Donald Trump a perdu les élections de 2020 qui ont vu la victoire incontestable de Joe Biden, l'ancien Président considère qu'on lui a volé cette victoire et il a encouragé le comportement séditieux de ses supporters républicains, partis à l'assaut violent du Capitole un certain 6 janvier 2021. C'est cet homme qualifié par nombre d'observateurs de narcissique pathologique, vindicatif, complotiste, dictateur et dont le bilan politique à la présidence des Etats Unis de 2017 à 2020 a ajouté au chaos du monde, qui s'apprête, selon ses propres termes, à prendre sa revanche électorale. C'est cet homme inculpé pour des affaires sexuelles, des fraudes fiscales, des détournements de documents classifiés et autres chefs d'inculpation, qui se présente aux élections présidentielle du 4 novembre 2024 avec un pronostic favorable en vue de l'emporter sur le président sortant Joe Biden.
Malgré ses turpitudes, Donald Trump garde le soutien massif du parti républicain et aussi la sympathie d'une large fraction de la société américaine plus polarisée et clivée que jamais. Nous allons chercher à comprendre cette fascination / répulsion qu'il exerce sur les Américains (comme ailleurs), les menaces qu'il représenterait pour l'Europe s'il était élu en novembre prochain et à quoi ressemblerait un monde agité par les fantasmes trumpistes, l'autoritarisme des régimes russe et chinois et le djihadisme ambiant.
Pour en parler Emile Malet reçoit :
Sylvie Bermann, ambassadrice de France
Roger Cohen, correspondant du New York Times à Paris
André Kaspi, historien, professeur des Universités
Armand Lafferrère, directeur des affaires publiques - ORANO
Présenté par Emile MALET
L'actualité dévoile chaque jour un monde qui s'agite, se déchire, s'attire, se confronte... Loin de l'enchevêtrement de ces images en continu, Emile Malet invite à regarder l'actualité autrement... avec le concours d´esprits éclectiques, sans ornières idéologiques pour mieux appréhender ces idées qui gouvernent le monde.
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Malgré ses turpitudes, Donald Trump garde le soutien massif du parti républicain et aussi la sympathie d'une large fraction de la société américaine plus polarisée et clivée que jamais. Nous allons chercher à comprendre cette fascination / répulsion qu'il exerce sur les Américains (comme ailleurs), les menaces qu'il représenterait pour l'Europe s'il était élu en novembre prochain et à quoi ressemblerait un monde agité par les fantasmes trumpistes, l'autoritarisme des régimes russe et chinois et le djihadisme ambiant.
Pour en parler Emile Malet reçoit :
Sylvie Bermann, ambassadrice de France
Roger Cohen, correspondant du New York Times à Paris
André Kaspi, historien, professeur des Universités
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🗞
NewsTranscription
00:00 Générique
00:01 ...
00:23 -Bienvenue dans "Ces idées qui gouvernent le monde".
00:27 Pourquoi Trump fait peur ?
00:29 Donald Trump a perdu les élections de 2020,
00:33 qui ont vu la victoire incontestable de Joe Biden.
00:36 L'ancien président considère qu'on lui a volé cette victoire
00:40 et il a encouragé le comportement sédicieux
00:44 de ses supporters républicains,
00:46 partis à l'assaut violent du Capitole,
00:49 un certain 6 janvier 2021.
00:51 C'est cet homme qualifié par nombre d'observateurs
00:55 de narcissique, pathologique, vindicatif,
00:58 complotiste, dictateur,
01:00 et dont le bilan politique à la présidence des Etats-Unis,
01:04 de 2017 à 2020,
01:06 a ajouté au désordre du monde.
01:09 C'est lui qui s'apprête, selon ses propres termes,
01:12 à prendre sa revanche électorale.
01:14 C'est cet homme inculpé pour des affaires sexuelles,
01:18 des fraudes fiscales,
01:19 des détournements de documents classifiés
01:22 et autres chefs d'inculpation
01:25 qui se présentent aux élections présidentielles
01:27 du 4 novembre 2024
01:29 avec un pronostic favorable
01:31 en vue de l'emporter sur le président sortant,
01:35 Joe Biden.
01:36 Malgré cette turpitude,
01:38 Donald Trump garde le soutien massif
01:41 du Parti républicain
01:42 et aussi la sympathie d'une large fraction
01:46 de la société américaine,
01:48 plus polarisée que jamais.
01:50 Nous allons chercher à comprendre
01:53 l'assassination, répulsion qu'il exerce
01:56 à la fois sur les Américains comme ailleurs dans le monde,
01:59 les menaces qu'il représenterait éventuellement pour l'Europe
02:03 s'il était élu en novembre prochain
02:06 et à quoi ressemblerait un monde agité
02:09 par les fantasmes trumpistes,
02:12 l'autoritarisme des régimes russes et chinois
02:15 et le djihadisme ambiant.
02:18 Pour en comprendre les enjeux et les ressorts,
02:21 je vous présente mes invités.
02:23 Sylvie Berman, vous êtes ambassadeure de France.
02:25 Vous l'avez été à la fois à Moscou et à Pékin.
02:30 Roger Cohen, vous êtes correspondant
02:32 du New York Times à Paris.
02:34 Armand Laferrere, vous êtes industriel,
02:37 actuellement en poste aux Etats-Unis.
02:39 André Caspi, vous êtes historien
02:42 et professeur des universités.
02:44 ...
02:52 Vous venez de voir la citation de Donald Trump.
02:55 "Il faut jouer sur les fantasmes de son auditoire."
02:59 On peut dire trivialement
03:01 que Donald Trump ne trompe pas
03:04 sur sa propre marchandise politique,
03:06 justifiant ses propres excès et ses mensonges.
03:10 Comment vous expliquez, Roger Cohen,
03:13 qu'il ait réussi à trumpiser le Parti républicain ?
03:17 -Je pense qu'on vit dans une époque
03:21 de politique des émotions,
03:23 la politique de la distraction.
03:26 Et Trump, c'est vraiment le maître de ce jeu-là.
03:30 Il a gardé une popularité étonnante,
03:35 étant donné le nombre d'inculpations
03:39 et d'autres critiques qu'il a subies.
03:43 Mais il incarne une Amérique,
03:47 surtout une Amérique blanche,
03:49 qui est très inquiète.
03:51 Il y a 8 millions d'immigrés,
03:53 la plupart des immigrés illégaux,
03:55 qui sont rentrés dans les Etats-Unis
03:58 depuis le début de la présidence Biden.
04:00 Et ça fait en sorte
04:03 que la population blanche des Etats-Unis
04:07 voit l'Amérique changer de couleur.
04:10 Et Trump incarne
04:13 la détermination de cette partie de la population
04:17 de résister.
04:18 Et il y a aussi, bien sûr, des facteurs économiques.
04:22 Il y a le fait que le Parti républicain voit bien
04:26 qu'il n'y a pas d'alternatifs.
04:28 -Si on voulait prendre une figure de rhétorique,
04:32 je sais que ça peut choquer à propos de Donald Trump,
04:36 et si on prenait ce fameux raisonnement
04:39 de l'oeuf et la poule,
04:40 est-ce qu'à votre avis, Trump est la cause
04:44 de l'incivilité ambiante de la société américaine
04:47 ou est-ce qu'il est le produit populiste de son époque ?
04:51 Par exemple, qu'en pensez-vous, Sylvie Berman ?
04:55 -Je crois qu'il est le produit populiste de son époque,
04:58 parce que c'est une évolution qu'on a connue ailleurs,
05:01 même si ça n'a pas les mêmes conséquences stratégiques
05:05 que celle de l'élection du président américain.
05:09 Mais moi, j'étais en poste,
05:11 j'étais ambassadeure au Royaume-Uni
05:13 au moment de l'élection de Trump,
05:15 et quelques mois auparavant, il y a eu le Brexit,
05:18 qui a été un phénomène essentiellement populiste.
05:21 D'ailleurs, c'est Boris Johnson qui l'a emporté,
05:25 qui a été appelé le "mini-Trump",
05:28 et l'évolution du Parti républicain
05:30 vers une droite extrême
05:32 est la même que l'évolution du Parti Tory.
05:34 Je pense que le Brexit a été la première vraie crise
05:38 d'une démocratie représentative,
05:40 et donc j'ai été moins étonnée,
05:42 j'ai été étonnée par le résultat du Brexit,
05:45 auquel personne ne croyait,
05:47 j'étais moins étonnée par l'élection de Trump,
05:49 j'étais à Londres ce jour-là.
05:51 -Oui, André Caspi, vous, qui êtes historien,
05:54 vous pensez qu'il a trumpisé l'Amérique
05:58 ou l'Amérique a produit ?
06:00 -Je crois que, d'abord, il faut souligner
06:04 que, malgré tout, Trump a un certain talent.
06:07 Il ne serait pas arrivé là où il est
06:09 s'il n'avait pas le talent d'un populiste
06:13 et, en même temps, d'un homme qui sait manier les médias.
06:17 Et il a en face de lui
06:19 un président qui a des faiblesses,
06:22 qui a des qualités, d'ailleurs,
06:24 car il ne faut pas sous-estimer les réussites du président Biden.
06:28 Il y a des réussites, sur le plan économique.
06:31 -On va en parler.
06:32 -Mais il est évident que Donald Trump sait exploiter
06:36 la colère d'un certain nombre d'Américains,
06:40 aujourd'hui, d'une majorité des Américains.
06:43 Il sait l'exploiter
06:44 et il le fait avec beaucoup de détermination.
06:48 Et puis, il a cet avantage qu'il ne cesse pas de dire
06:52 que Joe Biden est trop vieux, que Joe Biden est trop faible,
06:55 que Joe Biden n'est pas capable d'exercer la présidence,
06:59 mais chacun sait qu'entre l'âge de Joe Biden et l'âge de Trump,
07:03 il n'y a jamais que quatre ans de différence.
07:06 Ca veut dire qu'on est toujours dans la bataille des octogénaires.
07:09 Mais ça signifie, malgré tout, qu'il ne faut pas, je crois,
07:13 sous-estimer le talent de Trump
07:15 dans une Amérique qui est profondément divisée,
07:18 divisée sur le plan économique, sur le plan social...
07:22 -Culturelle. -Pardon ?
07:24 -Culturelle. -Sur le plan culturel, bien sûr.
07:27 Pas fermement sur le plan international,
07:29 parce que... -On va aborder,
07:31 si vous voulez bien, on va aborder toutes ces questions.
07:34 Armand Laferrere, vous êtes actuellement aux Etats-Unis,
07:38 vous représentez une grande entreprise.
07:41 A votre avis,
07:43 dans vos contacts quotidiens,
07:46 vous constatez que cette Amérique trumpisée,
07:49 vous constatez qu'elle a un sens, en quelque sorte,
07:53 Roger Cohen parle de cet aspect culturel,
07:58 mais vous le sentez,
07:59 qu'une partie de l'Amérique adhère à ces idées-là ?
08:05 -Oui, comme toujours.
08:06 L'Amérique est un pays à 50-50,
08:09 et puis, selon la liste de l'électorale,
08:11 les 50 deviennent 52 ou 48.
08:14 Donc je suis d'accord avec la plus grande partie
08:17 de ce qui a été dit, avec un petit détail
08:19 par rapport à ce qu'a dit Roger,
08:21 qui est que Trump, en 2016, et ça sera probablement le cas de nouveau
08:25 s'il est élu en 2024, a obtenu plus de voix non-blanches
08:28 que tout autre républicain.
08:30 Donc cette interprétation-là me paraît pas très satisfaisante.
08:34 Pour le reste, je suis d'accord.
08:36 -Vous en tirez quelle conséquence ?
08:38 -Justement. J'en tire la conséquence...
08:40 -Que les minorités préfèrent un pouvoir fort ?
08:43 -Non, j'en tire la conséquence que la classe qui fait la différence
08:47 et qui pourrait se porter vers Trump,
08:49 pour lui, puis contre lui,
08:51 c'est la partie de l'Amérique
08:52 où ces différences raciales n'ont pas grande importance.
08:56 C'est la petite... Ce qu'on appelle "lower middle class".
08:59 C'est les gens qui travaillent, mais qui gagnent pas beaucoup d'argent,
09:03 qui sont dans des endroits pas très centraux.
09:05 Dans ces milieux-là, les différences raciales
09:08 n'ont pas les mêmes importances que dans les villes.
09:11 L'important, pour moi, c'est pas Trump, c'est l'électorat.
09:14 Pourquoi l'électorat se penche plus vers lui ?
09:17 Il y a un certain nombre de critères dans les sondages.
09:20 A qui faites-vous le plus confiance pour garder la frontière ?
09:23 A qui faites-vous le plus confiance
09:25 pour défendre les intérêts américains à l'étranger ?
09:28 Pour l'économie ? Il est repassé devant Biden
09:31 alors qu'il était derrière.
09:32 Il faut toujours, en démocratie,
09:34 demander ce que pensent les électeurs
09:36 plutôt que d'épingler sur la personnalité.
09:39 -Sur ce point portant, Roger Cohen,
09:41 une politologue française, Blandine Barré-Crigel,
09:44 a écrit, il y a quelques années,
09:47 un ouvrage pour dire que les minorités
09:51 étaient mieux défendues
09:53 par des pouvoirs forts démocratiques.
09:56 Est-ce que vous avez ce sentiment
09:59 que ces minorités qui votent pour lui
10:02 considèrent qu'il les protégera mieux ?
10:05 Parce que c'est un paradoxe.
10:07 -C'est vrai que la minorité noire, aux Etats-Unis,
10:11 il y a des sondages qui indiquent
10:14 qu'ils ont beaucoup soutenu le président Biden
10:17 il y a quatre ans, qu'il y a 20 % en moins
10:19 qui vont soutenir Biden cette fois-ci,
10:22 surtout pour des raisons économiques,
10:24 parce qu'ils voient pas des changements.
10:27 Il y a beaucoup de soutien aussi,
10:29 et ça augmente, de la partie hispanique
10:32 des Etats-Unis,
10:34 pour Trump.
10:36 Je pense que cette question d'âge des deux candidats...
10:40 Enfin, Trump a quand même, je crois, 77 ans,
10:43 mais c'est intéressant que l'âge combiné
10:46 du président Macron et du Premier ministre Attal,
10:49 les deux, ensemble,
10:51 font encore moins que l'âge de Joe Biden.
10:54 Il y a quelque chose qui va pas.
10:56 Un des problèmes principaux avec cette élection,
10:59 c'est bien le fait que c'est une gérantocratie,
11:03 c'est une espèce de kremlinisation des Etats-Unis.
11:06 -Une précision, on dit,
11:09 dans la presse française
11:11 et la presse européenne,
11:14 que Trump est mieux portant que Biden
11:17 et que Biden, aujourd'hui,
11:20 aurait des pertes de mémoire,
11:23 des moments difficiles. -C'est certain.
11:26 -Donc, on le...
11:27 -Il a parlé deux fois du fait qu'il est venu...
11:31 Il a été élu,
11:33 à l'époque, du président Mitterrand,
11:36 en Allemagne.
11:37 Deux fois, il l'a dit.
11:39 Or, à ma connaissance,
11:42 Mitterrand n'a jamais été président de l'Allemagne,
11:45 mais il a essayé de parler du président Macron.
11:48 Les deux commencent avec la lettre M,
11:50 mais à part ça, c'est assez grave quand, deux fois,
11:53 il y a des trous de mémoire.
11:55 Ceci dit, je suis d'accord.
11:57 Le président Biden a eu une présidence,
11:59 moi, je dirais, il a tenu le coup, quoi.
12:03 C'était un moment difficile. -On va rentrer...
12:05 -L'économie tient.
12:07 L'Afghanistan, c'était pas très bien mené.
12:10 -Ecoutez, n'allons pas trop vite.
12:12 -Le comportement sur l'Ukraine, etc.
12:14 Donc, un peu comme le président Macron,
12:17 il n'est pas trop crédité
12:19 avec les choses qu'il est réussi à faire.
12:22 -Bon, écoutez, on va rester sur Trump, là.
12:25 Sylvie Berman, il exerce incontestablement
12:29 un effet de fascination, répulsion,
12:33 que ce soit dans le monde politique,
12:35 que ce soit dans les médias,
12:37 que ce soit aux Etats-Unis comme ailleurs dans le monde.
12:40 Si on voulait utiliser une figure psychologique,
12:45 on peut dire qu'il arrive à immuniser ses auditoires
12:48 en les accoutumant à ses fanfaronnades,
12:51 à ses mensonges.
12:52 Comment vous qualifieriez cette attitude ?
12:56 Est-ce que c'est du fascisme, du fascisme soft ?
12:59 Est-ce que c'est l'art maladif à faire le buzz ?
13:03 Est-ce que c'est un comportement de dictateur ?
13:06 Il faut en parler.
13:08 -Oui, mais je crois que c'est surtout
13:10 l'émanation des réseaux sociaux,
13:12 c'est-à-dire davantage de violence, le mensonge.
13:15 Aux Etats-Unis, il y a quelques années,
13:17 Clinton l'a connu, le mensonge était le pire des péchés.
13:21 Aujourd'hui, non, il suffit de dire un mensonge encore plus gros.
13:25 Donc, il y a ce côté fascinant du battleur, aussi.
13:29 C'est quelqu'un d'irrestructif, bien évidemment,
13:33 et il a...
13:35 On parlait de l'âge, tout à l'heure.
13:38 La différence, c'est ce qu'on appelle aux Etats-Unis
13:41 la stamina, c'est-à-dire l'espèce d'énergie
13:43 qu'a pas Biden et qu'incontestablement,
13:46 il a toujours.
13:47 C'est vrai que tout le monde est fasciné.
13:50 Avant son élection, il fait rire,
13:52 et on n'y croit pas,
13:54 et puis, c'était déjà arrivé,
13:56 ça peut arriver une deuxième fois,
13:58 et on se prépare peut-être pas suffisamment
14:01 aux conséquences. -On va parler des conséquences.
14:04 Comment vous qualifieriez son comportement politique ?
14:08 -Bon, écoutez... -Cette dictateur ?
14:10 -Trump, c'est par définition le démagogue même,
14:14 et il me rappelle, d'une certaine façon,
14:17 un sénateur qu'on a peut-être oublié en France,
14:20 mais qui s'appelait McCarthy.
14:22 C'est-à-dire qu'au fond, McCarthy savait manier les médias.
14:26 Pendant... Ca n'a pas duré longtemps,
14:28 mais ça a fait beaucoup de dégâts dans la société américaine.
14:32 McCarthy n'était pas candidat à la présidence des Etats-Unis,
14:35 mais en revanche, il a quand même exercé,
14:39 sur la société américaine, une très forte influence.
14:42 Trump, ne l'oubliez pas, en 2016,
14:46 n'a pas remporté les élections
14:49 d'une manière spectaculaire.
14:51 Il avait moins de voix qu'Hillary Clinton.
14:53 Il se trouve que dans le système américain,
14:56 ça ne l'a pas défavorisé, bien au contraire.
14:59 Donc, au fond, Trump,
15:01 ce n'est pas la majorité des Américains.
15:03 Ce que je crois, simplement,
15:05 c'est que l'Amérique étant profondément divisée,
15:08 il représente une certaine Amérique.
15:11 Et il a en face de lui une autre Amérique
15:14 qui est plutôt, elle, fractionnée.
15:16 Regardez ce qui se passe au sein du Parti démocrate.
15:20 Il y a une aile gauche, il y a un centre.
15:23 C'est-à-dire qu'en fait, il n'y a pas véritablement
15:26 une unanimité derrière Joe Biden.
15:29 Joe Biden est fortement critiqué au sein même de son parti.
15:33 Je veux donc dire qu'il y a une fracturation
15:37 très profonde de la société américaine
15:39 dont Trump profite.
15:41 -A votre avis,
15:43 Armand Laferrere,
15:45 excusez-moi, mais je vous mets cette casquette
15:48 d'ancien élève de l'école normale supérieure.
15:51 Et pour avoir votre avis,
15:54 pour avoir... -J'ai dû lire beaucoup de Caspi.
15:57 -Vous avez lu beaucoup.
15:58 -C'est pas une casquette ? -Oui.
16:00 -Ce n'est pas une arque ? -Non.
16:02 Il est aussi une arque. Voilà.
16:04 -Ah, pardon.
16:06 -Voilà, bon. -Inévitablement.
16:08 -Non, mais concernant...
16:10 Concernant Donald Trump, bon...
16:13 Vous arrivez à le mettre dans quelle catégorie ?
16:19 On a dit que c'était un démagogue, on a dit que c'était...
16:23 Ah bon. Est-ce que vous pensez
16:25 que, finalement,
16:27 il exprime la quintessence
16:31 des mauvais sentiments,
16:33 l'irrationnel ?
16:35 Pour paraphraser Raymond Aron, que vous connaissez bien.
16:39 Raymond Aron dit que dans une société,
16:42 quand la droite et la gauche
16:45 ne sont plus aimés du peuple
16:48 par représentative,
16:50 il y a un phénomène de bonapartisme,
16:53 c'est-à-dire qu'un outsider sort.
16:55 Est-ce qu'il est sorti comme ça, comme un outsider,
16:59 un méchant démon de la société américaine,
17:02 ou est-ce qu'il est vraiment le produit
17:05 de cette société américaine ?
17:07 Est-ce qu'il la représente véritablement ?
17:10 -Il ne représente pas toute la société.
17:12 -Bien entendu, mais par rapport à ça.
17:15 -Il représente une partie de la société américaine,
17:18 c'est pour ça qu'il est haut dans les sondages,
17:21 qui n'est pas définie...
17:23 Qui, au fond, est la partie de la société
17:28 qui estime qu'elle a été perdante ces dernières décennies.
17:31 Il a la majorité dans les "swing states",
17:34 dans les Etats qui peuvent passer de l'un à l'autre,
17:37 où il y a beaucoup de gens
17:38 qui sont soit de l'ancienne industrie en déclin,
17:41 soit des petites villes un peu isolées,
17:44 et dans ces milieux-là,
17:47 on peut voter démocrate comme on peut voter républicain,
17:50 et en ce moment, on vote beaucoup Trump
17:52 avec l'idée qu'on sera mieux représenté
17:55 parmi les élites à Washington
17:57 qu'on ne l'est sous l'actuel président.
17:59 C'est beaucoup ça, le phénomène.
18:01 Il a une habileté de communication considérable.
18:04 -Qu'en pensez-vous, Roger Cohen,
18:07 par rapport à cette sociologie politique ?
18:09 -Je ne sais pas exactement quelle étiquette mettre à Trump,
18:13 mais ce qui est sûr, c'est qu'il ne voit pas
18:16 que Donald Trump est un danger,
18:19 un vrai danger pour la démocratie américaine.
18:22 Il est aveugle.
18:23 Il est aveugle, parce qu'en fait,
18:26 il y a eu une élection en 2020 que Joe Biden a gagnée.
18:30 Or, Donald Trump l'a renié.
18:33 Et non seulement il l'a renié,
18:35 il a organisé, encouragé
18:38 un assaut au Capitole, à Washington,
18:42 le 6 janvier 2021.
18:45 Donc, et on peut supposer qu'il a déjà
18:50 un assez grand ego qui joue là-dedans.
18:53 Et cet ego, une fois, s'il était réélu,
18:57 je pense que la possibilité qu'il ne quitterait plus
19:01 son poste de président s'y élure,
19:04 et moi, je n'y crois pas encore, pour le moment,
19:07 mais s'il est réélu, la possibilité
19:11 qu'il ne quitterait pas son siège
19:15 de... -Mais cette majorité républicaine
19:17 qui vote pour lui... -Pas tout le pays.
19:20 -Non, pas tout le pays, mais il a quand même
19:23 la majorité républicaine avec lui.
19:25 -Il va avoir la nomination. -Oui, mais est-ce que vous
19:28 la qualifieriez de crypto-fasciste,
19:31 de réactionnaire ?
19:33 -Non, non, non. -Qu'est-ce qui l'a séduit ?
19:36 -Les sociétés ont changé. -Comment il arrive à la fascine ?
19:39 -Les partis politiques ont beaucoup moins d'importance.
19:43 On le voit en France, en Allemagne, on le voit partout,
19:46 parce que tout le monde, et Gabriel Attal, d'ailleurs,
19:49 l'a bien compris, il faut être présent
19:51 sur les médias sociaux,
19:54 et on va directement au peuple.
19:57 Et donc, les partis sont moins importants,
20:00 les Républicains s'alignent avec Trump,
20:02 parce que Trump a hypnotisé une partie importante
20:05 de la société américaine.
20:07 Je pense qu'il reflète des changements profonds
20:10 dans nos sociétés.
20:11 Il faut comprendre que le jeu a changé,
20:15 le jeu politique a changé, à mon avis.
20:17 -Sylvie Berman, vous, qui êtes une diplomate chevronnée,
20:21 vous avez rappelé que vous étiez en Grande-Bretagne,
20:24 mais vous avez été aussi dans ces régimes très autoritaires
20:28 que sont la Russie et la Chine.
20:31 Il y a une désillusion dans les pays
20:34 que nous habitons,
20:36 les pays démocratiques à l'égard de la politique
20:39 et même de la démocratie,
20:41 et l'Occident est attaqué
20:43 au sein même des démocraties occidentales.
20:47 La course au complotisme
20:50 que l'on voit sur les réseaux sociaux,
20:52 au conspirationnisme, au nationalisme, etc.,
20:55 elle n'est pas que le fait de Trump.
20:58 L'ancien président du Brésil, Bolsonaro,
21:02 l'actuel président d'Argentine, Milei,
21:05 on a vu Boris Johnson.
21:07 C'est quoi, cette émulation-là ?
21:10 Comment vous la ressentez ?
21:12 -Encore une fois, je crois que c'est les réseaux sociaux
21:15 qui ont beaucoup changé nos sociétés.
21:17 Vous aviez avant une forme de verticalité
21:20 qui supposait qu'on respectait l'expertise,
21:23 qu'on respectait les compétences,
21:25 qu'on respectait également les élus.
21:28 Ce n'est plus du tout le cas.
21:30 C'est-à-dire qu'il y a maintenant une forme d'horizontalité
21:33 où chacun pense que son opinion est aussi valable,
21:36 si non plus valable, que celle d'un prix Nobel
21:39 ou d'un élu.
21:40 -Ca veut dire que c'est une régression.
21:44 Parce que ce qu'on observe aujourd'hui,
21:46 ça a été observé par Anne Arendt,
21:49 ça a été observé par Raymond Haron,
21:51 ça a été observé par Sigmund Freud,
21:53 à savoir que les peuples sont guidés
21:58 par l'émotion et par l'irrationnel
22:01 plus que par la raison.
22:02 Ca veut dire qu'on régresse à ce niveau-là.
22:05 On ne va pas faire croire
22:06 que c'est la technologie qui nous fait régresser.
22:09 -Parce que la technologie offre la parole à tout le monde
22:13 au même niveau qu'à celui d'un président de la République
22:17 qui se fait constamment insulter
22:20 ou d'un prix Nobel.
22:22 C'est ça qui a changé.
22:23 La technologie, c'est une ouverture fantastique
22:27 et une possibilité d'élargir ses connaissances,
22:30 mais c'est aussi, malheureusement,
22:33 la possibilité d'avoir des appels à la haine,
22:37 des insultes, et ça, on le retrouve.
22:41 Effectivement, on a créé la vérification des fesses,
22:44 le fact-checking, mais ça ne fonctionne pas.
22:47 Les complotistes continuent qu'ils ont raison
22:50 de penser ce qu'ils pensent,
22:52 parce qu'ils ne sont pas tout seuls.
22:54 Avant, ils le faisaient au pub, au café,
22:56 maintenant, sur la réseau social.
22:59 -Il faut le dire.
23:00 Est-ce que vous pensez qu'en France,
23:03 des partis politiques incarnent ce conspirationnisme ?
23:08 -Ecoutez...
23:09 -Parce qu'on a eu des scènes à l'Assemblée nationale
23:13 qui ne sont pas très démocratiques.
23:17 -Tout à fait. Vous avez effectivement
23:19 des violences du non-respect de l'autre
23:23 qui n'existaient pas auparavant.
23:26 Quand on appelle à décapiter le président de la République,
23:29 c'est quand même un problème.
23:31 -André Caspi, comment vous expliquez
23:33 ce trumpisme international ? Il n'est pas tout seul.
23:36 -Attendez, je veux quand même préciser
23:38 qu'à l'Assemblée nationale, ou avant,
23:41 dans ce qui était l'équivalent de l'Assemblée nationale,
23:44 il y a toujours eu des bagarres.
23:46 Ca n'a jamais été le calme absolu.
23:48 Rappelez-vous les échanges entre Clémenceau et les autres,
23:52 ça, ça date du début du 20e siècle.
23:55 Autrement dit, je pense que...
23:57 -C'est pas un progrès...
23:59 -Il n'y a pas un changement fondamental
24:01 de ce point de vue-là.
24:02 Mais ce qui me semble évident,
24:05 c'est qu'aujourd'hui, en effet,
24:07 les réseaux sociaux tiennent une place capitale.
24:09 Regardez l'importance d'Elon Musk.
24:12 Elon Musk, qui est l'homme le plus riche du monde,
24:15 comme chacun sait, qui peut dire tout et n'importe quoi
24:18 et revenir sur ce qu'il a dit,
24:20 mais tout cela montre que c'est un homme qui est remarquable,
24:24 parce que je ne sais pas si vous conduisez une Tesla...
24:27 -Non, je n'ai pas de Tesla. -Non, je n'ai pas encore de Tesla.
24:30 Je ne sais pas si vous montez dans le SpaceX...
24:34 -Pas encore. C'est trop cher pour moi.
24:36 -Ca viendra peut-être.
24:38 Donc tout cela, ce sont des inventions d'Elon Musk.
24:41 Il y a une transformation profonde de la société,
24:44 et cette transformation profonde de la société
24:46 se fait aussi par l'internet.
24:48 -Oui, mais le trumpisme, c'est pas le cash sexe
24:51 du populisme qui est partout dans la planète.
24:55 -Oui, dans un certain sens, oui, mais d'un autre côté,
24:58 il y a des caractéristiques qui sont profondément américaines.
25:02 Au fond, est-ce que Trump pourrait agir de la même façon
25:06 en France, en Belgique ou aux Etats-Unis ?
25:09 Je n'en suis pas certain.
25:11 Je crois que c'est profondément quelque chose
25:13 qui est ancré dans la société américaine
25:16 et que l'on ne retrouve pas encore,
25:18 ou qu'on ne le retrouve pas du tout dans les sociétés occidentales.
25:22 -Vous n'avez pas l'air d'accord.
25:24 -Je suis assez d'accord avec ce qu'a dit André.
25:27 Ce avec quoi je ne suis pas d'accord,
25:29 c'est que je ne crois pas que l'on serait face
25:32 à un immense cataclysme qui va débouler.
25:34 Il y a un phénomène Trump qui prend une grande partie,
25:37 d'ailleurs pas tout, du Parti républicain
25:40 et qui réussira à obtenir les voix des gens
25:42 qui sont sceptiques au sein du Parti républicain.
25:45 À la fin, il y a des électeurs qui disent qu'on a deux choix
25:48 et qui choisissent celui qui leur paraît le moins mauvais,
25:52 comme toujours.
25:53 Je ne crois pas une seconde à ce qu'a dit Roger
25:56 sur le fait qu'il pourrait rester au pouvoir,
25:58 parce qu'il sera entouré de gens,
26:00 dans les armées, dont la moitié n'auront pas voté pour lui.
26:04 Les institutions n'accompagneraient pas,
26:06 même si la tentation, si je suis d'accord,
26:09 pourrait lui venir.
26:10 Je crois que le risque pour les institutions est zéro.
26:13 Je crois que le risque pour la société n'est pas zéro,
26:17 parce qu'effectivement, il y a de la rhétorique très déplaisante,
26:20 des choses comme ça qui sont pas...
26:22 Mais je crois aussi qu'à la fin, les électeurs ont un choix
26:26 et ils prennent celui qui leur paraît le moins mauvais.
26:29 Quand on dit "les électeurs", c'est 51 ou 52 % des électeurs,
26:32 ou 48 %, parce qu'on peut gagner avec 48 % des voix.
26:35 Ca ne change pas... -Et même parfois moins.
26:38 -Ca ne change pas ce qu'est la société américaine,
26:41 où les deux parties s'équilibrent.
26:43 -Un président américain qui téléphone
26:46 au secrétaire d'Etat de l'Etat de Georgie et dit
26:49 "Trouvez-moi 20 000 votes", c'est rien du tout,
26:52 "j'ai besoin de 20 000 votes", dire de cet homme
26:55 qu'il n'y a pas un danger qui reste au pouvoir,
26:58 je trouve que, à mon avis, c'est naïf.
27:00 Je suis d'accord que la démocratie américaine
27:03 a survécu une fois à Trump,
27:05 et que les institutions sont fortes,
27:08 mais renier que cet homme ne soit pas dangereux,
27:12 me semble, ne pas regarder les fêtes.
27:15 Il y a beaucoup de fêtes.
27:17 Le 6 janvier a eu lieu.
27:20 Et si Mike Pence n'aurait pas tenu une certaine ligne,
27:24 on ne sait pas.
27:25 Il y a des façons de rester au pouvoir.
27:28 -Si vous citez l'appel de Trump au secrétaire d'Etat de la Georgie,
27:33 le secrétaire d'Etat n'a pas voulu le faire.
27:36 Autrement dit, il y a une résistance.
27:38 -Oui, il y a une résistance.
27:40 -Il y a une tentation qui est manifestée par Trump,
27:43 mais il y a encore des contre-pouvoirs,
27:45 heureusement, qui l'empêchent d'aller jusqu'au pouvoir.
27:49 -Alors, écoutez...
27:50 -Juste un détail sur ce fameux secrétaire d'Etat.
27:53 J'étais à Moscou,
27:54 et Moscou a publié une liste de 400 noms
27:57 au mois de mai de l'année passée
28:00 de gens qui n'ont plus le droit d'entrer en Russie,
28:03 parmi lesquels le secrétaire d'Etat de la Georgie.
28:06 Donc, on comprend bien à quoi le président Poutine s'attend,
28:09 c'est-à-dire à la réélection de Trump.
28:12 Il fera tout pour que ça ait lieu.
28:15 Musique rythmée
28:18 ...
28:21 -Donald Trump ne porte pas l'Europe dans son coeur.
28:26 S'il est élu, est-ce qu'on doit s'attendre
28:30 à un durcissement des relations commerciales
28:33 entre l'Europe et les Etats-Unis ?
28:35 Certains vont jusqu'à dire la fin de l'axe euro-atlantique.
28:40 Alors, Sylvie Berman ?
28:42 -Trump avait déclaré à un moment
28:44 que les Européens étaient des ennemis pires que la Chine,
28:47 et quand il en aurait fini avec la Chine,
28:49 il s'attendrait aux Européens.
28:51 Donc, effectivement, il y a des risques
28:54 sur le plan économique,
28:55 parce qu'il considère que les Européens
28:58 sont des concurrents. Par ailleurs,
29:00 il considère aussi que les Européens profitent
29:04 de l'Amérique, en particulier dans le cadre de l'OTAN.
29:07 -On va aborder ça, après.
29:09 -Oui, mais ça fait partie de son attitude
29:12 vis-à-vis des Européens.
29:14 Donc oui, bien évidemment qu'il y aura des conséquences.
29:18 Les Européens devraient d'ailleurs davantage s'y préparer.
29:21 Ca peut aussi, d'une certaine forme,
29:23 si on considère les avantages,
29:25 être une seconde chance pour l'Europe,
29:28 pour qu'elle s'affirme davantage,
29:30 pour qu'elle développe l'Europe de la défense.
29:33 -C'est pas le cas pour le moment.
29:34 Mais est-ce que vous diriez que Trump,
29:37 dans sa machinerie psychique,
29:40 est europhobe ?
29:41 Parce qu'il a quand même des origines allemandes...
29:45 -Oui. -Et...
29:46 -Il y a beaucoup de gens qui pensent pas que ça joue beaucoup.
29:50 -Oui, mais alors ?
29:51 -La plupart des Américains... -Il a dit qu'il était
29:54 d'origine soinoise. -Il a dit qu'il était d'origine
29:57 soinoise. -Mais est-ce que vous le diriez
29:59 "europhobe" ? -Non, je dirais simplement
30:02 que l'Europe, pour lui,
30:03 ça n'est évidemment pas une priorité.
30:06 Et en tout cas, c'est un fardeau.
30:09 C'est-à-dire un fardeau dont les Etats-Unis
30:12 devraient se débarrasser le plus rapidement possible.
30:15 Parce qu'il estime que la véritable difficulté
30:20 pour les Américains, c'est de s'opposer à la Chine.
30:23 Et peut-être, pour s'opposer à la Chine,
30:26 de s'entendre avec Poutine.
30:28 C'est-à-dire qu'au fond, il y a tout un arrangement
30:31 diplomatique que Trump semble esquisser.
30:34 Moi, je ne suis pas non plus dans la cervelle de M. Trump.
30:38 Mais d'après ce que l'on entend,
30:41 ça voudrait dire, au fond, que pour lui,
30:43 l'Europe, les Européens doivent se débrouiller tout seuls.
30:46 Il ne doit pas défendre les Etats-Unis.
30:49 -Il vomirait l'Europe, pourquoi ?
30:51 Il est contre les Lumières, la Renaissance.
30:53 A votre avis, Armand ?
30:55 -Non, c'est pas le sujet.
30:57 Le sujet, c'est que ça coûte cher de défendre l'Europe
31:00 et que c'est un concurrent commercial.
31:02 Il voudrait que ça coûte moins cher,
31:04 que l'Europe dépense plus pour sa propre défense.
31:07 -On va rentrer là-dedans.
31:09 Vous ne pensez pas qu'il y a chez lui
31:11 une situation d'anti-européen ?
31:13 -Non, je suis d'accord.
31:15 Je pense que c'est surtout une question économique,
31:18 mais il faut souligner une chose,
31:20 c'est que la situation mondiale est très différente
31:23 maintenant qu'en 2016.
31:26 Si Donald Trump est réélu,
31:28 il confrontera deux guerres.
31:31 Deux guerres.
31:32 Une guerre en Europe, une guerre en Ukraine,
31:35 qui va durer, à mon avis, longtemps,
31:37 et une guerre au Moyen-Orient.
31:39 -Avoir un président irresponsable
31:42 à un moment où il n'y a pas de guerre
31:45 est différent d'avoir un président américain
31:47 si, par exemple, l'aide américaine à l'Ukraine cesse.
31:52 Qu'est-ce que les Européens vont faire ?
31:54 -Mais Roger, vous parlez des guerres en Ukraine
31:58 et de la guerre actuellement en Israël et Gaza.
32:01 Est-ce que vous diriez qu'au regard de l'extension possible
32:04 de ces guerres, que ce sont des guerres de civilisation ?
32:08 Parce qu'elles vont bien au-delà du terrain où elles s'exercent,
32:12 puisqu'elles remettent en cause l'Occident
32:15 et l'avenir du monde.
32:16 -Certainement, la guerre en Ukraine,
32:19 pour Vladimir Poutine, c'est une question de...
32:22 C'est une guerre impérialiste.
32:24 Il a maintenant une idéologie,
32:26 disons, de nation, de famille, de religion, etc.,
32:31 et il fait un portrait...
32:32 En dépit du fait que, quand j'étais en Russie,
32:35 je ne rencontrais que des femmes qui étaient divorcées
32:38 avec des jeunes enfants,
32:40 et que tout ça, c'est complètement...
32:42 Et il fait un portrait d'une Europe complètement décadente.
32:46 Donc là, il y a, dans un sens, une espèce de, comme vous le dites,
32:50 de guerre de civilisation, même si ce portrait
32:53 est fondamentalement assez faux, à mon avis.
32:57 Mais les partis de droite en Europe,
32:59 ils aiment bien Poutine pour ça.
33:02 Dire que la guerre actuelle...
33:05 Israël-Gaza, Israël-Palestinien
33:08 est une guerre de civilisation, non.
33:10 -C'est pas une guerre contre le terrorisme ?
33:13 -Bah oui, une guerre...
33:15 Il y a une guerre contre Hamas, oui,
33:17 mais est-ce que ça, c'est une guerre de civilisation ?
33:20 Je ne qualifierais pas Hamas d'une civilisation, non.
33:23 -C'est l'anti-civilisation.
33:25 -Si vous voulez bien, oui, c'est l'anti-civilisation.
33:28 Ce qu'il y a, c'est que la...
33:31 Enfin, la...
33:33 Les Palestiniens, maintenant,
33:35 dans l'optique culturelle actuelle et aux Etats-Unis,
33:40 sont vus, perçus d'une autre manière,
33:42 c'est-à-dire faisant partie
33:45 des indigènes du monde,
33:49 des gens qui ont souffert,
33:51 qui n'ont pas suffisamment de justice sociale,
33:55 et donc, c'est englobé par la partie gauche
33:59 du Parti démocratique aux Etats-Unis.
34:03 Donc, ça fait plus une guerre généralisée dans ce sens-là,
34:06 mais non, c'est une guerre pour une...
34:08 Il y a les Israéliens, les Palestiniens,
34:11 il y a un petit morceau de terre,
34:13 et/ou il y a un compromis sur deux Etats,
34:16 ou ça continue.
34:18 -Alors, oui, allez-y.
34:20 -Ce que je voulais ajouter, c'est que c'est quand même Trump
34:23 qui a réussi à mettre en place ces accords d'Abraham.
34:27 C'est quand même quelque chose d'extraordinaire, ça.
34:30 -Oui, c'était très important.
34:32 -Ca mettait à côté le coeur du conflit.
34:35 Le coeur du conflit, c'est ce que je viens de dire.
34:38 -Aujourd'hui, par exemple, Joe Biden
34:40 essaye, dans toute la mesure du possible,
34:42 et par l'intermédiaire d'Antony Blinken,
34:45 il essaye de faire rentrer dans le jeu l'Arabie saoudite.
34:50 C'est-à-dire qu'au fond, on retrouve un élément
34:53 de la politique, d'ailleurs, de Donald Trump.
34:56 -Pendant trois ans, l'administration Biden
34:59 n'a pas parlé une seule fois
35:01 de l'importance d'avoir deux Etats.
35:03 C'est une espèce de... -C'est une redécouverte.
35:05 -Les Palestiniens en retour. -Revenons là-dessus.
35:09 Armand Laferrère.
35:11 Conflit en Ukraine,
35:13 guerre pour l'Europe,
35:15 conflit au Proche-Orient
35:18 avec des extensions,
35:21 puisque les extensions sont là,
35:23 sont concernées l'Iran, la Syrie, le Yémen,
35:27 une éventuelle réconciliation entre Israël et la Syrie,
35:31 qu'est-ce qu'est l'Arabie saoudite ?
35:33 Est-ce qu'à votre avis,
35:34 que fera Trump par rapport à ces guerres-là
35:38 et à ce qu'elles impliquent en termes de civilisation ?
35:42 -Je crois qu'il faut distinguer l'Ukraine du Moyen-Orient.
35:45 En Ukraine, très clairement,
35:47 il a commencé à dire un peu ce qu'il voulait,
35:50 il veut que ça s'arrête, trouver un compromis,
35:53 forcer les deux parties.
35:54 On ne peut pas les forcer, ils ont envie de s'entretuer,
35:57 mais créer des fortes incitations
36:00 au fond à un système dont on sent comment ça se dirige,
36:05 un système dans lequel l'Ukraine reçoit des garanties de sécurité
36:09 et renonce à la partie déjà occupée.
36:11 -Toute la partie occupée, dont base compris ?
36:14 -Semble-t-il. J'en sais rien.
36:16 Je ne suis pas dans la tête de Trump.
36:18 Mais ça ressemble à ça,
36:19 puisqu'il dit qu'il veut un compromis rapide.
36:22 -Vous pensez qu'il arrêtera les livraisons d'armes ?
36:25 -Je pense qu'il ne les arrêtera pas,
36:27 mais qu'il fera pression en les diminuant
36:30 pour que Zelensky accorde
36:31 et qu'il trouvera un autre moyen de pression sur Poutine.
36:35 Par ça, ça marchera ou pas,
36:36 parce que quand on a envie de faire la guerre,
36:39 c'est pas forcément un président des Etats-Unis
36:42 qui peut vous en empêcher.
36:43 Au Moyen-Orient, on peut penser qu'il sera dans la continuité
36:46 de ce qu'il a fait quand il était déjà président,
36:49 où la question de l'Ukraine ne se posait pas.
36:52 Au Moyen-Orient, c'est l'idée d'encourager
36:55 ce que l'Israël et les Arabes veulent depuis longtemps,
36:59 c'est-à-dire de se mettre d'accord sur le dos des Iraniens.
37:02 Et ça semble être tout à fait son objectif général.
37:05 -Et si nécessaire, en faisant la guerre contre l'Iran ?
37:09 -Alors, ça, un jour, il faudra peut-être arrêter
37:12 la loi incompréhensible selon laquelle l'Iran a le droit
37:15 de tirer sur qui il veut et personne n'a le droit de tirer sur l'Iran,
37:19 qui est un truc qui existe depuis 40 ans,
37:21 que je n'ai jamais compris.
37:23 On a le droit de tirer sur les annexes de l'Iran,
37:26 alors que l'Iran a toute liberté pour tuer qui il veut.
37:28 Donc peut-être que ça sera à cette occasion,
37:31 peut-être que ça sera plus tard, j'en sais rien.
37:34 Mais peu importe, je ne peux pas savoir.
37:36 Mais l'idée fondamentale des accords d'Abraham,
37:39 qu'il y ait des intérêts communs entre les Arabes et les Israéliens
37:42 pour la stabilisation de la région contre une puissance chaotique
37:46 qui veut créer le chaos qui est l'Iran,
37:48 il n'y a pas de raison que ça soit très différent
37:51 s'il y avait une deuxième administration.
37:54 -A votre avis, Sylvie Berman,
37:56 sur les deux conflits,
37:57 Ukraine et Moyen-Orient,
37:59 quelle serait la position de Trump ?
38:02 -Oui, je suis assez d'accord.
38:04 Sur l'Ukraine, il l'a annoncé,
38:06 en disant qu'il réglerait le problème en 24 heures.
38:09 -C'est faux, évidemment.
38:11 -En 24 heures, bien évidemment que non.
38:13 Mais il sait très bien ce qu'il peut faire.
38:15 Je pense que Poutine, à un moment donné,
38:18 sera prêt à arrêter la guerre
38:20 à condition qu'il garde des territoires.
38:23 Quant à l'Ukraine, elle est en train de perdre
38:26 dans la mesure où elle n'a pas suffisamment d'hommes,
38:29 pas suffisamment de munitions,
38:31 et là-dessus, Donald Trump peut faire un chantage
38:35 en disant "J'arrête totalement,
38:37 "et donc votre intérêt, c'est d'avoir un accord."
38:40 La contrepartie de...
38:42 ...de l'abandon de territoire
38:47 serait évidemment des garanties absolues
38:50 pour que la Russie ne puisse jamais recommencer
38:53 soit par adhésion à l'OTAN
38:54 avec une Ukraine dans de nouvelles frontières,
38:57 soit par une garantie des membres permanents
39:00 ou, en tout cas, d'un certain nombre de pays,
39:03 dont les Etats-Unis.
39:05 Je pense que c'est pas du tout impossible, en réalité.
39:08 D'ailleurs, même Zelensky a dit à un moment
39:12 à propos du Donbass,
39:13 "On ne peut pas forcer des gens qui ne veulent pas de vous,
39:16 "qui vivent, finalement, comme les Russes,
39:19 "à revenir dans l'Ukraine."
39:21 Je pense que ce n'est pas impossible.
39:23 C'est pas aussi facile qu'il imagine,
39:25 mais il a réussi pour les accords d'Abraham,
39:28 comme ça a été rappelé.
39:29 Pour le Moyen-Orient, ce qui est très difficile,
39:32 c'est que vous avez pour le moment des dirigeants,
39:35 qui, effectivement, ne sont pas prêts à un accord,
39:38 qu'il s'agisse de Netanyahou, du Hamas
39:40 ou même du dirigeant de l'OTAN,
39:42 mais les Américains ont déjà commencé à discuter.
39:45 C'est pour ça qu'Antony Blinken a été à Paris
39:47 et qu'il continue sa tournée.
39:50 Et Trump évite à tout prix
39:51 qu'il y ait des accords sous Biden.
39:53 C'est la raison pour laquelle
39:55 il a donné instruction à ses partisans au Congrès
40:00 de ne pas voter l'aide à l'Ukraine,
40:02 mais il y avait en même temps l'aide à Israël
40:06 et puis, également, des accords sur la frontière.
40:09 Il veut que ce soit lui qui engrange tout cela.
40:12 -Je peux dire juste une chose ?
40:15 -Oui, je vous en prie.
40:16 -Je n'en suis pas d'accord.
40:18 Je... Sylvie, je...
40:21 L'idée, pour moi, que Donald Trump pressionne Poutine,
40:25 dans tout ce qu'on a vu vers la paix,
40:28 tout ce qu'on a vu pendant les premiers quatre ans,
40:31 c'est que, probablement, il y a une espèce de compromat
40:35 de Poutine sur...
40:37 Chaque fois que Poutine a parlé,
40:39 Donald Trump était d'accord.
40:42 Il était d'accord, il n'a jamais confronté Poutine
40:45 sur quoi que ce soit.
40:47 Maintenant, au moins, on aurait l'idée
40:49 que ce conflit, qui dure depuis 75 ans,
40:53 qu'on pourrait l'arranger, peut-être,
40:56 en mettant les Palestiniens et les Israéliens d'accord
41:00 pour confronter l'Iran.
41:01 -Pas pour confronter l'Iran.
41:03 -Il y a les Palestiniens dedans.
41:05 Si ça se fait, c'est entre Israéliens et Palestiniens.
41:09 Il faut... Ou il y a des autres gens.
41:12 -André Gaspi, vous voulez où ?
41:13 Attendez que chacun puisse s'exprimer.
41:16 -Tout à l'heure, on parlait de l'Iran,
41:18 mais non seulement il y a eu les accords d'Abraham sous Trump,
41:22 mais c'est aussi Trump qui a décidé
41:25 d'assassiner le général Soleimani.
41:28 Au fond, il y a une réaction à l'encontre de l'Iran.
41:31 Et puis, il me semble que dans notre conversation,
41:34 il manque un interlocuteur principal.
41:37 C'est la Chine, et ça, c'est l'obsession de Trump.
41:40 L'obsession de Trump, c'est la Chine sur le plan commercial,
41:44 bien sûr, mais c'est aussi la Chine sur le plan stratégique
41:48 et avec les menaces qui pèsent éventuellement sur Taïwan.
41:52 Au fond, si Trump veut se débarrasser de l'Ukraine,
41:56 c'est aussi parce qu'il pense à la Chine
41:58 et qu'il considère, en somme, que la Chine doit être la priorité
42:02 dans les relations internationales des Etats-Unis.
42:05 -André Gaspi, y a-t-il une contradiction
42:08 dans ce que vous dites ?
42:09 Si vous dites que Trump est d'accord,
42:12 serait favorable à un accord en Ukraine
42:17 en dépeçant l'Ukraine du Donbass,
42:20 à partir du moment où il encouragerait
42:24 cette dimension impérialiste, en quelque sorte, de la Russie,
42:29 ça encouragerait la Chine à envahir Taïwan
42:32 et non pas le contraire.
42:34 -Attendez. L'essentiel pour Trump,
42:38 ce sont les relations à la fois économiques,
42:41 commerciales avec la Chine... -Mais Taïwan joue là-dedans.
42:44 -Au fond, le Donbass, j'espère pour lui qu'il sait où ça se trouve.
42:48 -C'est plus que le Donbass.
42:50 -J'espère pour lui qu'il sait où ça se trouve,
42:52 mais c'est pas certain.
42:54 En tout cas, il sait très bien où se trouve la Chine
42:57 et il sait très bien les intérêts que la Chine peut avoir,
43:00 soit en Russie, soit dans le reste du monde.
43:03 -On est d'accord, mais Taïwan est le premier producteur
43:06 de semi-conducteurs. C'est un pays qui compte
43:09 les relations économiques. -C'est pour ça que Trump
43:12 est particulièrement attentif aux relations avec la Chine.
43:15 -Qu'en pensez-vous ?
43:17 -Je crois que la Chine, c'est plus qu'une préoccupation,
43:22 c'est une obsession.
43:24 D'ailleurs, à partir du moment... -Pour faire quoi ?
43:27 -Il a évité que la Chine devienne la première puissance.
43:31 On a parlé aux Etats-Unis du piège de Thucydide,
43:34 où la puissance en place ne veut pas de l'émergence
43:39 d'une nouvelle puissance. C'est un peu cela.
43:42 -Oui, mais il y a une continuité.
43:44 Obama, Biden, ils sont tous contre le fait
43:50 que la Chine devienne la première puissance.
43:53 -C'est d'abord le Financial Times qui a dit
43:56 que Trump avait lancé le coup d'envoi
43:59 de la Nouvelle Guerre froide
44:01 en décrétant un blocus technologique
44:03 contre la Chine,
44:06 qui a été repris, effectivement,
44:08 par son successeur, bien évidemment.
44:11 C'est clair que c'est là que se situe le problème.
44:15 Maintenant, les semi-conducteurs à Taïwan,
44:18 les Etats-Unis ont ouvert une usine
44:20 de TSMC, donc de semi-conducteurs à Taïwan.
44:25 J'ajoute une dernière chose.
44:27 Comme Donald Trump fait toujours des déclarations
44:30 un peu intempestives, il a montré un jour
44:33 à ses généraux le globe terrestre en disant
44:36 "Vous voyez où est la Chine, où est Taïwan,
44:39 "vous voyez où on est", donc on n'ira pas.
44:42 Il n'y a pas de garantie non plus pour Taïwan.
44:45 -Vous semblez dire qu'une élection de Trump
44:49 ne signifierait pas que ça favoriserait
44:53 un conflit entre la Chine continentale et Taïwan.
44:58 -La Chine a son propre tempo,
45:01 elle prendra ses décisions en fonction de ses intérêts.
45:04 Bien sûr, s'il y a quelque chose qui est jugé comme provocateur,
45:08 ça risque d'inciter les Chinois à réagir,
45:11 comme ça a été le cas pendant la visite de Nancy Pelosi,
45:14 où ils ont fait effectivement un exercice
45:17 en grandeur nature,
45:20 mais en même temps, même Trump a évité
45:23 à certains moments qu'il y ait une escalade
45:26 entre la Chine et les Etats-Unis,
45:28 malgré ces déclarations qui peuvent être parfois incendiaires.
45:33 -Armand Laferrère, on dit que Trump
45:36 ne nourrit pas les meilleurs sentiments
45:39 et c'est un euphémisme à l'égard de l'Europe.
45:42 Mais en vous écoutant, si Trump était élu
45:45 et qu'un accord factice,
45:48 mais accord, se faisait sur l'Ukraine,
45:51 qu'est-ce que l'Europe devrait changer ?
45:54 Est-ce que vous croyez que ça amènera une Europe puissante,
45:58 d'autant plus qu'on constate que pour les livraisons d'armes,
46:02 l'Europe qui dit soutenir l'Ukraine
46:05 n'arrive pas à livrer tous les armements nécessaires
46:08 aux Ukrainiens pour se défendre ?
46:10 -C'est la question fondamentale.
46:12 -Vous croyez à cette Europe puissante ?
46:15 -Sous Obama, l'Amérique a essayé de devenir un peu comme l'Europe
46:19 et n'a pas vraiment réussi.
46:20 Sous Trump, l'Europe devrait devenir un peu plus comme l'Amérique,
46:26 fabriquer plus d'armes, s'organiser mieux militairement.
46:29 Est-ce qu'elle y parviendrait ? Je n'en sais rien.
46:32 Les signaux ne sont pas très bons,
46:34 mais les signaux ne sont pas très bons aussi
46:36 parce qu'on estime que le show-gold américain
46:40 va venir en dernier recours.
46:42 Donc, aucune idée,
46:44 mais ça sera la question essentielle dans cette hypothèse.
46:47 -Roger Cohen, vous pensez que ça amènera l'Europe
46:50 à devenir une Europe puissante
46:52 si Trump arrive à la Maison-Blanche ?
46:55 -Une Europe puissante ? Non, mais je pense que l'Europe,
46:59 ayant déjà eu l'expérience de Trump,
47:02 sait que c'est important, comme dit le président Macron,
47:06 de développer un degré,
47:08 un plus grand degré d'autonomie stratégique.
47:12 Ceci dit, la guerre en Ukraine a démontré
47:15 que sans l'aide militaire des Etats-Unis,
47:18 l'aide européenne a été importante, je ne veux pas dire le contraire,
47:21 mais l'aide américaine a été et reste
47:25 décisive. Je dois dire que je pense
47:27 qu'on parle d'un accord en Ukraine
47:29 avec une espèce de légèreté, de manque de sérieux,
47:32 qui me choque. On passait un mois en Russie,
47:35 l'année dernière, et auparavant, un mois en Ukraine.
47:39 L'idée est que Zelensky, après les sacrifices...
47:42 Après les sacrifices ukrainiens,
47:45 pourrait dire "oui, bon, OK,
47:47 "vous prenez tout ce que vous avez pris,
47:49 "on se met d'accord, et moi, je vais rentrer dans le...
47:52 "L'Ukraine va rentrer dans l'automne."
47:55 C'est absolument impensable.
47:58 Et en plus, vous avez dit
48:00 qu'un éventuel président Trump
48:03 se débarrasserait de l'Ukraine
48:06 pour se concentrer sur la Chine.
48:08 Mais de quoi il se débarrasse, en fait ?
48:11 Il se débarrasse... -De l'aide.
48:13 -De la loi internationale.
48:16 Il y a des centaines de milliers d'Ukrainiens
48:19 qui sont morts parce que le président Poutine
48:22 avait choisi d'envoyer un voisin
48:25 dont la Russie avait reconnu les frontières
48:29 en 1994.
48:31 Donc, c'est quelque chose de très grave
48:33 qui concerne nos démocraties.
48:35 C'est pas un truc qu'on peut vendre comme ça,
48:38 qu'on peut abandonner comme ça.
48:40 Si on l'abandonne, je pense que c'est grave,
48:42 et que ça va être grave pour l'Europe.
48:44 -C'est certainement très grave, vous avez tout à fait raison.
48:48 Mais est-ce que vous pensez, pour répondre à la question,
48:51 est-ce que vous pensez qu'une fois que Trump serait élu,
48:55 je mets le conditionnel,
48:57 une fois qu'il serait élu,
48:58 vous pensez que l'Europe se réunifierait davantage,
49:01 se renforcerait ? Mais c'est l'inverse.
49:04 C'est tout à fait l'inverse.
49:05 C'est-à-dire que chacun des pays qui constituent l'Europe
49:09 n'aurait qu'une seule ambition,
49:11 c'est de se retrouver dans une situation
49:13 plutôt favorable avec Trump.
49:16 Et, au fond, Trump pourrait jouer sur la division des Européens
49:21 sans aucune difficulté.
49:22 -Je le crois. -En montant la perrère.
49:25 -Oui, donc, je veux simplement dire à Roger que, bien sûr,
49:29 c'est grave, bien sûr, c'est monstrueux,
49:32 ce qui se passe en Ukraine.
49:33 Le problème, c'est que les réalités militaires
49:36 l'emportent toujours sur les réalités politiques et morales.
49:39 Soit militairement, on peut vaincre les Russes, soit on ne peut pas.
49:43 Et tout le reste s'en suit.
49:45 C'est...
49:46 C'est pour ça que c'est malheureusement,
49:49 peut-être, comme ça, que ça va se terminer.
49:51 Ca rendra pas les choses moins graves.
49:53 -Sylvie Berman. -Je partage cet avis.
49:55 Je veux dire, il y a, effectivement, la morale,
49:58 il y a la justice, et un tel accord serait contraire
50:01 à la morale, à la justice internationale.
50:04 Mais ce qui compte aussi sur la scène internationale,
50:07 c'est les rapports de force. -Justement, parlons,
50:10 et on va conclure cette émission, sur les rapports de force.
50:13 Actuellement, nous ne sommes pas en guerre froide,
50:16 mais le monde est clivé.
50:19 Vous avez, d'un côté, quoi qu'on dise,
50:21 parce qu'il y a de l'euphémisme,
50:23 il y a des puissances démocratiques occidentales,
50:26 d'un côté, il y a ce qui s'est constitué,
50:28 ce qu'on appelle ce sud global, qui agrège un peu tout,
50:32 de la Russie à la Chine,
50:34 mais également l'Iran, l'Afrique du Sud, etc.
50:37 Est-ce que vous croyez que l'élection d'un Trump,
50:41 hypothétique, parce qu'il n'est pas élu,
50:43 alors qu'il est... Bon, est-ce que ça va...
50:46 Dans quel sens il irait, lui ?
50:48 Il essaierait de brouiller cette chose-là
50:51 ou il se retrouverait dans le camp,
50:54 disons, démocratique et occidental ?
50:57 -Le problème, c'est que les Etats-Unis
51:00 ont souffert de l'attaque contre le capital
51:03 et ce n'est plus une démocratie exemplaire non plus.
51:06 -Quand on y va, c'est un pays démocratique.
51:09 -Bien sûr, mais avec un président
51:12 qui a un comportement
51:15 qui ne l'est pas, et en tout cas,
51:17 ça affaiblit le message démocratique dans le monde.
51:20 Il y a 30 démocraties dans le monde, ou 32.
51:23 C'est en diminution, c'est pas en augmentation.
51:27 Donc je pense qu'en fait, il s'appuiera,
51:29 quand il aura besoin du soutien de tel ou tel pays dans le monde,
51:33 que ce soit le Japon, la Corée, contre la Chine,
51:36 il s'appuiera dessus.
51:39 Ensuite, il y a une relation spéciale avec Poutine.
51:42 Il n'y a pas de compromat, à mon avis,
51:44 mais si il n'y avait pas de compromat,
51:46 les relations ne se seraient pas autant dégradées
51:49 à l'époque de Trump avec la Russie,
51:51 non pas de son fait, mais du fait de son administration,
51:55 du fait également du Congrès qui avait fait adopter des lois
51:58 pour éviter, justement, que Trump puisse lever les sanctions.
52:02 La différence, cette fois-ci,
52:04 c'est qu'il aura une administration
52:06 totalement acquise, parce que ce n'est plus un débutant
52:09 et qu'il a déjà choisi, aussi bien sur le plan militaire
52:12 que sur le plan politique, ceux qui l'accompagneront
52:15 s'ils gagnent les élections. -On n'a plus de temps,
52:18 mais sur ce point-là, en deux mots,
52:20 est-ce que vous diriez qu'une élection hypothétique de Trump
52:24 ferait progresser le mouvement actuel
52:27 d'affaiblissement de la démocratie ?
52:30 Le mot de la fin, si je puis dire.
52:32 -En soi, je pense que oui, c'est pas une bonne signe
52:35 pour la démocratie, pour les raisons dont j'ai déjà parlé.
52:38 Ceci dit, je pense qu'on a prévu combien de fois
52:42 depuis 50 ans le déclin des Etats-Unis ?
52:45 Parier contre les Etats-Unis, c'est toujours dangereux,
52:49 parce que c'est une société extrêmement dynamique
52:52 avec une capacité de se renouveler
52:55 qui n'existe pas ailleurs dans le monde.
52:57 Il n'y a pas des fils de millions de gens
53:00 qui veulent rentrer dans la Chine ou dans la Russie.
53:03 Il y en a dans l'Amérique.
53:04 -Donc ça vient contre... -Sans sortir, surtout.
53:07 -Ca vient contredire, Roger, votre projet pessimiste
53:10 que Trump pourrait fasciser l'Amérique.
53:14 -Il n'est pas élu. -Il n'est pas élu.
53:16 -Les deux peuvent exister en même temps.
53:18 -Il y a quand même des éléments démocratiques
53:21 aux Etats-Unis, à l'intérieur de chacun des Etats,
53:24 et même dans l'ensemble des Etats-Unis.
53:26 Je crois que Roger Cohen ne me démentira pas
53:29 si je dis que, tout compte fait,
53:31 les Etats-Unis, c'est quand même encore
53:34 un modèle démocratique. -Absolument.
53:36 -Bon, autrement dit, ça n'est pas parce que Trump serait élu
53:40 que ce modèle démocratique disparaîtrait complètement.
53:43 Il serait peut-être affaibli pendant quelques temps,
53:47 pendant quatre ans, ou même moins,
53:49 je n'en sais rien, mais en tout état de cause,
53:51 il y a des éléments fondamentaux qui font que,
53:54 depuis que les Etats-Unis existent,
53:56 c'est-à-dire depuis plus de 200 ans,
53:58 c'est quand même l'un des grands modèles
54:01 de notre démocratie.
54:02 -Merci. Écoutez, le temps imparti est écoulé.
54:06 Avant de nous quitter, je voudrais vous présenter
54:09 une bibliographie. André Caspi,
54:11 vous avez publié "La nation armée,
54:14 "les armes au coeur de la culture américaine".
54:17 Bon, vous signez pareil aujourd'hui.
54:19 Vous venez de le dire, le pays reste démocratique.
54:24 Nonobstant, ces éruptions populistes...
54:26 -Je ne change pas d'avis. -Vous ne changez pas d'avis.
54:30 Sylvie Berman, vous avez publié
54:32 "Madame l'ambassadeur de Pékin à Moscou".
54:35 Voilà. Vous restez toujours intéressée
54:38 par cette dialectique asiatique
54:41 ou vous vous intéressez maintenant plutôt à l'Europe ?
54:44 -Moi, je m'intéresse à la géopolitique mondiale,
54:47 donc, évidemment, à la Chine.
54:49 J'étais à l'Institut Jacques Delors,
54:51 où on a publié un rapport sur les relations
54:53 entre l'Union européenne et la Chine.
54:56 -Merci. Armand Laferrère,
54:57 vous préparez la publication d'un livre
55:00 sur votre séjour aux Etats-Unis ?
55:02 -Non, non, non. -Non ?
55:04 -Non, mon dernier livre était sur les Juifs,
55:06 le prochain aussi.
55:08 Roger Cohen, vous avez publié,
55:10 mais il n'est pas traduit en France,
55:12 "An Affirming Flame,
55:14 "Modulations on Life and Politics".
55:16 En somme, c'est l'intime et le politique
55:19 qui se conjuguent.
55:21 Vous pensez que l'intime joue un rôle important
55:24 dans le politique ?
55:25 -Ca joue un rôle important dans moi.
55:27 Je ne sais pas si ça joue un rôle,
55:29 mais on est tous des êtres...
55:31 -En quoi ça a joué un rôle important ?
55:33 En deux mots.
55:35 -Je n'ai jamais trop cru.
55:36 Je suis journaliste et on parle d'objectivité,
55:39 mais objectivité, c'est quoi, à la fin ?
55:41 Je veux dire, chacun porte sa propre sensibilité
55:45 à ce qu'il ou elle écrit.
55:48 Être équilibré,
55:49 essayer de comprendre les deux côtés d'un conflit,
55:52 oui, absolument, mais je pense que c'est quand le coeur
55:56 et le cerveau se rencontrent
55:58 qu'on a le plus grand journalisme.
56:01 -Merci. Voilà.
56:02 Ecoutez, merci, madame, merci, messieurs,
56:05 d'avoir participé brillamment à cette conversation.
56:09 Merci à l'équipe de LCP qui permet sa réalisation.
56:13 Avant de nous quitter,
56:15 cette pensée un peu pessimiste de Robert Kagan,
56:20 comme vous savez, qui est un politologue américain,
56:23 une dictature de Trump
56:25 est de plus en plus inévitable.
56:28 ...