemple adressé un questionnaire aux personnes que vous interrogez
07:22 et les personnes sont très loin d'avoir eu tout bon.
07:26 – Oui, alors déjà il y a effectivement un décalage entre ce que les gens,
07:31 comment ils se positionnent par rapport à ce principe,
07:34 qui dans l'ensemble, ils nous disent qu'ils sont plutôt à l'aise et qu'ils le comprennent plutôt,
07:39 même si petite nuance, on voit que les jeunes sont un petit peu plus réservés sur ce point-là
07:45 puisque vous voyez si seuls 14% de l'ensemble des Français vont nous dire mal comprendre ce principe,
07:51 on monte quand même à 29% parmi les 18 à 24 ans.
07:55 Après, dans le détail, effectivement, les contours sont loin d'être évidents
08:01 et en fait ce qui est compliqué c'est de bien comprendre
08:04 ce qu'autorise ou ce que n'autorise pas la laïcité.
08:09 Et c'est vrai qu'en dehors de l'interdiction de signes religieux visibles à l'école
08:13 qui pour le coup est très bien décodée vraiment par tous,
08:16 par l'ensemble des différentes catégories de la population,
08:19 et bien dans le détail on peut avoir quelques résultats intéressants
08:23 mais vous voyez un Français sur cinq, donc 21% d'un Français sur cinq,
08:27 pense que le port de signes religieux visibles est interdit dans la rue.
08:32 C'est quand même assez radical et c'est un score qui va monter à 30% chez les jeunes de 18 à 24 ans.
08:39 On a aussi à peu près un Français sur deux
08:42 qui pense que le port de signes religieux visibles sur son lieu de travail est interdit
08:47 et là c'est un score qui encore une fois grimpe et grimpe à 57% parmi les 18 à 24 ans.
08:53 Et un autre élément peut-être à ajouter ici,
08:57 on a 60% des Français qui considèrent que le port de signes religieux visibles
09:01 à l'université pour les étudiants est interdit, ce qui n'est pas le cas dans la réalité.
09:05 Oui, ce qui n'est pas le cas, la loi de 2004 c'est l'éducation nationale.
09:08 Exactement, et bien même sur ce point là,
09:10 on a quand même plus d'un jeune de 18 à 24 ans sur deux, 54%,
09:14 qui va partager cette perception, en tout cas supposer, imaginer que c'est interdit à l'université.
09:20 Donc une certaine méconnaissance des lois et des règles associées à la laïcité.
09:25 Il y a aussi certains qui voient la laïcité aujourd'hui en danger, pour quelles raisons principalement ?
09:33 Alors sur le danger, effectivement, on a une majorité de Français qui le considèrent en danger
09:42 et qui du coup, par conséquent, en tout cas c'est parce qu'ils voient que,
09:48 en majorité et notamment dans les services publics, ça va être remis en cause.
09:52 Et d'ailleurs ce qui arrive en tête, c'est vraiment l'école qui est le lieu
09:58 où finalement ces remises en cause sont les plus constatées.
10:01 Les enseignants d'ailleurs tiennent la sonnette d'alarme et sont très majoritairement à le souligner,
10:06 mais c'est partagé par l'ensemble de la société.
10:08 Et d'ailleurs les jeunes aussi considèrent ou en tout cas font ce constat
10:13 qu'il y a une menace, il y a des remises en cause qui sont plus ou moins,
10:18 en tout cas qui peuvent plus ou moins les déranger, mais qui sont à l'œuvre au sein de l'école.
10:26 – Bien merci, merci beaucoup Quentin Lewyline d'être intervenu dans cette émission.
10:30 On va essayer de parler justement de toutes ces données que vous venez de nous expliquer.
10:36 Maxime Lotte, est-ce que vous êtes de ceux qui estiment que la laïcité est aujourd'hui en danger,
10:41 particulièrement à l'école, dans les services publics,
10:44 comme vient de l'expliquer Quentin Lewyline, beaucoup de Français sont dans ce cas ?
10:47 – En danger, je ne sais pas, puisque comme votre intervenant a pu le préciser,
10:51 la grande majorité des Français sont attachés à ce principe de laïcité.
10:54 Puis effectivement il est mis en danger, il est attaqué par ce qu'on pourrait appeler des identitaires,
11:01 donc à gauche et à droite, qui vont instrumentaliser en fait cette laïcité.
11:05 À droite on a des professionnels de la catholaïcité qui vont essayer d'instrumentaliser cette laïcité
11:11 au profit de la religion catholique pour stigmatiser une certaine partie de la population.
11:15 Et d'un autre côté, à l'extrême gauche, vous avez des entrepreneurs identitaires
11:19 qui essayent d'asseoir une partie de la population dans une forme de stigmatisation,
11:29 dans l'idée où certains individus ne seraient définis que par une partie de leur identité.
11:33 – Donc vous avez le sentiment que c'est instrumentalisé pour séparer…
11:36 – Pour cliver la société, et aujourd'hui c'est très dangereux,
11:38 on est dans une société qui n'a jamais été aussi clivée,
11:41 où chacun essaye d'attiser la haine de toutes parts,
11:44 et donc aujourd'hui certains individus ont l'impression
11:46 que cette laïcité est malmenée d'un côté comme de l'autre.
11:49 – Agnès, vous êtes d'accord avec cela, avec l'idée que la laïcité,
11:51 c'est aujourd'hui un principe qui est instrumentalisé ?
11:54 – Oui. – Par qui et contre qui ?
11:56 – Oui, pour nous effectivement elle est instrumentalisée,
11:59 mais nous on n'a peut-être pas forcément la même analyse sur comment elle est instrumentalisée.
12:02 Aujourd'hui, effectivement, on le voit, il y a beaucoup de problèmes autour de la laïcité,
12:06 elle est peut-être mal comprise chez les jeunes, chez les lycéens, chez les mineurs, etc.
12:10 Mais si elle est mal comprise pour nous, c'est parce qu'on a un débat public
12:14 qui est mené par l'extrême droite, qui remet au cœur du débat public la laïcité.
12:19 Et pour nous, le principal problème qu'on a aujourd'hui,
12:22 c'est qu'on a une extrême droite qui est de plus en plus forte dans le pays,
12:25 qui est de plus en plus forte dans l'enseignement supérieur,
12:27 mais aussi chez les jeunes, et qui remet en question tous les jours la laïcité,
12:31 en utilisant des mots très forts, comme par exemple la guerre des civilisations,
12:35 tous les jours dans le débat public.
12:37 Et on a un gouvernement aussi à côté de ça, qui reprend ces éléments,
12:40 pour pouvoir remettre au cœur du débat public la laïcité,
12:44 et pointer du doigt des minorités religieuses, des minorités au sens général,
12:51 pour effectivement les pointer du doigt et déplacer les réels débats.
12:54 – Pourquoi, très clairement, quand vous parlez de minorités religieuses,
12:56 vous voulez parler des musulmans ?
12:57 – Exactement.
12:58 – Donc vous estimez que c'est aujourd'hui un moyen de stigmatiser les musulmans ?
13:04 Vous avez l'impression que c'est comme ça que c'est utilisé ?
13:06 – Aujourd'hui, on a effectivement l'extrême droite qui stigmatise les musulmans,
13:09 en remettant au cœur du débat la question de la laïcité.
13:13 On a un gouvernement qui remet en place des stigmatisations,
13:17 en mettant dans l'agenda politique toutes les analyses de l'extrême droite.
13:22 Mais aujourd'hui, pour nous, le principal problème,
13:24 effectivement, c'est comment l'école et comment la République
13:28 font en sorte que l'extrême droite ne soit plus au cœur du débat public.
13:31 – Yanis Roder, votre regard là-dessus, quand vous voyez que, voilà,
13:36 les jeunes peuvent nous dire qu'ils sont à la fois tout à fait d'accord sur le principe,
13:39 mais qu'aujourd'hui, ils estiment que, globalement,
13:41 il est beaucoup utilisé pour séparer, pour stigmatiser dans le débat public.
13:47 – Toute la difficulté, elle vient d'être dite, c'est l'instrumentalisation.
13:51 C'est-à-dire qu'il y a une réalité, et à partir de cette réalité,
13:55 vous pouvez avoir une instrumentalisation par l'extrême droite, par exemple,
13:58 c'est ce qui a été cité, mais ça n'empêche pas qu'il y a quand même une réalité.
14:02 C'est-à-dire que cette réalité, on la voit dans les écoles, moi où j'enseigne,
14:05 où vous avez aujourd'hui une autocensure des enseignants
14:09 sur des questions religieuses qui est de plus en plus importante.
14:12 Vous avez le rapport du Sénat, là, à montrer des menaces.
14:15 Vous avez, voilà, tout un ensemble d'événements aussi,
14:18 bien sûr on pourra revenir sur les menaces de mort dont a eu à souffrir
14:22 le proviseur du lycée Ravel, et puis ce qui s'est passé auparavant
14:25 que l'on connaît, les assassinats de nos collègues.
14:27 Donc il y a quand même cette réalité-là.
14:29 – Ça met le pati dans les gardins.
14:30 – Et ça ne veut pas dire, parce que, enfin je veux dire que l'extrême droite
14:32 instrumentalise cela, c'est une évidence, mais ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de problème.
14:35 Ça ne veut pas dire que ces problèmes-là, et notamment, moi, ce que j'appellerais
14:38 tout simplement une progression lente, mais certaine, de l'islamisme,
14:44 c'est-à-dire vraiment d'une vision extrême et radicale de l'islam,
14:47 dans sa pratique et dans sa conception politico-religieuse,
14:51 qui existe, qui est là et qui gagne de jeunes esprits,
14:53 on le voit par exemple dans l'ambiance qu'il y a à l'école.
14:57 Un sondage de 2018 fait par l'IFOP pour le CNAL montrait que 36% des enseignants
15:01 disaient s'être déjà auto-censurés.
15:03 Le même institut de sondage montre qu'en décembre 2022 c'est 56%.
15:08 Donc il y a cette réalité.
15:10 – Et vous diriez, qu'est-ce qui est le danger principal aujourd'hui,
15:12 cet islamisme dont vous parlez, vis-à-vis de la laïcité ?
15:15 – Je crois qu'il y a plusieurs dangers.
15:17 Il en fait partie parce que c'est un danger qui peut passer à l'acte.
15:24 Dans sa dimension djihadiste, il passe à l'acte et il assassine.
15:27 Là, le danger, aujourd'hui, il est sur le corps des enseignants,
15:31 au-delà même du corps enseignant.
15:33 C'est quand même là un danger extrêmement important.
15:37 Donc, bien sûr qu'il faut se garder de cette instrumentalisation de l'extrême droite,
15:41 mais il ne faut pas utiliser l'instrumentalisation qu'en fait l'extrême droite
15:44 pour gommer la réalité de ce qui se passe sur le terrain.
15:47 – Vous sentez, vous, juste en tant qu'enseignant, ce dont on parlait,
15:51 c'est-à-dire le fait que la laïcité est moins bien comprise aujourd'hui
15:56 qu'hier par la jeunesse ?
15:58 – D'une manière générale, je le vois depuis assez longtemps,
16:01 c'est-à-dire qu'une partie, je ne dis pas tous les jeunes,
16:04 parce que je pense qu'on ne peut pas généraliser,
16:06 – On ne dit pas tous les vieux, on ne dit pas tous les jeunes, oui.
16:09 – Une partie de la jeunesse conçoit les choses de manière très individualiste,
16:14 on va dire ça comme ça.
16:16 C'est-à-dire que ce qui compte, et je les comprends,
16:19 c'est leur liberté individuelle, c'est l'idée que je fais ce que je veux,
16:22 voilà, laissez-moi, c'est ma liberté.
16:25 Et j'ai l'impression qu'une partie de la jeunesse a du mal
16:29 à se concevoir en communauté politique, c'est-à-dire qu'en fait,
16:32 ils font partie d'un tout.
16:33 Ce tout, ça s'appelle la société ou ça s'appelle une nation, peu importe.
16:37 Et que dans une société ou dans une communauté politique,
16:41 l'individu est quand même limité par des cadres,
16:46 et les cadres sont donnés par cette communauté politique.
16:49 Et ça, je crois que certains ont du mal à le percevoir.
16:52 – Je vais vous donner à parler en tant qu'individu,
16:54 je voudrais juste vous faire réagir.
16:55 Est-ce que vous considérez qu'effectivement, il y a cet individualisme
16:58 dans votre génération, peut-être plus fort que dans d'autres générations,
17:02 et qui puisse aussi expliquer cette relation plus distancielle à laïcité ?
17:06 Maxime ?
17:08 – Oui, oui, oui, tout à fait, on le voit très bien avec notre génération,
17:10 et notamment avec les réseaux sociaux, où vous avez l'influence de TikTok
17:14 sur les jeunes, où ils sont dans leur bulle,
17:16 certains jeunes en tout cas passent leur journée à scroller.
17:19 Donc non la vision de la laïcité que celle qui est donc défendue sur TikTok,
17:24 et on l'a vu avec la polémique sur les abayas,
17:26 où en fait on a eu des jeunes qui se constituent en réseau
17:29 et qui ont considéré et ont essayé de promouvoir une vision de la laïcité
17:34 qui serait excluante, et qui ont donc considéré que l'action du gouvernement
17:40 était "islamophobe", stigmatisante et anti-musulmane.
17:44 – Valentine Zuber, volontairement, je n'ai pas voulu parler tout de suite
17:51 de l'islam quand on a dit laïcité, mais c'est venu quand même
17:55 très rapidement dans cette discussion.
17:57 Est-ce que cette focalisation sur l'islam et la laïcité,
18:00 pour vous, elle est justifiée aujourd'hui ?
18:02 – Non, je pense qu'elle est extrêmement problématique,
18:05 parce qu'un État laïque ne doit pas faire de discrimination
18:09 entre les différentes sensibilités religieuses qui sont présentes sur le territoire,
18:14 et depuis plus d'une trentaine d'années maintenant,
18:17 la seule cible de la laïcité actuellement, ce sont les musulmans,
18:21 et en particulier les jeunes filles musulmanes.
18:24 Et là je pense qu'il y a une vraie question qui doit nous obliger à repenser,
18:31 à nous retourner, à essayer de comprendre ce qui se passe.
18:34 Et je dirais que les lois qui ont été prises depuis 1989,
18:39 donc la première affaire du foulard, les lois dites de laïcité qui ont été prises,
18:45 ont sous une forme générale, bien entendu rhétorique,
18:49 ont stigmatisé, ont visé spécifiquement la jeunesse musulmane,
18:56 et en particulier les filles parmi elles, à travers cette police du vêtement
19:00 qui s'est peu à peu instaurée.
19:02 – Qu'est-ce que ça manifeste pour vous, un rejet de l'Islam ?
19:04 Le fait que l'Islam soit une religion qui pose objectivement plus de difficultés
19:09 vis-à-vis de la laïcité que d'autres religions ?
19:11 – Alors je ne le pense pas, en tout cas pas l'Islam en mode minoritaire
19:14 tel qu'il existe sur notre territoire, et il y a beaucoup de musulmans
19:19 qui sont très contents de ce système laïque qui leur permet de vivre
19:23 en toute liberté leur sensibilité religieuse,
19:27 de vivre le Ramadan actuellement par exemple,
19:30 sans qu'ils en soient empêchés ou stigmatisés,
19:33 et de vivre à l'égal des chrétiens, des juifs et des non-croyants.
19:38 Mais il y a une construction quand même de l'Islam comme danger
19:46 qui s'est peu à peu insinué dans les esprits,
19:50 et évidemment renforcé par les horribles attentats qu'on a connus en 2015 et après.
19:55 Mais ça c'est une toute petite partie de l'Islam,
19:59 et on ne peut pas dire que les jeunes filles qui insistent à l'adolescence
20:04 à porter un voile sont forcément des acteurs de cet islamisme
20:09 qui fait tellement peur et qui peut être effectivement assassin.
20:13 Donc il ne faut pas généraliser, et ça c'est un danger,
20:17 et je pense que la montée de l'extrême droite elle est aussi en partie
20:21 encouragée par cette focalisation continue sur les musulmans à travers la laïcité.
20:29 - Yanis Roder, vous voulez réagir ?
20:30 - Oui, alors évidemment je m'inscrirai en faux sur ce que vous dit Valentin Zuber,
20:34 parce qu'en réalité tout est une question de contexte.
20:37 En 1905, quand est votée la loi de séparation des églises et de l'État,
20:41 vous avez jusqu'en 1914 des affrontements qui sont très durs,
20:44 avec l'église catholique et avec les croyants catholiques.
20:48 Il y a des prêtres et des évêques qui sont condamnés en justice,
20:51 parce que la loi de 1905 le permet, puisqu'ils ont plaidé en chair
20:55 ou parlé en chair contre la loi et contre la République.
20:58 Ils sont sanctionnés et c'est très dur, et c'est bien plus dur en réalité qu'aujourd'hui.
21:02 En fait, quand je dis que c'est une question de contexte,
21:05 de fait, aujourd'hui, du fait de la présence d'une minorité de français musulmans,
21:10 et bien c'est l'islam qui interroge le principe de la laïcité,
21:13 qui vient l'interroger, qui vient le questionner.
21:15 C'est une question de concept. Il n'y a pas de stigmatisation davantage des catholiques
21:19 ou des musulmans aujourd'hui, c'est une question de contexte historique en réalité.
21:25 On aurait pu, à ce moment-là, dire en 1905, vous stigmatisez les catholiques,
21:29 c'est une stigmatisation des catholiques.
21:31 - On le disait. - Oui, et bien c'est une question de contexte.
21:33 Donc c'est bien juste une question de contexte.
21:35 - Oui, mais il y a de quoi te mesure ?
21:37 - La deuxième chose que je voudrais dire, c'est qu'au 19ème siècle,
21:41 face à la sécularisation qui avance, comment réagissent les religions ?
21:45 C'est très intéressant de regarder ça d'un point de vue historique.
21:47 Elles réagissent par les femmes.
21:50 C'est-à-dire qu'elles passent par les femmes pour réinvestir le champ religieux.
21:52 Pourquoi ? Parce que les femmes, dans les familles traditionnelles du 19ème siècle,
21:56 c'est celles qui vont éduquer les enfants,
22:00 c'est celles qui vont donner, transmettre la croyance et la religion.
22:05 C'est pour ça d'ailleurs qu'en France, on a donné très tardivement...
22:07 - Le droit de vote aux femmes. - Le droit de vote aux femmes.
22:09 - C'est une très bonne question là.
22:11 Donc, vous voyez, tout cela est à mon avis plus compliqué
22:15 que la simple question de la stigmatisation des musulmans.
22:18 - Alors, je me permets d'insister.
22:20 Quand il y a des affaires de laïcité comme la Manif pour tous
22:23 ou la PMA pour toutes,
22:26 eh bien là, on ne dit pas que c'est une affaire de laïcité.
22:29 Alors que c'en est une.
22:30 - Oui, vous avez raison.
22:31 - Parce que c'est du catholicisme politique qui s'exprime à ce moment-là.
22:34 Donc je pense, et je continue à dire,
22:36 qu'il y a quand même deux poids, deux mesures
22:39 entre les personnes à qui on impose finalement une vision de la laïcité
22:46 qui n'est pas la vision d'origine à mon avis.
22:48 - Anna Midi, un dernier mot sur ce point.
22:51 - Je rejoins ce qui vient d'être dit sur deux poids, deux mesures.
22:53 Moi, je pense qu'on est quand même effectivement dans un contexte
22:56 qui met les personnes musulmanes au cœur du débat
23:00 et toujours au cœur du débat à cause de l'extrême droite.
23:02 Mais je pense qu'on ne peut pas nier effectivement
23:04 que la laïcité aujourd'hui, telle qu'elle est remise en question,
23:07 c'est toujours sur les mêmes minorités religieuses.
23:10 Et ces minorités religieuses, elles sont toujours stigmatisées
23:12 par les mêmes personnes qui sont l'extrême droite.
23:15 Et je pense que ça, on ne pourra pas le nier.
23:17 Et si aujourd'hui, on en arrive effectivement à des constats
23:19 où on a des problèmes autour de la laïcité,
23:21 notamment à l'école, comme ce que vous venez de dire à l'instant,
23:24 c'est aussi parce qu'on est dans un climat
23:26 où depuis 2017, mais encore même bien avant,
23:29 c'est toujours les mêmes personnes qu'on cible du doigt,
23:32 c'est toujours les mêmes personnes qu'on va remettre en question
23:34 sur leurs faits religieux et comment ils doivent mettre en place
23:37 leur culte religieux.
23:39 Et je pense que c'est ça la plus grosse problématique
23:42 pour moi aujourd'hui.
23:43 Il y a débat sur ce sujet.
23:45 On va parler également bien sûr des menaces
23:48 qui pèsent sur les enseignants.
23:50 Yanis Roder, en tant qu'enseignant, est-ce que vous estimez
23:52 aujourd'hui plus difficile d'enseigner la laïcité
23:56 ou est-ce que vous avez des problèmes liés à la laïcité
23:59 dans votre quotidien d'enseignant ?
24:01 Non, en réalité, que ce soit pas simple,
24:04 c'est une évidence.
24:06 C'est-à-dire, pour les raisons que j'ai déjà avancées,
24:08 cette conception très individualiste du fait du...
24:11 un peu comme la chaîne de restaurant "Venez comme vous êtes".
24:15 Donc cette idée-là qui est quand même très présente
24:19 dans une partie de la jeunesse, et encore une fois,
24:21 je dis bien dans une partie de la jeunesse.
24:22 Donc effectivement, il faut dépasser cela
24:24 et poser des choses, expliquer comment justement
24:27 la France s'est choisi le système de laïcité
24:29 pour construire sa communauté politique.
24:32 C'est pas toujours évident parce que
24:34 certains élèves se crispent à partir du moment
24:37 où ils considèrent que la laïcité,
24:39 et ils le voient d'abord comme ça,
24:41 d'où les discussions qu'il faut absolument avoir,
24:43 ils considèrent d'abord la laïcité, à travers la loi de 2004,
24:46 comme un interdit.
24:47 Oui.
24:48 Quand la laïcité est un principe de liberté et d'émancipation,
24:51 et notamment la laïcité scolaire.
24:52 Donc il y a tout un travail à faire.
24:55 Ce n'est pas difficile, en réalité,
24:57 encore faut-il être solide, je crois, sur ses bases scientifiques.
25:00 On va en parler, ça suppose aussi certainement
25:02 Exactement.
25:03 une formation spécifique pour les enseignants.
25:05 Bien sûr, bien sûr.
25:06 Mais d'emblée, vous savez que vous allez vous heurter
25:09 tous les ans à la même question,
25:11 c'est-à-dire "oui, mais on n'a pas le droit de".
25:13 Et ça commence toujours comme ça.
25:15 On va continuer à parler de ce sujet
25:17 parce qu'il y a eu une commission d'enquête sénatoriale
25:20 qui a été menée sur la façon dont la laïcité
25:24 est vécue à l'école et les menaces
25:27 qui pèsent plus globalement sur l'école.
25:29 Nous sommes avec Laurent Laffont,
25:31 qui est président de la commission de la culture et de l'éducation,
25:34 qui est co-auteur de ce rapport.
25:35 Laurent Laffont, bonjour.
25:36 Bonjour.
25:38 Un mot d'abord sur le constat que vous faites dans ce rapport.
25:43 Vous estimez que la laïcité est en danger,
25:46 vu comme une interdiction et pas comme un principe d'émancipation,
25:52 comme venait de le dire Yanis Rodhar.
25:55 Oui, c'est un constat qu'on a fait après ces neuf mois d'enquête,
26:00 avec de nouveauses rencontres et des visites aussi,
26:02 des déplacements sur le terrain.
26:05 La laïcité, elle est contestée.
26:09 Je voudrais tout d'abord dire,
26:10 parce que je pense qu'à chaque fois,
26:11 il faut le replacer sous cette optique-là,
26:13 c'est un débat profondément républicain.
26:15 La notion de laïcité est profondément liée à la République
26:21 et c'est d'abord parce que c'est un enjeu de démocratie
26:25 et de vie en commun dans la République qu'il faut défendre la laïcité.
26:30 Alors après, oui, elle est contestée et on le voit quasiment chaque semaine.
26:35 Il y a un fait dans un établissement qui montre
26:38 qu'il y a des contestations dans l'application de la laïcité,
26:42 en particulier dans le lieu où finalement
26:45 elle est le plus organisée, structurée, qui est l'école.
26:50 Parce que c'est à l'école et aussi dans les services publics,
26:53 mais principalement à l'école, qu'il y a un certain nombre de règles
26:56 qui permettent d'appréhender de façon, j'allais dire, palpable,
27:00 de façon quotidienne, ce que signifie la laïcité,
27:04 le fait qu'une religion, quelle que soit la religion,
27:08 ne doit pas, au sein de l'école,
27:09 essayer d'influencer la liberté des consciences,
27:12 mais que c'est à l'enseignant, à celui qui transmet le savoir,
27:17 de pouvoir en toute liberté, j'allais dire,
27:22 dans sa liberté d'enseignant, de transmettre ce savoir.
27:25 Or, forcer de constater qu'il y a un certain nombre de tentatives,
27:30 de plus en plus nombreuses,
27:32 et contrairement à d'autres intervenants,
27:34 moi je n'ai pas d'hésitation à qualifier les tentatives,
27:36 c'est de l'intégrité islamique qui essaye de contester
27:40 le principe de la laïcité au sein des écoles.
27:43 Dire ça, ce n'est pas porter une accusation
27:47 sur toute la communauté musulmane, loin de ça, au contraire.
27:50 Je pense qu'il faut aider la communauté musulmane
27:52 en essayant de la protéger d'un certain nombre de personnes
27:56 qui veulent la faire assimiler à des pratiques
28:00 qui remettent en question notre laïcité.
28:03 – Laurent Laffont, vous voyez des contestations de la laïcité
28:07 de la part des élèves, de la part de leur famille,
28:11 mais aussi de la part des enseignants,
28:13 vous voyez aussi des différences générationnelles
28:15 d'approche de la laïcité selon les enseignants ?
28:19 – Oui, mais ça c'est l'enquête que vous avez montrée au début,
28:24 il y a un phénomène un peu générationnel,
28:26 la laïcité à la française, si on peut la qualifier ainsi,
28:30 elle est moins connue, moins appréhendée par la nouvelle génération,
28:35 la nouvelle génération en général,
28:37 et donc la nouvelle génération d'enseignants également.
28:40 Je crois que finalement pendant des années,
28:42 on n'a pas tellement parlé de la laïcité,
28:44 c'était quelque chose qu'on pensait acquis,
28:47 profondément inscrit dans notre réalité républicaine,
28:51 et finalement c'est une piqûre de rappel qui nous est imposée là,
28:58 de réexpliquer, de redire ce qu'est la laïcité,
29:01 pourquoi on y tient, pourquoi c'est indispensable
29:04 dans notre vie en commun, dans notre processus démocratique.
29:11 Effectivement, moi, il y a quelques années,
29:16 quand j'étais à l'école, on ne parlait pas de laïcité,
29:19 aujourd'hui on en parle beaucoup,
29:21 je pense qu'il y a toute une génération qui a oublié finalement
29:25 ce que c'était la laïcité, non pas qu'on ne savait pas
29:27 que la laïcité existe, mais on n'y mettait pas forcément les mots,
29:30 on n'analysait pas forcément les choses, il faut refaire tout ce travail.
29:33 Laurent Laffont, vous faites 38 préconisations à la suite de ces rapports,
29:37 si vous en avez une et qui concerne avant tout la jeunesse,
29:41 laquelle choisiriez-vous ?
29:44 C'est toujours difficile d'en dire une en particulier,
29:47 parce que c'est un ensemble, c'est pour ça que moi je suis toujours
29:50 un peu méfiant quand les gouvernements, quels qu'ils soient,
29:53 sortent une ou deux mesures, je ne sais pas,
29:55 une ou deux mesures qu'il faut sortir, c'est un plan cohérent et global.
29:59 Moi, ce qui me paraît tout à fait essentiel,
30:02 parce que c'est eux qui sont en première ligne
30:05 pour expliquer cette laïcité, la faire partager, la transmettre,
30:09 c'est la formation des enseignants.
30:11 La formation bien sûr en continu, mais la formation aussi initiale,
30:15 parce qu'on demande finalement un peu plus aux enseignants,
30:19 ce n'est pas uniquement d'enseigner et de transmettre,
30:22 on leur demande, moi j'aime bien cette image,
30:25 même si elle est peut-être un peu désuète,
30:27 mais les USAR de la République, je trouve que ça a toujours son sens.
30:31 Donc s'il y a une action qui me paraît être à privilégier parmi toutes les autres,
30:36 c'est la question de la formation des enseignants.
30:38 Laurent Laffont, restez avec nous,
30:40 parce qu'on va aussi parler de l'enseignement supérieur ensuite,
30:43 et j'aimerais avoir également votre point de vue.
30:45 Valentine Zuber, est-ce que ça serait la première mesure
30:48 à avoir la formation des enseignants ?
30:50 Alors, c'est amusant parce que le sénateur a choisi cette mesure,
30:54 c'est aussi ce que propose Gabriel Attal
30:56 quand il dit qu'il faut des cellules d'appui pédagogique
30:58 pour les enseignants, pour les enseignements dits "sensibles".
31:02 Oui, mais bien sûr, personne ne conteste le fait qu'il faut former les enseignants,
31:06 mais il me semble que c'est un processus qui est déjà en cours
31:08 depuis de très nombreux ministres,
31:10 pour ne citer qu'un des plus récents,
31:13 Jean-Michel Blanquer a mis en place,
31:15 à la suite des préconisations des ministres précédents,
31:17 tout un système de référents laïcité, d'équipes Valeurs de la République,
31:21 qui sont là aussi pour répondre aux attentes
31:23 quand il se passe une question, un problème à l'école,
31:27 et donc il me semble que le réseau,
31:29 et qu'en plus de ces "équipes de secours",
31:34 eh bien il y a ces formations obligatoires
31:37 et qui se font à un rythme sans précédent depuis une dizaine d'années,
31:41 donc je pense qu'il ne faut pas non plus réinventer le chaud.
31:46 Oui, effectivement, ça fait partie de ce qu'il faut faire,
31:49 et ce qu'il faut véritablement faire,
31:51 mais ce dont ont besoin les enseignants,
31:53 c'est aussi d'une formation qui ne soit pas ponctuelle, mais continue.
31:56 Donc c'est peut-être là-dessus qu'il faut mettre l'accent.
31:59 Maxime, ça ne fait pas si longtemps que vous avez quitté le lycée,
32:03 vous avez 21 ans.
32:05 Comment la laïcité s'était vue dans votre établissement du 95,
32:10 et comment c'était enseigné par vos enseignants ?
32:13 Justement, pour moi le problème il est bien là,
32:15 c'est qu'au cours de mon passage au lycée,
32:17 on ne m'a pas enseigné la laïcité.
32:19 On n'a pas enseigné la laïcité à mes camarades.
32:21 Je venais d'un lycée plutôt populaire,
32:24 très mixte au niveau social,
32:27 et on ne nous avait jamais appris ce que c'était la laïcité.
32:29 Vous pensez qu'on a fait l'impasse sur cette partie du programme ?
32:32 Oui, je n'ai pas eu de cours de MC par exemple.
32:35 Vous pensez que c'était quoi le sujet ?
32:38 C'est qu'il n'y avait pas le temps, les programmes m'ont terminé ?
32:40 Non, je pense que c'est une question de temps,
32:42 c'est une question d'organisation,
32:43 et qu'on ne donne pas aux enseignants forcément la possibilité
32:45 de s'exprimer et de transmettre leur savoir sur ces sujets-là,
32:48 qui sont à mon sens essentiels.
32:50 Et vous, comment c'était, Ania, quand vous étiez au lycée ?
32:54 Comment c'était à l'école ?
32:55 Non, on avait eu des cours de laïcité,
32:57 mais pour rebondir sur ce qui vient d'être dit,
32:59 pour moi, la première problématique qu'on a
33:02 autour de comment on va former les professeurs
33:04 et les élèves sur la question de la laïcité,
33:06 pour moi, le principal problème qu'il faut soulever,
33:10 c'est la question du financement.
33:12 Et à partir du moment où on aura effectivement une école
33:15 qui sera une école de la République,
33:17 telle qu'on la défend tous les jours
33:20 et qui sera financée à la hauteur des besoins
33:22 qu'il y a pour les élèves,
33:23 effectivement, on pourra avoir des cours de laïcité
33:26 qui pourront être mis en place.
33:28 Vous dites que ce sont des manques d'heures, du coup ?
33:30 Oui, ce sont des manques d'heures,
33:31 ce sont des manques d'enseignants.
33:32 Aujourd'hui, quand on est dans une situation,
33:34 et c'est encore extrêmement d'actualité,
33:36 dans une situation aussi critique,
33:37 où on a quand même une grande partie des établissements
33:40 comme à Saint-Denis, qui sont sous-financés,
33:42 qui ne permettent pas aux professeurs d'être remplacés,
33:44 qui mettent des élèves tous les jours
33:47 sans réel cours, etc., tous les jours,
33:50 nous, on considère que, effectivement,
33:52 c'est une question de financement.
33:53 Et pour nous, il y a deux poids, deux mesures.
33:55 Et aujourd'hui, on le voit,
33:56 et je vais finir là-dessus,
33:57 on a 96% des établissements financés par l'État,
34:01 donc sous contrat, qui sont privés,
34:03 qui sont des établissements catholiques.
34:05 Donc, pour le coup, je pense qu'il faut aussi
34:07 avoir ces éléments-là en tête
34:08 pour pouvoir discuter de formation aussi.
34:11 Yanis Radar, une question de financement.
34:13 Est-ce que c'est le principal problème
34:15 que vous voyez pour enseigner la laïcité
34:17 aujourd'hui, dans votre quotidien ?
34:18 Non, moi, je ne crois pas ça.
34:19 Mais je ne crois pas ça,
34:20 même si la question du financement
34:21 et de l'état de l'école est une vraie question.
34:23 Mais je ne crois pas qu'on ait besoin,
34:25 que ce soit la question…
34:27 Le noeud du problème.
34:28 En réalité, le noeud du problème
34:29 sur la question simplement de la laïcité.
34:30 Je crois que c'est d'abord une question
34:32 de formation et d'assurance.
34:33 Valentin Zuber a parlé du grand plan de formation
34:37 qui a été initié, en fait,
34:38 il n'existait pas avant,
34:39 par Jean-Michel Blanquer,
34:41 après l'assassinat de Samuel Paty.
34:43 Ça a déjà été en réaction, vous voulez dire,
34:46 à quelque chose de très très grave.
34:47 Il y avait une formation très ponctuelle
34:48 qui avait été mise en place
34:49 au moment du passage de Najat Vallaud-Belkacem,
34:54 mais c'était très ponctuel
34:55 et c'était sur la base du volontariat.
34:57 Aujourd'hui, 504 000 enseignants
35:00 ont été formés suivant ce plan de formation
35:03 initié par Jean-Michel Blanquer
35:04 et continué par les ministres qui ont suivi.
35:07 Mais le problème, il est d'abord,
35:10 et je pense que c'est ce que vous avez vécu,
35:12 un problème d'assurance du professeur
35:14 sur des questions qui peuvent être sensibles.
35:16 Je l'ai dit quand j'ai parlé de l'enseignement,
35:18 il faut être solide.
35:21 Il faut être solide.
35:22 On n'a pas forcément envie,
35:24 quand on est enseignant,
35:25 de se dire, voilà,
35:26 je vais faire mon cours sur la laïcité,
35:27 ça va être, ça va être,
35:29 ça va être, boum, on va cogner,
35:31 ça va être compliqué.
35:32 Donc il faut être,
35:33 il faut d'abord être solide
35:34 et après, il faut imaginer…
35:36 Vous voulez dire qu'il y a des enseignants
35:37 qui font l'impasse parce qu'ils ne se sentent pas solides ?
35:39 Je pense, oui, qu'il y a des enseignants
35:41 qui font l'impasse ou qui passent très vite
35:43 parce qu'au-delà de la description,
35:45 si vous voulez, la laïcité,
35:46 liberté de conscience,
35:47 liberté de culte,
35:48 neutralité de l'État,
35:49 et hop, on passe à la suite.
35:50 On a peur du débat que ça va provoquer
35:51 aussi auprès des jeunes ?
35:52 Je pense qu'on n'a pas nécessairement peur,
35:54 mais on n'a pas envie d'avoir à argumenter,
35:58 d'avoir à justifier,
35:59 d'avoir à aller dans des discussions
36:02 qui peuvent être aussi difficiles
36:03 parce que les arguments que peuvent avoir les jeunes
36:06 peuvent être des arguments très intéressants,
36:07 très intelligents,
36:08 et donc, voilà,
36:09 ce n'est pas forcément évident.
36:10 D'où la nécessité de la formation continue
36:13 dont parlait Valentin Zuber,
36:14 notamment sur le plan pédagogique.
36:16 Comment pédagogiquement nous travaillons
36:18 avec nos élèves pour faire comprendre
36:19 l'intérêt de ce principe de laïcité
36:21 qui organise notre communauté politique ?
36:24 Je voudrais vous faire réagir, bien sûr,
36:25 vous avez parlé de Maurice Ravel,
36:27 il y a plusieurs événements cette année
36:29 qui ont montré combien c'était difficile
36:32 pour les enseignants,
36:34 pour les proviseurs,
36:35 donc ce proviseur qui a été menacé de mort
36:38 après une altercation avec une élève
36:43 à qui il demandait de retirer son voile.
36:46 Il y a eu d'autres événements,
36:48 il y a aussi eu, par exemple,
36:49 une professeure qui a été menacée
36:50 il y a quelques mois
36:51 parce qu'elle avait présenté à ses élèves
36:53 un tableau du XVIIe siècle
36:55 représentant Diane et Actéon prenant le bain.
36:58 Est-ce que tout cela, ça vous surprend ?
37:01 Ça ne vous surprend pas ?
37:02 Vous trouvez que c'est grave, forcément ?
37:04 C'est grave, forcément, ça l'est.
37:06 Valentine Zuber ?
37:07 Oui, c'est grave,
37:08 c'est parce que ça montre un manque de culture,
37:10 un manque d'appétence pour une culture autre,
37:13 ancienne, dans le cadre du tableau,
37:16 ou récente, sur les différentes manières
37:20 d'envisager la vie bonne ou la vie ensemble.
37:23 Donc, oui, je pense que là, c'est grave.
37:25 C'est des signaux d'alarme.
37:27 Oui, et je rejoins tout à fait Yanis Roder
37:29 sur l'idée qu'il faut trouver une manière pédagogique
37:32 d'expliquer la laïcité
37:34 et ainsi rompre avec cette impression
37:37 que la laïcité est finalement
37:39 une suite de règles d'interdiction,
37:41 ce qui a, en fait, été très dommageable
37:44 au principe de laïcité depuis une trentaine d'années.
37:48 Donc, je pense que là, c'est de la pédagogie,
37:51 c'est expliquer quelles sont les cultures du temps passé,
37:55 les cultures du temps présent.
37:57 Je voudrais également faire réagir Laurent Lafon
37:59 à ce qu'on vient de dire en plateau
38:02 sur la nécessité de donner les fondamentaux
38:07 pour que les enseignants se sentent aussi
38:11 d'enseigner la laïcité.
38:13 Oui, je partage complètement.
38:17 C'est pour ça que j'ai mis tout à l'heure l'attention
38:20 sur la question de la formation
38:22 qui est bien sûr une formation continue,
38:24 mais qui est d'abord une formation initiale.
38:26 Et quand je parlais de la formation,
38:28 c'est pour insister aussi sur le fait
38:30 qu'il fallait doter les enseignants
38:32 d'une formation solide pour affronter,
38:36 si je peux le dire ainsi,
38:38 les situations dans lesquelles ils vont être confrontés
38:40 durant leur carrière.
38:42 Il y a bien sûr l'outil pédagogique,
38:44 il est indispensable,
38:46 comment on transmet la laïcité aux jeunes,
38:52 mais il y a aussi une approche un peu professionnelle,
38:56 c'est-à-dire d'appréhender les différentes situations
38:58 dans lesquelles ils vont être confrontés,
39:00 les moments de tension.
39:02 Ce n'est pas uniquement dans un dialogue serein et calme,
39:06 ça peut être aussi des moments de tension,
39:08 et c'est ça qui déstabilise les enseignants,
39:10 comment on réagit par rapport à ces moments de tension,
39:14 que ce soit avec des élèves ou que ce soit avec des parents,
39:17 puisque on voit aussi dans les chiffres de l'éducation nationale
39:21 et notamment en école élémentaire,
39:24 que de plus en plus la contestation vient des parents eux-mêmes.
39:27 Donc ce n'est pas la même chose de réagir par rapport à une contestation
39:30 qui vient d'un ou de plusieurs de ses élèves,
39:33 que d'une contestation qui vient des parents.
39:36 C'est là où la formation initiale est extrêmement importante
39:39 pour que les enseignants, comme le disait Yanis Roder,
39:43 ce n'est pas uniquement de savoir comment faire,
39:46 c'est aussi qu'ils soient en confiance dans leur positionnement,
39:49 dans le fait que ce qu'ils ont à transmettre
39:53 et d'une certaine manière ne doit pas donner lieu à de contestations
39:59 ou si elle est contestée en tout cas que ça ne déstabilise pas.
40:02 Alors en tout cas expliquer la laïcité n'est pas forcément
40:05 que le monopole des enseignants.
40:07 Certains jeunes prennent l'initiative d'expliquer la laïcité à plus jeunes qu'eux.
40:13 Vous allez le voir, ils sont sortis de l'enseignement secondaire
40:16 il y a quelques années, ils ont la vingtaine,
40:18 ce sont des ambassadeurs de la laïcité.
40:21 Adrien Pain a rencontré ces jeunes avant l'un de leurs ateliers
40:25 au lycée Gustave Ferrier à Paris.
40:27 Regardez.
40:28 Après les attentats contre Charlie Hebdo,
40:30 Anis était scolarisé dans un collège dans lequel la minute de silence a été perturbée.
40:34 Suite à l'incident, l'association Expression de France
40:37 est intervenue dans son établissement.
40:39 Un moment marquant qui l'a poussée, quelques mois après,
40:41 à s'y engager sur les questions de laïcité.
40:44 Lors de cette intervention, on a appris citoyenneté,
40:46 on a appris qu'est-ce que c'était 4 citoyens.
40:48 On n'a jamais posé la question qu'est-ce que citoyen français,
40:51 mais aussi citoyen européen.
40:52 Il y a plein de notions comme ça que je ne connaissais pas.
40:54 Moi j'ai eu une oreille attentive qui m'a écouté
40:56 et moi je vais être aujourd'hui cette oreille-là pour écouter les autres.
40:59 Neuf ans plus tard, en parallèle de ses études de droit,
41:01 c'est à son tour d'intervenir dans les établissements scolaires.
41:04 Il est accompagné d'autres jeunes bénévoles.
41:07 Ce jour-là, il sensibilise des classes de lycée à la laïcité
41:10 avec une autre approche que des cours classiques.
41:12 Ne me laissez pas solo.
41:14 Pas d'habitude.
41:15 On leur dit dès le départ, on n'est pas là pour donner des cours,
41:17 on n'est pas des profs.
41:19 Notre but c'est vraiment d'installer un débat,
41:22 donc on leur donne beaucoup la parole.
41:23 Ce qu'ils apprécient c'est qu'on leur donne des cas concrets.
41:26 Par exemple, j'ai eu un dossier où à l'école,
41:29 quelqu'un a voulu entrer avec un port religieux qui lui a été interdit.
41:32 Pourquoi c'est interdit ?
41:34 Pour atteindre les plus jeunes sur ces sujets,
41:36 il y a aussi des initiatives innovantes,
41:38 comme ce jeu vidéo sur la laïcité,
41:40 disponible en ligne depuis décembre dernier.
41:42 Pendant une heure, les joueurs sont plongés dans un scénario dystopique
41:45 où la laïcité n'existe plus.
41:47 Ce dangereux criminel est recherché pour être la tête pensante
41:50 d'un mouvement qui veut interdire toute croyance au nom de la laïcité.
41:53 La société est divisée en deux camps,
41:55 des religieux radicaux d'un côté et des athées radicaux de l'autre.
41:59 Pour les réconcilier, il faut résoudre une série d'énigmes
42:02 à l'aide des textes fondateurs de la laïcité en France.
42:04 J'ai lu sur Insta qu'une mairie ne pouvait pas mettre une croix
42:07 ou n'importe quel autre signe religieux dans ses locaux.
42:10 Il va falloir qu'ils découvrent quel est l'article
42:13 qui correspond à l'audio.
42:16 Une méthode d'apprentissage que ce concepteur de jeux vidéo
42:19 a développée avec une enseignante nîmoise.
42:22 Le choix du jeu vidéo de pouvoir aller sur une voie
42:25 complètement interactive et ludique,
42:27 m'a permis d'impliquer davantage.
42:29 C'est là où on va pouvoir, sans stigmatiser personne,
42:31 expliquer globalement en quoi c'est important
42:33 cette fameuse loi de 1905 et tout ce qui va en découler.
42:36 Plus de 1000 parties ont déjà été jouées.
42:39 Un travail d'un an qui a reçu le prix de la laïcité en 2022.
42:42 Décerné chaque année au ministère de l'Intérieur.
42:45 - Maxime, je vous voyais sourire en regardant ce jeu vidéo.
42:48 Qu'est-ce que ça vous inspire ?
42:50 Je ne suis pas sûre que ce serait forcément le premier jeu
42:53 auquel vous joueriez sur votre console,
42:55 mais néanmoins, ça peut être intéressant comme initiative.
42:58 - C'est super comme initiative.
43:00 On a souvent l'impression que les jeunes ont cette vision
43:02 de la laïcité comme une espèce de valeur réactionnaire,
43:04 archaïque, remontant dans un ancien temps.
43:07 On n'en a plus besoin, etc.
43:09 Mais ce genre d'initiative, ça peut justement faire comprendre
43:12 aux jeunes que c'est quelque chose qui est essentiel
43:14 dans notre société et que ça peut leur permettre
43:16 de vivre avec leurs camarades en paix, en liberté
43:19 et en tolérance.
43:21 - Oui, Yannis Roder en disait, il faut peut-être aussi
43:23 rénover la pédagogie pour expliquer la laïcité.
43:26 - Je pense que ça en fait partie.
43:28 J'avais rencontré les initiateurs de ce jeu
43:31 et c'est vrai qu'ils ont fait quelque chose de très intéressant,
43:33 de ludique et d'interactif.
43:35 - Ça peut peut-être être utilisé dans les établissements
43:38 scolaires, par rapport au sujet.
43:40 - Je compte développer la recherche pédagogique
43:42 autour de cet enjeu de la laïcité pour bien le faire comprendre.
43:47 Ça me semble extrêmement important.
43:49 Et les initiatives, plus elles sont nombreuses,
43:52 mieux ce sera.
43:54 J'ai quand même été marqué par ce que dit ce jeune intervenant
43:57 en disant, au collège, on m'avait...
43:59 Quand même, il est au collège.
44:01 Je ne sais pas en quelle classe est venu l'intervenant,
44:03 mais je n'avais pas réfléchi à ce que c'est qu'un citoyen.
44:06 Alors on se dit quand même, il y a quand même des moments où...
44:09 Bon, je ne veux pas accabler mes collègues profs,
44:11 chacun fait ce qu'il peut comme il peut.
44:13 Mais qu'un élève au collège n'ait jamais entendu parler
44:16 de ce que c'est qu'un citoyen, de ce que c'est que la citoyenneté,
44:18 ça questionne quand même.
44:20 - Ça finit par arriver et par l'intermédiaire...
44:22 - Ça arrive par l'intermédiaire d'une association qui vient de l'extérieur.
44:26 - Qui vient de l'extérieur et après les attentats de 2015,
44:29 c'est aussi ça qui est un petit peu remarquable.
44:31 Et après un incident, c'est-à-dire qu'il y avait eu un problème
44:33 pendant la minute de silence observée.
44:35 Qu'est-ce que ça vous inspire, Ania Midi ?
44:38 - Là, pour revenir effectivement sur toutes les méthodes pédagogiques,
44:41 c'est très bien de remettre en place différentes méthodes
44:44 avec des jeux vidéo, etc.
44:46 Mais je pense qu'un des principes aussi qu'il faut redonner
44:48 au cœur de la laïcité et comment on va l'inculquer aussi aux jeunes,
44:52 c'est de leur expliquer aussi que la laïcité les protège
44:55 contre toute forme de discrimination liée à la religion.
44:58 Et pour moi, ce principe-là, il est important aussi à inculquer aux jeunes
45:02 parce que souvent, on arrive dans des climats,
45:05 pour tout ce qui vient d'être dit, où on a des discriminations
45:07 qui se font en interne des lycées, en interne des écoles,
45:11 par les professeurs, par les parents d'élèves, par les lycéens.
45:14 Mais la principale valeur que défend la laïcité,
45:20 c'est aussi de pouvoir les protéger, qu'ils soient croyants ou non croyants.
45:24 Et je pense que c'est ça qu'il faut remettre aussi au cœur du débat
45:27 plutôt que d'aller stigmatiser, effectivement, encore une fois,
45:30 des minorités religieuses dans le débat public, dans l'école, etc.
45:34 Alors, il nous reste un petit quart d'heure, tous ensemble.
45:37 Je voudrais également qu'on parle du sujet de l'enseignement supérieur.
45:41 Parce que, Valentine Zuber, le sujet n'est pas tout à fait le même
45:44 puisque, avec l'enseignement secondaire, il y a cette loi de 2004 qui s'applique
45:49 qui interdit le port de signes religieux ostensibles à l'école.
45:53 Ce n'est plus du tout le cas ensuite à l'université,
45:56 même si la laïcité est présente.
45:58 La loi Savary de 1984, le service public de l'enseignement supérieur,
46:02 est laïque et indépendant de toute emprise politique,
46:05 économique, religieuse ou idéologique.
46:08 Il tend à l'objectivité du savoir, il respecte la diversité des opinions.
46:12 Du coup, la laïcité, c'est avant tout dans l'enseignement
46:15 qui se trouve à l'université.
46:17 – Alors, la laïcité se trouve d'abord dans la neutralité,
46:21 à la fois vestimentaire et d'affichage des professeurs,
46:26 de tous les encadrants à l'université,
46:29 c'est aussi la liberté en échange des usagers de l'université,
46:35 liberté absolument totale.
46:37 C'est pourquoi on trouve dans nos universités
46:42 des jeunes femmes voilées de manière tout à fait normale,
46:47 si je puis dire, sans que cela pose de questions.
46:50 – Et votre expression, ce qu'on a entendu tout à l'heure,
46:53 moi ça m'a frappé, dans l'étude, que beaucoup de personnes,
46:57 encore, pensent qu'à l'université,
47:00 le port du signe religieux ostensible pour les étudiants
47:04 est également prohibé.
47:05 – Oui, alors là, il me semble une méconnaissance
47:08 qui est aussi liée à une sorte d'obsession depuis 1989,
47:15 d'obsession sur le signe religieux dans l'espace public
47:18 et qui passe par des tas de voies incluant, par exemple,
47:24 les mères accompagnatrices de sorties scolaires,
47:27 les burkinis sur les plages ou dans les piscines,
47:31 les hijabs de sport pour les footballeuses.
47:36 Donc tout ça fait qu'il y a un climat aussi
47:39 où le signe religieux devient personna non grata
47:45 dans la société française et il y a une confusion
47:47 entre État laïque et société civile laïque.
47:51 Donc, l'État doit être laïque,
47:55 ce n'est pas du tout le cas de la société civile.
47:57 Et réfléchissez cinq minutes,
47:59 si l'association civile était laïque, était neutre,
48:02 il n'y aurait plus de démocratie,
48:04 il n'y aurait plus de divergence d'opinion,
48:07 il n'y aurait plus d'occasion de débat.
48:08 Donc il faut faire très attention
48:10 de bien circonscrire le devoir de neutralité
48:13 du côté des fonctionnaires de l'État et de l'État lui-même
48:17 et avec cette exception qu'est la loi de Mécane vis-à-vis des…
48:21 – Alors ça passe par le vêtement pour l'essentiel pour vous,
48:23 ça passe aussi par l'enseignement, la façon dont il doit être construit ?
48:25 – Non, bien sûr, ça ne passe pas uniquement par le vêtement.
48:27 Le vêtement, il est signe religieux
48:30 parce qu'on lui donne cette signification,
48:32 mais ce n'est pas le vêtement, c'est le discours
48:34 qui peut être une atteinte à la laïcité,
48:38 beaucoup plus que le vêtement.
48:40 Et c'est plutôt ça, c'est les débats prosélytes,
48:43 c'est là où on empêche de parler les gens qui ne pensent pas comme vous.
48:47 Donc c'est là où la laïcité peut être en danger, selon moi,
48:51 et non pas en ce qui concerne le vêtement.
48:54 – Maxime, est-ce que vous observez justement
48:56 des remises en cause de la laïcité aujourd'hui
48:58 dans votre contexte universitaire d'études supérieures ?
49:01 – À l'université, la laïcité, elle est là pour protéger les individus.
49:06 Comme ma camarade le disait, la laïcité c'est une liberté
49:09 donc elle permet de croire, de ne pas croire, etc.
49:12 Donc elle protège les individus qui croient,
49:14 qui ont une croyance, une foi.
49:16 Aujourd'hui, il y a des gens qui contestent cette liberté-là,
49:19 qui s'en prennent à des individus du fait de leur confession.
49:22 Aujourd'hui, on a une explosion des cas d'antisémitisme.
49:25 Et la laïcité doit être là justement pour protéger ces individus.
49:28 – Pour être référence notamment aux incidents
49:30 qu'il y a pu y avoir à Sciences Po ?
49:31 – Oui, tout à fait.
49:32 Aujourd'hui, depuis le 7 octobre,
49:34 on a une augmentation de 1000% des actes antisémites, 1000%.
49:38 Et donc aujourd'hui, la laïcité, elle faillit.
49:41 L'État faillit, les institutions faillissent,
49:43 les universités faillissent à protéger nos camarades juifs.
49:46 Je mets en lien donc ces discriminations
49:51 avec une faillite aujourd'hui de la laïcité
49:53 qui n'est pas acquise dans la tête de beaucoup de nos camarades
49:58 et qui n'ont pas conscience donc aujourd'hui
50:00 que la loi protège tous les individus qui ont une croyance.
50:04 – Que ce soit leur religion. – Exactement.
50:06 – Et vous observez ce type de phénomène aujourd'hui aussi,
50:10 lié notamment au contexte international ?
50:13 On imagine que ça a énormément augmenté depuis l'attentat du 7 octobre.
50:17 – Évidemment, on a plusieurs problématiques
50:19 sur les discriminations de façon globale
50:22 pour toute religion au sein de nos universités.
50:25 Mais pour nous, le principal problème,
50:27 c'est effectivement comment les institutions
50:29 permettent de protéger ces personnes
50:32 qui croient ou qui ne croient pas dans nos universités.
50:34 Mais c'est aussi comment on arrive à répondre
50:37 à toutes les attaques qu'eux mettent en place,
50:39 par exemple, et je le redis, les gros puscules d'extrême droite
50:43 qui sont de plus en plus présents sur nos facs
50:45 et qui vont montrer du doigt les personnes
50:47 qui croient en général à des religions.
50:51 Et c'est aussi un petit peu toutes ces problématiques-là
50:53 qu'il faut soulever.
50:54 Aujourd'hui, quand on est dans un climat aussi hostile
50:57 au sein de la société, nous ce qu'on pense
50:59 c'est que nos universités, elles ne sont pas perméables à la société.
51:03 Et toutes les problématiques qu'on a dans la société
51:06 autour de la laïcité, de comment on va montrer du doigt
51:09 des minorités religieuses, des personnes musulmanes,
51:12 des personnes juives, etc., c'est la même chose
51:14 qui se passe dans nos universités.
51:16 Et c'est comment, effectivement, on arrive à mettre en place
51:19 des choses qui protègent ces personnes-là.
51:22 On a eu des annonces de la ministre
51:24 qui voulait mettre en place des cellules
51:26 pour pouvoir lutter contre les discriminations
51:29 de façon générale, mais pour pouvoir aider
51:31 contre l'antisémitisme, contre toutes les attaques
51:34 qui pourraient être faites aux minorités religieuses.
51:36 C'est des choses qui sont mises en place, mais pas assez vite.
51:39 Et on n'a pas encore de réels moyens,
51:41 mais aussi de réels plans qui sont mis sur la table
51:44 pour pouvoir lutter contre ça.
51:46 – Yanis Roder, qu'est-ce qui porte atteinte
51:50 à la laïcité aujourd'hui à l'université ?
51:52 On vient de parler de ce contexte international
51:57 qui a commencé à enflammer les universités américaines.
52:00 Et puis aujourd'hui, on voit les universités françaises.
52:02 Certains estiment aussi qu'il y a des changements de culture
52:06 sur une plus longue traîne, j'allais dire,
52:09 avec notamment le multiculturalisme anglo-saxon
52:13 qui arrive dans les universités françaises.
52:16 Pour vous, quel est le problème pour l'essentiel aujourd'hui ?
52:20 – Le problème, il est, je crois, dans l'incapacité
52:24 que peuvent avoir certains d'abord au débat.
52:27 Et d'avoir un débat démocratique et apaisé.
52:29 On a vu, vous avez parlé de Sciences Po,
52:31 on a vu combien, là c'est pas l'extrême droite,
52:33 c'est plutôt l'extrême gauche, qui a violemment pris à partie
52:36 une jeune fille et d'autres étudiants apparemment
52:39 pour leur appartenance confessionnelle, réelle ou supposée d'ailleurs.
52:43 – On rapporte une enquête et on saura exactement.
52:48 Mais admettons qu'en tout cas, il y a un problème.
52:50 – Voilà, il y en a eu à Strasbourg.
52:52 Il y a des jeunes qui ont été agressés physiquement à Strasbourg
52:55 parce qu'ils identifiaient comme juifs.
52:57 Voilà, ça c'est avéré.
52:59 Donc, il y a une incapacité au débat en réalité.
53:02 Et cette incapacité au débat, moi, elle me questionne
53:04 parce que notre société est une société démocratique.
53:07 L'université, quelle qu'elle soit, prépare les jeunes
53:10 justement au débat démocratique et doit participer au débat démocratique.
53:13 Or, effectivement, on a des crispations aujourd'hui
53:16 qui sont des crispations politiques, mais aussi des crispations identitaires
53:20 notamment venues des États-Unis.
53:22 On le voit aux États-Unis et ça vient chez nous en France.
53:25 On constate que la conséquence, c'est que le débat n'est plus possible.
53:30 Et on se retrouve avec vérité contre vérité, avec des agressions,
53:35 avec des prises de position extrêmement violentes
53:37 et une incapacité à échanger et à construire un débat apaisé.
53:41 – Laurent Laff, je pense que ça n'est pas complètement nouveau.
53:44 Les universités sont toujours un peu des bouillons
53:47 et des chaudrons d'idées qui s'opposent.
53:51 Alors, on est dans un contexte particulier,
53:55 mais à l'époque de la guerre froide, les débats n'étaient pas beaucoup plus possibles
54:00 à l'université entre communistes et non-communistes.
54:04 Donc je pense qu'il ne faut pas exagérer.
54:06 Je pense que justement, l'université est un endroit où les choses émergent.
54:11 – Ça peut être de l'émulation, ça peut être aussi…
54:13 – Absolument, je pense que c'est nécessaire aussi à la construction des citoyens.
54:18 – Oui, mais pas en tapant sur la tête des autres quand même.
54:20 – Ah non, mais bien sûr, mais enfin, vous en parliez tout à l'heure,
54:25 il y avait aussi des commandos d'extrême droite
54:30 qui étaient très bien installés dans une université parisienne
54:34 et qui faisaient déjà des commandos dans les années 70.
54:38 – Et c'est encore le cas.
54:40 – Voilà, donc je dirais que ce n'est pas nouveau
54:43 et qu'il ne faut pas non plus crier au loup, au loup tout le temps.
54:46 – Mais est-ce qu'il y a quand même des choses qui sont nouvelles
54:49 liées aux atteintes à la laïcité à l'université ?
54:51 – Je ne crois pas, je ne crois pas.
54:53 Moi, je ne le crois pas, je crois que la laïcité,
54:56 elle est bien intégrée à l'université,
54:58 que justement elle est respectueuse des différentes opinions des étudiants
55:03 et que pour l'instant, ça marche bien
55:05 et qu'il n'y a pas de contestation de cours
55:07 que je sache sur motif de laïcité à l'université.
55:12 – Laurent Laffont, on a parlé laïcité, on a aussi parlé antisémitisme,
55:19 vous comptez lancer aussi des travaux sur ce sujet à l'université ?
55:23 – Oui, c'est même fait puisque nous avons décidé
55:27 de lancer une mission d'information sur l'antisémitisme à l'université
55:33 pour savoir quelle est la situation exacte,
55:35 parce que vous en parlez, on en parle,
55:38 mais pour l'instant, on a besoin d'établir un diagnostic,
55:42 d'avoir une vision à peu près fiable de qu'est-ce qui se passe,
55:45 quels sont les faits, quelle est l'ampleur des faits,
55:48 est-ce qu'ils existent, etc.
55:50 Ce sont des questions qu'il faut se poser,
55:53 moi, je voudrais juste dire un mot là-dessus.
55:55 D'abord, c'est tout à fait normal que les étudiants débattent,
56:00 ils ne débattraient pas, ça serait presque inquiétant d'ailleurs,
56:02 parce que s'ils ne réagissent pas au monde dans lequel ils vivent,
56:06 c'est presque un appauvrissement de constater qu'une jeunesse ne réagit pas.
56:11 En revanche, je pense que le débat, un débat,
56:14 quel que soit le débat, où que se déroule le débat, ça s'organise.
56:18 Le débat, ce n'est pas la loi du plus fort contre le plus faible,
56:21 et ce n'est pas certains qui interdisent à d'autres de s'exprimer,
56:25 il n'y a pas de débat sans organisation.
56:28 Et c'est ça qui est reproché parfois dans certaines universités,
56:32 pas toutes, ne faisons pas de généralité,
56:34 mais c'est le fait qu'on n'est plus sur quelque chose d'organisé, de construit,
56:39 et que certaines personnes, dont on ne sait pas pourquoi d'ailleurs,
56:42 quand on pense qu'un ancien président de la République a été interdit
56:45 de s'exprimer dans un établissement d'enseignement supérieur,
56:47 on peut se dire effectivement, là il y a des limites qui ont été dépassées,
56:52 et ce n'est pas normal.
56:53 Et quand on fait référence aux événements à Sciences Po il y a quelques jours,
56:57 effectivement une jeune étudiante, du fait de sa confession religieuse,
57:02 n'a pas eu le droit d'entrer dans un hémicycle, ce n'est pas normal.
57:05 Donc c'est là-dessus qu'il faut arriver à organiser le débat,
57:08 et encore une fois, le débat dans les universités,
57:11 c'est au président de l'université de les organiser,
57:14 de fixer les règles et de faire en sorte qu'ils soient respectés.
57:17 – Merci, merci beaucoup Laurent Lafon.
57:19 Le mot de la fin pour nos deux jeunes,
57:21 le modèle français sur la laïcité c'est plutôt une exception,
57:26 il faut l'assumer, il faut s'en inquiéter,
57:29 qu'est-ce qu'il faut faire selon vous ?
57:31 – Moi je pense qu'il faut l'assumer et continuer à prôner
57:34 le principe de laïcité tel qu'il est prôné aujourd'hui en France,
57:37 et effectivement continuer à l'inculquer aux prochaines générations dans le futur.
57:42 – Maxime, le mot de la fin ?
57:44 – Je suis complètement d'accord, il faut être fier de notre modèle,
57:46 il nous permet de vivre en société, dans une société apaisée,
57:49 où chacun est libre de croire ou de ne pas croire, d'exprimer ses opinions,
57:53 tout en restant dans le cadre de la loi de l'État laïque.
57:55 – Eh bien merci, merci beaucoup à tous les quatre d'avoir participé à ce débat,
57:59 qui j'espère a été un lieu à la fois de débat,
58:02 mais de débat aussi respectueux et apaisé.
58:05 Merci beaucoup en tout cas, merci à vous de nous avoir suivis,
58:09 on se retrouve le mois prochain pour un nouveau numéro d'Avoir 20 ans.
58:12 [Musique]

Recommandée