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“Je suis agacée d’entendre le mot ‘beurette’”
Racisme, illégitimité et “violence de classe” : Nesrine Slaoui, journaliste, écrivaine et réalisatrice, dénonce la sous-représentation des femmes issues de l’immigration maghrébine dans le paysage médiatique.

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Transcription
00:00 Le problème majoritaire du racisme, au-delà des discriminations
00:03 et de la violence physique et même meurtrière qu'il peut avoir,
00:05 c'est de considérer qu'un groupe est uniforme,
00:07 qu'il pense pareil, qu'il agit pareil et qu'il a les mêmes volontés.
00:10 Ce n'est pas le cas.
00:10 Globalement, on peut dire que les Nord-Africains, les Maghrébins
00:14 sont assez peu représentés dans les médias, dans le cinéma, etc.
00:17 En fait, quand ils le sont, ils le sont aussi souvent mal.
00:20 Il y a plusieurs formes de discrimination
00:21 qui expliquent la sous-représentation des personnes
00:24 issues de l'immigration maghrébie, notamment dans les médias.
00:26 Le métier de journaliste, par exemple, c'est un métier
00:28 qui n'est pas facile d'accès, de représentation au sens large.
00:31 Et donc, du coup, déjà par le fait qu'on appartient généralement,
00:34 quand on est issu de l'immigration maghrébine, au milieu populaire,
00:37 on n'a pas accès à ces sphères-là, qui sont des sphères de pouvoir,
00:40 qui sont des sphères de représentation extrêmement importantes.
00:43 C'est pareil dans le cinéma, c'est pareil dans la littérature.
00:45 Pour les descendants de l'immigration postcoloniale,
00:47 c'est des métiers qui peuvent sembler très loin de leurs codes sociaux,
00:49 de leurs codes culturels également.
00:51 Et donc, déjà, la sous-représentation s'explique comme ça,
00:54 mais elle s'explique aussi par des mécanismes de discrimination
00:56 purement et simplement racistes.
00:58 Je suis agacée d'entendre le mot "beret".
01:00 Il faut savoir que c'est un mot qui a plusieurs connotations.
01:03 Il est toujours sexiste, il est toujours raciste,
01:05 mais il est prononcé dans différents contextes
01:07 pour cibler plusieurs choses différentes.
01:09 On va effectivement avoir Dave Trehar, des Robert Ménard,
01:12 des Pascal Pro sur des plateaux télé qui vont l'utiliser.
01:15 Et en fait, l'imaginaire qu'ils convoquent quand eux utilisent le mot "beret",
01:18 c'est l'imaginaire de la femme issue de l'immigration maghrébine,
01:21 postcoloniale, qui a pris de la place, qui a essayé de s'insérer dans la société,
01:26 qui devient en fait un modèle d'intégration à la française.
01:29 Mais l'idée de renvoyer au mot "beret", c'est quand même de lui dire
01:31 "n'oublie pas que tu es une petite fille d'origine maghrébine".
01:34 Et dans l'autre sens, et c'est là aussi où le mot "beret" est problématique,
01:37 il va être aussi utilisé dans les milieux populaires,
01:39 sur les réseaux sociaux il est très commun,
01:41 et c'est devenu une insulte à caractère sexuel tout simplement.
01:44 On se rappelle, il y avait un tweet d'un site qui s'était vanté en 2019
01:47 que le mot "beret" était en tendance sur les sites pornographiques.
01:50 Donc ça dit bien justement qu'il y a plusieurs lectures,
01:52 plusieurs utilisations de ce terme.
01:54 Une qui est paternaliste, qui est vraiment une manière de réduire
01:57 la femme maghrébine à ses origines ethniques, à son appartenance genrée.
02:02 Et de l'autre côté, une manière aussi de dire que les femmes maghrébines
02:05 ne sont pas respectables, qu'elles se maquillent trop,
02:07 qu'elles prennent trop de place et qu'elles feraient mieux d'être plus discrètes.
02:09 Je trouve que c'est extrêmement compliqué d'être une femme maghrébine publique,
02:12 parce que c'est subir des violences de toutes parts,
02:15 des violences sexistes, racistes, classiques.
02:17 Rachida Dati a été qualifiée de "beret" à nouveau en 2024,
02:21 mais c'était déjà le cas en 2014.
02:23 C'était aussi le cas en 2007, la première fois où elle a accès à un ministère.
02:27 Et c'est vraiment un mot comme ça qui englobe et qui dit aux femmes,
02:30 "vous êtes des femmes maghrébines pauvres".
02:33 Et c'est vraiment une manière d'assigner ces femmes-là
02:35 à "vous n'avez pas le droit d'être autre chose".
02:37 Et c'est une manière de dire aussi, "nous ne sommes pas dupes de qui vous êtes".
02:40 Et c'est vraiment paradoxal parce qu'on a une société française
02:42 qui se dit "colorblind", donc qui ne voit pas les couleurs
02:45 et qui juge justement vos parcours à vos mérites.
02:48 Et pourtant, une fois que vous accédez à des postes de responsabilité,
02:51 à des postes de visibilité, on vous rappelle justement
02:54 que vous êtes d'abord encore de femmes issues de minorités.
02:56 Internet a un peu comblé ce manque de représentation
02:59 et de diversité ethnique qu'on peut avoir dans les médias classiques.
03:02 D'ailleurs, c'est peut-être comme ça qu'on a forcé petit à petit les médias
03:06 à se familiariser avec nos récits, avec nos vécus et avec nos discours.
03:10 Il faut en fait défendre nos identités, il faut aussi s'informer.
03:13 Moi, j'ai 30 ans et à 30 ans, je découvre des choses passionnantes
03:17 sur mon héritage, sur l'histoire coloniale aussi de la France au Maghreb.
03:21 Et ça m'aide bizarrement à me réparer, à me guérir,
03:24 de comprendre d'où viennent tous ces fantasmes,
03:27 notamment sur les femmes maghrébines.
03:28 Il existait pendant la colonisation des quartiers prostitutionnels au Maroc,
03:32 notamment à Bouzbir à Casablanca, un quartier qui a été créé en 1922
03:35 où il y avait 500 femmes marocaines qui étaient prostituées
03:39 pour les colons français.
03:41 Et c'est comme ça aussi que j'ai compris d'où viennent tous les fantasmes
03:43 qu'on a sur le corps des femmes maghrébines en général.
03:46 Comme il y a eu des cérémonies de dévoilement en Algérie en 1958,
03:50 en pleine guerre d'indépendance.
03:51 Plus je m'informe, plus je comprends justement tout ce qui m'est renvoyé
03:54 en termes de fantasmes colonialistes et plus ça m'aide justement
03:56 à trouver ma place dans la société.
03:58 Le mouvement Black Blamber, c'était un peu un mouvement utopiste
04:01 qui visait à dire, vous voyez, on vit tous ensemble grâce au foot,
04:04 parce que c'était le moment où l'équipe de foot,
04:06 Ezy Dan, avait gagné la Coupe du Monde.
04:08 Donc il y avait un peu cet espoir d'une France qui vit ensemble
04:12 sans faire attention aux différences, etc.
04:15 Et effectivement, c'est une utopie qu'on aimerait tous,
04:17 c'est-à-dire on aimerait tous, indépendamment de notre couleur de peau,
04:19 de notre origine ethnique, vivre dans une France apaisée
04:22 où on est tous égaux, etc.
04:23 Mais le problème, c'est que cet universalisme-là qui a été mis en avant,
04:27 il effaçait la réalité qui était qu'on était aussi dans une période
04:30 où il y avait beaucoup de violences policières
04:33 qui se perpétuent encore aujourd'hui,
04:34 où il y avait encore des discriminations à l'embauche, au logement.
04:37 Tous ces problèmes-là, qui sont des problèmes structurels,
04:39 n'ont pas été réglés.
04:41 Donc c'est pour ça aussi, à mon avis, que ça s'est vite effrité
04:43 parce que les gens se sont très vite rendus compte
04:45 que c'était un mythe et que ce n'était pas une réalité sociale tangible.
04:48 Alors je sais que c'est tout le paradoxe des parcours comme le mien.
04:52 C'est que, donc moi je viens d'un milieu populaire,
04:54 je grandis dans le sud de la France, mes parents sont ouvriers,
04:57 et donc j'ai fait Sciences Po,
04:58 et c'est vrai qu'on a tendance à ériger les parcours comme le mien,
05:01 comme des modèles méritocratiques,
05:03 en disant "Regardez, si elle y est arrivée, tout le monde peut y arriver".
05:07 Et c'est là, en fait, tout le problème,
05:08 c'est qu'on n'est pas des exemples méritocratiques,
05:11 en fait on est des anomalies.
05:12 Si on existe, c'est parce que sociologiquement,
05:15 on est une minorité, ça se compte en moins de 10% en réalité.
05:18 Ce qui est la norme, la majorité de la société française,
05:21 c'est de la reproduction sociale,
05:22 c'est-à-dire que si vous êtes enfant d'ouvrier,
05:25 vous allez être ouvrier, si vous êtes enfant de cadre,
05:27 vous allez être encore plus cadre.
05:29 On est confronté très très vite à la violence de classe,
05:31 c'est-à-dire au fait qu'on n'a pas, au début, les bons codes sociaux,
05:34 les bons codes culturels,
05:35 et qu'on a l'impression de ne pas avoir la bonne culture générale,
05:38 la bonne façon de se comporter, etc.
05:40 De se rendre compte que c'est un moule en réalité,
05:42 ce qu'on attend de nous.
05:44 Et donc notre rôle, selon moi,
05:46 quand on fait partie de cette partie minime de la population
05:49 qui est issue d'un milieu populaire,
05:51 ouvriers, immigrés,
05:52 à accéder justement à une forme de pouvoir,
05:55 que ce soit la prise de parole médiatique,
05:56 ou ne serait-ce qu'un diplôme qui permet ensuite
05:59 d'avoir un poste de cadre dans une entreprise,
06:01 c'est de rappeler en permanence les inégalités sociales
06:04 qui sont très profondes,
06:06 et les parcours individuels, malheureusement,
06:07 ne suffisent pas à les effacer.
06:08 [BIP]

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