• il y a 9 mois
Depuis deux semaines, les agriculteurs de toute la France bloquent les routes, les autoroutes et les ronds-points pour alerter sur la situation économique de secteur. Les images sont marquantes, mais elles le sont moins qu'il y a quelques dizaines d'années.

Category

🗞
News
Transcription
00:00 L'invité du 6/9
00:02 Et avec notre invité, on va revenir sur la colère des agriculteurs.
00:05 400 millions d'euros débloqués par le gouvernement.
00:08 Du coup, certains barrages sont levés ce matin un peu partout en France.
00:12 Mais chez nous, dans les Pyrénées-Orientales, ça devrait de nouveau coincer tout à l'heure,
00:16 notamment sur la route de Landor, secteur de la Croisade,
00:19 barrage filtrant programmé aussi du côté de Prades.
00:21 Ce matin, avec notre invité, on va s'arrêter, on va prendre le temps pour comprendre.
00:26 Votre invité, Suzanne Chojaï, il est ancien journaliste,
00:28 il est aussi spécialiste de l'histoire de l'agriculture dans les Pyrénées-Orientales.
00:32 Bonjour Bernard, vous avez notamment écrit plusieurs livres sur le sujet,
00:36 l'histoire du pays catalan et de l'agriculture aussi dans le département.
00:40 Vous avez travaillé au journal l'Indépendant et à France Bleu Roussillon aussi.
00:43 Alors on va un peu remonter le temps pour commencer.
00:46 Quand vous faisiez vos études dans les années 60,
00:49 vous preniez la route depuis l'Épée Haut pour rejoindre Montpellier, si je ne me trompe pas.
00:52 Et cette route, vous trouvez qu'elle a changé ? Qu'est-ce qui a changé ?
00:55 Ce qui a beaucoup changé, c'est le paysage évidemment,
00:59 puisqu'il n'y avait pas d'autoroute, on traversait les villes,
01:03 et de part et d'autre de la route, il y avait des vignes à perte de vue.
01:07 Donc on appelait l'Angot de Grossillon le "Midi viticole",
01:11 parce que la viticulture était pratiquement une monoculture dans cette région.
01:16 Et pourquoi il y a moins de vignes aujourd'hui alors ?
01:19 Parce qu'on les a arrachées, ou on les a abandonnées,
01:21 ou bien elles sont revenues à l'Afrique, ou alors elles ont été urbanisées en lotissement.
01:25 Et alors pourquoi on les a arrachées ?
01:27 Eh bien on les a arrachées, c'est une longue histoire,
01:30 c'est une suite de crises dans laquelle la France et l'Europe ont investi des milliards d'euros,
01:38 ça coûtait très cher, pour réduire la production de vins du Languedoc-Grossillon,
01:43 qu'au départ on envoyait à la distillation, quand il y avait trop de vins,
01:46 l'État et l'Europe les rachetaient à bas prix,
01:50 et les distillaient, c'est-à-dire l'envoyaient à la chaudière pour faire de l'alcool.
01:54 - Et ça on n'en voulait plus de ce système-là ?
01:56 - Et ça l'Europe n'en voulait plus, parce que l'Europe s'élargissait progressivement,
02:00 et ce qui était le plus menaçant pour les agriculteurs locaux,
02:04 c'était l'entrée de l'Espagne dans le marché commun,
02:06 qu'ils ont essayé de retarder avec des barrages sur l'autoroute,
02:13 alors cette fois il y avait l'autoroute, et sur les routes,
02:16 pour essayer d'empêcher l'Espagne, ou qu'elle rentre le plus tard possible,
02:19 elle est rentrée en 1986, et la grande vague d'arrachage a commencé en 1984,
02:25 avec les accords de Dublin, dont on donnait de l'argent aux viticulteurs
02:30 pour arracher leurs vignes et s'engager à ne pas replanter.
02:34 - Mais justement cette vague d'arrachage, finalement on n'en parle pas beaucoup,
02:38 les agriculteurs n'en parlent pas beaucoup,
02:40 le fait aussi que les élus veuillent transformer les friches en terrain à bâtir,
02:44 pour de nouveaux lotissements, tout ça c'est tabou dans le département ?
02:48 - Ben non, je pense que depuis il y a eu tellement d'histoires,
02:52 tellement de manifestations, tellement de promesses,
02:55 c'est quelque chose de très complexe, et donc c'est vrai qu'on n'en parle pas.
03:04 Bien que ce fameux paysage ait beaucoup changé,
03:07 il y a aujourd'hui le lotissement que les ingénieurs de la direction départementale
03:12 de l'équipement ont appelé des "parkings à maison",
03:15 parce qu'ils pensaient qu'on aurait dû avoir une vision globale,
03:18 on savait que des milliers de personnes venues d'autres régions
03:24 allaient s'installer à Languedoc-Roussillon,
03:26 mais on a rarement programmé un urbanisme adapté
03:31 pour recevoir tous ces gens attirés par ce que les experts de Montpellier
03:34 appelaient le "tropisme solaire".
03:36 - Vous vous dites que l'arrachage des vignes, c'est une forme de licenciement économique,
03:41 pourquoi vous embrouillez cette formule ?
03:43 - Tout à fait, parce qu'on leur donne quand même un pécule,
03:48 pour partir on leur donne un pécule, et en plus,
03:51 si une parcelle devient terrain à bâtir, le vigneron avait les moyens de se renflouer.
03:58 Et donc il y avait un président du syndicat des vignerons,
04:01 qui s'appelle Jean Roger, qui disait
04:04 "Quand tu vois qu'un vigneron a changé de voiture,
04:06 c'est pas parce qu'il a bien vendu sa récolte,
04:08 c'est parce qu'une de ses parcelles a été classée terrain à bâtir".
04:11 Ce qui est significatif de...
04:14 - Oui, c'était un moyen de survivre presque.
04:17 - Oui, parce qu'il faut penser que dans ce département,
04:21 les viticulteurs se battaient depuis 1907.
04:24 1907, c'est la grande révolte des vignerons,
04:28 avec 160 000 manifestants à Perpignan.
04:31 Si je vous dis 160 000 manifestants à Perpignan,
04:34 et on a des photos, c'est quelque chose de...
04:36 - Rien à voir avec les mouvements d'aujourd'hui.
04:38 - Rien à voir avec les mouvements d'aujourd'hui,
04:39 tout le monde le suivait.
04:40 Les villages vivaient de l'agriculture.
04:42 - On va y revenir dans un instant,
04:45 juste pour terminer sur l'arrachage des vignes.
04:47 Selon vous, c'est comme si on leur conseillait d'abandonner
04:50 quand on leur propose d'arracher ?
04:51 - Tout à fait.
04:52 Parce qu'on arrivait aussi à...
04:55 Il y avait l'âge aussi qui jouait.
04:57 Ces viticulteurs se rapprochaient de l'âge de la retraite,
05:00 ils n'avaient pas de repreneurs,
05:02 et donc c'était un moyen pour eux de partir avec un pécule
05:06 et ne pas vivre dans la misère,
05:08 puisque les retraites agricoles étaient très très très faibles.
05:12 - Il est 7h52 sur France Bleu,
05:14 on se fait un tchotchahi.
05:15 Notre invité est Bernard Rieu,
05:16 ancien journaliste à l'Indépendance,
05:18 spécialiste de l'agriculture.
05:19 - Vous évoquiez tout à l'heure les mouvements sociaux
05:22 qu'on a connus par le passé dans le département.
05:25 Revenons sur le mouvement des agriculteurs aujourd'hui,
05:28 depuis deux semaines maintenant en France,
05:30 avec des routes bloquées partout.
05:32 Hier, on a vu aussi les agriculteurs des P.O.
05:34 stopper des camions étrangers sur l'autoroute
05:36 pour montrer la concurrence des marchandises espagnoles,
05:39 notamment en concurrence déloyale.
05:41 - Déloyale, oui, c'est le mot.
05:42 - La mutuelle sociale agricole de Narbonne a été incendiée également.
05:46 Est-ce qu'on avait connu de tels soulèvements
05:49 dans le passé en France ?
05:51 - Dans le passé, c'était pire.
05:53 Par exemple, avant Montredonc-Corbière,
05:55 où il y a eu deux morts,
05:56 un commandant de CRS et un viticulteur,
05:58 Emile Puitès.
05:59 Donc avant, les perceptions avaient sauté.
06:04 Les mouvements d'action viticole
06:07 ont plastiqué les services fiscaux,
06:11 ont attaqué des bateaux même.
06:15 Dans le port de Sète,
06:16 il y avait un pinardier qui amenait du vin d'Italie.
06:19 Il a été pris à l'abordage par les viticulteurs
06:21 où ils allaient casser les chais
06:23 dont ils savaient que le propriétaire
06:26 avait acheté du vin algérien.
06:30 Parce que dans les années 1970,
06:31 le vin algérien rentrait encore en France.
06:34 Donc ils allaient...
06:36 Par exemple, Montredonc-Corbière en 1976
06:40 a commencé par une expédition des vignerons aux doigts
06:43 à Meximeux,
06:45 donc hors du Languedoc-Roussillon.
06:48 - Mais comment on peut expliquer
06:49 qu'aujourd'hui le mouvement soit plus calme
06:51 alors que la situation économique des agriculteurs est pire ?
06:54 - Parce qu'ils sont moins nombreux.
06:56 À l'époque, vous aviez une manif à Montpellier,
06:59 c'était 20 ou 30 000 personnes.
07:01 Et après, en sortant de la manif,
07:03 ils allaient casser le péage de Saint-Jean-de-Vedas,
07:06 par exemple,
07:07 pour bien montrer qu'il y avait des dégâts.
07:11 - Moins nombreux, donc moins forts.
07:13 - Donc moins forts, évidemment.
07:16 - Dernière question pour terminer.
07:18 Est-ce que l'agriculture, selon vous,
07:20 est condamnée à disparaître dans les Pyrénées-Orientales ?
07:23 - Je ne crois pas.
07:24 En ayant suivi l'évolution de la viticulture,
07:28 je trouve qu'aujourd'hui les vins sont devenus excellents.
07:31 Ils ont fait ce qu'on leur avait demandé.
07:33 Pompidou avait dit "faites la qualité, nous ferons le reste".
07:36 Ils ont fait la qualité.
07:37 On a aujourd'hui des vins remarquables en Russie.
07:40 - Oui, mais maintenant il y a la sécheresse.
07:41 Il n'y a plus d'eau aujourd'hui dans le département.
07:43 Ça s'ajoute aussi comme problématique.
07:45 - Ça c'est une autre problématique qui est venue.
07:49 C'est le ciel qui s'est fâché.
07:52 C'est une autre problématique,
07:54 mais je pense qu'ils ont beaucoup de résilience.
07:56 Il faut voir que ce sont des gens qui sont prêts à résister.
08:00 Je pense qu'ils s'en sortiront.
08:02 - Merci beaucoup Bernard Rieux d'avoir été avec nous ce matin.
08:05 On le rappelle, vous étiez journaliste à l'Indépendant,
08:07 également aussi à France Bleu Roussillon.
08:10 Vous avez écrit plusieurs livres sur l'histoire de l'agriculture dans notre département.
08:13 Merci et bonne journée.
08:14 - Merci.

Recommandations