• 9 months ago
"Tout ce que j’ai fait, c’est pour me barrer de la réalité." Patrick Sébastien, légende de la télévision et de la chanson populaire, est venu prononcer son oraison funèbre.

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00:00 Je pense que mon cercueil y aura une bosse à hauteur de la bite,
00:02 juste pour énerver les bien-pensants une fois de plus.
00:06 Je t'ai dit sur ma tombe, il y aura marqué "Si vous m'aimez, fermez vos gueules".
00:09 C'est pas loin en plus.
00:10 Là, on fait l'interview, si ça se trouve, le temps que ça passe, je serai déjà plus là.
00:13 Bonjour, je suis Patrick Sébastien et par bonheur, je suis mort.
00:17 Donc, on dira tellement de choses le jour où je vais mourir
00:20 que je préfère vous dire ma vérité à moi.
00:22 Patrick Sébastien sera enterré à Martel, qui est une commune du Lot magnifique,
00:27 où je vis depuis 40 ans.
00:29 J'ai acheté la concession, j'ai acheté la pierre et tout.
00:32 Non, non, j'ai fait les plans, tout, c'est bien.
00:34 J'ai visité l'appartement de témoin, c'est sympa.
00:35 Il y aura une grille autour et je fais installer de chaque côté
00:39 ce que j'appelle des bancs de conversation,
00:42 où des gens qui ne se connaissent pas pourront s'asseoir et partager les mêmes idées.
00:45 Je trouve que c'est sympa.
00:46 J'ai hésité à mettre la tireuse à bière.
00:48 Il y aura un cendrier, ça c'est sûr.
00:50 Et puis, je t'ai dit, il y aura marqué "Si vous m'aimez, fermez vos gueules".
00:54 Ce qui est mieux que l'épitaphe qu'on m'a proposé récemment,
00:56 où il voulait que j'écrive, ce n'est pas le trou que je préfère.
00:59 Mais ça, je n'oserais pas le mettre.
01:00 Pour l'instant, mon fils est enterré dans un autre cimetière.
01:04 Et là, dans les jours qui viennent,
01:06 je fais rapatrier son corps pour qu'il soit à côté de moi.
01:09 Parce que ça restera quand même une blessure béante.
01:13 Je ne pense pas que j'irai le rejoindre parce que je ne crois pas à l'après.
01:15 Mais bon, voilà, il sera à côté.
01:17 Et puis la cérémonie, j'ai prévu plein de trucs.
01:20 Moi, je veux des bandasses à mon enterrement.
01:22 Je pense que je vais enregistrer un petit texte avant,
01:23 genre pour une fois, on est complet.
01:25 Ah tiens, il y a des enculés là, là, là, là.
01:27 Je suis capable de les balancer en plus.
01:29 Ce qui est important, c'est peut-être les gens que je ne connais pas.
01:35 C'est ceux-là qui m'ont fait le plus de bien.
01:37 Ils ont vengé le père qui ne m'a pas reconnu.
01:39 Eux, ils m'ont reconnu.
01:40 Et je sais qu'il y en a beaucoup, beaucoup qui sont très, très sincères.
01:43 Ce n'est pas le cas forcément de tous les gens qui étaient autour de moi au quotidien.
01:46 J'ai été plein, plein de choses.
01:51 Je ne voulais pas être un artiste juste classé dans une catégorie.
01:54 Donc, j'ai fait des choses avec plus ou moins de bonheur.
01:56 Au départ, je voulais être prof de lettres.
01:57 J'ai toujours été fasciné par les mots.
01:58 Pour moi, le bouquin le plus important, c'est le dictionnaire.
02:00 Tout ce que j'ai fait, c'est pour me barrer de la réalité.
02:03 Quand j'ai passé le bac en candidat libre,
02:05 je suis tombé sur un prof de philo qui était un bon vivant.
02:07 Et ce type nous a dit une phrase qui nous a marqué la vie.
02:10 Il nous a dit, il ne faut pas vivre pour penser, il faut penser à vivre.
02:13 Et on a appliqué ça.
02:14 Et donc, je me suis dit, si je reste dans la futilité,
02:16 quelle que soit ma culture, je vais me régaler.
02:18 Je vais connaître des jolies filles, je vais faire rire des gens,
02:21 je vais avoir de l'amour en retour.
02:22 Et j'ai choisi la légèreté volontairement.
02:24 Mais dans le fond, ce n'est pas ma nature profonde.
02:26 Ma nature profonde, elle est beaucoup plus complexe,
02:29 beaucoup plus noire, beaucoup plus réfléchie.
02:31 Aucune trace.
02:35 C'est bon, je ne suis pas un escargot, je ne suis pas un glimas.
02:38 Il ne faut pas laisser de traces.
02:39 Ce qui m'intéresse, c'est le présent.
02:40 Ce qui m'importe, c'est, tu vois, je suis rempli dans la pièce.
02:42 Tout à l'heure, vous êtes tous des minots ici.
02:45 Et je vous ai vus tous gentils, avec un sourire bienveillant.
02:48 Ça me touche.
02:49 C'était le but de ma vie, ça.
02:50 De pouvoir croiser des gens qui sont en osmose avec ça, quoi.
02:54 Je n'aime pas les conflits, je déteste les conflits.
02:57 C'est pour ça que je suis beaucoup mieux hors de la télé.
02:58 Et je me demande même si ce n'est pas la plus belle chose qui m'est arrivée,
03:00 qui m'est virée à ce moment-là.
03:02 Si tu veux, la télé a fabriqué, ça a été formidable.
03:04 Le monde de la télé autour, c'est le pire que j'ai connu.
03:07 Au niveau des saloperies, des trahisons,
03:10 ils m'ont viré comme une merde, sans me parler.
03:13 Non.
03:17 Si, si, le seul regret, mais ce regret, il appartient à tous les artistes.
03:21 On ne s'est pas assez occupé de nos enfants,
03:23 parce qu'on n'était pas présents.
03:24 Tu ne peux pas faire les deux.
03:25 Tu peux rattraper plein de choses dans la vie, une erreur, une connerie, etc.
03:28 Les journées que tu n'as pas passées avec tes enfants, tu ne les rattrapes pas.
03:31 Ça, c'est peut-être mon seul regret.
03:34 Ouais.
03:35 Et puis d'être né.
03:35 Voilà, moi, j'étais bien dans le placenta.
03:38 Il faisait chaud, on ne m'emmerdait pas,
03:40 il n'y avait pas de marteau-piqueur à côté,
03:41 il y avait la chaleur de ma maman.
03:44 Mais je suis content d'avoir vécu ce que j'ai vécu, c'était vachement bien.
03:47 Mais il n'y a pas un seul soir où je ne me demande pas
03:51 est-ce que j'ai tout réussi ou est-ce que j'ai tout raté ?
03:53 Est-ce que c'était la vie que vraiment j'aurais dû avoir ?
03:56 Mais bon, c'est fait, c'est fait.
03:57 J'y pense tous les jours à la mort.
04:01 J'y pense depuis que je suis né.
04:03 On est condamné à mourir, on n'est pas condamné à vivre.
04:05 Sur les couveuses, on devrait marquer "Vivres-tu ?"
04:07 Ça nous permettrait de ne pas gâcher sa vie.
04:09 Mourir ne m'emmerde pas plus que ça.
04:11 Les souffrances, bien sûr, comme tout le monde, mais...
04:13 Je fais partie des gens qui croient à l'inéluctable.
04:16 C'est-à-dire moi, je pense, mais ça va partir moi,
04:18 que tout est écrit, tout.
04:20 Qu'on n'a pas de libre arbitre.
04:21 Quand on fait un choix, il y a quelque chose qui décide pour nous.
04:24 Donc ma mort, elle est programmée tel jour, telle heure.
04:27 Ça permet de prendre la vie vachement mieux.
04:29 S'il y a une chose qui me hante, c'est la conscience.
04:32 C'est de se dire "mais j'espère, de tout cœur, que je ne serai pas conscient après".
04:36 J'espère que ça s'arrête, que c'est noir, c'est fini,
04:39 le film est terminé, on quitte la salle.
04:41 Ah oui, oui, ça m'emmerderait qu'il y ait une conscience après,
04:43 t'imagines ? Je suis claustro en plus.
04:45 Tu sais, ma phrase de chevet, c'est une phrase de mon papa de cœur,
04:50 qui s'appelait Frédéric Dard, qui était un écrivain splendide,
04:52 et qui a écrit à la fin de sa biographie
04:54 "Je suis un vieux fœtus blasé, ma vie m'aura servi de leçon,
04:57 je ne recommencerai plus jamais".
04:59 J'adore cette phrase parce que c'est exactement ce que je suis à mon âge.
05:02 [Générique de fin]
05:04 [SILENCE]

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