Un procès historique s’est ouvert le 8 janvier pour la Gambie. Ousman Sonko, ancien haut dignitaire de la dictature de Yahya Jammeh, répond devant la justice suisse d'une série de présumés crimes contre l’humanité, commis entre 2000 et 2016.
Tortures, massacres perpétrés par les escadrons de la mort ou "Junglers", exécutions extrajudiciaires, viols, disparitions forcées... Depuis 1994 et l’arrivée au pouvoir de Yahya Jammeh par un coup d’État, la Gambie a vécu dans la peur des exactions. Pendant 22 ans, tous les Gambiens ont, directement ou non, fait les frais de la dictature et de ses dérives. Les opposants et les journalistes ont été réduits au silence tandis que Jammeh a retiré son pays du Commonwealth et entamé le retrait de la Cour pénale internationale, tout en transformant la Gambie en une République islamique.Depuis la chute du dictateur en 2016, le pays tente de se reconstruire. En janvier 2017, une commission "Vérité, réconciliation et réparation" a été créée pour faire la lumière sur les crimes perpétrés par le régime et entamer des poursuites contre les responsables. Une première étape pour permettre aux Gambiens d’avancer et d’en finir avec l’ombre de Jammeh, qui vit désormais en exil en Guinée équatoriale.Mais, pour l’heure, aucun procès n’a encore eu lieu dans le pays, et les victimes s'impatientent. Le procès de l’ancien ministre gambien de l'Intérieur, Ousman Sonko, actuellement jugé en Suisse pour crimes contre l'humanité, est donc très attendu en Gambie. Il est accusé d'avoir commis... Lire la suite sur notre site web.
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Tortures, massacres perpétrés par les escadrons de la mort ou "Junglers", exécutions extrajudiciaires, viols, disparitions forcées... Depuis 1994 et l’arrivée au pouvoir de Yahya Jammeh par un coup d’État, la Gambie a vécu dans la peur des exactions. Pendant 22 ans, tous les Gambiens ont, directement ou non, fait les frais de la dictature et de ses dérives. Les opposants et les journalistes ont été réduits au silence tandis que Jammeh a retiré son pays du Commonwealth et entamé le retrait de la Cour pénale internationale, tout en transformant la Gambie en une République islamique.Depuis la chute du dictateur en 2016, le pays tente de se reconstruire. En janvier 2017, une commission "Vérité, réconciliation et réparation" a été créée pour faire la lumière sur les crimes perpétrés par le régime et entamer des poursuites contre les responsables. Une première étape pour permettre aux Gambiens d’avancer et d’en finir avec l’ombre de Jammeh, qui vit désormais en exil en Guinée équatoriale.Mais, pour l’heure, aucun procès n’a encore eu lieu dans le pays, et les victimes s'impatientent. Le procès de l’ancien ministre gambien de l'Intérieur, Ousman Sonko, actuellement jugé en Suisse pour crimes contre l'humanité, est donc très attendu en Gambie. Il est accusé d'avoir commis... Lire la suite sur notre site web.
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NewsTranscription
00:00 [Générique]
00:13 On la surnomme la côte souriante de l'Afrique.
00:16 Un tout petit pays largement ouvert aux touristes.
00:19 Et pourtant, la Gambie a aussi connu une terrible époque,
00:23 marquée par les meurtres, les viols, la torture, le travail forcé.
00:27 Et c'était durant les 22 ans de règne de Yahya Djamé.
00:31 Ce militaire est arrivé au pouvoir par un coup d'État en 1994,
00:35 puis élu à la présidence deux ans plus tard.
00:38 Une présidence qui s'est peu à peu transformée en dictature.
00:41 Les opposants, les journalistes sont réduits au silence.
00:44 Djamé retire son pays du Commonwealth,
00:47 entame le retrait de la Cour pénale internationale
00:50 et transforme la Gambie en une république islamique.
00:54 À partir d'aujourd'hui, la Gambie est une république islamique.
01:00 Il y aura un État islamique qui respectera tous les droits des citoyens et des étrangers.
01:09 Yahya Djamé perd finalement le pouvoir en 2016,
01:12 après des élections dont il mettra deux mois à accepter le résultat.
01:16 Depuis, une commission vérité réconciliation et réparation a été créée
01:21 qui recommande des poursuites contre des responsables du régime.
01:25 Djamé, lui, est à l'abri, en exil en Guinée équatoriale.
01:28 Mais les victimes veulent toujours croire en la justice.
01:31 L'ancien ministre de l'Intérieur, Ousmane Sonko,
01:33 se retrouve d'ailleurs devant un tribunal en Suisse accusé de crime contre l'humanité.
01:38 Billet retour dans la Gambie de Yahya Djamé.
01:40 C'est un reportage de Sarah Sacco et Simon Martin.
01:44 BANJUL, CAPITAL DE LA GAMBIE
01:46 Banjul, capitale de la Gambie.
01:57 La dictature de Yahya Djamé n'a laissé que peu de traces dans les rues de la ville.
02:02 Sept ans après la chute du régime,
02:05 l'Arche 22 est l'un des derniers vestiges encore debout.
02:09 Érigée en 1996 en l'honneur du coup d'État qui a porté Djamé au pouvoir deux ans plus tôt,
02:15 elle trône sur l'un des principaux axes de la ville.
02:19 Un monument qui tient lieu d'injures pour Madisissé.
02:23 Personnellement, je me sens très mal parce que cela me rappelle à chaque fois
02:31 les atrocités que le régime de Yahya Djamé nous a fait subir à moi et à d'autres Gambiens.
02:37 Ce régime a duré 22 ans et cela a été un régime brutal qui a piétiné les droits de l'homme.
02:43 Des personnes ont été tuées pour rien, certains étaient battus pour rien.
02:48 Il y a eu beaucoup de disparitions.
02:52 Madisissé est député et milite pour la justice en Gambie.
02:57 Il tient à nous montrer le mémorial récemment installé de l'autre côté de l'Arche.
03:05 Ces photos que vous voyez sur les pancartes, ce sont celles des victimes de Djamé.
03:11 Accusés de fomenter des coups d'État, d'activisme ou même de sorcellerie,
03:18 chacun de ces portraits représente une des dérives du régime.
03:22 Des crimes encore impunis, bien que les coupables soient parfois connus.
03:27 L'actuel gouvernement a fait voter des lois pour permettre de juger les crimes de torture.
03:35 Ces nouvelles lois vont aider à poursuivre certains responsables.
03:39 Donc je suis un peu soulagé et j'ai beaucoup d'espoir qu'un jour il y ait une justice.
03:48 La justice, Madis l'attend depuis presque 20 ans.
03:56 Il est l'un des plaignants dans le procès d'Ousmane Sonko,
03:59 ancien ministre de l'intérieur de Djamé, qui a débuté en Suisse.
04:03 C'est sous son autorité qu'en 2006, Madis, alors journaliste, est arrêté à sa rédaction.
04:10 Conduit dans les geôles des services de renseignement,
04:14 il est torturé avec un confrère pendant plusieurs semaines.
04:17 Ils utilisaient ce qui leur tombait sous la main pour nous battre.
04:23 Des câbles, des bâtons, mon corps en porte encore les traces.
04:27 Un jour j'étais assis avec Moussa, mon collègue, dans le hall avant qu'on nous ramène en cellule
04:32 et il m'a dit "si nous ne fuyons pas d'ici, ils nous tueront".
04:35 Et il avait raison, ils nous battaient comme si nous n'étions pas humains.
04:39 Madis a survécu à son passage dans les prisons de Djamé.
04:46 Une chance que beaucoup n'ont pas eue.
04:49 Nous connaissons tous les droits de l'homme et le respect pour ces droits.
05:01 Mais en 22 ans de pouvoir de Djamé, nous nous sommes égarés.
05:06 Ces témoignages nous permettent d'examiner notre passé, comment en étions arrivés là,
05:11 comment aller de l'avant et rétablir le droit et l'état de droit dans notre société.
05:16 Sirandao est la fondatrice de la Memory House, la maison de la mémoire.
05:22 Elle a perdu son oncle, assassiné par les hommes de Yahya Djamé.
05:27 Ce lieu est unique en Gambie et rend hommage aux victimes du régime.
05:31 Depuis 2021, le musée plonge ses visiteurs au cœur des heures les plus sombres de la Gambie.
05:37 Pendant 22 longues années, le pays a vécu dans la peur.
05:41 Torture, exactions, disparitions ont touché des responsables politiques,
05:48 des opposants, mais surtout de simples citoyens pris dans l'engrenage de la dictature.
05:55 Vous pouviez être arrêté pour tout et n'importe quoi, pour avoir critiqué Djamé,
06:01 pour croire en autre chose que ses croyances à lui.
06:05 Il a fait arrêter des gens pour sorcellerie, sans preuve évidemment.
06:09 Il a même fait kidnapper des gens atteints du VIH pour soi-disant les soigner lui-même.
06:15 Il y a un homme qui a été détenu simplement parce qu'il ne s'était pas levé au passage de son convoi.
06:21 Il a même été torturé pour cela.
06:25 Beaucoup de ces crimes ont été commis par une milice au service de Yeye Djamé.
06:33 Des hommes redoutés, appelés les "junglers" ou "broussards",
06:37 ou encore "black-black" en raison de leur uniforme noir.
06:41 Les "junglers" leur ont mis un sac plastique autour de la tête et les ont étranglés jusqu'à ce que mort s'en suive.
06:47 L'objectif de la visite, ne jamais oublier ces vies brisées.
06:52 Transmettre leur mémoire, même quand il ne reste rien d'eux.
06:57 Kaniba était charismatique. C'était un jeune homme très intelligent.
07:02 Yeye Djamé l'a vu comme une menace, et il a ordonné qu'il soit enlevé.
07:06 Il a été pris le 18 septembre 2006. On n'a jamais retrouvé sa trace.
07:12 17 ans après sa disparition, la famille de Kaniba Kani vit dans le même village, à la sortie de Banjul.
07:19 Et c'est devant cette maison que l'opposant à Yeye Djamé a été enlevé par des agents de l'État.
07:28 Aïssa Toussaveuve n'a jamais réussi à tourner la page.
07:37 Ces photos me rappellent mon bonheur passé. C'était un homme aimant, attentionné.
07:44 On s'asseyait ici et on riait, on bavardait. Il m'aidait à la maison, pour tout.
07:54 La douleur que ces assassins nous ont causée, je ne l'oublierai jamais. Ils ont brisé nos vies.
08:04 Après la disparition de son mari, Aïssa Toussaveuve a tout tenté pour connaître la vérité.
08:09 A l'époque, elle va même jusqu'à attaquer le régime en justice pour tenter d'obtenir des informations.
08:15 A la chute du régime, elle continue de se battre, en vain.
08:20 Elle vit aujourd'hui avec Lamine, son fils, qui n'a jamais connu son père.
08:32 Face à eux, une chaise vide depuis près de 20 ans et aucune perspective de justice.
08:38 J'ai perdu espoir. Nous ne comprenons pas pourquoi personne n'a rien trouvé jusqu'ici.
08:48 Nous ne savons toujours rien de ce qui lui est arrivé.
08:53 Nous souffrons et nous n'avons rien, aucun soutien.
08:59 Le gouvernement ne se soucie pas des victimes.
09:02 Une commission "Vérité, réconciliation et réparation" a enquêté pendant deux ans et demi sur les crimes du régime Djamé.
09:20 Si elle n'a pas levé toutes les zones d'ombre, beaucoup d'histoires ont pu être élucidées.
09:26 Cette commission a recommandé fin 2021 des poursuites contre des dizaines de personnes, dont Yahya Djamé.
09:32 L'année suivante, Banjul a promis de poursuivre l'ancien président et ses complices.
09:37 Un premier pas, loin d'être suffisant pour Ayesha, qui s'impatiente.
09:44 Son père était le cousin de Yahya Djamé.
09:47 Très proche de l'autocrate, il a fini assassiné par ses hommes de main, les "junglers".
09:52 Aujourd'hui, la jeune femme se bat pour que la justice transitionnelle accélère son pas.
09:56 "Ah ça, c'est ma citation préférée, vivre, apprendre, espérer."
10:02 La militante crée des podcasts depuis maintenant trois ans.
10:06 Le podcast "Des victimes", c'est son titre, compte déjà une vingtaine d'épisodes
10:11 et donne la parole à des victimes autant qu'à des experts en matière de justice transitionnelle.
10:17 "Pour obtenir un jour justice, nous devons maintenir la pression, plaider,
10:22 créer des contenus sur toutes sortes de plateformes
10:25 et s'assurer que le gouvernement entende nos voix tous les jours ou presque pour agir enfin."
10:31 Pour moi, il y a un manque total de volonté politique concernant la justice transitionnelle.
10:36 Ils cherchent juste à cocher des cases.
10:39 "Ok, faisons ça, dédommageons les femmes, dédommageons les hommes,
10:43 dédommageons les femmes, dédommageons les hommes, dédommageons les femmes."
10:47 "C'est un manque total de volonté politique concernant la justice transitionnelle."
10:52 "C'est un manque total de volonté politique concernant la justice transitionnelle."
10:58 "Ok, faisons ça, dédommageons les victimes et passons à autre chose."
11:02 "Mais il s'agit de notre histoire, de ce que nous avons vécu
11:08 et surtout de faire en sorte que cela n'arrive plus jamais."
11:12 Après des années d'inaction, le gouvernement donne quelques signes de bonne volonté.
11:19 Le président, Adama Barro, a présenté un projet,
11:23 une cour chargée de poursuivre 70 présumés criminels du régime
11:27 comme recommandé par la Commission nationale d'enquête.
11:30 Le ministre de la Justice a aussi annoncé la création d'un poste de procureur spécial.
11:36 Quant au futur tribunal, il mixera droit gambien et droit pénal international.
11:41 "Par exemple, la torture n'est pas prise en compte par la loi gambienne,
11:49 mais c'est un crime selon le droit international.
11:54 Donc pour pouvoir poursuivre des présumés auteurs de torture,
11:58 ce tribunal aura besoin d'avoir recours à une juridiction internationale.
12:03 Il faut donc mettre en place une cour capable d'invoquer le droit international.
12:08 C'est la raison pour laquelle nous avons opté pour ce système hybride."
12:12 En attendant cette révolution, certains tentent de muscler l'appareil judiciaire gambien
12:22 qui aura aussi son rôle à jouer.
12:24 Au Parlement, nous retrouvons Maddi Sissé, l'ancien journaliste victime de la dictature.
12:31 Il a été élu juste après la chute de Yahya Djamé.
12:35 "Le problème à l'époque de Djamé, c'était l'application des lois,
12:40 parce que l'exécutif intervenait très souvent dans le système judiciaire."
12:44 Aujourd'hui est un grand jour pour le député.
12:48 Il s'apprête à défendre deux importants textes devant l'hémicycle.
12:52 "Si ces amendements sont votés, cela va aider le système judiciaire du pays,
12:58 tout particulièrement concernant les crimes commis sous l'ancien régime."
13:03 S'ils sont adoptés, les textes défendus par Maddi Sissé
13:10 faciliteront entre autres le travail des juges et des avocats.
13:19 "Car c'est bien devant la justice gambienne que les responsables de second plan doivent être jugés."
13:25 "Honorable Président de l'Assemblée, voici ma conclusion.
13:31 Les lois criminelles protègent, encadrent les actes des êtres humains.
13:35 Elles les guident dans leur conduite."
13:38 Pari réussi pour Maddi. Ce soir-là, le texte sera voté à l'unanimité.
13:46 "Le texte est un acte de justice."
13:49 Pour Maddi et les autres victimes, la vie a repris son cours.
14:01 Mais les cicatrices sont loin d'être refermées.
14:04 Aujourd'hui, leur regard se tourne vers l'international.
14:11 Car l'étau se resserre autour des dignitaires qui ont fui le pays.
14:15 Comme Ousmane Sonko, ancien ministre de l'Intérieur.
14:19 Maddi Sissé est parti civil dans son procès, qui s'est ouvert en Suisse.
14:24 "C'est une étape. On est encore loin du but, mais c'est un pas de plus vers le plus gros poisson.
14:32 Il s'agit de l'ancien président. C'est lui le cerveau derrière toutes ces exactions."
14:39 Yahya Djamé, lui, coule des jours tranquilles depuis son exil en Guinée-Équatoriale.
14:45 Son procès semble très hypothétique, Malabo n'ayant pas d'accord d'extradition avec Banjul.
14:51 Maddi veut rester optimiste.
14:53 "Nous avons créé les bases pour des institutions fortes.
14:59 Quand des dérives ont lieu, elles sont aussitôt arrêtées.
15:02 Alors je suis confiant que ce qu'il s'est passé n'arrivera plus jamais.
15:07 Et que mes enfants et tous les enfants pourront profiter d'une vie meilleure en Gambie
15:13 que celle que nous autres avons connue."
15:16 Maddi veut croire que les fondations sont posées pour bâtir une nouvelle Gambie.
15:27 D'autres victimes, elles, s'impatientent, mais la justice a son propre cours.
15:33 Le seul précédent dans la région, le procès historique du dictateur tchadien Hissenabré,
15:38 avait vu le jour après un combat judiciaire de 17 longues années.
15:44 Et voilà pour ce reportage en Gambie.
15:54 Un reportage que vous pourrez retrouver bien sûr sur France24.com.
15:58 Je vous dis à très vite pour un nouveau numéro de Biéroto.
16:01 [Musique]