• il y a 9 mois
Aujourd'hui à 7h50, entretien exclusif avec la femme de l'année, Justine Triet. La réalisatrice dont le dernier film "Anatomie d'une chute" a collectioné les récompenses, de la Palme d'Or aux César, et qui a récemment ajouté un Oscar à la déjà longue liste des distinctions obtenues.

Retrouvez les entretiens de 7h50 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50

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Transcription
00:00 Et notre invitée est la femme de l'année dans le cinéma français, réalisatrice du
00:04 film « Anatomie d'une chute », elle a décroché la Palme d'Or à Cannes, six Césars dont
00:08 meilleur film et meilleure réalisation, un BAFTA au Royaume-Uni et j'en passe.
00:12 Et dernièrement aux Etats-Unis, l'Oscar de meilleur scénario.
00:15 Bonjour Justine Trier.
00:16 Bonjour.
00:17 Bonjour et félicitations.
00:18 Merci.
00:19 Vous êtes rentrée il y a peu aux Etats-Unis, donc il y a eu beaucoup d'émotions, beaucoup
00:22 de pression, donc forcément de fatigue aussi.
00:24 Donc on vous remercie beaucoup d'être avec nous ce matin.
00:27 Vous disiez que ce qui vous faisait peur dans les Oscars, c'était l'après.
00:31 Alors ça y est, vous y êtes, vous vous sentez comment ?
00:33 L'après est très frais, donc là je n'ai pas vraiment eu le temps.
00:37 Mais non, oui, ça va être effectivement de reprendre mon métier, parce que ça fait
00:41 un bon moment que je ne fais plus mon métier.
00:42 Mais de me retrouver dans le vide, dans la nouvelle page blanche.
00:47 Mais bon, ça va, je suis encore galvanisée par ce qui s'est passé.
00:53 Vous avez rencontré par exemple Jean Dujardin qui vous avait dit « moi après mon Oscar,
00:57 j'ai fait une dépression, j'ai changé de pays, j'ai divorcé, là on n'en est
00:59 pas là pour l'instant ».
01:00 Pas encore, non.
01:01 Et vous avez arrêté de vous couper les cheveux depuis Cannes, par superstition en
01:06 quelque sorte.
01:07 Est-ce que là, ça y est, vous allez pouvoir aller chez le coiffeur ?
01:09 Oui, il faut que j'aille me couper les cheveux.
01:11 J'ai des talks un peu stupides et ça en faisait partie.
01:15 Mais ça a marché !
01:16 Est-ce qu'on arrive déjà à se projeter dans l'après ? On se demande si vous aviez
01:23 déjà écrit votre prochain film par exemple.
01:25 Est-ce que vous avez déjà préparé « Anatomie d'une rechute » ou « Anatomie d'un
01:29 rebond » ? Je ne sais pas, mais ça doit être extrêmement difficile.
01:33 Ça fait un an que vous vivez avec ce film, partout dans le monde, dans des festivals,
01:38 à parler à des gens de partout qui vous ont remis des prix.
01:42 C'est vrai que c'est une expérience très étrange, hyper joyeuse, mais en même temps
01:46 très étrange.
01:47 Je suis devenue experte pour parler de mon film, mais ce n'est pas vraiment mon métier.
01:53 J'ai très hâte de retrouver le fait de travailler sur un nouveau projet.
01:57 Franchement, rien ! J'ai deux projets que j'avais avant tout ce délire et que je
02:01 vais reprendre.
02:02 Et après, j'ai lu peut-être 50 scénarios qu'on m'a donnés à Hollywood.
02:05 C'est ça le truc qui s'est passé, c'est que j'ai fait la campagne, plus la lecture
02:12 parce qu'on m'envoyait constamment des…
02:13 Parce que c'est une campagne, il faut juste le raconter à nos auditeurs.
02:16 C'est-à-dire qu'arriver aux Oscars, on n'y arrive pas comme ça.
02:19 C'est une vraie campagne électorale, vous êtes devenue femme politique.
02:23 Racontez-nous comment ça s'est passé d'ailleurs.
02:24 Mais c'est vrai que ça s'apparente un peu à de la politique.
02:26 Parce qu'ils m'ont appelée, je pense, on a eu un premier Zoom avec le distributeur
02:31 américain Neon au mois de juillet, au mois d'août.
02:34 Et ils m'ont dit « est-ce que tu es prête à affronter le truc qui t'attend ? ».
02:37 Et moi j'étais très naïve, je ne m'attendais pas du tout à ce que ça allait être.
02:40 C'est-à-dire qu'effectivement, soit je m'installais là-bas, soit je faisais plein
02:43 d'aller-retour.
02:44 Ce qui a été le cas.
02:45 Je faisais plein d'aller-retour parce que j'ai une famille ici.
02:47 Et en fait, c'est à la fois faire énormément de projections, donc venir à la fin des
02:52 projections et parler du film.
02:53 Mais c'est aussi rencontrer des votants.
02:55 Ils organisent toutes sortes de différentes choses.
02:57 Ils sont extrêmement créatifs dans la manière dont ils peuvent nous faire rencontrer les
03:03 votants.
03:04 C'est fou.
03:05 Et puis après, il y a un autre travail qui consiste à rencontrer des acteurs, des réalisateurs,
03:13 des scénaristes, etc.
03:14 Ça, c'était la partie que j'ai préférée parce que j'ai rencontré des gens que j'admire.
03:18 Donc ça, c'était toute la journée.
03:20 Est-ce que tu veux rencontrer à telle heure Meryl Streep, Harry Hester, Emma Stone, etc.
03:25 Ça, c'était assez rigolo.
03:26 Ça dépendait aussi des gens.
03:29 Je n'aimais pas tous les acteurs et les acteurs de la même manière.
03:32 Mais c'est vrai que c'était quelque chose d'assez chouette.
03:33 Mais voilà, c'était du travail.
03:34 Ce n'était pas du tout arriver au moment des Oscars et juste attendre de voir si les
03:38 gens avaient voté pour toi.
03:39 Et ça aboutit à quoi ces rencontres ? C'est pour des futurs projets ?
03:42 C'est quoi ?
03:43 Oui, alors après, c'est informel.
03:44 Des fois, il y a des acteurs qui m'ont proposé des films.
03:47 Il y en a certains que je n'ai pas lus.
03:50 Lesquels ?
03:51 Encore !
03:52 Dites-nous !
03:53 Non, mais je ne peux pas trop dire.
03:54 Mais c'est vrai qu'il y a eu beaucoup de...
03:56 Comme je ne suis pas sûre de les accepter, je ne vais pas en parler maintenant.
03:58 Mais c'est vrai que...
04:00 Disons qu'ils sont très concrets.
04:02 C'est vraiment une industrie.
04:03 C'est très, très vite.
04:04 Qu'est-ce que tu vas faire ici aux Etats-Unis ?
04:06 Est-ce que tu veux travailler avec nous ?
04:07 Et puis après, quand j'ai rencontré par exemple Harry Hester, qui est pour moi un
04:11 des plus grands réalisateurs vivants, c'était très touchant parce que c'est un mec qui
04:14 a plein de doutes, qui parle juste de sa vie et qui est complètement...
04:17 Donc c'était juste un échange, mais très, très beau.
04:21 Et Maston, c'était beaucoup plus drôle.
04:25 On s'est vraiment marré pendant une heure.
04:26 Mais en fait, ça dépend vraiment des gens et des affinités.
04:30 C'est vrai que j'ai parlé aussi avec Jodie Foster.
04:31 Je crois que c'était une des premières avec laquelle j'ai eu un échange.
04:34 Je me suis transformée presque en psy.
04:36 C'est vrai que j'ai posé plein de questions sur son enfance, comment elle s'était retrouvée
04:38 sur les plateaux.
04:39 En titre personnel, c'était vachement intéressant.
04:44 Après, je n'ai pas à travailler avec tout Hollywood, ça n'a pas de sens.
04:48 Mais c'était vraiment quelque chose dont je n'avais pas rêvé, mais qui était extrêmement
04:56 intéressant à vivre aujourd'hui.
04:57 Et de pouvoir se rendre compte que ce film-là, ce film qui est un film indépendant, quand
05:01 même, Anatomy Nullified, puisse résonner à cet endroit-là et toucher des gens qui
05:05 font quand même des films à 200 millions, parce que ça existe.
05:08 Scorsese, c'est 200 millions le budget de son film.
05:09 Christopher Nolan, c'est encore plus.
05:11 Je ne connais pas le budget.
05:12 Oppenheimer.
05:13 Mais ça, c'est intéressant.
05:14 Ça raconte aussi quelque chose du désir des Américains aussi, par rapport à notre
05:18 cinéma et de la façon dont c'est quand même assez joyeux de pouvoir échanger avec
05:24 des manières de faire des films qui sont totalement et radicalement différentes.
05:27 Vous racontez justement, là vous revenez des Etats-Unis, vous allez partir en Chine.
05:31 Qu'est-ce qui est universel dans ce film qui raconte un couple dans un chalet à la
05:39 montagne ? Est-ce que c'est par exemple la question, pour ceux qui ont une famille,
05:42 du partage du temps, de la liberté, des compromis qu'on fait ou qu'on ne fait pas ?
05:45 Oui, je crois que ce n'est pas le côté… Oui, il y a le thriller, mais je ne crois
05:49 pas que ce soit la chose qui ait vraiment le plus marqué les gens.
05:52 Je pense que c'est vraiment le couple, l'homme-la-femme, le rapport entre l'homme et la femme.
05:56 Je pense qu'aujourd'hui, on est tellement dans ces questions-là.
05:58 On ne l'a pas tant théorisé que ça avec Arthur quand on écrivait le film.
06:01 Arthur et Harry, pardon.
06:02 Votre compagnon qui travaille avec vous sur le scénario.
06:04 Mais je me rends compte que ce film a été quand même écrit après Me Too.
06:09 Il est complètement imbibé du post-Me Too.
06:13 Et que ce sont des questions qui concernent tout le monde.
06:16 Je me suis rendu compte quand le film est sorti, même des gens de mon milieu qui me
06:20 disaient que ça fait tellement résonner dans ma vie un vrai déséquilibre entre moi
06:29 et mon mari ou entre moi et ma...
06:31 Ce n'est pas forcément d'ailleurs couple hétérosexuel.
06:34 Les gens se sont totalement identifiés à ce couple et à cette difficulté d'y vivre
06:38 ensemble et d'être dans cette forme de parité.
06:40 Après, le film n'est pas une théorie là-dessus.
06:43 Non, parce qu'il y a le procès.
06:44 Parce qu'il y a cette question qu'on vous a posée peut-être partout dans le monde.
06:47 Est-ce que Sandra est coupable ? On a vu par exemple que les Français pensent qu'elle
06:51 est innocente, que les Américains pensent qu'elle est coupable.
06:54 On a l'impression qu'à chaque fois que vous allez quelque part, chaque pays a sa
06:59 lecture différente en fonction de sa culture.
07:01 Est-ce que vous-même, vous savez si elle est coupable ?
07:04 Moi, je sais, oui.
07:05 Et alors ? J'ai dit que je donnerais la réponse en 10 ans.
07:08 Ça va être long.
07:11 Oui, ça raconte quelque chose effectivement aussi de la culture des gens, etc.
07:16 C'est très surprenant.
07:17 Ça m'a beaucoup surpris qu'en France, effectivement, tout le monde la croie innocente et aux États-Unis,
07:20 tout le monde la croit coupable.
07:21 Mais oui, en Espagne, j'ai eu aussi beaucoup de gens, beaucoup d'hommes, de journalistes
07:25 qui m'ont dit "mais quand même, cette femme est très détestable".
07:26 C'est rigolo, ça raconte quelque chose.
07:28 Ça dit quelque chose de la culture de chaque pays.
07:30 Mais je pense qu'effectivement, Sandra, la façon dont elle est incarnée, Sandra est
07:34 très féministe.
07:35 C'est une femme qui a ça, mais sans en parler, sans le théoriser, qui vit comme
07:40 ça.
07:41 Je pense que moi, je suis aussi féministe, mais d'une façon totalement incarnée, sans
07:44 même, j'ai pas attendu Me Too pour être comme ça.
07:47 Donc, c'est vrai que ça incarne tellement ça.
07:50 C'est quelqu'un qui est tellement décomplexé dans sa façon de ne pas demander ce qu'elle
07:54 veut, mais vraiment de l'imposer.
07:56 Ça a fait réagir les gens.
07:59 Je pense qu'il y a des gens qui se sont sentis choqués, d'autres qui se sont dit "ah oui,
08:02 mais finalement, moi, j'ai pas réussi à vivre ça.
08:03 Pourquoi est-ce que j'ai pas demandé ça ?"
08:04 Moi, je sais qu'il y a des gens de la génération un peu d'au-dessus de ma mère qui m'ont
08:07 dit "mais moi, ça m'a fait complètement exploser en sanglots parce que je me suis
08:10 dit "mais en fait, je me rends compte qu'à un moment de ma vie, j'ai vécu ça et en
08:15 fait, je n'ai pas eu la force de dire ce que dit Sandra dans la scène de la dispute".
08:18 Parce qu'il y a une scène où Sandra...
08:19 Pardon, je fais comme si tout le monde connaissait le film en fait, mais beaucoup de gens quand
08:23 même.
08:24 Il y a quand même 2 millions de personnes qui l'ont vu, ce qui est quand même pas mal
08:26 en France.
08:27 Et il est encore en salle pour ceux qui chercheraient.
08:29 Donc voilà, je pense que ça a résonné à un endroit très intime des gens et ça,
08:35 on ne peut pas le prévoir.
08:36 Je ne l'ai pas prévu du tout, prémédité, c'est pas le bon mot.
08:39 Non, c'est pas le bon mot, mais en tout cas, ça dit ce qu'on imagine ou ce qu'on projette
08:44 dans un film.
08:45 Vous dites que c'est un film post-Me Too.
08:47 Alors c'est vrai qu'il y a une parole qui se libère en ce moment dans le cinéma français.
08:51 Est-ce que la place des femmes, elle évolue vraiment ? Vous avez sûrement écouté le
08:55 discours de Judith Godrej qui a porté plainte contre Jacques Doyon pour viol.
08:59 Elle appelle à dire tout haut, je la cite, "la réalité des violences sexistes et sexuelles".
09:03 Qu'est-ce qu'elle est cette réalité d'après vous qui êtes dans ce milieu-là du cinéma ?
09:07 Oui, je pense que Judith Godrej, après Adèle Haenel, après plein d'autres femmes aussi
09:11 qui ont pris la parole, je pense, avant elle, disent des choses essentielles, nécessaires,
09:17 qui effectivement se sont passées pendant des années et qui étaient tues.
09:22 Et je pense que cette libération de la parole qu'a apporté Me Too est nécessaire.
09:26 Et nous, on a mis plus de temps à arriver en France.
09:28 Je ne sais pas pourquoi on prend plus de temps.
09:29 Elle arrive maintenant, on vit vraiment le Me Too aujourd'hui.
09:31 Vous avez le sentiment que ça change, par exemple, le regard qui est porté sur vous,
09:36 réalisatrice ?
09:37 Non, ça change lentement.
09:38 Franchement, même revenant des États-Unis, je me rends compte à quel point là-bas,
09:42 c'est quand même très très lent.
09:43 Moi, j'étais quand même la seule réalisatrice en face de tous les hommes nommés aux Oscars.
09:47 C'est lent, c'est très lent, mais ça bouge, ça commence à bouger.
09:52 Effectivement, cette libération est nécessaire.
09:53 Et je pense qu'effectivement...
09:56 Alors attention, il ne faudrait pas que le cinéma soit l'arbre qui cache la forêt.
09:59 C'est-à-dire que ça existe partout.
10:00 Non mais je le dis parce que j'entends en ce moment un peu des choses en disant "voilà
10:03 ce monde dégueulasse du cinéma".
10:05 Attention, ça existe partout.
10:07 Le inceste, le viol et tout, malheureusement, concerne les couches sociales aisées, les
10:13 pauvres, les riches, les classes moyennes.
10:15 Il faut le redire quand même.
10:16 Donc voilà, cette libération est nécessaire partout.
10:18 Et oui, effectivement, en tout cas, moi, c'est des questions qui se sont posées, qui se
10:24 posent.
10:25 Je continue à faire attention sur mon plateau.
10:26 C'est aussi un milieu, le cinéma, où la hiérarchie est très forte.
10:28 Donc en tant qu'effectivement chef de bateau, on est obligé de faire attention à ceux
10:35 qui n'osent pas parler.
10:37 Vous êtes quel type de chef ? Démocrate ou despote ?
10:40 Je suis totalement communiste, les gars.
10:41 Non mais moi, sur un plateau, c'est une catastrophe.
10:42 C'est même pas très bien.
10:43 Au final, moi, je me fais engueuler parce que je demande l'avis à tout le monde.
10:47 Je demande tout le temps, constamment l'avis à autant Cynthia Raack, qui est à côté
10:52 de moi en coach acteur, que mon assistant, que la coiffeuse.
10:56 Donc il n'y a pas de hiérarchie.
10:58 Il y a une scène qui a vraiment marqué la cérémonie des Oscars et qui a été énormément
11:04 commentée sur les réseaux.
11:06 C'est « On vous voit » avec Christopher Nolan, qui a fait « Oppenheimer », qui
11:09 est un immense auteur hollywoodien de blockbusters, de Batman et autres.
11:13 Et il se penche vers vous et il vous dit quelque chose.
11:16 Et alors donc, il y avait un jeu sur Internet qui était de savoir ce qu'il vous avait
11:20 dit.
11:21 Et comme lui, il a surtout fait des films avec des personnages masculins extrêmement
11:25 forts, c'est comme s'il vous demandait comment créer des personnages de femmes qui
11:30 ont du caractère.
11:32 En tout cas, c'est l'une des réponses qui était drôle.
11:34 Mais qu'est-ce qu'il vous a dit, Christopher Nolan ?
11:36 Non, il ne m'a pas dit tout ça.
11:37 Je me suis dis que je vais décevoir les gens.
11:39 J'aurais adoré qu'il me demande ça.
11:40 C'est vrai que les personnages féminins chez Nolan, c'est pas forcément… Non,
11:42 j'exagère.
11:43 Dans son dernier film, oui, les femmes sont un peu en retrait.
11:47 Mais non, il m'a demandé simplement.
11:50 Il m'a juste dit « Bravo, tu es contente, ça se passe bien ».
11:53 C'est vrai que non, la blague, c'est que Christopher Nolan, on se suit.
11:55 On s'est suivi, on s'était vus juste avant Bafta.
11:58 On n'arrête pas de se voir.
11:59 Il faut savoir que la campagne des Oscars, c'est comme une grande caravane.
12:03 On se suit tous pendant un an.
12:04 Donc effectivement, on a amené à se voir.
12:07 Et là, oui, il était content pour moi.
12:09 Il me félicitait.
12:10 Et puis non, c'était drôle.
12:11 C'était la seule fois, je crois, de toute la campagne où il perdait.
12:14 D'ailleurs, moi, j'étais ravie à titre personnel que Monia Choukri ait le…
12:18 Mais du coup, il était juste dans un truc de…
12:22 Une réalisatrice canadienne.
12:24 Merci, oui.
12:26 Je suis désolée.
12:27 On n'a pas eu de grande discussion sur les personnages féminins et masculins avec Nolan.
12:31 Je vais vous décevoir.
12:32 C'est la vie.
12:33 Une dernière chose, en France, la carrière du film, on le disait, elle est impressionnante.
12:36 Il y a la Palme d'Or, il y a les Césars.
12:38 Pour vos récompenses américaines et pour les Oscars, le président de la République,
12:42 il vous a félicité.
12:43 Mais pas après Cannes, on s'en souvient.
12:45 Sans doute à cause de votre discours de l'époque, vous aviez dénoncé…
12:49 Je vous laisse, Mounir.
12:51 Non, mais prenez un verre d'eau.
12:53 On a le temps.
12:54 Tout va bien.
12:55 Vous, vous n'avez peut-être pas le temps, mais sans doute à cause de votre discours
12:59 de l'époque, vous aviez dénoncé le pouvoir dominateur et de plus en plus décomplexé
13:02 d'Emmanuel Macron.
13:03 Vous aviez dit qu'il niait la réforme, la protestation sur la réforme des retraites
13:07 qui avait une volonté de casser l'exception culturelle française.
13:10 Vous êtes toujours sur ces mêmes positions aujourd'hui ?
13:12 Bien sûr.
13:13 Enfin, en tout cas, ce que j'ai voulu dire, je pense que mon discours a été tellement
13:17 déformé après, il faut quand même le redire.
13:19 Moi, j'ai essayé de dire surtout, attention, faisons attention à protéger cette exception
13:24 culturelle qu'on nous envie dans le monde entier.
13:26 Ce final cut qu'on a, en fait, les Français, il faut savoir que partout dans le monde,
13:30 quand on voyage, les gens nous disent « mais comment vous faites ? » C'est génial.
13:34 Ça consiste en quoi ? Expliquez-nous.
13:36 C'est-à-dire qu'il y a quand même une autonomie des auteurs en France.
13:39 Déjà, il y a une histoire, il y a beaucoup de gens en France qui écrivent leurs films,
13:44 ce qui n'est pas le cas d'autres pays dans le monde.
13:46 Et s'il vous plaît, il y a une part d'autonomie.
13:49 On décide de notre film, vraiment, de A à Z.
13:53 Et c'est ce qui fait qu'on fait des films, comment dire, différents.
13:56 Ça ne veut pas dire qu'ils sont mieux, moins bien.
13:58 Je ne suis pas en train de dire la suprématie des films français, mais c'est quelque chose
14:00 qu'on nous envie parce qu'il y a plein de rédacteurs dans le monde qui disent « moi,
14:04 je n'ai pas le choix, j'ai dû couper à tel endroit, etc. »
14:06 Et on le voit bien, il y a quand même un formatage de pas mal de choses dans le monde.
14:08 On le voit aujourd'hui.
14:09 On ne peut pas être naïf là-dessus.
14:11 Moi, mon discours, il arrive à un moment précis.
14:13 C'est-à-dire qu'il y a eu le rapport Boutonnat quelques années avant, qui est un rapport
14:16 très précis qui dit « il faut être dans une rentabilité plus grande des films, il
14:21 faut mettre des films qui seraient des films d'auteur un peu plus fragiles au placard.
14:26 » Et qu'à un moment donné, moi, j'ai commencé, il faut le savoir, avec une production
14:30 beaucoup plus légère, avec des budgets très petits.
14:35 Si je n'avais pas eu ce parcours, je ne sais pas si je serais là aujourd'hui.
14:38 Donc moi, en arrivant à cet endroit-là d'exposition extrême, je profite de cet endroit-là
14:42 pour dire « faisons attention à cet endroit-là, je suis là, c'est génial, mais à côté
14:49 de moi, les gens qui arrivent, la jeunesse qui arrive n'est pas aussi protégée que
14:53 je ne l'étais quand j'ai commencé. »
14:55 C'est évidemment ça, c'est la suppression de la redevance audiovisuelle qui change évidemment,
14:59 qui nous donne un peu moins d'autonomie.
15:00 Je pense que vous avez été aussi concerné par cette question-là.
15:03 Ce sont des choses très simples.
15:04 Je ne suis pas en train de dire…
15:05 Alors effectivement, comme je suis une timide, quand j'arrive à cet endroit-là, je le
15:08 fais de manière un peu musclée.
15:10 Militante ?
15:12 Militante, je ne sais pas.
15:13 Franchement, je ne fais pas grand-chose en militantisme dans ma vie.
15:15 Je ne voudrais pas prendre la place de gens qui vraiment militent.
15:18 Mais en réalité, ce qui m'a surpris, j'étais quand même extrêmement étonnée de la violence
15:24 que j'ai subie après, du détournement de ce que j'avais dit.
15:27 Je n'ai jamais craché dans la soupe.
15:30 Contrairement à ça, j'ai justement dit « ce modèle-là, protégeons-le ! ».
15:35 Et voilà.
15:36 J'ai oublié la question, pardon.
15:38 Non mais la question, c'est est-ce que vous êtes toujours sur ces mêmes positions par
15:41 rapport à vos critiques ?
15:42 Écoutez, je vais vous dire honnêtement.
15:43 Moi aujourd'hui, monter un film, c'est évidemment plus facile pour moi.
15:46 Donc si j'étais dans mon juste « moi, moi, moi », effectivement, je vous dirais
15:48 « oui, c'est hyper facile ».
15:49 Ça va bien.
15:50 Ça va pour moi.
15:51 Je veux dire, j'ai 45 ans, j'ai fait 4 films, je vais pouvoir évidemment avoir
15:54 une grande liberté pour mon prochain.
15:56 Je pense juste à cette jeunesse.
15:57 J'ai deux enfants, dont une fille qui a presque 14 ans.
16:00 Je vois ce monde-là qui arrive et je me dis…
16:03 Déjà, je suis très curieuse de savoir ce qu'ils vont faire de ce monde.
16:06 Je me dis comment est-ce qu'ils arrivent ?
16:07 Et je suis désolée, je vois comment…
16:09 Et ça, c'est le monde, ce n'est pas la France, comment les plateformes, ce que ça
16:12 fabrique.
16:13 Je ne suis pas anti-plateforme, je ne suis pas anti-série, anti-plateforme.
16:15 Je pense que tout ça doit exister.
16:17 Mais je dis juste, justement parce que ça existe, il faut protéger d'autant plus.
16:20 Et je pense qu'on a besoin d'une vision sur la culture.
16:24 Et on ne l'a pas ?
16:25 Ce n'est pas qu'une question d'argent, en fait.
16:26 C'est une question de vision.
16:27 Je pense qu'elle manque cruellement.
16:28 Et je pense que c'est ce qui fait qu'aujourd'hui, on a une espèce de crise énorme.
16:32 Et on a aussi un problème parce qu'après mon discours, on l'a vu sur les réseaux,
16:37 tous les côtés, les enfants gâtés, les bébés gâtés, les biberonnéaux, tout ça,
16:40 c'est n'importe quoi.
16:41 On s'en rend compte concrètement.
16:42 Mais on a besoin qu'effectivement, les gens qui travaillent avec nous aillent dans ce
16:48 sens-là avec nous et n'aillent pas contre nous.
16:50 Et je pense que là, je ne parle pas de moi, vraiment, honnêtement.
16:53 C'est vraiment…
16:54 En tout cas, mon discours était pris.
16:57 Je n'étais pas la seule à dire ça.
16:58 Ça faisait un moment vraiment que dans tout le milieu, il y avait les états généraux
17:01 qui essayaient d'alerter, de dire voilà, il y a des problèmes, etc.
17:04 Il y avait eu effectivement le rapport de Boutonnat, il y a tout ça.
17:07 Donc voilà, c'est des choses qui sont importantes d'entendre.
17:11 Mais ce n'est pas que des solutions financières, c'est vraiment une vision globale, je pense.
17:15 Mais quelle histoire !
17:16 Oui, on a parlé de beaucoup de sujets en même temps là.
17:19 Mais quelle histoire, malgré tout !
17:20 Justine Trier, réalisatrice du film « Anatomie d'une chute » récemment oscarisée,
17:25 mais aussi césarisée, palmée.
17:27 Merci beaucoup de nous avoir répondu sur France Inter, Stata.
17:29 Merci et bravo encore !
17:30 - Bravo ! - Merci.

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