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00:00 [Musique]
00:10 Okaraba, Artsakh, Nagorno-Karabakh.
00:13 Autant de termes pour désigner une petite enclave montagneuse
00:16 disputée à la frontière de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie.
00:20 Ce territoire est au cœur d'un conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan
00:23 qui dure depuis la chute de l'Union soviétique.
00:26 Après un isolement du territoire imposé par l'armée azerbaïdjanaise
00:30 à partir du décembre 2022,
00:32 Bakou a lancé une opération militaire au Okaraba le 19 septembre 2023.
00:37 Quels sont les enjeux de ce conflit ?
00:39 Pourquoi les tentatives de règlement n'ont-elles jamais abouti à une paix durable ?
00:43 Dans quel contexte international ce conflit s'inscrit-il ?
00:46 Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans cette vidéo.
00:50 [Musique]
00:53 Le Okaraba est une petite région montagneuse de 11 430 km²,
00:58 soit la taille moyenne d'un département français,
01:01 enclavée au sein du territoire de l'Azerbaïdjan.
01:03 95% de sa population est arménienne.
01:06 Elle est majoritairement chrétienne, tout comme en Arménie,
01:09 quand la population de l'Azerbaïdjan est à ta grande majorité chiite.
01:12 Elle est reliée à l'Arménie par un passage appelé le corridor de la Chine.
01:17 Le Okaraba dispose de ressources limitées,
01:20 à la présence de nombreux fleuves et de quelques minéraux.
01:23 En revanche, sa position géographique est stratégique,
01:26 à proximité des pipelines qui transportent le pétrole et le gaz
01:30 depuis la mer Caspienne vers l'Europe
01:32 et aux carrefours des territoires russes, iraniens et turcs.
01:36 Tant l'Arménie que l'Azerbaïdjan considèrent le Okaraba
01:38 comme le berceau de leur civilisation.
01:41 Le Okaraba était intégré alternativement aux territoires arméniens et azéris.
01:45 En 1921, Staline crée la région autonome du Okaraba
01:49 au sein de la République Socialiste Soviétique d'Azerbaïdjan,
01:52 l'une des républiques constitutives de l'URSS.
01:55 Cette décision avait deux motivations principales.
01:57 D'une part, Moscou cherchait à s'assurer le soutien
02:00 des républiques socialistes musulmanes et turcophones du Caucase.
02:04 D'autre part, Staline voyait en ce partage territorial
02:06 un moyen de diviser pour mieux régner
02:09 et ainsi prévenir l'émergence de mouvements séparatistes.
02:12 L'espoir d'une réunification renaît en Arménie et au Okaraba
02:16 avec les réformes de Mirail Gorbatchev.
02:19 En février 1988, plusieurs centaines de milliers de personnes manifestent à Erevan
02:24 pour réclamer l'unification de la région autonome avec l'Arménie.
02:28 Le 20 février, les députés du chèque suprême du Okaraba
02:31 votent en faveur de son rattachement à la République Socialiste d'Arménie.
02:36 Quelques jours plus tard, au moins 30 civils arméniens sont massacrés à Sumgat,
02:41 point de départ d'une spirale de violence interethnique et d'affrontements.
02:45 Le 2 septembre 1991, l'Okaraba déclare son indépendance à l'égard de Moscou.
02:50 Un référendum bénéficiant d'une appropriation quasi unanime
02:54 confirme cette décision en décembre.
02:56 Il refuse donc de faire partie de l'Azerbaïdjan indépendant depuis le 30 août 1991
03:02 et de l'Arménie indépendante depuis le 21 septembre 1991.
03:05 Cette proclamation d'indépendance déclenche une réaction armée
03:08 de la nouvelle République d'Azerbaïdjan qui occupe militairement l'Okaraba.
03:12 En réaction, l'Arménie s'engage militairement contre l'Azerbaïdjan
03:16 dans une guerre qui devient donc interétatique.
03:19 Pour trouver une solution politique au conflit,
03:21 le président de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe,
03:25 maintenant OSCE, tente d'organiser à Minsk une conférence sur l'Okaraba.
03:30 Cette initiative est à l'origine de la création de ce qu'on appelle le groupe de Minsk en 1994
03:35 pour intervenir dans les négociations de paix entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan.
03:40 Il est co-présidé par les États-Unis, la France et la Russie
03:43 et composé d'autres nations européennes, de la Turquie, de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan.
03:48 La guerre prend fin après un cessez-le-feu le 16 mai 1994
03:53 grâce à la médiation de ce groupe de Minsk.
03:56 Ce cessez-le-feu donne l'avantage militaire à l'Arménie
03:58 qui reprend le contrôle du Okaraba ainsi que des sept provinces
04:02 représentant 10% du territoire de l'Azerbaïdjan.
04:05 Mais ces sept années de guerre laissent des sequels profondes
04:09 dont l'homogénéisation accrue de la population dans les différents territoires
04:13 et un fort ressentiment des deux côtés.
04:15 La guerre a coûté la vie entre 18 000 à 30 000 personnes
04:18 et contraint plus d'un million de personnes à fuir leur foyer.
04:22 Pour autant, ce cessez-le-feu ne donne pas lieu à un accord de paix,
04:24 le conflit est gelé et de nombreuses Azerides et milliers
04:27 sont contraints de quitter les territoires où ils étaient situés.
04:30 L'Arménie et l'Azerbaïdjan opposent deux visions incompatibles
04:38 au regard du droit international concernant le Okaraba.
04:41 Pour Bakou, il s'agit d'un conflit inter-étatique
04:43 dans lequel l'Arménie aurait violé l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan
04:47 en soutenant le Okaraba.
04:49 Erevan considère de son côté que Bakou mène une lutte
04:51 contre une région indépendantiste au sein même de son État.
04:55 Elle en appelle au respect du droit à l'autodétermination des peuples
04:58 tout en revendiquant l'intégration du Okaraba à son territoire.
05:02 Une nouvelle fois, deux principes s'opposent comme on l'a vu au Kosovo,
05:05 comme on l'a vu en Crimée, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes
05:08 et l'intégrité territoriale.
05:10 A l'issue de la première guerre du Okaraba,
05:12 l'Arménie n'a pas remporté de victoire politique
05:15 malgré la mise en place par la suite de pourparlers
05:18 sous la supervision de puissances étrangères.
05:20 Aucun des accords proposés n'est accepté,
05:22 les deux parties refusant tout compromis autour du statut du Okaraba.
05:27 L'Azerbaïdjan est animé par un fort désir de revanche,
05:30 10% de son territoire étant occupé par l'Arménie.
05:33 Le but de Bakou serait alors de répousser les Arméniens du Okaraba
05:36 à quitter la région ou à les contraindre à se plier aux lois de l'Azerbaïdjan.
05:42 Dans cet objectif, le pays a continué à développer son arsenal militaire,
05:45 principalement grâce aux revenus issus du pétrole et du gaz.
05:49 Les dépenses militaires de l'Azerbaïdjan passent de 2% du PIB en 1994 à 5,5% en 2015
05:55 et se maintiennent à niveau élevé en étant toujours supérieurs à 5% du PIB.
06:00 L'Arménie qui traverse en 2018 une révolution poussant son président à la démission
06:05 ne prend pas la mesure de ce déséquilibre.
06:08 Il se creuse en effet entre les deux pays sur les plans militaires, démographiques et économiques
06:13 à l'avantage de l'Azerbaïdjan.
06:15 Les dépenses militaires relativement équivalentes en 1995,
06:18 52 millions de dollars pour l'Arménie, 66 pour l'Azerbaïdjan,
06:22 passent en 2016 à 431 millions en Arménie contre 1,4 milliard de dollars pour l'Azerbaïdjan,
06:27 soit des dépenses plus de trois fois supérieures.
06:30 Ces budgets atteignent en 2022 620 millions pour l'Arménie contre 2,7 milliards pour l'Azerbaïdjan.
06:36 Sur le plan démographique, la population arménienne a cessé de se réduire,
06:40 passant de 3,3 millions en 1995 à 2,8 millions aujourd'hui.
06:44 Quant à l'inverse, la population de l'Azerbaïdjan, déjà en forte supériorité numérique, continue de croître.
06:50 7,7 millions en 1995, 10 millions aujourd'hui.
06:54 La tendance est similaire d'un point de vue économique.
06:56 En 1995, le PIB arménien s'élève à 1,5 milliard de dollars contre 2,4 contre l'Azerbaïdjan.
07:03 En 2022, le PIB arménien s'élève à 20 milliards de dollars,
07:07 soit quatre fois moins que celui de l'Azerbaïdjan qui atteint 80 milliards de dollars.
07:12 Après de multiples incidents le long de la ligne de contact,
07:15 la tension monte en 2016 et aboutit au lancement de la guerre des quatre jours par Bakou,
07:21 avec le soutien d'Ankara.
07:22 Les combats prennent officiellement fin le 5 avril par un cessez-le-feu négocié sous l'égide de Moscou.
07:29 Cette guerre est considérée comme une première victoire pour Bakou,
07:32 qui récupère une partie du territoire revendiqué.
07:36 Le 27 septembre 2020, l'Azerbaïdjan lance une importante offensive au Karabakh.
07:41 Cette nouvelle guerre fait plus de 6 000 morts en seulement 44 jours.
07:44 Sous le patronage de Moscou, un accord de cessez-le-feu trilatéral est signé en novembre.
07:49 La victoire militaire est attribuée à Bakou, qui reprend le contrôle de plusieurs régions.
07:54 L'accord prévoit le déploiement de troupes russes pour maintenir la paix
07:57 le long de la ligne de front au Karabakh
07:59 et le long du corridor de l'Alchim qui permet de relier le Karabakh à l'Arménie.
08:03 Des affrontements à la frontière se produisent après le cessez-le-feu
08:05 et en décembre 2022, des civils azerbaïdjanais,
08:09 se faisant passer pour des défenseurs de l'environnement,
08:11 entament un blocage du corridor de l'Alchimé.
08:14 Cela empêche l'accès au Karabakh,
08:16 sauf pour les forces de maintien de paix russes et les convois de la Croix-Rouge.
08:20 En juillet 2023, Bakou annonce la fermeture totale du corridor de l'Alchimé
08:25 en prétendant vouloir stopper le trafic d'armes et la contrebande.
08:28 Le 12 août, Erevan a demandé une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU
08:33 sans qu'aucune solution concrète ne soit trouvée.
08:35 Face à ce blocus, de nombreuses voix s'élèvent
08:38 pour dénoncer une situation de génocide en cours.
08:41 Bien que l'utilisation de ce terme soit sujette à débat pour l'actualité,
08:44 il est possible qu'à terme, un nettoyage ethnique se produise au Karabakh,
08:48 en forçant les populations arméniennes à fuir pour survivre
08:52 ou pour continuer à respecter leurs traditions.
08:55 Dans la continuité du blocage du corridor de l'Alchimé
08:58 et à la suite des élections présidentielles du Haut-Karabakh le 9 septembre 2023,
09:02 Bakou lance le 19 septembre une opération qualifiée d'anti-terroriste dans la région
09:07 après la mort de quatre policiers et de deux civils azerbaïdjanais dans l'explosion de mine.
09:13 L'Arménie dénonce cette opération et renonce à envoyer des troupes.
09:16 Le 20 septembre, un accord de cesser le feu
09:19 entre les forces séparatistes du Haut-Karabakh et les forces azerbaïdjanaises est annoncé.
09:24 Le Caucase a toujours été dans la sphère d'influence de Moscou.
09:31 Malgré son alliance historique avec l'Arménie,
09:34 la Russie joue un rôle d'équilibriste en maintenant des liens également avec l'Azerbaïdjan.
09:39 En vertu de l'adhésion de l'Arménie à l'Organisation du traité de sécurité collective,
09:43 Moscou est tenue d'intervenir militairement pour défendre son intégrité territoriale.
09:48 Mais elle n'a pas reconnu l'annexion du Haut-Karabakh par l'Arménie.
09:52 Et elle coopère également militairement avec Bakou.
09:54 Ainsi, Moscou cherche à maintenir son hégémonie dans la région.
09:57 En 2016 et en 2020, elle maintient même le groupe de Minsk et la Turquie
10:00 à l'écart des négociations pour la signature de cesser le feu trilatéraux.
10:06 La Turquie cantonale a officiellement pris partie pour l'Azerbaïdjan dès le début du conflit.
10:10 Ces deux pays partagent un ennemi commun, l'Arménie,
10:13 et entretiennent des liens culturels étroits,
10:15 se présentant sous la formule de deux États, une nation.
10:18 En soutenant l'Azerbaïdjan, la Turquie peut à la fois promouvoir la coopération économique,
10:23 trouver un marché pour vendre ses armes, affaiblir l'Arménie
10:27 et mettre en péril la prédominance russe dans la région.
10:30 Pour ce faire, Ankara a fourni un soutien massif à Bakou en armement,
10:34 tout en recrutant au cours de la guerre de 2020 des milliers de mercenaires syriens
10:38 pour les envoyer combattre sur le front.
10:40 Comme la Syrie ou la Libye, le Haut-Karabagh est un terrain de rivalité entre la Russie et la Turquie,
10:44 bien que Moscou et Ankara partagent l'objectif commun d'y contrer l'influence occidentale.
10:51 L'Iran et Israël, ennemis existentiels, se révèlent être également d'importants acteurs du conflit.
10:56 Téhéran soutient l'Arménie, bien que leurs liens linguistiques, religieux, historiques
11:00 ne prédisposent pas naturellement à cette alliance.
11:03 L'Iran souhaite contenir les aspirations nationalistes et indépendantistes des azérites d'Iran
11:08 et il bénéficierait d'un affaiblissement de Bakou.
11:11 En raison de la coopération de Téhéran avec Erevan, Israël entretient au contraire
11:16 une alliance avec la Zimbabwe, là où on pourrait supposer une alliance plus naturelle
11:20 entre l'État hébreu et l'Arménie.
11:22 En échange de livraison d'armes, Bakou devient en 2021 le fournisseur d'environ 65%
11:28 des importations israéliennes de pétrole.
11:30 Et les puissances occidentales de tout cela, leur implication dans le conflit se manifeste
11:34 surtout par leur action au sein du groupe de Minsk.
11:37 Sa création en 1994 n'est pas anodine, les pays occidentaux se positionnent pour instaurer
11:42 leur vision de la paix dans le Caucase, jusqu'ici précaré de Moscou.
11:45 Or en 2020, si le groupe de Minsk existe toujours, il a été écarté des négociations et ne
11:50 semble plus à même de peser dans le règlement du conflit.
11:54 Co-présidente du groupe de Minsk, la France s'est tout de suite positionnée comme interlocutrice
11:59 de premier plan dans les négociations de paix.
12:01 Il faut dire qu'elle entretient des liens culturels, historiques avec l'Arménie et
12:05 accueille depuis le génocide une très large diaspora arménienne sur son territoire.
12:09 Néanmoins, Paris cherche à entretenir de bonnes relations avec les deux parties, d'autant
12:14 plus que l'Azerbaïdjan est un partenaire stratégique du fait de sa richesse en hydrocarbures.
12:19 La guerre en Ukraine a considérablement modifié la politique énergétique de l'Union européenne
12:23 au bénéfice notamment de l'Azerbaïdjan.
12:25 En juillet 2022, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s'est
12:30 rendue à Bakou et a signé avec le président Aliyev un protocole d'accord sur un partenaire
12:35 stratégique dans le domaine de l'énergie.
12:37 Selon Bakou, les exploitations de gaz à destination de l'Union européenne ont augmenté de 40%
12:43 entre 2021 et 2022.
12:45 Comment envisager la suite du conflit ?
12:52 Suite à l'opération Azeri de septembre 2023, les différents acteurs internationaux
12:56 ont pris position.
12:57 La Russie a appelé à la fin des combats, la France, les Etats-Unis et l'Union européenne
13:01 ont dénoncé l'initiative de Bakou et Ankara a soutenu l'opération militaire Azeri.
13:07 On constate, comme dans de nombreux autres cas, une impuissance des instances internationales
13:12 à régler durablement le conflit du fait des blocages et des divergences d'intérêts
13:18 des nombreuses puissances extérieures.
13:19 Malgré les multiples protestations occidentales, l'absence de mesures concrètes ne fait
13:23 que renforcer le sentiment d'un Occident impuissant.
13:26 Une situation renforcée par le contexte de la guerre en Ukraine qui empêche une coordination
13:32 entre les puissances occidentales et Moscou qui semble avoir laissé les mains libres
13:36 à Bakou pour intervenir au Karabakh en septembre 2023.
13:40 Affaiblie par la guerre en Ukraine, Moscou est moins influente dans cette région du
13:44 monde.
13:45 L'Arménie nourrit d'ailleurs un ressentiment à son égard, dénonçant son incapacité
13:49 à maintenir la paix et à empêcher le blocus du corridor de la Chine, autant que l'intervention
13:54 Azeri au Haut-Karabakh en septembre 2023.
13:57 Face à une Russie décrédibilisée à ses yeux et focalisée sur le terrain ukrainien,
14:01 le pouvoir arménien se rapproche des puissances occidentales, notamment en fournissant une
14:06 aide humanitaire à l'Ukraine dès 2022 ou en réalisant des exercices conjoints avec
14:11 l'OTAN sur son sol.
14:12 L'un des scénarios serait de se diriger vers une indexation totale du Haut-Karabakh
14:16 par l'Azerbaïdjan.
14:17 Face à une telle possibilité, la société civile arménienne est vent debout et dénonce
14:22 la passivité de son gouvernement et se mobilise en soutien au Haut-Karabakh.
14:27 Mais sera-t-elle aidée par les puissances occidentales ? Le gouvernement arménien a-t-il
14:32 autant de marge de manœuvre que cela ? En tous les cas, Bakou semble avoir le vent
14:36 au poupe face à l'effacement de la Russie et à la relative passivité des puissances
14:41 occidentales, fort du soutien turc et également du fait de l'évolution en sa faveur du rapport
14:47 de forces bilatérales face à l'Arménie.
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