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00:00 En Chine, l'avance communiste continue. Et après la prise de Pékin, c'est au tour de
00:19 Nankin, la capitale nationaliste, d'être menacée. Les plus renseignés disaient la
00:22 Chine c'est une guerre en forme de continent, mais on savait en effet que des choses terribles
00:26 se passaient à cette frontière du monde. Un état plus ancien que l'Histoire où un
00:30 grand peuple, le plus nombreux de la terre, a bâti une très particulière et très profonde
00:35 civilisation qui conjugue le goût de la tradition avec le respect de l'étude et de la science.
00:40 Un jour, alors qu'on ne s'y attendait plus, il fallut bien se rendre à l'évidence, les
00:45 Chinois avaient cessé de se tuer entre eux. Tout un peuple se remit à chanter.
00:49 C'est à ce moment-là que se pose pour le ministère des Affaires étrangères français,
00:57 comme d'ailleurs pour toutes les chancelleries sur la scène internationale, la question de
01:02 la reconnaissance du nouveau gouvernement chinois. La reconnaissance de gouvernement
01:06 est un acte juridique unilatéral. Tout nouveau gouvernement, effectif, peut et même doit
01:14 être reconnu.
01:15 La Chine nouvelle, qu'est-ce qu'on fait avec cette Chine ? Est-ce qu'on la reconnaît ?
01:21 Il était incontestable qu'il y avait un gouvernement à Pékin, un petit résidu de la République
01:31 de Chine installé à Formose qui est devenu Taïwan.
01:34 En réalité, la France n'a plus la possibilité de choisir. Dans le domaine de la politique
01:39 extérieure, elle est liée moralement, politiquement, juridiquement aux États associés d'Indochine.
01:47 Et elle est devenue dépendante des États-Unis, et de façon vitale.
01:51 Ce sont les Américains qui ont été très forts engagés dans le blocage de ce processus
01:58 et qui nous ont fait, pendant toute la période qui a suivi, un véritable chantage. Ditionnons
02:05 l'aide qu'il nous apportait aussi sur le plan français, sur le plan économique,
02:11 sur le plan financier, à une stricte obédience.
02:14 Le projet de reconnaissance est dans ces conditions provisoirement abandonné.
02:20 Grande agitation cette semaine à Genève, le palais de la SDN abritera les débats "L'Est
02:27 rencontre l'Ouest". L'Est, c'est-à-dire M. Molotov et les délégués russes. C'est-à-dire
02:31 pour la première fois le représentant de la Chine nouvelle, Shuen Lai. Cependant, il
02:36 faut bien le dire, la conférence s'ouvre dans une certaine confusion. Les trois Occidentaux,
02:41 M. Dulles, Hidden et Bidot, ne veulent voir dans la Chine, contrairement à M. Molotov,
02:46 qu'une puissance invitée. Et Dien Bien Phu pèse sur les débats. Que sortira-t-il de
02:52 Genève ? La paix ou même un espoir de paix ?
02:55 La conférence de Genève en 1954 est le point de départ d'une évolution de la position
03:01 française. La République Populaire de Chine, quoique n'étant pas le gouvernement qui
03:07 représente la Chine à l'ONU, y est invitée. Les Chinois se font remarquer pendant cette
03:12 conférence par leurs mesures et leur diplomatie. Shuen Lai en particulier se fait remarquer
03:18 pour son talent, sa souplesse et son habilité.
03:22 J'ai accompagné M. Pei au cours de son premier entretien avec Shuen Lai. J'ai donc
03:34 découvert un homme qui était séduisant, qui avait le vêtement de la coupe traditionnelle
03:43 mais dans un tissu gris assez élégant.
03:46 A Genève, la dernière semaine de la conférence, limitée irrémédiablement au 20 juillet
03:51 par M. Mendès France, aura été une semaine d'intense activité. Une rencontre avec
03:55 M. Shuen Lai montrait des visages souriants qui ajoutaient au climat d'espoir. Ces entretiens
04:01 multipliés ont permis de réduire les principaux points de désaccord. La paix est-elle pour
04:05 demain ?
04:06 Je pense qu'à ce moment-là, le général avait considéré que ce qui se passait en
04:11 Indochine était une erreur prodigieuse, qu'à partir des accords de Genève, il fallait
04:17 laisser les trois États indochinois décider de leur destin. Donc il était content, je
04:24 crois, que la France ait elle les mains libres en Asie, au même moment où il a décidé
04:29 que la France se retirerait de l'OTAS en même temps qu'elle s'est retirée de l'OTAN.
04:35 Fin octobre 1955, quatre sénateurs se rendent en Chine. À leur retour, Edmond Michelet
04:43 en particulier soulignera qu'il n'y a pas lieu d'avoir peur de la Chine rouge. Plusieurs
04:49 événements vont permettre l'aboutissement de cette volonté de reconnaissance. La rupture
04:54 chino-soviétique en 1960 et la fin de la guerre d'Algérie notamment.
04:59 Il y a 16 ans déjà, Mao Zedong disait que l'impérialisme n'était qu'un tigre en papier.
05:05 Un tigre en papier répliqua depuis M. Khrouchov, peut-être, mais les Chinois oublient que
05:09 ce tigre a des dents atomiques. La querelle idéologique entre Moscou et Pékin a éclaté
05:14 en pleine lumière. À ce moment précis, le général de Gaulle
05:18 et le gouvernement français, débarrassés de l'hypothèque algérienne, s'est posé
05:24 la question de savoir si on ne pouvait pas avoir cette fois la détermination nécessaire
05:28 pour reconnaître la Chine. Le général était évidemment très favorable à une telle décision
05:34 qui s'inscrivait parfaitement dans sa vision de passer d'une politique des blocs où on
05:40 était forcément d'un côté ou de l'autre dans un affrontement qui s'appelait la guerre
05:45 froide à une politique fondée sur l'indépendance, la souveraineté des États.
05:50 De fait, les relations entre la Chine de Mao et la France se multiplient. Plusieurs missions
05:56 françaises se rendent en Chine et la France, à son tour, reçoit plusieurs missions chinoises.
06:02 Et puis Edgar Ford, lors d'un voyage en 1963, échange avec le gouvernement chinois
06:10 sur les modalités de la reconnaissance.
06:13 Il y avait évidemment une question majeure à ce moment-là qui était de savoir si on
06:18 reconnaissait la Chine de Pékin comme l'unique représentante du peuple chinois ou si tenant
06:25 compte du fait qu'il y avait à la petite île de Formose sur laquelle un résidu de
06:30 la République de Chine et son président, Chiang Kai-shek, étaient installés.
06:34 Le général de Gaulle a chargé le général Peshkov, qui connaissait très bien et qui
06:39 avait des rapports personnels très amicaux avec Chiang Kai-shek, d'aller voir Chiang
06:44 Kai-shek et de lui poser la question en lui disant "on veut reconnaître, on doit reconnaître,
06:49 mais en plus nous souhaitons faire les choses d'une façon qui ne soit absolument pas un
06:53 désaveu de ce que vous êtes".
06:55 Chiang Kai-shek avait très clairement dit qu'il n'accepterait pas qu'il y ait deux
07:00 ambassades de France dans les deux Chines.
07:03 Au même moment, Mao Tse-tung, recevant une délégation de parlementaires, leur avait
07:07 dit "si vous voulez des relations d'ambassadeur en ambassadeur, il faut que ce soit nous et
07:12 seulement nous".
07:13 Donc des deux côtés, on refusait les deux Chines.
07:16 Donc en choisissant une Chine, en établissant des rapports diplomatiques avec l'une, forcément
07:21 l'autre allait nous fermer la porte.
07:24 L'annonce officielle de relations diplomatiques, le 27 janvier 1964, prend la forme d'un communiqué
07:32 conjoint entre Pékin et Paris.
07:34 C'est par ce communiqué de Saint-Ling, donc publié en même temps à midi à Paris et
07:39 dans la capitale de la Chine continentale, qu'on a annoncé que la France et la Chine
07:43 populaire ont décidé d'établir des relations diplomatiques.
07:45 La reconnaissance est implicite et rien n'est dit quant à Taïwan.
07:51 Le 31 janvier 1964, j'étais dans la bibliothèque de l'école nationale des langues orientales.
07:58 Le bibliothécaire Roger Pellissier avait offert à ceux que la Chine intéressait de
08:05 venir écouter sur un petit écran de télévision noir et blanc la conférence de presse.
08:10 Le poids de l'évidence et de la raison faisant chaque jour davantage, la République française
08:19 a décidé de placer ses rapports avec la République populaire de Chine sur un plan
08:28 normal, autrement dit, diplomatique.
08:31 C'était tout à fait clair, ça a été clair immédiatement que la décision du général
08:35 était destinée à faire un bruit fracassant dans la diplomatie internationale.
08:42 Précisément qu'il a exposé en même temps une philosophie, c'est-à-dire qu'il ne reconnaissait
08:45 pas la République populaire de Chine, le régime maoïste, en disant que nous n'avions
08:50 pas davantage reconnu et encore moins soutenu le communisme de Staline.
08:58 Nous avions eu des rapports avec le système étatique qui était à ce moment-là celui
09:05 de la Russie.
09:06 Lorsqu'il a annoncé la reconnaissance, il a immédiatement tenu à dire qu'il rendait
09:10 hommage au maréchal Tchangay-Chek.
09:14 Grâce à cette démarche, en particulier à la démarche du général Peshkov, mais
09:18 surtout au langage qui a été tenu par les différents émissaires, c'est Tchangay-Chek
09:22 qui avait le choix.
09:23 Et c'est Tchangay-Chek qui finalement a rompu.
09:27 Je pense qu'il y avait pas mal d'élégance dans la démarche du général de laisser
09:33 au fond Tchangay-Chek décider.
09:35 Pourquoi le numéro 35 du boulevard du château à Neuilly excite-t-il aujourd'hui la curiosité
09:41 des journalistes ?
09:42 Parce que cette somptueuse demeure de trois étages, comprenant une douzaine de chambres
09:47 et trois salons de réception entourés d'un parc ravissant, sera la demeure personnelle
09:51 de l'ambassadaire de la Chine populaire en France.
09:53 Monsieur Chahier, au dernier conseil des ministres, mercredi, on vous a nommé chargé d'affaires
09:58 de France à Pékin.
09:59 Vous partez seul demain ?
10:00 Je pars seul demain, oui, mais je serai suivi par trois collaborateurs ou quatre collaborateurs
10:05 que je retrouve à Hong Kong.
10:06 La direction du personnel s'est employée à former ce qui serait la première équipe.
10:13 Entendant cela, je lui ai dit que je serais prêt à partir si on considérait que c'était
10:18 opportun.
10:19 C'est comme ça que ça s'est noué.
10:20 Pour moi personnellement, c'était compliqué.
10:23 Quand on entre à l'ENA, on est expédié, on était expédié le lendemain même au
10:29 service militaire.
10:30 Quatre ou cinq jours après mon intégration, un gendarme à moto est venu me chercher en
10:35 me disant « vous êtes convoqué au cabinet du ministre des Affaires étrangères ». Et
10:40 là, j'ai rencontré un conseiller technique du ministre de l'époque, Maurice Kouf de
10:45 Murville, qui m'a dit « vous partez pour la Chine après-demain ».
10:48 On passait la frontière à pied.
10:50 C'était un pont en bois.
10:53 Ensuite, j'ai pris le train pour aller à Pékin.
10:57 Et ça a été mon premier contact, ma première découverte de ce que pouvait être la Chine
11:03 par la vitre du wagon de chemin de fer et naturellement l'évolution du paysage du
11:11 sud vers le nord.
11:13 Alors en arrivant à Pékin, la première impression que l'on avait, c'était le nombre de bicyclettes.
11:21 C'était une certaine uniformité puisque le vêtement était bleu, la coupe des vestes
11:32 était assez homogène, donnait l'impression d'un pays où une certaine pauvreté régnait
11:40 encore.
11:41 Le sentiment qui m'a frappé en arrivant là-bas, c'est que j'étais sur une planète
11:47 totalement différente.
11:48 Je ne dirais pas pauvreté, mais rareté des biens.
11:51 Un régime qui avait les moyens de la puissance, qui avait imprimé d'ailleurs son autorité
11:58 dans le paysage de Pékin.
11:59 Pékin était encore une ville ancienne, traditionnelle, impériale, mais au centre
12:06 de laquelle on avait construit la place Tian'anmen en rasant tout un quartier.
12:10 On avait construit le palais du peuple.
12:14 Et en même temps, dès qu'on s'échappait de ce centre, on avait la Chine de toujours.
12:21 Des défilés de chameaux qui arrivaient de Mongolie intérieure, des chanteurs, des
12:26 battleurs, des acrobates.
12:28 L'ambassade était quand même très à l'écart.
12:31 Le seul bâtiment dont nous disposions était un petit immeuble.
12:37 Mon bureau était ce qui était destiné probablement à être une chambre à coucher avec une salle
12:44 de bain et une entrée.
12:45 Il y avait d'abord les traducteurs de l'ambassade.
12:51 Des personnages pittoresques parce qu'ils venaient en robe de mandarin, matelassés,
12:57 avec des pantoufles aux pieds comme on les avait dans l'ancien temps.
13:00 Dès qu'on ne portait plus son drapeau sur la tête, on était un étranger mais sans
13:07 nationalité très précise.
13:09 A l'évidence, un étranger, c'était un soviétique.
13:11 Donc il fallait commencer, quand on parlait avec eux, par dire qu'on n'était pas soviétique,
13:15 qu'il y avait un pays qui s'appelait la France, etc.
13:17 Et donc commencer à faire notre travail qui était de faire rayonner notre pays.
13:23 Il y avait une population de lettrés qui avaient étudié la littérature française.
13:29 Même un certain nombre de gens qu'on rencontrait tout à fait au hasard des rues, quand on
13:35 leur parlait de la France, avaient un certain nombre de références.
13:40 Les trois mousquetaires, Dumas, Madame Bovary, Fanfan la Tulipe.
13:46 Et puis il y avait le général de Gaulle parce que la reconnaissance de la France,
13:53 ça avait été de Gaulle.
13:54 Vous parlez de Gaulle, vous vous demandez qui était de Gaulle, comment il résistait
13:58 aux Américains, parce que c'était immédiatement présenté comme un acte de résistance aux
14:02 Américains.
14:03 Ça a été sûrement l'une des périodes les plus intéressantes de ma carrière diplomatique.
14:09 Pour moi, la découverte de la civilisation chinoise était un choc.
14:14 C'était également la découverte de l'Asie, mais c'était la découverte d'un peuple
14:23 que j'ai beaucoup admiré.
14:25 La masse propre à la Chine, sa valeur et ses besoins présents, et la dimension de
14:34 son avenir font qu'elle se manifeste de plus en plus aux intérêts et aux soucis de l'univers
14:41 tout entier.
14:42 La France ne fait que reconnaître le monde tel qu'il est.
14:46 Mais il se peut aussi que dans l'immense évolution actuelle du monde, en multipliant les contacts
15:05 directs de peuple à peuple, on serve la cause des hommes, c'est-à-dire celle de la sagesse,
15:13 du progrès et de la paix.
15:15 Il se peut que ces contacts contribuent à l'atténuation déjà commencée entre les
15:30 contrastes et les oppositions dramatiques entre les camps qui divisent l'univers.
15:40 Il se peut qu'ainsi les âmes, partout où elles sont sur la terre, se retrouvent un
15:55 peu moins tard au rendez-vous que la France a donné à l'univers.
16:03 Voici 175 ans, celui de la liberté, de l'égalité et de la fraternité.
16:10 Merci.
16:11 – Sous-titrage : Le Crayon d'oreille -