Le Franco-Ukrainien Arsène Sabanieev, anesthésiste-réanimateur à Lille, repart sur le front ukrainien au mois de juin. Invité de France Bleu Nord, il explique sa démarche : "Les frères d'armes sont là-bas, il faut retourner les soutenir".
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00:00 Bonjour Arsène Sabanieff, vous êtes anesthésiste réanimateur, vous vivez à Lille, à plusieurs reprises vous êtes allé sur le front en Ukraine.
00:07 Le vote d'hier soir tout d'abord qui valide l'accord passé entre les deux pays, la France et l'Ukraine, montre finalement que la France est dans le camp de l'Ukraine dans sa guerre face à la Russie.
00:16 Cela vous rassure d'une certaine manière ce vote positif hier soir ?
00:19 Je vais être un petit peu plus mitigé que ça, je n'attends pas grand chose de ce vote, c'est en mode consultatif.
00:27 Il y a juste une chose qui compte, ce sont les actes, les faits et en pratique malheureusement la France est assez à la traîne par rapport à certains pays européens, notamment l'Europe centrale et l'Europe de l'Est.
00:38 3 milliards d'euros de soutien militaire, c'est tout de même ce que la France va envoyer cette année à l'Ukraine, il faut aller au-delà en termes de quoi selon vous, en termes d'armement à envoyer sur place ?
00:49 On peut parler d'armement, mais il faut aussi discuter de matériel médical, d'infrastructure, pour de la logistique aussi, parce qu'une guerre c'est une grande machine logistique, c'est tout le nerf de la guerre.
01:05 Mais également du personnel, parce que c'est une guerre, on compare la guerre en Ukraine à la première guerre mondiale, mais c'est plutôt faux, c'est une guerre d'ingénieurs, c'est une guerre où il faut des cerveaux, c'est une guerre où il faut des personnes, des professionnels.
01:19 Et il faut également du personnel sur le terrain, ça on ne peut pas y échapper malheureusement.
01:24 Du personnel, est-ce qu'il faut aller jusqu'à envoyer selon vous des troupes, des militaires ?
01:28 L'idée n'a pas été évoquée par Emmanuel Macron, mais il a dit qu'il ne fallait pas l'exclure dans le futur, en tout cas qu'il n'était pas question de laisser gagner la Russie. Est-ce que vous allez jusque là aujourd'hui ?
01:38 Vous savez, pour un homme qui combat sur le front, sur le terrain, il y a dix hommes derrière qui doivent le ravitailler, le soigner.
01:45 Donc on peut choisir le lieu où les mettre. On n'a pas forcément besoin d'envoyer des militaires se battre face aux Russes, on peut les mettre à l'arrière, par exemple,
01:54 assurer la sécurité de certains sites, de certaines villes qui sont bombardées par les Russes, de certains secteurs stratégiques,
02:01 créer des postes de réparation, des véhicules blindés, parce que la France en a fourni pas mal.
02:06 Oui, il faut envoyer des hommes, mais pas forcément à l'endroit où on le pense.
02:09 Pour revenir sur le vote d'hier soir à la Somme nationale, plusieurs groupes politiques ont voté soit contre, soit se sont abstenus,
02:16 puisque le débat finalement c'est jusqu'où on peut aller sans basculer dans un conflit généralisé.
02:21 Vous comprenez que l'on puisse ne pas voter ou voter contre ?
02:24 Non, je ne comprends pas. Mais quand on regarde l'historique de certains partis, ça ne m'étonne pas.
02:32 On va se dire les choses, l'extrême droite, le RN, pour moi, est un parti de l'étranger,
02:38 qui, on l'a vu, en 2014, a soutenu l'annexion de la Crimée, un échange de certains crédits.
02:47 L'extrême gauche ne regrette absolument pas le passé communiste stalinien totalitaire.
02:55 Plutôt que le passé communiste stalinien, Fabien Roussel, député du Nord, député communiste,
03:00 ce qu'on a entendu, il se réclame plutôt de Jaurès, le pacifisme, justement au moment de la Première Guerre mondiale, tout à l'heure.
03:05 Il y a aussi ça dans ce débat, est-ce qu'on peut aussi rentrer en guerre face à la Russie, qui a une nouvelle foi, on le rappelle, l'arme nucléaire aussi ?
03:10 C'est le narratif qu'il utilise, ce sont des colombes, les colombes de la paix.
03:14 Non, en réalité, accepter une occupation, c'est accepter la guerre.
03:20 Donc il n'y a pas, malheureusement, de parti pacifiste.
03:25 La seule façon de régler ça de façon pacifique, c'est que la Russie se retire.
03:31 - 7h48, vous êtes sur France Bleu Nord, nous sommes avec Arsène Sabanieff, médecin franco-ukrainien.
03:36 - Arsène Sabanieff, vous êtes allé, vous, plusieurs fois en Ukraine, en l'ISES sur le front, en tant que médecin.
03:41 Vous y retournez bientôt ?
03:43 - Oui, tout à fait, j'y retourne bientôt.
03:45 - Pourquoi c'est important pour vous d'aller vous battre là-bas, même si c'est en tant que médecin, vous ne vous battez pas directement, mais être aux côtés des militaires ukrainiens qui se battent contre les Russes ?
03:53 - Parce que la guerre est très très loin d'être gagnée, que si on tombe, l'Europe tombe, tout le projet européen tombe, les Russes disent ce qu'ils font, ils font ce qu'ils disent, donc après l'Ukraine, ça sera les Pologne, ça sera les Pays-Bas.
04:06 Donc on est chacun des petites fourmis, on ne fait pas grand chose, mais on doit participer à notre échelle.
04:13 - Qu'est-ce que vous savez du conflit sur place ? Est-ce qu'il s'enlise, est-ce que les Ukrainiens avancent, est-ce qu'ils reculent ?
04:19 - Alors ça, je ne suis pas dans l'état-major ukrainien, le conflit s'enlise en quelque sorte parce qu'aucun des deux partis n'a les moyens pour avoir une victoire stratégique sur le court et moyen terme pour l'instant.
04:39 Donc il y a des petites victoires tactiques par-ci par-là, il y a surtout beaucoup de pertes.
04:43 Si on regarde le conflit par rapport à une carte, on dit "bon non non, ça n'a pas beaucoup bougé, le conflit s'est peut-être enquisté", en réalité pas du tout.
04:51 C'est plusieurs centaines de morts par jour, j'irais même jusqu'à 1000 à 2000 morts par jour si on compte les pertes russes et ukrainiennes.
04:59 J'avais été à Limane, c'est au nord du pays en novembre dernier, qui est un secteur très calme, où il n'y avait pas de journalistes, où il n'y avait pas du tout de focus médiatique,
05:07 nous on recevait à peu près entre par 100 et 200 blessés par jour.
05:13 - Vous avez vu des camarades tomber également au combat, des morts, tout ça vous l'avez vu ? - Bien sûr.
05:21 - Et ça vous donne malgré tout envie d'y retourner ?
05:24 - C'est la principale motivation pour y retourner parce que les frères d'armes, les compagnons sont là-bas et il faut retourner les soutenir.
05:33 - Tout à l'heure vous parliez d'envoi de matériel médical dans la stratégie qu'il fallait adopter, vous êtes médecin,
05:39 est-ce que vous pouvez nous en dire de la façon dont on soigne des blessés sur un terrain de guerre ? Est-ce que les ukrainiens y arrivent aussi ?
05:47 - C'est un vaste sujet. En soi, la physiologie ne change pas en terrain, que ce soit en temps de guerre ou en temps de paix, c'est le contexte dans lequel on soigne.
05:59 Soigner quand il y a des bombes qui nous tombent dessus parce que les russes visent intentionnellement des soignants,
06:06 parce qu'ils savent très bien qu'un médecin qui meurt c'est à peu près 100 à 200 hommes par mois qui ne seront pas soignés, qui mourront.
06:15 C'est ce contexte-là qui nous fait travailler de façon très différente, qui nous fait travailler dans le stress.
06:24 Moi j'aime bien dire qu'on travaille dans un mode de dégradé.
06:30 - Comment vous le voyez évoluer ? Ce sera ma dernière question, ce conflit vous n'allez pas encore une fois régler tout le problème.
06:36 Je cite Volodymyr Zelensky, président ukrainien, qui a dit avant-hier "tant que l'Ukraine tient, l'armée française peut rester sur le territoire français".
06:43 Est-ce que l'armée ukrainienne va tenir ? Est-ce que l'Ukraine va gagner la guerre, vous pensez ?
06:47 - Pour moi l'Ukraine a déjà gagné la guerre, parce qu'il n'y a pas eu dans l'histoire d'exemple où un envahisseur a réussi à vaincre tout un peuple.
07:01 Parce que c'est une guerre non pas face à l'armée de Zelensky, contre l'armée de Poutine comme on dit, mais c'est une guerre du peuple ukrainien contre les russes.
07:08 Tout le monde est extrêmement motivé, même si c'est dur au bout de deux ans, mais en fait on n'a pas le choix.
07:13 Le soldat ukrainien, même s'il est fatigué, il ne peut pas abandonner. S'il abandonne, qu'est-ce qui se passe ? Il sait très bien que les russes sont arrivés.
07:19 Ils vont probablement le tuer, ils vont violer sa femme, ils vont déporter son enfant et le russifier, donc il n'y a pas le choix. On va devoir se battre.
07:27 Donc la question c'est plutôt combien de temps la Russie, le peuple russe, pourront tenir avant d'abandonner.
07:35 - En tout cas vous y retournez, vous nous l'avez dit au mois de juin pour faire votre part.
07:39 Merci beaucoup Antoine Arsène Sabanieff, médecin franco-ukrainien installé à Lille.
07:44 Vous repartez en Ukraine sur le front au mois de juin. Merci encore, bonne journée.