Émue par les propos tenus par Christophe Soulard dans les 4 V de la veille, Johanna Ghiglia interviewe aujourd'hui un ancien homme d'affaire et ancien détenu : Pierre Botton. Il a fait des prisons son combat quotidien.
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00:00 Bienvenue à vous.
00:00 Bonjour Pierre Botton.
00:01 Bonjour.
00:02 Alors vous êtes l'un des premiers cols blancs à avoir été incarcéré,
00:05 vous avez fait deux séjours en prison, l'un dans les années 90 et l'autre récemment.
00:09 Notre invité d'hier, qui est le premier président de la Cour de cassation, a dit
00:13 "En prison, il est difficile de devenir meilleur".
00:16 Est-ce que ça c'est aussi votre avis ?
00:18 Totalement.
00:19 Le problème, si vous voulez, c'est que ces grands magistrats, c'est bien,
00:22 il y a beaucoup de rapports, il y a beaucoup de choses sur les prisons,
00:25 mais il n'y a pas beaucoup de bon sens.
00:27 Je vais vous donner juste un exemple qui se passe actuellement.
00:30 Les mamans qui viennent voir leur fils détenu…
00:34 Au parloir.
00:35 Au parloir, pardon, passent sous un portique.
00:38 Il faut savoir ce que c'est qu'un parloir.
00:39 Il faut savoir, il faut prendre des RTT, il faut attendre…
00:42 Ça s'organise.
00:43 Oui, il faut attendre 45 minutes auparavant, on passe sous un portique
00:46 pour savoir si on sonne, c'est tout à fait normal.
00:48 Et il y a beaucoup de femmes qui sonnent et on ne leur dit pas ce qui fait sonner.
00:52 Ça veut dire quoi ?
00:53 Ça veut dire que le parloir est annulé, le détenu ne sait pas
00:57 que le parloir est annulé.
00:58 C'est un moment de famille qui est abandonné
01:01 et donc un moment qui permet la réinsertion,
01:03 juste pour une seule raison,
01:05 parce que l'armature des soutiens-gorges de ces femmes sonne sous le portique.
01:09 Mais c'est quand même incroyable, ça, on devrait le savoir.
01:12 Alors, c'est non seulement incroyable, ce qui est incroyable, si vous voulez,
01:14 c'est que moi, je ne vous demande pas de moyens,
01:15 je ne vous demande pas de moyens à l'administration pénitentiaire,
01:17 je vous demande du bon sens.
01:18 Et je leur demande une affichette dans les 200 établissements.
01:21 Une affichette, c'est le prix d'une page A4.
01:24 Je n'arrive pas à l'avoir depuis deux mois.
01:26 C'est-à-dire que, et il faut bien savoir ce qui se passe,
01:29 c'est-à-dire que mes filles sont venues me voir,
01:31 elles ont eu ce problème-là,
01:32 et il y a une dame qui a voulu passer, ça n'allait pas,
01:37 et pour ne pas qu'elle rate le parloir,
01:38 elles ont dû tendre un tissu pour que la dame se change,
01:43 parce qu'il n'y a pas de pièce pour cela,
01:46 et il n'y a pas de regard, sans ça, le parloir a été annulé.
01:48 – C'est une humiliation pour les familles.
01:50 – C'est une humiliation pour les familles, c'est un drame,
01:52 et je vous explique quelque chose,
01:54 je ne suis pas très représentatif,
01:56 j'ai vécu moi exactement ce que c'est,
01:58 je sais ce que c'est que la détention au jour de joie,
02:00 c'est ce que je raconte dans mon livre,
02:02 mais je vous dis, même moi, quand ça m'est arrivé,
02:07 pendant huit jours, j'ai fait la grève de la faim,
02:09 je ne voulais plus parler à un surveillant,
02:11 et chaque fois qu'on m'ouvrait la porte,
02:12 je disais "quand est-ce que je vois mes enfants ?"
02:15 Voilà ce qui se passe,
02:16 et il faut que les Français qui n'aiment pas
02:18 qu'on parle de leur prison, et je les comprends,
02:21 il faut qu'ils comprennent qu'il y a une partie de leur sécurité
02:23 qui joue en prison.
02:24 - Alors qu'est-ce que vous avez vu exactement
02:26 quand vous étiez en prison ?
02:27 Vous parlez beaucoup de détenus radicalisés.
02:29 - La drogue, oui, non mais madame,
02:31 il y a un exemple qui malheureusement a trois mois,
02:34 l'assassin du pont Birakem,
02:37 il sortait de quatre mois de prison, ça a servi à quoi ?
02:39 - Donc vous pensez que son passage en prison
02:41 a pu accélérer ?
02:43 - Non, non, ça n'a rien changé, c'est ce qui est dramatique,
02:46 ça n'a rien changé.
02:47 - Donc là-bas, il n'est pas question de réinsertion,
02:49 de rédemption ?
02:50 - Mais madame, on est dans un taux de surpopulation incroyable,
02:53 alors évidemment les gens disent qu'il faut incarcérer,
02:55 mais d'accord, moi je suis d'accord pour qu'on incarcère à la limite,
02:58 mais le problème c'est qu'il faut qu'ils sachent bien
03:00 ce que ça veut dire ce taux d'incarcération,
03:02 ça veut dire que vous êtes enfermé dans une cellule à quatre
03:05 et que si vous êtes avec trois autres personnes
03:07 qui pratiquent une religion qui n'est pas la vôtre,
03:09 ils vous imposent de faire cette religion,
03:11 s'ils se droguent, parce que la drogue est de partout en prison.
03:14 - Mais comment justement, comment est-ce que la drogue
03:16 entre dans les prisons ?
03:18 - Madame, aujourd'hui vous avez…
03:19 - Parce que vous dites que même une femme avec un soutien-gorge
03:21 ne peut pas entrer pour un parloir,
03:23 alors comment la drogue peut entrer dans ces circulations ?
03:25 - C'est bien exactement ce qui se passe, Madame,
03:27 on est dans une…
03:28 j'ai pour habitude de dire que la pénitentiaire,
03:31 c'est l'éducation nationale avant l'arrivée de Gabriel Attal.
03:34 Vous venez de citer des exemples très forts,
03:37 la drogue est de partout, la violence est de partout,
03:39 la radicalisation est de partout,
03:41 mais en revanche, on laisse Norma Lelandais
03:44 faire un enfant à une visiteuse de prison.
03:47 On marche sur la tête, cette administration marche sur la tête,
03:51 et il est temps, vraiment il est temps qu'on change les hommes,
03:54 je suis désolé de le dire,
03:56 parce que si vous mettez des gens qui sont issus du système
03:58 depuis 30 ans, non, il faut changer les hommes.
04:01 Est-ce que vous imaginez, Madame, la souffrance des parents de Maëlys ?
04:06 - Parce que, on le rappelle, Nordal Lelandais est devenu père
04:09 alors qu'il est en prison.
04:10 - Oui, on lui autorisait ça, enfin c'est complètement dément,
04:13 mais on n'autorise pas des mamans qui viennent voir leurs enfants,
04:17 on ne leur signale même pas, attention, faites attention,
04:20 mettez une brassière, on ne le signale même pas,
04:22 c'est une affichette.
04:24 Que faut-il faire, Madame, pour obtenir ça ?
04:27 Je vous remercie d'ailleurs de m'autoriser à le faire.
04:30 - Vous serez peut-être entendu ce matin,
04:32 j'aimerais juste qu'on revienne rapidement sur les conditions de détention,
04:35 vous parlez de la drogue,
04:36 on sait qu'il y a également des téléphones portables,
04:38 est-ce que quelque part il n'y a pas une espèce de tolérance
04:41 pour acheter une paix sociale en présent ?
04:44 - Écoutez, c'est ce que l'on dit,
04:46 moi je vous dis que 60% des gens qui vont en prison récidive, 60%.
04:53 - Pourquoi, qu'est-ce qui fait en fait ?
04:55 - Ce qui fait, c'est que vous êtes 22h/24 en cellule, Madame.
04:58 - D'accord, c'est l'enfermement, l'isolement ?
04:59 - Vous êtes 22h/24 en cellule, la surpopulation fait
05:02 qu'on ne vient pas vous chercher par exemple pour aller dans une activité,
05:06 qu'il n'y a plus de salle pour le sport,
05:08 le sport est quelque chose dans lequel on évacue quand on est en prison,
05:11 que vous êtes 22h/24, tant mieux pour vous d'ailleurs,
05:14 devant la télévision.
05:16 Donc les détenus, ils font quoi ?
05:18 Ils fument ou ils prennent des cachetons,
05:21 c'est-à-dire que soit ils sont shootés par l'administration
05:23 ou alors ils regardent la télévision, voilà.
05:26 Mais ce n'est pas comme ça que vous allez comprendre le sens de votre peine.
05:28 - Il y a des téléphones portables qui circulent,
05:29 vous, est-ce que vous aviez un téléphone quand vous étiez en prison
05:32 pour pouvoir contacter votre famille ?
05:33 - Bien sûr, Madame, moi j'avais un téléphone qui était un téléphone autorisé
05:37 pour pouvoir tenir le discours.
05:38 - Vous n'avez pas de portable ?
05:39 - Pour pouvoir tenir le discours que je tiens aujourd'hui,
05:42 il fallait que je sois irréprochable.
05:44 Donc je savais bien que si j'avais ce qu'on appelle un compte-rendu d'incident,
05:47 si j'avais eu un mot plus haut que l'autre avec un surveillant,
05:50 si j'avais eu quelque chose par rapport au dérèglement,
05:53 si mes enfants avaient fait une chose,
05:56 m'avaient donné quelque chose pendant le parloir,
05:57 je savais très bien que je n'allais plus être crédible.
05:59 - Mais vous auriez pu vous procurer un portable si vous aviez voulu ?
06:02 - On me l'a proposé cinq fois.
06:03 On m'a proposé le téléphone portable cinq fois.
06:06 - Mais c'est quand même incroyable,
06:07 vous comprenez pour être des spectateurs qui se disent
06:08 "mais comment là-bas, alors qu'on est détenu,
06:12 on est surveillé, on peut comme ça avoir des portables,
06:15 avoir de la drogue très facilement."
06:18 - Mais madame, aujourd'hui...
06:18 - Mais comment est-ce que ça entre en prison ?
06:20 - Alors ça, ça choque vos téléspectateurs et ils ont raison.
06:23 Ce qui va un peu plus les choquer, c'est quand un drone va livrer une arme
06:27 et qu'il va y avoir un surveillant qui va être descendu.
06:29 Je pense qu'à ce moment-là, on commencera à prendre les prisons.
06:31 Malheureusement...
06:32 - On a l'impression que c'est un peu open bar en fait,
06:34 finalement on est en prison,
06:35 mais on peut avoir accès à autant de choses qu'à l'extérieur.
06:37 - Mais madame, c'est le cas.
06:39 C'est pour ça que je vous dis qu'il est temps et urgent
06:42 de changer les gens, de changer le système.
06:44 - Et les surveillants ne peuvent rien faire par rapport à ça ?
06:46 - Les surveillants, ils sont lâchés par leur hiérarchie.
06:49 Les surveillants, ils sont totalement abandonnés par leur hiérarchie.
06:53 C'est-à-dire que tout ce qui est en costume, tout ce qui est en bleu,
06:56 on les laisse totalement abandonnés.
06:58 Et aujourd'hui, nous avons des gens qui parlent des prisons,
07:00 qui font des rapports sur les prisons,
07:02 qui ne savent pas ce qu'est la prison.
07:03 - Donc on sait ce qui se passe, mais on ne fait rien, finalement, c'est ça ?
07:05 - Oui, exactement.
07:06 On ne fait absolument rien, mais il est temps de le faire,
07:08 car je le répète, madame…
07:09 - Et pourquoi il y a une inaction comme ça ?
07:10 Enfin, il y a une indifférence ? Qu'est-ce qui se passe ?
07:12 - Parce qu'on s'en fout, parce que ça ne rapporte pas de voix,
07:15 parce que les Français veulent qu'on incarcère, et ça je le comprends.
07:18 Mais je pense que…
07:19 - Donc on incarcère et ensuite on ne regarde pas ce qui se passe, c'est ça ?
07:22 - Oui, et surtout, malheureusement, vous voyez bien sous ce qui se passe,
07:24 vous voyez bien quand même que la société est de plus en plus violente.
07:29 - Merci beaucoup, en tout cas Pierre Botton, d'avoir été avec nous ce matin.
07:31 Vous êtes ancien homme d'affaires, ancien détenu,
07:34 et surtout l'auteur de ce livre,
07:36 "QB4, ce qui se passe en prison est pire que ce que vous croyez".
07:39 Merci d'avoir été avec nous ce matin.
07:40 - Si vous voulez voir la vérité de ce qui se passe en prison,
07:42 ce n'est pas dans les rapports, c'est là.
07:44 - Merci à vous.
07:45 Pierre Beauteuil en entend cette...