"Quand tu progresses dans une entreprise, il y a de moins en moins de femmes". Claire Léost est la présidente de Prisma Media, le premier groupe de presse magazine français. Elle est aussi romancière et maman. Pour Lou, elle nous parle des pièges à éviter quand on est une femme en entreprise : les écarts de salaire, le congé maternité, le temps partiel… Un témoignage inspirant !
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00:00 Bonjour Lou, je m'appelle Claire Léoste et aujourd'hui je viens vous parler de mes vies de patronne de presse
00:05 romancière et maman.
00:08 Tout ça ?
00:08 Et oui !
00:09 Mon job c'est de diriger Prisma Média. Prisma Média c'est le premier groupe de presse magazine en France
00:14 avec une vingtaine de marques comme Voici, Géo, Capital, Femmes Actuelles, TV Loisirs...
00:21 Tu diriges combien de personnes ?
00:23 Alors Prisma Média c'est 1200 personnes environ.
00:25 Ah oui, ça fait beaucoup de monde à te diriger.
00:27 Oui après on est une équipe.
00:28 Mais t'as jamais souffert d'être une femme dans un monde d'hommes ?
00:30 J'ai dû me battre, c'est pour ça que j'ai écrit un livre
00:32 pour aider les jeunes filles qui démarrent dans la vie active qui s'appelle "Le rêve brisé des working girls"
00:37 qui est fondé sur les différentes étapes de mon parcours où j'ai vu qu'il y avait des pièges qui étaient tendus aux femmes
00:41 et qu'il fallait faire attention de ne pas tomber dedans.
00:43 Je me souviens que j'étais dans un comité exécutif
00:46 et j'étais la seule à ne pas avoir de voiture de fonction.
00:48 Donc je suis allée voir mon patron et je lui ai demandé une voiture.
00:51 Déjà j'ai mis des années à me rendre compte et puis quand je me suis rendue compte je n'osais pas aller demander
00:54 donc j'ai fini par aller demander et là il m'a dit "Ah bon mais t'as ton permis toi ?"
00:58 En fait ce qui se passe c'est que quand tu progresses dans une entreprise, il y a de moins en moins de femmes.
01:03 C'est-à-dire que quand tu commences il y a des femmes partout
01:05 et plus tu montes dans la hiérarchie, plus les femmes elles disparaissent.
01:09 Donc j'ai essayé de comprendre ce qu'on faisait, qu'on décrochait
01:12 et pourquoi on décrochait alors qu'on avait les mêmes diplômes que les garçons, les mêmes ambitions.
01:17 Et c'est comme ça que j'ai constaté qu'il y avait une succession de petits renoncements.
01:20 Les écarts de salaire, la posture pendant le congé de maternité.
01:23 C'est-à-dire que moi j'ai bien senti dès que je suis tombée enceinte
01:26 que des hommes venaient me voir en me disant "Mais quand est-ce que tu t'arrêtes ?
01:30 Ménage-toi, fais attention à ton bébé."
01:32 Ils voulaient me mettre sur le bord du chemin, dans le fossé
01:35 parce que finalement des postes intéressants il n'y en a pas tant que ça
01:38 donc il y a une lutte pour les occuper, c'est normal.
01:40 Je me suis rendue compte que les femmes elles passaient tellement de temps à organiser leurs doubles journées
01:45 qu'elles n'avaient pas le temps de créer leur réseau ni en interne ni en externe.
01:49 Et donc on n'allait pas forcément se penser à elles pour des évolutions de postes, pour des jobs.
01:53 Et les garçons pendant ce temps-là, ils se roulaient par terre dans le bureau du patron
01:57 pour avoir une augmentation ou un poste.
01:58 Il y a le sujet du temps partiel aussi qui est je pense une fausse bonne idée pour les femmes.
02:02 Tu te dis "Je vais être à temps partiel pour m'occuper de mes enfants le mercredi" par exemple.
02:05 Donc t'es moins bien payée, t'es pas là le mercredi
02:08 donc les gens vont se dire "Ah bah elle on peut pas vraiment compter sur elle,
02:11 pour les promotions c'est pas idéal."
02:12 Après il y a le rapport au conjoint.
02:14 Tout va bien jusqu'à l'arrivée des enfants
02:16 mais quand les enfants arrivent, il faut qu'il y en ait un des deux qui se mette en retrait.
02:19 Dans 99% des cas, c'est la femme qui va se mettre en retrait
02:22 parce que c'est comme ça, c'est elle qui a porté l'enfant.
02:24 Il y a ce sujet de bien choisir son conjoint.
02:26 C'est peut-être pas très romantique mais...
02:28 En général c'est vers 30 ans qu'on a ses enfants, donc on doit gérer à la fois sa carrière,
02:32 des enfants petits et donc on passe son temps à courir, à essayer de jongler et c'est très dur.
02:37 Mais je trouve qu'il vaut mieux essayer de vivre pleinement les deux, même si c'est difficile.
02:41 Parce qu'après, passé 40 ans, quand les enfants ont grandi et que la carrière est sur une bonne voie,
02:47 là on respire en fait, on retrouve une deuxième adolescence, on retrouve du temps pour soi.
02:52 L'important dans le travail c'est la liberté.
02:54 Donc si on a gagné sa liberté, sa liberté de s'organiser, c'est un luxe très important.
02:58 Alors j'ai deux enfants, deux ados, un garçon de 17 et une fille de 14.
03:04 C'est-à-dire qu'ils m'ont toujours vu travailler, ils m'ont toujours vu au téléphone, sur mes sujets de presse.
03:10 Je pense que les enfants sont imprégnés de tout ce qu'on fait.
03:12 C'est pas la peine d'essayer de trop séparer.
03:15 Par exemple les gens qui disent "moi je laisse mon boulot à l'extérieur".
03:18 Je comprends pas trop en fait parce que quand on rentre le soir, on rentre avec ses soucis du jour.
03:23 Donc moi j'ai jamais cherché à leur cacher quoi que ce soit, soit de mes succès, soit de mes difficultés.
03:29 Parce que ça fait partie de qui je suis.
03:32 Le soir, quand tu rentres chez toi, t'es pas épuisée ?
03:36 Oui, c'est complètement.
03:38 C'est pour ça que j'écris plutôt le week-end et pendant les vacances.
03:42 Alors il faut accepter aussi de pas avoir un rythme de publication, de pas sortir un livre par an.
03:46 L'écriture ça a été vraiment du temps arraché à la vie quotidienne, avec les enfants notamment.
03:50 Donc quand je partais en vacances, je trouvais un endroit où les enfants pouvaient être occupés pour moi pouvoir écrire.
03:54 C'est Virginia Woolf qui dit que pour écrire il faut une chambre à soi.
03:57 Malheureusement quand on est mère et qu'on a un poste à responsabilité, on est tout le temps dérangée, il y a tout le temps du bruit.
04:03 Donc il faut être capable d'écrire dans toutes les situations, dans la cuisine, dans le train, dans le métro.
04:10 Donc c'est pas mal aussi d'écrire sous contrainte.
04:12 En se disant "voilà j'ai deux heures, qu'est-ce que je fais de ces deux heures ?"
04:14 Mais il faut avoir un casque anti-bruit, ouais.
04:16 - Oui, oui.
04:17 [Rire]
04:18 Merci.