• il y a 10 mois
Dans « Kim Kardashian Theory », les journalistes Nesrine Slaoui et
Guillaume Erner brossent le portrait de la star, icone des réseaux sociaux aux multiples facettes. Une conversation intergénérationnelle entre un boomer et une millenial nourrie d’images d’archive et de témoignages d’experts à découvrir sur la plateforme d’Arte.TV

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Transcription
00:00 Nesrin Slawi et Guillaume Erner, bonjour.
00:03 Bonjour.
00:04 Kim Kardashian, pour les néophytes, que vous jouez très bien, Guillaume, d'ailleurs, dans
00:07 le documentaire, c'est avant tout une femme qui a un peu usé, voire abusé de la chirurgie
00:12 esthétique.
00:13 Alors donc, elle s'est possiblement fait agrandir le regard.
00:16 Ça va redresser aussi la queue du sourcil, donner un regard très enjeuleur, ce qu'on
00:19 appelle le fox-eyes ou le cat-eyes.
00:21 Ensuite, elle s'est fait rétrécir et raccourcir le nez, injecter les pommettes pour qu'elles
00:26 soient plus hautes, plus saillantes, et pour faire ressortir l'os de la pommette, elle
00:31 s'est possiblement creusé ce relief et en retirant une petite boule de graisse qui s'appelle
00:36 la boule de Bichat, elle a sculpté complètement l'ovale, la ligne de l'ovale qu'on n'appelle
00:41 plus un ovale aujourd'hui, on appelle ça la jawline.
00:44 Ensuite, elle a eu des injections, bien sûr, dans les lèvres.
00:48 Voilà, donc on descend.
00:49 Alors la liste ne s'arrête pas là, on ne va pas toutes les grainer parce que ça serait
00:53 beaucoup trop long, mais Kim Kardashian explique que l'Infam, la journaliste fondatrice du
00:57 site Le Journal de mon corps, a fait ce qu'elle appelle un upcycling de son corps, mais la
01:03 résumé à son corps, c'est très, même beaucoup trop réducteur, Anne Esrin Slaoui.
01:08 Ça peut aussi vite devenir sexiste, c'est tout le paradoxe de ces superstars-là, c'est
01:11 qu'elles sont à la fois des sex-symbols, ce qu'on appelle aussi des bimbos, c'est-à-dire
01:14 des femmes qui ont joué de leur esthétique, qui se sont amusées avec des injections et
01:18 des multiples opérations, mais qui sont au-delà de ça, plein de choses hyper intéressantes
01:22 qu'on a essayé d'analyser avec Guillaume, avec le prisme aussi de la sociologie, donc
01:26 c'était aussi le but de l'apprendre en dehors de son corps et en même temps d'analyser
01:30 ce que son corps représente dans la société.
01:32 Alors justement, dans le documentaire qui a été construit comme une conversation entre
01:36 un boomer que vous êtes Guillaume et une milléniale, et que je suis aussi d'ailleurs,
01:40 qui compile les innombrables apparitions et des interviews de chercheurs, on voit toutes
01:45 les facettes de Kim Kardashian, une icône de mode, une actrice de télé-réalité, la
01:52 fameuse saga familiale de la famille Kardashian, une femme d'affaires aussi et peut-être
01:57 une future avocate.
01:58 Quelle est la facette qui vous a le plus interpellé Guillaume Erner ?
02:01 Probablement le fait qu'elle est née sur Internet et même plus précisément sur Instagram,
02:06 donc ça c'est vraiment ce que j'ai appris grâce à Nesrin, c'est une femme qui incarne
02:13 une génération nouvelle de people, puisque la célébrité est un concept ancien.
02:18 En revanche, ce qui est nouveau, c'est qu'avec elle, la célébrité se joue sur les réseaux
02:22 sociaux et elle n'est plus en concurrence avec Hollywood, elle mène une existence complètement
02:26 parallèle.
02:27 Elle n'a pas besoin d'Hollywood, elle peut le rejoindre symboliquement, mais sa vie sur
02:32 Snapchat, Instagram et consorts lui suffit tout à fait.
02:36 Elle a 365 millions de followers, de suiveurs comme on dit en français, sur Instagram.
02:40 Est-ce que ça en fait forcément une femme influente Nesrin Islaoui ?
02:43 Forcément, et puis j'aime bien la phrase de Sam Rivière qui intervient dans le documentaire
02:46 qui dit que c'est beaucoup plus d'habitants qu'il y avait dans l'Empire romain.
02:49 Pour qu'on se donne un niveau d'influence possible, c'est surtout que son influence,
02:53 et c'est aussi le but de tous les sociologues et les universitaires qu'on interview, c'est
02:57 le fait qu'elle ait traversé toutes les cultures et que chaque culture s'est appropriée
03:01 d'une certaine façon Kim Kardashian, comme elle-même elle s'est appropriée toutes
03:04 les cultures.
03:05 Donc c'était ça la fascination assez étrange qu'on peut avoir pour cette femme-là et
03:08 c'est surtout la manière dont elle influence aussi plus largement la création d'un métier
03:12 qu'on appelle "influenceur" aujourd'hui.
03:14 En réalité, c'est une des premières ou la première à avoir créé ce métier-là,
03:18 c'est-à-dire faire de la promotion de produits, comme disait Guillaume, c'est-à-dire utiliser
03:21 les réseaux sociaux mais en plus pour faire de la promotion de produits, pour faire des
03:24 partenariats et elle s'enrichit comme ça en parallèle de sa téléréalité.
03:27 Est-ce qu'on peut dire quelque part, Guillaume Erner, qu'elle est un peu le symbole d'une
03:31 époque Kim Kardashian ?
03:32 Oui, c'est-à-dire ce personnage social total, puisque c'est comme ça qu'on a décidé
03:37 de résumer son rôle, est effectivement quelqu'un qui a beaucoup agi sur sa forme physique, au
03:45 sens littéral du terme, mais elle n'a pas fait que cela.
03:48 Et en cela, elle est beaucoup plus intéressante qu'une seule juxtaposition d'opération
03:54 de chirurgie esthétique, elle a réussi à capter également le rapport à la féminité,
03:59 le rapport entre les sexes, une certaine femme de pouvoir aussi, une certaine conception
04:04 du pouvoir féminin et puis aujourd'hui tout est ouvert pour elle.
04:08 C'est-à-dire que l'on voit bien que les catégories sont complètement bousculées.
04:11 Je crois que Donald Trump a été élu président des Etats-Unis et donc on peut tout imaginer
04:17 pour elle, y compris pourquoi pas un rôle politique.
04:20 En tout cas, elle est tout à fait dans cette perception-là des choses.
04:24 Est-ce que Kim Kardashian a aujourd'hui vocation à devenir, entre guillemets, ou peut-être
04:32 même elle est déjà une sex-symbole quelque part pour beaucoup de femmes ? Le documentaire
04:37 montre aussi cela, énormément de femmes s'identifient à Kim Kardashian parce que, comme vous le
04:42 disiez Nesrine, elle mélange esthétiquement des genres différents, elle est un métissage
04:48 en fait.
04:49 Oui, elle a créé en fait un contre-idéal de beauté après Kate Moss, qui étaient
04:54 les mannequins très blancs, très longilignes, etc.
04:56 Elle arriva en bousculant les codes de beauté parce qu'elle est beaucoup plus petite,
05:01 elle a des formes beaucoup plus prononcées, elle est déjà très belle naturellement
05:04 et elle est comme ça de nature, mais elle a exagéré ça avec la chirurgie esthétique
05:08 et effectivement ça a fait du bien à beaucoup de femmes.
05:09 Des femmes qui ont pu assumer leurs cuisses, assumer leurs fesses, assumer leurs formes,
05:13 et en même temps, paradoxalement, cette nouvelle idéale de beauté, elle a créé des nouvelles
05:16 contraintes.
05:17 Par exemple, vous allez avoir des femmes dans le monde entier qui se sont mis à faire des
05:20 squats pour dire "je veux le même fessé que Kim Kardashian donc je vais aller à la
05:23 salle de sport" et ça a créé en fait des nouveaux standards de beauté qui ne sont
05:27 pas si facilement atteignables que l'étaient les anciens.
05:30 Et on se rend compte en même temps qu'elle a pris de Marilyn Monroe, qu'elle a pris
05:33 d'autres stars et que c'est en permanence, ça se renouvelle, c'est des codes qui se
05:36 renouvellent en permanence.
05:37 Et Mérisy Jones le dit aussi dans le documentaire, les sex-symboles, elles peuvent être féministes,
05:42 c'est-à-dire que ça a des sex-symboles aussi bien pour les femmes que pour les hommes.
05:44 Donc les femmes se sont inspirées d'elles, pour le pire et des fois pour le meilleur.
05:48 Guillaume Erner au départ du documentaire, vous dites ne rien savoir et ne pas comprendre
05:53 comment une femme qui, je vous cite, ne fait rien, puisse être aussi puissante.
05:57 Au final, vous en retenez quoi ?
05:59 Parce que par exemple, on apprend que ce que le grand public ne sait pas forcément,
06:03 Kim Kardashian milite pour l'amélioration de l'état des prisons aux Etats-Unis.
06:06 Ça c'est une facette qu'on ne connaît pas beaucoup.
06:08 Oui, elle a donné un contenu politique à sa célébrité.
06:11 Ça fait partie aussi des passages obligés pour les célébrités aux Etats-Unis.
06:14 Si vous atteignez un certain stade de célébrité, vous avez forcément un engagement.
06:19 Mais je pense que c'est un engagement sincère dans son cas à elle.
06:23 Ça signifie aussi que là, on est vraiment sur un phénomène qui est absolument inédit.
06:29 Parce que des people, c'est-à-dire des gens qui ne sont connus que pour leur célébrité,
06:32 et on a eu d'autres jadis, mais des femmes qui arrivent donc à contenir les deux bouts,
06:40 c'est-à-dire à la fois cette célébrité de people sans contenu, parce qu'elle n'est
06:43 ni chanteuse, ni actrice, ni rien de spécifique, jusqu'à avoir un rôle politique.
06:50 Ça, c'est quelque chose a priori de complètement inédit.
06:53 Alors, elle dérape.
06:54 Elle a parfois dérapé Kim Kardashian, mais elle s'en est toujours bien sortie.
07:00 Elle a toujours rebondi.
07:01 On peut citer l'exemple de la sex tape, ce qui apparaît aussi dans le documentaire.
07:06 C'est une déclaration un peu déplacée.
07:09 Et encore, c'est un euphémisme à l'attention des femmes en difficulté.
07:16 Comment elle rebondit ? Et qu'est-ce qui fait qu'elle arrive à chaque fois à tirer
07:21 profit de ces situations et de ces dérapages ?
07:23 Je pense qu'initialement, elle oublie beaucoup ses privilèges.
07:25 C'est pour ça qu'elle "dérape".
07:26 C'est-à-dire qu'elle oublie la condition sociale dans laquelle elle a grandi, qui en
07:30 fait d'elle de toute façon quelqu'un de privilégié.
07:32 Même si, encore une fois, elle a un héritage arménien.
07:35 Elle est très engagée aussi pour la dénonciation du génocide.
07:37 Elle fait partie de la région Swana, qui est une région qui a subi plusieurs formes
07:41 d'oppression.
07:42 Elle est assez inscrite elle-même dans ce monde-là.
07:45 C'est vrai qu'elle a tendance à oublier qu'elle fait quand même partie de la société
07:49 américaine plutôt privilégiée, qui a eu accès à de l'argent.
07:51 En tout cas, un milieu social et culturel assez aisé, comme l'explique Guillaume dans
07:55 le documentaire.
07:56 Et pour ce qui est de sa réaction, c'est d'avoir su très vite comprendre que les réseaux
08:00 sociaux ne sont que polémiques.
08:01 En fait, les réseaux sociaux, qu'on parle de vous en bien ou en mal, dans tous les cas,
08:04 on parle de vous et ça marche pour vous.
08:06 Et c'est là l'essentiel.
08:07 C'est ça.
08:08 Et elle a tellement bien compris ça parce que c'est devenu un mème récurrent avec sa
08:11 téléréalité.
08:12 Elle a fini par surjouer elle-même, je pense, son personnage et la caricature.
08:16 C'est un peu comme Nabila en France.
08:18 On a toujours tendance à considérer que les femmes de téléalité sont un peu bêtes.
08:20 Mais en réalité, elles ne sont pas si bêtes que ça.
08:23 Parce que pour arriver à construire des carrières entières sur des stratégies de communication,
08:26 sur quand répondre, comment répondre, à quel moment.
08:29 Et pour revenir sur l'histoire de la sextape, c'est encore un mythe.
08:33 C'est-à-dire qu'on ne sait pas réellement si c'est la famille qui a organisé la fuite
08:37 de cette vidéo ou si c'est un vol.
08:40 Beaucoup de spécialistes vont plutôt dans le sens d'un vol de cette vidéo intime.
08:44 C'est assez fascinant de voir comment d'une humiliation publique de cette vidéo-là,
08:48 elle en fait une carrière et une manière aussi de se poser en icône, qui refuse l'humiliation
08:54 et donc qui permet aux femmes de se libérer aussi en réalité des injonctions sexuelles.
08:57 Guillaume Erner, pour conclure, quelle leçon vous tirez finalement de ce documentaire ? Qu'est-ce
09:03 que vous en retenez ?
09:04 Tout est possible.
09:05 Et je crois que c'est vraiment la morale de vie de cette femme.
09:10 C'est aussi une morale très inspirée de l'histoire américaine, puisque c'est aussi
09:15 tout à fait édifiant de voir dans quelle mesure cette femme incarne une étape supplémentaire
09:20 dans l'histoire de la célébrité, qui est quand même très liée à l'histoire des
09:24 États-Unis.
09:25 Et je crois que c'est pour ça aussi que les gens sont assez fascinés, y compris ceux
09:29 qui ont des sentiments mêlés à son endroit, parce qu'ils voient finalement que cette
09:34 femme montre que tout est imaginable et qu'on peut vraiment fabriquer son soi à un niveau
09:40 qui est complètement inédit, jusqu'à imaginer que "sky is the limit".
09:49 Donc pourquoi pas une candidature politique, en tout cas un rôle politique, elle en a
09:55 déjà un incontestablement.
09:57 Merci beaucoup Nesrine Slahoui et Guillaume Erner.
09:59 J'appelle que vous êtes réalisateur de Kim Kardashian Théorie, un documentaire de 52
10:03 minutes qui est disponible dès maintenant sur arte.tv.
10:07 Merci à vous, bonne journée.
10:08 Merci.

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