«Libération» publiait le 6 mars un entretien vidéo inédit de l’opposant russe. Un mois avant son arrestation, Navalny y évoque la surveillance du Kremlin, son empoisonnement et son combat contre Poutine. Ce mercredi à 19 heures, notre journaliste et le rapporteur qui a recueilli ces propos ont échangé avec les lecteurs.
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00:00 Il est l'autre visage de la Russie.
00:02 Il y a Poutine et il y a, contre Poutine, Alexei Navalny.
00:05 Le 6 mars, Libération et LCI révèlent l'une des dernières paroles d'homme libre
00:08 de l'opposant russe le plus important du pays, Alexei Navalny.
00:11 Poutine, il est quelqu'un qui apprécie l'idée que les gens ont peur de son pouvoir sombre.
00:17 Aujourd'hui, on vous propose de découvrir les coulisses de cette enquête.
00:19 Ils me disent qu'ils veulent me passer le slip de Navalny, le fameux slip contaminé.
00:25 Nous avons réuni Jacques Maher, ancien membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe,
00:29 qui a mené cet entretien avec Navalny.
00:31 C'est toujours un peu émouvant quand on parle de ce document
00:33 parce qu'on se réfère à une époque où il était vivant, il était en face de moi.
00:36 Et Véronika Dorman, notre journaliste spécialiste du monde russe.
00:39 La société russe sous Poutine vit sous pression permanente.
00:43 Vous allez pouvoir découvrir comment on a récupéré ce document historique.
00:46 Moi, quand j'ai dit qu'il fallait le filmer, il y a eu une réticence de l'Assemblée parlementaire.
00:51 L'importance d'Alexei Navalny pour la société russe.
00:53 Ce n'est pas vraiment lui qui compte, c'est les millions de personnes qui l'essayent de représenter
00:58 et qui veulent faire de la Russie un pays européen normal.
01:01 Et ce qui implique sa mort pour la Russie.
01:03 Navalny a défié parce que son mot d'ordre à lui, c'était n'ayez pas peur.
01:06 N'ayez pas peur parce que à partir du moment où vous n'aurez pas peur, vous aurez gagné déjà.
01:10 Je pense qu'il faut absolument maintenir la flamme.
01:12 Il y a des gens qui se sacrifient pour la faire vivre.
01:14 Et donc ces gens là, il faut qu'on les soutienne le mieux qu'on peut.
01:17 Le 17 décembre 2020, Jacques Maher, vous êtes juste ici.
01:26 Vous êtes membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe
01:29 et vous rencontrez Alexei Navalny, l'un des opposants au régime russe les plus importants.
01:36 Et un mois plus tard, un mois après cette rencontre, il prend l'avion en direction de Moscou.
01:41 Il se fait arrêter à la douane.
01:42 Il passe trois ans en prison.
01:45 Et après, il décède dans une prison de l'Arctique russe.
01:49 Donc vous avez mené cet entretien dans le cadre d'une enquête sur son empoisonnement.
01:54 Et on va discuter de tout ça, notamment parce que vous avez confié à Libération ce document.
01:57 À Libération et à LCI.
01:59 Et toi, Viandou Khan, notamment, tu as été l'une des personnes qui a traité ce document à l'IB.
02:03 Tu as fait un long papier dans le journal de l'IB
02:06 où tu décrives, tu analyses tout ce qui se dit à l'intérieur.
02:08 Tu nous permets de prendre un petit peu du recul, de comprendre pourquoi ce document est important.
02:15 Et donc ma première question, c'est pourquoi est-ce que ce document, justement,
02:19 on peut le considérer comme historique ?
02:22 Jacques, et si vous commenciez ?
02:23 Oui, je veux bien commencer parce que c'est toujours un peu émouvant
02:26 quand on parle de ce document parce qu'on se réfère à une époque où il était vivant,
02:29 il était en face de moi, il était en pleine bonne santé, malgré son empoisonnement récent.
02:34 Et en fait, cette impression que ça allait être historique, je l'ai eue avant.
02:39 Parce que Navalny ne va jamais à l'étranger.
02:41 Il reste toujours dans son pays.
02:43 Et aller en Russie, avoir le militantisme qu'il avait,
02:47 je dirais, ça veut dire que c'était une prise de risque quotidienne.
02:51 Quand il arrive en Allemagne pour se faire soigner,
02:55 il a été empoisonné le 20.
02:57 Il est arrivé en Allemagne le 22, je crois.
02:59 Alors du coup, on parle du 20 août 2020.
03:02 Et j'ai été identifié comme étant potentiel rapporteur quelques jours après
03:07 et puis nommé finalement quelques semaines après.
03:09 Et tout de suite, je me suis dit, il est là, c'est le moment où il faut lui parler,
03:13 parce qu'après, on ne sait pas ce qui peut arriver.
03:15 On n'était pas sûrs, en fait, qu'il dirait oui.
03:18 Et c'est vrai que c'est un élément d'histoire, parce qu'il nous a parlé en totale confiance.
03:24 J'expliquerai pourquoi d'ailleurs, est-ce qu'il avait confiance.
03:27 Ce n'est pas avec moi, Jacques Merckx, qu'il ne connaissait pas,
03:29 mais c'est avec l'institution qu'il a beaucoup, beaucoup pédé dans son combat.
03:32 Et il avait beaucoup de choses à dire.
03:33 Et il savait aussi probablement que rentrant en Russie, quelques semaines après,
03:38 ce ne serait pas aussi facile de parler comme ça à cœur ouvert pour,
03:42 non pas en l'air, mais pour alimenter sa défense devant le Conseil de l'Europe
03:46 dans des instances qui seraient à développer.
03:48 Toi, pour toi, Véronika, pourquoi est-ce qu'on peut considérer que ce document,
03:52 il est historique, il est particulièrement important ?
03:54 Il est important parce que c'est une vidéo très, très longue.
03:58 C'est une heure et demie d'entretien et qu'il n'y a pas tellement d'occurrence,
04:02 en fait, même d'un point de vue journalistique.
04:04 Il n'y a pas tellement de moments où on a un enregistrement aussi long,
04:08 en tête à tête avec Navalny.
04:10 Il se trouve que moi, dans les années où j'étais correspondante à Moscou,
04:12 entre 2009 et 2016, j'ai assisté à son éclosion, à son ascension politique.
04:18 Et j'ai fait partie des journalistes qui lui ont couru après pendant des années
04:21 pour essayer de l'avoir en entretien et qu'il était très avare de ses entretiens.
04:25 Il ne vous répondait pas ?
04:28 Non, il ne répondait pas.
04:29 Ou alors, c'était très facile de l'approcher dans une foule, dans les manifs, tout ça,
04:33 mais s'asseoir avec lui pour avoir une grande conversation,
04:35 il n'avait pas le temps, il était occupé à faire autre chose.
04:38 Et puis voilà, c'était sa manière de faire aussi.
04:40 Il sélectionnait très précisément les journalistes ou les médias
04:45 auxquels il accordait du temps et des longs entretiens.
04:47 Et la stratégie était très claire, c'était celle qui avait le plus d'audience.
04:51 Donc, c'était généralement des médias anglo-saxons.
04:53 On passait un peu à la trappe.
04:55 Mais surtout, on pourra revenir sur cet aspect-là,
05:00 mais moi, en revoyant cette vidéo, j'ai été touchée aussi
05:04 parce qu'il a l'air en forme, comme Jacques l'a dit, y compris dans ton petit film.
05:10 Il ressemble au Navalny que moi, j'avais rencontré avant l'empoisonnement,
05:15 avant sa première presque mort,
05:19 et avec son ton, avec cette espèce de nonchalance, son assurance.
05:26 Et cette personne, on ne l'a plus vue pendant trois ans après.
05:31 Pendant trois ans après, pendant qu'il était en prison.
05:35 Parce qu'effectivement, un mois plus tard, il rentre en Russie, il est arrêté.
05:38 Et les apparitions, on le voit.
05:40 Il y a des photos quand il est au tribunal, il y a quelques images furtives.
05:44 Il y a des vidéos ensuite de lui en prison derrière les barreaux,
05:47 où il est de plus en plus amoindri, amaigri.
05:50 Et puis c'est des images floues.
05:52 Donc c'était la première fois qu'on revoyait un peu le bonhomme d'elle qu'on l'a connu.
05:59 - La deuxième question, c'est que je voulais vous poser, notamment Jacques Meir,
06:04 c'est dans quelles conditions, est-ce que vous pouvez préciser un petit peu,
06:07 dans quelles conditions vous l'avez interviewé ?
06:08 C'était dans quel cadre, concrètement ?
06:10 C'était avec le Conseil de l'Europe. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ça ?
06:12 - Alors, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe,
06:15 elle a une commission juridique qui regarde à chaque fois quelles sont les infractions
06:18 qui sont commises par des États qui sont membres.
06:20 Et elle fait un rapport d'information qui ensuite devient très contradictoire
06:24 puisque la Russie était partie prenante.
06:26 Donc il y a quand même une procédure.
06:28 C'est-à-dire qu'on ne lance pas ça comme ça.
06:29 Il faut demander l'autorisation à la commission pour aller auditer telle ou telle personne.
06:34 Donc on a eu l'autorisation extrêmement facilement.
06:36 Naturellement, les Russes n'étaient pas très chauds.
06:38 Mais ils n'avaient pas boycotté en fait cette mission.
06:41 - Parce que les Russes font partie du Conseil de l'Europe, c'est ça ?
06:43 - Ils ont fait partie depuis les années 90 jusqu'en 2022.
06:49 Ils ont été expulsés en fait quelques jours après l'invasion de l'Ukraine.
06:55 Et ils avaient été suspendus de l'Assemblée parlementaire en 2014
06:59 à cause de la première guerre de Crimée, si je peux dire,
07:03 des Dudonbass.
07:04 Donc suspendus.
07:06 Et finalement, nous avons fait un pari.
07:09 Les Français, les Finlandes et pas mal d'autres en disant
07:12 finalement, pour nous, le fait que la Russie soit membre du Conseil de l'Europe,
07:18 ce n'est pas un cadeau.
07:19 C'est une protection pour les acteurs politiques qui défendent la liberté.
07:22 Donc, contre l'avis quelque part des Ukrainiens quand même,
07:25 on a accepté des conditions qui permettaient le retour des Russes
07:29 en pleine possession de leur pouvoir au sein de l'Assemblée parlementaire.
07:33 Et la première condition effectivement de ce retour, c'était qu'ils jouent le jeu des institutions.
07:36 Et là, c'est assez marquant puisque quelques mois après leur retour,
07:40 boum, arrive cette affaire d'empoisonnement.
07:42 Alors tout de suite, tout le monde en fait un cas d'école.
07:45 Et il se trouve qu'on m'a choisi en deux mots.
07:47 Pourquoi ? Parce que j'étais le représentant d'un groupe,
07:50 président de groupe de la majorité, en gros, du Président de la République française.
07:54 Celui-ci étant perçu plutôt comme plus difficile à dégommer via son rapporteur
07:59 que si ça avait été un rapporteur roumain, lituanien ou autre.
08:02 Donc le prix à payer pour les Russes était un peu plus cher.
08:05 Donc au début, les Russes suivent l'affaire.
08:08 On fait cette proposition à Navalny.
08:11 Tout passe en général par Léonid Volkov, qui est son bras droit,
08:16 et qui est celui qui s'est fait hier extrêmement fortement molester en Lituanie
08:22 et qui était le numéro 2 de la Fondation.
08:25 Il nous donne son accord et là, pour vous répondre très concrètement,
08:29 c'est un peu compliqué parce que c'est quand même quelqu'un qui se sent extrêmement menacé,
08:34 qui est très protégé par les autorités allemandes, qui n'ont qu'une peur bleue,
08:37 c'est qu'il lui arrive quelque chose sur ses cas.
08:39 Pour faire juste un tout petit peu de contexte,
08:41 parce que vous l'avez vu dans la vidéo que je vous ai diffusée un peu avant,
08:44 Navalny se fait empoisonner le 20 août 2020
08:49 lors d'un séjour dans un hôtel à Tomsk.
08:54 Il prend l'avion. Dans l'avion, le poison fait effet.
09:00 Le pilote atterrit d'urgence dans un autre aéroport à Omsk.
09:04 Il va à l'hôpital et est ensuite transféré quelques jours plus tard à Berlin,
09:08 où il sera soigné.
09:10 C'est après tout ce récit, tout ce qui lui est arrivé, qu'il vous parle.
09:15 Voilà. Il nous parle.
09:17 Il ne me parle pas pour répondre un petit peu au questionnement de Véronica.
09:21 Qu'est-ce qui fait qu'on a effectivement 7h30, voire un peu plus,
09:23 puisqu'on n'a pas tout filmé et qu'il y avait des moments un peu plus détendus,
09:27 parce qu'il en avait besoin.
09:29 Parce que ce n'était pas pour lui quelque chose de tout à fait neutre
09:32 que de pouvoir donner sa version de ce qu'il a vécu
09:36 à le représentant d'une institution qui est la seule institution
09:40 qui a ce jour fait un travail d'enquête approfondie sur son empoisonnement.
09:45 Il y avait une autre structure qui a fait une analyse biologique.
09:49 C'est l'Organisation des armes chimiques,
09:51 mais elle avait un intérêt sur un seul sujet.
09:53 On l'a dit d'ailleurs dans l'entretien, c'est qualifier la matière qui a été utilisée.
09:57 Par exemple, Novichok ou pas.
09:59 Nous, on s'intéressait à son contexte, à ce qui lui est arrivé.
10:03 Et comme à chaque fois qu'il a fait des recours devant la Cour européenne des droits de l'homme,
10:06 donc du Conseil de l'Europe, il a eu grande cause.
10:08 Les jugements ont été annulés.
10:10 Il s'est dit effectivement que ça vaut le coup de discuter.
10:12 Le contexte est simple. C'est un hôtel.
10:15 On est en plein Covid, en phase 2 du Covid.
10:18 Berlin est vide. L'hôtel est à moitié vide.
10:22 On prévient. L'hôtel est globalement sécurisé par la police.
10:26 Il arrive par les sous-sols.
10:29 Il ne passe pas par l'entrée.
10:32 Il arrive directement à l'étage de la salle de réunion.
10:34 L'hôtel a été complètement vidé.
10:36 On nous positionne dans la salle. Elle est sécurisée auparavant.
10:39 Elle est décontaminée auparavant.
10:41 Moi, je suis avec quelqu'un de mon équipe parlementaire.
10:43 Et je suis avec le chef du secrétariat du Conseil juridique de l'Assemblée parlementaire.
10:51 Il se trouve que ce chef de secrétariat est quelqu'un de très connecté
10:54 puisque c'est un ancien procureur pénal allemand
10:57 qui, globalement, a fait toutes les affaires d'empoisonnement du Conseil de l'Europe depuis des années.
11:03 - Toi, Véronika, tu savais que cet entretien devait être mené,
11:07 que l'enquête que le Conseil d'Europe menait,
11:09 cette enquête, tu l'as découvert au moment où Jacques Pertre transfère le document ?
11:12 - Je ne saurais pas te dire.
11:15 En tout cas, j'ai découvert que ce document existait
11:17 au moment où nous l'avons entre les mains.
11:20 Ce que je savais à ce moment-là, parce que nous, on suivait plutôt les enquêtes
11:25 que Navalny et ses équipes faisaient eux-mêmes,
11:27 et notamment avec Bélingcat et avec Christophe Grosdieff.
11:32 Et donc, c'était une autorité publique que les autorités russes ne menaient pas à l'enquête,
11:38 ou alors la menaient, mais à leur manière, et pas du tout pour attraper et punir les fautifs.
11:44 Ce qu'on savait, c'est que Navalny utilisait beaucoup l'outil européen,
11:50 et qu'effectivement, il y croyait, et que ça faisait partie de ce qu'il sentait,
11:57 ou il savait que ça pouvait le protéger, et que c'était un recours qu'il utilisait contre la Russie,
12:01 parce qu'il n'avait aucune confiance, et depuis le départ, en le système judiciaire russe.
12:06 On a eu la preuve finalement, parce que son incarcération en est la preuve.
12:15 Je me souviens qu'à l'époque, on suivait en plus vraiment comme un thriller tout ce qui se passait,
12:23 parce qu'il y a eu un moment, à peu près autour de cet entretien,
12:28 c'était novembre-décembre, c'était l'automne, où il ne se passait pas une journée
12:31 sans que Navalny et ses équipes fassent une révélation de plus,
12:34 parce qu'ils ont enquêté, ils ont passé un coup de fil,
12:37 ils ont toutes leurs petites mains partout, parce qu'ils ont ces enquêteurs citoyens
12:43 qui les aidaient, qui leur envoyaient des éléments,
12:46 et en reconstruisant comme ça le fil de l'histoire.
12:50 Et moi, à l'époque, je chroniquais, en fait, je n'étais pas en Russie,
12:53 j'étais ici, mais je chroniquais cette enquête à partir de ce que révélaient les journalistes d'investigation,
13:01 parce que c'est là où il y avait le plus d'infos.
13:03 Et ce qui est intéressant, c'est ce que j'en avais parlé avec Corentin quand j'ai vu le document,
13:08 c'est que vous lui parlez à un moment de son enquête à lui, où il sait déjà comment il a été empoisonné,
13:13 par quelle poison...
13:15 - Non, il ne sait pas.
13:16 - Non, il sait ce que c'est, mais il ne sait pas où, il ne sait pas exactement comment.
13:20 Donc, il y a toute une part de l'entretien qui est très intéressante,
13:23 où il imagine qu'elle peut être où vous discutez de où est-ce que ça a pu se passer,
13:28 est-ce que c'était le négroni, le café, l'aéroport,
13:31 est-ce que c'est possible que ça arrive dans l'aéroport ?
13:33 Et on découvrira, je ne sais plus à quelle date précisément,
13:37 il passe ce fameux coup de fil à l'agent du FSB, à l'empoisonneur du FSB,
13:43 ou alors non, à celui qui vient faire le nettoyage ensuite,
13:46 mais donc à l'équipe du FSB qui le suive.
13:48 - Le FSB qui est donc le service de renseignement russe.
13:50 - Le service de renseignement qui le suive, et il apprend,
13:52 et c'est aussi un document fantastique parce qu'on le voit en direct,
13:56 il passe ce coup de fil et il apprend que le poison était porté justement
13:59 sur les coutures de son slip, de ses sous-vêtements,
14:03 et que c'est ça que ce nettoyeur était venu chercher,
14:06 parce qu'il fallait détruire les preuves.
14:08 - Moi je l'ai vu cette vidéo, et c'est incroyable de voir son équipe
14:13 écouter le mec du FSB leur parler, et ils se prennent la tête dans les mains
14:17 et se disent "mais pourquoi ce mec nous raconte ça ?
14:21 Comment est-ce que ça peut en arriver là ?"
14:23 Et c'était à faire du slip, c'est quand même dingue quoi !
14:25 - En plus, pareil, si on compare un peu les documents et les vidéos,
14:30 parce que Navalny se met beaucoup en scène, il y a beaucoup d'images de lui,
14:34 et en fait à chaque fois qu'il se met en scène avec ses enquêteurs,
14:39 c'est toujours assez sensationnel, il y a un petit effet de montage,
14:42 alors que votre entretien est brut, c'est vraiment, il est assis,
14:46 il est trois quarts, dans un décor d'hôtel, un sipit, tout ça,
14:51 et donc ça en fait aussi quelque chose d'assez intriguant,
14:55 parce qu'on a toujours l'habitude avec lui d'une image très léchée,
14:58 bien cadrée, bien pensée, avec les effets.
15:01 Donc voilà, j'ai beaucoup aimé moi cet enregistrement.
15:07 - Et cet enregistrement, à la base, Jacques Meyer,
15:09 il ne devait pas être filmé, c'est de ce que j'ai compris.
15:12 - Oui, on est très très précautionneux à la Sondée parlementaire,
15:14 parce qu'à chaque fois on a des sujets très difficiles,
15:17 que ce soit avec les opposants, dans le cas de la Tchétchénie,
15:20 dans le cas d'Azerbaïdjan, dans le cas des opposants russes,
15:23 Kavala et Turc, on est toujours sur des sujets ultra sensibles,
15:27 et qui exposent beaucoup les gens.
15:31 Et quand on est dans une situation comme celle-là,
15:34 il ne faut pas donner prise à la contestation de ce qu'on est en train de faire.
15:38 Donc si on filme, et que ce film est détourné,
15:42 utilisé pour d'autres projets, ça ne va pas.
15:46 Donc moi, quand j'ai dit qu'il fallait le filmer,
15:48 il y a eu une réticence de l'Assemblée parlementaire,
15:50 "attention, les règlements etc."
15:52 Je l'ai fait de façon transparente avec eux,
15:56 mais je ne leur ai pas demandé l'autorisation plus que ça en réalité,
15:59 parce que je pensais qu'il fallait le faire.
16:01 Et pour rien vous cacher, pendant effectivement 3 ans et plus,
16:06 je ne l'ai absolument pas diffusé, ni utilisé, ni quoi que ce soit,
16:10 pour une raison bien simple, c'est que,
16:12 ayant moi-même été pranqué à un certain moment,
16:16 je savais que dès qu'il sortait quelque chose,
16:19 puisque je me rends compte qu'il y a toujours cette surveillance
16:21 qui s'exerce sur mes communications,
16:23 la probabilité que ce soit utilisé, que ce soit détourné,
16:27 était extrêmement forte, et ça se ferait.
16:29 Nécessairement au détriment d'Alexei Navalny.
16:31 Donc on oublie, il n'existe plus,
16:34 et puis peut-être qu'on en restera là.
16:37 Et puis là, il meurt, il décède.
16:39 Il décède, pour moi c'était atroce,
16:42 puisque j'ai continué à entretenir des liens,
16:45 alors pas avec lui directement, avec les avocats,
16:47 ça peut être possible parfois,
16:48 et aussi avec Vladimir Karamurza, dont on pourra reparler.
16:52 Vladimir Karamurza, qui est un autre opposant russe,
16:55 qui est lui-même aussi en prison.
16:56 Voilà, qui est en prison,
16:58 et cette mort de Navalny signifie quand même quelque part
17:03 que tous ceux qui sont dans cette situation,
17:05 pour le combat, pour les libertés,
17:07 finalement, il y a un risque que leur jour soit compté.
17:10 Et voilà, ça me touche pour lui énormément,
17:13 et ça me touche pour tous les autres,
17:14 et je me dis que faire ?
17:16 Et à ce moment-là, il y avait peut-être une envie de dire
17:19 "Ok, on libère le truc",
17:20 et je me suis dit "Non, il y a quand même aussi un risque
17:21 de détournement d'informations, de deepfake,
17:25 où on peut par exemple me voir lui demander
17:28 combien tu touches de la CIA, etc."
17:30 Enfin, tout est possible.
17:31 Et c'est pour ça que je remercie...
17:32 Donc là, vous parlez du moment où il passe ses trois ans en prison,
17:34 et vous vous posez la question "Qu'est-ce que je fais de ce document ?"
17:36 Voilà, au moment où il meurt, je me pose la question,
17:38 en disant "Voilà, il y a ce document."
17:40 Et là, je remercie l'IB,
17:41 parce qu'en réalité, le fait de l'exploiter à fond,
17:44 totalement, avec accès grand public,
17:47 dans sa version d'origine, en la valorisant,
17:49 rend le document absolument, je dirais, non manipulable.
17:53 Il est connu, on sait ce qu'il y a dedans.
17:55 Et pour moi, ça a été très rassurant.
17:57 Je ne voulais pas qu'il soit...
17:59 Le Conseil de l'Europe s'est dit finalement
18:01 que c'était une bonne idée de l'avoir filmé,
18:04 et ils ont fait eux-mêmes d'ailleurs leurs vidéos
18:06 sur le film qui a été utilisé
18:08 dans le cadre des sessions de l'Assemblée.
18:11 Véronica, pour prendre un peu de hauteur,
18:13 est-ce que tu pourrais nous faire comprendre
18:15 pourquoi Navalny est un opposant aussi important en Russie ?
18:19 Est-ce que je te prends un peu de cours avec cette question ?
18:21 Non, non, mais on commence où ? C'est un peu...
18:23 Oui.
18:24 Si on part de la fin,
18:29 disons qu'il a fini par s'imposer
18:31 comme l'autre personnage le plus connu
18:35 de la vie politique russe.
18:36 C'est-à-dire que pendant très longtemps,
18:38 il n'y avait que Vladimir Poutine,
18:40 à tort ou à raison, pour incarner la Russie,
18:42 y compris quand Navalny était déjà
18:44 dans le paysage politique.
18:45 Mais c'est vrai que l'opposition russe,
18:47 à partir des années 2010,
18:50 a été très virulente, vocale et bruyante,
18:53 mais assez numériquement faible,
18:58 politiquement faible, vulnérable,
19:01 parce qu'à partir de 2010,
19:04 le régime de Vladimir Poutine s'est durci
19:07 sensiblement d'année en année, de loi en loi.
19:10 C'était la période où Navalny émerge,
19:13 et au début, il fait partie d'un cercle
19:17 de leaders, enfin pas de leaders,
19:19 mais de personnalités d'opposition.
19:22 Ils sont plusieurs.
19:23 Il y a encore Boris Nemtsov au départ,
19:24 qui est encore en vie,
19:26 et qui sera assassiné en 2015,
19:28 et qui est, par exemple, le seul
19:30 qui avait été au gouvernement,
19:32 qui avait une vraie expérience politique,
19:34 parce que la plupart des opposants
19:36 de cette période n'ont pas pratiqué le pouvoir.
19:40 Et donc Navalny arrive parmi d'autres,
19:43 émerge assez rapidement.
19:45 Pendant toute la période,
19:47 le Kremlin l'ignore,
19:49 et donc on le répète sans cesse,
19:51 on l'a beaucoup dit,
19:52 et même il le dit dans cet entretien,
19:54 que Poutine a cette obsession
19:55 de ne jamais prononcer son nom.
19:57 Donc déjà, c'est un indice
20:00 que quelqu'un qu'on ignore
20:02 de manière aussi ostensible,
20:04 c'est quelqu'un qui gêne.
20:06 Donc il n'a pas accès aux médias d'État,
20:08 il n'a pas de plateforme pour parler,
20:10 donc il devient de plus en plus connu,
20:11 mais sur Internet, dans la rue,
20:13 dans une espèce de réalité parallèle
20:17 et alternative à la réalité officielle.
20:19 Mais en tout cas, au moment
20:21 où il rentre en Russie en 2020
20:24 et où il est emprisonné,
20:26 il est empoisonné en 2020
20:29 et en 2021 il rentre,
20:30 il est l'autre visage de la Russie.
20:32 On peut dire qu'à ce moment-là,
20:34 il y a deux personnes,
20:35 il y a Poutine et il y a,
20:36 contre Poutine, Alexeï Navalny.
20:38 Ce qui n'est pas proportionnel
20:39 à ses chances de devenir président
20:41 ou à la puissance
20:43 de ce mouvement d'opposition,
20:44 mais en tout cas, en termes
20:45 de reconnaissabilité,
20:47 je ne sais pas si on dit comme ça en français,
20:49 enfin il est reconnaissable,
20:51 et au-delà aussi de ses cercles de soutien,
20:53 ce qui est pendant très longtemps
20:54 l'argument c'était aussi, voilà,
20:55 qui est ce Navalny que ne connaissent
20:56 que les urbains de Moscou,
20:58 de Saint-Pétersbourg,
20:59 les internautes,
21:00 il n'est connu que sur les réseaux.
21:02 Parce que,
21:04 et c'est cet empoisonnement aussi
21:06 qu'il a rendu célèbre,
21:07 parce qu'on n'empoisonne pas
21:08 un ennemi qui n'a pas de valeur,
21:09 on n'empoisonne pas,
21:10 on ne se donne pas autant de mal
21:12 pour se débarrasser de quelqu'un
21:13 qui est insignifiant.
21:15 Et ça a beaucoup tourné,
21:16 parce que moi j'ai appris
21:18 plus ou moins l'existence de Navalny à l'époque
21:20 et l'existence de cet empoisonnement
21:21 par la vidéo dans l'avion.
21:23 Il y a ça.
21:24 Qui est terrible.
21:25 Et il y a surtout,
21:26 il y a aussi le fait qu'il sort de Russie
21:28 à ce moment-là,
21:29 comme Jacques l'a dit,
21:31 il ne sortait pas beaucoup de Russie,
21:32 il est en Russie,
21:33 c'est un opposant russe
21:36 qui veut agir sur le sol russe.
21:38 Et donc s'il voyageait de temps en temps,
21:40 son activité principale
21:42 est vraiment concentrée sur la Russie.
21:43 Là, à cause de cet empoisonnement,
21:44 il se retrouve en Europe,
21:46 il est protégé au plus haut niveau
21:48 par les États,
21:50 par l'État allemand.
21:52 Il y a toute une conversation
21:55 qui commence autour de lui.
21:56 Il devient très connu aussi,
21:57 beaucoup plus connu
21:58 que ce qu'il était en Europe.
21:59 Et l'effet médiatique aussi
22:00 qui se crée à ce moment-là,
22:02 parce que c'est un peu une autre conversation,
22:05 mais Poutine qui devient
22:08 l'espèce de culte de Poutine
22:10 a été aussi fabriqué
22:11 par les médias occidentaux
22:12 qui en ont fait cette figure
22:14 qui incarne la Russie.
22:15 Donc c'est une autre conversation,
22:16 mais il y a cet effet-là.
22:17 Et donc, à partir du moment
22:18 où Navalny sort de Russie
22:19 et que nous le rencontrons ici,
22:21 ça permet aussi de remplumer,
22:25 de renforcer sa stature médiatique
22:27 en tant que personnalité importante
22:30 qui tient tête à Poutine.
22:32 Jacques Maire,
22:34 il y a un moment qui m'a marqué
22:37 dans cet entretien.
22:39 Il y a un moment où, en fait,
22:41 je sentis une forme de relation
22:43 qui s'est formée entre vous deux.
22:45 C'est un moment où Navalny
22:46 vous demande pourquoi.
22:47 Pourquoi est-ce que vous menez
22:48 cette enquête ?
22:49 Et vous lui répondez,
22:50 « Parce que j'aime les combattants
22:51 et je considère que vous êtes
22:52 un combattant. »
22:53 Et Navalny vous répond,
22:54 « Ça veut dire que vous êtes
22:55 un combattant aussi. »
22:56 En fait, c'était ma prochaine question
22:58 à vous.
22:59 Oui.
23:00 Oui, pourquoi ?
23:01 Je pensais que vous étiez un combattant.
23:03 J'aime les combattants.
23:05 D'accord, donc vous êtes
23:06 définitivement un combattant aussi.
23:08 Quand le suffrage universel
23:09 vous donne un pouvoir,
23:11 c'est évident,
23:12 vous devez l'utiliser.
23:13 Et pour des grandes choses,
23:14 c'est-à-dire effectivement
23:15 les impôts des Français,
23:17 les services publics,
23:18 mais pour des choses aussi
23:19 beaucoup plus circonstanciées,
23:20 particulières, individuelles.
23:22 Et là, c'est évident,
23:23 il fallait le faire.
23:24 Et quand on a cette capacité à agir,
23:29 alors ce n'est pas forcément
23:30 grand-chose,
23:31 mais imaginez,
23:32 vous êtes vous-même en prison,
23:33 vous avez été empoisonné,
23:34 on ne parle pas de vous
23:35 et tout le monde s'en fout,
23:37 c'est votre combat qui est dévitalisé.
23:38 C'est celui-même
23:39 qui perd son sens.
23:40 Quand il y a des gens
23:41 qui s'intéressent à vous,
23:42 qui vous valorisent,
23:43 qui vous portent
23:44 et qui se battent
23:45 pour que globalement
23:46 votre combat soit relayé,
23:47 ça donne son sens.
23:48 Et mettons-nous à sa place,
23:50 que chacun qui puisse faire
23:51 quelque chose le fasse.
23:52 Quand on est citoyen
23:53 et membre d'Amnesty,
23:54 ce n'est pas simple.
23:55 Qu'est-ce que je peux faire ?
23:56 Quand on est citoyen
23:57 et député
23:58 et à l'Assemblée parlementaire
23:59 du Conseil de l'Europe,
24:00 on a un outil pour le faire.
24:01 Est-ce que c'est délivrer ce document
24:04 à des médias libération ici,
24:06 c'est une forme d'hommage ?
24:08 C'est plusieurs choses à la fois.
24:11 D'abord, c'est effectivement
24:13 lui rendre hommage,
24:15 en le faisant connaître.
24:16 Moi, j'ai été frappé
24:17 après les excellents montages vidéo
24:20 que vous avez fait,
24:21 les articles de Véronica et autres.
24:23 Ce qui est très intéressant,
24:24 c'est le retour des gens
24:25 qui m'ont été fait,
24:26 de ceux que je connais,
24:27 qui m'ont dit
24:28 qu'on ne connaissait pas Navalny.
24:29 Et ces montages,
24:31 cet entretien,
24:32 ces articles,
24:33 nous ont fait comprendre
24:34 qui il était,
24:35 dans toute la richesse
24:36 et la complexité.
24:37 Mais ils nous ont fait comprendre
24:38 qui il était.
24:39 Et ça, c'est vraiment
24:40 quelque chose d'important
24:41 parce que ce n'est pas juste un nom.
24:42 Tout d'un coup,
24:43 c'est une figure qui tombe
24:44 dans la tête de la richesse.
24:45 Le deuxième point, quand même,
24:46 qui est pour moi super important,
24:47 c'est le devoir d'information
24:49 sur ce qui se passe en Russie.
24:51 C'est-à-dire que c'est un contexte
24:53 post-enterrement
24:55 où des millions de personnes
24:58 en Russie
24:59 ont vécu par procuration
25:00 son enterrement.
25:02 Et où des milliers
25:03 ont pris le risque d'y aller physiquement.
25:05 Et donc, rendre compte
25:06 de ce que signifie
25:07 ce personnage,
25:08 pourquoi il y a cette mobilisation
25:09 visible ou invisible,
25:10 et pourquoi c'est important
25:11 pour la Russie.
25:12 Et le troisième élément,
25:13 c'est quand même de protéger
25:14 les prisonniers politiques.
25:15 Parce qu'en rendant ça visible
25:17 le plus possible,
25:18 en en faisant un enjeu international,
25:20 en en faisant peut-être aussi
25:21 un enjeu de négociation
25:22 à un moment donné,
25:23 je ne sais pas,
25:24 mais en faisant monter
25:25 les stakes,
25:26 comme on dit "at stake",
25:28 autour de ce sujet de prisonniers,
25:30 parce que Navalny est là,
25:31 mais il y en a d'autres.
25:32 Il y a 20 000 prisonniers politiques
25:33 aujourd'hui à l'occasion
25:34 de cette guerre
25:35 qui sont enfermés.
25:36 Et Navalny...
25:37 Tu n'as pas rendu compte
25:38 que c'était autant
25:39 de prisonniers politiques ?
25:40 Oui, bien sûr.
25:41 Navalny, c'est l'étendard.
25:42 C'est le symbole.
25:43 Il faut que ce symbole
25:45 puisse être visible
25:46 pour tous les autres.
25:47 Il y a un moment
25:50 qui était très marquant
25:51 dans cet entretien pour moi.
25:52 C'était notamment un moment
25:53 où Navalny explique
25:54 pourquoi Poutine choisit
25:55 de l'empoisonner
25:56 au lieu de potentiellement
25:57 le faire mourir
25:58 dans un accident de voiture.
25:59 Il explique que,
26:00 notamment,
26:01 ça alimente une forme de peur
26:02 de l'empoisonnement
26:03 parce que c'est terrifiant.
26:04 Et il parle de...
26:05 Ça alimente le "dark power"
26:06 de Poutine,
26:07 son pouvoir sombre
26:08 et que, d'une certaine manière,
26:09 ça lui plaît, etc.
26:10 Ça, Véronika, c'est quelque chose
26:12 que tu le prends,
26:13 que tu le reçois
26:14 en tant qu'expert de...
26:15 - Ça va complètement dans le sens
26:17 de la manière
26:18 dont Poutine dirige le pays
26:20 depuis qu'il est au pouvoir.
26:22 Et le ressort principal
26:24 de sa gouvernance,
26:25 c'est la peur,
26:26 quelle qu'elle soit.
26:27 Ce n'est pas...
26:28 Ce qui est invoqué
26:30 chez les Russes,
26:31 ce n'est pas une vraie fierté positive
26:33 de quelque chose.
26:34 Ce n'est pas un amour
26:35 de...
26:36 C'est un amour
26:37 de...
26:38 Un amour d'un pays
26:40 qui va bien.
26:41 Ce n'est pas un choix libre
26:43 de tel ou tel représentant
26:46 qui pourrait les représenter
26:48 dans les instances de l'État
26:50 ou même...
26:51 Ce qui...
26:52 Le ressort du pouvoir poutinien,
26:54 c'est la peur,
26:55 c'est la répression.
26:56 C'est, alors...
26:57 Avec plus ou moins de violence,
26:59 mais la société russe sous Poutine
27:03 vit sous pression permanente.
27:06 C'est avec un nombre d'interdits croissants,
27:09 avec ce qui n'est pas autorisé
27:13 et forcément interdit,
27:14 ce qui induit aussi
27:16 une auto-censure permanente.
27:18 Donc, les gens, en fait,
27:19 sont dans l'angoisse.
27:20 Et effectivement,
27:21 Navalny, la manière
27:22 dont il en parle,
27:23 c'est un peu...
27:24 Il y a un côté un peu...
27:25 Voilà, romanesque,
27:26 démonisé,
27:27 ce dark Poutine.
27:30 Mais la manière
27:33 dont le régime fait régner la peur
27:35 est très concrète.
27:36 Ça veut dire que les gens
27:37 sont concrètement menacés
27:39 de perdre leur travail
27:41 s'ils ne votent pas
27:43 comme il faut voter,
27:44 de finir en prison
27:46 s'ils s'expriment librement
27:48 et disent des choses
27:49 qui déplaisent au régime.
27:51 Et c'était vrai
27:53 avant le début de la guerre.
27:54 Ça s'est accentué depuis deux ans
27:56 encore plus,
27:57 parce que depuis que Vladimir Poutine
27:59 a choisi comme mode de fonctionnement,
28:01 en plus, pour la Russie,
28:02 la guerre permanente.
28:03 C'est pas seulement
28:04 la guerre contre l'Occident.
28:05 C'est pas seulement
28:06 la guerre contre l'Ukraine
28:08 ou contre l'Occident via l'Ukraine.
28:09 C'est aussi la guerre à l'intérieur
28:10 de tous contre tous.
28:12 Et donc, il y a les ennemis
28:13 de l'intérieur,
28:14 dont Navalny faisait partie.
28:15 Et tous ceux qui ne sont pas avec moi
28:17 sont contre moi.
28:18 C'est l'adage absolu du Kremlin.
28:21 Donc, c'est même...
28:24 C'est presque...
28:25 C'est dans l'air.
28:26 C'est partout, en fait.
28:27 La peur, c'est le...
28:29 Et c'est le sentiment
28:30 le plus partagé en Russie.
28:33 Et c'est ça aussi
28:37 que Navalny a défié,
28:38 parce que son mot d'ordre à lui,
28:39 c'était "N'ayez pas peur".
28:41 "N'ayez pas peur"
28:42 parce que c'est ce qui...
28:45 À partir du moment
28:46 où vous n'aurez pas peur,
28:47 vous aurez gagné déjà.
28:48 Et c'est ce qu'il disait
28:49 dans ce film, dans ce documentaire.
28:52 Et le petit bout qui a beaucoup tourné
28:54 quand il a été tué.
28:56 Sur "Ne baissez pas les bras,
28:58 ne lâchez pas, ne lâchez rien.
29:00 Il ne faut pas avoir peur
29:01 parce que c'est la meilleure preuve
29:02 qu'ils ne peuvent pas gagner.
29:03 Et c'est...
29:05 Donc voilà, on reste toujours
29:07 autour de ce registre-là.
29:08 - Jacques Merveau,
29:09 lorsque vous travaillez cette enquête,
29:12 vous nous expliquez tout à l'heure
29:14 que la Russie prend part à l'enquête,
29:17 puisque c'est du contradictoire,
29:19 tout simplement.
29:20 Comment est-ce que ça s'est passé
29:22 dans les relations avec la Russie ?
29:24 Est-ce que vous avez vu
29:25 des choses particulières ?
29:26 Est-ce que ça a été facile
29:27 de travailler avec eux
29:28 dans le cadre de cette enquête
29:29 sur l'empoisonnement de Navalny
29:30 en août 2020 ?
29:32 - Alors en fait,
29:33 il y a eu deux enquêtes en parallèle.
29:35 Il y a eu l'enquête sur l'empoisonnement
29:37 qui a commencé effectivement
29:39 en septembre-octobre 2020
29:41 et qui a continué jusqu'à la fin 2021.
29:44 Et puis, il y a eu très vite
29:46 une deuxième enquête
29:47 que j'ai menée aussi
29:48 en emprisonnement.
29:50 Puisqu'il faut bien savoir
29:51 que son emprisonnement,
29:52 c'est quelque chose d'assez ironique.
29:54 Il a été emprisonné pourquoi ?
29:55 À son retour ?
29:56 Parce qu'il n'avait pas
29:58 respecté les obligations
30:00 de contrôle judiciaire
30:01 en allant tous les quinze jours
30:02 aux postes de police à Moscou,
30:04 évidemment, puisqu'il était
30:05 à l'hôpital en convalescence.
30:07 C'est pour ça que d'ailleurs,
30:08 pour lui, il n'était pas sûr
30:09 qu'il soit emprisonné tout de suite.
30:10 Il aurait pu y avoir
30:11 une période de flou.
30:12 Donc, j'ai cheminé parallèlement
30:15 avec les Russes
30:16 sur ces deux enquêtes.
30:17 Et ce qu'on peut dire,
30:18 effectivement, c'est que très vite,
30:19 les Russes ont pris leur distance
30:21 sur la première enquête,
30:22 mais ont voulu quand même jouer
30:24 une forme de simili-coopération
30:26 sur la dernière enquête
30:27 sur l'emprisonnement.
30:28 Parce que c'était moins binaire.
30:29 Ce n'était pas
30:30 est-ce que la Russie
30:31 est coupable ou pas ?
30:32 C'était est-ce que oui ou non
30:33 la peine est proportionnée ?
30:35 Est-ce que le code pénitentiaire
30:36 est respecté ?
30:37 Ce qui a été vraiment
30:38 assez intéressant,
30:39 c'est que les Russes
30:40 ont fait semblant
30:41 de jouer la coopération
30:43 en étant présents,
30:45 en faisant des remarques,
30:47 en contestant,
30:50 en donnant beaucoup d'interprétations.
30:53 Alors oui, effectivement,
30:55 l'empoisonnement,
30:56 pourquoi est-ce que globalement
30:58 les autorités internationales
30:59 ne collaborent pas avec la Russie ?
31:01 Pourquoi elles ne transfèrent pas
31:02 par exemple les données biologiques ?
31:04 Pourquoi elles ne donnent pas
31:05 les échantillons
31:06 sur lesquels on pourrait travailler ?
31:07 Tout ça, les échantillons
31:08 et données biologiques de Navalny.
31:09 De Navalny, voilà.
31:10 Et on sait très bien,
31:11 effectivement,
31:12 que ça aurait été
31:13 complètement en rupture
31:14 avec les principes
31:15 même d'indépendance
31:16 des analyses qui sont faites.
31:17 Mais bref,
31:18 il y avait une espèce
31:19 d'un nuage complet
31:20 de demandes
31:21 d'argent juridique
31:25 pour rendre le sujet
31:26 complètement flou.
31:27 Et il n'y avait pas,
31:28 dans leur volonté,
31:29 la nécessité d'établir
31:30 une contre-vérité.
31:31 Parce que, par exemple,
31:32 ils changeaient d'interprétation
31:33 sur l'empoisonnement.
31:34 Moi, j'en ai eu dix.
31:35 J'ai eu le diabète,
31:36 j'ai eu le malaise vagal,
31:37 j'ai eu l'alcoolisme,
31:38 j'ai eu la dépra...
31:43 substance...
31:46 L'auto-empoisonnement.
31:47 Voilà, illicite.
31:49 L'auto-empoisonnement
31:50 qui a été dit, effectivement,
31:51 auprès de la République française,
31:52 etc.
31:54 Et il n'y avait aucun souci
31:55 de crédibilité de leur part.
31:56 Simplement mettre un nuage de fumée
31:58 pour rendre les choses incompréhensibles.
32:00 Alors, simplement pour dire aussi
32:01 qu'à un moment donné,
32:03 ça a commencé à les énerver
32:04 puisqu'ils pensaient
32:05 que le Jacques Merre
32:06 qui dépendait quelque part
32:07 un peu de l'autorité
32:08 de la République française
32:09 et de M. Macron
32:10 pourrait être un peu conciliant.
32:12 Je ne suis pas conciliant,
32:13 je cherche simplement les faits
32:14 à les qualifier juridiquement.
32:15 Ça s'est pas mal tendu.
32:16 Alors, il y a eu des tentatives.
32:17 Par exemple, à un moment donné,
32:19 on m'a montré
32:23 une autorité russe
32:25 m'a montré un énorme dossier
32:27 qui était, soit disant,
32:28 l'enquête administrative
32:29 autour de Navalny.
32:30 En disant, ça, ça pourrait être partagé,
32:31 si vous le souhaitez,
32:32 pour autant qu'il y ait
32:33 une collaboration réciproque.
32:34 Et je pense qu'effectivement,
32:36 dans ce document,
32:37 j'ai l'impression,
32:38 puisqu'il me l'a feuilleté,
32:39 il y avait une véritable
32:40 enquête administrative.
32:41 Alors même qu'il aurait dû y avoir
32:42 une enquête judiciaire
32:43 qui n'a jamais été partagée.
32:44 Et puis, il y a eu des choses
32:46 un peu plus compliquées.
32:48 J'en cite une
32:51 parce qu'elle est vraiment
32:52 très caractéristique.
32:54 On programme, en fait,
32:56 un déplacement du président
32:58 de l'Assemblée parlementaire
32:59 à Moscou, en mars 2021,
33:02 pour justement faire payer
33:04 à la Turquie
33:05 le prix de ses engagements
33:08 quand elle retournait
33:09 au Conseil de l'Europe
33:10 de façon pleine et entière.
33:11 En disant, maintenant,
33:12 vous devez jouer le jeu
33:13 du rapporteur sur la Tchétchénie,
33:14 du rapporteur Jacques Mer
33:15 sur Navalny, etc.
33:16 Et donc, il s'appelait Rik Dem,
33:17 c'est un ancien vice-premier ministre belge
33:20 et un monsieur important.
33:21 Il va en Russie.
33:22 Et juste avant qu'il aille en Russie,
33:23 les Russes sortent une opération
33:26 qu'ils ont montée, à mon insu,
33:28 quelques semaines auparavant.
33:30 C'est deux "comics"
33:34 téléguidés par Moscou
33:35 qui sont Vovane et Lexus.
33:36 Vovane et Lexus se font passer
33:39 pour un collègue ukrainien
33:41 qui est un monsieur important
33:43 de l'établissement ukrainien
33:45 que je connaissais comme collègue
33:47 pour avoir travaillé avec lui.
33:48 Et ils me disent, voilà,
33:51 il faut que...
33:52 En fait, ils cherchent à me faire dire
33:55 que je suis totalement biaisé,
33:56 que je cherche à prouver
33:57 la culpabilité de la Russie,
33:58 indépendamment des preuves.
33:59 En fait, c'est ça.
34:00 Et ils me disent qu'ils veulent me passer
34:03 le slip de Navalny,
34:04 le fameux slip contaminé.
34:06 - Et ça, vous vous rendez compte
34:07 que c'est complètement faux
34:08 et que c'est pas la personne
34:11 à qui vous pensez parler,
34:12 que c'est juste des...
34:13 Je ne sais pas, c'est des agents du FSB,
34:15 qui ont fait ça ?
34:16 - Alors, c'est pas du FSB
34:17 puisque c'est des comiques...
34:20 - Ah oui, donc c'est des comiques, d'accord.
34:21 - Qui sont instrumentalisés complètement,
34:23 puisqu'on verra ce que deviendra
34:25 effectivement cette...
34:26 Non, au début, je me dis,
34:28 ce mec est bizarre
34:29 et je suis hyper prudent, évidemment,
34:31 et je cherche à...
34:32 Ceci dit, qu'un collègue, je dirais, ukrainien,
34:37 cherche à savoir où j'en suis
34:39 sur un cas de Navalny,
34:40 m'étonne pas.
34:41 Et que, en plus, ce monsieur
34:42 ait un rôle important
34:43 dans le système, je dirais, ukrainien,
34:46 qu'il fasse sa propre contre-enquête
34:49 vis-à-vis de moi
34:50 et que je cherche à m'influencer,
34:51 m'inquiète pas.
34:52 Quand il me propose, globalement,
34:53 de partager le slip,
34:54 je me dis, le type,
34:55 il est carrément bizarre.
34:56 Mais je lui ai dit "banco"
34:58 et en deux mots, je lui ai dit
34:59 "Écoutez, si vous voulez me donner
35:00 quelque chose, quoi que ce soit,
35:01 je n'accuse pas réception du slip,
35:03 mais si vous avez des choses
35:04 à transmettre,
35:05 on peut en parler autrement
35:06 qu'au téléphone",
35:07 parce que le type, en fait,
35:08 m'avait appelé 20 fois au téléphone
35:09 et je l'avais pris
35:10 qu'au bout de la 21e fois
35:11 parce que j'étais assez méfiant.
35:13 Et il se trouve que je demande,
35:14 on est entre nous,
35:15 mais je demande à l'Assemblée
35:16 parlementaire du Conseil de l'Europe
35:17 de me donner une espace sécurisé
35:18 pour éventuellement avoir
35:19 un transfert de documents,
35:20 il me le donne.
35:21 Et le lendemain,
35:22 je tombe sur mon collègue ukrainien
35:25 et je lui dis "ben alors,
35:26 on ne prend pas un café ?
35:27 On avait rendez-vous ensemble ?"
35:28 Il me dit "si, pourquoi pas,
35:29 si vous voulez".
35:30 Et là, je me rends compte
35:31 qu'il y a un gros truc, quoi.
35:32 Et donc, la réalité, c'est quoi ?
35:34 Je reviens au déplacement
35:35 de Rick Demps,
35:36 le président de l'Assemblée parlementaire,
35:38 qui justement va voir Volodine,
35:41 va voir le ministre des Affaires étrangères,
35:44 va voir le ministre de la Justice et autres
35:47 pour leur demander
35:48 de faire respecter leurs engagements
35:49 et à ce moment-là,
35:50 sort dans les médias
35:51 le prank en question.
35:52 Dans les médias russes.
35:53 Russes.
35:54 Et qui est à la télé,
35:55 en grande écoute,
35:56 pour justement ridiculiser
35:57 le Conseil de l'Europe.
35:58 Ça embête pas mal, naturellement,
36:02 Rick Demps dans sa mission,
36:03 mais les russes disent
36:04 "oh, c'est pas grave du tout,
36:05 ça n'a rien à voir avec nous
36:06 et ça ne comptera pas dans nos relations".
36:07 Donc, la réalité, c'est que
36:09 il obtient théoriquement le fait
36:11 de faire venir les rapporteurs
36:13 pour enquêter sur place,
36:14 ce qu'on n'avait pas pu faire.
36:15 On a eu d'autres moyens d'enquête.
36:16 Et quelques semaines après,
36:17 ça se transforme en vidéo.
36:20 Donc, j'ai une vidéo organisée
36:22 avec M. Galperin
36:23 qui est le ministre de la Justice.
36:24 Et quelques jours après,
36:25 quand il voit quand même
36:26 que je suis toujours sur la même ligne,
36:28 il me déclare que personne n'a d'engratin,
36:30 il ne veut plus travailler avec moi.
36:31 Et du coup, à partir de ce moment-là,
36:33 plus jamais les russes
36:34 ne vous ont communiqué des documents,
36:36 n'ont discuté avec vous, etc.
36:37 Non, mais il y a quand même
36:38 quelque chose qui est assez intéressant.
36:40 C'est que quelques mois après,
36:42 il y a les élections législatives russes
36:45 et l'Assemblée parlementaire,
36:47 moi-même étant, je dirais,
36:50 personne n'a d'engratin,
36:51 en rupture avec les conventions
36:53 qui règlent le statut
36:54 des rapporteurs du Conseil de l'Europe,
36:56 l'Assemblée parlementaire
36:57 me désigne en fait comme délégué
37:00 pour la petite mission de contrôle
37:03 des élections russes.
37:04 Et les russes, globalement,
37:06 n'ont pas le choix que de m'accepter,
37:07 sinon ils n'auraient plus
37:08 accès au territoire français.
37:09 Avant de terminer ce stream,
37:12 je vais prendre une question
37:13 de ChoupinouFamily,
37:15 pas de bêtise,
37:16 qui nous suit beaucoup,
37:18 qui suit beaucoup le stream
37:19 de Libération,
37:20 on te fait des bisous Choupinou.
37:21 Et une question qui est très à propos
37:25 pour terminer ce stream,
37:26 qui nous demande,
37:27 c'était en réaction
37:28 quand tu parlais du contexte de peur
37:30 que Poutine instaure,
37:33 et elle nous demande,
37:34 dans ce contexte de peur
37:35 et de pression permanente,
37:36 qui va oser reprendre le flambeau
37:38 et incarner l'opposition maintenant ?
37:39 Alors, de manière très ouverte
37:43 et officielle,
37:44 Yulia Navalnaya,
37:45 la veuve d'Alexei,
37:46 l'a déclarée quelques jours
37:48 après son décès.
37:49 Elle a pris la parole,
37:52 face caméra,
37:53 dans le même espace,
37:56 dans la même fenêtre
37:57 dans laquelle parlait Navalny,
37:58 avec un Navalny en néon derrière,
38:00 en veste rouge,
38:01 très droite,
38:02 en disant "je reprends le flambeau,
38:03 je reprends la bataille".
38:04 Elle continue,
38:06 l'œuvre d'Alexei ne s'arrête pas avec lui,
38:08 ce qui est très fort symboliquement.
38:12 Elle est à l'étranger,
38:15 donc cela pose plusieurs questions,
38:20 à savoir,
38:21 Alexei Navalny,
38:23 lui, est considéré
38:24 qu'on ne pouvait pas lutter
38:25 efficacement contre le régime
38:26 en étant en dehors de Russie.
38:27 Aujourd'hui,
38:29 tous ceux qui pourraient lutter
38:31 à l'intérieur de la Russie
38:32 sont en prison ou morts.
38:34 Les autres sont sortis de Russie.
38:37 Donc la question,
38:38 c'est quelle peut être
38:39 l'efficacité de leur action
38:40 en dehors des frontières russes,
38:41 au-delà simplement du...
38:43 C'est pas simple,
38:45 mais au-delà du lobbying,
38:46 de la conversation,
38:47 du démarchage,
38:48 comment est-ce qu'ils peuvent agir
38:49 concrètement sur le régime russe ?
38:51 J'ai peur d'être pessimiste
38:54 et je pense qu'ils ne peuvent pas
38:55 vraiment agir dessus.
38:56 En revanche,
39:01 il y a plusieurs choses.
39:03 Il y a l'avenir politique concret.
39:05 Donc, est-ce qu'on peut faire
39:06 politiquement ?
39:07 Pour l'instant, moi, je ne dirais rien
39:08 parce que le régime
39:09 et le système
39:10 est complètement vissé
39:11 et vicié
39:12 et Poutine va être réélu
39:14 et ne compte pas partir
39:15 et ne compte pas laisser sa place.
39:16 C'est très clair.
39:17 La réalité aussi,
39:19 c'est que les opposants
39:20 qui ont pu quitter la Russie
39:21 pour se mettre à l'abri
39:22 ne le sont plus,
39:23 comme on le sait,
39:24 depuis hier soir
39:25 parce que Volkov,
39:26 qui était le lieutenant principal
39:28 d'Alexé Navalny,
39:30 qui était son chef de campagne,
39:31 qui vraiment l'a suivi
39:32 dans toute sa carrière
39:33 et qui s'est fait attaquer
39:36 dans un pays
39:39 de l'Union européenne,
39:40 de l'OTAN,
39:41 où normalement,
39:44 il devrait être en sécurité.
39:45 Mais ce qui veut dire aussi que...
39:46 Donc, il s'est fait attaquer
39:47 au marteau dans sa voiture,
39:48 c'est ça ?
39:49 Voilà, il a été...
39:50 Il rentrait chez lui en voiture
39:51 le soir et il s'est fait attaquer
39:52 par un type qui tenait
39:53 un marteau
39:54 pour faire des...
39:55 un marteau de boucher,
39:56 en fait,
39:57 et qui a essayé
39:58 de lui...
40:00 Enfin, qui lui a tapé dessus
40:01 et qui l'a agressé
40:02 dans sa voiture.
40:03 Les blessures sont...
40:04 sont pas très graves,
40:08 mais le message est très clair.
40:11 Mais du coup, dans ce climat-là,
40:12 les images des funérailles de Navalny
40:14 avec des milliers de Russes
40:15 qui scandent son nom,
40:16 qu'est-ce que ça raconte ?
40:17 On a pu voir à cette occasion
40:19 qu'il y a des gens en Russie
40:21 qui ne sont pas d'accord
40:22 avec Poutine,
40:23 qui sont prêts encore
40:24 à ces gestes
40:25 qui peuvent paraître insignifiants
40:27 mais qui sont d'un courage inouï
40:29 dans le contexte actuel.
40:30 Et donc, il faut le saluer,
40:31 il faut le redire.
40:32 Et que même s'ils ne sont
40:34 que des milliers,
40:35 ils sont en fait des milliers
40:36 et c'est énorme
40:37 par rapport à...
40:38 Pareil, par rapport au contexte.
40:39 Et voilà, je sais pas,
40:42 Julia, aujourd'hui,
40:43 a écrit dans un édito
40:47 au Washington Post,
40:48 a appelé les Occidentaux
40:51 à ne pas reconnaître
40:52 les élections
40:53 qui vont se tenir
40:54 à la fin de la semaine en Russie.
40:56 Et qui seront en fait
40:57 un référendum
40:58 pour reconduire Poutine au pouvoir.
41:00 Je ne sais pas si c'est faisable,
41:02 je pense que c'est un vœu pieux
41:04 et je pense qu'on n'en est pas encore là.
41:06 Mais moi, je pense pas
41:09 qu'il y a de place
41:10 pour l'opposition politique
41:11 en Russie aujourd'hui.
41:12 Jacques Meir,
41:13 est-ce que vous partagez
41:14 cette opinion ?
41:15 Qu'est-ce que vous en pensez, vous ?
41:16 Je pense qu'il faut absolument
41:17 maintenir la flamme.
41:18 Je pense que c'est très, très important,
41:20 y compris dans la vision
41:21 qu'on a de la Russie,
41:22 de ne pas prendre
41:25 de ne pas passer ce pays
41:27 par pertes et profits.
41:28 La Russie, elle restera
41:30 à quelques milliers de kilomètres
41:32 de la France, de façon éternelle.
41:34 C'est un pays avec lequel
41:36 il faudra composer dans la durée,
41:38 même si on est en guerre
41:39 par procuration pour l'instant.
41:41 Et il faut tout faire
41:43 pour que les acteurs
41:46 de la société civile en Russie
41:48 ne se sentent pas abandonnés
41:50 et qu'on ne puisse pas
41:52 considérer nous-mêmes
41:54 comme si il y avait
41:55 une espèce de malédiction éternelle,
41:57 parce que c'est un autre détriment.
41:58 Par rapport à ça,
42:00 c'est vrai que c'est compliqué
42:01 quand on est en guerre.
42:02 C'est vrai qu'il y a
42:03 une espèce d'impression
42:04 d'homogénéité.
42:05 Moi, je ne crois pas
42:06 à cette homogénéité.
42:07 Quand on regarde, effectivement,
42:08 le nombre de gens
42:09 qui ont vu, par exemple,
42:10 la vidéo sur le palais de Poutine.
42:12 Quelle vidéo sur le palais de Poutine ?
42:14 Pardon.
42:15 Quand Navalny a été emprisonné,
42:17 la veille, son organisation,
42:19 qui montre un peu son courage,
42:20 a sorti une vidéo monstre
42:22 en termes de succès
42:23 qui a montré
42:24 comment est-ce que Poutine
42:25 s'enrichissait
42:26 au détriment de la collectivité
42:28 avec des prêtons,
42:29 avec un palais gigantesque,
42:30 le plus grand palais
42:31 qu'on puisse trouver.
42:32 Il y a eu des dizaines
42:33 de millions de gens
42:34 qui ont vu ça.
42:35 Il y a eu des millions
42:36 et des millions,
42:37 y compris en Russie.
42:38 Ces gens n'ont pas oublié.
42:39 Quelqu'un me racontait aussi
42:40 il n'y a pas très longtemps
42:41 que dans le métro
42:42 à Saint-Pétersbourg,
42:43 il y avait quelqu'un
42:44 qui regardait
42:45 son téléphone portable
42:46 avec la chaîne YouTube
42:48 de Navalny
42:49 au moment de l'enterrement.
42:50 Et que quand il avait
42:51 levé la tête,
42:52 il y avait effectivement
42:53 au temps de lui,
42:54 beaucoup de gens
42:55 qui regardaient le même YouTube
42:56 au même moment.
42:57 Donc tout ce qui est
42:58 sondage d'opinion,
42:59 tout ce qui est analyse
43:00 de l'opinion publique
43:01 aujourd'hui est complètement
43:02 biaisé par cette espèce
43:03 de peur généralisée.
43:04 Mais la conscience est là.
43:05 Les gens ont vécu
43:06 quand même pendant 20 ans
43:07 non pas la démocratie
43:08 mais une forme
43:09 de pluralisme conflictuel.
43:10 Ils l'ont vécu.
43:11 Ils savent que ça existe.
43:12 Les jeunes ont eu accès
43:13 aux réseaux sociaux
43:14 pendant des années
43:15 de façon globalement
43:16 assez ouverte.
43:17 Donc ce terreau est là.
43:18 Cette grande
43:19 collectivité
43:20 qui a été
43:21 construite
43:22 pour faire vivre
43:23 cette graine
43:24 est là.
43:25 Il y a des gens
43:26 qui se sacrifient
43:27 pour la faire vivre.
43:28 Et donc ces gens-là,
43:29 il faut qu'on les soutienne
43:30 le mieux qu'on peut.
43:31 Pour faire un mot
43:32 de la fin
43:33 avant de vous quitter,
43:34 il y a un moment
43:35 qui m'a particulièrement
43:36 marqué dans cet entretien.
43:37 Navalny qui explique
43:38 que ce n'est pas vraiment
43:39 lui qui compte.
43:40 C'est les millions
43:41 de personnes
43:42 qui l'essayent
43:43 de représenter
43:44 et qui veulent faire
43:45 de la Russie
43:46 un pays européen normal.
43:47 Je trouve ça très fort
43:48 et je trouve que ça
43:49 représente un petit peu
43:50 la même chose.
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