Rembob'INA - Grigny : la Grande Borne ou l'enfer du décor (1973)

  • il y a 7 mois
Rembob'INA s'intéresse à l'habitat social, aux grands ensembles et à un quartier emblématique, La Grande Borne à Grigny, 50 ans après sa construction. On découvre cette réalisation à la fois ambitieuse et utopique, oeuvre de l'architecte Emile Aillaud, à travers deux documents passionnants tournés en 1973 : un portrait élogieux d'Emile Aillaud par Claude-Jean Philippe, qui souligne son caractère singulier et anticonformiste, puis un documentaire critique de Jacques Frémontier, « L'enfer du décor », qui dénonce la misère sociale et les terribles conditions de vie de ses habitants.

Invités :
- Philippe Rio, Maire de Grigny
- François Brugel, architecte
- Richard Poirot, Ina

C'est une plongée dans l'histoire de notre pays au travers des trésors cachés de la télévision. Fictions, documentaires, magazines d'actualité, émission de divertissements, débats politiques...
Le dimanche, Patrick Cohen nous invite à jeter un coup d´oeil dans le rétroviseur de notre petite lucarne. En présence d´acteurs ou de témoins de l'époque, de spécialistes des archives de l´INA, Patrick Cohen revient sur les grandes heures de la télévision. Emblématiques ou polémiques, ces programmes ont marqué les esprits et l'histoire du petit écran.

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Transcript
00:00:00 Générique
00:00:02 ...
00:00:21 -Bonjour à tous, bienvenue à Rambobina
00:00:24 pour une émission consacrée à l'habitat social,
00:00:26 aux grands ensembles, à un quartier en particulier,
00:00:29 emblématique, la Grande-Borne, à Grigny.
00:00:32 Une réalisation vieille de 50 ans,
00:00:34 qui fut ambitieuse, utopique,
00:00:37 oeuvre de l'architecte Émile Aillaud,
00:00:39 et qui a suscité beaucoup de curiosités à la télévision
00:00:42 et quelques documents passionnants
00:00:44 que nous allons vous proposer avec nous, le maire de Grigny.
00:00:47 Bonjour, Philippe Riaud. -Bonjour.
00:00:49 -Vous avez été élu meilleur maire du monde
00:00:52 par la City Mayors Foundation pour votre action contre la pauvreté.
00:00:55 À vos côtés, un architecte spécialiste de l'habitat social.
00:00:59 François Brugel, fondateur de l'agence François Brugel Associé,
00:01:02 professeur d'architecture à l'ENSA Marseille.
00:01:05 Vous avez tous les deux un point commun.
00:01:08 Vous êtes des enfants des grands ensembles.
00:01:11 François Brugel, vous avez grandi à Massy, dans l'Essonne,
00:01:14 même département que Grigny,
00:01:16 et vous, Philippe Riaud, à la Grande-Borne.
00:01:18 Vous y avez vécu plus de 25 ans.
00:01:21 Avec quelle perception, à l'époque,
00:01:24 de votre enfance et de votre adolescence,
00:01:27 avec quel degré d'attachement ou de rejet
00:01:29 pour les murs de cette cité ?
00:01:31 -Extraordinaire.
00:01:34 J'ai vécu une enfance
00:01:36 dans ces espaces-là absolument remarquables.
00:01:39 Certainement, ce qui a fait mon parcours
00:01:41 de devenir urbaniste et d'oeuvrer sur l'intérêt général,
00:01:46 et encore aujourd'hui sur l'architecture et l'urbanisme,
00:01:49 dans des souvenirs assez incroyables.
00:01:51 -Pourtant, on va entendre dans les documents à venir
00:01:54 des paroles d'habitants mécontents.
00:01:57 -Je vous le confirme.
00:01:58 Mais vous savez, quand on est enfant,
00:02:01 on a plein de désirs, on a plein de rêves,
00:02:03 et donc cet espace-là est assez magique,
00:02:07 même s'il y a ce grand écart
00:02:09 entre une réalité sociale et un espace vécu
00:02:13 qui est très, très bien vécu, bien éclaté.
00:02:16 -Et vous rappelez, aujourd'hui, comme maire,
00:02:19 que la Grande-Borne fut une urbanisation autoritaire,
00:02:23 imposée par l'Etat, contre l'avis
00:02:25 de vos trois prédécesseurs communistes ?
00:02:27 -Absolument.
00:02:29 Absolument, parce que ce grand ensemble
00:02:33 a été réalisé sans équipements publics.
00:02:35 Et à l'époque, la ville s'était opposée à cela
00:02:38 de manière très franche,
00:02:41 et la ville, d'ailleurs,
00:02:43 était, à l'époque...
00:02:45 s'est mise en déficit financier pour réaliser les écoles
00:02:49 à la place de l'Etat, qui n'avait pas financé les écoles,
00:02:52 et l'ensemble des équipements,
00:02:54 pas de téléphone, pas de transport en commun.
00:02:57 -Pas de crèche, pas de transport. -Sauf 90 hectares.
00:03:00 -Pas de maison de jeûne.
00:03:01 -Et des gens qui étaient expulsés du 13e arrondissement
00:03:05 pour des opérations de rénovation urbaine à Paris.
00:03:08 -François Brugel, c'est le fait d'avoir grandi à Massy
00:03:11 qui a déterminé votre vocation d'architecte ?
00:03:14 -C'est difficile à dire, aujourd'hui,
00:03:17 mais en tous les cas, ça a du sens,
00:03:19 d'être né là-bas,
00:03:22 d'avoir vu ces lieux, qui, pour moi, étaient nouveaux,
00:03:25 mais pour beaucoup de monde, étaient aussi nouveaux.
00:03:28 Je pense que ça a beaucoup de sens.
00:03:30 -Et vos souvenirs d'enfants,
00:03:33 sont-ils à l'image de ceux de Philippe Riau,
00:03:36 de votre voisin ? -Ils sont à peu près similaires,
00:03:39 mais je suis revenu, moi, sur les lieux "un peu plus tard".
00:03:42 J'y suis né, j'y suis resté jusqu'à 10 ans,
00:03:45 puis j'y suis revenu plus tard.
00:03:47 C'est vrai que ce qui était immense,
00:03:49 les grands cailloux sur lesquels on jouait quand on était petit,
00:03:52 c'était pas grand-chose, mais c'était des choses qui existaient.
00:03:56 Les pièces qui semblaient gigantesques
00:03:58 quand j'étais petit, je suis re-rentré,
00:04:01 elles n'étaient pas si grandes que ça,
00:04:03 mais elles étaient bien dimensionnées,
00:04:05 bien proportionnées, et je pense que, oui,
00:04:08 aujourd'hui, ça a vraiment du sens.
00:04:10 -Et puis, il faut rappeler qu'à Massy,
00:04:12 c'était pas des tours, comme on peut le voir
00:04:15 dans d'autres endroits de la région parisienne,
00:04:17 mais quand on a des R+4, des R+5,
00:04:19 c'est pas la même chose que d'avoir des ensembles de 20 étages.
00:04:23 C'est pas la même densité, aussi.
00:04:25 Évidemment, sous ça, ça compte.
00:04:27 On va voir d'abord à quoi ça ressemble, à la Grande-Borne,
00:04:30 à travers un portrait de son architecte,
00:04:32 Émile Ayo, personnage pittoresque, non-conformiste.
00:04:35 Vous allez voir, avant, un documentaire
00:04:38 de Jacques Frémontier sur la vie à la Grande-Borne,
00:04:41 intitulé "L'enfer du décor".
00:04:42 Ce qui est étonnant, c'est qu'en 1973,
00:04:45 la deuxième chaîne programme les deux émissions
00:04:47 sont publiées à la suite, dans la même soirée.
00:04:50 D'abord, le portrait élogieux d'Émile Ayo,
00:04:53 puis le document très critique sur la Grande-Borne.
00:04:56 Voici donc les extraits de ce portrait
00:04:58 réalisé par Claude Jean-Philippe.
00:05:00 ...
00:05:12 Musique douce
00:05:14 ...
00:05:16 -Nous sommes à Grigny.
00:05:18 C'est une commune de l'Essonne,
00:05:19 à 25 km de Paris par l'autoroute du Sud.
00:05:22 Une ville vient d'y naître.
00:05:24 Elle est habitée depuis trois ans à peine.
00:05:26 On en parle, on la visite, on la commente, on la critique.
00:05:31 Elle est déjà célèbre.
00:05:33 C'est la Grande-Borne d'Émile Ayo.
00:05:36 ...
00:05:45 -Vous êtes né au Mexique ?
00:05:47 -Je suis né au Mexique, oui.
00:05:49 -Vous êtes arrivé en France à quelle époque ?
00:05:52 -À la fin de l'enfance. Je suis arrivé ici à 8 ans.
00:05:56 8 ans, c'est déjà toute une petite enfance qui s'était passée
00:05:59 dans ce milieu demi-colonial, demi avec des bonnes.
00:06:03 Je parlais l'espagnol, je parlais à peine le français.
00:06:06 Je parlais l'espagnol.
00:06:08 J'étais élevé chez des religieuses, puis chez des religieux.
00:06:12 Enfin, toute une existence comme ça,
00:06:15 facile et extraordinairement tendre,
00:06:18 dans un univers qui était tendre.
00:06:21 Mon arrivée rue Rodier a été quelque chose, effectivement.
00:06:24 Je ne me relèverai pas.
00:06:26 J'ai peur depuis, j'ai peur des structures de l'école primaire.
00:06:31 J'ai peur du proviseur.
00:06:33 J'ai peur des adultes.
00:06:35 J'ai peur de cette rigueur que la rue Rodier, pour moi, représente.
00:06:40 C'est un secteur féroce de la bourgeoisie,
00:06:46 de la vieille bourgeoisie française,
00:06:48 de la vieille petite bourgeoisie française.
00:06:50 C'est pour ça que mes écoles et tout portent "cache".
00:06:57 "Cache le principal" à la lettre.
00:07:00 C'est-à-dire "cache le proviseur".
00:07:03 Les écoles que je fais sont des petites villes pour enfants
00:07:07 et partent avec des cours séparés où l'on peut n'être pas vu,
00:07:11 où l'on peut échapper à ces structures redoutables
00:07:14 que sont l'école primaire française.
00:07:16 Cette école laïque, obligatoire, morale.
00:07:20 Terrible, juste.
00:07:22 Juste, partant, terrible.
00:07:25 (Cris et applaudissements)
00:07:27 (...)
00:07:49 -Il est évident qu'un enfant qui, tout jeune, a été dressé
00:07:55 à réciter les sous-préfectures et les tables de multiplication
00:08:00 et les affluents du Rhône,
00:08:03 a eu du mal à avoir une enfance.
00:08:07 Il a été pris trop tôt dans des rigueurs d'orthographe.
00:08:12 Il ne sait pas écrire, mais il orthographie.
00:08:15 J'ai jamais su l'orthographe.
00:08:19 Parce que ces huit années ont été fatales dans ma vie.
00:08:22 Je n'ai pas su les règles de grammaire.
00:08:25 Je n'ai jamais su qu'elles étaient...
00:08:27 Je ne sais plus comment on appelle ça,
00:08:29 le complément indéfini de nom et de matière.
00:08:31 Il y a tout un vocabulaire rigoureux
00:08:36 qui fait que je n'ai jamais su ni la grammaire ni l'orthographe.
00:08:40 Ce sont ces dures formations initiales
00:08:45 qui forment effectivement des individus sociaux
00:08:51 et qui détruisent probablement des capacités d'enfance.
00:08:55 Ce sont des règles.
00:08:57 Le petit a eu peur.
00:08:59 Effectivement, comment n'avoir pas peur quand on va à l'école communale ?
00:09:03 Je ne sais pas. Pourquoi je n'attaque pas les enseignants de l'école communale ?
00:09:09 C'est tout un esprit, un esprit de rigueur.
00:09:13 Cet esprit de rigueur,
00:09:15 Emile Ayou le retrouve aujourd'hui dans ce qu'il est convenu d'appeler
00:09:18 les grands ensembles.
00:09:20 Je trouve que les architectes n'ont pas accédé à l'architecture urbaine.
00:09:25 Ils ont accédé à des architectures.
00:09:28 Et d'ailleurs, l'urbanisme qu'ils pratiquent
00:09:31 implique un peu que les façades,
00:09:33 qui ont 100 m de prospects et qu'on voit de loin,
00:09:36 aient une ordonnance.
00:09:38 Les miennes, qui sont des choses tortueuses, proches et labyrinthiques,
00:09:47 n'ont pas besoin d'architecture.
00:09:49 Ça implique même qu'il n'y en ait pas,
00:09:51 que ce soit une perforation apparemment de désordre,
00:09:55 une sorte de désordre organisé, mais de désordre.
00:09:58 C'est-à-dire qu'il n'y ait pas de continuité, pas d'ordonnance.
00:10:01 C'est l'ordonnance qui avile les gens.
00:10:06 Il faut que ce soit des lieux apparemment totalement clos
00:10:14 et dont on sent un je-ne-sais-quoi,
00:10:16 qu'on peut quand même en sortir,
00:10:18 que le désespoir du labyrinthe ne soit quand même pas complet.
00:10:22 Un labyrinthe offre toujours des sorties factices.
00:10:28 Sinon, quand on tombe sur le minotaure,
00:10:31 là, il faudrait tout de même pouvoir sortir.
00:10:34 Et là, continuer peut-être cette chose plus loin,
00:10:39 en déterminant un très...
00:10:42 Un très grand espace sur l'intérieur.
00:10:45 - Qui s'oppose aux autres. - Peut-être.
00:10:47 À mon avis, il faudrait aussi, à certains endroits,
00:10:50 peut-être ici, avoir les éléments séparés
00:10:53 pour qu'il n'y ait pas une trop grande monotonie des courbes.
00:10:59 Ou peut-être par deux.
00:11:00 Non, peut-être par un. Ce serait peut-être mieux.
00:11:03 Ce serait comme une fragmentation.
00:11:05 Qu'est-ce que vous en dites, Eva ?
00:11:07 Oui, peut-être en faire là un peu plus.
00:11:11 Un peu plus près, peut-être.
00:11:15 Il faut tellement se figurer l'œil du petit ou de l'homme
00:11:20 qui circule que, évidemment, nous sommes là comme des dieux.
00:11:25 Il faudrait voir que d'ici, le plus bas possible,
00:11:29 et s'imaginer à l'intérieur.
00:11:32 S'imaginer une place qui soit à la fois fermée
00:11:35 comme une passoire.
00:11:38 Ça, ce serait peut-être...
00:11:40 Et alors, laisser l'ouverture plus loin.
00:11:43 Il faut reprendre la continuité.
00:11:46 C'est évident que j'ai pensé beaucoup aux futurs habitants.
00:12:09 À leur façon de vivre,
00:12:12 de penser dans la proportion
00:12:15 où je pouvais me mettre à leur unisson,
00:12:19 à leur connivence.
00:12:22 Et effectivement, il y a énormément de gens difficiles,
00:12:28 d'associaux qui n'ont jamais vécu dans des lieux convenables,
00:12:33 d'enfants qui n'ont jamais été élevés.
00:12:36 Toute une population qu'il faudrait justement
00:12:39 arriver à porter à la conscience et à la dignité,
00:12:43 qui est le rôle de Grigny, des HLM.
00:12:46 C'est essayer de porter jusqu'à la dignité
00:12:49 une population qui n'a jamais pu y accéder
00:12:52 parce qu'elle était trop chétive.
00:12:56 Musique douce
00:12:59 ...
00:13:08 -Des enfants de Grigny qui grimpent et qui s'amusent
00:13:11 sur ces monticules de pavé.
00:13:13 Émile Ayo, l'architecte de la Grande Borne,
00:13:16 à Grigny, ou des Tournuages à Nanterre,
00:13:19 on les verra un peu plus tard,
00:13:21 fier de faire autre chose que des boîtes.
00:13:24 François Brugel, quel regard portez-vous sur l'utopie Ayo,
00:13:28 sur cette vision urbaniste
00:13:31 présentée comme ambitieuse et différente ?
00:13:34 -Bah...
00:13:37 Là, c'est très compliqué.
00:13:39 -Vous avez le droit de critiquer les grands anciens.
00:13:42 -Non, mais c'est un homme de grande culture.
00:13:45 Je pense que ça, c'est très important,
00:13:47 ça l'a aidé à porter autre chose.
00:13:49 Son rapport à la littérature, à la philosophie,
00:13:53 son voisinage, aussi, avec ça,
00:13:54 je pense que, quelque part, ça l'a construit.
00:13:57 Donc...
00:13:59 La part du travail d'Émile Ayo, dans cette dimension utopique,
00:14:04 à un moment donné, elle retombe quelque part sur un sol.
00:14:08 Effectivement, il y a une grande part d'inachevée là-dedans,
00:14:11 et là, ça devient plus compliqué.
00:14:13 -Philippe Riau, est-ce que vous étiez sensible, vous,
00:14:16 à cette diversité des espaces et des perspectives,
00:14:19 à ces rues qui serpentent,
00:14:22 à ces trottoirs en relief, à tout ce qu'on a...
00:14:25 -On voit les enfants s'amuser.
00:14:27 J'étais peut-être sur la photo,
00:14:29 je suis arrivé en 1974, mais j'étais vraiment très petit.
00:14:33 La Grande Borne, c'est 90 hectares.
00:14:36 -Oui. -3600 logements.
00:14:38 Et en fait, 13 sous-quartiers qui ont leur forme,
00:14:42 leur espace public, leur oeuvre d'art,
00:14:45 puisque l'une des particularités d'Émile Ayo,
00:14:48 c'est d'avoir travaillé avec beaucoup d'artistes,
00:14:51 M. Arietty, notamment,
00:14:54 et donc, il y a 13 sous-quartiers,
00:14:57 c'est-à-dire 13 identités,
00:14:59 qui sont bien différentes.
00:15:01 On le voit là, dans une époque
00:15:03 où la charte d'Athènes est prédominante,
00:15:06 c'est-à-dire... -Les boîtes.
00:15:08 -Les boîtes, là, on est plutôt dans le registre des nouilles,
00:15:12 même si la voiture est à l'extérieur.
00:15:15 C'est l'une des particularités.
00:15:17 La voiture est à l'extérieur, c'est 90 hectares,
00:15:20 c'est un passage de véhicules,
00:15:22 dans un moment où la voiture est reine.
00:15:25 -C'est toujours le cas ? -Non, ce n'est plus le cas.
00:15:28 On a fait venir du transport.
00:15:30 L'une des particularités de l'époque, c'est que, d'abord,
00:15:34 60 % des logements sont des grands logements.
00:15:37 C'est une espèce d'asymétrie. -Pour les familles.
00:15:40 -Pour les familles, donc, nombreuses, principalement,
00:15:43 très pauvres, à l'époque, encore aujourd'hui.
00:15:46 L'évolution de la grande borne, c'est du transport en commun,
00:15:50 c'est une époque où, quand même, on découvrait
00:15:53 le slogan "métro, boulot, dodo".
00:15:55 À l'époque, il n'y avait ni métro, ni boulot,
00:15:58 et on ne faisait que dodo.
00:16:00 -En octobre 71, le ministre du Logement,
00:16:03 Albin Chalandon, se déplace à la grande borne.
00:16:05 Dialogue avec un habitant rapporté dans Le Monde.
00:16:08 Hélas, il n'y avait pas de caméra, mais je lis le papier.
00:16:11 "Par rapport aux habitants de la Courneuve,
00:16:14 "vous vivez dans un paradis", lance Albin Chalandon.
00:16:17 "Nous ne voulons pas de paradis, mais la comodité de la vie quotidienne."
00:16:21 -Albin Chalandon dit d'ailleurs "plus jamais ça",
00:16:24 parce qu'il fait la découverte
00:16:26 qu'on a construit des logements sans faire de la ville.
00:16:29 Il n'y a pas d'équipement public,
00:16:32 il n'y a pas de ce qui fait une ville,
00:16:35 c'est-à-dire toute la vie sociale, la cohésion sociale.
00:16:39 Et c'est déplacé, parce que c'est ça.
00:16:42 La grande borne se retrouve là,
00:16:45 encore une fois, sans boulot, sans transport.
00:16:49 Véritablement, le témoignage des gens à l'époque
00:16:52 est extrêmement puissant sur ces questions-là.
00:16:55 Il n'y a pas de téléphone. -Il n'y a pas de téléphone ?
00:16:58 -Non, et on découvre les malfaçons.
00:17:00 -Ah oui, ça, c'est classique, évidemment.
00:17:03 Alors, on va voir tout ça dans ce document de Jacques Frémontier,
00:17:08 diffusé sur la deuxième chaîne, le 8 juillet 73, à 21h30,
00:17:13 à la suite du portrait d'Emile Hayau,
00:17:16 "L'enfer du décor".
00:17:18 ...
00:17:48 ...
00:17:50 ...
00:17:54 ...
00:17:56 -La grande borne, entreprise en octobre 1967
00:18:00 par l'office public d'Achelen
00:18:03 sur les plans de l'architecte Emile Hayau,
00:18:06 a commencé à vivre en août 71.
00:18:11 ...
00:18:25 ...
00:18:26 ...
00:18:56 -La grande borne, 4 000 logements,
00:18:59 18 000 habitants, 25 km au sud de Paris.
00:19:03 ...
00:19:06 Emile Hayau.
00:19:07 ...
00:19:09 -Je ne construis que pour des offices d'Achelen,
00:19:12 des HLM,
00:19:13 et les éléments les plus simples et les plus économiques,
00:19:17 mais c'est là que l'on peut reprendre pied
00:19:22 pour une nouvelle jeunesse mentale.
00:19:26 Il ne s'agit pas de rénover des habitations,
00:19:29 des styles et une architecture bourgeoise
00:19:32 pour y loger l'innombrable.
00:19:34 Il faudrait réinventer pour l'innombrable
00:19:36 une forme d'architecture qui soit apte à l'ospoir.
00:19:40 ...
00:19:55 Mon action est une action toute intérieure.
00:19:58 Je peux changer la mentalité,
00:20:00 je peux changer la forme de l'affectivité des gens.
00:20:04 C'est donc un changement d'ordre intérieur.
00:20:07 C'est évident, construire 100 logements
00:20:10 pour des HLM n'a pas grand intérêt.
00:20:13 En construire 3 000,
00:20:15 ça devient un univers que l'on manipule et que l'on forme.
00:20:19 De ce fait, ça a une toute autre dimension.
00:20:21 Ça devient une façon de manipuler un devenir des gens.
00:20:28 ...
00:20:50 -L'architecture a une puissance occulte.
00:20:52 Les individus finissent par ressembler à l'architecture.
00:20:55 Émile Ayo.
00:20:57 -Il est évident que les adultes tels que nous les avons formés,
00:21:02 telles que la presse, la politique, les partis les ont formés,
00:21:06 sont des individus que simplement le confort
00:21:10 et l'accumulation des biens de ce monde orientent.
00:21:13 Peut-être, leurs enfants pourront-ils être
00:21:16 des individus plus nuancés, plus individualisés ?
00:21:21 ...
00:21:34 -Dans le dernier numéro du "Machin",
00:21:36 on dit que la ville, dans le printemps, c'est un vieillard.
00:21:39 C'est un vieillard culturel, etc.,
00:21:43 qui ne sait plus adonner impérieusement.
00:21:45 On me dit même, "Pourquoi, Émile Ayo ?
00:21:47 "Tu es donc un dieu ?"
00:21:49 Ça a été imprimé.
00:21:50 "Tu es donc un dieu que d'avoir fait une ville."
00:21:53 C'est une extrême modestie qui a fait que j'ai essayé
00:21:58 d'aimer assez les gens pour faire quelque chose
00:22:00 qui peut être...
00:22:02 Pour leur donner des choses comme à Sienne.
00:22:05 ...
00:22:11 -Je crois qu'on peut parfaitement leur apporter
00:22:14 un certain luxe,
00:22:16 à quoi, je crois, ils sont plus sensibles
00:22:20 qu'à des accumulations de confort conventionnels.
00:22:23 Une certaine démesure dans des carrelages de marbre
00:22:27 peuvent, en définitive, leur être plus précieuses
00:22:31 que simplement des vies d'ordure plus ou moins perfectionnées,
00:22:35 que, par ailleurs, ils ont,
00:22:36 mais qui ne sont pas suffisantes
00:22:38 pour occuper la vie de quelqu'un qui crée une ville.
00:22:41 ...
00:22:48 -Hop !
00:22:49 Hop !
00:22:51 ...
00:22:53 Hop !
00:22:54 ...
00:22:56 -Hop !
00:22:57 ...
00:22:58 ...
00:23:01 ...
00:23:03 ...
00:23:07 ...
00:23:12 ...
00:23:19 -Courez, chers enfants de Grigny
00:23:24 ...
00:23:27 Après la pluie vient le beau temps
00:23:31 ...
00:23:34 La vie est une longue patience
00:23:38 ...
00:23:40 Chargée à bloc aux batteries
00:23:44 ...
00:23:47 L'aventure est au bout de la rue
00:23:50 Patience et longueur de temps
00:23:53 Ça aide sûrement au cas de pluie
00:23:57 La pluie, la pluie
00:24:00 La pluie
00:24:03 La pluie
00:24:06 La pluie
00:24:09 ...
00:24:12 ...
00:24:14 ...
00:24:16 ...
00:24:18 ...
00:24:21 ...
00:24:23 ...
00:24:25 ...
00:24:27 ...
00:24:29 ...
00:24:31 ...
00:24:33 ...
00:24:36 ...
00:24:38 ...
00:24:40 ...
00:24:42 -Ca y est, on s'en va ? -On s'en va, Mme Drapier.
00:24:45 -Ca a été un chouette. C'est bientôt mon tour.
00:24:48 -Vous la regrettez, votre grande borne ?
00:24:51 -Non, je ne la regrette pas du tout. -Pourquoi ?
00:24:54 -Parce que je ne me plais pas. -C'est beau.
00:24:57 C'est pas beau ? Toutes ces couleurs.
00:25:00 Vous allez où ? -A Turin.
00:25:02 En pavillon. Au moins, mes enfants seront mieux.
00:25:06 -Ici, ils sont très bien. Vous avez de belles écoles.
00:25:09 -J'ai jamais vu mes enfants à Suresnes qui avaient attrapé des poules.
00:25:13 C'est mieux que une jambe cassée.
00:25:16 -Vous travaillez ? -Non, j'ai des enfants.
00:25:19 Je les garde. -Il n'y a pas de crèche ?
00:25:21 -Non, il n'y a pas de crèche. Il y a une garderie.
00:25:24 J'ai des après-midi dans la semaine.
00:25:27 -Comment vous passez votre temps ?
00:25:29 -On passe son temps en fermet. La vie ici n'est pas la meilleure.
00:25:33 Les appartements sont très bien remarqués.
00:25:36 Mais le reste, c'est mortel. On s'ennuie.
00:25:39 -M. Millot, l'architecte, nous a dit que c'était la cité du bonheur.
00:25:43 -Quelle horreur ! Croyez-moi, si j'avais devant moi,
00:25:46 je dirais ce que je pense.
00:25:48 -C'est juste d'autant plus que moi.
00:25:51 En plus, les jeunes n'ont rien du tout.
00:25:53 Ils passent leur dimanche après-midi à dormir.
00:25:56 Ils n'ont pas où aller. Paris, c'est trop loin.
00:25:59 Dans le coin, il n'y a rien.
00:26:01 -La Grande-Bande, c'est un pays de voyous.
00:26:04 Les jeunes sont obligés de devenir voyous.
00:26:07 Ils se mènent partout dans les halls, ils déchirent tout,
00:26:10 ils cassent tout.
00:26:11 -Tous les halls intérieurs sont en pâte de verre
00:26:14 parce que ceux qui les habitent sont si violents, si grossiers,
00:26:18 si brutaux, que si on peignait,
00:26:20 ce serait rempli de cris de merde et de propos.
00:26:23 -Tu es devenu voyous ?
00:26:25 -Non, j'essaie de ne pas le venir.
00:26:27 -Difficile ?
00:26:28 -Non, ça va, mais à part qu'on travaille toute une semaine
00:26:32 et puis on vient ici, il n'y a pas de distraction.
00:26:36 -Il n'y a rien.
00:26:37 Et pour les questions de famille, rien non plus.
00:26:40 Les maris partent le matin, il fait nuit,
00:26:42 ils rentrent le soir, ils sont énervés.
00:26:45 Une heure, c'est de manger et d'aller se coucher.
00:26:48 Le lendemain, ça recommence.
00:26:50 -Mesdames, messieurs, à quoi ça ressemblerait
00:26:53 pour vous une cité bien construite ?
00:26:55 -Ca ressemblerait exactement...
00:26:57 Tous les grands ensembles se ressemblent.
00:27:00 -Seule solution, le pavillon ?
00:27:02 -Le pavillon ? Le petit pavillon individuel
00:27:05 avec seulement un, deux étages.
00:27:06 -La solution, c'est 50 millions de Français dans les pavillons ?
00:27:10 -Plus de 50 millions de Français dans les pavillons.
00:27:13 C'est irréalisable.
00:27:14 -La France entière couverte de pavillons ?
00:27:17 -A tout point de vue.
00:27:18 Les chiens chient.
00:27:20 ...
00:27:23 -C'est une vision dont il faut se méfier.
00:27:26 C'est un rêve, bien entendu, de petit Français moyen.
00:27:30 Encore faudrait-il que le Français
00:27:33 ne soit pas forcément ni petit ni moyen.
00:27:35 Il est évident que le petit pavillon
00:27:37 chez des gens peu pourvus finira forcément
00:27:40 par être un monde sélignien de petites indigences juxtaposées.
00:27:45 -Sœur Odile Dubon-Secours, infirmière,
00:27:53 vit dans un appartement avec trois autres sœurs,
00:27:56 travailleuses familiales.
00:27:58 -Tous ces gens sont des travailleurs ?
00:28:03 -Mais tous réunis avec les mêmes difficultés,
00:28:06 parce qu'il y a un éloignement pour le travail considérable.
00:28:10 Donc des difficultés de transport.
00:28:12 Il y a également une insécurité de l'emploi,
00:28:15 parce qu'il arrive un moment où le mari travaille si loin
00:28:18 qu'il ne peut pas continuer.
00:28:20 Il n'y a pas d'emploi pour les femmes.
00:28:23 Certaines femmes souhaiteraient, pour améliorer le budget,
00:28:26 trouver tout au moins un travail à mi-temps,
00:28:28 mais il n'en est pas question.
00:28:30 Il n'y a pas de zone industrielle proche.
00:28:32 C'est accessible pour les femmes.
00:28:34 Il est difficile, à un foyer,
00:28:37 qui...
00:28:38 Le salaire unique est de 1 500,
00:28:43 lorsqu'on enlève le loyer,
00:28:45 de 65 000, en fait,
00:28:47 c'est un franc pour un F5,
00:28:50 avec cinq ou six enfants,
00:28:52 de pouvoir s'en tirer,
00:28:54 même en ayant une vie très modeste.
00:28:56 Mais dès que le chômage s'installe,
00:28:59 ou la maladie,
00:29:01 aussitôt, les gens sont enfoncés.
00:29:03 Dans la société, actuellement,
00:29:06 on a tendance à penser
00:29:08 qu'il n'y a plus de pauvres.
00:29:10 -La Grande Borne,
00:29:13 rapport pour l'office des HLM,
00:29:15 promoteur de la cité.
00:29:17 Ressources moyennes des familles.
00:29:21 Célibataire, 1 200 francs.
00:29:24 Deux personnes, 1 400 francs.
00:29:27 Trois personnes, 1 550 francs.
00:29:31 Quatre personnes, 1 800 francs.
00:29:34 Cinq personnes, 2 000 francs.
00:29:37 Six personnes, 2 200 francs.
00:29:40 -On peut très bien
00:29:43 côtoyer tous les jours
00:29:46 toute une population et trouver que tout va très bien,
00:29:49 mais il suffit d'écouter et de regarder autour de soi.
00:29:52 ...
00:30:00 -Je pense qu'à partir du moment
00:30:03 où tous ceux qui prennent conscience
00:30:05 des difficultés des uns et des autres
00:30:08 et du manque de justice, parfois, qui existe,
00:30:12 c'est à partir de ce moment
00:30:15 qu'on aidera les gens à grandir,
00:30:17 à se tirer de leur misère.
00:30:18 ...
00:30:24 Quand on est seul pour lutter comme ça, c'est dur.
00:30:28 Avoir de l'argent pour vivre...
00:30:32 Et puis avoir la détente morale, surtout.
00:30:39 Vous vous rendez compte ?
00:30:41 Tous ces soucis que j'ai, c'est effrayant.
00:30:46 Les soucis des enfants, du travail, du moyen d'argent,
00:30:50 de payer le loyer, avec quoi ?
00:30:52 Oui, c'est pas juste.
00:30:54 Il y en a qui ont tout, oui.
00:30:56 Sans se donner du mal.
00:31:00 Je me donne du mal et j'arrive pas. Pourquoi ?
00:31:03 -Mme Grégoire, vous recevez une aide de la mairie ?
00:31:10 -Je n'en ai reçu actuellement pas.
00:31:13 Depuis le mois de décembre, je n'ai pas d'aide.
00:31:17 J'avais un secours de la préfecture de 10 000 francs par mois par enfant.
00:31:23 Le renouvellement a été fait et puis il n'y a pas de réponse.
00:31:28 Alors, la mairie me donne...
00:31:32 Ça fait trois fois que j'ai honte d'aller en chercher
00:31:35 des bons pains, 21 francs de pain,
00:31:38 21 francs de lait également,
00:31:41 31 francs 50 de viande
00:31:44 et 31 francs 50 également d'épicerie.
00:31:49 J'étais en chercher trois fois parce que j'ai honte
00:31:52 de me présenter chez les commerçants avec des bons.
00:31:55 Et puis cette semaine, j'irai peut-être encore en demander.
00:31:59 Du fait que j'ai ma fille qui est malade et qu'il faut absolument la soigner.
00:32:04 -Combien d'enfants avez-vous ? -Sept enfants.
00:32:08 -Combien gagnez-vous ?
00:32:09 -51 200 francs par mois.
00:32:12 -Vous en faites quoi ?
00:32:14 -Caissière à Grigny 2.
00:32:16 -Alors, comment faites-vous pour vous en tirer ?
00:32:19 -Je compte en l'heure de journée.
00:32:21 -M. Mme Lestry, quel âge vous avez ?
00:32:25 -65 ans, monsieur. Hier, j'ai fait 65 ans.
00:32:29 Et nous sommes... Je suis retraité en récipé.
00:32:34 Malheureusement, la retraite, c'est pas tout à fait ça
00:32:38 parce qu'on nous donne pas encore... On n'a pas la complémentaire.
00:32:42 C'est tout en marche, tout ça. Et on attend.
00:32:44 Les loyers sont un peu chers, c'est dommage.
00:32:47 -Combien payez-vous ici ?
00:32:49 -Eh bien, je paye 36 000 de poussière.
00:32:53 36 300 de poussière.
00:32:55 -Et quand il y a l'eau, c'est un peu plus ?
00:32:58 -Tous les 3 ou 4 mois, on nous fait payer l'eau.
00:33:00 Ce mois-ci, nous avons payé 40 700.
00:33:05 -Et quelles sont vos ressources ?
00:33:07 -Moi, je touche 176 000 francs par trimestre.
00:33:10 -De pension. -De pension.
00:33:12 Et ma femme, elle touchait 46 000 par trimestre.
00:33:17 Maintenant, ce trimestre, elle va avoir l'augmentation...
00:33:21 -52 000. -Ça va faire 52 500.
00:33:24 -C'est-à-dire que ça vous fait un peu plus de 60 000 anciens francs
00:33:28 par mois à deux. -Oui.
00:33:30 -Quand vous enlevez le loyer, il vous reste donc 1 000 francs
00:33:33 par jour pour deux. 1 000 anciens francs.
00:33:35 -Voilà. -Comment faites-vous pour vivre ?
00:33:38 -Comment faire ? -On mange pas de viande tous les jours.
00:33:41 -Ça vous paraît juste que tout ça tourne comme ça,
00:33:45 après une vie de travail ?
00:33:47 -Moi, je crois. Juste ou injuste, comment faire ?
00:33:50 -C'est pas juste, mais il faut prendre la vie comme elle vient.
00:33:53 -Il faut prendre la vie du bon côté, autrement,
00:33:56 il y a qu'à s'enterrer, aller au cimetière,
00:33:58 faire un trou et se mettre dedans.
00:34:00 C'est tout ce qu'on peut...
00:34:02 Pour le moment, on est heureux comme ça. Qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse ?
00:34:07 ...
00:34:32 -M. De Bersemane, qu'est-ce que vous faites comme métier ?
00:34:36 -Je suis tourneur P3 à la SNECMA.
00:34:38 -C'est un bon métier ? -Oui, c'est un bon métier.
00:34:41 Le métier me plaît, vous voyez.
00:34:43 Je trouve que c'est un bon métier. Vraiment, ça me plaît.
00:34:46 -Vous avez un bon salaire ? -Oui, mais un salaire moyen.
00:34:50 Enfin, j'arrive à 1 900 francs par mois.
00:34:53 -Vous devriez vous en sortir. Est-ce que vous en sortez ?
00:34:56 -Je m'en sors maintenant. Ça commence à aller un peu mieux.
00:35:00 J'avais beaucoup d'ennuis de paiement de retard de loyer,
00:35:04 avant que je prenne mon HLM.
00:35:06 Mais maintenant, je vais certainement pouvoir m'en sortir mieux.
00:35:09 Avec la petite famille, c'est dur aussi.
00:35:11 Si on veut les élever, qu'ils mangent bien,
00:35:14 on peut pas s'acheter du moderne.
00:35:16 -Vous êtes un des rares hommes que nous voyons à la Grande-Borne.
00:35:19 On ne voit que des femmes.
00:35:20 -Je suis ici en ce moment parce que mon épouse est en cours de sommeil
00:35:25 parce qu'elle est fatiguée avec les enfants.
00:35:27 Elle faisait un peu de somnambulisme.
00:35:29 J'ai préféré qu'elle se repose.
00:35:31 Vous voyez ? Alors, je m'occupe de mes enfants.
00:35:33 Musique douce
00:35:36 -Tout est mort
00:35:37 ...
00:35:40 Il a vite tombé en voix
00:35:44 ...
00:35:46 Il a pu perdre ma tête
00:35:50 ...
00:35:52 Il a vite tombé en voix
00:35:56 ...
00:35:57 Il ne connaît pas du libraire
00:36:01 ...
00:36:03 Il a 13 ans aujourd'hui
00:36:06 -Jacques, est-ce que tu as du travail en ce moment ?
00:36:09 -Non, je ne travaille pas.
00:36:12 -Tu as déjà travaillé ? -Oui.
00:36:14 -Comme quoi ? -Maintenant, je travaille plus.
00:36:17 J'avais juste un contrat de deux mois à faire.
00:36:20 Je pars tout mon rein et je dis qu'on va nous écrire,
00:36:23 mais ils nous écrivent pas.
00:36:24 ...
00:36:27 -Pourquoi ils ne te donnent pas du travail ?
00:36:30 -Parce qu'il faut avoir 18 ans,
00:36:31 ou alors ils nous disent qu'ils vont nous écrire,
00:36:34 mais ils nous écrivent pas.
00:36:36 J'ai été à Grigny 2, j'ai rempli une feuille.
00:36:40 Ils disent que c'était complet, et après, ils en demandent.
00:36:43 On va voir, ils disent que c'est encore complet.
00:36:45 Mais je me suis laissé lire, monsieur, moi,
00:36:47 à Corbeil la semaine dernière.
00:36:49 Je suis le père de Jacques.
00:36:50 J'aurai 40 ans au mois de juin, que j'étais trop vieux.
00:36:53 Applaudissements
00:36:56 Alors, monsieur, il faudrait savoir,
00:36:58 si à 40 ans, nous sommes trop vieux,
00:37:00 et à à peine 17 ans, au mois de mai, mon fils est trop jeune.
00:37:05 -Tu as pris un métier, monsieur ?
00:37:07 -Oui, il y a un an, apprenti cuisinier.
00:37:09 -Et alors, tu ne veux pas être cuisinier ?
00:37:12 -Non.
00:37:13 -Tu n'as pas peur d'être chômeur pendant des années ?
00:37:19 -J'espère pas, oui.
00:37:26 -Eh bien, Sophie, je sais que vous allez me sauter au cou.
00:37:29 -Vous croyez ? -Oui, j'ai l'impression.
00:37:31 -Ah !
00:37:32 -Ah !
00:37:33 -Ah !
00:37:34 -Toute sa peau, là !
00:37:36 -Ah !
00:37:37 -Bonne soirée !
00:37:38 ...
00:37:53 ...
00:38:17 ...
00:38:30 -Dormez, bonnes gens de Grigny
00:38:34 ...
00:38:37 Demain sera un autre jour
00:38:41 ...
00:38:45 Bonheur, argent, amour bien lourd
00:38:48 Vous en aurez pour toute la vie
00:38:55 ...
00:38:58 Argent, amour
00:38:59 Plus le bonheur
00:39:02 Ça aide drôlement
00:39:06 En cas de malheur
00:39:09 ...
00:39:15 Dormez, braves gens de Grigny
00:39:19 ...
00:39:22 Hier était un autre jour
00:39:27 ...
00:39:30 Le soleil vous fera la cour
00:39:34 ...
00:39:36 Travail, santé, toute la vie
00:39:40 ...
00:39:43 Métro, boulot
00:39:44 ...
00:39:47 Brèves à gogo
00:39:48 ...
00:39:50 Ça aide sûrement
00:39:52 ...
00:39:54 En cas d'insomnie
00:39:55 ...
00:39:58 ...
00:40:06 ...
00:40:14 ...
00:40:18 ...
00:40:27 ...
00:40:30 -Vite !
00:40:31 Les trois dans le coton !
00:40:33 ...
00:40:55 ...
00:41:23 ...
00:41:31 ...
00:41:37 ...
00:41:42 ...
00:41:49 ...
00:42:04 ...
00:42:29 -Les gens se confient à vous ?
00:42:31 -Oui, beaucoup.
00:42:32 Jour et nuit, ils viennent se confier à la maison.
00:42:34 Quand il y a des problèmes dans leur foyer,
00:42:37 le mari qui rentre et qui a malheureusement bu,
00:42:40 on vient, M. Bernard, venez vite, il se pense quelque chose.
00:42:43 Ça évite déjà d'appeler le médecin, de faire une économie d'une visite.
00:42:47 C'est tout ça.
00:42:48 Et c'est venu dès le départ.
00:42:51 Depuis trois ans et demi que je suis à la Grande-Borne,
00:42:55 dès le départ, les gens sont venus parce qu'au début,
00:42:59 les gens sont arrivés ici, il n'y avait rien du tout,
00:43:01 pas de commerçants et surtout pas de téléphone.
00:43:03 Alors les gens ont pris l'habitude de venir à la maison,
00:43:06 comme j'habite dans la Grande-Borne même.
00:43:08 Les gens ont pris l'habitude de venir, c'est plus facile pour eux.
00:43:12 Parce que le temps de courir à une cabine,
00:43:14 en principe, elles sont toujours déréglées.
00:43:17 Alors ils viennent à la maison, ils sonnent,
00:43:18 et puis je me lève, puis ils m'expliquent.
00:43:20 Je leur demande ce qu'ils se pensent, tout ça.
00:43:23 -Qu'est-ce que vous avez comme cas plus spécialement ?
00:43:30 -Je crois que les plus grands cas, malheureusement,
00:43:32 c'est les tentatives de suicide.
00:43:35 Je crois que les tentatives de suicide passent avant l'enfance.
00:43:40 Parce que la femme qui se retrouve seule,
00:43:45 du matin au soir, dans cette cité où la vie n'existe pas,
00:43:49 je crois que c'est quand même assez dur.
00:43:52 -On dit qu'il y en a quatre par semaine, c'est vrai ?
00:43:54 En moyenne ? -Oui, c'est vrai.
00:43:57 Et en plus, toutes les tentatives qu'on l'ignore.
00:44:00 Parce qu'il y a des femmes, elles osent pas appeler le médecin,
00:44:03 aussitôt, elles restent chez elles,
00:44:06 puis elles attendent que ça passe.
00:44:09 -La femme ne peut pas travailler, pourtant ?
00:44:11 -Si, elle voudrait bien travailler, la femme.
00:44:13 Mais vous regardez dans la cité,
00:44:16 vous voyez ici 8 000 enfants, prudence.
00:44:19 Si toutes les femmes travaillaient, où on mettrait tous ces enfants ?
00:44:22 -Il n'y a pas de crèche. -Il n'y a pas de crèche.
00:44:23 Et puis les gens n'ont pas les moyens de faire garder leurs enfants.
00:44:26 Si une femme qui va travailler,
00:44:29 comme ce sont des familles nombreuses,
00:44:31 cette femme-là va avoir, mettons, trois ou quatre enfants à faire garder,
00:44:35 trois ou quatre enfants, ça représente, je sais pas,
00:44:37 peut-être 50 francs par jour à donner.
00:44:39 En travaillant, on ne gagne pas 50 francs par jour
00:44:42 en déduisant tout, l'habillement, les frais de transport, la nourriture.
00:44:46 Donc elles sont là, cloîtrées, isolées,
00:44:48 en attendant, en attendant, on attend quoi ?
00:44:51 Je sais pas.
00:44:53 Je sais pas.
00:44:54 Les gens sont ici, mais je crois qu'ils ne cherchent plus à voir autre chose.
00:44:58 S'ils cherchent à fuir la cité, ça, ils cherchent.
00:45:01 -C'est-à-dire ? Qu'est-ce que... -Pour moi, cette cité,
00:45:05 si l'on peut dire, c'est les bidonvilles de l'an 2000.
00:45:09 Tout le monde a inventé les mérites de cette cité,
00:45:12 mais vous savez, pour rentrer dans la cité, je crois que c'est ça.
00:45:17 C'est un parquage, les gens sont parqués,
00:45:19 vous rentrez pas comme vous voulez, vous sortez pas comme vous voulez.
00:45:21 Celui qui n'a pas les clés pour ouvrir la chaîne
00:45:24 ne peut pas rentrer, ne peut pas sortir comme il veut.
00:45:26 Ça, donc, moi, j'estime qu'on a parqué un trou pour nous.
00:45:32 Car les gens sont là, ils sont forcés de rester là,
00:45:34 c'est ce qu'on disait tout à l'heure.
00:45:35 Si vous voulez partir de la cité, il faut faire la preuve à l'office
00:45:40 que vous êtes en règle avec eux, et pour cela, c'est pas possible.
00:45:43 Car la plupart des gens ont, je sais pas, 5, 6 loyers de retard,
00:45:46 donc plus ça va, et tous les mois, ils s'enterrent, ils s'enterrent,
00:45:50 et on arrive à l'issue finale, la femme fait une dépression.
00:45:57 Voilà, c'est la logique même.
00:45:59 J'ai eu des gros problèmes, enfin, l'année dernière, de santé.
00:46:05 J'ai fait de la dépression nerveuse,
00:46:07 et en famille, mal tournée, d'ailleurs.
00:46:09 J'ai fait 6 mois d'hôpital, neuropsychiatrie.
00:46:14 Ah bon, et comment vous en êtes-y arrivée là ?
00:46:18 Comment j'en suis arrivée là ?
00:46:20 Vous savez, c'est difficile à expliquer.
00:46:26 Vous savez, tenir le coup pendant 3 ans, 4 ans même,
00:46:30 avec 7 enfants, dont 4 garçons, ça crée des problèmes.
00:46:34 Des problèmes financiers, bien sûr, des problèmes d'études,
00:46:41 enfin, beaucoup de choses se sont greffées.
00:46:45 Et il arrive un moment, je l'ai lâchée.
00:46:49 - Vous avez craqué. - J'ai craqué.
00:46:51 La première fois, j'étais au lac,
00:46:55 et mon intention était de m'engouffrer avec ma voiture dans le lac.
00:47:00 Puis arrivé là-bas, je me suis dégonflée.
00:47:06 Alors j'ai été voir mon docteur,
00:47:09 mon docteur m'a baratinée pendant une heure,
00:47:14 et il m'a emmenée à l'hôpital.
00:47:15 Et...
00:47:17 Je suis restée 3 mois avec du Valium tous les jours dans les veines.
00:47:23 Je suis partie en vacances 2 mois, et ça a recommencé.
00:47:29 J'ai tenté encore de nouveau de me suicider.
00:47:31 C'est-à-dire que là, s'il s'est passé à l'hôpital,
00:47:35 j'ai tenté de m'ouvrir les veines avec...
00:47:40 Avec la glace...
00:47:42 Les glaces qu'il y a dans les...
00:47:44 Vous savez, dans les salles de bain.
00:47:48 Un infirmier est arrivé à temps. Il m'a filé 2 paires de vaches.
00:47:51 Il m'a couchée et m'a tachée 2 jours.
00:47:53 Et je suis restée 2 mois.
00:47:56 C'était dû à quoi ? C'était le manque d'argent ?
00:47:59 Oui.
00:48:01 Manque d'argent,
00:48:03 incompréhension un peu de la famille,
00:48:06 qui pensait que je faisais du cinéma.
00:48:09 Vous recommencerez ?
00:48:11 Je sais pas.
00:48:14 Peut-être.
00:48:15 Vous savez, on ne peut pas dire.
00:48:23 J'ai l'impression de redescendre encore la pente.
00:48:27 Je suis allée à l'hôpital.
00:48:29 Je suis allée à l'hôpital.
00:48:31 Je suis allée à l'hôpital.
00:48:32 Je suis allée à l'hôpital.
00:48:34 Je suis allée à l'hôpital.
00:48:36 Je suis allée à l'hôpital.
00:48:37 Je suis allée à l'hôpital.
00:48:39 ...
00:49:06 ...
00:49:31 ...
00:50:01 ...
00:50:10 -Dormez, braves gens de Vigny.
00:50:14 ...
00:50:17 L'huissier se pointe au petit jour.
00:50:21 ...
00:50:24 Jette pas tes meubles dans la cour.
00:50:28 ...
00:50:31 Pour bien dormir, il faut un lit.
00:50:34 ...
00:50:37 Pas besoin de lit pour faire l'amour.
00:50:41 ...
00:50:44 C'est drôlement chouette en cas de saisie.
00:50:48 ...
00:50:53 -Les gens de la Grande-Borne sont arrivés,
00:50:56 venant soit des bidonvilles ou d'ailleurs,
00:50:59 avec pratiquement pas de meubles.
00:51:01 Ils se sont trouvés en présence d'un logement tout neuf, vaste,
00:51:05 pourvu de tout le confort, et ils n'avaient rien.
00:51:09 Il faut comprendre qu'ils ont été tentés.
00:51:12 Ils ont été tentés, pourquoi ?
00:51:14 Parce qu'une multitude de gens sont venus les harceler,
00:51:18 leur offrir n'importe quoi, à n'importe quel prix,
00:51:23 dans n'importe quelles conditions.
00:51:25 Vous avez des gens qui ont acheté des objets de première nécessité.
00:51:29 C'est d'accord.
00:51:30 Vous en avez d'autres qui ont acheté des objets
00:51:33 de moindre première nécessité,
00:51:35 notamment pour des gens à peine lettrés,
00:51:38 des collections de 30 ou 35 volumes,
00:51:41 voire même plus,
00:51:43 à des prix qui dépassaient, là aussi, les 1 000 ou 2 000 francs.
00:51:46 Ces volumes-là, apparemment,
00:51:48 ils les ont mis dans un coin, ils ne sont jamais servis.
00:51:51 -Si les gens avaient été éduqués dès le départ,
00:51:54 je crois que le problème ne serait pas arrivé.
00:51:57 -Dans la Grande-Borne, il y a peut-être 20 % de foyers
00:52:01 qui sont en tutelle, comme on dit,
00:52:03 et le tuteur gère leur argent.
00:52:06 Tous les mois, il vient les voir, il leur donne leur compte,
00:52:09 comme un banquier vient les voir.
00:52:11 Ces gens-là, tous les mois, savent à peu près où ils en sont.
00:52:14 Le tuteur paie le loyer, paie l'électricité,
00:52:17 et avec l'argent qui reste,
00:52:19 en remettant un peu de sa poche,
00:52:20 il ne meurt pas de sa poche, puisqu'après, c'est récupéré,
00:52:24 arrive à payer à certains foyers une machine à laver,
00:52:27 et il leur est déduit sur les allocations familiales
00:52:30 ou la femme au foyer.
00:52:31 Ces gens-là s'en sortent.
00:52:32 La plupart des gens qui sont en tutelle vous diront qu'ils sont heureux.
00:52:36 -Anne Grégoire, vous êtes en tutelle,
00:52:39 vous avez demandé une aide.
00:52:40 -Oui, c'est-à-dire que j'avais écrit au juge,
00:52:44 et c'est le juge de Longymont,
00:52:47 pour intervenir, pour avoir saisi arrêt
00:52:49 sur les allocations familiales de mon concubin.
00:52:52 -Vous avez beaucoup de dettes ?
00:52:54 -Oh oui, près d'un million.
00:52:57 -Auprès de la fille de sa chérie ? -Oui.
00:52:59 -Vous êtes menacée de saisie ?
00:53:02 -Si.
00:53:03 -Lucie est venue ?
00:53:05 -Oui.
00:53:06 Lucie est venue avec le commissaire et un cérébrier,
00:53:10 avec une grande barre à mine, je dirais, comme ça.
00:53:15 Ça m'a fait rire de voir ça. J'avais envie de rire.
00:53:17 J'aurais encore quand j'y pense.
00:53:19 -Alors donc, nous arrivons... -Avec le commissaire ?
00:53:22 -Avec le commissaire de police,
00:53:24 et accompagné d'un cérébrier,
00:53:26 parce que le code de procédure civile a dit
00:53:30 que lorsque le débiteur était absent,
00:53:33 il serait procédé à l'ouverture de la porte,
00:53:35 et ce, en présence du commissaire de police,
00:53:37 et c'est là que la présence du commissaire de police
00:53:40 est indispensable.
00:53:41 Je dis aux gens, "C'est pas vos meubles que je veux,
00:53:43 "c'est votre argent."
00:53:45 Alors, il arrive très souvent
00:53:47 que si nous allons faire à des gens qui voient la situation,
00:53:51 ils nous paient par un compte,
00:53:52 et il arrive fréquemment que le recouvrement s'étend
00:53:55 sur cinq, six, sept mois, voire même un an.
00:53:59 Et si les gens versent régulièrement des accomptes,
00:54:02 eh bien, jamais ils ne sont vendus,
00:54:04 ce qui veut dire qu'on arrive à la vente,
00:54:07 que dans des cas extrêmes,
00:54:08 c'est-à-dire les gens qui ne versent plus jamais rien,
00:54:11 vous avez beau les saisir une fois, deux fois
00:54:13 pour des féanciers différents, eh bien, ils ne bougent plus.
00:54:16 Et alors, à ce moment-là, il ne reste pas d'autre solution,
00:54:18 c'est la vente.
00:54:19 Mais c'est quand même la solution extrême.
00:54:23 (brouhaha)
00:54:25 (brouhaha)
00:54:27 (brouhaha)
00:54:29 (brouhaha)
00:54:31 (brouhaha)
00:54:33 (brouhaha)
00:54:36 (brouhaha)
00:54:38 (brouhaha)
00:54:40 (brouhaha)
00:54:42 (brouhaha)
00:54:43 -Jacques et Françoise, vous êtes sociologues,
00:54:46 vous habitez à la Grande-Borne.
00:54:48 D'où viennent-ils, tous ces gens de la Grande-Borne ?
00:54:50 -Ces gens de la Grande-Borne viennent de quartiers,
00:54:53 disons, traditionnels,
00:54:55 l'ancienne banlieue rouge, Montrouge, Clichy,
00:54:57 et des quartiers du centre de Paris,
00:54:59 des quartiers ouvriers traditionnels aussi du centre de Paris,
00:55:02 du 13e, ils ont été déportés du 13e,
00:55:04 ce qui fait que ça a créé, on peut dire,
00:55:06 une situation sociale assez bâtarde ici.
00:55:09 C'est-à-dire que dans le 13e, ils avaient tout le réseau relationnel,
00:55:12 enfin, pour parler plus simplement, ils avaient des copains
00:55:17 et un tas de relations qu'ils n'ont plus ici.
00:55:20 Bon, on leur a donné en contrepartie
00:55:23 des beaux appartements, mais ces appartements,
00:55:26 concrètement, ça veut dire pour eux, endettement,
00:55:28 ça veut dire pour eux un tas d'emmerdements.
00:55:29 C'est-à-dire que le passage des quartiers traditionnels
00:55:33 à ce grand ensemble, qui est en fait la condition de vie
00:55:36 du 21e siècle,
00:55:38 ne s'est pas accompagné de moyens financiers et culturels
00:55:41 qui leur auraient permis de s'adapter.
00:55:43 -Pourquoi les salaires sont plus bas ici
00:55:46 qu'ils l'étaient dans les quartiers ouvriers traditionnels ?
00:55:47 -Parce que, premièrement, les salaires sont plus bas ici.
00:55:50 Il y a une zone presque de sous-emploi dans le coin.
00:55:52 Il n'y a pas assez d'industrie.
00:55:54 On a plongé ces gens-là qui viennent de zones, au contraire,
00:55:57 où la demande est supérieure à l'offre,
00:55:59 alors qu'ici, l'offre est supérieure à la demande.
00:56:02 -Même pour les hommes ? -Et même pour les hommes.
00:56:04 Quant à la condition des femmes, n'en parlons pas.
00:56:06 Alors, il suffit à un moment donné
00:56:08 qu'un grain de sable se mette là-dedans.
00:56:10 La maladie du mari, par exemple.
00:56:12 Tout de suite, ça va être une situation de chômage partiel.
00:56:14 Tout de suite, ça va être les dettes,
00:56:15 ça va être l'accélérateur qui va entraîner toutes les catastrophes.
00:56:19 -Quand on perd, on va être en prison.
00:56:22 -Le responsable, c'est qui ou c'est quoi, alors ?
00:56:24 -Le responsable... Enfin, il faut bien voir.
00:56:27 Le responsable, ça ne peut être que le système industriel.
00:56:30 D'ici 1980, il faudra encore 5 300 000 ouvriers qualifiés,
00:56:34 manœuvres, OS.
00:56:35 Et ces ouvriers qualifiés, ces manœuvres et ces OS,
00:56:37 on va aller les chercher, traditionnellement,
00:56:39 dans les quartiers ouvriers.
00:56:40 Et la grande bande, c'est le quartier ouvrier du XXIe siècle.
00:56:44 L'appartement qu'on leur donnait
00:56:45 devait s'accompagner d'une rentrée dans la modernité
00:56:47 et dans la consommation.
00:56:49 En fait, l'appartement devient l'impossibilité, au contraire,
00:56:52 de rentrer dans la modernité.
00:56:54 C'est le contraire et c'est l'expulsion.
00:56:56 C'est l'expulsion consentie,
00:56:58 je veux dire, l'expulsion qu'on s'auto-expulse,
00:57:02 ou alors c'est l'expulsion faite par l'intermédiaire des saisies,
00:57:06 par l'intermédiaire de la tutelle.
00:57:08 C'est une expulsion à plusieurs facettes.
00:57:10 -Oui, sans doute, mais je ne crois pas
00:57:14 que forcément la condition ouvrière...
00:57:17 Ah !
00:57:18 Je crois que ce qui importe, c'est malgré tout
00:57:21 la vie intérieure de chacun.
00:57:22 Fût-il ouvrier, ramasserait-il des feuilles mortes ?
00:57:25 -Ca veut dire qu'on arrive ici prolétaire traditionnel.
00:57:29 -Et on en sort, on en sort prolétaire,
00:57:32 encore plus prolétaire.
00:57:33 On passe d'une zone où théoriquement,
00:57:34 on avait une condition ouvrière très pauvre matériellement
00:57:38 et culturellement, à une condition ouvrière.
00:57:40 On devrait sortir de la condition ouvrière
00:57:42 alors qu'on y rentre encore plus profondément,
00:57:44 alors qu'au niveau matériel, ça régresse,
00:57:46 au niveau culturel, ça régresse.
00:57:47 ...
00:58:01 -Maitre Hermouette, est-ce que la loi est inhumaine ?
00:58:03 -La loi n'est pas forcément inhumaine.
00:58:07 La loi, c'est la base de toute civilisation.
00:58:09 Elle est, disons, faite non pas pour des cas particuliers,
00:58:13 mais pour l'ensemble des citoyens.
00:58:16 Et il faut savoir l'appliquer humainement,
00:58:18 mais en restant dans les limites de la légalité.
00:58:21 C'est-à-dire qu'il y a, si vous voulez,
00:58:24 un seuil à ne pas dépasser.
00:58:26 -Mais pour des gens qui sont déjà en dehors de la société,
00:58:29 est-ce que la loi ne va pas les mettre hors la loi ?
00:58:32 -C'est eux qui s'y mettent hors la loi.
00:58:36 C'est eux qui s'y mettent eux-mêmes.
00:58:38 Ou alors, il faut qu'ils aillent vivre dans un autre pays
00:58:42 où il n'y aura pas de loi,
00:58:44 mais malheureusement, où ils iront, il y aura toujours une loi.
00:58:46 -C'est la loi de la jungle, exactement.
00:59:02 ...
00:59:20 ...
00:59:50 ...
01:00:13 -Vous venez là tous les samedis ? -Tous les samedis.
01:00:19 -C'est quoi pour toi vivre à la Grande Borne ?
01:00:22 -La zone.
01:00:24 -Pourquoi ? -C'est là qu'il y a toute l'écrapule.
01:00:26 -Pas vrai !
01:00:28 -Tous, c'est des voleurs, mais pas des voyous.
01:00:30 -De toute manière, il faut se dire un truc.
01:00:33 Si on dit qu'à la Grande Borne, il y a beaucoup de voyous,
01:00:36 si on aurait quelque chose pour s'amuser,
01:00:38 il y aurait beaucoup moins de voyous.
01:00:40 C'est ça, le problème.
01:00:42 Evidemment, quand à Grigny 2, ils ont ouvert un magasin,
01:00:44 à chaque fois qu'on rentre, on fait "un soleil sur la Grande Borne".
01:00:48 -C'est marqué sur notre visage, maintenant.
01:00:50 -Qu'est-ce que vous aimeriez ?
01:00:52 -Avoir une vraie maison de jeunes.
01:00:55 Dans un terrain où on pourrait faire ce qu'on voudrait.
01:00:59 Du bruit et tout.
01:01:00 -L'architecte a dit qu'il fallait pas faire de maison de jeunes
01:01:03 pour les jeunes.
01:01:04 -L'architecte, c'est un pauvre type.
01:01:06 Il a qu'à faire des maisons de vieux,
01:01:08 et les vieux, ils en auront la moitié.
01:01:10 C'est un pauvre type, et c'est tout. Terminé.
01:01:13 -Ils ont bien su faire une prison,
01:01:15 mais ils ont pas su faire une maison de jeunes.
01:01:17 -Il y a beaucoup de jeunes qui sont au chômage ?
01:01:20 -Oh oui !
01:01:21 -Oh, les tous !
01:01:22 -Je pense à un truc,
01:01:24 on travaille 2 mois, on arrête un mois.
01:01:26 -Je travaille.
01:01:27 -Je travaille en ce moment à Longjumeau.
01:01:29 Ca fait une trottinette, mais pour l'instant, je me débrouille.
01:01:33 Quand j'aurai plus de transport, je travaillerai plus.
01:01:36 -Qu'est-ce que t'as fait ?
01:01:37 -J'ai terminé en 3e pratique.
01:01:39 On m'a promis les 3 000 et moins,
01:01:41 et à la fin de l'année, j'étais au chômage.
01:01:43 J'étais au chômage, j'ai oublié de me débrouiller,
01:01:46 et voilà.
01:01:47 -Qu'est-ce que t'aurais voulu faire ?
01:01:49 -Patron.
01:01:50 Patron pour pouvoir voler les ouvriers.
01:01:53 -C'est pas ça, mais j'aurais voulu faire un boulot qui m'intéresse.
01:01:56 -Moi, je veux travailler.
01:01:58 -On travaille, j'en ai des esclaves.
01:02:00 -Je gagne la paie d'un ouvrier d'un an.
01:02:02 -Tu trouves que c'est une solution ?
01:02:04 -Oui.
01:02:05 -Mais tu risques ta peau pour...
01:02:07 -Et alors ? A quoi ça sert de travailler ?
01:02:10 Il y a les impôts à payer, la TVA à payer,
01:02:12 alors on a la paie, et directement, il faut la donner à l'Etat.
01:02:16 -C'est vous qui avez fait de la prison ?
01:02:18 -Quelques-uns, quand même.
01:02:19 -Pourquoi avez-vous fait de la prison ?
01:02:22 -Parce qu'ils m'ont envahi d'avant.
01:02:24 Moi, je n'y aurais jamais été.
01:02:26 -Pourquoi ?
01:02:27 -Pour un vol, un violage, le vol de voiture.
01:02:29 -Les vieux, ils ont fait leur vie,
01:02:31 mais nous, les jeunes, il faut qu'on fasse notre vie.
01:02:34 S'ils ne veulent pas que plus tard,
01:02:36 il y ait des voyous et des délinquants,
01:02:38 ils ont qu'à s'occuper un peu de nous.
01:02:41 Terminé, d'après moi.
01:02:42 -Bravo !
01:02:43 -Merci, les mecs.
01:02:45 ...
01:03:03 -A half a world away from home,
01:03:08 ...
01:03:12 I've been working out my time,
01:03:16 ...
01:03:19 Half a world away from home,
01:03:23 ...
01:03:26 They've passed a love that loves a crime,
01:03:31 ...
01:03:33 I've been away so long I'm old,
01:03:38 ...
01:03:41 I had a woman that was true,
01:03:46 ...
01:03:48 She didn't wait, that's what I'm told,
01:03:52 ...
01:03:55 And I've got five more years to do.
01:03:58 ...
01:04:07 -Quelle est l'importance des retards scolaires à la Grande-Borne ?
01:04:10 -Il faut poser la question.
01:04:12 La Grande-Borne, c'est une grande cité ouvrière.
01:04:16 Les problèmes que l'on va pouvoir cerner sur le plan scolaire
01:04:20 seront les problèmes que vous trouverez partout.
01:04:23 Oui, il y a des retards scolaires à la Grande-Borne,
01:04:26 mais ce ne sont pas dus au fait que la Grande-Borne existe.
01:04:30 -De quelle importance sont-ils ? -En gros, 60 %.
01:04:33 -Michel Quéromès, conseiller municipal.
01:04:36 François Canonne, médecin scolaire.
01:04:39 -60 %, c'est plus de la moitié.
01:04:42 Ce qui veut dire que, actuellement,
01:04:45 il est considéré comme normal d'avoir un échec scolaire,
01:04:49 donc de redoubler.
01:04:50 Et là est toute la question.
01:04:52 Est-ce que l'échec scolaire est, comme on le considère habituellement,
01:04:56 un phénomène d'origine psychologique ou médicale,
01:05:00 ou est-ce que ça n'est pas devenu un phénomène social
01:05:03 par inadéquation du système scolaire
01:05:07 à la population à laquelle il s'adresse ?
01:05:09 L'école n'est pas l'instrument de leur éducation.
01:05:14 L'école est simplement l'instrument de leur filtrage
01:05:17 ou de leur ségrégation.
01:05:19 -À la fin de la 5e, 73 % des élèves
01:05:25 sont dirigés vers les classes de type 1 et 2.
01:05:29 27 %...
01:05:30 Couleur. ...sont dirigés vers les classes de type 3.
01:05:36 Pour les élèves qui vont rester dans les classes de type 3,
01:05:39 ils vont entrer dans les CPA, les classes préparatoires
01:05:42 à l'apprentissage, où, en même temps que la classe,
01:05:45 ils prépareront un apprentissage chez des patrons
01:05:48 qui les amènera vers la vie active.
01:05:50 -30 %, qui sont, je crois, les 30 % à peu près normaux
01:05:54 des chiffres que l'on va retrouver
01:05:56 dans le cadre d'une concentration ouvrière déterminée
01:05:59 comme celle de la grande bande.
01:06:01 C'est là qu'on peut parler de ségrégation.
01:06:03 -Le type 3 n'est finalement qu'un des rouages
01:06:06 de l'appareil mis en place
01:06:09 par la société à travers l'éducation nationale
01:06:12 pour assurer des impasses.
01:06:14 Et par ce trop-plein, par cette soupave de sûreté,
01:06:20 la société, finalement, arrive à ce qu'elle veut.
01:06:23 C'est à produire un certain type d'enfant
01:06:25 pour un certain type de fonction.
01:06:28 -Lâchons le mot, je te coupe. Il faut des AS.
01:06:32 -C'est normal.
01:06:33 Parce qu'on était en pratique...
01:06:35 Moi, pour mon exemple,
01:06:38 j'ai quitté la CM2.
01:06:40 J'ai été tout de suite en transition.
01:06:42 Alors, puis, 6e transition, 5e, 4e pratique,
01:06:47 puis ainsi de suite.
01:06:48 C'est normal.
01:06:49 Si l'année prochaine, on se retrouve en vie active,
01:06:53 c'est nous qui l'avons choisi, ça.
01:06:56 -Adil, qu'est-ce que tu vas faire dans la vie, maintenant ?
01:07:01 -Je sais pas. Apprenti vendeuse.
01:07:03 -Vendeuse ? -Oui.
01:07:06 -Il faut un apprentissage pour ça ?
01:07:08 -Je sais pas. Non, je veux rentrer comme ça.
01:07:11 -Dès l'année prochaine, tu rentres comme vendeuse ?
01:07:14 -Oui, je devais aller en école privée, mais j'ai plus envie.
01:07:17 -C'est un métier qui te tente ?
01:07:19 -J'ai rien d'autre à faire.
01:07:21 -Tu rêvais d'être vendeuse ?
01:07:23 -C'est ça que je pensais.
01:07:26 -A aucun moment de ta vie, quand t'avais 10 ans ?
01:07:29 -Non, j'aimais pour garder les enfants.
01:07:31 Puis agricultrice, un truc comme ça.
01:07:33 -Et alors, maintenant, c'est impossible ?
01:07:36 -Bah oui.
01:07:38 À moins que je suive des cours, mais...
01:07:41 J'ai pas envie.
01:07:42 -Combien ça gagne, une vendeuse ?
01:07:44 -Comment je vais être là ? Je sais pas, 30 000 francs ?
01:07:47 -Tu plaisantes. -Non, mais au début !
01:07:50 J'aurais pas encore 16 ans, hein.
01:07:52 -Patrick, tu crois qu'ici, à Grigny,
01:07:54 il y a des cycles sans espoir ?
01:07:57 -Oh non, il y en a pas.
01:07:58 Ils peuvent suivre des études dans les cycles longs.
01:08:01 Mais ceux qui sortent de pratique,
01:08:03 s'ils ont pas d'argent, ils peuvent pas y arriver.
01:08:06 -Je suis pas d'accord pour ce qu'il a dit, Patrick.
01:08:09 Plus ou moins, on peut trouver de l'argent
01:08:11 pour se débrouiller dans la vie.
01:08:13 Il peut aller, par exemple, travailler au HAL
01:08:15 ou transporter les casiers, puis il aura de l'argent.
01:08:19 -Moi, je suis content. -Qu'est-ce que tu vas faire ?
01:08:21 -Ben, je crois que...
01:08:24 Mes frères vont me trouver du travail, quoi.
01:08:27 -Quel genre de travail ? -Je ne sais pas exactement.
01:08:31 -Quel genre ?
01:08:32 -Euh...
01:08:34 -L'usine ? -N'importe quoi.
01:08:36 L'usine.
01:08:38 S'il y a que ça, il faut prendre l'usine.
01:08:40 -Alors, l'usine sans CAP ? -Oui.
01:08:43 -Donc, OS. -Oui.
01:08:45 -Quel effet ça te fait, à 16 ans, de savoir que tu seras OS ?
01:08:51 -Bon, pour grand-chose, parce que mes frères sont pareils, quoi.
01:08:56 Ils ont toujours vécu comme ça.
01:08:58 Ils étaient comme OS, tout ça.
01:09:00 -Mme Lebois ?
01:09:02 -J'ai Patrick, qui se trouve actuellement
01:09:05 en classe de perfectionnement, 4e pratique.
01:09:08 -Oui.
01:09:09 -Mais le nom a changé pour pas effrayer les parents.
01:09:13 C'est maintenant aux 10 classes pré-professionnelles.
01:09:16 -Ca veut dire quoi, ça ?
01:09:17 -C'est-à-dire qu'on essaie d'apprendre un métier
01:09:21 à ces enfants-là.
01:09:22 Mais ils n'ont pratiquement pas de débouchés.
01:09:26 -Qu'est-ce qui peut devenir votre fils,
01:09:29 dans la vie, d'après vous ?
01:09:31 -Je crois qu'il a une idée pour être aide-menuisier
01:09:35 ou alors ébéniste,
01:09:37 mais il a très peu de chances d'avoir accès
01:09:40 dans un CET pour apprendre ce métier.
01:09:43 Après, s'il ne peut pas rentrer en CET,
01:09:47 à ce moment-là, je crois que la solution sera
01:09:51 de le mettre dans un magasin pour ramasser des cageots
01:09:54 ou pousser des caddies.
01:09:56 C'est la seule solution.
01:09:58 -Allez, on rentre à la gantille.
01:10:00 -Je reçois des parents très souvent.
01:10:02 La seule question qui vient, c'est "Que vais-je faire
01:10:06 "de mon gosse ? Où vais-je le mettre ?
01:10:08 "Quel métier je vais lui donner ?
01:10:10 "Sera-t-il capable de gagner sa vie ?"
01:10:12 Les questions scolaires viennent après.
01:10:15 -C'est pas par hasard qu'il y a un retard scolaire
01:10:18 à la grande borne.
01:10:19 Si il y avait besoin de 5 millions d'ingénieurs et de techniciens,
01:10:23 les équipements scolaires, les équipements de crèche,
01:10:26 ça ferait un bon formidable.
01:10:28 Il se focaliserait sur le besoin de la nation,
01:10:30 qui serait l'ingénieur et le technicien.
01:10:33 Mais là, c'est un besoin de main-d'oeuvre, d'OAS et d'OP.
01:10:36 On va faire de ces jeunes fils d'ouvriers
01:10:38 des autres ouvriers, simplement.
01:10:40 -La grande borne est une image complète de la place ouvrière.
01:10:45 Quels problèmes rencontre-t-on ici ?
01:10:47 Le sous-emploi, les bas salaires, le sous-équipement ?
01:10:52 Ce sont des phénomènes de ségrégation.
01:10:54 La ségrégation est sociale.
01:10:56 Vous la retrouvez dans l'école.
01:10:58 Allons jusqu'au bout du mécanisme.
01:11:01 La retrouvant dans l'école, vous reformez les mêmes gens.
01:11:04 On va retrouver à la sortie de l'école
01:11:06 bas salaires, sous-emploi, sous-équipement, sous-culture.
01:11:10 Donc, la boucle est bouclée.
01:11:12 -Didier, est-ce que tu as peur du chômage ?
01:11:16 -Oh non, parce qu'en ce moment... Non.
01:11:19 -Parce qu'en ce moment quoi ?
01:11:21 -Parce que je suis pas en train de travailler.
01:11:24 -Parce que je travaille pas.
01:11:25 -L'année prochaine, tu y travailleras.
01:11:28 -Peut-être que j'aurai peur. -Tu auras peur ?
01:11:30 -Oui.
01:11:31 -Il y a du chômage ou pas ? -Oui, il y a du chômage.
01:11:34 -Chez les jeunes ? -Oui, il y en a beaucoup.
01:11:37 -Est-ce que tu es armé pour trouver un métier
01:11:41 et te débrouiller dans la vie ?
01:11:43 -Non.
01:11:44 Non, je suis pas armé.
01:11:46 -Est-ce que tu trouves naturel
01:11:48 qu'après 10 ans d'école, tu ne sois pas armé ?
01:11:52 -Non, parce que j'ai pas travaillé, alors j'ai aucun bagage.
01:11:57 Musique douce
01:12:02 ...
01:12:26 -Lancer en fond de brillis.
01:12:30 ...
01:12:32 L'avenir est à vous.
01:12:35 ...
01:12:38 La chance sourit aux audacieux.
01:12:41 ...
01:12:43 La délinquance est un moindre mal.
01:12:47 ...
01:12:49 C'est la vie.
01:12:51 ...
01:12:52 C'est la vie.
01:12:54 ...
01:12:55 C'est la vie.
01:12:57 ...
01:12:58 C'est la vie.
01:12:59 ...
01:13:00 Aux malheureux,
01:13:01 ...
01:13:03 il faut de l'audace.
01:13:04 ...
01:13:06 C'est être sûrement
01:13:07 ...
01:13:09 en cas de disgrâce.
01:13:10 ...
01:13:11 -Oh !
01:13:12 ...
01:13:15 -C'est une massacre !
01:13:16 ...
01:13:17 -Oh ! -J'ai eu !
01:13:18 ...
01:13:22 -C'est la poussière de Duc !
01:13:24 ...
01:13:26 -Ecoute !
01:13:27 ...
01:13:46 -Faire un univers apte à ce que les gens soient peut-être autres
01:13:51 qu'ils auraient été dans un autre monde
01:13:53 devient une entreprise de nature merveilleuse.
01:13:58 Ce n'est pas en accumulant des rangées de faillances
01:14:02 autour d'une baignoire qu'on rendra la vie plus vivable
01:14:07 et le goût de vivre là plus grand.
01:14:09 C'est peut-être par la vue du comblant chien
01:14:13 qui décore une place qui est une chose inutile, abusive,
01:14:17 et qui est justement ce qui peut toucher le plus
01:14:21 et donner le plus de dignité aux gens,
01:14:24 sans que ce soit ce strict minimum,
01:14:28 ce pain que l'on donne aux mendiants.
01:14:31 Ils ne peuvent pas boire du vin.
01:14:33 C'est pour avoir du pain qu'on leur donne de l'argent.
01:14:36 Non, il faut pouvoir donner gratuitement aux mendiants
01:14:39 de quoi faire un abus.
01:14:41 ...
01:14:47 -Une civilisation qui serait dominée par la préoccupation
01:14:51 exclusive de la multiplication des biens matériels
01:14:55 et de la rentabilité de l'appareil de production
01:14:58 se couperait des sources du progrès
01:15:01 et ne répondrait plus aux aspirations des hommes.
01:15:05 Sixième plan, page 69.
01:15:08 ...
01:15:10 -Bonjour, messieurs.
01:15:12 ...
01:15:15 -Allez !
01:15:16 ...
01:15:25 -C'est sourié, j'ai mis ça dans la loupe.
01:15:27 -C'est vraiment plus agréable.
01:15:29 ...
01:15:34 -Mme Grégoire, qu'est-ce que c'est pour vous, la Grande Bande ?
01:15:38 -La Grande Bande, c'est une immigration.
01:15:41 Ca, je l'ai déjà dit.
01:15:44 On amène les gens ici parce que les gens...
01:15:47 Tout le monde a besoin de se loger.
01:15:49 Alors, ma foi, ça prend de l'eau à laisser.
01:15:52 On dit, bon, puisqu'ils veulent se loger,
01:15:55 qu'ils viennent habiter ici.
01:15:57 Encore maintenant, la Grande Bande.
01:15:59 Ca va, parce qu'il y a des magasins.
01:16:01 -Est-ce que vous voyez vos voisines ? Y a-t-il une vie de quartier ?
01:16:05 -C'est-à-dire que moi, j'ai pas beaucoup d'habitude.
01:16:08 ...
01:16:10 Même à Antony, les voisins sont gentils, bien sûr, mais...
01:16:14 Y a pas d'absolument vie de quartier.
01:16:17 -Vous vous sentez seule ?
01:16:20 -Oui, beaucoup.
01:16:22 -C'est grave, la solitude ?
01:16:25 -Oh là là !
01:16:26 Que c'est grave, la solitude !
01:16:28 C'est mortel, disons, pour le moral.
01:16:31 Voilà, Pierre.
01:16:32 -Mortel ?
01:16:35 -Je fais une dépression nerveuse.
01:16:37 Parfois, plusieurs fois, j'allais au médecin,
01:16:42 mais je me tirais pas de là. Je me suicide.
01:16:44 Même avec mes gosses.
01:16:46 Enfin, j'ai bien réfléchi,
01:16:48 et puis j'ai dit, tout de même,
01:16:50 la vie est peut-être autre chose que ça.
01:16:52 Faut lutter.
01:16:55 Parce que je peux lutter sans prétention aucune,
01:17:00 mais j'ai lutté, croyez-moi, parce que d'autres personnes à ma place...
01:17:03 Je sais pas ce que ça serait de tuer.
01:17:06 Maintenant, j'arrive à la fin de mes misères.
01:17:08 Je crois que ça serait idiot.
01:17:10 Non.
01:17:11 -Il vous a fallu du courage ?
01:17:13 -Beaucoup, beaucoup, oui.
01:17:15 Beaucoup.
01:17:16 Une fois, la gardienne est venue ici,
01:17:19 et les voisins se sont plaints parce qu'il y avait du bruit à la maison.
01:17:23 Je travaillais,
01:17:25 et ma mère, elle a dit, "Comment ?
01:17:27 "Ma fille..." On vient se plaindre.
01:17:30 "Ma fille, qu'elle travaille, qu'on endure,
01:17:33 "elle travaille, tous les soucis qu'elle a,
01:17:35 "et les voisins, au lieu de dire, cette femme, la pauvre,
01:17:38 "elle a du mérite et du courage, et encore, on vient se plaindre."
01:17:41 Ma mère a été écœurée, elle a pleuré.
01:17:43 Quant à moi, je suis armée maintenant pour tout affronter.
01:17:48 -Toutes les misères. -Toutes les misères, vous savez.
01:17:54 On finit par se durcir, et quand on se durcit,
01:17:56 on dit, "Bon, j'arriverai, j'arriverai, j'arriverai, j'arriverai."
01:18:00 Et puis, je suis sablée dans la tête.
01:18:02 J'en arrive après.
01:18:03 -Vous n'en voulez à personne ?
01:18:07 -Qui voulez-vous en vouloir ? Je sais pas, moi.
01:18:10 Je pourrais dire que j'ai pas eu de chance.
01:18:12 J'en veux. Qui voulez-vous en vouloir ?
01:18:17 Disons que j'ai pas été aidée.
01:18:21 Ni par le destin, ni par la société.
01:18:25 Quand une mère de famille arrive dans une situation
01:18:31 comme j'ai, je me suis trouvée, moi.
01:18:34 Mais il faut intervenir tout de suite.
01:18:36 Parce que s'il y a des mères de famille
01:18:38 qui se tuent avec leurs enfants, elles ont de quoi.
01:18:41 Il faut vraiment être dure pour pouvoir tenir comme j'ai tenu, moi.
01:18:44 Parce que c'était le désespoir.
01:18:46 On n'intervient pas au bout d'un mois, quand on a des enfants.
01:18:50 Quand des enfants ont besoin de manger,
01:18:53 on intervient tout de suite.
01:18:54 On ne dit pas, "On va faire une demande à la préfecture."
01:18:57 On ne dit pas, "Attendez, prenez patience."
01:19:00 C'est tout de suite.
01:19:01 Aussi bien, l'assistante sociale,
01:19:03 l'assistante sociale.
01:19:04 Aussi bien n'importe qui.
01:19:07 On devrait aider, vous m'entendez ?
01:19:09 Parce qu'au début, j'ai pas été aidée.
01:19:11 Au début, je partais au marché le matin.
01:19:14 Le matin, je me levais à 4h.
01:19:15 Je partais au marché.
01:19:17 Je déchargeais les camions.
01:19:19 On déchargeait trois marchés.
01:19:21 C'est à ce moment-là qu'on doit aider une mère de famille.
01:19:24 Pas la laisser...
01:19:25 J'irais crever comme on m'a laissée avec mes gosses.
01:19:28 Parce que bien des fois, j'ai eu des révoltes.
01:19:29 Des révoltes, disons, contre la société, oui.
01:19:32 Je me mets en colère quand je pense à mes débuts.
01:19:35 C'est dur. Croyez-moi que j'ai pleuré plus d'une fois.
01:19:38 Et pour les problèmes, je les ai pris à l'envers, à l'endroit.
01:19:40 Je les ai pris dans tous les sens pour essayer de trouver une solution.
01:19:44 J'en ai voulu à la société, oui, c'est exact.
01:19:49 À tout le monde et à personne.
01:19:50 Je sais même pas à qui j'en voulais à ce moment-là.
01:20:00 Dormez, braves gens de Grigny
01:20:05 La nuit est bonne, conseillère
01:20:12 Oublie, oublie toutes tes misères
01:20:19 Demain sera une autre vie
01:20:29 Si les misères se mangent
01:20:32 On les croquera toutes crues
01:20:40 Si le malheur nourrit
01:20:46 On lui rongera les os
01:20:57 Si le chagrin engraisse
01:21:00 On lui fera la peau
01:21:07 Si la honte enivre
01:21:14 On aura toute honte bue
01:21:22 Jusqu'à la liste
01:21:25 -La Grande-Borne à Grigny, l'enfer du décor
01:21:28 par Jacques Frémontier, diffusé sur la deuxième chaîne
01:21:31 en juillet 73.
01:21:33 Le maire de Grigny, Philippe Riau,
01:21:35 et l'architecte François Brugel sont avec nous.
01:21:37 Richard Poirot de l'INA nous a rejoint.
01:21:40 Bonjour, Richard.
01:21:41 On vient de sortir de ces témoignages
01:21:45 terribles, en tout cas,
01:21:47 qui témoignent parfois d'une grande souffrance,
01:21:51 à l'image de la chanson de générique qui est terrible,
01:21:56 et qui, d'ailleurs, qui renvoie aussi,
01:21:58 j'ai pensé, moi aussi, en voyant le film,
01:22:00 à une autre chanson qui est sortie cette année-là,
01:22:03 celle de Sardou, "Les villes de solitude",
01:22:06 "Les villes de grande solitude",
01:22:08 c'est aussi de cela que ça témoigne.
01:22:10 Votre sentiment, François Brugel ?
01:22:13 -C'est terrible, parce que... -C'est violent.
01:22:16 -C'est d'une violence incroyable,
01:22:18 qui est un délit long sur l'état des liens familiaux, sociaux,
01:22:22 la pauvreté, la situation des femmes,
01:22:26 les adolescents qui, à un moment donné,
01:22:29 revendiquent même l'idée de la délinquance.
01:22:31 Et à côté de ça, on endresse un portrait logieux, par ailleurs,
01:22:36 à quelques kilomètres de là, c'est une expérimentation incroyable,
01:22:40 c'est une nouvelle forme d'urbanisme,
01:22:42 ces deux choses-là doivent cohabiter.
01:22:44 C'est vrai, c'est extrêmement dur.
01:22:47 -Philippe Riau ?
01:22:48 -Juste la lecture, quelques phrases
01:22:50 de l'inspection générale de l'administration
01:22:52 qui se penchent sur la Grande-Borne,
01:22:55 mais aussi sur Grigny 2,
01:22:56 puisque de l'autre côté de l'autoroute,
01:22:59 la plus grande copropriété de France sort de terre.
01:23:02 La ville, en quelques années,
01:23:03 c'est plus 780 % d'augmentation de population,
01:23:07 passant de 3 000 à 26 000.
01:23:09 L'inspection générale dit les choses suivantes.
01:23:11 "Tous les services", nous ont parlé de budgets familiaux
01:23:15 de personnes inférieures à 2 500 francs mensuels,
01:23:18 de 25 % de loyers impayés, nous sommes en 1974,
01:23:22 de saisie de bénéficiaires de l'aide sociale,
01:23:24 qui passe de 67 à 457, de chômage croissant,
01:23:28 de retard scolaire, de malnutrition des enfants.
01:23:31 Et il conclut, "il faut assainir le bilan
01:23:34 "d'une opération contestable sur le plan de l'urbanisme,
01:23:37 "ratée sur le terrain de la qualité de vie,
01:23:39 "aberrante dans le domaine de l'emploi,
01:23:41 "catastrophique pour le budget local,
01:23:44 "pesante pour les finances nationales",
01:23:47 et il rajoute que la ville de Grigny,
01:23:50 dès l'origine, est plus violée
01:23:52 que consentante.
01:23:54 -Et vous dites, il a fallu 50 ans
01:23:58 pour que nous obtenions un droit à réparation de l'Etat,
01:24:01 c'est-à-dire, Philippe Riault.
01:24:03 -L'histoire de cette ville,
01:24:04 entre cette opération de la Grande-Borne et Grigny II,
01:24:07 qui est la copropriété la plus dégradée de France,
01:24:10 euh...
01:24:13 La ville n'a jamais eu les moyens,
01:24:15 et donc les habitants, d'avoir accès aux services publics.
01:24:18 Ca, je l'ai très bien dit, c'est la ville
01:24:20 qui fait les écoles à la place de l'Etat
01:24:22 ou du bailleur social, ce qui était le mode opératoire.
01:24:26 Et donc, depuis 50 ans, nous n'avons cesse
01:24:28 de réparer...
01:24:30 le rattrapage en matière scolaire,
01:24:34 en matière d'équipement scolaire, en matière d'équipement tout court,
01:24:37 et 50 ans après, Grigny est la ville
01:24:40 avec le taux de pauvreté le plus important en France.
01:24:43 50 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté,
01:24:46 50 % des travailleurs sont des travailleurs pauvres.
01:24:48 En matière scolaire, c'est extrêmement difficile.
01:24:53 Donc, la même situation qu'il y a 50 ans,
01:24:56 quand bien même, le transport est arrivé,
01:24:58 le bassin d'emploi s'est développé tout autour,
01:25:01 notamment de la ville nouvelle d'Évry,
01:25:03 parce que nous sommes la banlieue de la ville nouvelle d'Évry,
01:25:07 la cité-dortoir de la ville d'Évry,
01:25:10 qui a eu des financements incroyables
01:25:12 en matière d'équipement public, même un sureéquipement public,
01:25:16 un taux d'emploi par habitant assez incroyable.
01:25:19 Nous, on est arrivés juste avant,
01:25:21 une espèce de Far West immobilier.
01:25:23 Je rappelle que cette opération a été montée avec Bouygues
01:25:27 sans appel d'offres par l'Office HLM.
01:25:29 -Vous parlez de la campagne. -Oui, oui.
01:25:31 C'est la fin du Far West.
01:25:33 Voilà, pas d'appel d'offres, Bouygues construit ça rapidement,
01:25:36 une espèce de deal entre le préfet, l'Office HLM
01:25:40 et Émile Ayo, ça se passe comme ça.
01:25:41 -Ah oui. -Ca s'est passé comme ça.
01:25:44 Tout ça est très détaillé.
01:25:45 -Il a fallu d'importants programmes de rénovation.
01:25:48 -Voilà. -Il y en a un qui est achevé.
01:25:51 -Un achevé. -Un deuxième qui va démarrer.
01:25:53 -Un deuxième avec de la réhabilitation,
01:25:56 avec un peu de démolition, avec...
01:25:58 la réhabilitation et la rénovation d'équipements scolaires,
01:26:01 qui ont plus de 50 ans pour certains,
01:26:03 et puis ramener de la ville, du transport.
01:26:06 Un tramway, aujourd'hui,
01:26:08 qui relie d'ailleurs Évry à Massy,
01:26:10 vient d'arriver, aux portes de la Grande-Borne.
01:26:12 Demain, un bus 100 % électrique va traverser la Grande-Borne.
01:26:16 Donc voilà, 50 ans pour ramener de la ville,
01:26:20 c'est-à-dire de l'emploi, du transport,
01:26:22 de l'équipement public. Ca a mis énormément de temps.
01:26:25 -C'était l'un des problèmes soulignés à l'époque,
01:26:29 c'est-à-dire peu de possibilités d'emploi proches
01:26:33 pour les hommes et pas d'emploi du tout pour les femmes.
01:26:36 -Evidemment, il faut dire aussi, pour les non-parisiens,
01:26:39 qu'on est assez loin de Paris.
01:26:41 Ca n'est pas la banlieue proche, c'est le sud de l'Essonne.
01:26:44 -25 km. -Voilà.
01:26:45 Et donc, on est à Évry, on est loin.
01:26:48 Rénovation, réhabilitation,
01:26:50 il paraît que c'est vous, Philippe Riau,
01:26:52 qui avez choisi les nouvelles céramiques des immeubles
01:26:55 et que leur couleur est le bleu Rio.
01:26:57 -On m'a demandé de choisir des couleurs de bleu,
01:27:00 pas trop faire ça, mais j'ai choisi un bleu
01:27:03 et on m'a dit qu'on l'appellera le bleu Rio.
01:27:05 -C'est la liberté de la peuplerie.
01:27:07 -François Brugel, on a entendu aussi,
01:27:09 dans le sujet de Geoffrey Montier,
01:27:12 plusieurs fois exprimer l'aspiration,
01:27:16 le rêve des habitants de ces appartements.
01:27:20 C'est le pavillon individuel.
01:27:22 -Oui. -Ca revient tout le temps.
01:27:24 -Ca revient tout le temps,
01:27:26 mais tant que l'habitat collectif
01:27:28 n'arrivera pas à donner les mêmes qualités
01:27:31 que le logement individuel,
01:27:33 les gens aspireront au logement individuel.
01:27:35 Or, l'habitat collectif, c'est quand même la solution.
01:27:38 C'est la solution aujourd'hui.
01:27:40 -C'est une solution plus écologique.
01:27:43 -Il faut travailler sur ces sujets.
01:27:45 Il faut donner aux gens qui habitent là
01:27:48 ces mêmes qualités auxquelles ils aspirent.
01:27:51 C'est normal.
01:27:52 C'est les espaces extérieurs, c'est l'écologie,
01:27:55 c'est le rangement, ce sont toutes ces choses-là.
01:27:58 -Vous, vous avez travaillé beaucoup
01:28:00 sur les réhabilitations,
01:28:03 sur la façon de conserver l'existant en l'améliorant.
01:28:07 On va en reparler juste après une séquence
01:28:09 que je vous inviterai à commenter.
01:28:12 François Brugel, en 78, l'émission "Aujourd'hui, madame",
01:28:15 dans le cadre d'un numéro sur l'habitat social,
01:28:18 fait parler Philippe Meyère,
01:28:20 sociologue et pas encore journaliste et homme de radio,
01:28:23 il le sera quelques années plus tard.
01:28:25 Philippe Meyère, qui déambule
01:28:27 dans deux cités d'époque et d'esprit très différents,
01:28:32 et d'abord dans Paris-Intramuros.
01:28:35 -On est ici,
01:28:36 dans le nord du 18e arrondissement,
01:28:38 devant un immeuble construit par la fondation Rothschild.
01:28:41 Elle a été créée à la fin du 19e siècle,
01:28:43 en même temps que d'autres fondations
01:28:46 qui viennent des familles bourgeoises,
01:28:48 comme la fondation Saint-Gerp-Polignac.
01:28:50 On va rentrer, je vais vous montrer
01:28:52 les particularités de ce genre de cité.
01:28:55 ...
01:28:58 Alors, en fait, il faut prendre en compte
01:29:01 le fait que tout ça a été construit sur un désert,
01:29:04 quand on a annexé cette partie, ce village, à Paris,
01:29:08 et que les immeubles construits ici ont été construits
01:29:10 dans l'idée de loger des familles ouvrières modèles,
01:29:13 avec un certain nombre de critères extrêmement rigoureux,
01:29:16 notamment le fait que les familles étaient composées
01:29:19 du père, de la mère et des enfants.
01:29:21 C'est au fond un peu sur le modèle des immeubles bourgeois
01:29:25 construits sous Haussmann entre 1852 et la fin du Second Empire,
01:29:29 avec, tout en haut, ces espèces de chambres toutes seules
01:29:33 qui sont pour les ouvriers célibataires,
01:29:35 qui étaient des ouvriers des paysans du sud de la France,
01:29:38 l'équivalent des travailleurs immigrés de l'époque,
01:29:41 qui venaient de la Creuse au lieu de venir du Dahomé,
01:29:43 et puis des appartements, comme le nom l'indique,
01:29:46 où on met les gens à part.
01:29:48 Et ce qu'on mettait à part, c'était les familles conjugales,
01:29:52 donc le père, la mère et les enfants, quand il y en avait.
01:29:54 Ce sont des logements clairs, relativement ensoleillés.
01:30:00 Ça correspond à un moment où il y avait aussi
01:30:03 beaucoup d'efforts médicaux et prophylactiques
01:30:06 contre la tuberculose.
01:30:07 Une théorie de cette prophylaxie
01:30:09 était qu'il fallait des appartements aérés et ensoleillés.
01:30:12 C'est le cas.
01:30:13 Vous voyez une chose assez frappante,
01:30:15 et toujours par rapport à d'autres choses qu'on peut voir,
01:30:19 qui est qu'il y a là,
01:30:21 non seulement l'ouverture vis-à-vis du quartier,
01:30:23 mais en plus suffisamment, comment dire,
01:30:27 de resserrements,
01:30:29 de face-à-face, de cours intérieurs,
01:30:33 de possibilités de circulation,
01:30:35 pour qu'on ait des relations de voisinage.
01:30:37 -Ces immeubles ont un air de famille avec les précédents.
01:30:41 Ce n'est pas une cité, c'est un quartier populaire,
01:30:43 comme vous en reverrez plus.
01:30:45 -On voit là quelque chose qui est finalement,
01:30:48 dans son principe, assez semblable à ce qu'on a vu
01:30:50 dans l'immeuble de la Fondation Rothschild.
01:30:53 Matériellement, c'est moins bien fait.
01:30:55 Les appartements sont plus petits, moins aérés,
01:30:58 les fenêtres moins grandes,
01:30:59 mais on garde le principe de quelque chose
01:31:01 intégré dans le quartier, ouvert sur le quartier,
01:31:04 qui a un certain nombre d'espaces,
01:31:06 qui sont des espaces libres, des espaces de jeu.
01:31:09 Finalement, dans cette espèce de cité,
01:31:11 il y a quelque chose qui ressemble à un quartier.
01:31:14 C'est un petit quartier dans le quartier,
01:31:16 qui a deux luxes par rapport à ce qu'on va voir
01:31:19 dans la dernière génération des HLM,
01:31:21 qui a deux luxes, d'une part, des espaces libres,
01:31:24 et d'autre part, des possibilités de rencontre et de voisine.
01:31:27 -Entre les gazomètres de la banlieue nord et les périphériques
01:31:40 se dresse la cité des 4000,
01:31:42 entendez les 4000 logements de la Courneuve, conçus dès 1957.
01:31:46 Voici un extrait du projet.
01:31:47 Les façades revêtues de grès céram sont de tonalités froides,
01:31:51 gris, bleu, blanc.
01:31:52 C'est sur les bâtiments collectifs
01:31:54 que des couleurs vives apporteront leur note de gaieté.
01:31:57 La cité fut réalisée en 1965 sans la note de gaieté.
01:32:01 Depuis, on enregistre entre 600 et 800 déménagements par an.
01:32:05 L'office de HLM est en procès depuis 11 ans avec le constructeur.
01:32:08 Tout se dégrade.
01:32:09 Les habitants sont découragés,
01:32:11 malgré les efforts d'animation de la municipalité.
01:32:14 -Bon, alors là, on est devant la dernière génération des HLM,
01:32:18 génération plus ou moins contemporaine de la crise du logement,
01:32:22 qui a permis de faire passer tout un tas de choses
01:32:24 qui ne seraient probablement pas passées autrement.
01:32:27 Là, on arrive à ce qu'on pourrait appeler le degré zéro de l'habitable.
01:32:31 Ce qu'on a pour habiter, c'est ces espèces de trucs
01:32:33 qui sont moitié des tours, moitié des bars,
01:32:36 à l'intérieur desquels il y a des appartements,
01:32:38 et puis c'est tout.
01:32:40 Tout ce qui est ici, c'est pour venir dormir.
01:32:43 C'est un espèce d'endroit qui est fait pour tout ce que vous voulez,
01:32:47 sauf pour habiter.
01:32:48 En tout cas, si on définit le fait d'habiter
01:32:50 comme celui d'être dans un quartier, d'avoir un rapport avec les gens,
01:32:54 le milieu dans lequel on est, milieu social, géographique,
01:32:57 tout ce que vous voudrez, ici, il n'en est pas question.
01:33:00 On a le degré zéro, c'est-à-dire...
01:33:02 On appelait ça les cages à lapins.
01:33:04 C'est pas gentil pour les gens dedans,
01:33:06 mais c'est un dormoir, un dortoir, tout ce que vous voudrez.
01:33:09 Vous avez cette espèce de tour qui est là,
01:33:12 qui est à approximativement 10 m du périphérique.
01:33:16 C'est-à-dire que le jour et la nuit,
01:33:18 on ne peut, comme distraction,
01:33:20 qu'entendre le bruit du périphérique, qui est à peu près continu.
01:33:23 Ça doit s'arrêter entre 2h et 5h du matin.
01:33:26 Ce qui caractérise la dernière génération de l'habitat dit social,
01:33:32 c'est qu'il est tout ce qu'on veut, sauf social.
01:33:34 En plus, il est cher, par rapport à ce qu'on a vu tout à l'heure,
01:33:37 et par-dessus le marché, tout ce qu'on peut y faire,
01:33:40 c'est n'importe quoi, sauf se socialiser,
01:33:43 rencontrer des gens, parler avec eux, apprendre la vie comme ça.
01:33:46 La seule possibilité qu'il y a ici,
01:33:48 c'est de foutre ce truc en l'air.
01:33:50 C'est absolument impossible d'imaginer un seul instant
01:33:54 quelque chose qui ressemble à une transformation de ce truc
01:33:57 pour le rendre vivable,
01:33:59 pour le rendre quelque chose où on puisse se rencontrer,
01:34:02 travailler, vivre.
01:34:03 -Philippe Meyère, en 78, à la Courneuve
01:34:05 et au milieu des tours qui bordent le périphérique parisien
01:34:09 dans un habitat qui n'a, dit-il, de social que le nom...
01:34:12 Il a raison, François Brugel ?
01:34:14 -Il décrit assez bien une situation.
01:34:17 Mais ce qui est intéressant,
01:34:18 c'est la structure même de ce documentaire.
01:34:21 Moi, je le trouve incroyable, ce documentaire.
01:34:24 Il décrit quatre temps.
01:34:25 Les deux premiers temps, finalement, c'est de l'architecture.
01:34:29 On est dans l'architecture, dans les deux premiers temps.
01:34:32 -Il parle des immeubles des années 30 de la Fondation Rochelle ?
01:34:35 -Oui, et ensuite, quand il va vers les HBM.
01:34:38 Là, on est dans une ville qui est constituée,
01:34:40 sur laquelle on va greffer des édifices.
01:34:42 Dans les deux temps suivants, il évoque l'architecture,
01:34:46 mais en réalité, on est dans le temps de l'urbanisme.
01:34:49 Et l'urbanisme a la grande différence,
01:34:52 c'est le temps long qui est nécessaire.
01:34:54 La différence de l'architecture,
01:34:56 c'est l'opération courte.
01:34:58 L'urbanisme a besoin de temps.
01:35:00 On a besoin de sédimenter les choses,
01:35:02 on a besoin de prendre le temps de réfléchir,
01:35:04 on a besoin de prendre les choses à mesure.
01:35:07 Toutes ces opérations d'urbanisme
01:35:10 se développaient dans un temps de l'architecture,
01:35:13 donc dans un temps court.
01:35:14 C'est là toute la difficulté, je crois.
01:35:17 C'est une des difficultés que décrit très bien Philippe Meyer.
01:35:20 -Et la sociabilité de ces immeubles en brique des années 30,
01:35:24 vous êtes d'accord avec ce constat ?
01:35:27 Il y a quelque chose qui favorise la vie en commun
01:35:31 dans l'architecture.
01:35:33 -Oui, complètement.
01:35:34 Il y a à la fois de la distance et de la proximité.
01:35:37 La distance, c'est ce qui va fabriquer la proximité.
01:35:41 Pardon, excusez-moi, la distance, c'est ce qui fabrique l'intimité,
01:35:45 alors que la proximité, c'est ce qui va favoriser les échanges
01:35:48 et la relation avec la ville.
01:35:50 -Vous avez été l'un des premiers architectes
01:35:53 à travailler sur l'existant,
01:35:54 en prenant soin de ne pas déconstruire,
01:35:57 en privilégiant la réhabilitation.
01:35:59 Vous avez été récompensé de l'équerre d'argent
01:36:02 en novembre dernier,
01:36:03 c'est la plus haute récompense pour un prix d'architecture.
01:36:07 Avec le cabinet H2O, je dis bien,
01:36:11 pour la transformation de trois immeubles de bureaux
01:36:14 du ministère de la Défense, rue Saint-Dominique,
01:36:17 en 250 logements sociaux,
01:36:18 c'est ce qu'on voit ici à l'image, mais qu'on ne voit pas de la rue.
01:36:22 -Non. C'est cinq heures d'îlot.
01:36:25 C'est quelque chose qui est invisible.
01:36:27 C'est dépendé du ministère de la Défense,
01:36:30 donc c'est des lieux cachés, des lieux invisibles.
01:36:33 Le but, c'est de retourner le gant
01:36:36 pour en faire un espace commun et collectif.
01:36:39 Voilà. Et ces bureaux,
01:36:42 ce qui est intéressant dans ces immeubles,
01:36:44 c'est qu'ils ont de la qualité, en fait.
01:36:47 Ils ont de la qualité.
01:36:48 -Vous avez gardé la structure ? -Oui.
01:36:50 -Il y avait une structure qui datait... -Des années 60.
01:36:53 -Des années 60. -On a gardé la structure,
01:36:56 on a gardé l'idée de la pierre, on a gardé...
01:36:58 Juste, on a abaissé les allèges des fenêtres,
01:37:01 et c'est devenu des portes-fenêtres.
01:37:03 On a rajouté des prolongements extérieurs,
01:37:06 on a fait des balcons, et tout à coup,
01:37:08 ce qui est bureau devient logement,
01:37:10 puis, pour nous, doit se transformer en habitat.
01:37:12 -Ecoutez, ça paraît assez agréable à vivre,
01:37:15 mais je n'y suis pas.
01:37:16 On peut tout réhabiliter,
01:37:18 ou il y a des choses qui vaut mieux raser et démolir ?
01:37:21 Là, vous parlez à côté d'un maire de banlieue
01:37:24 qui, j'imagine, est confronté à ces questions.
01:37:27 -Oui. Je crois que ça peut pas se décider,
01:37:30 et je crois qu'il vaut mieux réhabiliter, aujourd'hui.
01:37:33 J'en ai l'intime conviction, parce qu'on peut s'attacher
01:37:36 à d'autres choses plus fines, à donner d'autres qualités.
01:37:40 Quand la forme, elle est déjà là,
01:37:42 maintenant, tous ces lieux ont des histoires.
01:37:44 Ils racontent des histoires, des histoires humaines,
01:37:47 des histoires d'enfance, dont on parlait tout à l'heure,
01:37:50 et on peut compléter.
01:37:52 Nous, notre job, c'est de compléter,
01:37:54 c'est ça, être architecte, là, quelque part, sur ça,
01:37:58 c'est de comprendre ce qui s'est passé,
01:38:00 de comprendre ces histoires.
01:38:02 Certaines, il faut effacer les choses,
01:38:04 d'autres, il faut prolonger l'histoire.
01:38:06 -Il y a des cités qui ont été rénovées
01:38:09 en étant allégées de quelques bâtiments.
01:38:11 Il y en a plein, en France,
01:38:13 où on a rasé des... -On est dans une vague
01:38:15 de démolition. -Il y a eu des bruits.
01:38:18 -Je pense qu'à certains moments, il le fallait,
01:38:20 parce qu'on a permis, par exemple, là, du transport,
01:38:24 de rentrer dans des quartiers,
01:38:26 on a permis de la rénovation thermique,
01:38:28 là où il y avait besoin de rénovation,
01:38:30 et puis, des fois, l'acte de démolition
01:38:33 était franchement nécessaire,
01:38:35 pour mettre un peu d'espace vert, bien sûr.
01:38:38 -D'espace vert ou même d'autres choses,
01:38:41 des choses qui ont été construites...
01:38:43 sans bon sens, tout simplement.
01:38:46 Effectivement, aujourd'hui, je pense qu'on est en train
01:38:49 de revenir sur cette petite période
01:38:52 que nous avons eue de toute démolition.
01:38:54 Je pense qu'il faut continuer à en faire un peu,
01:38:57 mais avec une approche un peu plus simple,
01:39:00 un peu plus efficace, comme ça ou comme d'autres opérations,
01:39:03 ce qu'il faut un peu rêver, je le dis franchement.
01:39:06 Pour un quartier comme la Grande-Borne,
01:39:09 discutez un peu, on en a parté tout à l'heure,
01:39:11 il y a des choses simples qui peuvent être faites
01:39:14 pour améliorer l'architecture et l'urbanisme,
01:39:17 et donc la sociabilité, parce que c'est aussi cela,
01:39:20 et faire face aux enjeux de transition écologique,
01:39:23 qui est un sujet, l'adaptation de nos villes
01:39:25 au réchauffement climatique, mettre des balcons,
01:39:28 c'est pas anodin, à la Grande-Borne,
01:39:30 il y a zéro balcon. -Il n'y a pas de balcon.
01:39:33 -Et un peu essayé, il y a des bailleurs
01:39:35 qui ne veulent pas entendre.
01:39:37 Il n'y en a pas rencontrés, le bon architecte.
01:39:40 -C'est pareil pour les tours à yaux de Nanterre,
01:39:42 il y a des jolis hublots en forme de gouttes,
01:39:45 mais il n'y a pas d'espace, il n'y a pas de balcon.
01:39:48 C'est où, ça, François Brugel ?
01:39:50 -C'est rue Monterah,
01:39:51 donc dans le 12e arrondissement.
01:39:53 Et ça, par exemple, c'est une réhabilitation,
01:39:56 et en fait, elle avait déjà été réhabilitée.
01:39:59 Cet immeuble avait déjà été réhabilité.
01:40:01 Et nous, ce qu'on a fait, c'est qu'on est allé rechercher
01:40:04 dans l'histoire, dans les premiers plans,
01:40:07 l'histoire de ce bâtiment auquel, effectivement,
01:40:10 on a rajouté ces prolongements extérieurs,
01:40:12 car ils manquaient.
01:40:14 -Ce qu'on entend souvent,
01:40:15 pardon, je suis pas du métier,
01:40:17 c'est une remarque de profane,
01:40:19 c'est que la réhabilitation, ça coûte plus cher
01:40:22 que de construire du neuf.
01:40:24 -Non. -Non, pas forcément ?
01:40:25 -Alors, ça ne coûte pas plus cher,
01:40:27 et... Non, non, ça ne coûte pas plus cher,
01:40:30 et ça permet aussi de régler des choses
01:40:32 que le neuf, finalement, par sa réglementation,
01:40:35 aujourd'hui, ne permet pas d'aborder.
01:40:37 -Ah oui, écologiquement, c'est mieux.
01:40:40 -Et aujourd'hui, exactement,
01:40:41 aujourd'hui, la question, c'est la matière, en fait.
01:40:44 -Oui, c'est vrai.
01:40:46 Richard Poirot, c'est à vous.
01:40:47 Dans les années 60, les caméras de télévision
01:40:50 étaient souvent là pour assister à la naissance
01:40:53 de ces grands ensembles HLM.
01:40:55 Avec toujours ce même discours très solennel
01:40:57 et annonciateur de l'endemain qui chante.
01:41:00 Quand on replonge dans ces archives
01:41:02 qui racontent la naissance et la vie de ces quartiers,
01:41:05 c'est parfois décourageant,
01:41:06 puisque c'est remonter le fil d'une certaine histoire de France
01:41:10 dont on connaît le début, le milieu et la fin.
01:41:13 Alors, on en a parlé, ici,
01:41:14 les années 60, donc, avec ces populations modestes
01:41:17 ou ces travailleurs étrangers
01:41:19 qui découvrent des logements, vous en avez parlé,
01:41:22 avec des toilettes privatives, c'était vraiment...
01:41:25 Les années 70, avec le chômage qui arrive
01:41:27 et qui va toucher ces populations-là,
01:41:29 les années 80-90, avec une jeunesse
01:41:33 qui est en désœuvrement,
01:41:35 la délinquance juvénile qui s'installe,
01:41:37 et puis vous, des édiles qui essayez de réparer
01:41:40 des pots cassés tant que faire se peut.
01:41:42 -Et cette évolution en images,
01:41:47 vous l'avez observée sur un quartier en particulier ?
01:41:50 -Je suis posé sur un quartier,
01:41:52 donc le quartier Pise 20, à Nîmes, pour deux raisons.
01:41:55 Le quartier Pise 20, c'est vous qui me disiez,
01:41:58 juste avant l'émission, qui n'est pas un quartier HLM,
01:42:01 mais qui fait partie de ces grands ensembles.
01:42:03 Il y a une grande zup à l'ouest de Nîmes,
01:42:06 donc la zup nord, la zup sud, donc il y a Pise 20 et Val-de-Goure.
01:42:09 Pourquoi ce quartier-là ?
01:42:11 D'abord, parce qu'il y a eu un fait d'hiver quand même dramatique,
01:42:15 c'était l'hiver dernier, le jeune Fayette, 10 ans,
01:42:18 la voiture de son oncle, victime collatérale
01:42:20 d'une guerre des gangs qui ne le concernait pas.
01:42:23 Et Pise 20, je ne sais pas,
01:42:25 mais les caméras ont beaucoup aimé ce quartier.
01:42:27 Il y a beaucoup de sujets qui traitent de Pise 20,
01:42:30 et donc on voit ce quartier grandir,
01:42:33 vivre, entre espoir et abattement, aujourd'hui.
01:42:37 Donc on commence ce film, on va tirer la bobine,
01:42:40 on commence tout de suite, 1968, le quartier sort des terres.
01:42:44 -Sur un sol accidenté,
01:42:46 la ville de Pise est là où en 1962,
01:42:48 il n'y avait que la garrigue, s'élève à présent une nouvelle cité.
01:42:52 A 1,5 km du centre urbain,
01:42:54 la zone sud comprend 4000 logements, la nord, 6200.
01:42:58 Les deux zones denses sont entourées par les programmes scolaires
01:43:02 et des zones construites dans la verdure.
01:43:04 Les circulations sont étagées,
01:43:06 les piétons ne rencontrent pas les voitures
01:43:08 qui disparaissent sous les immeubles pour stationner.
01:43:11 Les volumes sont simples, certains immeubles sont hauts de 25 niveaux.
01:43:15 Les travaux ont débuté en 1962,
01:43:17 le centre commercial de la zone sud est en voie d'achèvement.
01:43:21 La première tranche fonctionne déjà.
01:43:23 Dans un cadre traditionnel, l'équilibre futuriste
01:43:26 et conventionnel a été respecté.
01:43:28 Nîmes-la-Romaine nous a offert ce soir une promenade
01:43:31 en plein XXe siècle.
01:43:32 -Voilà. Une promenade en plein XXe siècle.
01:43:35 Juste une petite parenthèse, on a vu le centre commercial.
01:43:38 Souvenez-vous des images qu'on vient de voir,
01:43:41 on va les revoir quelques années plus tard.
01:43:43 Donc oui, une promenade en plein XXe siècle
01:43:46 sur fond d'orchestre symphonique,
01:43:48 pour marquer la solennité du discours.
01:43:50 La construction de le Soleil levant,
01:43:52 qui est une grande barre de logements,
01:43:55 dont on voit ici la construction avec l'inauguration,
01:43:58 avec beaucoup d'enthousiasme, beaucoup d'élan
01:44:01 et beaucoup de joie.
01:44:02 Il faut bien se rendre compte qu'à cette époque-là,
01:44:05 la France entre dans la modernité.
01:44:07 C'est la fin des bidonvilles, c'est ça, ce que disent ces images.
01:44:11 Pour bien vivre ensemble, il va y avoir des crèches,
01:44:13 des piscines, des équipements sportifs,
01:44:16 des logements étudiants et, évidemment,
01:44:18 un centre commercial.
01:44:19 -La première tranche du centre commercial de Nîmes-Ouest
01:44:23 a été officiellement inaugurée.
01:44:24 Certes, l'ensemble, conçu, pratique et agréable,
01:44:27 ne présente pas encore une réalisation totalement achevée.
01:44:31 Si certains magasins ne sont encore qu'au stade de la conception,
01:44:34 les autres boutiques offrent l'avantage
01:44:37 de présenter à leur clientèle une gamme complète des produits
01:44:40 et cela dans un cadre des plus agréables qui soit.
01:44:43 Les ménagères de Nîmes-Ouest n'auront plus,
01:44:45 comme ce fut le cas, à se rendre en ville pour leurs achats.
01:44:49 Elles trouvent sur place ce qui leur fait défaut.
01:44:52 Ce centre commercial se distingue par rapport à bien d'autres
01:44:55 qui ont vu le jour dans des cités satellites
01:44:58 par un double effort de la part des promoteurs.
01:45:00 Ils ont voulu que celui-ci soit pratique et agréable à la fois
01:45:04 et l'on peut déjà dire que cet effort a trouvé,
01:45:06 avec cette première mise en service,
01:45:09 un impact très agréable.
01:45:10 -C'est toujours étonnant, ces images.
01:45:12 Il y a un truc marquant, c'est que la télé adore l'architecture.
01:45:16 C'est toujours très beau. On voit ça, on se dit "c'est magnifique".
01:45:20 C'est très télégénique.
01:45:21 -La montre sent toujours en parler beaucoup.
01:45:24 Je parle sous votre contrôle, mais je trouve que ce n'est pas un art.
01:45:28 C'est un art, c'est le premier art, d'ailleurs.
01:45:31 C'est pas un art qui est beaucoup valorisé à la télévision.
01:45:34 -On va le voir dans les images qui vont venir.
01:45:37 -Il y avait cet effort de faire des beaux plans.
01:45:39 C'est assez étonnant. -Oui, les plans sont là.
01:45:42 -Exactement.
01:45:43 Cette galerie commerciale, c'est la galerie Wagner,
01:45:46 je l'ai dit parce qu'on va pas mal en entendre parler après.
01:45:49 Donc on va faire un bond jusqu'en 1981.
01:45:52 Là, on n'entend plus trop parler de la cité Pissin.
01:45:55 Et 1981, la télé est en couleur,
01:45:56 mais le climat, lui, ne l'est pas. Il est plutôt morose.
01:46:00 Beaucoup d'usines ont fermé.
01:46:01 La cité radieuse devient une cité dortoire.
01:46:04 Et deux meurtres secouent le quartier-là en cette année,
01:46:07 donc 1981.
01:46:08 La caméra, cette fois-ci, plonge dans les entrailles de la cité.
01:46:12 -Dans ces vastes ensembles, la peur rôde.
01:46:14 Les sous-sols, en particulier, n'ont rien de rassurant
01:46:17 avec leurs immensités désertes et sombres.
01:46:20 La population est traumatisée par deux récents faits sanglants.
01:46:23 Un groupe d'habitants a fait signer une pétition
01:46:26 pour attirer l'attention des pouvoirs publics
01:46:28 sur ces problèmes de sécurité.
01:46:30 -Voilà, on est passé de la lumière à l'obscurité,
01:46:33 de l'utopie à la misère sociale et à la violence.
01:46:36 -Et qu'est devenue la Galerie Wagner ?
01:46:38 -Cette Galerie Wagner, je propose qu'on regarde quelques images.
01:46:42 Là, c'est 1998.
01:46:43 Donc là, de nouveau, on voit surtout des images du quartier,
01:46:46 ça s'est vraiment dégradé.
01:46:48 Donc là, on est vraiment... C'est de la copropriété,
01:46:51 vous me disiez, je crois. -Je vous confirme.
01:46:54 -Donc on voit la Galerie commerciale,
01:46:56 la Galerie Wagner, que l'on voit ici,
01:46:58 avec beaucoup de rideaux, cette fois-ci, qui ont fermé.
01:47:02 Il y aura des plans de réaménagement urbain,
01:47:05 décidé souvent à Paris,
01:47:06 des habitants qui vont se battre aussi pour leur cité.
01:47:09 C'est pas que de la misère, c'est beaucoup de gens,
01:47:12 des quartiers qui vont se battre, prendre des initiatives.
01:47:15 Là, c'est une fresque, donc des adultes
01:47:18 qui vont encadrer des enfants, des adolescents,
01:47:20 pour essayer de donner un peu de couleur à ce quartier-là.
01:47:24 À d'autres endroits, toujours, dans la cité Pissevin,
01:47:27 ça va être des opérations de construction de logements urbains,
01:47:30 des bancs, des tables en bois.
01:47:32 Il y a vraiment cette volonté de faire quelque chose,
01:47:35 de prendre en main.
01:47:36 Mais ça paraît trop énorme, trop gigantesque.
01:47:40 Et rien ne change, ou rien ne change vraiment beaucoup,
01:47:43 et toujours un fait divers, cette fois-ci, c'est 2003.
01:47:46 -Trop de tensions contenues,
01:47:48 et soudain, la cité de Pissevin explose.
01:47:50 Hier soir à Nîmes, une soixantaine de jeunes
01:47:53 a jeté des pierres sur les pompiers et les CRS.
01:47:56 Six voitures ont été brûlées et deux vitrines brisées.
01:47:59 La mort d'un adolescent du quartier voisin de Val-de-Goure,
01:48:02 soupçonné de vol et tué dimanche par un gendarme,
01:48:05 est perçue ici comme une bavure.
01:48:07 Pour les habitants du quartier,
01:48:08 cet accès de violence est regrettable, mais prévisible.
01:48:12 -Ces jeunes, ils sont en difficulté,
01:48:14 ils n'ont aucun repère, ils n'ont pas de travail,
01:48:16 ils n'ont pas d'avenir, ils n'ont rien du tout.
01:48:19 Si j'avais 20 ans, je ne serais pas avec eux.
01:48:21 -Un discours regrettable et prévisible,
01:48:24 dit le commentaire.
01:48:25 Combien de fois est-ce qu'on a entendu ce discours
01:48:28 dans les journaux télévisés ?
01:48:30 Vous savez que Pise 1, Val-de-Goure,
01:48:32 le taux de pauvreté, c'est autour de 70 %.
01:48:34 La galerie commerçante Wagner est devenue un point de deal,
01:48:37 de trafic de drogue incroyable, déjà, elle a été enterrée.
01:48:41 Sa destruction est aujourd'hui programmée.
01:48:43 Tous les commerçants, on a vu les rideaux de fer baisser,
01:48:46 les commerçants ont exproprié, ça va être rasé
01:48:49 et ça va être reconstruit, de nouveau,
01:48:51 avec une nouvelle promesse, d'une promenade,
01:48:54 cette fois-ci, en plein XXIe siècle,
01:48:56 on verra ce que ça donne.
01:48:57 C'est une histoire qui se construit.
01:49:00 -Philippe Riau,
01:49:01 qu'est-ce que ça vous inspire, ce récit en accéléré,
01:49:04 de quelques décennies d'une cité, d'une galerie marchande ?
01:49:07 -C'est les enjeux de société que nous avons collectivement.
01:49:11 Réparer, ne plus faire les mêmes erreurs,
01:49:13 prendre soin de la vie sociale,
01:49:16 parce qu'on voit bien que le lien entre architecture
01:49:19 et vie sociale est interrogé, l'ordre, le désordre,
01:49:23 la malfaçon, faire des choses de qualité.
01:49:27 Donc c'est un peu sans fin, ce débat,
01:49:29 et nous sommes à une période où nous devons gérer
01:49:33 ce type d'espace, cette vie sociale qui,
01:49:35 il a été rappelé, est aussi extrêmement riche.
01:49:38 Il y a des gens qui travaillent,
01:49:40 certes au chômage, mais ils travaillent,
01:49:42 il y a des gens qui sont engagés dans le monde associatif,
01:49:46 qui, avec leurs moyens, s'engagent dans leur quartier,
01:49:49 il y a des solidarités de cache d'escalier,
01:49:52 je les appelle, qui sont absolument remarquables,
01:49:55 et en même temps, on le voit,
01:49:56 les trafics qui ont pénétré complètement,
01:50:00 on parle d'économie parallèle,
01:50:02 c'est pas hasard si, dans les lieux les plus pauvres,
01:50:05 l'économie parallèle s'est développée.
01:50:08 On peut s'interroger sur cette question.
01:50:10 Donc énormément de défis, beaucoup de vies,
01:50:12 mais dire que l'habitat social,
01:50:14 ou plus largement l'habitat populaire,
01:50:17 c'est une grande aventure, aussi,
01:50:19 ça a été dit, permettre à des gens
01:50:21 de non plus vivre dans des abris,
01:50:23 mais vivre dans des logements,
01:50:26 et j'espère dans de l'habitat,
01:50:28 et surtout pas dans des taudis,
01:50:30 tel que ça l'a été dans les années 50-60,
01:50:33 où, voilà, aujourd'hui, on retrouve du mal-logement,
01:50:36 d'ailleurs, particulièrement dans ces copropriétés.
01:50:39 Aujourd'hui, le mal-logement, c'est dans les copropriétés verticales,
01:50:43 et plus dans le logement social,
01:50:45 qui a amélioré les conditions d'habitabilité.
01:50:48 Aujourd'hui, on meurt dans le logement,
01:50:51 dans la copropriété.
01:50:52 C'est le cas à Marseille.
01:50:54 C'est le cas, aussi, il y a pas très longtemps,
01:50:58 à Grigny, dans un incendie, une jeune fille de 9 ans,
01:51:01 parce qu'il y a de l'habitat indigne.
01:51:03 L'habitat indigne reprend de la vigueur en France,
01:51:06 et le logement social est une solution
01:51:09 à cet habitat indigne,
01:51:10 qui a changé de visage,
01:51:13 quand bien même, nous voyons fleurir aussi
01:51:16 des bidonvilles dans nos autoroutes,
01:51:18 et qu'il y a plus de personnes qui vivent à la rue,
01:51:21 et particulièrement des enfants.
01:51:23 -François Brugel, on l'a suggéré tout à l'heure,
01:51:26 l'architecte ne doit pas penser qu'en architecte,
01:51:30 il doit réfléchir avec des urbanistes
01:51:32 et des élus locaux.
01:51:34 Comment vous articulez votre travail ?
01:51:36 -Oui. L'architecte, il est au service.
01:51:39 Il est au service des gens, en fait,
01:51:42 tout simplement. L'architecte, c'est ça.
01:51:45 Et l'architecte, il est à la fois dans une logique de son temps,
01:51:49 mais aussi dans cette grande histoire.
01:51:52 Et ça, c'est ce qu'on essaye de toujours tenir
01:51:55 aux deux extrémités. C'est engageant.
01:51:57 -Une dernière image pour vous deux,
01:52:01 une dernière utopie architecturale.
01:52:04 On en a parlé, les tours Ayo à Nanterre,
01:52:06 le plus souvent appelés "tours nuages",
01:52:08 avec leurs couleurs,
01:52:10 leurs nuages qui sont peints sur les façades,
01:52:13 leur rondeur, leurs fenêtres en forme de gouttes d'eau.
01:52:16 C'est un reportage d'Antenne 2 de 77.
01:52:18 -C'est une non-architecture.
01:52:22 C'est une façon de nier l'architecture.
01:52:25 Et dans ces nuages-là, on sent bien que l'enfant sait bien
01:52:29 qu'il habite dans le petit nuage blanc.
01:52:31 Il arrive dans cette immensité de fenêtres
01:52:35 à savoir qu'il est dans ce nuage blanc.
01:52:37 Ça divise et ça personnalise le lieu.
01:52:40 -Pourriez-vous vivre ici comme Véronica ?
01:52:44 -L'environnement est fait pour être manipulé par l'homme.
01:52:51 -J'étais passée devant ces tours
01:52:53 quand elles étaient en construction il y a un an.
01:52:56 Avec mon mari, on avait décidé qu'on n'y habiterait jamais.
01:52:59 Et on s'y retrouve.
01:53:00 -Votre 1er sentiment quand vous les avez vues ?
01:53:03 -J'ai trouvé que c'était l'an 2000
01:53:05 dans un mauvais bouquin de science-fiction.
01:53:08 -Je dis parfois qu'effectivement,
01:53:10 c'est plus l'alentour que les tours dans mon cas.
01:53:12 Effectivement, le paysage sera extraordinairement modelé
01:53:16 et on pourra très bien descendre avec son enfant
01:53:19 ou lire son journal sans voir les autres,
01:53:22 qui sont toujours la difficulté d'être de tout le monde
01:53:25 dans cet univers d'HLM très populaire.
01:53:28 -Si vous aviez l'architecte M. Hayau devant vous,
01:53:31 qu'est-ce que vous lui diriez ?
01:53:33 -Je lui demanderais surtout pourquoi il a fait ça.
01:53:36 Dans quel but ?
01:53:38 Je me suis opposé à cette collectivité,
01:53:41 cette impérieuse que l'on pose aux gens,
01:53:44 de les faire croire qu'ils sont tous semblables,
01:53:47 alors que chacun est différent.
01:53:49 Futile au niveau de l'HLM, chacun est différent.
01:53:53 Donc, mettre en silo, contiguë et semblable
01:53:57 les 15 étages ou les 30 étages d'une tour
01:54:00 est une mauvaise action.
01:54:02 Je crois que c'est notre mal contemporain,
01:54:07 d'avoir rendu les gens tous semblables,
01:54:09 parce qu'il est comode de les écarrir, de les gouverner,
01:54:12 de les manipuler, de leur vendre à tous la même chose,
01:54:15 puisqu'il est entendu qu'ils sont semblables.
01:54:18 Or, ils ne le sont pas.
01:54:20 -Monsieur, que pensez-vous de ces tours ?
01:54:22 -C'est une horreur qu'il fallait démolir.
01:54:24 Les 6 baux pavillons avant étaient magnifiques.
01:54:27 Avoir des horreurs comme ça, c'est pas à peine.
01:54:30 -Les tours ! -Qu'en pensez-vous ?
01:54:32 -Les tours de...
01:54:33 Rires
01:54:34 -C'est le bistrot qui manque.
01:54:37 -J'aime tellement ça, je voulais acheter un appartement.
01:54:40 Et on m'a dit que c'était déjà célèbre.
01:54:43 J'en étais vraiment surpris et content
01:54:47 de penser que des ouvriers pourraient avoir
01:54:50 à vivre dans un lieu tellement joli, tellement bien,
01:54:53 tellement propre.
01:54:55 -Vous avez pu constater, en les voyant habiter,
01:55:01 que le mur extérieur, qui est centré,
01:55:03 n'est d'habitude pas, ne comporte pas d'habitude le lit et le buffet.
01:55:08 Ce sont les autres murs, les pièces sont écarries de l'autre côté.
01:55:11 Je suis surpris même de voir l'invention
01:55:15 que des tas de gens, et pas simplement des jeunes,
01:55:18 ont pu déployer pour habiter là-dedans.
01:55:20 -Je plains les gens qui sont pas jeunes mariés
01:55:23 et qui ont déjà des meubles pour s'installer.
01:55:26 -Il faut avoir des meubles ronds ?
01:55:27 -Non, il n'y a pas besoin de meubles ronds,
01:55:30 mais les murs qui sont plats sont petits.
01:55:33 Enfin, dans mon appartement.
01:55:35 -Vous-même, habiteriez-vous dans une tour aïeau de la Défense ?
01:55:39 -C'est une question que l'on me pose souvent et qui est fausse.
01:55:42 Je ne suis pas ni à l'âge ni à l'état d'habiter des HLM.
01:55:47 Il est certain, il est certain que si j'avais l'âge
01:55:50 et l'obligation d'habiter un HLM,
01:55:52 c'est-à-dire, évidemment, de n'avoir aucun revenu,
01:55:56 et d'avoir... Certainement, j'habiterais là passionnément.
01:56:01 -Quel est votre but ?
01:56:02 -Aller à la campagne.
01:56:04 -Le béton ne remplacera jamais les fleurs des champs,
01:56:09 des appartements restent vides,
01:56:11 peut-être à cause de la peur et de l'angoisse de cet univers.
01:56:14 -Ce n'est pas anecdotique, la question posée.
01:56:17 François Brogère, est-ce que vous vous préoccupez
01:56:19 de la façon dont les familles qui s'installeront
01:56:22 dans les appartements que vous dessinez
01:56:24 pourront occuper l'espace et poser leurs meubles ?
01:56:27 -Oui, c'est une grande question.
01:56:29 -Vous vous en occupez ? -Oui.
01:56:32 L'usage, c'est essentiel.
01:56:35 -Pas seulement l'apparence, la façade.
01:56:37 -L'apparence...
01:56:38 Emile Ayo partait à la fois de l'intérieur,
01:56:41 c'est ce qu'il lui disait,
01:56:42 "Je pars de l'intérieur de l'appartement,
01:56:45 "la question de l'intimité, et en même temps,
01:56:47 "je parle de forme." L'enjeu est entre les deux.
01:56:50 C'est dans la résolution de ces choses-là,
01:56:52 mais l'usage, c'est important.
01:56:54 -Merci beaucoup, François Brogère.
01:56:56 Merci, Philippe Rione, de nous avoir accompagnés
01:56:59 pour cette plongée express.
01:57:02 Enfin, quand même, deux heures d'émission
01:57:04 dans l'histoire des grands ensembles à la télévision,
01:57:07 et particulièrement pour la grande borne à Rio.
01:57:11 Non, pas Rio, ce serait mieux, peut-être,
01:57:13 mais à Grigny, dans les Seines.
01:57:15 Merci à vous. Merci, Richard Poirot.
01:57:18 Merci de nous avoir suivis.
01:57:19 Je vous dis à très bientôt
01:57:21 pour de nouvelles aventures dans les archives de l'INA.
01:57:24 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
01:57:28 ...

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