Sans être trop présomptueux ni faire montre d'arrogance diplomatique, on peut dire que l'axe franco-allemand a fait l'Europe. Du marché commun à l'acte unique qui a vu la création de l'un des plus grands marchés du monde, de l'Euro aux élargissements territoriaux, l'Union Européenne a montré qu'elle comptait au sein du concert des nations. Et cela par la force émotionnelle de l'axe franco-allemand, par la détermination politique de ses dirigeants et une rencontre de « peuples civilisés » pour paraphraser Goethe et Victor Hugo. Reste que l'Union européenne, 450 millions d'habitants, deuxième puissance économique, n'est-ce pas une Europe puissance même si elle possède les moyens et la potentialité d'y accéder. L'Union européenne n'a pas une politique de sécurité et de défense commune, il n'y a pas d'armée européenne. Idem pour la diplomatie qui ne permet pas d'envisager de concert une politique extérieure. Dans le domaine si prégnant pour l'économie et la réindustrialisation, l'énergie fait discorde. Les prochaines élections européennes risquent d'être polarisées par l'immigration, les revendications de souveraineté et la poussée du populisme et du nationalisme. Bref, c'est le sujet de notre conversation, est-ce que l'axe franco-allemand peut remédier à ces défaillances en impulsant à l'Europe une dynamique stratégique ou l'impuissance de l'Europe résulte des dissensions franco-allemandes qui coïncident par ailleurs avec les faiblesses observées ? Emile Malet reçoit :Stephan Steinlein, ambassadeur d'Allemagne en France, ancien chef de la présidence fédérale. Jean-Louis Bourlanges, député, président de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée Nationale. Hubert Védrine, avocat, ancien ministre des Affaires étrangères. Héléne Miard-Delacroix, professeur des Universités spécialiste des questions franco-allemandes. Présenté par Emile MALETL'actualité dévoile chaque jour un monde qui s'agite, se déchire, s'attire, se confronte... Loin de l'enchevêtrement de ces images en continu, Emile Malet invite à regarder l'actualité autrement... avec le concours d´esprits éclectiques, sans ornières idéologiques pour mieux appréhender ces idées qui gouvernent le monde.Abonnez-vous à la chaîne YouTube LCP Assemblée nationale : https://bit.ly/2XGSAH5Et retrouvez aussi tous nos replays sur notre site : https://www.lcp.fr/Suivez-nous sur les réseaux !Twitter : https://twitter.com/lcpFacebook : https://fr-fr.facebook.com/LCPInstagram : https://www.instagram.com/lcp_an/TikTok : https://www.tiktok.com/@LCP_anNewsletter : https://lcp.fr/newsletter#LCP
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00:00 [Générique]
00:24 Bienvenue dans "Ces idées qui gouvernent le monde".
00:27 L'axe franco-allemand dans une Europe en crise.
00:31 Sans être trop présomptueux ni faire montre d'arrogance diplomatique,
00:36 on peut dire que l'axe franco-allemand a fait l'Europe.
00:41 Du marché commun à l'acte unique,
00:43 il y a eu la création de l'un des plus grands marchés du monde,
00:46 de l'euro aux élargissements territoriaux,
00:49 l'Union européenne a montré qu'elle comptait
00:53 au sein du concert des nations.
00:55 Et cela, à la fois par la force émotionnelle
00:59 de l'axe franco-allemand,
01:01 par la détermination politique de ses dirigeants,
01:05 et une rencontre de peuples civilisés,
01:08 pour paraphraser Goethe et Victor Hugo.
01:11 Reste que l'Union européenne, 450 millions d'habitants,
01:16 deuxième puissance économique,
01:19 n'est pas une Europe-puissance,
01:22 même si elle possède les moyens et la potentialité d'y accéder.
01:27 L'Union européenne n'a pas une politique de sécurité
01:31 et de défense commune.
01:33 Il n'y a pas d'armée européenne.
01:36 Idem pour la diplomatie,
01:37 qui ne permet pas d'envisager de concert une politique extérieure.
01:43 Dans le domaine si prégnant pour l'économie
01:46 et la réindustrialisation, l'énergie fait discorde.
01:51 Les prochaines élections européennes
01:54 risquent d'être polarisées par l'immigration,
01:57 les revendications de souveraineté
02:00 et la poussée du populisme et du nationalisme.
02:04 Bref, c'est le sujet de notre conversation.
02:08 Est-ce que l'axe franco-allemand peut remédier à ces défaillances
02:13 en impulsant à l'Europe une dynamique stratégique
02:17 où l'impuissance de l'Europe actuelle
02:19 résulte des dissensions franco-allemandes,
02:22 qui coïncident par ailleurs avec les faiblesses que j'ai énoncées ?
02:27 Avec mes invités que je vous présente,
02:29 nous allons chercher à apporter un éclairage.
02:33 Stéphane Steinlein,
02:34 vous êtes ambassadeur d'Allemagne en France.
02:37 Je rappelle que vous étiez auparavant
02:40 le chef de la présidence fédérale.
02:43 Jean-Louis Bourlange, vous êtes député,
02:45 président de la Commission des affaires étrangères
02:49 de l'Assemblée nationale.
02:50 Hubert Védrine, vous êtes avocat,
02:52 ancien ministre des Affaires étrangères.
02:55 Hélène Myard de Lacroix, vous êtes professeure des universités
03:00 et notamment spécialiste des questions franco-allemandes.
03:04 ...
03:12 Alors, le sujet aujourd'hui d'actualité,
03:15 notre Europe est en crise et même en guerre.
03:19 Est-ce que le choix d'une Europe puissance
03:22 passe par une souveraineté en matière de défense,
03:25 monsieur l'ambassadeur d'Allemagne ?
03:28 -Je pense que tout le monde est d'accord
03:30 qu'il faut renforcer, dans le monde actuel,
03:33 les efforts dans l'omène d'armement,
03:36 de défense européenne,
03:38 tout en créant un pilier fort
03:40 de la sécurité de l'Ouest et de l'Occident
03:43 au sein de l'OTAN.
03:44 Et pour l'Allemagne, qui est un pays
03:48 qui est fortement ancré dans l'alliance
03:51 avec les Etats-Unis,
03:53 qui a toujours fait cette alliance
03:55 un pilier de notre sécurité,
03:57 c'est sûr qu'il faut renforcer l'autonomie,
04:01 aussi la façon, ou disons plutôt
04:04 la capabilité d'agir en Européen,
04:07 en même temps garder aussi des liens forts
04:10 avec l'alliance atlantique.
04:13 -Bon. Aujourd'hui, on parle d'un côté
04:15 d'autonomie stratégique,
04:17 de l'autre côté de souveraineté stratégique.
04:20 Dans la question de la défense,
04:22 qu'est-ce que vous en pensez, Hubert Védrine ?
04:25 Est-ce qu'aujourd'hui, il y a urgence
04:28 à avoir cette...
04:30 Non seulement politique de défense,
04:32 mais une véritable défense ?
04:34 -Vous me permettez un retour historique,
04:37 très simple. On sous-estime beaucoup trop
04:39 le rôle des Etats-Unis après la guerre.
04:42 Le traité de Rome, il est de 57.
04:44 Le traité de la CK, c'est très bien,
04:46 mais on lui accorde une importance exagérée.
04:49 Il y a un parrainage très intelligent
04:51 des Etats-Unis, notamment à travers le plan Marshall,
04:54 et d'encouragement à une construction européenne.
04:57 Il faut rappeler que ce sont les Européens
05:00 qui ont supplié les Américains
05:02 de faire une alliance avec eux,
05:04 pas pour protéger les Etats-Unis,
05:06 mais dans l'autre sens.
05:08 D'où l'alliance atlantique de 49.
05:10 Ce sont les Européens qui ont supplié les Américains
05:13 de venir tout de suite, sans attendre une guerre,
05:16 d'où l'organisation de l'OTAN.
05:18 Après, ça n'a pas bougé dans la tête des Européens.
05:21 Et tous les présidents français,
05:23 Emmanuel Macron avec plus de conviction,
05:25 mais les autres avant, qui parlaient de défense européenne,
05:29 les autres disaient que l'Europe était déjà défendue.
05:32 On n'a pas découvert le problème brusquement.
05:35 C'est un choix historique.
05:37 La question est de savoir si l'évolution des choses,
05:40 les événements, l'éventuel retour de Trump,
05:42 nous place devant un problème non réglé avant.
05:45 Mais il ne faut pas faire comme si on avait construit l'Europe
05:49 dans le vide et qu'on avait oublié le volet défense.
05:52 L'Europe était défendue.
05:54 Défendue.
05:55 -Mais ce n'était pas une défense européenne.
05:58 -Oui, mais personne n'en voulait.
05:59 Les Européens étaient incapables de défendre l'Europe par elle-même.
06:03 Il y a eu des centaines de colloques en France
06:06 sur la défense européenne, complètement inutiles.
06:09 On n'a jamais intégré l'élément de base
06:11 qui fait que ce sont les Européens qui ont demandé aux Américains
06:15 et qui, jusqu'au doute semé par Trump, le faisaient, en fait.
06:19 Donc la question est de savoir si on sort de cette période.
06:22 Il ne faut pas oublier la dimension américaine
06:25 dans l'aventure européenne.
06:27 Il y a un récit un peu prétentieux de la construction européenne,
06:31 comme si c'était que nous.
06:32 En plus, il y avait une menace commune,
06:35 qui était l'URSS, etc.
06:37 Donc la question est, est-ce qu'on va sortir de cette période ?
06:41 -Alors, justement, avec vous, Jean-Louis Bourlange,
06:45 sur la question évoquée par Hubert Védrine,
06:49 entre les Etats-Unis, l'Allemagne et la France,
06:54 est-ce qu'on est sortis de cette équation
06:58 d'une défense européenne
07:01 qui serait affranchie des Etats-Unis ?
07:05 On sait qu'il y avait des dissensions déjà
07:07 à l'époque d'Adenauer et de Gaulle.
07:10 Est-ce qu'aujourd'hui, on est au même niveau ?
07:12 Ou est-ce qu'on a progressé vers une défense européenne ?
07:16 -Je suis tout à fait d'accord
07:18 avec ce que vient de dire Hubert Védrine.
07:20 Le partage...
07:22 Le partage des responsabilités
07:25 au lendemain de la Seconde Guerre mondiale
07:28 a été, aux Européens,
07:30 de trouver les moyens de faire la paix entre eux,
07:33 de se respecter, d'inventer une communauté de droit,
07:37 de moderniser leur économie, d'ouvrir cette économie,
07:40 et à une communauté plus large,
07:43 qui était la communauté atlantique,
07:45 et d'ailleurs, en même temps, à chacun des Etats souverains,
07:48 d'assumer la grande responsabilité
07:51 de la défense et de la sécurité.
07:53 Alors là où, effectivement,
07:56 ce grand pacte initial a été ébranlé à deux reprises.
08:02 Il a été au tournant des années 50-60,
08:06 quand les Soviétiques se sont équipés
08:10 d'armes nucléaires balistiques
08:12 qui leur permettaient d'atteindre le territoire américain,
08:15 et à ce moment-là, il y a eu un doute profond,
08:18 notamment qui étreignait le chancelier Adenauer, par exemple,
08:23 sur la capacité qu'auraient les Etats-Unis
08:26 à défendre l'Allemagne
08:29 alors même qu'une guerre nucléaire
08:32 les mettrait en situation de vulnérabilité et de vitrification.
08:37 Et il y a eu tout un ensemble de choses.
08:39 Les Français ont joué leur rôle avec leurs forces de dissuasion,
08:42 les Américains ont adapté leur doctrine
08:45 avec les forces nucléaires tactiques,
08:48 et ça a dominé toute la fin de la période soviétique,
08:52 jusqu'à l'échec des SS-20
08:57 et l'équipement en Europe des fusées Pershing américaines.
09:01 Ca, ça a été le premier ébranlement,
09:03 nous l'avons géré, et ça a d'ailleurs été un ferment très fort
09:07 de l'union entre les Français et les Allemands,
09:10 le chancelier Adenauer ayant été tout à fait heureux
09:13 que le général de Gaulle, au moment de la crise de Berlin,
09:16 affiche une position de grande solidarité
09:19 avec le peuple allemand.
09:20 Et maintenant, nous sommes dans une nouvelle période
09:23 où à la fois les dangers se sont diversifiés,
09:28 par exemple, pour les Américains,
09:30 la menace russe est moins directement importante
09:33 que la menace chinoise,
09:35 et les Américains menacent,
09:37 notamment dans l'hypothèse où M. Trump serait élu...
09:41 -On va rentrer dans le détail.
09:43 -...menacent de ne plus être aussi vaillants,
09:47 aussi fidèles à leurs alliés qu'ils l'ont été.
09:51 Donc il ne s'agit pas, pour reprendre votre expression,
09:54 de savoir si nous allons nous affranchir des Etats-Unis,
09:58 mais si le retrait partiel, incertain, des Etats-Unis
10:03 va nous conduire à prendre davantage de responsabilités
10:08 budgétaires, stratégiques,
10:10 dans la défense de notre continent.
10:12 Les Américains nous disant avec raison
10:14 que nous sommes assez riches et développés technologiquement
10:17 pour faire une plus grande partie du travail
10:20 que nous ne faisons jusqu'à présent.
10:22 -Mme Millard de Lacroix, laissons de côté les Etats-Unis
10:25 un instant. -C'est impossible.
10:27 -Oui, mais attendez. -Impossible.
10:29 -Quand l'Allemagne et la France
10:31 parlent d'un côté d'autonomie stratégique,
10:34 de l'autre côté de souveraineté stratégique,
10:37 est-ce que, finalement, c'est pas le casse-sexe
10:41 pour dire qu'il n'y a pas de politique de défense commune ?
10:45 Parce que c'est...
10:46 Laissons l'histoire, même si l'histoire est importante.
10:49 -Casse-sexe. -Je ne laisse pas l'histoire,
10:52 c'est ma spécialité.
10:53 -Oui, mais on est là, dans le présent.
10:55 -Je pense qu'on comprend bien le présent.
10:58 -Oui, on est bien d'accord, mais là,
11:00 il s'agit de savoir si les deux pays
11:04 peuvent impulser une politique de défense commune à l'Europe.
11:09 -Jusqu'alors, dans l'histoire de notre continent,
11:12 il faut toujours, je pense, distinguer,
11:15 de manière un peu analytique, le cadre,
11:17 ce qui est des impulsions extérieures
11:19 et ce qui est des tentatives intérieures de structurer.
11:22 Ce qui est important, en effet,
11:24 on ne peut pas laisser les Etats-Unis,
11:26 on ne peut pas faire comme s'ils n'existaient pas,
11:29 puisque c'était le cas après la Première Guerre mondiale,
11:33 les Européens avaient besoin, vous parlez de parrainage,
11:36 on peut parler de patronage américain,
11:38 pour les amener à se structurer.
11:40 Et en effet, on regrette beaucoup aujourd'hui
11:43 l'échec de la CED,
11:44 de la Communauté européenne de défense,
11:46 lancée en 50 par le plan Pleven et échouée en 54.
11:49 Là aussi, c'était sur le mode d'un conseil
11:53 donné par les Américains.
11:55 Les Français et les Allemands...
11:56 -C'est un projet américain. -C'est un projet, au départ...
12:00 -Pour faire avaler aux Français le réarmement allemand.
12:03 -Si on le veut, mais aujourd'hui,
12:05 si on veut construire ensemble quelque chose,
12:08 ce n'est pas une défense européenne
12:10 contre la défense, contre le système atlantique,
12:13 c'est d'essayer de...
12:15 d'envisager la compatibilité
12:18 entre des décisions communes et surtout la capacité,
12:21 c'est là que les Français et les Allemands doivent se retrouver,
12:25 la capacité à oser faire ensemble, mettre ensemble,
12:28 dépasser leur concurrence, qui est même industrielle,
12:31 pour arriver à produire ensemble,
12:33 à faire des économies d'échelle et s'équiper ensemble de moyens
12:37 qui ne les dispenseront pas complètement
12:41 de l'alliance atlantique,
12:43 mais qui permettraient de, comme je le dis,
12:45 dépasser cette concurrence,
12:47 qui, dans chacun des pays, a l'oreille des dirigeants.
12:50 -Oui, mais alors, écoutez,
12:52 puisqu'on ne répond pas directement à la question
12:55 et que les téléspectateurs, eux, se demandent
12:58 si l'Europe est en mesure de se défendre,
13:02 prenons l'exemple de la guerre en Ukraine.
13:04 Je vais vous donner la parole, monsieur l'ambassadeur.
13:08 -Est-ce que je peux rajouter encore un autre élément ?
13:11 Vous avez demandé si le couple franco-allemand
13:13 est capable de faire avancer ce projet.
13:16 Mais il ne faut pas oublier que...
13:18 Oui, on est quand même...
13:19 -Non, mais d'impulser...
13:21 -Sans une coopération franco-allemande,
13:23 rien ne marche, mais ce n'est pas suffisant.
13:26 Si on regarde les pays baltes, par exemple,
13:28 ou les Polonais, pour eux, l'Amérique est très importante.
13:32 C'est pour eux la garantie de sécurité,
13:35 aussi à l'avenir.
13:36 -Alors, écoutez, on va prendre l'actualité
13:40 et on va essayer de dire ce qui est possible d'avancer.
13:44 La guerre en Ukraine a ramené la guerre en Europe.
13:49 Est-ce qu'il faut s'y préparer ?
13:51 En développant notre industrie de défense,
13:54 on sait qu'il manque de munitions,
13:56 à la fois pour l'Ukraine et dans les pays respectifs.
14:02 Est-ce qu'il faut livrer toutes les armes à l'Ukraine
14:05 pour lui permettre de résister ?
14:07 Est-ce qu'il faut élargir les brigades franco-allemandes
14:11 en une armée européenne ?
14:14 Et est-ce que cette armée européenne
14:16 pourra un jour se retrouver sur le terrain de la guerre ?
14:20 Parce qu'on est là, confrontés à cette chose-là.
14:23 La guerre nous impose de prendre des positions.
14:26 Voilà, Hubert Védry.
14:27 -Moi, je n'accepte pas qu'on parle de l'idée
14:31 que les Etats-Unis vont abandonner leurs responsabilités.
14:36 Donc, je pense que les convulsions entre Européens sur le sujet
14:39 n'ont aucune chance de dissuader Poutine. Zéro.
14:44 Votre armée européenne n'arrivera jamais à se mettre d'accord
14:47 sur qui est à la tête et qui donne les ordres.
14:50 Il ne faut pas rêver là-dessus. On perd du temps.
14:53 On crée de faux espoirs au fil des années.
14:56 Ca ne fonctionne pas.
14:57 La seule chose que doivent faire les Européens,
15:00 les chefs d'urgence, c'est d'aller dire aux Américains
15:04 qu'ils ne peuvent pas abandonner leurs responsabilités,
15:07 quel que soit le blocage de Biden,
15:09 les déclarations de Trump inquiétantes.
15:12 D'ailleurs, si Trump est élu, on ne sait pas.
15:14 S'il va au bout de ses annonces, on ne sait pas non plus.
15:17 Vous verrez que les Européens ne seront pas d'accord du tout
15:21 sur, même pas la fourniture de musiciens à l'Ukraine,
15:24 au-delà de l'Organisation des systèmes européens de défense.
15:28 Qui commanderait ? Qui donnerait les ordres ?
15:30 Si c'est le Conseil européen, ça n'existe pas.
15:33 Donc, on est devant un problème géant
15:35 qu'on n'a jamais traité dans les centaines de colloques
15:39 sur les défenses, parce qu'on n'était pas devant le sujet.
15:42 -Vous avez été ministre des Affaires étrangères.
15:45 Si vous l'étiez aujourd'hui,
15:47 qu'est-ce que vous recommanderiez aujourd'hui,
15:50 concrètement, dans ce domaine ?
15:52 -Que les dirigeants, secrètement,
15:55 sans annonce particulière, sans conférence de presse,
15:59 réfléchissent entre eux au plus haut niveau,
16:01 sur ce qu'on fait en vrai,
16:03 si Trump est élu et s'il met en oeuvre son plan.
16:07 -Trump, c'est dans un an, mais aujourd'hui.
16:09 -Non, mais la réflexion, c'est maintenant.
16:12 Si on attend Trump, vous aurez au moins une année
16:14 de cacophonie complète en Europe.
16:16 C'est maintenant qu'il faut se demander comment on s'organiserait.
16:20 C'est pas la question de s'affranchir.
16:22 Est-ce que les Européens sont capables, ensemble,
16:25 de se mettre d'accord sur un système crédible ?
16:28 Crédible.
16:29 Dans l'hypothèse, non pas où on s'affranchit,
16:32 mais où l'Amérique nous laisse tomber.
16:34 Ca n'a jamais existé, cette hypothèse,
16:37 donc on est un peu sidérés.
16:38 Mais je recommande pas du tout des débats publics, là-dessus.
16:42 -M. Steinlein, vous, qu'est-ce qu'il faut faire
16:45 pour préparer l'Allemagne dans la situation actuelle ?
16:49 Parce que la guerre est quand même aux portes de l'Europe.
16:52 -Oui, oui. Il s'agit pas seulement de l'Allemagne.
16:55 Il faut préparer l'Europe, bien sûr.
16:57 Et donc, on a vu se dérouler une réunion,
17:02 cette semaine, à Paris,
17:04 à l'invitation du président de la République,
17:06 où plus de 20 dirigeants européens et non-européens
17:12 se sont rassemblés pour dire qu'on va faire tout,
17:15 on va renforcer l'effort pour soutenir l'Ukraine
17:19 dans sa lutte contre la Russie.
17:21 Et donc, on s'est mis d'accord de vider les stocks,
17:25 encore de façon supplémentaire,
17:27 d'organiser la production de la munition,
17:30 d'acheter de la munition partout dans le monde,
17:32 pas seulement en Europe,
17:34 parce que là, on n'a pas le temps de produire suffisamment.
17:37 Donc, on va acheter tout ce qu'il y a sur le marché mondial,
17:40 justement pour l'envoyer vers l'Ukraine,
17:43 aussi d'aider l'Ukraine
17:45 pour monter une industrie d'armement,
17:48 de faire des coopérations,
17:50 d'investir aussi dans la défense aérienne.
17:53 Donc, il y a beaucoup de choses qu'on peut faire,
17:56 qu'on veut faire. -Y compris de livrer des missiles
17:59 que l'Allemagne ne veut pas livrer actuellement ?
18:02 -Il y a des raisons particulières
18:04 pour lesquelles l'Allemagne ne veut pas envoyer ces missiles-là.
18:08 -Et pourquoi ? C'est quoi, les raisons particulières ?
18:11 -Ce sont des raisons, bon,
18:13 que je ne veux pas, ici, mettre au clair,
18:17 parce que c'est un peu... -Ça va trop loin, surtout.
18:20 Ce sont des missiles qui vont trop loin
18:23 pour ne pas être une menace directe pour la Russie.
18:26 Donc, l'Allemagne a cette prudence.
18:28 -Mais il ne faut pas se concentrer seulement sur un système.
18:31 C'est pas l'armement ou l'arme miracle
18:34 qui va faire changer le cours de la guerre.
18:37 L'Allemagne va envoyer des armements
18:40 pour 15 milliards d'euros en Ukraine.
18:43 C'est le deuxième fournisseur.
18:45 On a vraiment fait énormément d'efforts.
18:47 Il ne faut pas se concentrer sur un système
18:50 où il y a des raisons pour lesquelles on ne va pas l'envoyer.
18:53 Il faut voir la totalité.
18:56 -M. Bourlange, vous savez qu'il y a eu
18:58 cette fameuse réunion qui s'est tenue à Paris.
19:02 Le président de la République n'a pas dit
19:05 qu'il allait envoyer des hommes sur le terrain,
19:08 mais il a évoqué cette éventualité.
19:10 Qu'est-ce que vous pensez ?
19:12 -Je voudrais quand même prolonger le débat.
19:15 -Tout à fait, mais j'aurais souhaité savoir
19:18 qu'est-ce que vous pensez de cette éventualité,
19:21 c'est-à-dire d'une présence physique
19:24 de forces européennes dans le conflit ?
19:27 Parce que...
19:29 Qu'est-ce que vous pensez du sentiment
19:31 que ça réveillait en France,
19:33 où notamment les extrêmes politiques,
19:36 pardonnez-moi l'expression,
19:38 ont poussé des hauts-là,
19:40 alors qu'il n'a pas été évoqué,
19:42 cette présence physique directe ?
19:44 -Je crois qu'on a fait beaucoup de buzz
19:48 sur cette déclaration,
19:50 qui, sans doute, a eu pour effet fâcheux,
19:53 de gommer l'effet très positif
19:56 que vient de rappeler l'ambassadeur
19:59 de cette conférence, où les Etats qui se sont assemblés
20:02 ont mis en place ce que M. Macron a appelé
20:06 des coalitions capacitaires
20:08 visant à répondre le plus rapidement possible
20:12 aux besoins concrets qui se posent aux Ukrainiens,
20:15 qui sont d'abord, on le sait, des besoins en munitions,
20:18 en chars, en artillerie,
20:20 et je crois que la réunion était très positive.
20:23 Là-dessus, le président a répondu,
20:25 en des termes un peu compliqués, je le reconnais,
20:28 à une question posée par des journalistes,
20:30 mais si vous ramenez sa réponse à l'essentiel,
20:35 il n'a pas dit quelque chose de très différent
20:38 de ce que, par exemple, ont dit les Américains.
20:40 Il a dit que l'envoi de troupes n'est pas à l'ordre du jour.
20:44 -Il a dit que c'était pas une question taboue.
20:46 -Bien sûr que c'est pas une question...
20:49 C'est pas à l'ordre du jour.
20:51 Alors, à ce moment-là, vous avez...
20:53 Vous avez eu un déplacement du débat,
20:57 mais est-ce que ça pourrait être à l'ordre du jour ?
20:59 Là, on a eu un désaccord.
21:01 Le chancelier fédéral a clairement dit
21:03 que, selon lui, ça ne serait jamais à l'ordre du jour.
21:07 Nous, nous pensons que...
21:08 Je crois que c'est ça, la signification profonde
21:11 de ce qu'a dit le président de la République,
21:14 c'est que nous ne pourrions pas accepter
21:16 que l'Ukraine soit vaincue.
21:18 -Monsieur Bourlange...
21:20 -C'est important. -Je comprends.
21:21 -L'Ukraine n'est pas le Mali, l'Afghanistan.
21:24 -Non, monsieur Bourlange... -C'est notre intérêt.
21:27 -Oui, mais... -C'est tout.
21:29 Le reste, c'est de la littérature. -Je vous écoute.
21:32 Mais là, il y a une gradiation, si vous voulez,
21:36 il y a une gradiation de l'envoi d'armement.
21:39 Au début, on disait qu'on n'en verrait pas d'échappé, etc.
21:42 Donc, on peut envisager l'éventualité
21:46 que ça aille plus loin.
21:48 Ca a été évoqué par le président de la République
21:50 en réponse à un journaliste,
21:52 mais ce n'était pas l'objet de la conférence.
21:55 L'objet de la conférence, c'était de répondre,
21:58 et bien tard.
21:59 J'ai regretté que, par exemple,
22:01 dans le Conseil européen du mois de décembre,
22:03 où on s'est polarisés sur une hypothétique date d'entrée
22:07 de l'Ukraine dans l'Union européenne,
22:09 ce qui est très possible, mais c'est pas la question.
22:12 Il faut répondre à ce qui est nécessaire aujourd'hui.
22:15 On a botté en touche, et là, on a enfin abordé clairement
22:20 et de façon extrêmement solidaire,
22:23 parce qu'à part le dirigeant de la Slovaquie,
22:26 il n'y a pas eu de voix dissonantes sur l'idée,
22:30 comme vous le dites, d'ailleurs,
22:32 qu'il fallait passer à la vitesse supérieure
22:34 dans l'aide à l'Ukraine.
22:36 Le président Macron a eu beau jeu de rappeler
22:39 qu'il y a deux ans, on en était à savoir
22:41 si on envoyait des casques, etc.,
22:43 et que peu à peu, on a...
22:45 -Exactement. -Parce que les démocraties,
22:47 Tocqueville l'a montré, ont du mal
22:49 à accepter des logiques de conflit.
22:52 Elles y rentrent lentement, progressivement,
22:56 mais quand elles l'ont assumée,
22:58 et on l'a bien vu à travers de grands épisodes
23:00 de l'histoire du XXe siècle, quand elles l'ont assumée,
23:03 elles vont assez jusqu'au bout.
23:05 Et là, ce que nous pensons,
23:07 c'est que si nous faisons l'effort nécessaire
23:11 aujourd'hui en faveur de l'Ukraine,
23:13 l'Ukraine tiendra le coup,
23:15 l'Ukraine marquera son opposition
23:18 et pourra sans doute reconquérir
23:21 une partie ou la totalité des territoires occupés,
23:25 et que nous pourrons, à ce moment-là,
23:28 trouver avec la Russie un terrain de négociation
23:32 qui ne soit pas un terrain d'humiliation,
23:35 non pas pour la Russie, mais pour l'Ukraine.
23:37 C'est ça. Il faut...
23:39 Mais vous savez, moi, ce qui me gêne toujours,
23:41 c'est quand, sur ces affaires-là, on dit
23:44 ce qu'on fera dans deux ans, cinq ans, dix ans.
23:46 Aujourd'hui, nous devons savoir ce que nous faisons
23:49 dans le mois qui vient.
23:51 Et dans le mois qui vient,
23:52 M. Zelensky le dit avec force,
23:54 ils ont besoin, ils sont dans une fragilité démographique
23:59 impressionnante par rapport aux Russes,
24:01 ils ont besoin qu'on leur donne des moyens.
24:04 Et nous, Français, nous voulons bien le faire,
24:07 mais nous n'avons pas un système de défense
24:09 qui nous permet d'en faire autant qu'on voudrait.
24:12 Nous avons des règlements, des choses.
24:15 Nous ne mobilisons pas suffisamment
24:17 notre appareil industriel.
24:18 Les Allemands mobilisent leur appareil industriel
24:21 peut-être plus vite que nous, et nous devons faire tout ça ensemble.
24:25 C'était ça, le message de lundi.
24:27 -On vous a entendu, Mme Myart de Lacroix.
24:30 Oui, je vais lui donner un mot.
24:32 Mme Myart de Lacroix,
24:34 vous avez fait référence tout à l'heure
24:36 à l'histoire, au passé, etc.
24:38 Moi, j'ai lu, sur les réseaux sociaux,
24:41 ces derniers jours, des références
24:43 qui rappelaient le temps de Vichy.
24:46 On va pas mourir pour Dantzig,
24:49 on va pas mourir pour le Donbass.
24:51 Qu'est-ce que vous pensez de ce climat-là ?
24:53 -Je vais vous répondre en prolongeant en même temps
24:56 ce que vient dire M. Bourlange,
24:58 c'est-à-dire sur l'effet de buzz qui est tout à fait frappant,
25:01 qui va avec cette agitation sur les réseaux sociaux
25:04 et cette agitation qui est faite par les extrêmes,
25:07 j'allais dire, c'est normal,
25:09 ils estiment que ça fait partie de leur crèmerie,
25:12 d'une certaine façon.
25:13 Et c'est, en effet, un phénomène auquel on assiste,
25:18 et c'est normal dans les démocraties,
25:20 c'est-à-dire que l'on parle et que les réseaux sociaux
25:23 permettent aux uns et aux autres de se sentir concernés,
25:26 mais d'avoir une opinion sur tout,
25:29 y compris pour dire des âneries.
25:31 Mais le problème, c'est que cette activité
25:33 où chacun a envie de participer et d'être un expert
25:37 détourne complètement du fond
25:39 des références, des discussions et des projets qui sont menés.
25:44 Et ça, c'est un phénomène que l'on connaît,
25:47 que l'on connaît dans toute l'histoire,
25:49 et aujourd'hui, avec les réseaux sociaux,
25:51 a une capacité de nuisance,
25:53 parce qu'on le sait bien, ce sont des cercles fermés
25:56 où les gens s'entendent dire ce qu'ils pensent déjà,
25:59 et où il y a des caisses de résonance,
26:01 d'écho, et qui fonctionnent comme ça.
26:03 Je ne suis pas sûre que le fait de dire
26:05 "on ne va pas mourir pendant un siècle",
26:08 "on ne va pas traverser",
26:10 enfin, "faire des rapprochements avec le passé"
26:14 soit autre chose que des réflexes
26:16 qui font partie de la culture politique française,
26:19 qui sont souvent des mauvaises compréhensions
26:23 de la succession et des contextes
26:25 dans lesquels ces phrases ont été dites.
26:27 On a entendu les choses aussi les plus ineptes récemment
26:31 sur l'Allemagne qui aurait violé le traité de Plus 4 de 1990.
26:37 Les gens disent beaucoup n'importe quoi.
26:40 Que les extrêmes fassent cette agitation,
26:44 quand je dis "c'est leur business",
26:46 c'est ce sur quoi ils fonctionnent.
26:48 Ils jouent sur la peur des gens,
26:50 sur le fait que les gens soient désorientés,
26:52 comme vous l'avez dit,
26:54 que les gens n'ont pas l'habitude de réfléchir
26:56 aux questions militaires,
26:58 et c'est le problème que n'a pas M. Poutine,
27:01 parce que lui, il peut prendre ses décisions militaires
27:03 sans en rendre compte à sa population.
27:06 C'est pourquoi notre rôle, à nous,
27:08 est, je pense, de ramener les choses sur la table,
27:11 ramener au calme, en expliquant
27:13 qu'aucunement le président de la République
27:15 n'a dit qu'il allait envoyer la jeunesse de France,
27:18 mes étudiants, leur faire quitter les salles de classe
27:21 pour se battre en Ukraine.
27:23 Heureusement.
27:24 Mais c'est ça que certains aimeraient bien faire croire.
27:27 -E. Macron, vous vouliez réagir ?
27:29 -Je vous laisse réagir. -Comment ?
27:31 -Je vous laisse réagir sur le climat actuel
27:35 qu'a suscité... -Le climat actuel,
27:37 je suis d'accord, mais par rapport à ce qu'a dit Jean-Luc Bourlange,
27:41 je pense qu'on ne peut pas rétablir le rapport de force,
27:44 pour aller dans ce que vous décrivez sur la suite,
27:47 l'arrêt de la guerre, etc., sans les Américains.
27:50 C'est pas possible d'intégrer dans nos raisonnements
27:54 le fait que le blocage de Biden, le retour de Trump,
27:58 fait que c'est nous, Européens, qu'il nous agite.
28:01 Ca n'a aucune chance de dissuader Poutine, ça.
28:03 On n'y arrivera pas.
28:05 C'est même malhonnête de dire ça.
28:07 Donc, il faut, d'une façon ou d'une autre,
28:10 réimpliquer les Américains,
28:11 parce que c'est leur position de puissance mondiale
28:14 qui est en jeu. Ils sont pas là par charité.
28:17 -Vous savez bien, on va pas s'éterniser là-dessus.
28:19 -Il faut accepter cette idée. -On va pas s'éterniser là-dessus.
28:23 Avec M. Biden, on n'arrive pas à avancer.
28:27 Si vous avez demain Trump, ça sera pire.
28:29 -Il faut pas intérioriser cette idée.
28:32 Il faut pas que les Européens se trouvent avec le mystique gris.
28:35 Il y a des choses énormes à faire par rapport aux Américains.
28:39 -Vous avez tort. On ne peut pas refuser d'intérioriser.
28:42 Ca ne dépend pas de nous. On verra ce que fait M. Trump.
28:45 Je suis d'accord avec...
28:47 L'application des Américains sur le théâtre européen
28:50 dépend des Américains.
28:52 On assiste actuellement aux Etats-Unis
28:55 à une vague isolationniste impressionnante.
28:58 Quand on voit que les sénateurs républicains
29:00 obéissent aux doigts et à l'oeil à M. Trump
29:04 et refusent d'aider l'Ukraine,
29:06 je crois que... -D'ailleurs,
29:08 laissez-le terminer. -Le Premier ministre polonais,
29:12 de ce point de vue-là, a envoyé un message
29:15 extrêmement impressionnant.
29:17 Je sais que les Polonais sont pro-Américains,
29:21 aux Américains, en disant "Que faites-vous, Drégane ?"
29:24 On est obligés d'être confrontés à cette hypothèse.
29:27 Mais je suis comme vous, je ne crois pas
29:30 que les Etats-Unis vont quitter l'OTAN.
29:32 Je crois qu'en revanche, ils risquent de réduire,
29:35 à une interprétation extrêmement pusillanime,
29:38 les garanties de l'article 5,
29:41 c'est-à-dire les garanties de solidarité
29:43 face à une agression.
29:45 Ca nous oblige, et on peut,
29:48 on a quand même les moyens industriels,
29:51 technologiques et financiers de le faire,
29:54 ça nous oblige à en faire beaucoup plus.
29:57 Donc, il faut quand même s'engager sur cette voie.
30:00 -Emile Malet nous parlait du point plus urgent,
30:03 je suis d'accord, mais on va tomber sur le sujet.
30:05 Qui décide ? -Non, alors...
30:07 -Hubert Médrine. -Vous avez vu comment c'était
30:10 sur le Kosovo, vous étiez ministre.
30:12 -Il y a un point qui concerne l'Europe.
30:15 -Le point clé, c'est que... -On vous a entendu là-dessus.
30:18 -Mais regardez, il y a un point clé
30:20 que je voudrais interroger... -Vous allez harceler le Congrès.
30:24 -Je voudrais vous interroger, monsieur l'ambassadeur,
30:27 sur un point qui concerne la France et l'Allemagne
30:31 et qui a fait l'objet d'une polémique feutrée,
30:34 mais qui, à mon sens, vous pouvez ne pas le partager,
30:37 est importante. C'est la question de la puissance nucléaire.
30:41 La puissance nucléaire, en théorie,
30:44 nous protège d'ennemis potentiels.
30:46 La France a cette puissance nucléaire,
30:49 on a émis l'idée que cette puissance nucléaire
30:54 pouvait servir à la défense et à la souveraineté européenne.
30:59 Votre chancelier s'est prononcé sur cette question dernièrement.
31:04 Qu'est-ce que vous souhaitez, concrètement,
31:08 sur le plan de la puissance nucléaire ?
31:11 Parce que ça, c'est pas les Etats-Unis qui décident,
31:14 c'est l'Allemagne, et est-ce que les positions françaises
31:18 et allemandes sont aujourd'hui en dissension là-dessus ?
31:22 -Tout d'abord, je veux dire un mot
31:26 sur la discussion précédente.
31:28 Je pense, indépendamment des résultats
31:31 des élections américaines,
31:34 il faut renforcer nos efforts
31:37 dans le domaine de la sécurité. -Vous l'avez dit.
31:40 -Là, on est clair là-dessus.
31:42 Sur le nucléaire, si je comprends bien
31:45 la doctrine nucléaire française, que je ne connais pas en détail,
31:49 je sais que c'est une décision du président de la République.
31:53 On a pris note de la déclaration du président de la République
31:58 qui a une dimension européenne. -Il a répété ce qu'il avait dit
32:02 en 2020. -Il y a une dimension européenne.
32:05 Et c'est positif, c'est très positif.
32:09 Mais si je comprends bien,
32:12 cette déclaration ne remplace pas la parapluie des Américains
32:16 dans le cadre de l'OTAN.
32:19 Donc c'est bien, on prend note, on peut en parler,
32:23 c'est très positif qu'il y ait en Europe
32:26 deux pays dotés,
32:29 mais ça ne remplace pas la parapluie nucléaire américaine.
32:34 -Hubert Vétrine, vous n'êtes pas d'accord avec ça.
32:37 -Non, je n'étais pas d'accord. -Vous vouliez réagir.
32:41 -Oui. Il ne faut pas imaginer la dissuasion nucléaire
32:45 comme une sorte de lampe à halogène
32:47 qu'on va élargir pour faire plaisir à des amis qu'on aime bien.
32:50 La seule question, c'est qu'est-ce qui est crédible
32:53 du point de vue de l'agresseur potentiel,
32:56 indépendamment des discours ?
32:58 Qu'est-ce qu'ils vont croire qui soit vrai là-dedans ?
33:01 Quel que soit le montage,
33:03 pour la dissuasion américaine, d'ailleurs française,
33:06 ou un jour, peut-être européenne,
33:08 qu'est-ce qui est crédible dans les annonces ?
33:11 -C'est le principe de la dissuasion.
33:13 On avait déjà ça à l'époque d'Elmoud Schmitt et Giscard d'Estaing,
33:17 qui... Giscard d'Estaing recevait en permanence
33:20 la demande du chancelier Schmitt d'une déclaration
33:23 disant que le parapluie nucléaire français
33:26 s'élargissait jusqu'à l'Elbe,
33:28 et la réponse du président de la République, Giscard d'Estaing,
33:32 a toujours été de dire "nous ne pouvons pas le dire à l'avance",
33:36 puisque le principe de la dissuasion est de laisser
33:39 l'ennemi potentiel dans l'incertitude
33:41 de ce qui serait intolérable pour nous.
33:43 C'est la seule possibilité de défense
33:46 quand on a une bombe qui n'a pas la puissance
33:48 du parapluie nucléaire américain,
33:50 c'est de laisser l'ennemi potentiel dans cette incertitude.
33:54 Moins on dira à quel moment la France considérera
33:57 intolérable une attaque de l'Europe, plus on aura cette dissuasion.
34:00 -Je vais vous interroger, monsieur Bourlange,
34:03 pour simplifier les choses. Vous êtes des experts.
34:06 -Je vais vous interroger pour simplifier les choses
34:09 et les rendre intelligibles. -Ce que je veux être,
34:12 un simplificateur pour moi. -Voilà.
34:14 Justement, simplifions.
34:16 La puissance nucléaire, l'Allemagne,
34:19 a fait savoir que ce parapluie nucléaire français
34:25 ne devait pas conditionner sa propre politique de défense.
34:29 Et on le voit, concrètement.
34:31 Les gens qui nous écoutent lisent aussi ce qui s'écrit
34:34 et ce qui se fait.
34:36 Quelle est votre position à vous sur cette question-là ?
34:39 -Ma position, je crois qu'il faut aller plus loin
34:42 sur la notion de dissuasion,
34:44 parce que nous sommes dans un monde qui change complètement.
34:47 Nous sommes sortis d'un monde
34:49 où la doctrine de dissuasion était très précise
34:52 et où la prolifération était très limitée.
34:54 Nous sommes maintenant entrés dans un monde beaucoup plus dangereux,
34:58 où la prolifération se généralise,
35:00 et des pays comme l'Iran, comme la Corée du Nord,
35:04 comme déjà le Pakistan,
35:06 comme d'autres pays, Israël, etc.,
35:09 se dotent ou se doteront de l'arme nucléaire.
35:12 Et en même temps, et Poutine, d'ailleurs,
35:15 y contribue fortement, les doctrines d'emploi
35:17 ou de non-emploi de l'arme nucléaire
35:20 sont complètement vaseuses actuellement.
35:22 C'est très dangereux. Il faut mettre de l'ordre dans tout ça.
35:25 Moi, je crois que, que ce soit Paris ou Hambourg,
35:29 s'il s'agit de protéger Paris ou Hambourg,
35:33 l'arme de dissuasion ne fonctionnera...
35:35 ne fonctionnera jamais
35:38 face à une agression conventionnelle
35:41 ou nucléaire tactique.
35:43 Il n'y aura aucun chef d'Etat qui...
35:45 Sauf s'il est fou, ça peut arriver.
35:47 Hitler aurait pu faire des choses comme ça.
35:50 Mais aucun chef d'Etat raisonnable ne se lèvera le matin en disant
35:54 qu'une partie du territoire national a été envahie,
35:57 "Je vais détruire Moscou, Saint-Pétersbourg
35:59 "et Nijnijov-Gorod,
36:01 "et puis on verra."
36:02 La réponse serait vitrification totale de la France.
36:06 Donc, c'est une hypothèse qui n'existe pas.
36:10 En revanche, la force de dissuasion est tout à fait utile
36:14 face à des gens qui pourraient utiliser l'arme nucléaire
36:17 dans un chantage, par exemple, la Corée du Nord.
36:20 -M. Poutine a récemment encore utilisé le chantage nucléaire.
36:24 -Je vais finir, c'est assez complexe.
36:26 Et là, je crois que, face à des gens dangereux comme ceux-là,
36:31 on peut très bien,
36:33 compte tenu, même si c'est le président français
36:36 qui a la main unique sur le bouton,
36:39 on peut très bien dire à nos amis allemands,
36:42 à nos amis italiens que si, par exemple,
36:45 la Corée du Nord envisageait, je prends cet exemple,
36:48 l'Iran ou n'importe quoi, envisageait quelque chose,
36:51 là, nous serions solidaires
36:53 et, effectivement, la dissuasion fonctionnerait.
36:57 Mais ce qui laisse intact,
36:59 et c'est là où les réflexions allemandes sont bien venues...
37:02 -On ne peut pas le dire à l'avance.
37:04 -Comment ? -Non.
37:05 -Non, mais on ne dira pas à l'avance.
37:08 Ce qui laisse intact, le problème de savoir
37:10 si nous sommes actuellement équipés
37:13 dans le cadre de l'Europe et dans le cadre de l'OTAN
37:16 pour faire face à une agression russe
37:20 qui, par exemple, prendrait appui
37:23 sur des armes nucléaires tactiques.
37:26 Et là, nous, on a renoncé à nos armes nucléaires tactiques,
37:29 le Pluton, le Hadès, etc.
37:31 Et là, c'est une réflexion que les Baltes...
37:34 Que les Baltes nous invitent aussi à avoir,
37:36 qu'est-ce qu'on fait si les pays baltes sont envahis ?
37:40 Est-ce qu'on n'a pas les moyens, en termes conventionnels,
37:43 de lutter à armes égales ?
37:45 Peut-être aujourd'hui,
37:47 parce que l'armée russe est occupée en Ukraine,
37:49 mais structurellement.
37:51 Et là, il faut donc réfléchir aussi
37:53 à la transformation de la sécurité multilatérale,
37:57 qu'elle soit d'ailleurs européenne ou otanienne.
38:01 -Oui, alors, Hubert Védrine, j'aimerais avoir votre position,
38:04 parce que M. Bourlange est clair là-dessus,
38:07 mais vous, face au chantage de Poutine,
38:10 qui évoque régulièrement
38:12 la possibilité d'une attaque nucléaire,
38:17 est-ce que vous pensez que la France
38:20 peut faire avancer le débat européen sur la question,
38:25 j'allais dire en mettant sa protection nucléaire,
38:29 en l'élargissant à l'Europe ?
38:31 -Mais on a déjà répondu.
38:32 C'est pas crédible, une seconde.
38:35 Comment voulez-vous que Poutine le croie ?
38:38 -Pourquoi c'est pas crédible ?
38:40 -Parce que c'est la digestion nucléaire nationale
38:43 pour la survie du pays.
38:44 -Oui, mais est-ce qu'elle peut pas être étendue à d'autres pays ?
38:48 -J'ai répondu, je pense pas.
38:50 -Vous, vous le pensez pas ? -C'est pas une lampe halogène.
38:53 -Je crois que face à une attaque nucléaire,
38:56 même nationalement,
38:57 nous aurons du mal à l'utiliser.
39:00 C'est pour ça, d'ailleurs,
39:02 François Mitterrand avait joué un rôle très important
39:06 avec le chancelier Kohl,
39:08 et Giscard, d'ailleurs, avait préparé ça
39:11 avec le chancelier Schmitt.
39:12 C'est pourquoi, au moment où il y a eu ce raidissement brejnévien,
39:17 juste avant la disparition de l'Union soviétique,
39:20 on a développé les fusées Pershing.
39:23 Je rappelle le mot que François Mitterrand
39:26 avait prononcé, je crois, à Bruxelles.
39:28 Les pacifistes sont à l'ouest et les fusées sont à l'est.
39:33 On a mis en place une riposte nucléaire solidaire,
39:38 à base américaine.
39:39 -Je vais poser la question.
39:41 -Un élément sur la dissuasion, sur votre sujet.
39:43 Il y avait une émission, en 84, je crois,
39:46 où Mitterrand a été questionné là-dessus.
39:48 Il avait dit que la dissuasion, c'est lui.
39:51 Les gens ont dit qu'il était mégalo,
39:53 que c'était épouvantable.
39:55 C'est la logique de la dissuasion. Il faut un dissuadeur.
39:58 Pas des arrangements diplomatiques,
40:00 on va protéger les copains.
40:02 Un dissuadeur crédible.
40:04 Je pense que votre question appelle cette réponse.
40:07 -M. Steinheim,
40:08 est-ce qu'à votre avis,
40:10 si la capacité nucléaire française
40:16 était élargie à un parapluie européen,
40:20 d'un point de vue protection,
40:23 les Allemands seraient prêts à avoir...
40:26 à sortir, si vous voulez,
40:29 de cette position du parapluie nucléaire américain ?
40:32 -Non. Non, non, non.
40:35 Non, non, non, non.
40:37 C'est pas comme ça.
40:38 Il y a des gens qui avancent l'idée d'européaniser...
40:45 -Oui. -L'arme nucléaire française.
40:48 Moi, je dis que ça va pas se faire,
40:50 parce que c'est l'un des décideurs,
40:53 le président de la République,
40:54 qui va décider de cette option.
40:56 -Dissuadeur. -Oui.
40:58 Et c'est le seul.
40:59 Et c'est pas le Conseil de l'Europe
41:02 où le chancelier et le président, ensemble,
41:05 ça va pas se faire.
41:07 -On a eu l'exemple, au moment de la crise de Berlin.
41:10 Au moment de la crise de Berlin, l'ambassadeur Vinogradov...
41:13 Les Français avaient été les seuls à être solidaires d'Adenauer.
41:17 Les Anglais et les Américains étaient initialement très fragiles.
41:20 Vinogradov, l'ambassadeur de Russie, est venu voir de Gaulle
41:24 et lui a dit que ce serait la guerre.
41:26 De Gaulle lui a dit, dissuadeur à l'Etat pur,
41:29 "Eh bien, monsieur l'ambassadeur, nous mourrons ensemble."
41:32 Je crois que Kondrat Adenauer,
41:34 on a eu une éternelle reconnaissance
41:36 au général de Gaulle. -C'était crédible.
41:39 -Oui, parce que c'était lui.
41:41 Musique rythmée
41:43 ...
41:48 -Sur un secteur clé de l'économie, l'énergie.
41:52 On s'aperçoit que, sur cette question-là,
41:56 la France et l'Allemagne sont en désaccord
42:00 et que ce désaccord s'est accru depuis la fermeture,
42:05 décidée par l'Allemagne, de ces réacteurs nucléaires.
42:08 Est-ce que... Comment vous voyez
42:12 la situation énergétique en Europe,
42:16 aujourd'hui, après qu'on se soit passé
42:21 du gaz russe et les difficultés pour les consommateurs,
42:26 tant français qu'allemands ?
42:28 De ce côté-là, on ne peut pas dire
42:30 que la situation allemande est brillante.
42:32 -La situation de l'Allemagne... -Sur le plan de l'énergie.
42:37 -Oui, bien sûr. J'ai bien compris.
42:39 C'est pas brillant, mais on a survécu le choc
42:43 de la rupture de la livraison de gaz de la Russie.
42:49 Donc, on a survécu.
42:50 Et maintenant, les prix sont pas très bas,
42:54 mais quand même normaux, à peu près.
42:57 Sinon, bien sûr, il y a des différences
42:59 entre la France et l'Allemagne, mais c'est dû à l'histoire.
43:02 On a une histoire différente par rapport au nucléaire.
43:06 Il y avait une grande lutte dans la société
43:09 et toute une génération des hommes et femmes politiques
43:12 a été formée par cette lutte contre le nucléaire.
43:15 Il y a un consensus, aujourd'hui, un très large consensus,
43:18 qu'on ne veut plus retourner, revenir au nucléaire.
43:21 La France a une autre tradition.
43:23 -Enfin, la CDU, pardonnez-moi,
43:26 la CDU laisse entendre qu'elles ne sont pas hostiles.
43:29 Et on me dit même que dans votre coalition,
43:31 les libéraux sont pas... Vous savez, je parle du nucléaire.
43:35 -Pas que pour le nucléaire,
43:36 parce qu'il conditionne la réindustrialisation.
43:39 -Il faut avoir une majorité,
43:41 et je vois pas de majorité parlementaire
43:44 pour un retour au nucléaire.
43:46 Et en plus, tous les producteurs
43:49 qui étaient actifs dans le nucléaire ont quitté.
43:52 Donc, on a aussi perdu, en fait, les compétences.
43:56 Il n'y a plus de possibilité de revenir.
43:58 -Y compris la recherche. -On ne peut plus faire
44:01 marche arrière. -Nous-mêmes,
44:03 on a failli la perdre. -On n'est pas passé loin.
44:05 -On n'est pas passé loin. -Bon, mais est-ce que vous considérez
44:09 pas que cette dissension a affaibli considérablement
44:13 la politique énergétique de toute l'Europe,
44:15 d'autant plus qu'aujourd'hui,
44:18 il y a 17 pays européens
44:21 qui sont favorables au nucléaire ?
44:23 Donc, cette confrontation sur ce sujet,
44:25 est-ce qu'elle a pas pénalisé l'économie européenne ?
44:29 -Ecoutez, c'est pas une confrontation.
44:32 Il faut respecter les choix. -Moi, je suis journaliste,
44:35 j'écoute ce qui se dit à Bruxelles.
44:37 C'est une vraie confrontation, pardonnez-moi.
44:40 Oui, madame... -Moi, je veux bien répondre.
44:42 Votre question sous-entend qu'il faudrait
44:45 que tous les Européens aient le même modèle...
44:48 -Non, j'ai jamais dit ça.
44:49 Je parle même de complémentarité.
44:51 Mais le durcissement sur cette question
44:54 a affaibli considérablement la politique énergétique.
44:57 -Disons que vous avez utilisé un temps du passé,
45:00 vous pouvez être en désaccord qu'en effet,
45:03 il y a eu un durcissement, y compris de l'opinion allemande
45:06 vis-à-vis de la France, qui mettrait en danger, éventuellement,
45:09 la population à la frontière, et inversement,
45:12 il y a eu grincement dedans en France
45:14 face à des choix allemands,
45:16 face au nucléaire, au charbon, etc.
45:19 Maintenant, mettons cela de côté.
45:21 Je ne suis pas sûre, d'ailleurs, que ces querelles
45:24 devant les caméras soient très utiles.
45:26 -Mais on peut pas toujours dire "tout va bien", madame.
45:29 -Je ne dis pas que tout va bien, je dis simplement
45:32 que derrière votre question,
45:35 il y a le sous-entendu
45:37 que l'on devrait tous être d'accord,
45:39 jouer les violons et avoir le même choix
45:42 et aller dans le même sens.
45:43 Une complémentarité n'exclut pas du tout
45:46 que des Allemands continuent à considérer
45:49 que le nucléaire est nocif
45:50 et que les Français puissent considérer
45:53 que les Allemands ont fait une erreur en fermant leur centrale.
45:57 Là où on ne se fait pas du bien,
45:59 c'est justement avec cette... -Non, je partage pas.
46:02 Pardonnez-moi, mais Hubert Védrine...
46:04 -Je ne vous comprends pas.
46:06 Vous avez l'ambassadeur qui vous dit quelque chose,
46:09 vous avez madame qui vous dit la même chose,
46:11 et moi qui vais ajouter...
46:13 Permettez-moi de vous répondre aux questions que vous posez.
46:17 Le but de la politique énergétique est double.
46:20 D'abord, assurer l'indépendance énergétique
46:23 des économies européennes.
46:26 L'ambassadeur a répondu avec beaucoup de justesse
46:29 que sur cet enjeu terrible et terrible pour les Allemands,
46:32 compte tenu de la dépendance qui était la leur au gaz russe,
46:36 ils ont fait face et nous avons fait face.
46:38 Donc ça, c'est un succès.
46:40 Deuxièmement, il faut atteindre les objectifs
46:43 de conversion, de réduction
46:46 du réchauffement des effets de serre, etc.,
46:50 face au réchauffement climatique.
46:52 Et là, on voit bien
46:54 que nous n'avons pas la même approche,
46:57 mais les Allemands n'imaginent pas
47:00 de nous empêcher d'avoir des centrales nucléaires
47:05 et nous n'imaginons pas de les obliger à en avoir.
47:08 C'est beaucoup plus difficile pour les Allemands
47:11 parce qu'ils s'interdisent un instrument
47:14 qui est, à notre avis, très précieux,
47:16 et pour eux, leur contribution est beaucoup plus dure.
47:19 Ils sont entre le renouvelable et le charbon,
47:23 et l'accord est tendu, c'est tout.
47:25 -Ma question n'a jamais été une critique
47:29 de la position allemande.
47:30 -Je n'ai pas dit que vous critiquiez.
47:33 -Ma question était simplement que,
47:35 dans le contexte mondialisé,
47:38 où vous avez la Chine et les Etats-Unis
47:40 qui utilisent l'écologie et l'économie
47:44 pour développer une économie vert très forte,
47:48 est-ce que l'Europe, sur ces questions d'énergie,
47:52 s'ils n'ont pas une convergence,
47:54 est-ce que ça les affaiblit pas
47:56 par rapport à ces deux grandes puissances ?
47:58 -M. Malet, la base de votre émission,
48:01 c'est France-Allemagne.
48:02 D'abord, il n'y a plus d'axe.
48:05 Le mot que j'avais employé plein de fois au début.
48:08 Ca n'existe plus. -Ca existe.
48:09 -Il n'y a plus de coupe franco-allemand
48:12 depuis la reunification.
48:13 -Il y a un moteur, on ne sait pas s'il est électrique.
48:16 -Non, mais c'est pas... Attendez, laissez-moi parler.
48:19 C'est pas un drame.
48:21 C'est des pays fondamentalement différents,
48:23 engagés ensemble dans l'affaire de l'Union européenne.
48:27 Donc, il faut être très réaliste,
48:29 arrêter les commémorations,
48:30 on a fait le tour des commémorations,
48:33 c'est pas le même de parler de coupe,
48:35 il faut se dire qu'on est différents,
48:37 quels sont les points où c'est quasiment incompatible
48:40 pour des raisons de tradition, de psychologie,
48:42 quels sont les points où c'est contradictoire,
48:45 mais on peut surmonter,
48:46 quels sont les champs d'avenir qu'on peut développer ?
48:50 -C'est très pragmatique. Beaucoup de sang-froid.
48:52 -Hubert Védrine, je voudrais vous poser cette question simple.
48:56 Est-ce que vous pensez pas que si l'axe franco-allemand...
48:59 -Il n'y a pas d'axe. -Attendez.
49:01 Laissez-moi poser la question. -Bah, changez de mot.
49:04 -Si vous n'avez pas l'axe, disons les relations franco-allemandes.
49:08 Si elles s'affaiblissent et si elles se singularisent complètement,
49:12 il n'y aura plus d'Europe.
49:13 -C'est pas plus que... -Vous posez cette question.
49:16 -Le désaccord nucléaire est très ancien.
49:19 -C'est pas nouveau ? -Non, il est très ancien.
49:21 Mais on regarde que les positions peuvent évoluer.
49:25 Prenez l'agriculture. -Mais pas là-dessus.
49:28 -Prenez l'agriculture.
49:29 Aujourd'hui, la France et l'Allemagne se rapprochent.
49:32 Prenez la question de l'immigration.
49:34 Vous avez aussi des terrains de convergence.
49:37 Si ces deux pays, si ces deux pays n'impriment pas
49:41 une direction commune,
49:44 est-ce que vous pensez pas que ça sera au détriment de l'Europe ?
49:48 -Je vous en prie. -On va pas découvrir le problème.
49:50 -On est là pour en parler. -C'est pas nouveau.
49:53 -C'est pas une raison de pas en parler.
49:55 -Le problème, et pourquoi on a l'impression
49:58 qu'il y a des problèmes, des gradations de la relation,
50:01 c'est que ces questions, la défense, l'emploi du nucléaire
50:05 et, on va dire, un mode de gestion aussi des finances,
50:09 ce sont des questions sur lesquelles on n'est pas d'accord
50:12 depuis des décennies.
50:13 L'actualité les a mises au centre du jeu.
50:16 -C'est un jeu. -Si, je l'affirme.
50:18 Historiquement, c'est absolument le cas.
50:20 On a toujours su qu'on n'était pas d'accord sur ces points-là.
50:24 Ce n'étaient pas les sujets centraux.
50:26 Ce sont les trois sujets qu'on a agis.
50:28 Je vous rappelle l'esprit,
50:30 puisque vous avez évoqué le général de Gaulle,
50:33 ce fameux traité de l'Elysée,
50:35 que l'on vend avec des violons et qui est un moyen pragmatique.
50:38 L'idée est d'approcher, de se rencontrer
50:41 pour arriver autant que possible
50:43 à une position analogue sur les questions importantes.
50:46 -On vous a entendu. -Ca veut dire
50:48 qu'on n'est pas BA à considérer qu'on va être d'accord sur tout.
50:52 Simplement, on se parle, y compris de ce qui n'est pas possible,
50:56 afin que l'autre côté intègre dans sa propre stratégie
50:59 les impossibilités, les incompatibilités
51:02 qu'a l'autre avec cela. C'est pragmatique et réaliste.
51:05 -Il nous reste peu de temps.
51:07 Je voudrais vous poser une question
51:09 qui est à la fois politique et intime.
51:11 M. l'ambassadeur d'Allemagne,
51:13 l'extrême-droite a le vent en poupe en France,
51:18 mais depuis un moment.
51:19 Aujourd'hui, l'extrême-droite a le vent en poupe en Allemagne.
51:25 L'AFD fait quasiment jeu égal,
51:28 sinon dépasse le SPD.
51:31 Vous avez été, permettez-moi de rappeler,
51:34 comme quoi vous faites, à votre image,
51:38 la réconciliation allemande,
51:40 vous avez été ambassadeur de la RDA,
51:43 l'ancienne RDA,
51:44 et vous êtes l'ambassadeur de la République fédérale.
51:47 C'est dire que vous êtes un trait d'union.
51:50 Comment vous expliquez cet affaiblissement,
51:53 cet affaiblissement du SPD
51:56 par rapport à une extrême-droite,
51:59 on peut la qualifier pour ce qu'elle est,
52:03 elle est à la fois négationniste, antieuropéenne, etc.,
52:07 et notamment dans ces territoires d'ancienne...
52:12 -Parce que l'enjeu des élections européennes
52:16 va se jouer pour partie
52:18 sur l'immigration, et on craint la montée de ces partis.
52:23 -Je vais vous donner une réponse courte, tout d'abord.
52:27 Donc, le chancelier est membre du SPD.
52:30 Donc, il y a un affaiblissement,
52:32 il y a un affaiblissement des partis sociaux-démocrates
52:35 partout en Europe.
52:37 Il y a des... -Il a pris vote,
52:39 madame Hidalgo, en France.
52:40 -Et l'SPD, dans la partie Est, était toujours très, très faible,
52:45 parce qu'il n'y a plus de traduction du SPD
52:48 dans la partie Est.
52:49 La refondation du SPD dans la partie Est
52:52 a été faite par des intellectuels.
52:55 Le parti n'avait jamais un très profond enracinement
52:59 dans la société.
53:00 Et si je peux dire un mot sur le couple franco-allemand ?
53:04 Et là, je vais devenir un peu intime,
53:07 parce que moi, je vis ça depuis 33 ans
53:10 avec ma femme française, donc je vois des différences
53:13 et on est toujours arrivés à nous entendre.
53:16 Je souhaite que ça nous arrive aussi à faire à l'avenir.
53:19 -C'est vous, le vrai couple franco-allemand.
53:22 -Oui, c'est le voilà. Il faut toujours une incarnation.
53:25 -Un mot pour terminer. On a moins d'une minute.
53:29 Est-ce que vous êtes inquiet pour les élections européennes ?
53:33 Est-ce qu'on peut, aujourd'hui,
53:36 faire basculer le tempo politique
53:39 pour que ce soit pas l'immigration,
53:41 le rejet de l'étranger, qui domine le débat ?
53:45 En un mot.
53:46 -Oui, en un mot.
53:47 Je crois que nous avons un héritage à préserver,
53:51 nous avons un Etat de droit à développer,
53:53 nous avons une souveraineté, une indépendance
53:56 et une liberté à faire valoir,
53:58 nous avons un modèle économique et social.
54:00 Les gens sont très sensibles à tout cela.
54:03 Evidemment, les européennes, c'est très mauvais,
54:06 c'est d'abord ceux qui disent non
54:08 qui l'emportent dans des élections sans enjeu réel,
54:11 mais nous sommes engagés dans un processus à long terme.
54:14 Pour nous, le grand moment, ce sera l'élection présidentielle
54:18 et je pense que nous avons des ressources morales,
54:21 spirituelles, politiques, qui nous permettent de gagner
54:24 si nous savons les mobiliser.
54:26 Je ne suis pas sûr que nous fassions, aujourd'hui,
54:29 tous les efforts pour y parvenir.
54:31 -Merci. Mme Mier de Lacroix, en un mot.
54:33 -Les populistes sont un jeu facile
54:35 sur ce qui ne va pas et ils disent aux gens,
54:37 ceux qui le veulent, aux démocrates,
54:40 de dire plus fort, plus clairement ce qui fonctionne.
54:43 On n'aime pas les trains qui arrivent à l'heure,
54:45 mais il faudrait en parler plus.
54:47 -Hubert Médrine, si vous aviez un slogan à formuler
54:50 pour ces élections européennes, ce serait quoi, politiquement ?
54:54 -Ce que le Parlement européen serait un peu plus à droite,
54:58 mais ce n'est pas un gros sujet.
54:59 Je dirais que si les flux migratoires incontrôlés,
55:04 si le détournement massif du droit d'avis gigantesque
55:08 avait été géré depuis 30 ans,
55:10 comme la gauche scandinave le fait maintenant,
55:13 la gauche scandinave,
55:15 les partis que vous appelez extrémistes
55:18 seraient à la moitié de ce qu'ils sont.
55:20 Ce que vous déplorez, je comprends,
55:22 c'est le résultat d'une incurie. C'est rattrapable.
55:25 -On termine sur cette note optimiste.
55:28 Avant de nous quitter, je voudrais, s'il y allait,
55:31 vous donner une bibliographie.
55:33 Alors, sous votre direction, Hubert Médrine,
55:36 grand diplomate chez Perrin...
55:38 C'est pas pour la polémique, mais vous citez...
55:42 On parle de nombreux grands diplomates français,
55:45 de Mazarin à Talleyrand.
55:47 -Il faudrait demander celui qu'il préfère
55:50 dans ses diplomates. -Virgène.
55:52 -Virgène qui combat... -Virgène, d'accord.
55:54 -Il est monarchiste.
55:56 Il est monarchiste, alors. Virgène était le...
56:00 Virgène disait que le roi ne doit rien t'en craindre
56:03 que l'augmentation de son royaume.
56:05 Voilà un homme de paix.
56:08 -Hélène Myard de Lacroix,
56:09 vous avez publié "Ennemis héréditaires",
56:12 un dialogue franco-allemand. -Il y a un point d'interrogation.
56:15 -M. Bourlange, quel livre de vous peut-on citer ?
56:20 -Je ne m'occupe pas assez.
56:21 C'est tous les livres que je n'ai pas écrits.
56:24 J'essaie, dans plusieurs essais, plusieurs articles,
56:28 et dans le livre auquel je travaille,
56:31 de montrer qu'il y a deux traditions
56:33 dans la diplomatie française.
56:35 Il y a une tradition du rétablissement
56:40 de la suprématie française sur l'Europe,
56:43 la tradition choiseul, qui a signé le traité de Paris,
56:46 qui est un traité de relative humiliation,
56:49 et puis il y a la tradition de ceux qui disent
56:52 que la France a beaucoup d'atouts,
56:54 il faut qu'elle les joue en coopération
56:57 avec ses voisins, c'est comme ça qu'elle réussira.
57:00 C'est la tradition talerrand, la tradition guiseau,
57:04 la tradition brillant, la tradition choumane,
57:07 et je me reconnais plutôt dans celle-là.
57:10 Je crois que le général de Gaulle, Valéry Giscard d'Estaing,
57:13 François Mitterrand, chacun à sa manière,
57:16 ont un peu combiné les deux
57:17 et n'ont pas sacrifié l'idée de coopération.
57:20 -Hubert Védrine, je ne vais pas le taquiner,
57:23 est un gaulot, est un gaulot mitterrandiste,
57:26 et vous, vous êtes un bonapartout...
57:28 -Non, je ne suis pas bonapartiste, je suis un gaulot, non.
57:31 -Un gaulot-centriste.
57:33 Monsieur Steinack, vous avez un livre à conseiller.
57:37 -Je suis en train de lire sur Napoléon,
57:43 la grande biographie sur Napoléon,
57:46 pour comprendre un peu plus l'esprit français.
57:49 -C'est l'esprit de Corse.
57:51 L'un des problèmes de Napoléon,
57:53 il n'était pas très habitué à la France,
57:56 il savait pas où ça commence et où ça s'arrête.
57:58 -C'est le problème.
58:00 Merci, madame, merci, messieurs.
58:02 Merci à l'équipe de LCP.
58:04 Avant de nous quitter, je vous laisse avec cette pensée.
58:08 L'Union européenne bâtit sa souveraineté stratégique
58:13 à la vitesse de l'escargot.
58:15 A votre avis, c'est de qui, ça, monsieur Bourlange ?
58:18 -Du président Macron ? -C'est pas loin.
58:21 C'est Dominique Giuliani. -Oui.
58:23 ...