Simone Veil - L'Instinct de Vie : Documentaire Historique dans Un Jour, un Destin

  • il y a 7 mois
Ce documentaire retrace le parcours exceptionnel de Simone Veil, une femme qui a marqué l'histoire de la France et de l'Europe. De sa déportation à Auschwitz à son combat pour le droit à l'avortement, en passant par son engagement politique, ce film explore les différentes facettes d'une personnalité hors du commun.

Le film commence par retracer l'enfance de Simone Veil. Née Simone Jacob en 1927, elle grandit dans une famille juive aisée. En 1944, elle est déportée à Auschwitz avec sa famille. Elle survivra à l'horreur des camps de concentration, mais perdra ses parents et son frère.

Après la guerre, Simone Veil entreprend des études de droit. Elle devient magistrate et s'engage dans le combat pour les droits des femmes. En 1974, elle est nommée ministre de la Santé par Valéry Giscard d'Estaing. C'est à ce poste qu'elle portera la loi sur l'avortement, qui sera adoptée en 1975.

Le film retrace également l'engagement politique de Simone Veil. Elle est élue députée européenne en 1979 et devient la première femme à présider le Parlement européen en 1982. Elle continuera à se battre pour les droits des femmes et des enfants tout au long de sa carrière.

Simone Veil est décédée en 2017 à l'âge de 89 ans. Elle était une femme d'exception qui a laissé un héritage immense. Ce film est un vibrant hommage à sa mémoire.

Informations complémentaires:

Réalisateur : Laurent Delahousse, Sarah Briand, Frédéric Martin et Alexis Guillot
Année de production : 2014
Durée : 52 minutes
Diffusion : France 2

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Transcription
00:00:00 Oui, j'ai eu très peur.
00:00:02 Au fond, j'ai toujours eu peur d'être arrêtée.
00:00:05 Je me disais, nous ne passerons pas à travers les mailles du filet.
00:00:14 À partir du moment où on met les pieds dans le wagon à bestiaux, tout change.
00:00:22 Pour survivre dans les camps,
00:00:26 il fallait une certaine agressivité.
00:00:30 C'est extraordinaire comme volonté,
00:00:34 se dire "nous n'en parlerons à personne d'autre qu'à nous".
00:00:38 La seule façon de survivre, c'est de regarder devant.
00:00:43 Il n'y a pas d'autre façon de survivre.
00:00:45 Rien ne l'a prédisposé à faire de la politique.
00:00:52 C'est un parcours qui est devenu un destin.
00:00:56 Je voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme.
00:00:59 C'est tout juste si on ne la traitait pas de nazi.
00:01:01 Il y a là quelque chose pour quelqu'un comme moi
00:01:04 qui est insupportable physiquement.
00:01:06 Antoine lui dit, comme son père avait dit à sa mère,
00:01:18 "tu ne vas pas travailler".
00:01:20 Elle attire, elle surprend, et elle est merveilleuse en un sens.
00:01:24 Elle n'était pas facile.
00:01:27 Simone Veil n'a jamais été facile.
00:01:29 Quand ma grand-mère se met à parler,
00:01:40 en général, tout le monde se tait.
00:01:42 C'est un peu comme si on avait un petit bébé.
00:01:45 Quand on se met à parler, en général, tout le monde se tait.
00:01:48 C'est une vie émouvante, impressionnante.
00:01:53 Il n'y a pas beaucoup de femmes comme elle.
00:01:56 C'est cette histoire que nous allons vous raconter ce soir.
00:02:01 L'histoire d'une vie qui va traverser le XXe siècle.
00:02:04 Elle en sera l'actrice du meilleur et la victime du pire.
00:02:07 C'est ici, dans cet hémicycle de l'Assemblée nationale,
00:02:09 que les Français vont découvrir Simone Veil en 1974.
00:02:13 Une union, un tailleur, une voix, une force qui apparaît déjà
00:02:16 et qui va devoir affronter les insultes.
00:02:18 Rien pourtant ne semblait l'inscrire sur ce chemin-là,
00:02:21 sur celui de la politique.
00:02:22 Mais comme toujours, c'est avec foi, mais sans illusion,
00:02:25 qu'elle accomplira sa tâche.
00:02:26 Ces illusions, elle les a perdues très tôt,
00:02:29 car Simone Veil est d'abord une survivante
00:02:31 qui gardera longtemps le silence sur son adolescence,
00:02:34 sur son arrestation et sa déportation.
00:02:37 Elle qui a survécu à l'enfer d'Auschwitz
00:02:39 finira par transmettre ses blessures,
00:02:41 devoir de mémoire face à la résurgence de l'antisémitisme.
00:02:45 De tout cela, elle va tirer la force, l'envie
00:02:47 de voir les peuples d'Europe se réconcilier.
00:02:49 Son indépendance, son caractère, sa soif de liberté,
00:02:52 elle les a puisés dans son histoire personnelle,
00:02:54 qui est aussi la nôtre.
00:02:55 C'est donc ici, dans ce Parlement,
00:02:57 que les Français vont découvrir Simone Veil.
00:03:00 Voici donc le premier chapitre de cette histoire.
00:03:04 ... à la radio et à la télévision.
00:03:07 Et puis, c'est une femme qui sera la vraie vedette
00:03:10 de la semaine politique.
00:03:12 En effet, Simone Veil fera la couverture
00:03:14 de tous vos journaux.
00:03:15 Son portrait s'étale à la une du Point,
00:03:17 de l'Express et de Valeurs Actuelles.
00:03:19 Elle défendra devant l'Assemblée Nationale
00:03:22 son projet de loi, celui de l'avortement
00:03:24 volontaire ou thérapeutique.
00:03:26 ...
00:03:30 Elle a vraiment compris qu'elle portait quelque chose
00:03:34 qui allait marquer un tournant historique
00:03:36 pour la société française.
00:03:38 ...
00:03:42 Au premier grand débat,
00:03:44 elle n'avait pas fait de politique jusqu'à présent.
00:03:47 ...
00:03:51 Rien ne la prédisposait à faire de la politique,
00:03:54 à devenir ministre.
00:03:56 C'est un parcours qui est devenu un destin.
00:03:59 ...
00:04:13 56% des personnes interrogées estiment
00:04:15 que l'avortement est un crime
00:04:17 après la fin du 3e mois de grand cesse.
00:04:19 En fait, le débat risque d'être très brûlant.
00:04:22 Les prises de position se sont d'ailleurs
00:04:24 multipliées depuis quelques semaines.
00:04:26 Si l'on veut résumer le sens du mot document
00:04:28 publié par le Vatican,
00:04:30 on pourrait dire qu'avorter, c'est tuer.
00:04:33 Le souverain pontife accorde une importance capitale
00:04:35 au vote des députés français.
00:04:37 Le président et son premier ministre, Jacques Chirac,
00:04:40 ont décidé il y a plusieurs semaines déjà
00:04:42 de ne pas demander de discipline de vote
00:04:44 au groupe de la majorité à l'occasion de ce débat
00:04:47 qui est véritablement une affaire de...
00:04:49 ...
00:04:56 ...
00:04:59 Ce jour-là, Simone Veil arpente d'un pas décidé
00:05:02 les couloirs de l'Assemblée nationale.
00:05:04 Elle a 47 ans, elle est magistrate,
00:05:07 mais elle a été nommée il y a 6 mois
00:05:09 ministre de la Santé.
00:05:11 Et dans quelques minutes, elle va prononcer
00:05:13 son premier grand discours sur un thème de société
00:05:15 qui divise la majorité.
00:05:17 - Elle avait une robe bleue foncée
00:05:19 avec des manches longues,
00:05:21 une tenue assez stricte, on aurait pu dire.
00:05:24 - Il fallait donner une image extrêmement compétente
00:05:27 et sérieuse en tout cas, oui, sérieuse.
00:05:30 - Elle doit être un peu tendue, mais elle ne le montre pas.
00:05:33 Il faut dire que c'est extraordinaire,
00:05:35 vous rentrez dans cette Assemblée,
00:05:36 qui est une Assemblée d'hommes à l'époque,
00:05:38 il y a très peu de femmes, donc c'est extrêmement tendu.
00:05:41 - La parole est à madame le ministre de la Santé.
00:05:44 Applaudissements
00:05:48 - À peine avait-elle franchi les premières marches
00:05:52 de la tribune, qu'elle sentait déjà une profonde
00:05:55 et violente hostilité, donc c'est quand même dur
00:05:58 de monter dans ces conditions.
00:06:01 - Elle prend place au pupitre, très calme,
00:06:04 avec les mains bien à plat, immobiles,
00:06:07 et elle lit ce discours.
00:06:09 - Je me rappelle, on n'entendait pas une mouche voler
00:06:11 quand elle a commencé.
00:06:13 - Monsieur le Président,
00:06:15 Mesdames, Messieurs les députés,
00:06:18 je voudrais tout d'abord vous faire partager
00:06:20 une conviction de femme.
00:06:22 Je m'excuse de le faire devant cette Assemblée
00:06:24 presque exclusivement composée d'hommes.
00:06:27 Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'abortement.
00:06:30 Il suffit d'écouter les femmes.
00:06:32 C'est toujours un drame.
00:06:34 Applaudissements
00:06:38 C'est toujours un drame.
00:06:40 Cela restera toujours un drame.
00:06:42 - Elle a bouleversé d'abord les femmes,
00:06:45 parce que la façon dont elle en a parlé
00:06:47 a montré qu'elle les comprenait,
00:06:49 qu'elle était pleine d'empathie pour elles
00:06:51 et qu'elle ne les montrait pas du doigt.
00:06:53 Les femmes qui avortaient n'étaient pas des salopes.
00:06:55 Elles avaient souvent des raisons tragiques de le faire.
00:06:58 - On a été extrêmement étonnés
00:07:00 quand elle a commencé à parler.
00:07:02 Ça a été une grande, grande surprise.
00:07:04 Avec ce look quand même un peu bourgeois,
00:07:06 on ne croyait pas qu'elle allait comme ça
00:07:08 dire des choses aussi révolutionnaires.
00:07:10 - Une situation intolérable pour l'Etat.
00:07:12 - Dès les premiers mots, Simone Veil s'impose.
00:07:15 Pour emporter l'adhésion de l'Assemblée,
00:07:17 la ministre veut éviter le débat moral.
00:07:19 Elle présente l'avortement
00:07:21 comme un enjeu de santé publique.
00:07:23 - Il y avait pratiquement tous les week-ends
00:07:26 des autocars qui partaient avec des jeunes femmes
00:07:29 qui allaient se faire avorter soit en Grande-Bretagne,
00:07:31 soit dans les pays nordiques.
00:07:33 - Celles qui ne pouvaient aller à l'étranger
00:07:35 se faisaient charcuter dans des arrières-cuisines
00:07:40 par des faiseuses d'anges
00:07:42 qui n'étaient pas soignées après,
00:07:44 qui pouvaient être rendues stériles à vie.
00:07:46 - Vous voyez arriver des femmes dans des situations dramatiques.
00:07:49 Plusieurs femmes ont mouru.
00:07:51 - Nous ne pouvons plus fermer les yeux
00:07:53 sur les 300 000 avortements
00:07:55 qui, chaque année, mutilent les femmes de ce pays,
00:07:57 qui bafouent nos lois
00:07:59 et qui humilient ou traumatisent celles qui en recouvrent.
00:08:01 - Le discours dure 45 minutes.
00:08:04 Tous les députés présents dans l'hémicycle
00:08:06 l'écoutent attentivement,
00:08:08 même si une grande partie d'entre eux est hostile au projet.
00:08:11 - Simone Veil a très bien parlé,
00:08:14 sans effet de voix, sans grandiloquence.
00:08:17 Elle a parlé très distinctement.
00:08:19 - Elle a réussi à s'imposer par cette sorte de fascination,
00:08:23 de présence, de beauté, de conviction, de force.
00:08:27 - Sachant lui faire confiance
00:08:29 pour conserver à la vie sa valeur suprême.
00:08:31 - À la fin du discours,
00:08:34 une partie de l'Assemblée applaudit.
00:08:36 Simone Veil a réussi ce premier examen de passage,
00:08:39 mais les débats, eux, ne font que commencer.
00:08:42 Le lendemain,
00:08:44 ce sont tous les opposants au projet
00:08:46 qui vont se succéder à la tribune.
00:08:48 Simone Veil défend une promesse de campagne
00:08:50 du nouveau président Valéry Giscard d'Estaing.
00:08:52 C'est pourtant au sein de la majorité présidentielle
00:08:54 que la colère gronde.
00:08:56 - La parole est à M. Michel Debray.
00:08:58 - Voici donc Michel Debray,
00:09:02 l'ancien Premier ministre du général de Gaulle.
00:09:04 Il n'a jamais été favorable au projet,
00:09:06 et sa parole est donc attendue
00:09:08 dans les rangs de l'Assemblée.
00:09:10 - La vie humaine exige respect et protection,
00:09:14 or elle existe dès qu'elle est conçue.
00:09:18 - Debray replace immédiatement le débat
00:09:20 sur le plan moral, à l'opposé de Simone Veil.
00:09:23 - Mais je ne suis pas le seul,
00:09:25 sur les rangs de cette Assemblée,
00:09:27 à regretter une grande occasion totalement manquée.
00:09:32 - Assise face à la tribune,
00:09:36 la jeune ministre reste impassible.
00:09:39 Mais les intervenants suivants vont prendre
00:09:41 un temps encore plus offensif.
00:09:43 - ...relatif à l'interruption volontaire de Rousseff.
00:09:45 - Vous instaurez par là un nouveau droit,
00:09:49 celui de l'euthanasie légale.
00:09:51 - Allons-nous admettre le permis légal de tuer ?
00:09:55 - Certains députés de la majorité
00:09:57 furent extrêmement virulents,
00:09:59 et même grossiers.
00:10:01 - Le commerce de la mort deviendra un commerce de la mort.
00:10:04 - Le commerce de la mort deviendra la spécialité lucrative
00:10:07 d'avorteurs et d'avortoirs patentés.
00:10:09 - Ces abattoirs où s'intensent les cadavres de petits hommes.
00:10:12 - Une étape sur la voie d'une régression monstrueuse.
00:10:15 - Mme Veil était accablée par tant de violence,
00:10:18 même si elle ne le montrait pas.
00:10:20 - C'était certainement pas facile à vivre, ce déchaînement.
00:10:23 - Les Assemblées sont terribles quand elles s'y mettent.
00:10:26 - Voilà qu'il nous est demandé de participer
00:10:29 à une sainte baptémie
00:10:31 où des enfants en puissance de naître seraient sacrifiés.
00:10:35 - On va faire la parole, je vous en prie.
00:10:38 - Les heures passent, et la ministre encaisse les coups.
00:10:41 Elle écoute tout jusqu'au bout de la nuit,
00:10:44 sans jamais quitter l'hémicycle.
00:10:46 - On a vu Simone Veil se transformer,
00:10:49 physiquement harassée, épuisée littéralement.
00:10:52 Ca n'était pas un hémicycle.
00:10:55 C'était une arène,
00:10:57 et avec la volonté d'un certain nombre de députés
00:11:00 d'avoir la peau de Simone Veil.
00:11:02 - Et pour tenter d'arriver à leur fin,
00:11:05 certains députés vont commencer à l'attaquer plus violemment.
00:11:08 Au bout du 3e jour, le débat va déraper.
00:11:14 - Vous accepterez, madame,
00:11:16 de les voir jetés au four crématoire
00:11:19 ou remplissant des poubelles ?
00:11:22 - Les gens parlent du four crématoire.
00:11:25 C'était l'agression ultime entre toutes.
00:11:29 Il était question de génocide légal.
00:11:33 Nous étions tous très choqués.
00:11:36 - Et en 1er lieu, Simone Veil.
00:11:39 Peu de personnes le savent à l'époque,
00:11:41 mais la ministre est une rescapée des camps de la mort.
00:11:44 Ses comparaisons la touchent personnellement.
00:11:46 - Cela ne s'appelle plus du désordre, madame.
00:11:48 C'est de la barbarie organisée et couverte par la loi
00:11:51 comme elle le fut, hélas, il y a 30 ans,
00:11:54 par le nazisme en Allemagne.
00:11:56 - C'est toujours si on ne la traitait pas de nazie.
00:11:58 - Personne au monde ne peut s'arroger le droit
00:12:01 de supprimer la vie d'un être innocent.
00:12:03 Cela peut être l'Etat,
00:12:05 à moins qu'il ne soit totalitaire,
00:12:07 comme l'était le IIIe Reich.
00:12:09 - C'est une femme très courageuse.
00:12:11 Donc, elle n'est pas impassive.
00:12:13 Enfin, elle se domine,
00:12:15 elle ne réagit pas très fort.
00:12:17 Ça a été dur pour elle.
00:12:19 Le débat était difficile et très violent.
00:12:21 - Une violence qui se poursuit jusque dans la rue.
00:12:24 Chaque soir, en rentrant chez elle,
00:12:26 Simone Veil est victime d'attaques antisémites.
00:12:29 - Les lettres de menaces, les insultes,
00:12:34 les coups de téléphone.
00:12:36 - Un manifestant avait passé les miroirs
00:12:40 qui sont dans le hall de l'immeuble
00:12:42 avec des inscriptions infarmes.
00:12:45 - Il y avait des croix gammées sur ses murs.
00:12:48 Donc, elle a vécu très péniblement, ça.
00:12:51 - Après 3 jours de débat,
00:12:53 l'heure du vote approche
00:12:55 et Simone Veil est fragilisée.
00:12:57 Un homme entre alors dans l'hémicycle pour la soutenir.
00:13:00 C'est le Premier ministre.
00:13:02 - Jacques Chirac a été prévenu
00:13:04 que ça se passait pas bien à l'Assemblée,
00:13:07 c'est-à-dire que le ton dérapait.
00:13:09 - Il est venu en urgence
00:13:11 parce qu'on l'avait alerté sur le fait
00:13:13 qu'un, le texte ne passera pas,
00:13:15 d'autre, que son ministre ou sa ministre
00:13:18 allait être totalement écharpé.
00:13:20 Mais c'en était là.
00:13:22 - Au départ, Jacques Chirac
00:13:24 n'était pas favorable à ce projet de loi.
00:13:27 Mais Simone Veil l'a convaincue.
00:13:29 Alors, il est venu rassembler ses troupes
00:13:31 autour de sa ministre.
00:13:33 - La présence du Premier ministre est très importante.
00:13:36 Il est le chef de la majorité.
00:13:38 - Il a remonté les bretelles,
00:13:40 comme il disait volontiers, des députés.
00:13:42 On lui a dit qu'on pouvait pas le laisser tomber.
00:13:44 - Par là, il marque son soutien au texte.
00:13:46 - Et pour maintenir la pression sur les députés,
00:13:49 le Premier ministre va rester là,
00:13:51 dans l'hémicycle.
00:13:53 - Il y a eu un vrai suspense.
00:13:56 On savait pas du tout s'il allait être adopté.
00:13:59 - Quelques secondes avant le vote,
00:14:01 Simone Veil se retourne vers son conseiller.
00:14:04 Il est en train de compter les voix.
00:14:06 Le scrutin s'annonce très serré.
00:14:08 - Elle me voit blanc comme un linge.
00:14:10 Elle me dit "Qu'est-ce que vous avez ?"
00:14:12 Je dis "Madame, si je me suis trompé
00:14:14 dans mes calculs..."
00:14:16 Elle me dit "Vous serez trompé dans vos calculs,
00:14:18 mais vous en faites pas."
00:14:20 - Le scrutin est clos.
00:14:22 - Pour 284.
00:14:25 Contre 189.
00:14:28 L'Assemblée nationale a adopté.
00:14:32 - La loi est donc adoptée.
00:14:34 Malgré la virulence de ses détracteurs,
00:14:37 Simone Veil est parvenue à rallier
00:14:39 toute l'opposition et un tiers de la majorité.
00:14:42 L'avortement est devenu un droit en France.
00:14:45 - J'avais tellement vu les femmes souffrir,
00:14:48 j'avais tellement vu les femmes mourir
00:14:50 que je me disais "Enfin, c'est pas qu'on était vengés,
00:14:53 mais on était entendus."
00:14:55 - Elle me dit "Bon, ça va, ça s'est bien passé."
00:15:01 - Pour la 1re fois depuis 3 jours,
00:15:03 Simone Veil esquisse un sourire.
00:15:05 Au-delà du changement de société
00:15:07 qu'elle a porté à bout de bras,
00:15:09 il y a aussi l'épreuve politique
00:15:11 qu'elle vient aujourd'hui de remporter.
00:15:14 - Dès cette installant,
00:15:16 en tant que jeune militant de gauche,
00:15:18 je lui dis "Chapeau, madame,
00:15:20 et j'ai vraiment envie d'admirer cette personne."
00:15:23 - C'est là qu'elle s'est révélée quand même
00:15:26 une grande femme politique.
00:15:28 En une nuit, elle a été connue
00:15:32 et elle a ému les femmes de France
00:15:35 et elle est devenue très populaire.
00:15:38 Elle a suscité l'admiration.
00:15:41 - Elle s'est attirée à respect
00:15:44 de tous ceux qui étaient là,
00:15:46 de tous ceux qui l'ont lu,
00:15:48 de tous ceux qui l'ont entendu, écouté.
00:15:51 - Elle a été celle qui a libéré
00:15:53 aussi une grande partie des femmes
00:15:55 d'une douleur atroce, de souffrance,
00:15:57 de mort parfois,
00:15:59 et puis qui leur a donné le choix.
00:16:02 - Durant ces débats,
00:16:04 la ministre a montré l'image
00:16:06 d'une femme forte et intransigeante
00:16:08 qui a su tenir tête
00:16:10 à une assemblée des plus hostiles.
00:16:12 Mais une fois rentrée chez elle,
00:16:14 le masque tombe.
00:16:16 Certaines attaques l'ont blessée
00:16:18 et ont réveillé chez elle
00:16:20 des blessures profondes.
00:16:22 - Jetez au four crématoire,
00:16:24 à moins qu'il ne soit totalitaire
00:16:26 comme l'était le IIIe Reich.
00:16:28 - Elle l'a vécue avec une intensité,
00:16:30 un drame.
00:16:32 Ça a été une tragédie pour elle.
00:16:34 - Elle est quand même choquée,
00:16:36 très choquée. Elle est peinée, triste.
00:16:39 Ça se rappelle de mauvais souvenirs,
00:16:41 très mauvais souvenirs.
00:16:44 - Madame, c'est de la barbarie organisée
00:16:47 comme elle le fut, hélas,
00:16:49 il y a 30 ans, par le nazisme en Allemagne.
00:16:52 - Même si elle n'a rien voulu montrer
00:16:54 durant les débats, Simone Veil
00:16:56 est particulièrement blessée
00:16:58 par ses références au régime nazi
00:17:00 qui ont servi d'argument à certains députés
00:17:02 dans cette enceinte de la République.
00:17:04 Car peu de gens savent à l'époque
00:17:06 que la ministre de la Santé
00:17:08 qu'ils avaient en face d'eux
00:17:10 est l'une des rares rescapées françaises
00:17:12 qui a été la plus douloureuse de sa vie.
00:17:14 Elle va longtemps le garder pour elle.
00:17:16 En voici les premières pages.
00:17:18 Elles s'écrivent dans les années 30 à Nice.
00:17:20 C'est là-bas que Simone Jacob vit avec sa famille.
00:17:23 Ce jour-là, Simone, âgée de 5 ans,
00:17:27 découvre la nouvelle chambre
00:17:29 qu'elle va devoir partager avec ses 2 grandes sœurs.
00:17:32 La veille, elle habitait encore
00:17:34 dans un grand appartement du centre-ville.
00:17:36 Mais la famille Jacob est en plein déménagement,
00:17:39 obligée de quitter les beaux quartiers
00:17:41 pour un logement plus modeste.
00:17:43 Mes grands-parents sont des petits bourgeois
00:17:49 qui vivent à Nice,
00:17:51 dans des conditions d'abord assez agréables,
00:17:54 et puis avec la crise,
00:17:56 comme beaucoup de gens,
00:17:58 plus précaires et plus difficiles.
00:18:00 8 ans auparavant, André Jacob, architecte parisien,
00:18:03 va quitter la capitale avec sa femme et leurs 3 enfants
00:18:06 pour tenter de faire fortune sur la Côte d'Azur.
00:18:09 Simone est d'ailleurs née à Nice,
00:18:11 mais après plusieurs années fastes,
00:18:13 c'est la banqueroute,
00:18:15 la crise de 29 est passée par là.
00:18:17 - Le drame de sa vie, c'est qu'il n'assouvira jamais
00:18:21 ses ambitions professionnelles.
00:18:23 Donc cet homme considérera
00:18:25 qu'il n'aura pas réussi
00:18:27 à la mesure de ses moyens et de son talent.
00:18:31 - La petite Simone, qui écoute souvent en cachette
00:18:35 les conversations de ses parents,
00:18:37 est témoin de leurs difficultés.
00:18:39 Yvonne, sa mère, a fait des études de chimie.
00:18:42 Elle pourrait trouver un emploi
00:18:44 pour compléter les revenus du couple.
00:18:46 Mais André Jacob refuse que sa femme travaille.
00:18:49 - C'est un bourgeois bien élevé,
00:18:51 et dans ce genre de famille, ça ne se fait pas.
00:18:54 - À la maison, André décide de tout.
00:18:56 Et c'est la plus jeune de ses filles
00:18:58 qui est la première à s'en plaindre.
00:19:00 Simone, proche de sa mère,
00:19:02 n'aime pas l'avoir soumise.
00:19:05 (musique douce)
00:19:07 - Elle supporte assez mal la tutelle paternelle
00:19:13 et la tutelle de son père sur sa mère.
00:19:15 - On a toujours senti la passion
00:19:17 et l'admiration qu'elle avait pour sa mère.
00:19:20 - Tout au long de son enfance,
00:19:22 Yvonne ne va cesser de mettre en garde sa fille
00:19:25 pour qu'elle ne commette pas la même erreur.
00:19:28 Elle la pousse à étudier
00:19:30 pour pouvoir plus tard gagner son indépendance.
00:19:33 - Et ça reste gravé dans la mémoire de Simone,
00:19:36 qui considérera comme un devoir,
00:19:38 comme une promesse due à sa mère
00:19:40 de gagner son indépendance et de travailler.
00:19:43 - Alors, arrivée à l'adolescence,
00:19:46 Simone poursuit une scolarité exemplaire
00:19:49 et se destine à de grandes études.
00:19:52 Mais en juin 1940, l'histoire bascule.
00:19:56 - Je me suis adressé cette nuit à l'adversaire
00:20:01 pour lui demander s'il est prêt à rechercher avec moi
00:20:04 des moyens de mettre un terme aux hostilités.
00:20:07 - Après un an de conflits sur le sol français,
00:20:10 le maréchal Pétain s'apprête à signer l'armistice.
00:20:13 Les Allemands occupent la moitié nord du pays.
00:20:16 Depuis des jours, des milliers de Juifs
00:20:19 fuient la zone occupée pour passer en zone libre
00:20:22 dans le sud de la France.
00:20:24 - Nous étions des réfugiés, des Juifs de l'est de l'Europe
00:20:30 d'Allemagne, d'Autriche,
00:20:32 qui fuyaient la terreur allemande, d'Asie.
00:20:36 - À Nice, la communauté juive s'organise
00:20:41 pour accueillir ces réfugiés.
00:20:43 La mère de Simone est très active.
00:20:46 Elle héberge quelques personnes à la maison.
00:20:49 Et comme toujours, Simone écoute avec attention
00:20:52 ces histoires d'adultes.
00:20:54 - Il y avait déjà une atmosphère lourde
00:20:57 et elle sentait tout cela.
00:20:59 - Elle commençait à s'inquiéter de ce qui pourrait arriver.
00:21:03 - Elle lit les journaux, elle écoute la radio
00:21:06 et elle se rend compte que la situation devient vite
00:21:09 à la fois très compliquée et extrêmement dangereuse.
00:21:12 - Et la suite des événements ne va pas la rassurer.
00:21:15 Entre octobre 1940 et juin 1941,
00:21:18 le gouvernement de Vichy décrète une série d'interdits
00:21:22 à l'encontre des Juifs de France.
00:21:27 - Le statut des Juifs suppose que les Juifs
00:21:30 ne sont pas de bons Français.
00:21:32 Donc on doit les éliminer des professions
00:21:35 qui risquent de corrompre la culture.
00:21:38 On doit les retirer aussi de tout ce qui représente
00:21:41 l'autorité de l'État.
00:21:43 - Et André Jacob n'est pas épargné.
00:21:45 Du jour au lendemain, il ne peut plus exercer
00:21:48 son métier d'architecte.
00:21:50 Mais comme beaucoup, il ne sent pas grandir la menace.
00:21:53 Il a confiance en l'État français.
00:21:55 - Il y a le sentiment qu'on est dans la bonne partie.
00:21:58 On est en zone sud, on a échappé à l'occupation allemande,
00:22:01 on échappe à l'emprise directe des nazis.
00:22:04 - On n'imagine pas une seconde que la France,
00:22:07 que la République puissent les abandonner,
00:22:10 puissent les trahir, puissent collaborer
00:22:13 avec les Allemands pour les déporter.
00:22:15 - Même lorsque la préfecture ordonne un recensement
00:22:18 des Juifs, André s'exécute et part déclarer toute sa famille.
00:22:22 Simone est la seule à vouloir l'en empêcher.
00:22:25 - C'est encore une raison de rébellion de Simone
00:22:32 contre son père qui lui dit "mais enfin, tu ne vas pas aller
00:22:35 te déclarer, te livrer comme ça".
00:22:38 - Simone, dans la famille Jacob, c'est celle qui dit non.
00:22:41 Et c'est celle qui dit non à l'autorité et les certitudes de son père.
00:22:44 - Il était profondément français, républicain.
00:22:49 Pour lui, la loi, c'était la loi et il n'y avait pas à en discuter.
00:22:53 - Les 5 membres de la famille Jacob sont désormais
00:22:56 identifiés en tant que Juifs.
00:22:58 Ils ignorent qu'en Allemagne, Hitler se prépare
00:23:01 à lancer la solution finale.
00:23:03 En septembre 1943, la Gestapo débarque à Nice
00:23:08 et s'installe dans un palace du centre-ville,
00:23:11 l'Hôtel Excelsior.
00:23:13 À sa tête, Alois Brunner, un Autrichien de 31 ans.
00:23:17 Il est envoyé par Hitler pour traquer les Juifs réfugiés en zone libre.
00:23:21 Dès son arrivée, les arrestations se multiplient.
00:23:24 - Nice, c'était des raffles incessantes de jour et de nuit.
00:23:28 Le jour, ils bloquaient les deux extrémités d'une rue
00:23:31 et puis ils vérifiaient, contrôlaient les papiers.
00:23:34 On déshabillait les hommes pour voir s'il y avait des circoncices.
00:23:38 On entourait la nuit un pâté de maison.
00:23:43 Il y a des camions qui arrivaient, des projecteurs.
00:23:47 Et la Gestapo allait d'appartement en appartement.
00:23:51 Il y avait tellement de Juifs qu'ils en attrapaient toujours.
00:23:58 La Gestapo cherche partout, y compris dans le lycée de Simone.
00:24:03 - À la suite de 2 arrestations de ses camarades de classe,
00:24:09 juifs aussi, la directrice d'école est obligée de dire
00:24:12 aux enfants juifs "Ne venez plus à l'école".
00:24:16 Face au danger, le père de Simone prend enfin conscience
00:24:19 qu'il doit protéger sa famille.
00:24:21 L'urgence, se procurer de faux papiers.
00:24:24 Il contacte une filière clandestine et obtient 6 cartes d'identité
00:24:28 au nom de Jacquiez.
00:24:30 De son côté, Yvonne décide de disperser ses 4 enfants,
00:24:34 chacun caché en lieu sûr, dans une famille différente.
00:24:38 Simone, elle, se retrouve seule, loin des siens,
00:24:41 chez un couple d'enseignants.
00:24:43 - On lui explique qu'il faut plus sortir,
00:24:46 ne plus prendre le moindre risque.
00:24:48 Donc ça change fondamentalement sa vie.
00:24:51 Tout d'un coup, elle comprend qu'elle est traquée.
00:24:54 - Mais pour autant, Simone n'a pas l'intention
00:24:57 de renoncer à passer son bac.
00:24:59 Elle ne peut plus aller au lycée, mais elle prend le risque
00:25:02 de sortir dans la rue chaque jour pour aller réviser à la bibliothèque.
00:25:05 - Chacun s'accroche à sa vie quotidienne.
00:25:07 Pour maman, s'accrocher à la vie, c'est s'accrocher à ses études,
00:25:10 s'accrocher au bac et s'accrocher à ce qu'il a fait tenir.
00:25:14 - Et Simone prend un risque supplémentaire pour passer son bac,
00:25:17 car elle est obligée de se présenter sous son vrai nom.
00:25:20 La lycéenne est heureuse de retrouver ses camarades de classe
00:25:23 et, malgré la pression, elle passe les épreuves haut la main.
00:25:28 Le lendemain, tout naturellement, elle décide d'aller faire la fête
00:25:34 avec ses amis dans les rues de Nice.
00:25:36 - Comme chacun d'entre nous, quand il a passé des épreuves,
00:25:39 elle a envie de sortir.
00:25:41 - Quelle est la force de vie chez cette gamine qui fait
00:25:44 qu'elle veut quand même sortir, se promener, profiter du soleil,
00:25:48 voir ses copains, ses copines.
00:25:50 Et le risque qu'il y a à sortir à Nice sous occupation nazie.
00:25:55 - Un de ses camarades de classe est venu la chercher.
00:25:58 Pour rejoindre le lieu de rendez-vous,
00:26:00 ils évitent les grands axes faufiles dans les ruelles,
00:26:03 mais les Allemands sont partout.
00:26:05 Ils tombent alors sur une patrouille qui leur demande leurs papiers d'identité.
00:26:09 Simone brandit sa fausse carte au nom de Jacquiet,
00:26:14 mais elle est tout de suite démasquée.
00:26:16 - Il y a un indice qui dit aux Allemands,
00:26:20 "Bah, ça, Jacquiet, c'est juif, ça, c'est juif."
00:26:23 - Simone leur tient tête, mais les 2 adolescents sont emmenés
00:26:27 au siège de la Gestapo.
00:26:29 Ils veulent examiner ses papiers de plus près.
00:26:33 - Ils l'amènent à l'hôtel Excelsior,
00:26:36 et l'officier allemand lui montre un tas de fausses cartes
00:26:41 non remplies avec le même tampon.
00:26:44 Ils avaient repéré le fossé.
00:26:46 - Et les officiers allemands vont alors lui tendre un piège.
00:26:49 Ils relâchent le camarade de Simone, mais gardent la jeune fille.
00:26:53 Ils se doutent que l'adolescent va tout de suite
00:26:55 aller prévenir sa famille, alors ils le suivent
00:26:58 et finissent par arrêter sa mère Yvonne,
00:27:00 sa sœur Milou et son frère Jean.
00:27:03 7 jours plus tard, Simone et les siens sont emmenés
00:27:11 à Drancy, près de Paris, un immense camp
00:27:14 tenu par la police française, où arrivent des juifs
00:27:17 capturés dans tout le pays.
00:27:19 - Arrivés à Drancy, nous sommes donc parqués
00:27:22 dans des grands dortoirs, des grandes salles.
00:27:26 - On vivait dans une espèce de dortoir.
00:27:28 On vivait dans une espèce de dortoir séparé par des couvertures.
00:27:33 C'était dur, la nourriture était relative,
00:27:38 les conditions de vie étaient très mauvaises.
00:27:42 - On est là dans l'expectative, on attend.
00:27:45 Livrés à eux-mêmes, les Jacob échangent
00:27:48 avec les autres familles, tentant d'en savoir plus
00:27:51 sur leur présence ici.
00:27:53 La rumeur enfle, Drancy ne serait qu'une étape
00:27:56 avant d'aller rejoindre des camps de travail situés en Allemagne.
00:28:00 - On leur dit qu'ils sont dans un lieu de transit
00:28:03 pour aller faire quelque chose au loin, à l'aise,
00:28:06 quelque chose dont on pressent que ce sera pénible,
00:28:09 que ce sera violent.
00:28:11 - Mon père me dit "toi tu reviendras peut-être
00:28:14 parce que tu es jeune, mais moi je ne reviendrai pas".
00:28:17 Je lui ai dit "non, on travaillera très dur,
00:28:20 mais on se verra peut-être le dimanche".
00:28:23 - Simone propose aux garçons de plus de 16 ans
00:28:26 de rester en France s'ils acceptent de travailler.
00:28:29 Simone encourage son frère Jean à se porter volontaire,
00:28:32 il a 18 ans.
00:28:34 - Nous étions environ peut-être une vingtaine d'adolescents.
00:28:37 Les hommes, dans la force de l'âge, donc on était convaincus
00:28:40 que notre sort allait être bon.
00:28:43 - Simone est persuadée d'avoir permis à son frère
00:28:46 de sortir de ce mauvais pas.
00:28:48 Mais c'est la dernière fois qu'elle le voit.
00:28:51 Elle ne s'en souvient jamais de ces nouvelles.
00:28:54 Une semaine après leur arrivée à Drancy, Simone, sa mère
00:29:00 et sa sœur quittent le camp pour la gare de Bobigny.
00:29:03 Elles doivent embarquer dans un train à destination inconnue,
00:29:06 le convoi 71.
00:29:09 - On invente un mot, "pitchipoy",
00:29:17 on va à Pitchipoy, on va là-bas.
00:29:20 - Pitchipoy, c'était une destination symbolique,
00:29:23 c'est un nom qui vient d'une chanson yiddish pour enfants.
00:29:27 - On ne peut pas imaginer ce qui nous attend.
00:29:33 A partir du moment où on met le pied dans le wagon à bestiaux,
00:29:38 tout change.
00:29:41 - Le voyage va durer 2 jours et demi, sans aucun arrêt.
00:29:46 Ils sont plus d'une soixantaine d'hommes, de femmes et d'enfants
00:29:50 enfermés dans le wagon.
00:29:53 - On est entassés les uns sur les autres, on ne peut pas respirer.
00:30:03 Il y a des enfants qui hurlent, il y a des vieux qui ne supportent pas.
00:30:08 - Le 15 avril au soir, le convoi arrive en Pologne
00:30:12 et s'immobilise à l'entrée d'un camp.
00:30:16 Son nom, Auschwitz-Birkenau.
00:30:19 - Les wagons s'ouvrent avec des cris,
00:30:27 des aboiements de chiens, des hurlements en allemand.
00:30:31 - Il faut descendre en vitesse, ils parlent dans une langue
00:30:38 que je ne connais pas, on me la traduit,
00:30:41 il faut laisser toutes les affaires.
00:30:43 Ils disent, les personnes qui sont fatiguées,
00:30:46 il y a des camions pour vous.
00:30:48 - Et moi, je vais pour prendre le camion parce que j'ai mal aux pieds.
00:30:52 C'est une copine qui me dit, non, reste avec moi,
00:30:55 on a besoin de se dégourdir les jambes.
00:30:58 - Les Jacobes attendent sur le quai, lorsque les officiers allemands
00:31:02 les rassemblent.
00:31:04 Puis séparent les hommes des femmes et les alignent en colonne.
00:31:10 - Les officiers qui font le tri, d'un coup d'oeil,
00:31:14 vont évaluer les femmes qui seront capables de travailler
00:31:19 et celles qui ne le seront pas.
00:31:22 - On nous fait ouvrir la bouche comme si on était des vaches
00:31:25 pour voir combien de dents on a, on nous regarde,
00:31:28 quel âge vous avez.
00:31:30 - Comme à son habitude, Simone observe.
00:31:33 Elle se rend compte que les enfants sont séparés de leur mère
00:31:36 et embarqués à leur tour dans les camions.
00:31:39 Comme elle est encore mineure, elle commence à paniquer.
00:31:43 - Une voix derrière elle lui dit, surtout dites que vous avez 18 ans.
00:31:47 Donc elle dit qu'elle a 18 ans.
00:31:49 Et comme elle est très belle, très mûre, déjà très femme,
00:31:52 finalement, on la croit.
00:31:54 - Simone peut donc rester avec sa mère et sa sœur.
00:31:57 Elles sont conduites à l'intérieur du camp avec toutes les autres femmes,
00:32:00 des femmes à qui on rase la tête.
00:32:03 Le processus de déshumanisation commence.
00:32:06 - On n'a plus rien.
00:32:09 Tout a été pris.
00:32:11 Et on nous distribuera ensuite des vêtements de clocharde
00:32:15 qui ont servi à je ne sais pas combien de cadavres avant nous.
00:32:19 Ce n'étaient pas des vêtements, c'étaient des loques.
00:32:22 - Toutes les déportées se voient alors attribuer un numéro de matricule.
00:32:28 78 651.
00:32:32 C'est le numéro que portera Simone.
00:32:35 Et c'est une autre détenue qui va tatouer ce matricule sur son bras.
00:32:39 Personne ne comprend alors ce qu'il se passe
00:32:42 jusqu'à ce qu'une femme pose la question aux gardiennes.
00:32:45 - Où sont ceux qui ont pris les camions parce qu'on ne les voit pas ?
00:32:48 Elles disent, ils sont aux commandos du ciel.
00:32:51 - Vous ne les reverrez pas.
00:33:00 - Elles nous racontent que tous ceux qui étaient sur les camions
00:33:04 ont été emmenés à la chambre à gaz.
00:33:07 Et une fois morts, leur corps est emmené au crématoire.
00:33:17 - Ils sont déjà gazés quoi.
00:33:19 Gazés et en cours d'être brûlés quoi.
00:33:27 - Pas une de nous ne les a crues.
00:33:31 C'était pas possible, c'était pas vrai.
00:33:37 - Ça échappe totalement à la dimension humaine.
00:33:41 Construire des usines pour tuer des gens, c'est invraisemblable où on est.
00:33:56 - Effectivement, ça fume, ça sent une odeur très bizarre dans tout le camp.
00:34:01 Une odeur de chair grillée.
00:34:04 Simone prend alors conscience de la tragédie qui se joue devant ses yeux.
00:34:09 Les faibles, ceux qui ne peuvent plus travailler, sont exterminés.
00:34:13 Elle doit tenir coûte que coûte.
00:34:15 Rapidement, elle sympathise avec une autre codétenue.
00:34:18 Elle a son âge et elle s'appelle Marceline.
00:34:22 - Simone était sur une coya en face de moi, donc on a commencé à se connaître comme ça.
00:34:28 Les deux jeunes femmes sont alors rapidement affectées à un chantier de terrassement.
00:34:33 - On était dans le même commando, le commando 108.
00:34:36 On était là pour casser des cailloux, creuser des fochers, emmener de la terre à droite, à gauche,
00:34:42 porter des briques comme ça en courant.
00:34:45 Des choses pour nous casser.
00:34:49 - Tu dois accepter tout ce qu'on te dit, tu dois pas répondre.
00:34:52 La justification, c'est les coups.
00:34:54 Tu poses trop de questions, c'est violent, c'est très violent.
00:34:59 On est à la merci de n'importe quelle mauvaise humeur d'un supérieur
00:35:05 et vous êtes envoyés à la chambre à gaz.
00:35:08 L'obsession des gaz, l'obsession d'être sélectionné pour être gazé, c'est pire que tout.
00:35:16 Simone travaille sans relâche, elle a trop peur d'être considérée inapte.
00:35:20 Mais un jour, sa chef de camp, celle qui les terrorise, la prend à part.
00:35:25 - La femme la regarde et lui dit "t'es trop belle, toi t'es trop belle pour mourir".
00:35:31 Et elle veut l'envoyer dans un autre camp où elle sera un peu moins durement traitée.
00:35:40 Et Simone dit "mais j'ai ma mère et ma sœur, il n'est pas question que je les quitte".
00:35:44 Simone veut emmener avec elle sa mère et sa sœur.
00:35:47 Elle risque la chambre à gaz pour cette requête.
00:35:50 Mais contre toute attente, la chef de camp accepte.
00:35:54 - C'est elle qui devient la protectrice, la responsable, la femme forte finalement.
00:35:58 Elle est forte de caractère, elle est forte de santé aussi, de constitution.
00:36:04 Donc elle va être capable et de travailler comme une bête et de les protéger.
00:36:09 - Il faut croire que la capo elle a dû être tellement stupéfaite.
00:36:14 C'est culot qu'elle manifestait là.
00:36:17 Et de ces personnalités qui apparaissaient à travers ses propos.
00:36:21 Qu'elle ne trouvait rien à dire sinon, d'accord.
00:36:24 Trois mois après leur arrivée, les trois femmes Jacob quittent donc Birkenau
00:36:29 pour le camp annexe de Beaubrec, situé à quelques kilomètres de là.
00:36:33 Un camp dépourvu de chambre à gaz.
00:36:36 Mais Simone reste prudente.
00:36:39 Sa mère ne va pas bien et la situation peut basculer à tout moment.
00:36:43 - Elle était triste de façon permanente.
00:36:47 Je ne me souviens pas d'une seule rencontre au camp
00:36:53 où elle aurait eu un sourire.
00:36:56 Nous parlions du peu d'avenir qui nous restait.
00:37:01 Il fallait avoir la jeunesse pour soi, pour rester non pas optimiste
00:37:08 mais tout au moins combatif.
00:37:11 En disant "je ne me laisserai pas abattre".
00:37:16 Pendant ce temps-là, la guerre se poursuit.
00:37:19 En janvier 1945, l'avancée des troupes soviétiques
00:37:23 fait paniquer les Allemands sur le fond de l'Est.
00:37:26 Les SS décident alors d'évacuer les camps d'Auschwitz et des environs
00:37:30 et d'en effacer toute trace.
00:37:33 Les 40 000 détenus sont rassemblés à l'entrée du camp.
00:37:37 - Nous sommes le 18 et en hébreu s'écrit "Chai"
00:37:42 c'est-à-dire "la vie".
00:37:45 C'est tout de même un bon signe.
00:37:48 Nous avons toutes les chances de survivre.
00:37:52 Mais c'est un retour vers l'enfer que proposent les Allemands.
00:37:55 Par moins 30 degrés, les milliers de détenus sont entraînés
00:37:59 dans une longue marche encadrée par les SS.
00:38:02 70 kilomètres sans s'arrêter, on l'appellera la marche de la mort.
00:38:06 - Les gens qui n'arrivaient pas à suivre
00:38:11 et qui tombaient de froid ou de fatigue ou de malaise,
00:38:14 ils étaient achevés et on ne laissait pas de gens vivants sur la route.
00:38:19 La marche de la mort était... pour nous, on n'avait pas de fin.
00:38:23 On ne savait pas où on allait,
00:38:25 on ne savait pas jusqu'à quand on allait marcher comme ça.
00:38:28 - Durant tout le trajet, Simone et Milou soutiennent leur mère,
00:38:31 qui est à bout de force.
00:38:33 Après 2 jours et 2 nuits de marche continue dans un froid glacial,
00:38:36 les rescapés sont emmenés en train jusqu'à Bergen-Belsen,
00:38:40 un nouveau camp situé au nord de l'Allemagne.
00:38:43 Les mois passent et les conditions sanitaires se dégradent.
00:38:47 Yvonne tombe alors gravement malade.
00:38:50 Une épidémie de typhus s'est propagée dans le camp
00:38:53 et elle en a tous les symptômes.
00:38:56 - Elle était par terre, sur une paillasse,
00:39:00 il n'y avait même plus de place dans les baraques.
00:39:04 Elle était en train de mourir.
00:39:07 - Yvonne s'éteint au camp de Bergen-Belsen, le 15 mars 1945,
00:39:13 sans que Simone n'ait eu le temps de lui dire adieu.
00:39:17 - Maman, qui avait une occupation obligée dans le camp,
00:39:22 a quitté sa mère le matin et quand elle est rentrée le soir,
00:39:26 sa mère était décédée, le corps déjà emporté.
00:39:31 - Pour elle, c'est pire que tout.
00:39:35 Pire que tout, car ce n'est que quelques jours plus tard
00:39:39 que le camp est libéré par les Alliés.
00:39:43 Au milieu des cadavres qui jonchent le sol,
00:39:51 Simone et sa sœur ont réussi à tenir jusqu'au bout.
00:39:55 Elles vont pouvoir rentrer en France.
00:39:58 Le 23 mai 1945, après plusieurs jours de voyage,
00:40:02 les deux jeunes femmes arrivent à l'hôtel Lutetia,
00:40:05 en plein cœur de Paris.
00:40:07 Un hôtel réquisitionné pour accueillir les rescapés des camps.
00:40:11 Sur 75 000 Juifs français déportés, 2500 seulement reviendront.
00:40:16 Le palace est pris d'assaut par les familles
00:40:19 à la recherche des survivants.
00:40:22 - Il y avait des centaines de gens qui montraient des photos.
00:40:29 "Est-ce que vous avez rencontré ma femme et mes cinq enfants?"
00:40:33 - On se pose des questions et on se dit, bon, ils ne rentrent pas,
00:40:38 c'est qu'ils sont morts, c'est qu'ils ont été exterminés.
00:40:41 Il n'y a pas d'autre issue.
00:40:44 - Simone ne retrouvera ni son père, ni son frère Jean,
00:40:48 ni sa grande sœur Denise qui avait échappé à la rafle.
00:40:52 De toute la famille Jacob aujourd'hui,
00:40:55 il ne reste plus qu'elle et sa sœur Milou.
00:40:58 Simone ne retrouvera ni son père, ni son frère.
00:41:04 Elle apprendra beaucoup plus tard qu'ils ont fait partie du convoi 73
00:41:07 à destination des Pays de l'Est.
00:41:09 Leurs corps ne seront jamais identifiés.
00:41:12 En revanche, elle retrouvera à Paris sa grande sœur Denise,
00:41:15 entrée dans la résistance, déportée à Ravensbruck.
00:41:18 Elle y sera prisonnière jusqu'à la libération.
00:41:21 En 1945, Simone est accueillie chez son oncle et sa tante à Paris.
00:41:25 Elle n'a alors qu'une idée en tête,
00:41:27 tourner la page sur l'enfer qu'elle a vécu.
00:41:30 Elle veut avancer dans cette vie d'après et elle a déjà quelques projets.
00:41:34 - Revenons des camps et se retrouvons à Paris
00:41:44 dans un milieu qu'elle ne connaissait pas du tout.
00:41:46 Dans une ville dont elle n'avait pas l'habitude,
00:41:49 sans parents, tellement démunie, et bien, elle faisait face.
00:41:53 - La seule façon de survivre, c'est de regarder devant,
00:41:55 il n'y a pas d'autre façon de survivre.
00:41:57 - Le désir d'apprendre, de faire des études,
00:41:59 de parvenir assez vite.
00:42:01 - Le bac de Simone a été validé pendant son absence.
00:42:04 Elle peut donc s'inscrire à la fac
00:42:06 et se lance en parallèle dans des études de droit
00:42:09 et de sciences politiques.
00:42:11 Un choix rare pour une jeune femme de l'époque.
00:42:14 - Il y avait très peu de filles.
00:42:17 Je crois qu'elles étaient deux. C'était extraordinaire.
00:42:19 Elle avait l'air à son aise, avec un courage, une dignité.
00:42:22 Elle ne se faisait pas remarquer, elle était comme les autres.
00:42:25 - Comme les autres, discrètes, mais travailleuses.
00:42:29 Simone obtient rapidement de très bons résultats
00:42:31 et elle rêve de devenir avocate.
00:42:34 - Elle s'intéressait à tout.
00:42:36 Une culture extraordinaire pour quelqu'un de cet âge-là.
00:42:39 - L'université lui permet de reprendre goût à la vie.
00:42:42 Elle s'y fait de nouveaux amis
00:42:45 et va même y rencontrer l'amour.
00:42:47 A l'hiver 1946, elle part en vacances
00:42:49 avec ses camarades de Sciences Po.
00:42:52 - Elle a un ami qui lui propose de l'emmener
00:42:55 avec d'autres amis à faire du ski.
00:42:58 C'était ses premières vacances, après le retour.
00:43:03 - A la montagne, Simone se rapproche
00:43:05 d'un autre étudiant de Sciences Po.
00:43:07 Il s'appelle Antoine Veil.
00:43:09 - La légende familiale veut que mon père ait été
00:43:12 particulièrement galant en lui portant ses skis.
00:43:14 Est-ce que c'est ce geste délicat qui a conduit
00:43:18 à ce qu'il fasse plus amplement connaissance ?
00:43:21 Ça a dû y participer.
00:43:23 - Pour Antoine Veil, le coup de foudre est immédiat.
00:43:26 Elle a 19 ans, lui 20 ans, et une ambition commune
00:43:30 qui les rend rapidement inséparables.
00:43:34 - Ce qui lui plaît, c'est à la fois la beauté
00:43:37 du visage de ma mère et la gravité de son regard.
00:43:42 - Elle est brillante, intelligente, belle.
00:43:44 Il n'y a aucune raison qu'un homme
00:43:46 ne tombe pas follement amoureux d'elle.
00:43:49 - Il devait à la fois distraire maman
00:43:52 et en même temps appréhender le drame
00:43:56 qu'elle avait traversé et qu'elle traversait encore.
00:44:00 - Cette compréhension, cette attention qui lui portait
00:44:04 a été pour elle quelque chose d'extraordinairement important.
00:44:08 - Je crois que Simone a trouvé l'homme de sa vie.
00:44:12 - 8 mois après leur rencontre, le 26 octobre 1946,
00:44:18 Simone et Antoine se marient.
00:44:21 En devenant Simone Veil, elle intègre une nouvelle famille,
00:44:26 juive et laïque comme la sienne.
00:44:30 - Elle a retrouvé la même atmosphère que chez elle,
00:44:33 le même nom d'enfant,
00:44:35 une famille extraordinairement gentille, généreuse.
00:44:39 Elle se retrouvait en famille.
00:44:42 - Elle y trouve la même rigueur, la même attention aux autres.
00:44:47 Et ce sont tous des gens du livre ou des livres et de l'écriture.
00:44:54 C'était un des éléments constructifs et importants
00:44:57 de la vie de Simone, la culture.
00:44:59 Elle l'avait eue dans son milieu familial,
00:45:01 elle tenait à le retrouver,
00:45:03 et dans la famille d'Antoine Veil, elle l'a retrouvé.
00:45:06 - Simone poursuit ses études, mais avant tout,
00:45:10 elle veut fonder une famille.
00:45:12 Le 26 novembre 1947, elle donne naissance à son premier garçon.
00:45:16 Elle l'appelle Jean, comme son frère disparu pendant la déportation.
00:45:21 - Il avait été convenu entre les 3 sœurs Jacob, survivantes,
00:45:26 que le premier garçon qui naîtrait porterait le prénom du frère.
00:45:32 - Un an plus tard, elle a un 2e fils, Nicolas.
00:45:39 - Elle veut vivre.
00:45:44 Elle ne veut pas tirer un trait,
00:45:46 parce que tout ça est tellement présent en elle.
00:45:50 C'est impossible, mais elle a cette force extraordinaire
00:45:53 de sublimer tout ça, et elle veut vivre.
00:45:57 - Cette soif de vivre, elle ne l'a jamais perdue.
00:46:02 Mais au fond d'elle, elle garde une blessure,
00:46:05 et elle ne peut en parler à personne.
00:46:07 Même Antoine refuse d'évoquer l'horreur des camps.
00:46:10 Pour lui, il faut tout oublier.
00:46:13 - C'est un sujet dont on n'a pas le droit de parler à table.
00:46:16 Quand Simone, par hasard, commence à aborder ce sujet,
00:46:19 elle a rabrou à disant "non, on ne parle pas",
00:46:22 ou bien, pire, il n'écoute pas.
00:46:24 Ce dont on ne parle pas existe moins, c'est vrai.
00:46:27 - Mais Simone a besoin d'en parler.
00:46:29 Alors elle se tourne vers la seule personne avec qui elle peut le faire,
00:46:33 sa sœur Milou.
00:46:35 Elles ont tout traversé ensemble,
00:46:37 et une fois par semaine,
00:46:39 elle se retrouve dans un café de Saint-Germain-des-Prés.
00:46:42 Elle parle alors du passé.
00:46:44 - Il y avait une intimité, une chaleur
00:46:46 entre les 2 sœurs extraordinaires.
00:46:49 - C'est pas ça qui va la consoler de la perte de sa mère,
00:46:52 mais ça crée un lien encore plus fort avec sa sœur.
00:46:58 - C'est extraordinaire comme volonté,
00:47:00 se dire "nous n'en parlerons à personne d'autre qu'à nous".
00:47:03 - Mais ces rendez-vous secrets entre les 2 sœurs ne vont pas pouvoir durer.
00:47:07 Après 5 ans de reconstruction, Simone doit quitter Paris.
00:47:11 Antoine vient d'obtenir un poste consulat de France,
00:47:14 un poste en Allemagne.
00:47:16 Une destination difficile pour Simone.
00:47:18 - Se retrouver en Allemagne,
00:47:20 entendre parler cette langue dans la rue,
00:47:23 cela est horriblement dur.
00:47:25 Mais je crois que pour elle,
00:47:27 même les choses dures, elle les accepte, elle les fait.
00:47:30 Le 1er janvier 1950,
00:47:33 le couple Veil et leurs 2 enfants arrivent à Wiesbaden,
00:47:36 une station thermale au bord du Rhin.
00:47:39 Simone ne cherche pas de travail,
00:47:41 elle devient femme au foyer.
00:47:43 - Elle va devenir une femme soumise.
00:47:45 Avoir des enfants, ne pas reprendre ses études,
00:47:49 aider son mari à passer l'ENA,
00:47:51 en lui préparant ses dossiers, la femme parfaite.
00:47:55 - Je me souviens même de l'avoir vue tricoter des chandails pour mon frère et moi.
00:48:00 C'est une maîtresse de maison très convenable.
00:48:04 Une fois par an, sa sœur Milou vient lui rendre visite avec son mari.
00:48:10 A l'été 1952, leur venue est particulièrement attendue.
00:48:14 Car Milou vient pour la 1re fois avec son bébé, Luc,
00:48:18 âgé d'un pet d'un an.
00:48:20 - C'était un moment très important pour elle.
00:48:25 On voit bien le bonheur qu'elles ont à se retrouver,
00:48:29 à se voir quand elles sont ensemble.
00:48:32 C'est très parlant.
00:48:34 Pendant 2 semaines,
00:48:36 les 2 sœurs retrouvent leur complicité.
00:48:40 Et Simone profite pleinement de son petit-neveu.
00:48:44 - Elles s'adoraient mutuellement.
00:48:49 Ils avaient traversé tellement de choses ensemble.
00:48:52 Il y avait ce petit garçon, Luc,
00:48:54 qui était la vie qui renaissait.
00:48:58 Mais la fin des vacances approche.
00:49:02 Milou et sa famille doivent regagner la France.
00:49:07 C'est l'heure des embrassades.
00:49:10 Et Antoine a sorti son appareil photo.
00:49:14 Alors il prend quelques clichés de ce départ.
00:49:18 - Sur la route du retour,
00:49:32 le mari de Milou perd le contrôle de la voiture.
00:49:35 La voiture va s'écraser contre un arbre.
00:49:38 Milou et son bébé, Luc, sont tués sur le coup.
00:49:43 Pour maman, le monde s'écroule une 2e fois.
00:49:53 - Maman a accumulé un certain nombre de drames.
00:50:02 La perte de sa mère, son père, son frère.
00:50:05 Au moment où les choses commençaient à aller mieux,
00:50:08 sa soeur se tue en voiture avec son fils sur ses genoux.
00:50:12 Il m'est arrivé d'entendre maman dire
00:50:16 que parfois, elle avait le sentiment de porter malheur.
00:50:20 - Quelques mois après le drame,
00:50:24 le couple et leurs enfants rentrent d'Allemagne.
00:50:28 Antoine est reçu à l'école nationale d'administration.
00:50:32 Il en ressortira inspecteur des finances.
00:50:35 Simone, quant à elle, accouche de son 3e enfant, Pierre-François.
00:50:39 Mais cette année-là, la vie de famille n'est plus sa priorité.
00:50:43 Nous sommes au mois de mars 1954.
00:50:55 Ce jour-là, dans son appartement parisien,
00:50:58 le couple Veil est en pleine discussion.
00:51:01 Simone vient d'annoncer à Antoine qu'elle voulait trouver un travail.
00:51:05 - La vie professionnelle, c'était un des 2 buts qu'elle s'était fixé.
00:51:09 Et elle n'a jamais consenti à oublier cette priorité,
00:51:12 qui était la sienne.
00:51:14 - Tout de suite, en rentrant de déportation,
00:51:17 elle avait fait Sciences Po.
00:51:19 Ensuite, entre guillemets, comme une bonne épouse,
00:51:22 elle a fait avec ses enfants son mari en poste à Wiesbaden.
00:51:26 Et donc, maintenant, elle a envie de travailler.
00:51:29 Mais l'idée ne plaît pas du tout à Antoine.
00:51:32 Il s'y oppose fermement.
00:51:34 - Antoine lui dit, comme son père avait dit à sa mère,
00:51:37 "Tu ne vas pas travailler."
00:51:39 C'est un personnage assez sévère,
00:51:42 qui a des principes, qui les défend.
00:51:45 - Antoine, qui était, comme étaient beaucoup d'hommes à cette époque-là,
00:51:49 voulait qu'elle soit mère au foyer.
00:51:52 - Mais Simone n'est pas d'accord.
00:51:55 Et cette fois, elle n'abdique pas.
00:51:57 Antoine finit par céder.
00:51:59 - C'est Simone qui l'impose, parce qu'elle se souvient parfaitement
00:52:03 du sort qu'elle estime injuste qui a été infligé à sa mère.
00:52:07 Il n'est évidemment pas question pour elle
00:52:10 de répéter le modèle de sa mère.
00:52:14 - Le couple trouve un terrain d'entente.
00:52:17 Simone sera magistrate,
00:52:19 un métier ouvert aux femmes depuis quelques années,
00:52:22 même si elles sont peu nombreuses à y accéder.
00:52:25 En 1956, à 30 ans,
00:52:28 elle est reçue parmi les premières au concours.
00:52:32 - Le monde de la magistrature était un monde d'hommes,
00:52:35 et Simone Veil était l'une des rares femmes
00:52:38 à avoir une fonction de cette nature aussi importante.
00:52:42 - L'accueil des magistrats chevronnés
00:52:45 n'était pas toujours extraordinairement...
00:52:48 Il était aimable, il était courtois, mais il était très distant.
00:52:52 - Quelques mois après son arrivée, on lui confie un dossier important,
00:52:58 celui des conditions de détention des femmes algériennes
00:53:01 incarcérées en France.
00:53:03 Elles sont nombreuses. La guerre fait rage en Algérie.
00:53:06 - Elle ne peut pas supporter le sort infâme
00:53:09 qui est réservé aux femmes algériennes
00:53:11 qui sont traitées de façon épouvantable
00:53:13 dans les prisons de la République française.
00:53:15 - Elle découvre que les femmes en prison
00:53:17 n'ont le droit de prendre une douche qu'une fois par semaine,
00:53:20 des tas de choses comme ça qui lui paraissent absolument insupportables.
00:53:24 - Tout ce qui est humiliation est pour elle quelque chose d'insupportable.
00:53:29 Ça ne peut pas remémorer ce qu'a été son expérience personnelle.
00:53:34 - Ça lui rappelle un peu les camps, tout de même.
00:53:38 Les conditions de détention, l'indignité,
00:53:41 le manque de respect pour les personnes,
00:53:43 et tout ça, ça la bouleverse même.
00:53:46 - Elle commence alors un véritable tour de France
00:53:49 des établissements pénitentiaires.
00:53:51 La moindre occasion est bonne pour mener à bien sa mission,
00:53:53 alors parfois, toute la famille est obligée de la suivre.
00:53:56 - Elle profitait des voyages familiaux
00:54:01 pour s'arrêter dans tel ou telle ville de province
00:54:04 sur le chemin de nos vacances
00:54:06 pour aller visiter la prison.
00:54:09 - On est en général le 31 juillet, le 1er août ou le 2 août,
00:54:14 sans climatisation.
00:54:16 Et nous, on attend sur le parking,
00:54:18 si on a de la chance, il y a un arbre et la voiture est sous un arbre.
00:54:21 Sinon, on attend la voiture.
00:54:23 Comme on est des garçons, on se bat.
00:54:25 Enfin, je dis on se bat.
00:54:26 En réalité, les deux grands battent le petit, c'est-à-dire moi.
00:54:29 - Alors là, le mari et les fils disent,
00:54:32 "T'es prison, on en a marre, ça suffit, là."
00:54:35 Elle sent qu'elle peut pas aller plus loin, qu'il faut que ça s'arrête.
00:54:38 Donc elle va accepter des responsabilités un peu moins prenantes.
00:54:42 - Après cette année passée dans les prisons françaises,
00:54:46 Simone Veil accepte un poste de fonctionnaire,
00:54:49 moins envahissant pour sa vie de famille.
00:54:52 - Au mois de mars 1970, Simone Veil devient secrétaire générale
00:54:59 du Conseil supérieur de la magistrature.
00:55:01 C'est la première fois qu'une femme est en charge
00:55:04 et qu'une femme est nommée à un tel poste.
00:55:06 Elle s'apprête à poursuivre un parcours brillant de fonctionnaire
00:55:09 dans l'ombre du pouvoir, mais aussi dans celle de son mari,
00:55:12 devenu membre du Conseil de Paris.
00:55:14 Le couple a une vie très mondaine,
00:55:16 mais Simone a pris l'habitude de rester en retrait
00:55:18 jusqu'au jour où elle va se retrouver, malgré elle,
00:55:21 propulsée sur le devant de la scène.
00:55:23 - En janvier 1973, un magazine féminin décide de consacrer
00:55:30 un dossier à la place des femmes dans le paysage politique français.
00:55:34 - Il nous a paru intéressant d'imaginer un gouvernement
00:55:38 entièrement composé de femmes.
00:55:40 Nous pensions comme ça à montrer qu'on pouvait trouver
00:55:44 parmi les femmes des personnes aussi compétentes que les hommes
00:55:48 pour occuper les différentes fonctions ministérielles.
00:55:51 - Les auteurs de cette enquête ont recherché des femmes
00:55:57 qui, à cette époque-là, avaient des fonctions relativement importantes.
00:56:02 Ils n'avaient pas beaucoup.
00:56:04 - Une vingtaine de femmes qui ont fait parler d'elle
00:56:06 au cours de l'année sont identifiées,
00:56:08 mais il reste à désigner celle qui jouera le rôle de Premier ministre.
00:56:12 - Il fallait que ce soit une femme qui ait suffisamment de compétences
00:56:17 pour pouvoir occuper ce poste, une personne qui avait
00:56:20 à la fois du caractère, qui avait une expérience.
00:56:23 - Les journalistes se lancent à la recherche de cette perle rare
00:56:26 et l'un d'eux finit par tomber sur le nom de Simone Veil,
00:56:29 femme discrète qui occupe de très hautes fonctions.
00:56:33 - Nous nous sommes dit, oui, c'est la personne qu'il nous faut.
00:56:39 Donc, nous l'avons nommée Première ministre
00:56:43 sans lui demander son autorisation.
00:56:45 - Le 1er février 1973, Simone Veil apparaît dans le magazine
00:56:50 aux côtés du président Pompidou en tant que chef d'un gouvernement fictif.
00:56:55 Dans les dîners parisiens, le monde politique s'amuse de cet article.
00:57:00 Simone Veil est avant tout la charmante épouse d'Antoine Veil.
00:57:04 Personne ne l'imagine entrer en politique.
00:57:07 - Elle, elle était là un peu comme la jeune fille sur la réserve
00:57:12 à qui on ne prête absolument aucune vocation politique,
00:57:16 dont on parle comme si vraiment ça ne l'intéressait pas.
00:57:19 - Au point que lorsqu'il y avait une conversation politique,
00:57:22 si elle voulait s'en mêler, il lui disait,
00:57:24 ben non, là, on parle politique.
00:57:26 - Mais un événement inattendu va bouleverser le paysage politique français.
00:57:31 Et le nom de Simone Veil va commencer à circuler sérieusement.
00:57:35 Le 2 avril 1974, le président Georges Pompidou décède brutalement.
00:57:42 Des élections anticipées sont rapidement organisées.
00:57:45 Et le 19 mai, Valéry Giscard d'Estaing est élu président de la République.
00:57:51 Il a 48 ans et de grandes ambitions pour moderniser la France.
00:57:55 Pour mener à bien son projet, le 27 mai,
00:58:00 il nomme un tout jeune Premier ministre, Jacques Chirac.
00:58:04 Ce même jour, Simone Veil et son mari sont invités chez un couple d'amis.
00:58:10 En plein dîner, le téléphone sonne, on demande Simone Veil de toute urgence.
00:58:16 En fait, c'est Jacques Chirac le Premier ministre,
00:58:19 la conversation est brève, le ton direct.
00:58:22 Le président veut qu'il y ait davantage de femmes au gouvernement
00:58:25 et il aimerait qu'elle en fasse partie.
00:58:27 - Je souhaitais nommer des femmes, des femmes qualifiées,
00:58:32 c'est-à-dire qui apparaissent avec leurs compétences
00:58:35 et qui soient à l'aise dans un gouvernement pour être un ministre comme les autres.
00:58:40 Jacques Chirac propose alors à Simone Veil le ministère de la Santé.
00:58:44 Jamais une femme n'avait encore occupé un tel poste.
00:58:48 Simone Veil raccroche et rejoint les convives à table.
00:58:52 Elle ne parle à personne de cette conversation avec Jacques Chirac.
00:58:55 Ce n'est qu'une fois rentrée chez elle qu'elle met son époux dans la confidence.
00:59:00 Le couple va en parler toute la nuit.
00:59:03 - Mes parents m'ont appelé le lendemain matin
00:59:08 en me disant que maman acceptait de rentrer au gouvernement.
00:59:13 Je suis assez surpris, évidemment.
00:59:17 Maman n'est pas du tout une femme politique, maman n'a jamais fait de politique.
00:59:19 Mon père, disant, attirant mon attention sur le fait qu'elle était ministre plein et pas secrétaire d'Etat,
00:59:26 je crois qu'il en était très fier, très content.
00:59:28 Dès ses premières apparitions au Conseil des ministres,
00:59:32 Simone Veil attire tous les regards.
00:59:35 C'est la seule femme au milieu d'une dizaine d'hommes rompus à l'exercice du pouvoir.
00:59:41 Et cela ne semble pas l'impressionner.
00:59:46 - Elle considérait que c'était tout naturel que les femmes puissent émerger dans le monde politique,
00:59:50 encore qu'elles-mêmes ne s'y étaient pas vraiment préparées.
00:59:53 - C'est pas si facile, quand on n'a jamais été ministre, quand on n'a jamais été élue.
00:59:58 Et pourtant, Simone Veil va se voir rapidement confier une mission de premier plan.
01:00:03 Un projet de loi particulièrement polémique,
01:00:06 mais qui tient à cœur au président, la légalisation de l'avortement en France.
01:00:11 - C'était un sujet très sensible.
01:00:14 La question était bloquée pratiquement,
01:00:17 puisque la loi de l'époque condamnait les jeunes femmes qui se faisaient avorter
01:00:22 à une peine de prison fixe de six mois.
01:00:25 Et donc, dès la campagne présidentielle, j'avais dit, on va régler ce problème.
01:00:29 Au départ, ce projet de loi n'était pas de la compétence de la ministre de la Santé,
01:00:34 mais c'est pourtant elle que le président de la République a décidé de faire.
01:00:40 C'est pourtant elle que le président va finir par choisir pour le défendre.
01:00:43 - Normalement, le texte aurait dû être soutenu par le garde des Sceaux.
01:00:49 - Mais le ministre de la Justice, qui était Jean-Luc Anouer,
01:00:52 appartenait à la tendance démocrate chrétienne,
01:00:54 il m'a dit, ça me gêne, vis-à-vis de mes amis, je serai embarrassé.
01:00:58 - Il n'avait aucune envie d'assumer la responsabilité de ce texte.
01:01:03 - Alors j'ai regardé qui pouvait le faire, et je me suis dit, on va prendre une femme.
01:01:08 Une autre ministre est alors citée, Françoise Giroud, secrétaire d'État à la Condition féminine.
01:01:14 - Françoise Giroud était beaucoup plus connue, beaucoup plus célèbre.
01:01:18 Elle avait été de longues années directrice de L'Express, à côté de Jean-Jacques Saint-Lang-Chrébert.
01:01:24 Elle connaissait absolument Paris.
01:01:27 Françoise Giroud, personnalité incontournable et militante engagée,
01:01:31 ou Simone Veil, inconnue et novice en politique,
01:01:35 pour Françoise Giroud, la question ne se pose pas.
01:01:38 - Elle faisait de temps en temps des commentaires sur elle,
01:01:41 comme si Simone Veil était une cousine de province, vous voyez, par rapport à une star parisienne.
01:01:47 Simone Veil le vivait très mal, donc très vite, entre les deux femmes,
01:01:52 on sentait qu'il y avait de l'électricité dans l'air.
01:01:55 Valérie Giscard d'Estaing finit par trancher.
01:01:58 Les positions féministes de Françoise Giroud pourraient desservir le projet de loi.
01:02:03 Il faut quelqu'un capable de rassembler l'opinion publique, quelqu'un de neutre.
01:02:07 Ce sera donc Simone Veil.
01:02:10 - Elle m'a parue tout à fait calme,
01:02:15 et même assez satisfaite que Valérie Giscard d'Estaing lui ait dit que c'était elle seule qui l'a portée.
01:02:21 Simone Veil n'a pas une minute à perdre.
01:02:26 Le texte doit être rapidement rédigé.
01:02:31 Alors, elle constitue une équipe,
01:02:33 et elle va faire une vraie campagne de terrain auprès des différents partenaires du projet.
01:02:39 - Tout l'été a été consacré à la préparation du texte.
01:02:43 On a reçu un certain nombre de personnes, les différentes associations, les Célévives, le planning familial.
01:02:48 - J'ai été aller voir l'archevêque de Paris, les autorités ecclésiastiques, qui étaient vent debout.
01:02:53 La pression monte de toutes parts.
01:02:56 Après l'église, c'est au tour du Conseil de l'Ordre des médecins de marquer sa désapprobation.
01:03:01 - Elle a eu une période difficile de relation avec un certain nombre de grands pontes médicaux.
01:03:09 Elle les a remis à leur place, elle leur a dit "le ministre c'est moi, c'est pas vous.
01:03:13 Les réformes que je veux faire, je les ferai, vous ne m'en empêcherez pas".
01:03:17 Simone Veil ne flanche pas, et elle tient tête à tous ceux qui veulent barrer la route à son projet,
01:03:24 y compris ses propres collaborateurs.
01:03:26 - Non, et c'est justement un problème fondamental, de savoir comment on considère la fonction maternelle.
01:03:32 Si on considère que la fonction maternelle est une fonction comme beaucoup d'autres,
01:03:35 comme celle d'aller planter les choux, il faut le dire, et on ne dit pas qu'on fait un politique familial.
01:03:39 - Elle n'était pas facile, Simone Veil n'a jamais été facile.
01:03:43 Elle s'aidait rarement à ses interlocuteurs, elle savait prendre des risques pour défendre ses convictions.
01:03:50 Après six mois de débats, d'écriture et de tractation, le projet de loi est enfin prêt.
01:03:56 Reste une étape cruciale, la préparation du discours de présentation devant l'Assemblée nationale.
01:04:02 - Un dimanche après-midi, dix jours avant la discussion du projet de loi à l'Assemblée nationale,
01:04:09 Madame Veil nous réunit chez elle, c'était très exceptionnel, elle ne le faisait jamais.
01:04:13 Les collaborateurs sont venus pour écrire le texte avec elle,
01:04:18 mais la ministre ne les a pas attendus.
01:04:20 - Elle est dans son salon, nous sommes assis autour d'elle,
01:04:23 et à ce moment-là, elle nous dit qu'elle avait rédigé déjà partie de son discours.
01:04:31 Nous l'écoutons avec évidemment une extrême attention,
01:04:40 et nous sommes frappés par le ton très personnel qu'elle avait trouvé.
01:04:47 La force des propos qui étaient les siens, nous laissait penser que
01:04:53 bon nombre de députés hésitant pourraient être sensibles à ce discours.
01:04:59 - Je voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme.
01:05:03 Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement.
01:05:06 Il suffit d'écouter les femmes.
01:05:10 C'est toujours un drame, cela restera toujours un drame.
01:05:16 - Elle a une force vraiment d'entraîner, la force de proposer, la force d'écouter,
01:05:23 et l'autorité naturelle.
01:05:25 Il y a très peu de femmes qui ont cette autorité naturelle et qui l'ont trouvée tout de suite.
01:05:30 Simone Veil vient de prononcer le discours qui fera d'elle la femme politique la plus populaire de France.
01:05:44 Une popularité qui à partir de ce jour ne fiblira jamais.
01:05:47 La loi sur l'IVG porte son nom et fait d'elle une icône de la République.
01:05:51 Pourtant personne ne la connaît encore vraiment, personne ne sait ce qu'elle a vécu.
01:05:55 Elle qui refusait d'aborder ses années sombres auprès de son cercle intime
01:05:59 va cependant décider de briser le silence et elle va le faire publiquement.
01:06:03 Ce jour-là, la ministre de la Santé vient lancer la construction d'un hôpital en région parisienne
01:06:12 et une équipe de télévision l'accompagne.
01:06:14 Quand on pose la première pierre, on fait un geste symbolique.
01:06:19 Avec une truelle, on glisse un peu de ciment entre deux pierres.
01:06:23 Et alors le préfet, qui veut faire un compliment et qui fait le compliment habituel,
01:06:29 dit "mais vous maniez très bien la truelle".
01:06:33 Vous avez une certaine technique déjà.
01:06:35 J'ai fait ça, vous savez, j'ai fait ça en déportation.
01:06:39 J'ai fait ça très bien.
01:06:41 Ça a été mon métier.
01:06:44 "J'ai fait ça en déportation", "ça a été mon métier",
01:06:49 jamais Simone Veil n'avait encore évoqué publiquement son passé de déportée.
01:06:53 Et la plupart des personnes le découvrent ce jour-là.
01:06:56 Les médias ne savent pas qui elle est, les médias ne connaissent pas son histoire,
01:07:01 les médias ne savent pas ce qu'elle a dans la tête, dans les tripes.
01:07:03 Ils vont vite découvrir que Simone Veil n'est sans doute pas celle qu'ils croient.
01:07:07 La presse commence alors à s'intéresser à son parcours.
01:07:11 Et elle finit par accueillir les journalistes chez elle,
01:07:14 dans ses maisons de campagne en Normandie.
01:07:17 Dans ce reportage, Simone Veil reste fidèle à l'image que les Français ont d'elle,
01:07:25 une mère de famille traditionnelle qui prépare le thé pour ses invités.
01:07:30 "C'est une bourgeoise, elle est code de la bourgeoisie,
01:07:33 elle se tient, elle s'habille et se comporte comme une bourgeoise."
01:07:36 "Avec son chignon, ses tailleurs Chanel, toujours très strictes."
01:07:40 "C'est quand même elle qui fait le service,
01:07:48 et que les autres restent confortablement installés à se faire servir le thé."
01:07:51 Et Antoine Veil semble beaucoup apprécier que son épouse joue les femmes d'intérieur.
01:07:59 "Elle a vu très bien qu'il fallait mettre une tasse et une sous-coupe,
01:08:02 et pas deux sous-coupes et deux tasses."
01:08:04 "Ah oui, tu crois qu'elle passera une tesse ?"
01:08:06 "Il blaguait sa femme tout le temps, ça bien entendu.
01:08:09 La mère Simone, etc.
01:08:11 Oui, il plaisantait toujours à son sujet, ça faisait partie du théâtre quotidien."
01:08:16 "Son admiration était telle, pour sa femme,
01:08:19 qu'en même temps il voulait y mettre un peu de plaisanterie et de relativité."
01:08:25 "Ça fait partie de ce jeu de tendresse qu'il y a entre eux."
01:08:28 Après 30 ans de vie commune, Antoine Veil respecte et admire beaucoup sa femme.
01:08:35 Il a même compris depuis longtemps que le chef de famille, c'est elle.
01:08:40 "Il l'appelait la patronne.
01:08:43 Je vais appeler la patronne, il faut qu'on organise un déjeuner avec la patronne."
01:08:47 "La patronne, c'était elle. C'est elle qui a été ministre."
01:08:51 "Et lui, quelque part, qui a été le prince consort."
01:08:54 "Ce qui n'est pas toujours facile à vivre."
01:08:56 "Il a su la laisser passer devant.
01:08:59 Il a compris."
01:09:01 "C'était un homme d'une très grande finesse et d'une très grande intelligence."
01:09:08 "La protection qu'il lui accordait, la meilleure manière d'être avec elle.
01:09:14 Il savait."
01:09:16 "Antoine s'est effacé devant Simone,
01:09:20 il a compris que le choix de Simone était un choix magnifique
01:09:25 et il a vu qu'elle prenait une ampleur, une destinée française qu'il n'aurait jamais incarnée."
01:09:35 Simone Veil accepte également d'être interviewée sur sa vie personnelle.
01:09:39 Elle est enfin prête à tout raconter, son enfance et surtout la déportation.
01:09:46 Elle ne va rien occulter, à commencer par l'horreur des camps.
01:09:50 "Pour survivre dans les camps, il fallait une certaine agressivité."
01:09:58 "Ceux qui étaient trop bons, qui ne se laissaient dépouiller complètement par les autres, ne pouvaient pas résister."
01:10:10 "Et je crois que d'une certaine façon, maman et Milou étaient peut-être un peu de cette catégorie."
01:10:18 "Il fallait tout de même savoir se défendre, sinon très rapidement, la vie vous échappait."
01:10:25 "Et je crois que c'est peut-être là que je leur ai servi."
01:10:33 "C'est parce que j'étais plus dure."
01:10:39 "Elle en parle avec une pudeur extrême."
01:10:43 "La douleur, l'horreur, est presque mise en arrière derrière les faits, l'analyse, le ressenti."
01:10:57 Simone Veil parle de la déportation en surmontant son émotion.
01:11:02 Mais lorsque le journaliste aborde avec elle l'accident de sa soeur Milou, elle finit par craquer.
01:11:09 "Un peu plus tard, je crois que c'est en 52, une autre épreuve terrible vous attend."
01:11:15 "Oui."
01:11:19 "C'est pas possible."
01:11:23 "L'arrêt de la caméra, elle ne peut pas en parler. Trop dur."
01:11:35 "La douleur de maman est si évidente à ce moment-là que ça m'est insupportable."
01:11:43 Ce jour-là, Simone Veil fond l'armure et touche encore un peu plus le cœur des Français.
01:11:51 "Elle attire, elle surprend et elle est merveille en un sens."
01:11:56 "C'est pas si courant dans la classe politique de trouver quelqu'un comme elle."
01:12:02 Son histoire personnelle émeut les Français.
01:12:05 À la fin des années 70, elle est devenue une icône.
01:12:09 Ils ne cesseront de la désigner comme leur personnalité préférée.
01:12:13 Son destin politique va alors prendre une nouvelle dimension.
01:12:31 En 1979, pour la première fois, la présidence du Parlement européen est soumise au suffrage universel.
01:12:38 Valérie Giscard d'Estaing a proposé à Simone Veil de diriger la liste UDF au nom de la majorité présidentielle.
01:12:45 Elle a accepté sans hésiter.
01:12:47 "Elle n'avait pas envie d'être ministre toute sa vie. En revanche, elle voulait se battre pour des sujets auxquels elle croyait."
01:12:53 "Pour elle, l'Europe, la réconciliation, c'était absolument indispensable."
01:12:58 "Elle ne veut pas rejeter l'Allemagne parce qu'elle fait la différence entre les Allemands et les Nazis."
01:13:03 "Ce que beaucoup de personnes ne sont pas capables de faire à ce moment-là."
01:13:09 Alors, Simone Veil enchaîne les meetings dans toute la France à la rencontre des jeunes générations,
01:13:15 celles qui n'ont pas connu la guerre.
01:13:17 "L'Europe, c'est d'abord la fête."
01:13:21 "C'est la fête de la France."
01:13:25 "L'Europe, c'est d'abord la fête."
01:13:28 "Et vous en avez entendu parler de cette fête."
01:13:31 "Et sans doute même, vous vous dites qu'on vous rabâche les oreilles avec la fête."
01:13:36 "Tout ce qu'elle a vécu pendant la guerre, et ce que tous les peuples ont vécu pendant la guerre, plus jamais ça."
01:13:42 Mais cette élection lui impose un autre défi.
01:13:45 Un débat télévisé avec les autres têtes de liste,
01:13:48 des ténors de la politique française qui, contrairement à elle, sont rompus à l'exercice.
01:13:54 "C'est la fête de la France."
01:13:56 "C'est la fête de la France."
01:13:59 Face à elle, ce soir-là, François Mitterrand, le candidat socialiste,
01:14:03 Georges Marchais, leader du Parti communiste,
01:14:06 et Jacques Chirac, le candidat du RPR, son ancien Premier ministre.
01:14:11 "C'est jamais simple de se trouver face à trois grands débatteurs de tribune."
01:14:16 "François Mitterrand, une très grande expérience, Jacques Chirac, autre grande expérience,
01:14:19 et la goye de Georges Marchais, que tout le monde connaît."
01:14:23 "Viens Madame le ministre, messieurs."
01:14:25 "Simone Veil, femme au milieu de ses ogres politiques,
01:14:29 paraissait bien fragile même si elle était oréolée de sa notoriété personnelle et de sa popularité."
01:14:35 Les trois hommes ont bien conscience de cette popularité,
01:14:38 alors dès les premières minutes de débat, ils cherchent à la déstabiliser.
01:14:42 François Mitterrand enchaîne les attaques avec un ton de plus en plus méprisant.
01:14:46 "Et vous dites les femmes, et notamment les jeunes femmes,
01:14:49 ne doivent subir aucune discrimination sur le marché du travail, et en France."
01:14:52 "Qu'est-ce que vous faites en France ?"
01:14:54 "Elle n'aime pas du tout Mitterrand, elle n'a jamais aimé Mitterrand,
01:14:58 mais enfin bon, elle est tout à fait capable de lui tenir tête."
01:15:02 "Moi tout simplement d'un mot, je voudrais dire que j'étais éberluée
01:15:06 en entendant ce que vient dire M. Mitterrand."
01:15:08 "Elle ne se laisse pas marcher sur les pieds, elle n'abandonne pas ses principes."
01:15:13 Simone Veil se défend, mais François Mitterrand est à l'affût de la moindre erreur,
01:15:18 et ne laisse rien passer.
01:15:21 "Celui que vous avez cité n'est justement pas surmaliste,
01:15:23 enfin je comprends cette erreur, il aurait pu s'y trouver."
01:15:26 "C'est M. Machan, c'est M. Machan qui lui est sur votre titre."
01:15:29 "Je suis très content d'y trouver."
01:15:31 La ministre est en difficulté, ce qui amuse les deux autres candidats.
01:15:35 Georges Marchais tente alors de la faire flancher avec un ton bien à lui.
01:15:39 "C'est des bricoles ça !"
01:15:41 "C'est des bricoles, exactement, c'est des bricoles, il a dit ça, ça fait rien."
01:15:44 "C'est des détails !"
01:15:46 "Elle ne se laissait pas, vous savez, c'est une femme qui a une personnalité très forte,
01:15:50 une grande sérénité en même temps."
01:15:52 "Excusez-moi, je répondrai ensuite."
01:15:54 "Je vais intervenir dans ce débat s'il vous plaît, ma faille."
01:15:56 "C'est parce que M. Chirac m'a posé une question, je pensais par politesse devoir lui répondre,
01:16:00 mais je vous en prie, je lui répondrai ensuite."
01:16:02 Jacques Chirac justement, lui aussi la prend pour cible.
01:16:05 Il cherche à la piéger sur des questions techniques.
01:16:08 "Où en est-on sur les montants compensatoires,
01:16:11 et quelle est votre position sur la taxe de corresponsabilité à l'État ?"
01:16:14 "Alors tout d'abord, je crois qu'il faut un peu s'excuser auprès des téléspectateurs,
01:16:19 qui comme sont très intéressés, c'est normal, les agriculteurs parlent de problèmes des montants compensatoires,
01:16:24 je pense que les autres n'y se retrouvent guère."
01:16:26 "Où en est-on ?"
01:16:28 "Où en est-on ? Il y a eu un stock important, vous le savez, et fort important même, qui s'est constitué."
01:16:33 "Un stock de quoi ?"
01:16:35 "Un stock de montants compensatoires positifs, vous le savez très bien,
01:16:39 donc je crois que c'est inutile de faire celui qui ne sait pas,
01:16:41 vous connaissez ça même beaucoup mieux que moi,
01:16:43 car vous avez été pendant très longtemps ministre de l'Agriculture, et Premier ministre."
01:16:48 Même son ancien Premier ministre ne parvient pas à l'impressionner.
01:16:51 Les trois ténors étaient persuadés de donner une leçon à cette jeune ministre qui vient jouer dans la cour des grands,
01:16:57 mais au final, trois semaines après le débat, c'est elle qui remportera l'élection aux Lamins,
01:17:04 avec plus de 27% des suffrages.
01:17:08 "Elle est très contente que ce soit une femme qui relègue les trois hommes derrière elle,
01:17:15 un joueur de bowling dirait qu'elle fait strike, elle fait carton plein."
01:17:20 Simone Veil devient députée européenne, mais Valéry Giscard d'Estaing a d'autres ambitions pour elle.
01:17:26 Il pense qu'elle peut devenir présidente du Parlement européen,
01:17:30 il soutient alors sa candidature auprès de son homologue allemand, le chancelier Helmut Schmitt.
01:17:38 Je lui ai dit, voilà, je souhaite que ce soit Simone Veil qui soit élue,
01:17:44 c'est une femme, une ancienne déportée, une femme tout à fait remarquable et compétente,
01:17:48 et donc je souhaite son élection.
01:17:50 Et Helmut Schmitt m'a dit, mais moi aussi, je crois que ce serait très bien,
01:17:54 et a ajouté la phrase suivante, il est encore trop tôt pour avoir un président allemand.
01:17:59 Mais je dis, il faut que l'on le vote.
01:18:03 Alors il faudrait qu'on vote pour elle.
01:18:07 Vous devriez agir, et il m'a dit, je vais voir ce que je peux faire.
01:18:11 "On t'obtenu, monsieur Amendola, 47 voix, madame Veil, 192 voix."
01:18:20 Le 17 juillet 1979, Simone Veil devient la première présidente du Parlement européen,
01:18:29 élue au suffrage universel, grâce au soutien des députés allemands.
01:18:36 On se retrouve ensemble, dans le même Parlement, on vote ensemble,
01:18:39 on élit un président français avec des voix allemandes, et ainsi de suite.
01:18:42 Donc ça a été une transformation considérable et remarquable.
01:18:46 Qu'elle soit une de celles qui accompagne cette réconciliation entre français et allemands,
01:19:01 et qu'elle soit la première présidente du Parlement européen, c'est un symbole exceptionnel.
01:19:07 On participe à quelque chose d'une histoire qui est en train de se faire,
01:19:15 et qui comptait beaucoup pour elle, comme française, comme européenne et comme juive.
01:19:20 Ça a été pour elle un moment extrêmement fort.
01:19:24 Un moment fort, pour une femme qui croit en l'Europe, pour réconcilier les peuples et éviter une nouvelle guerre.
01:19:30 Mais ses espoirs vont être rapidement mis à mal, par un phénomène auquel elle ne s'attendait pas.
01:19:35 Le retour de l'antisémitisme sur le sol français.
01:19:39 Un ignoble attentat raciste a été commis aujourd'hui en fin d'après-midi à Paris,
01:19:46 contre une synagogue de la rue Copernic, dans le 16ème arrondissement.
01:19:50 Ce 3 octobre 1980, une bombe vient d'exploser en plein cœur de Paris, faisant 4 morts et une quarantaine de blessés.
01:19:58 Cette bombe a tué des gens qui étaient pas dedans de la synagogue, qui passaient à ce moment-là,
01:20:03 et qui malheureusement ont été atteints par cette explosion.
01:20:07 La bombe a explosé au moment où plusieurs centaines d'israélites étaient réunis à l'intérieur de la synagogue pour prier en cette veille de sabbat.
01:20:16 Cet espèce d'attentat aveugle ressuscite dans la communauté juive, mais dans l'ensemble de la communauté française plus largement,
01:20:25 un sentiment d'horreur.
01:20:27 Dès le lendemain, tous les journaux titrent sur le drame.
01:20:31 C'est la première fois que des juifs sont victimes d'un attentat meurtrier en France depuis la guerre.
01:20:36 Plusieurs milliers de personnes se rassemblent spontanément devant la synagogue.
01:20:40 A l'intérieur, les familles des victimes se recueillent.
01:20:44 Au premier rang, Simone Veil.
01:20:49 En tant que présidente de l'Europe, elle veut montrer l'exemple.
01:20:54 Elle veut montrer l'exemple et marquer les esprits.
01:20:56 Elle a bien vu que non seulement il n'y avait pas d'affaiblissement de l'antisémitisme,
01:21:01 mais qu'il était toujours aussi violent, aussi fort et peut-être même plus fort qu'il n'était il y a 20 ou 30 ans.
01:21:07 Et on ne peut pas faire que la communauté juive, qui a vécu quelque chose d'incommunicable, ne se sente en état de choc aujourd'hui.
01:21:21 Elle exprime l'horreur qu'elle ressentit.
01:21:24 C'est évidemment de la colère et en même temps une forme de désespoir.
01:21:29 De se dire que ce qu'on a déjà vécu, cet antisémitisme d'avant-guerre, peut renaître si peu de temps après.
01:21:37 L'attentat de la rue Copernic n'est pourtant que le début d'une série d'agressions antisémites meurtrières.
01:21:47 Quelques années plus tard, un autre phénomène apparaît en France, le négationnisme.
01:21:51 Certains commencent à remettre en question l'existence même des camps de concentration,
01:21:55 et parmi eux le président du Front National, Jean-Marie Le Pen.
01:21:59 Je ne dis pas que les chambres à gaz n'ont pas existé.
01:22:03 Je n'ai pas pu moi-même en voir, je n'ai pas étudié spécialement la question,
01:22:09 mais je crois que c'est un point de détail de l'histoire de la Deuxième Guerre mondiale.
01:22:14 Voulez-vous me dire que c'est une vérité révélée à laquelle tout le monde doit croire ?
01:22:19 C'est une obligation morale ?
01:22:21 Comment est-ce qu'on peut dire à quelqu'un qui a vécu les chambres à gaz, les fours crématoires,
01:22:28 que tout ça n'existait pas et que tout ça n'est qu'un mensonge ?
01:22:31 Et elle s'entendait sans doute pas à ce que l'extrême droite retrouve de la puissance, de l'influence.
01:22:41 Elle en a, donc elle se bat, elle se mobilise.
01:22:45 Il y a là quelque chose pour quelqu'un comme moi qui est insupportable physiquement.
01:22:53 Parce que quand on a été à Birkenau comme moi, qu'on a vécu pendant plusieurs mois très près des crématoires,
01:23:07 on a vu les trains arriver, tous les gens qui étaient dans ce train entraient dans ce petit bâtiment,
01:23:15 ne jamais en sortir, voire seulement quelques heures après de la fumée.
01:23:19 Et qu'aujourd'hui on lisse les propos que Jean-Marie Le Pen a osé prononcer, on est horrifiés.
01:23:29 Et on n'est pas horrifiés, c'est une immense douleur, une immense incapacité à répondre.
01:23:38 Parce que moi je dois dire que je commence à avoir très peur.
01:23:42 Redevenue députée européenne, Simone Veil multiplie les interventions.
01:23:47 Mais la seule conséquence de ces prises de parole, ce sont des attaques de plus en plus personnelles.
01:23:54 La plus violente vient de Claude Ottenlara, député européen du Front National qui accue Simone Veil de jouer les victimes.
01:24:01 Elle a fait la mandoline avec ça, oui ben elle en est revenue, elle se portait bien.
01:24:07 Bon alors quand on parle des génocides, en tout cas ils ont loupé la merveille.
01:24:11 Ça a été quelque chose de très difficile à vivre, qu'il faille en permanence convaincre et revenir sur des faits historiques
01:24:22 alors qu'en permanence expliquer leur réalité, leur survenance alors qu'ils étaient si proches de nous était quelque chose, un espèce de crachat.
01:24:32 Moi je pensais qu'après avoir vécu ça, je pourrais vivre comme tout le monde, tranquillement.
01:24:41 Et ça m'est douloureux chaque fois de parler, c'est difficile, sauf avec mes copains de déportation, c'est difficile.
01:24:47 Sans arrêt, on remet ça et on se dit mais qu'est-ce qu'on a fait pour 50 ans après ne pas avoir le droit encore de vivre comme les autres.
01:24:56 Elle avait cru elle que l'Europe en partie pourrait effacer l'expression publique et politique de l'antisémitisme.
01:25:02 Je pense que c'est un de ses drames personnels, de sa vie politique.
01:25:08 Elle a compris que l'Europe ne réglait pas ce problème.
01:25:13 Après avoir été présidente du Parlement de Strasbourg, Simone Veil continuera en tant que députée à défendre ses valeurs européennes.
01:25:19 En novembre 1989, elle voudra très vite se rendre à Berlin pour vivre l'histoire en marche avec la chute du mur.
01:25:27 Un engagement politique intense qui ne l'empêchera jamais d'être une épouse, une mère et une grand-mère très présente.
01:25:33 Sa famille reste sans lui, sa famille est en prison, sa famille est en prison, sa famille est en prison,
01:25:40 sa famille est en prison, sa famille est en prison, sa famille est en prison, sa famille est en prison, sa famille est en prison,
01:25:42 A l'occasion de ses 60 ans, Antoine, son époux, lui a fait une surprise, direction Venise.
01:25:49 On lui avait fait une surprise assez sympathique.
01:26:00 Papa l'avait emmené à Venise en voyage juste tous les deux.
01:26:07 Et puis le soir de son anniversaire, nous étions tous là à les attendre.
01:26:12 Nous étions venus sans lui dire, on avait organisé de venir, on était tous là.
01:26:18 Le lendemain matin, sur la terrasse de la chambre d'hôtel, on découvre une autre Simone Veil.
01:26:34 Le caméscope familial immortalise ses moments intimes d'une mère et d'une grand-mère aimante, heureuse de retrouver les siens.
01:26:41 Elle adore être avec nous, elle adore quand on est en vacances tous ensemble et qu'on est une vraie tribu.
01:26:49 C'est vraiment des moments qui sont précieux pour elle et pour nous tous.
01:26:52 T'as vu comment ils sont ? Comment qu'ils sont ? Non, à mon avis, l'arme c'était toi.
01:26:57 Comment qu'ils sont avec nous, ouais. Ils sont jaloux.
01:27:02 C'est rien que des envieux.
01:27:04 C'est une femme d'une tendresse incroyable et qui est capable d'une grande chaleur.
01:27:11 Dis-moi mes enfants, je voudrais que chacun ait un souci.
01:27:16 Tout est fermé.
01:27:20 Oui mais regardez, on trime.
01:27:22 Comme demain c'est ouvert.
01:27:25 Comme demain tout est ouvert, vous voyez déjà.
01:27:27 Maintenant, regardez, il y a des nains, il y a des vases.
01:27:31 Il y en a qui sont jolies, il y en a qui sont enlèves, il y en a qui sont jolies.
01:27:35 Il y a des petits bijoux.
01:27:37 Elle s'occupait de tout, elle prenait soin des uns et des autres.
01:27:43 Elle a toujours été très au courant Simone de tout ce qui se passait dans la famille.
01:27:48 La sienne naturellement, mais également ses neveux.
01:27:52 Elle les suivait, elle savait ce qu'ils faisaient.
01:27:55 Contrairement à Antoine qui ne s'intéressait qu'au diplômé dans la famille.
01:27:59 A Venise comme chez elle, Simone Veil a pour habitude de recevoir les siens dans sa chambre.
01:28:05 Son lit devient alors un espace de discussion, une tradition familiale qui lui vient de sa mère.
01:28:12 Elle recraint Boudoir à la mode du 18ème, dans lequel on peut être convié
01:28:20 pour discuter de sujets plus personnels.
01:28:23 C'est un endroit où on dit des choses peut-être plus facilement qu'on ne les prononce ailleurs.
01:28:31 C'est quand même un lieu de confidence.
01:28:34 Quand ma grand-mère se met à parler, en général tout le monde se tait.
01:28:46 Personne ne lui coupe la parole, tout le monde l'écoute parce qu'elle est tellement intéressante.
01:28:52 Elle remplit une pièce.
01:28:54 Mais il y a un sujet sur lequel le dialogue est difficile.
01:29:08 Avec les siens, Simone Veil n'évoque jamais son passé de déportée.
01:29:13 Ses enfants et ses petits-enfants ont grandi au fil des années dans le non-dit.
01:29:19 Je n'ai jamais trop osé poser de questions parce que j'avais une espèce de...
01:29:24 J'avais peur de la brusquer.
01:29:26 Pour moi c'était tellement impudique en fait, que je n'arrivais pas à faire les démarches
01:29:32 pour savoir tout ce qu'elle pouvait me raconter.
01:29:35 La question de la déportation n'est jamais quelque chose qu'elle a cherché à imposer
01:29:41 ou qu'elle aurait cherché à nous faire vivre.
01:29:43 Ce n'est qu'en 2004, à 77 ans, qu'elle va décider de transmettre ce lourd héritage.
01:29:51 À quelques jours du 60e anniversaire de la libération des camps,
01:30:05 un journaliste propose à Simone Veil de la ramener à Auschwitz.
01:30:10 Sur les traces de son passé.
01:30:12 Je demande à Jean de demander à sa mère si elle serait d'accord pour retourner à Auschwitz avec moi
01:30:23 et bien sûr avec un photographe, pour faire un sujet sur elle à Auschwitz 60 ans après.
01:30:29 Il me rappelle dans l'après-midi et il me dit "Simone est d'accord".
01:30:35 Elle accepte, mais à une seule condition, qu'elle puisse emmener avec elle ses enfants et ses petits-enfants.
01:30:42 Maman a souhaité que c'est à proposer.
01:30:49 Elle n'a absolument rien imposé.
01:30:51 Que ceux qui voulaient venir, viennent.
01:30:53 Après en avoir si peu parlé à sa famille justement,
01:30:56 elle ne pouvait pas éviter, infidée, de leur montrer quand même ce qu'elle avait vécu.
01:31:04 Le 22 décembre 2004, Simone Veil est donc de retour à Auschwitz, entourée des siens.
01:31:12 On est arrivé très tôt le matin, on est au mois de décembre, il fait très très froid.
01:31:17 Ici il y a les bleus transparents, il n'y a pas de nuages, il y a de la glace partout, il y a de la neige partout,
01:31:24 il y a un arbre, un paysage lunaire.
01:31:30 On est saisi par ce paysage de désolation.
01:31:33 Et puis on traverse le camp avec maman, qui nous explique le camp des hommes, le camp des femmes,
01:31:44 comment ça se passait, comment les gens se parlaient, où étaient les différents bâtiments, l'hôpital,
01:31:57 les chambres à gaz, les fours.
01:32:02 Maman nous y parle des odeurs, du ciel plombé par la fumée, l'odeur des corps qui brûlent.
01:32:22 Parfois nous la questionnons, mais c'est elle qui nous explique naturellement,
01:32:27 pour nous faire revivre cette situation autant qu'on puisse la revivre.
01:32:31 C'est un moment que je n'oublierai jamais, même si on ne peut pas imaginer ce qui s'est passé.
01:32:41 Simone Veil tient alors montrer le barraquement dans lequel elle était avec sa mère et sa sœur.
01:32:49 Pour la première fois de la journée, l'émotion la submerge devant ses petits-enfants.
01:32:53 Ils sont très affectueux avec elle, ils sont autour d'elle, ils sont très protecteurs avec elle.
01:32:59 C'est un souvenir terrible d'émotion, d'intimité et de solidarité familiale.
01:33:13 Pour maman, c'est un moment particulier. Au fond, elle est très contente du fait que nous ayons répondu présent.
01:33:19 Elle me dit « comme ça maintenant ils pourront me poser des questions ».
01:33:31 Elle a raison, il faut le dire. Les autres oublient, ils ne savent pas, ils ne comprennent pas.
01:33:40 Nous on va bientôt tous disparaître, alors qu'est-ce qui restera de ça ?
01:33:46 Nous ne sommes que les messagers, nous sommes revenus.
01:33:53 Pour Simone Veil, le combat contre le mal ne s'arrêtera jamais, même si elle a toujours refusé que sa vie se résume à cette tragédie.
01:34:06 En 2000, elle n'occupe plus de mandat politique, cette période est celle des reconnaissances pour son action.
01:34:10 Elle accède en 2009 au plus haut grade de la Légion d'honneur.
01:34:14 Mais c'est une autre distinction qui va réellement l'émouvoir.
01:34:18 Nous sommes en mars 2010, ce jour-là, trois présidents de la République assistent à un discours qui rend hommage à son incroyable histoire.
01:34:34 Ce 18 mars 2010, Simone Veil, à 82 ans, fait son entrée sous la coupole de l'Académie française.
01:34:41 Elle est la sixième femme de l'histoire à rejoindre les immortels.
01:34:49 Il aurait été presque impossible de passer à côté de Simone Veil.
01:35:01 Ça conduit à la déportation, la noblesse de ses sentiments.
01:35:07 Et puis le rôle qu'elle avait joué dans la politique française faisait d'elle une femme de premier plan.
01:35:16 L'Académie, c'est inattendu, absolument formidable.
01:35:28 Ça vous arrive comme un cadeau que vous n'imaginez pas.
01:35:31 Elle n'a pas caché du tout son anxiété parce qu'elle ne l'était pas.
01:35:35 Mais elle a un petit peu camouflé sa fierté.
01:35:38 Je pense qu'au fond, elle était très fière et très heureuse de rentrer à l'Académie.
01:35:42 Simone Veil est tellement populaire que la cérémonie est retransmise en direct à la télévision.
01:35:48 De nombreuses personnalités ont été invitées.
01:35:52 Les sages de l'Académie font leur entrée.
01:35:56 Parmi eux, Valéry Giscard d'Estaing.
01:35:58 L'Assemblée compte deux autres présidents, Nicolas Sarkozy en plein mandat et son prédécesseur, Jacques Chirac.
01:36:06 C'est assez rare, trois présidents de la République.
01:36:10 De temps en temps, il y en a un, quelques fois deux, mais trois, c'est assez rare.
01:36:14 C'était la République qui venait saluer une femme qui avait compté.
01:36:21 Et face à elle, toute sa famille est là.
01:36:24 Son mari, ses fils, ses petits-enfants et même ses arrières-petits-enfants.
01:36:33 La famille est là, serrée en rangs d'oignons, dans cet espace relativement étroit, assez ému.
01:36:41 C'était impressionnant parce que cette coupole, tous ces académiciens avec leurs habits,
01:36:50 on était fiers, ça rend fier.
01:36:52 C'est une joie, Madame, et un honneur, de vous accueillir dans cette vieille maison
01:37:04 où vous allez occuper le treizième fauteuil qui fut celui de Racine.
01:37:10 De Racine, Madame. De Racine.
01:37:17 Jean Racine est un des auteurs préférés de son père.
01:37:21 Et donc, cette espèce de filiation qui s'établit entre Jean Racine et elle,
01:37:28 est pour elle tout à fait émouvante.
01:37:32 Vous incarnez avec plus d'éclats que personne les temps où nous avons vécu,
01:37:40 où le mal s'est déchaîné comme peut-être jamais.
01:37:46 Ce qui vous a sauvé du désespoir, c'est le courage, l'intelligence,
01:37:52 la force de caractère et d'âme, et c'est l'amour.
01:37:57 Il succède à la haine.
01:38:00 C'était elle, son passé, sa famille, sa vie, ses épreuves, ses succès,
01:38:08 qui rentraient avec elle à l'Académie Française.
01:38:12 Cette admiration, vous la suscitez bien sûr vous-même,
01:38:16 mais dans votre cas, quelque chose d'autre s'y mène,
01:38:21 du respect, de l'affection, une sorte de fascination.
01:38:27 C'est une vie impressionnante, émouvante, de l'extraordinaire dignité.
01:38:33 Et c'est cette dignité et cette moralité si fortes
01:38:40 qui font d'elle une espèce d'icône de notre temps.
01:38:43 Beaucoup en France et au-delà voudraient vous avoir, selon leur âge,
01:38:48 pour confilante, pour amie, pour mère, peut-être pour femme de leur vie.
01:38:56 Il n'y a pas beaucoup de femmes comme elle.
01:39:01 C'est quelqu'un qui restera dans l'histoire comme une personne exceptionnelle.
01:39:07 Je baisse la voix, on pourrait nous entendre.
01:39:10 Comme l'immense majorité des Français, nous vous aimons, Madame.
01:39:17 Soyez la bienvenue au fauteuil de Racine qui parlait si bien de l'amour.
01:39:23 Elle a eu, si on peut le dire, la récompense de sa personnalité,
01:39:33 d'une femme condamnée à mourir et donc fatalement mortelle.
01:39:38 Elle a été nommée immortelle.
01:39:41 Elle est l'incarnation de la France.
01:39:49 Si j'étais celle qui décerne les Mariannes, je dirais qu'elle est vraiment Marianne.
01:39:56 Elle représente la France.
01:39:59 Et dans ce qu'elle a de plus beau, de plus courageux, de meilleur,
01:40:03 Simone Veil, c'est la France.
01:40:06 Pour ce 18 mars 2010, sur son épée d'académicienne,
01:40:23 Simone Veil a choisi de faire graver plusieurs symboles de sa vie.
01:40:27 Deux mains enlacées qui évoquent la réconciliation des peuples.
01:40:30 Un visage de femme qui rappelle son combat pour leur cause.
01:40:34 Un visage qui ressemble à celui de sa mère, qui l'a toujours guidée.
01:40:38 Et puis il y a ce numéro 78 651, ce matricule qui lui fut donné à Auschwitz, à l'âge de 16 ans.
01:40:45 Aujourd'hui, Simone Veil reste toujours l'une des personnalités préférées des Français.
01:40:50 Mais à 87 ans, fatiguée par les épreuves de la vie,
01:40:54 elle a décidé de ne plus s'exprimer publiquement depuis la disparition de son mari Antoine en avril 2013.
01:40:59 Voilà pour ce document. Merci de nous avoir suivis.
01:41:02 A très bientôt pour un nouveau numéro d'Un jour une histoire.
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01:41:50 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
01:41:53 Merci.

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