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00:00 7h-9h, Europe 1 matin. Il est 7h12 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin le docteur Ségolène Perruccio.
00:07 Bonjour Ségolène Perruccio. Bonjour. Bienvenue sur Europe 1, vous êtes la chef du service de soins palliatifs
00:12 du centre hospitalier Rive de Seine à Putot dans les Hauts-de-Seine, vous êtes aussi
00:15 vice-présidente de la SFAP, c'est la Société Française d'Accompagnement et de Soins Palliatifs, Société Reconnue d'Utilité Publique.
00:23 Alors Emmanuel Macron a dévoilé dimanche,
00:26 Ségolène Perruccio, les contours d'un projet de loi qui va donc ouvrir la possibilité de demander
00:30 une aide à mourir sous certaines conditions strictes.
00:33 Vous êtes opposée Ségolène Perruccio et la Société Française de Soins Palliatifs derrière vous à cette aide à mourir, pourquoi ?
00:40 Alors plus encore que d'être opposée à l'aide à mourir parce que les soignants n'ont pas vocation à légiférer à la place du législateur,
00:48 la Société Française de Soins Palliatifs et les soignants de soins palliatifs
00:53 s'opposent à la participation des soignants à cette aide active à mourir.
00:57 Déjà avec le premier postulat c'est que
01:01 ce n'est pas de ça dont les français ont besoin, ce n'est pas de ça dont nos patients ont besoin, nous qui sommes au quotidien
01:07 confrontés à la fin de vie. On sait qu'on est capable, on sait le faire d'accompagner les gens correctement
01:13 pour peu qu'on nous en donne les moyens et ça c'est vraiment le premier scandale.
01:18 C'est que un patient sur deux aujourd'hui en France qui
01:20 devrait bénéficier de soins palliatifs ne peut pas en bénéficier à la port de la cour des comptes.
01:25 Mais dans votre service, Cégolène Perruccio, je vois que vous nous racontiez ce qui s'y passe, les soins palliatifs, jamais il y a un malade qui vous dit
01:31 "Docteur j'aimerais en finir c'est trop dur, j'ai trop mal, aidez-moi à mourir" ça ne vous arrive jamais ?
01:36 Bien sûr que ça nous arrive mais ça nous arrive aussi que
01:40 quasiment toujours en je crois 12 ans que je suis dans ce service il y a eu
01:44 peut-être trois ou quatre patients qui ont réitéré leur demande et qui l'ont maintenu malgré la prise en charge.
01:48 Il y a encore très peu de temps on a accueilli dans le service un patient atteint d'une maladie de charcot.
01:53 Ce patient il arrivait d'un EHPAD, il avait 60 et quelques années, c'était pas du tout adapté pour lui d'être en EHPAD mais il n'y avait pas
01:59 d'autre solution pour lui.
02:00 Il est venu chez nous parce qu'il demandait à mourir, parce que les soignants d'EHPAD pas formés et avec peu de moyens
02:04 ne savaient pas comment gérer cette demande. Le monsieur est arrivé chez nous, il a bien sûr
02:10 réitéré cette demande. Au bout de quelques jours elle a complètement cédé. Quelques jours on l'a pris en charge correctement, on l'a regardé différemment.
02:17 C'est à dire cédé ? Qu'est-ce qui s'est passé ?
02:19 Il a arrêté de le demander, il a tellement arrêté de demander...
02:23 Et pourquoi ? Qu'est-ce qui s'est passé pour qu'il arrête de vous demander la mort ?
02:26 On l'a regardé différemment alors je sais que ça paraît compliqué à comprendre,
02:31 on l'a regardé comme une personne, on l'a écouté d'abord dans ses souffrances, dans ses difficultés, on l'a rassuré peut-être
02:36 sur les conditions de sa mort et qu'on serait à ses côtés, qu'on ne le laisserait pas s'étouffer ou
02:41 ce genre de choses qui évidemment font très peur et on lui a
02:44 on a discuté de tout et de rien. Ce monsieur est connu colu, il était passionnant, on adorait rentrer dans sa chambre, il était
02:49 il adorait discuter avec nous. - Vous voulez dire que vous lui avez prêté de l'intérêt ? Vous lui avez apporté de l'intérêt et ça l'a
02:55 détourné de cette envie, de ce désir de mort qu'il avait ? - Ça fait partie des choses. La définition des soins palliatifs de l'ASFAP c'est
03:01 les soins palliatifs ça tâche à regarder la personne comme une... le malade comme une personne.
03:06 - Dans sa globalité. - Mais c'est pas à la base ça des relations humaines de considérer l'autre comme une personne
03:11 ségolienne, périculte, enfin ça paraît tellement basique. - Ça paraît tellement basique, je suis complètement d'accord avec vous. Claire Fourcade, la présidente de l'ASFAP, dit souvent
03:18 "on a commencé par la fin de vie" parce que c'est là où il y avait l'urgence, c'est là que la médecine avait déserté
03:23 mais probablement que les soins palliatifs peuvent être aussi la réhumanisation du soin. La technique a pris beaucoup de place et avec
03:29 évidemment beaucoup de succès dont on est tous contents de profiter mais il faudrait remettre plus d'humanité dans le soin.
03:35 - Alors réduire la douleur parce que c'est l'enjeu des soins palliatifs et
03:39 finalement détourner les malades de cette envie d'en terminer avec la vie, ça passe par là.
03:45 Alors très intéressant c'est que oui alors il y a les médicaments, les antidouleurs etc mais il y a aussi des choses toutes bêtes.
03:50 Par exemple dans votre service, j'aimerais bien que vous nous racontiez ça, quand on va faire la toilette aux malades, on y va à deux.
03:56 Pourquoi ? Parce que ça crée une ambiance tout simplement et
04:00 c'est beaucoup plus sympathique tout simplement et chanter aussi, chanter du Dalida par exemple, ça met de l'ambiance et
04:06 ça rend plus heureux, ça fait moins mal derrière. - Les auditeurs vont nous prendre pour des fous mais vous avez tout à fait raison.
04:11 C'est aussi ce regard là, bien sûr il y a tous les médicaments, c'est notre compétence et notre expertise
04:16 pour que les patients soient soulagés pendant la dehors, parfois jusqu'à les endormir, voir les anesthésier complètement quand on fait pas autrement.
04:23 Mais il y a aussi tout le reste, les toilettes et les soins du corps sont un moment
04:27 extrêmement important pour les soignants, les infirmières, les soignantes qui sont tellement
04:31 dévouées dans le bon sens du terme à leurs patients.
04:34 Donc oui, elles leur parlent et les gens sont aussi très contents qu'on leur parle d'autres choses, de la maladie,
04:39 qu'on parle de tout et de rien, de la famille, de son métier, enfin
04:43 juste entre mains. - Mais comme vous regardez, comme vous interprétez ce chiffre qui est quand même assez
04:48 impressionnant, c'est qu'on a aujourd'hui 70 à 80 % des français, quand on leur demande dans des sondages,
04:54 "Est-ce que vous êtes favorable à l'aide à mourir ? Est-ce que vous êtes favorable à l'euthanasie ?" et répondre "Oui"
05:00 près de 4 sur 5. Comment ça s'explique d'après vous, docteur Perruccio ? - Pour moi,
05:06 c'est assez normal, les gens ont peur. Moi la première, je veux dire, la mort fait peur.
05:10 Les belles histoires
05:12 dont nous sommes témoins ne doivent pas et ne peuvent pas effacer le tragique de la mort et de la séparation à venir.
05:17 Ça reste, la finitude de l'homme reste quelque chose de complexe sur lequel les philosophes se sont penchés depuis des millénaires.
05:23 Donc évidemment ça fait peur et aujourd'hui la mort a disparu de nos sociétés et on
05:27 a cette image que la mort est forcément souffrance, que la mort est forcément difficulté, que la perte d'autonomie est indigne,
05:34 parce que c'est beaucoup de ça qu'il s'agit. Effectivement c'est dur,
05:37 c'est même extrêmement dur, personne n'a envie de perdre son autonomie.
05:40 Mais l'indignité c'est le regard que la société pose sur ces gens. - Alors dans les reproches qu'adresse la société française de soins palliatifs
05:49 à Emmanuel Macron, ou plutôt les remarques qu'elle fait sur son projet d'aide à mourir,
05:53 il y a pointé du doigt la méconnaissance du président de l'ambivalence du désir de mort. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que ça veut dire ?
06:01 - Ça veut dire qu'on change d'avis ? - Il y a quelques jours on a eu dans le service
06:06 une patiente qui avait une tumeur de la trachée,
06:10 très gênante, elle était essoufflée, elle n'était pas bien et elle demandait à mourir.
06:16 Elle se dégradait, elle demandait à mourir. À un autre moment une de mes collègues,
06:20 pour que ça sente bon dans le service, met du papier d'Arménie, fait brûler du papier d'Arménie.
06:24 Toutes portes ouvertes et là j'entends cette dame
06:26 qui m'harmonie quelque chose, je ne la connaissais pas, je rentre dans sa chambre, je savais qu'elle était en train de mourir, que c'est des choses
06:32 qui s'aggravaient très vite. Et elle me dit "c'est cancérigène le papier d'Arménie".
06:36 Alors je lui dis "excusez-moi, c'est pas très prouvé", elle me dit "oui mais moi j'ai quand même pas envie d'attraper un cancer, j'en ai déjà un, ça suffit".
06:44 Vous voyez, voilà, l'ambivalence c'est ça, c'est que cette dame qui savait qu'elle allait mourir, qui disait que c'était trop long et qu'elle n'en pouvait plus,
06:49 on a fini d'ailleurs par endormir parce qu'elle souffrait.
06:53 Par ailleurs, une autre partie d'elle-même disait "je vais quand même pas attraper un cancer à cause de votre papier d'Arménie".
06:58 Voilà l'ambivalence. - On en est où aujourd'hui,
07:00 Ségolène Perruccio, du développement des soins palliatifs en France ? Parce que c'est une promesse du président de la République, il y a plus d'un
07:06 milliard et demi d'euros qui est consacré
07:08 annuellement et dans le projet de loi, il se trouve que la première partie du texte doit
07:13 ancrer dans le marbre législatif cette idée de la nécessité de développer les soins palliatifs. On en est où là aujourd'hui ?
07:19 - Au milieu du guet, je dirais, la Cour des comptes nous dit qu'un patient sur deux qui devrait en bénéficier ne peut pas en bénéficier
07:26 actuellement. Le président nous annonce une grande révolution des soins palliatifs
07:30 avec derrière un budget de un milliard sur dix ans. Il faut se rendre compte qu'un milliard sur dix ans mis en
07:36 balance par rapport au 1,5 milliard consacré par an, c'est 6% d'augmentation.
07:40 C'est à peu près l'inflation. Je pense que ça ne suffira pas pour la grande révolution des soins palliatifs
07:45 et accessoirement, personne n'ignore que nous sommes actuellement dans une grande crise du recrutement, une grande crise des
07:52 vocations soignantes et qu'on se demande bien avec quel bras il imagine faire ça. Donc il y a une vraie problématique.
07:58 - Merci beaucoup docteur Ségolène Perruccio d'être venu ce matin au micro d'Europe. Je rappelle que vous êtes la chef du service de soins palliatifs
08:04 de centre hospitalier
08:06 Rive de Seine à Putot et vice-présidente de la Société Française de Soins Palliatifs. Merci d'être venu au micro d'Europe. Bonne journée à vous.
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