Le président élu au Sénégal promet un "changement systémique"

  • il y a 5 mois

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00:00 - Un discours que l'on va décortiquer et analyser avec notre invité Gilles Liabi depuis Dakar.
00:04 Bonjour, merci de répondre à France 24, vous êtes politologue.
00:08 Vous avez donc suivi le discours du nouveau président élu,
00:11 discours extrêmement applaudi par un parterre d'invités, bon, à qui à sa cause bien sûr.
00:15 On a découvert un bassier audio-wi-fi très posé, très concentré, un peu intimidé,
00:20 même sur la forme on est loin là de la rupture annoncée, de la thérapie de choc.
00:24 Il avance presque à pas feutré pour mieux rassurer.
00:29 - Bonjour, je crois qu'il s'agissait d'une cérémonie très officielle d'investiture.
00:34 C'est normal qu'il ait adopté une posture très posée, très calme.
00:41 Il y avait beaucoup d'invités, des chefs d'État et de gouvernement, des autorités du continent.
00:46 Il était important qu'il affiche justement ce calme et cette sérénité,
00:51 qui sont d'ailleurs aussi considérés comme étant des traits de son caractère.
00:56 Mais est-ce qu'il a besoin de rassurer, que ce soit les Sénégalais ou même les partenaires ?
01:02 - Oui, bien sûr, il a besoin de rassurer. Sa jeunesse est un atout.
01:07 C'est un des éléments très appréciés par les Sénégalais et sans doute une des raisons aussi de son élection,
01:15 même s'il ne faut pas oublier que c'était aussi en grande partie une sorte de référendum
01:21 pour la continuité ou pour la rupture.
01:24 Et donc il incarne cette rupture par sa jeunesse, mais aussi par son parcours.
01:29 Mais en même temps, évidemment, il n'a pas occupé de fonction politique.
01:33 Il n'a jamais été dans un gouvernement.
01:36 Il n'a jamais été non plus un élu au niveau national ou même au niveau local.
01:41 Et donc, il a besoin de rassurer par rapport à ce qu'on pourrait lui reprocher,
01:46 un manque d'expérience de la gestion des affaires publiques.
01:49 Et ça, c'est important pour des Sénégalais, une partie de la population sénégalaise, d'être rassuré sur cela.
01:55 Et c'est aussi important pour les partenaires extérieurs du Sénégal qui regardent tout cela de près,
02:00 en étant satisfait du dénouement intéressant de ces tensions par une élection incontestée,
02:07 mais en même temps en étant sans doute un peu circonspect quant à ce que sera la gouvernance du président Basirou Jamaïfaï.
02:15 - Alors, venons-en les priorités du nouveau président.
02:18 Il a évoqué une démocratie renforcée, une justice indépendante, un Sénégal juste, prospère, une Afrique en progrès,
02:25 la préservation de la paix, la cohésion nationale.
02:28 Bon, ça reste bien sûr des paroles.
02:29 Sur quels actes va-t-il être jugé en premier, d'après vous ?
02:34 - Oui, alors, à nouveau, il y a toujours, bien sûr, des promesses de rupture et l'accent mis sur la paix et la cohésion.
02:45 Il est important, lorsqu'on connaît un peu l'histoire politique récente du pays,
02:50 les trois années quand même de tensions avec des morts, donc c'est important,
02:53 mais je pense qu'il n'aura pas beaucoup de mal sur ce terrain-là du fait, à nouveau, de la clarté de son élection.
03:00 Sur le terrain économique et social, évidemment, les attentes sont très importantes de la part de la jeunesse.
03:07 L'élément clé pour, je dirais, presque tous les chefs d'État, tous les gouvernements dans les pays de la région et du continent,
03:14 c'est la jeunesse et l'emploi.
03:16 Donc, évidemment, sur ça, il n'y a pas de miracle économique possible en quelques semaines ou même en quelques mois,
03:23 voire en quelques années, mais je pense qu'il sera attendu au moins sur l'aspect symbolique,
03:29 sur une gouvernance sobre, vertueuse et peut-être aussi un peu plus collégiale.
03:34 Et ça, je pense qu'il peut donner des signes très forts là-dessus et, d'une certaine manière,
03:39 s'appuyer sur l'excitation aujourd'hui de beaucoup de Sénégalais par rapport à cette nouvelle page.
03:44 Ce n'est pas tellement lui qui va nécessairement produire les changements attendus,
03:49 mais s'il réussit à donner le signal qu'il croit à la jeunesse, qu'il croit à l'intelligence collective des Sénégalais,
03:55 de l'intérieur et de la diaspora, c'est important.
03:57 Il a beaucoup de soutien de la part de la diaspora.
04:00 Là, il peut impulser quelque chose de très intéressant parce que c'est les Sénégalais qui auront confiance en eux.
04:04 – Alors, vous parlez d'une gouvernance collégiale.
04:06 C'est vrai qu'il a été porté au pouvoir grâce à une coalition de forces hétéroclites.
04:12 Il y a eu les déçus de Macky Sall, Le Cam Wad qui lui a apporté un soutien à la dernière minute,
04:17 certains opposants aussi.
04:19 On se demande comment cette alliance peut tenir sur la durée.
04:24 – Oui, c'est le défi politique immédiat, je dirais, puisqu'il faudra bien choisir un Premier ministre
04:29 et former un gouvernement.
04:31 Et ce sera bien sûr le premier test pour voir exactement
04:35 si on aura un gouvernement très pasteur, c'est-à-dire avec le parti et le projet
04:43 qui a amené Baciru Diomayfaye au pouvoir, qui est aussi le projet de Smantsonco,
04:47 il ne faut pas l'oublier.
04:48 Et où est-ce qu'on va avoir une ouverture tout de suite avec peut-être certains des candidats
04:53 à l'élection présidentielle qui ont soutenu Baciru Diomayfaye
04:56 et qui vont également faire partie de ce gouvernement.
05:00 Mais je crois qu'il faut faire attention au fait qu'il a été élu de manière très claire
05:05 avec 54% des voix et que le soutien par exemple du PDS, il est venu au dernier moment
05:13 et ça ne veut pas dire nécessairement que Baciru Diomayfaye et le PASTEF auront besoin
05:18 de donner beaucoup de poids à ces partis politiques traditionnels
05:24 qui ont été sévèrement sanctionnés par les électeurs lors de ce scrutin.
05:28 Vous parliez de Smantsonco, c'est l'homme qui aurait dû être président à la place de Baciru Diomayfaye.
05:33 Quelle place il va pouvoir lui donner ?
05:35 Quelle place il va vouloir aussi lui donner ?
05:38 Une place de choix, Premier ministre, président de l'Assemblée nationale ou pas ?
05:43 Évidemment, c'est la question que tout le monde se pose.
05:45 Cela sera déterminé par les deux, je crois.
05:49 Évidemment, on ne sait pas s'ils ont déjà décidé, mais ce sont des compagnons très proches,
05:54 des compagnons politiques qui ont mené un combat très important pendant de longues années avec un prix élevé.
06:00 Ils ont tous les deux passé beaucoup de temps en prison.
06:03 Et je crois qu'en tout cas, dans un premier temps, ça m'étonnerait qu'il y ait des divisions.
06:08 Tout le monde a peur que cela arrive à un moment donné, que ce soit un des risques politiques aujourd'hui.
06:14 Mais je pense qu'en tout cas, dans un premier temps, ils vont sans doute s'entendre sur la répartition des rôles.
06:20 Il pourrait être Premier ministre s'il choisit d'être tout de suite ou se maintenant de son côté,
06:25 s'il choisit d'être celui qui va mettre en œuvre le projet du parti qu'il a quand même incarné.
06:32 Et là, évidemment, il sera au premier plan et peut-être avec cette autorité qu'on lui connaît,
06:38 avec des ministres qui le suivront.
06:44 Basseroud Jomhaïfah a une personnalité un peu plus effacée
06:47 et on pourrait tout à fait l'imaginer comme un président qui va rester dans ce rôle un peu effacé
06:52 avec une gouvernance différente de celle de Macky Sall.
06:56 Et en même temps, laisser peut-être les mains libres à Osmonde Sonko pour mettre en branle un peu le projet du PASTEF.
07:02 Mais on peut faire l'autre, disons, on peut avoir un autre choix, celui de l'Assemblée nationale,
07:08 ce qui permettrait plutôt à Osmonde Sonko de s'occuper du volet politique,
07:11 de consolider le PASTEF, le parti, et de s'assurer que le parti dispose d'une majorité claire à l'Assemblée nationale
07:18 lorsqu'il y aura une dissolution, sans doute, de cette Assemblée nationale.
07:22 Oui, vous misez sur une désélection anticipée.
07:26 Bon, tout cela devrait se décanter.
07:28 Giliabi, j'aimerais réécouter un autre extrait du discours de Basseroud Jomhaïfah
07:33 sur ses relations notamment avec les partenaires et on pense évidemment à la France, on l'écoute.
07:38 Aux côtés de mes pairs africains, je réaffirme l'engagement du Sénégal à renforcer les efforts déployés
07:47 pour la paix, la sécurité, la stabilité et l'intégration africaine.
07:56 Aux pays, amis et aux partenaires, je réitère l'engagement et l'ouverture du Sénégal
08:05 à des échanges respectueux de notre souveraineté, conforme aux aspirations de notre peuple,
08:12 dans un partenariat mutuellement gagnant.
08:15 (Applaudissements)
08:20 Voilà, il avait dit vouloir une collaboration respectueuse, vertueuse, mutuellement productive, ce sont ses mots.
08:27 Giliabi, on n'attend pas vraiment de révolution ou pas ?
08:32 Non, je ne pense pas qu'il y aura une révolution, mais je pense qu'il y a un discours clair sur la souveraineté.
08:40 Ce qui est intéressant, c'est peut-être de distinguer ce discours sur la souveraineté
08:44 lorsqu'il vient d'un président élu démocratiquement, au terme à nouveau d'un processus tout à fait incontestable,
08:52 et le discours sur la souveraineté qu'on peut entendre dans d'autres pays
08:56 où on a des régimes militaires issus de coups d'État.
08:58 Il est important qu'il n'y ait pas de confusion de ce point de vue-là,
09:02 et cela va peut-être permettre justement de donner un contenu plus concret à la souveraineté,
09:07 et un contenu au fond qui n'effraie personne,
09:09 dans la mesure où on est effectivement aujourd'hui dans une phase historique sur l'ensemble du continent,
09:15 où les populations qui sont jeunes ont évidemment envie d'avoir des relations décomplexées avec tous les partenaires,
09:22 les anciens comme les plus récents,
09:25 et d'avoir surtout une focalisation sur les besoins les plus importants des populations.
09:31 Je crois qu'aujourd'hui, à nouveau, la question qui se pose pour les Sénégalais,
09:35 ce n'est pas tant l'évolution de la relation avec la France
09:38 que ce que ces rôdios Mifi pourraient faire pour le développement économique et social du pays.
09:43 Mais ce qui a été frappant dès le début de son discours d'investiture,
09:47 c'est la clameur qui s'est élevée dans la salle
09:50 quand le président sénégalais a présenté les chefs des jintes maliennes, burkinabées, guinéennes.
09:54 C'est vrai qu'il ne cache pas son désir de se rapprocher de ces jintes-là.
09:58 Il prône même leur retour dans la CDAO.
10:01 Là, ça s'inscrit aussi dans sa volonté de souveraineté nationale ?
10:06 Alors, je ne dirais pas que ça s'inscrit dans la volonté de souveraineté nationale.
10:09 Ça s'inscrit plutôt dans le discours sur l'intégration,
10:12 parce qu'il ne faut pas oublier aussi que dans le nom du parti Pastef,
10:15 il y a quand même "patriote africain" également pour la solidarité, l'éthique, etc.
10:21 Donc, vous avez à la fois un discours souverain,
10:26 mais en même temps un discours, disons, qui ne remet pas en cause
10:30 l'intégration régionale et l'intégration africaine.
10:32 Et ça, c'est extrêmement important dans le moment de crise
10:35 que nous traversons aujourd'hui sur le plan de l'intégration ouest-africaine
10:38 avec l'affaiblissement de la CDAO en particulier.
10:42 Dernière question sur le président sortant, Macky Sall.
10:48 12 années au pouvoir, il s'apprête aujourd'hui à quitter le palais présidentiel de Dakar.
10:53 Il aurait voulu avoir un peu plus de temps,
10:55 puisque lui-même a reporté l'élection et il a ouvert une crise politique inédite dans le pays.
11:01 Quel héritage il laisse ?
11:03 Quel bilan est-ce qu'on peut tirer de ces années de présidence ?
11:06 Alors, Macky Sall, ces 12 années de présidence, un mandat de 7 ans et un mandat de 5 ans,
11:13 ce sont un ensemble de réalisations sur le plan économique et social,
11:18 mais en particulier sur le plan des infrastructures.
11:20 Il a poursuivi le travail de modernisation du Sénégal qui avait été entrepris par Abdelhaïwad.
11:27 Mais évidemment, même lorsqu'on a un bilan positif sur le plan des infrastructures,
11:32 se pose toujours la question du coût de ces infrastructures en termes d'endettement du pays,
11:38 mais aussi en termes de gouvernance,
11:39 si les coûts ont été beaucoup plus élevés qu'il n'aurait dû l'être par exemple.
11:43 Mais c'est vrai, il a un bilan.
11:44 Je pense que c'est un président qui a travaillé.
11:46 On ne peut pas dire qu'il a été un président inactif.
11:48 Il a été présent sur la scène également africaine et internationale,
11:52 mais malheureusement, je pense qu'il a terni le côté positif de son bilan
11:57 par les trois dernières années, un peu d'acharnement sur l'opposition
12:01 et des restrictions dans un certain nombre de libertés.
12:03 Et cette décision de reporter l'élection a été vraiment, je pense, assez catastrophique
12:08 sur le plan politique pour lui.
12:11 Et il part en étant vraiment, disons, contraint par les institutions.
12:14 Il ne faut pas l'oublier.
12:15 Si cette élection a pu se tenir, c'est parce que le Conseil constitutionnel
12:18 a quand même cassé des décisions qui avaient été prises par le président Makisada.

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