De l'aquaculture pour les futurs visiteurs de la Lune. Ce n'est pas de la science-fiction.
C'est un projet qui est actuellement en cours d'étude à l'unité de recherches de la station IFREMER de Palavas-les-Flots.
C'est un projet qui est actuellement en cours d'étude à l'unité de recherches de la station IFREMER de Palavas-les-Flots.
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00:00 Il y a un projet incroyable qui est actuellement en cours d'étude à l'unité de recherche de la station Ifrémer de Palavas-les-Flots
00:06 et c'est pour cette raison que nous recevons ce matin Cyril Prisbilla qui est biologiste marin à l'Ifrémer de Palavas.
00:12 Bonjour Cyril Prisbilla. Bonjour.
00:14 Merci d'être venu nous rejoindre. Projet tout à fait passionnant soutenu par le Centre National d'Études Spatiales, donc la France,
00:21 et l'Agence Spatiale Européenne, l'ESA, projet dans lequel vous êtes engagé Cyril Prisbilla en tant que biologiste marin de l'Ifrémer.
00:30 Donc l'idée c'est quoi ? C'est de l'aquaculture pour les futurs voyageurs et même visiteurs de la Lune, c'est ça ?
00:37 Alors oui, c'est exactement ça. En fait c'est la réflexion qu'ont les agences spatiales européennes.
00:42 Lorsqu'ils veulent préparer une base dans laquelle par exemple il y aura 7 résidents permanents,
00:48 il n'est pas pensable d'envoyer le repas de midi avec une fusée, le repas du soir, donc il faut commencer à stocker d'une part,
00:55 et puis commencer à autoproduire sur place. Donc on imagine des grands desserts dans lesquels il y aura déjà des végétaux.
01:02 Les végétaux sur la Lune sont déjà bien étudiés depuis une vingtaine d'années, mais il n'y avait pas de production animale,
01:07 ce qui veut dire qu'il faudrait sélectionner des membres de la future base, des membres végétariens, pourquoi pas.
01:14 Mais il faudrait qu'ils aiment le poisson aussi, manifestement.
01:18 Oui, le poisson, l'organisme aquatique en général, est sélectionné parce qu'il est quand même plus facile à élever que par un bœuf,
01:25 on ne peut pas imaginer amener un bœuf sur la Lune.
01:28 C'est plus énergivore, c'est plus compliqué à transporter, effectivement on imagine.
01:32 Cyril Prisbela, expliquez-nous comment l'unité de recherche de la station infirmière de Palamas s'est retrouvée engagée dans cette aventure.
01:39 Le projet s'appelle Lunar Hatch.
01:42 Hatch en anglais ça veut dire éclosion, donc c'est l'éclosion lunaire.
01:44 J'ai fait Google traduct, il m'a mis TRAP, donc TRAP lunaire, je ne comprenais pas trop.
01:49 C'est un jus de mot, c'est un hublot aussi, c'est un hublot sur la Lune.
01:51 Hatch c'est l'éclosion.
01:54 Éclosion lunaire.
01:55 Voilà, parce que le projet propose de féconder les œufs de poissons d'aquaculture sur Terre,
02:00 de les mettre dans une fusée, faire le voyage qui va durer 4 à 6 jours,
02:04 et de programmer biologiquement l'éclosion une fois arrivés sur la Lune.
02:07 Pourquoi est-ce qu'on choisit des petits embryons de poissons ?
02:11 Parce que vous le savez peut-être, mais en fait le spatial c'est un souci de charge.
02:19 Plus on envoie de poids, plus c'est compliqué.
02:22 Donc mettre des embryons de poissons, par exemple dans un verre d'eau,
02:25 200 embryons ça veut dire 200 futurs poissons.
02:28 Si on devait envoyer 200 poissons déjà formés, ça voudrait dire des tonnes d'eau à envoyer,
02:31 ce qui est complètement aberrant.
02:32 Alors comment vous vous êtes retrouvé d'abord dans ce projet ?
02:34 Alors l'unité de Palavas-Les-Flots est membre de l'UMR Marbec,
02:39 qui étudie les écosystèmes marins.
02:41 Dans ce cadre-là, on a une mission, c'est d'essayer d'étudier des systèmes de production aquacol
02:46 qui n'impactent pas l'environnement.
02:48 C'est-à-dire des systèmes qui recyclent systématiquement les déchets des productions aquacol.
02:53 - Des systèmes à circuit fermé ?
02:55 - C'est des circuits fermés, exactement, des circuits clos.
02:57 Mais au lieu de traiter l'eau chimiquement ou mécaniquement,
03:00 on va utiliser des organismes marins qui vont faire le boulot.
03:03 En fait, grosso modo, c'est ce que fait la nature et c'est ce qu'on étudie.
03:06 - C'est ça, avec même un cycle de récupération des déchets
03:09 qui rentre à nouveau dans la chaîne alimentaire, c'est un peu ça aussi ?
03:13 C'est quelque chose qui tourne en permanence comme ça
03:15 et qui n'impacte pas l'environnement, c'est ça ?
03:17 - Voilà, par exemple, il y a beaucoup d'azote et de phosphore
03:19 dans une eau qui a été traversée dans un bassin de poissons.
03:22 Cet azote et ce phosphore sont les fertilisants pour les micro-algues
03:25 qui vont être l'alimentation pour des mollusques.
03:27 Ces mollusques, on peut les sortir, les manger,
03:29 mais on peut les redonner à manger aux poissons.
03:31 - Donc ces questions-là, vous les maîtrisez bien ?
03:33 - On les étudie parce que ce n'est pas encore réellement totalement en place.
03:37 Donc on les étudie et notre objectif, c'est de faire une production
03:40 qui n'impacte pas l'environnement.
03:42 Sur Terre, ce qui est important, c'est de récupérer l'ensemble
03:45 des molécules qui vont être émises par le système.
03:47 Vous l'avez compris, c'est une boucle biologique.
03:50 Alors sur Terre, il y a un intérêt, on le connaît tous,
03:53 c'est de préserver l'environnement.
03:54 Mais sur la Lune, c'est de récupérer les molécules
03:57 qui vont être exportées dans un environnement
03:59 qui est complètement mort.
04:01 - C'est ça tout l'enjeu de l'étude que vous menez,
04:04 c'est de voir comment ces systèmes d'aquaculture
04:06 peuvent s'adapter aux conditions extrêmes d'un voyage sur la Lune,
04:09 parce que rien que le fait d'y aller, c'est compliqué.
04:12 On est soumis à des contraintes physiques énormes.
04:15 - Tout à fait. On imagine que l'embryon de poisson,
04:17 comme les humains d'ailleurs, n'ont jamais connu ce type
04:19 de changement d'environnement.
04:20 Donc le programme Lunarach est en trois phases.
04:23 La première phase est de savoir si on est déjà capable
04:25 d'envoyer des organismes aquacol de la Terre à la Lune.
04:28 - Qui résistent au voyage. - Oui, qui résistent.
04:30 Comme nous sommes des biologistes, nous ne sommes pas forcément
04:32 du secteur spatial, on a mis sur une feuille
04:34 tous les changements d'environnement qu'elle est à avoir.
04:37 - L'apposanteur déjà ? - La vibration de la fusée d'une part,
04:39 elle secoue dans tous les sens le temps du voyage,
04:42 le temps de la mise en orbite, l'hypergravité,
04:45 c'est-à-dire que nous ici on est à 1G, mais il faut imaginer
04:47 que la fusée va à 3, 4G, enfin voilà, on étudie ça,
04:50 l'hypergravité, et puis la microgravité,
04:53 et enfin toutes les radiations qui seront entre la Terre
04:57 et la Lune, les neutrons, les protons, vous savez que nous
05:00 on est protégés par la ceinture de Van Halen, une ceinture
05:03 qui nous protège des radiations cosmiques en fait, et là,
05:05 quand on sort de cette ceinture-là, pendant le temps du voyage,
05:07 il y aura cette exposition, comme d'ailleurs les équipages humains.
05:10 - Donc ça vous êtes en train d'étudier la faisabilité,
05:13 vous avez déjà des résultats, des conclusions,
05:15 est-ce que vous vous êtes dit à un moment donné
05:17 "tiens, ben oui, finalement c'est possible, on peut le faire".
05:19 - Oui, en fait ça fait déjà peut-être 2 ans qu'on sent
05:22 que c'est possible, puisqu'on a étudié la vibration
05:25 avec un outil, enfin un appareil qui est au
05:28 Centre Spatial Universitaire de Montpellier,
05:30 qui mime en fait le décollage de fusées,
05:32 donc là, ils ont passé leur cap, on a étudié
05:35 donc la microgravité, c'est là où l'ESA nous a aidés,
05:38 et nous a donné accès à un simulateur de microgravité,
05:41 on les a mis pendant plusieurs jours, les oeufs,
05:44 les embryons, en microgravité, et l'éclosion s'est produite
05:47 en microgravité. - Ça ne les a pas bouleversés plus que ça quoi ?
05:50 - Non, non, ce qu'on a remarqué c'est qu'il y avait une éclosion,
05:53 mais ça avait déjà été décrit dans la littérature,
05:56 il y avait une éclosion qui se passait un peu avant ce qui était modélisé,
05:59 donc certainement que la microgravité joue dans la date
06:02 de la naissance, si je peux dire, du poisson.
06:05 - Le poisson le plus adapté pour partir... - Le muge !
06:08 - Non, j'imagine que c'est le poisson lune !
06:11 - Ah, bien joué ! - Qui est comestible ! - Oui, c'est quand même un peu dommage
06:14 de manger un poisson lune, mais en fait, oui,
06:17 il y a les histoires de candidats, parce qu'aujourd'hui, il faut de l'eau
06:20 pour faire l'aquaculture sur la Lune, et l'eau aujourd'hui, on n'a pas
06:23 d'échantillon, il n'y a pas de mission humaine qui aura amené de l'eau
06:26 depuis la Lune, on sait pas si elle est salée, douce, si elle est minéralisée,
06:29 si elle est potable ou pas. - Sauf que j'ai vu qu'il y a eu
06:32 plusieurs missions spatiales qui ont conclu
06:35 malgré tout quand même à la présence possible de glace
06:38 sur la Lune, notamment au niveau de ces cratères sud,
06:41 donc le fait qu'il y aurait peut-être de l'eau sur la Lune, on peut envisager
06:44 ensuite, une fois qu'on aura commencé à coloniser, je ne sais pas
06:47 si c'est une bonne nouvelle, mais la Lune, on peut imaginer utiliser
06:50 cette eau aussi pour faire de l'aquaculture, alors c'est un peu ça aussi. - Non, si, si,
06:53 l'idée elle est là, c'est-à-dire que l'eau en première intention, nous nous sommes des organismes
06:56 aquatiques, les humains, ça peut paraître bizarre de dire ça,
06:59 mais en fait on a besoin d'eau, on a besoin de boire en permanence,
07:02 le premier usage de l'eau, ça sera pour être
07:05 mis dans un verre et être bu par les humains, après on peut
07:08 imaginer que dans ce cycle-là, il y ait de l'eau
07:11 qui soit utilisée pour l'aquaculture, oui, effectivement, mais s'il n'y a pas d'eau
07:14 sur la Lune, il n'y aura pas d'exploration spatiale et il n'y aura pas d'aquaculture.
07:17 - Alors, on en parlait l'autre jour en préparant
07:20 cet échange, Cyril Pritchby, là, moi ce que vous faites
07:23 ça me fait penser à un film, Matt Damon
07:26 dans "Seul sur Mars", alors là c'est pas de l'aquaculture,
07:29 c'est un gars qui se retrouve tout seul sur Mars et qui va cultiver des patates sur Mars
07:32 et en autosuffisance alimentaire. - C'est ça.
07:35 - Et vous, ça vous parle aussi, ce film, parce que quelque part l'idée c'est un peu la même,
07:38 même si bon, là c'est des patates qui vont pousser
07:41 au pardon, aux déjections des astronautes.
07:44 - Au recyclage. - Au recyclage, du caca des astronautes,
07:47 bon, c'est ce que le film raconte, mais quelque part c'est un peu ça aussi l'idée
07:50 de vos études. - C'est totalement ça,
07:53 à part que le film "Seul sur Mars" se passe sur Mars,
07:56 c'est beaucoup plus loin, là il y a beaucoup plus de contraintes parce que
07:59 en fait, comme je disais tout à l'heure, le vol de la Terre à la Lune, on peut
08:02 imaginer avoir des cargos tous les 4 ou 5 mois.
08:05 - Alors que Mars c'est 8 mois ou 8 ou 10 mois, je crois. - Voilà, c'est un peu plus long.
08:08 - Mais le principe reste un peu le même, donc pourquoi c'est pas
08:11 de la science-fiction ce film quelque part ? - Ben c'est parti
08:14 du fait que... c'est parti d'un livre au départ, qui a été
08:17 tourné avec un film qui a eu un impact,
08:20 et puis ce qui était marrant c'est que la NASA a vu le film,
08:23 enfin les responsables de la NASA ont vu le film et se sont dit "tiens, il faudrait qu'on commence
08:26 à réfléchir à ce système-là".
08:29 - Incroyable ! - Donc ils ont travaillé avec la Fédération mondiale
08:32 des producteurs de pommes de terre pour trouver un endroit qui ressemble à Mars.
08:35 - Donc c'est très intéressant parce que là c'est un peu la science-fiction
08:38 qui a "drive"é la science. - En fait c'est le contraire, la science-fiction s'inspire un peu de la science.
08:41 - On sait jamais, on sait jamais parce que... - Là c'est la science
08:44 qui s'inspire du cinéma, quelque part. - C'est ça, mais il y a toujours un jeu
08:47 entre la science et l'art, entre la science et la littérature,
08:50 qui pensait qu'un jour on se déplacerait en train.
08:53 - Bon, ces petits poissons-là, ou ces
08:56 oeufs de poisson que vous élevez à Palavas, on a
08:59 eu une chance de les voir sur la Lune quand ? Dans les 10 ans qui viennent ?
09:02 - On est en train de travailler,
09:05 donc la première partie c'est de terminer l'évaluation,
09:08 de savoir si on peut les faire voyager de la Terre à la Lune, ça se passe bien.
09:11 La seconde partie c'est de faire le système qui va les amener de la Terre à la Lune,
09:14 dans quel compartiment. La troisième partie c'est de réfléchir au système
09:17 qui sera dans la base. Donc là on est au tiers,
09:20 donc on travaille avec l'Agence spatiale européenne
09:23 pour essayer de voir
09:26 si on ne peut pas programmer cette mission en 2034
09:29 dans une mission qui s'appelle Argonaut, qui va atterrir
09:32 sur la Lune, une mission européenne, avec plein d'expérimentations
09:35 dont des embryons de poissons. Mais il y a du chemin à faire encore.
09:38 - J'ai une petite pensée pour celui qui vient de se connecter
09:41 sur France Bleu Héro et qui vous entend dire "Alors ces petits poissons
09:44 de Palavas, quand est-ce qu'on peut les voir sur la Lune ? " On va lui dire
09:47 "Il y a quand même plus simple, allez à Palavas quoi !"
09:50 - Ah mais l'intérêt de la question c'est "Sur la Lune ?"
09:53 - Oui, bien sûr, mais c'est vrai que comme ça c'est surprenant.
09:56 - Vous pouvez fouler les pommes de terre cultivées avec du caca aussi.
09:59 - Oui, oui, ça j'ai bien compris que ça vous avait fait plaisir de dire "Caca" sur France Bleu Héro.
10:02 - Merci beaucoup Cyril Prisbilla d'être venu nous en parler ce matin
10:05 on se donne rendez-vous dans 10 ans, pour faire le point.
10:08 - C'est quand même incroyable, lorsque vous parlez avec des amis
10:11 "Alors qu'est-ce que vous faites dans la vie ?"
10:14 "Bah moi je fais ça", c'est fou quoi, je trouve.
10:17 - Oui, c'est pas mon train
10:20 et mon but c'est de faire un système sur Terre qui fonctionne et qui recycle tout.
10:23 - Avec une somme à l'émission.
10:26 - Il y a une différence avec les métiers qu'on a l'habitude de faire.
10:29 Déjà nous quand on dit "On fait animateur radio"
10:32 "Ah, alors là si on est en train de parler de poissons, on pensera pour aller sur la Lune."
10:35 - D'ailleurs on peut faire une émission de radio que sur les Montpellierains
10:38 qui travaillent sur des productions spatiales.
10:41 Il y a des gens de l'Inrail qui travaillent sur les plantes, il y a des gens qui travaillent sur les muscles
10:44 aussi des astronautes, il y a de quoi faire sur Montpellier.
10:47 - C'est complètement fou. En tout cas merci d'être venu ce matin
10:50 et vous pouvez réécouter tout ça en allant sur notre site internet francebleu.fr
10:53 On écoute Blondie avec Cormie
10:56 et juste après je ne sais pas si vous êtes droitier ou gaucher
10:59 mais en tout cas Léopoldine Dufour a une petite histoire
11:02 sur les gauchers, parce qu'au début c'était pas
11:05 gagné pour les gauchers. On en parle dans 3 minutes
11:08 dans le 6/9 de France Bleu Héro.