Le 12 juillet 2013, sept personnes sont mortes suite au déraillement d'une locomotive près de Brétigny-sur-Orge. De graves défauts de maintenance du réseau sont mis en évidence. Prendre le train est-il devenu risqué ?
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00:00 C'est une journée particulière pour Lauriane.
00:05 Ce 12 juillet 2016, elle doit affronter un souvenir dramatique.
00:10 Il y a trois ans, la jeune femme était dans le train qui a déraillé en gare de Brétigny.
00:15 Sa blessure n'est pas visible, mais le traumatisme est intact.
00:19 Trois ans après, Lauriane se rend à une commémoration officielle.
00:26 La SNCF a mis à sa disposition une voiture avec chauffeur.
00:30 - Depuis l'accident, je n'ai absolument pas pu remonter dans un train.
00:36 C'est inconcevable pour moi.
00:38 Ça me provoque chez moi des angoisses, limite des...
00:44 Presque des...
00:46 À la limite de la perte de connaissance.
00:47 Tellement je suis angoissée par le train et j'ai peur de l'accident,
00:52 quoi qu'il arrive partout maintenant.
00:53 Donc...
01:02 Le 12 juillet 2013, le train 3657 qui relie Paris à Limoges
01:07 roule à 137 km/h avec 382 passagers à bord.
01:11 Mais en gare de Brétigny, à 35 km de Paris, le train déraille
01:18 en passant sur un aiguillage.
01:23 La rame se scinde en deux.
01:25 Les wagons de queue percutent le quai.
01:28 Le wagon 4 se couche sur la voie et continue à rouler,
01:34 traîner sur 200 m.
01:35 Lauriane était à l'intérieur.
01:38 - Ce jour-là, je raccompagnais ma petite nièce de 5 ans que j'avais
01:43 pris une semaine à la maison pour lui faire passer des vacances.
01:45 Elle n'était jamais partie en vacances.
01:46 On a été tranquillement assises jusqu'au moment où on a senti
01:51 le wagon se soulever d'un coup.
01:53 Le wagon s'est retourné sur le flanc droit et a continué sur
01:56 plusieurs centaines de mètres, comme ça, jusqu'à l'arrêt.
01:59 En fait, quand le wagon s'est plaqué sur la droite, la petite a volé.
02:07 Je l'ai rattrapé d'une main.
02:08 Mais à force du choc, je l'ai lâché.
02:11 Et deux messieurs m'ont aidé à la tenir, malgré que ce monsieur-là
02:14 était blessé, saignait.
02:15 Et je l'ai...
02:18 Je l'ai remercié mille fois, quoi.
02:19 Voilà.
02:20 Au coeur de l'été, dans l'insouciance des vacances,
02:29 c'est l'une des pires catastrophes ferroviaires depuis 20 ans en France.
02:33 Le président de la République se rend sur place.
02:41 La justice ouvre une information judiciaire.
02:48 Bilan, 7 morts, 32 blessés.
02:51 - Pour moi, j'étais en sécurité lorsque je prenais le train.
03:02 Je pensais pas que ça pouvait arriver.
03:04 C'était pour moi, l'heure de l'inconcevable.
03:06 La SNCF ouvre une enquête interne.
03:09 Très vite, son attention se focalise sur une pièce de l'aiguillage
03:13 de Brettigny, cette éclisse.
03:16 Une pièce métallique qui est sortie de son emplacement normal
03:19 et a fait dérailler le train.
03:21 Une éclisse, c'est une sorte d'agrafe en acier qui sert à raccorder
03:26 les rails entre eux.
03:26 Elle est maintenue par six ou quatre boulons.
03:30 Cette pièce est essentielle pour assurer la sécurité des voies.
03:33 A Brettigny, le rapport d'enquête de la SNCF relève toute une série
03:38 d'anomalies liées à cette éclisse.
03:45 Un boulon complètement sorti de son logement, une absence d'écrou,
03:49 une forte oxydation sur la vis, un boulon et un écrou non présent.
03:54 La conclusion du rapport d'enquête est sans appel.
03:58 L'origine directe du déraillement est le retournement de l'éclisse droite.
04:04 Une barre métallique de 8 kg a fait dérailler un train de 400 tonnes.
04:15 En cause, l'entretien des voies, leur maintenance.
04:18 La responsabilité de la SNCF est directement engagée.
04:23 Elle est mise en examen.
04:25 Ce 12 juillet 2016, trois ans après l'accident, Brettigny pleure ses morts.
04:40 Lorsque Lauriane arrive sur place, il y a déjà beaucoup de monde.
04:45 Les victimes et leurs familles se pressent sous les hauts vents.
04:48 Face à une République protocolaire et recueillie.
04:51 Guillaume Pépy, le président de la SNCF, est là.
04:57 La représentante de l'État dépose une gerbe devant la plaque commémorative.
05:04 Le patron de la SNCF apporte des fleurs blanches.
05:13 Pourtant, le ton de la cérémonie n'est pas au consensus.
05:19 La fille d'une victime met en cause la responsabilité de la SNCF.
05:24 - Nous n'abandonnerons jamais jusqu'à ce que justice soit rendue et nous serons encore là après.
05:32 Solide comme un roc, malgré nos souffrances physiques et psychiques.
05:35 Nous ne sommes pas là pour vous faire préférer le train.
05:38 Guillaume Pépy salue une à une les victimes et leurs proches.
05:48 À la fin de la cérémonie, nous tentons de l'interroger.
05:59 - Monsieur Pépy, bonjour, France 2.
06:01 Est-ce que vous avez deux minutes à nous accorder?
06:04 - Nous n'avons pas un jour où on parle.
06:08 - Est-ce que vous pouvez nous assurer aujourd'hui que le...
06:10 - C'est un jour, c'est vraiment pas un jour où on parle.
06:11 - Monsieur Pépy, j'ai une question pour vous.
06:13 Monsieur Pépy, j'ai une question pour vous.
06:15 - Je répète, c'est un jour dommage pour les victimes.
06:16 C'est un jour dommage pour les victimes, c'est pas un jour d'interview ou de commentaire.
06:20 - Est-ce que aujourd'hui, vous pouvez assurer que le réseau ferré est complètement sécurisé?
06:25 Son directeur de la communication s'en mêle.
06:27 - Plein d'autres contagions vont venir sur ce genre de questions.
06:29 - Il va faire une conférence de presse après?
06:32 - Non, il n'y a pas de prise de parole de la SNCF.
06:35 - Ah, d'accord. Apparemment, insister ne sert à rien.
06:40 Nous restons un peu sur notre faim.
06:42 Ce slogan serait-il trop beau pour être vrai?
06:47 Guillaume Pépy a pris la parole plusieurs fois à propos de la catastrophe de Brétigny,
06:54 comme lors de cette conférence de presse en juillet 2014.
06:58 - Nous, nous sommes axés sur une priorité absolue, qui est la manifestation
07:05 de la vérité dans cette catastrophe.
07:07 Manifestation de la vérité sans tabou, sans déni, sans aucune sous-estimation,
07:16 parce que la manifestation de la vérité, c'est ce que nous devons d'abord
07:21 aux victimes et à leurs proches.
07:22 C'est ce que nous devons aux Français qui utilisent fréquemment le système ferroviaire.
07:28 Un discours déterminé.
07:30 Le président de la SNCF promet toute la vérité sur l'accident.
07:35 Lors de notre enquête, nous avons pu consulter des centaines de pages de documents,
07:39 de rapports internes et de pièces judiciaires.
07:41 Et là, c'est un autre récit qui s'écrit.
07:44 Nous apprenons que pendant un an après la catastrophe, le juge d'instruction a mis
07:49 sur écoute plusieurs cadres et employés de la SNCF, ainsi que deux membres
07:54 du service juridique au siège de l'entreprise.
07:56 Dans ces écoutes, certains cadres alertent sur le mauvais état des voies.
08:02 Mais l'une des responsables du service juridique les brief pour arranger
08:06 la vérité devant les enquêteurs.
08:08 Écoutez bien, tout est dans le choix des mots.
08:10 - Ce qui m'ennuie finalement, c'est ton mail qui traîne.
08:17 - Mais mon mail, je le revendique.
08:21 Je ne changerai pas d'une virgule et je ne dirai pas que ça va si ça va pas.
08:24 - Non, tu changerais pas le fond.
08:28 Mais si je m'asseyais à côté de toi et que je mettais certains mots mieux choisis,
08:32 tu changerais.
08:33 Juste pour dire, je mens pas, j'arrange les choses.
08:39 On a supprimé en très mauvais état.
08:41 Ce n'est pas la peine de dire que tout est en très mauvais état.
08:44 Des installations en très mauvais état.
08:49 Nous sommes loin du discours officiel du patron de la SNCF.
08:53 Voilà ce qu'il déclarait lors de la même conférence de presse de juillet 2014.
08:58 - Ce n'est pas parce qu'il y a le cas Bretigny qu'il y a des problèmes
09:01 sur tout le réseau.
09:03 Le réseau ferroviaire français est sûr.
09:06 C'est un réseau qui est entretenu.
09:08 C'est un réseau qui est vérifié.
09:11 C'est un réseau qui est surveillé.
09:13 Sauf que là encore, les écoutes de l'enquête contredisent
09:18 certaines affirmations de Guillaume Pépy.
09:20 Dix mois après l'accident, voici un échange sans équivoque
09:24 entre deux cadres cheminots à propos de l'état des voies
09:27 à proximité même de la gare de Bretigny.
09:30 - Qu'est-ce qui a cassé avant-hier ?
09:32 Des boulons ? Des éclisses ?
09:34 - Des éclisses.
09:35 - Donc c'est bien l'éclisse qui a cassé en son milieu, comme d'habitude ?
09:40 - Oui, oui.
09:42 - Et ton analyse de la situation, c'est quoi ?
09:46 - Mon analyse, c'est que le plancher, il est mort.
09:49 - Bon, c'est pourri à ce point-là ?
09:52 - Mais ce n'est pas la seule, je te rassure.
09:54 Toutes les traversées de jonction de Bretigny sont dans cet état-là.
09:59 Les inquiétudes des agents SNCF ne portent pas seulement sur le secteur de Bretigny.
10:03 Deux autres cadres s'alarment de l'état des voies à Chéron, en région parisienne.
10:07 - Cet après-midi, j'étais en tournée et je suis tombé sur une zone
10:12 où il manquait 5 attaches consécutives, donc...
10:15 - J'ai pas compris, t'es tombé sur une zone ?
10:17 - J'avais 5 attaches consécutives absentes.
10:22 - Oh, putain !
10:24 - J'ai pas compris, t'es tombé sur une zone ?
10:26 - J'ai pas compris, t'es tombé sur une zone ?
10:28 - Oh, putain, putain...
10:30 Dans une autre conversation, à propos d'une voie près de Valence, dans la Drôme,
10:36 2 cheminots évoquent ouvertement le risque d'un nouveau Bretigny.
10:40 - T'as vu la gueule du joint, là ?
10:44 J'ai vu que les photos, mais ça peut pas rester comme ça.
10:46 Le joint est complètement destroy. C'est sur quelle ligne, ça ?
10:49 - C'est Paris-Marseille.
10:52 - Oh, la vache !
10:54 - C'est en gare de Valence. Je ne sais pas ce que ça va donner.
10:58 - Parce que, admettons que l'on est un Bretigny bis...
11:00 - Ouais, ouais.
11:02 - Ça craint, quoi.
11:04 La lecture des 600 pages des coupes judiciaires est édifiante.
11:10 Selon ces documents, des problèmes d'entretien et de sécurité,
11:15 il y en a dans plusieurs régions du pays.
11:18 À Acher, en Ile-de-France, à Saint-Ouen, à Noisy-le-Sec, à Choisy-le-Roi,
11:25 à Massy, à Juvisy, à Montreau, à Valence ou encore à Bordeaux.
11:37 Alertés par ce dossier judiciaire, nous nous interrogeons.
11:43 Sommes-nous en sécurité sur le réseau ferré français ?
11:53 1ère constatation, il y a des accidents.
11:55 Des négligences techniques ou de maintenance,
11:59 comme le mauvais état de l'église de Bretigny, sont souvent en cause.
12:03 En 2014, à Danguin, par exemple, dans les Pyrénées-Atlantiques,
12:09 un train TER percute par l'arrière un TGV qui circule au ralenti.
12:13 L'accident fait 32 blessés.
12:16 Le rapport d'enquête technique désigne les coupables,
12:20 des rats qui ont grignoté les câbles électriques du système de signalisation dans cette guérite.
12:26 Les réparations n'ont pas été faites à temps.
12:29 En tout, nous avons comptabilisé des dizaines d'accidents plus ou moins graves ces 2 dernières années.
12:38 - Dans l'actualité, ce soir, cette collision mortelle entre un TER et un camion, ce matin, à Ebbes, dans les Ardennes.
12:46 Pas plus tard qu'il y a 2 semaines, un train a percuté un poids lourd à un passage à niveau dans les Ardennes.
12:51 Bilan, un mort.
12:53 Mais que se passe-t-il sur les rails pour qu'il y ait autant d'accidents ?
13:00 La SNCF fait régulièrement un état des lieux de son réseau,
13:04 mais ses informations, elle les garde pour elle.
13:07 Pendant plusieurs semaines, nous avons cherché un document confidentiel
13:11 avant qu'il ne tombe opportunément entre nos mains.
13:15 C'est un rapport annuel.
13:17 Il est titré "État et performances du réseau".
13:20 Nous mettons la main sur celui de septembre 2014.
13:24 Le chemin de fer français y est expertisé dans les moindres détails.
13:31 Le réseau national, c'est 30 000 km de voies, dont 2 000 km de lignes TGV.
13:40 L'essentiel du réseau est composé de grandes lignes intercités et de lignes dites secondaires.
13:46 L'âge moyen des voies hors TGV est compris entre 25 et 73 ans.
13:54 Dans ce document, on apprend surtout que toute une partie du réseau secondaire
14:03 est considérée par la SNCF comme obsolète.
14:07 Tout ce qui est en jaune, en rouge ou en bordeaux sur cette carte,
14:10 ce sont des voies classées "obsolètes",
14:13 ce qui n'empêche pas la compagnie de continuer à y faire circuler des trains.
14:18 Qu'est-ce qu'une voie obsolète ?
14:25 Nous avons cherché dans le dictionnaire.
14:28 Obsolète, ça veut dire dépassée, périmée, usée.
14:34 En langage SNCF, obsolète signifie qu'il y a au moins une partie de la voie
14:39 qui nécessite des réparations.
14:42 Et si on allait voir à quoi ressemble une voie obsolète ?
14:46 Nous en identifions une dans le rapport 2014 de la SNCF à 1h de train de Paris,
14:51 la voie Chartres-Courtalain.
14:55 Nous donnons rendez-vous à un cheminot pour qu'il nous emmène sur le terrain.
15:01 Il souhaite rester anonyme par peur de représailles de sa hiérarchie.
15:06 Avant de venir, nous avons pu dénicher le rapport d'alerte
15:13 établi par les agents de maintenance de cet itinéraire en 2013.
15:17 Sur 23 km de voie, entre Chartres et Courtalain,
15:21 ils ont relevé plus d'une centaine de problèmes.
15:25 Des traverses en bois et en béton hors service,
15:28 des rails abîmés, des attaches de voies absentes.
15:32 Les agents demandent à faire des réparations.
15:36 Notre guide est agent de maintenance.
15:39 C'est un syndicaliste.
15:41 Pour le protéger, on ne précisera pas à quel syndicat il appartient.
15:45 Cela fait plus de 30 ans qu'il travaille le long des voies.
15:49 - Il faut que je fasse attention,
15:51 parce qu'il y a peut-être un agent SNCF qui travaille là.
15:54 Ouais. Là, il y a pas d'agent SNCF.
15:57 On a au PN33, l'Inchart de Bordeaux.
16:00 - Avant de le suivre, petite leçon de chemin de fer.
16:06 Parmi les pièces essentielles de la voie,
16:12 il y a les rails de métal.
16:15 Il y a les éclisses, qui relient les rails entre eux.
16:19 Les traverses, qui maintiennent leur bon écartement.
16:23 Et les tire-fonds, qui servent à fixer les rails sur les traverses.
16:27 Le tout est posé sur un remblay de pierre,
16:30 qu'on appelle le balaste.
16:33 Nous démarrons notre inspection.
16:38 Très vite, nous constatons qu'une partie des pièces défectueuses
16:42 a été consolidée ou remplacée.
16:45 Mais pas toutes. Loin de là.
16:47 - La traverse, elle tient plus à rien.
16:49 Elle est remontée, elle est pourrie de l'intérieur.
16:52 La traverse, c'est la stabilité de la voie.
16:55 Là, vous avez une traverse qui ne fait plus ses fonctions,
16:59 qui est presque pétée, cassée au milieu,
17:02 qui est creusée, usée, limite d'usage.
17:05 On met la main dedans. Le point est dedans.
17:08 Tellement elle est pourrie. Le point.
17:11 Ca montre que des gars qui ont fait des tournées,
17:15 qui ont eu peur, qui ont pris des photos
17:18 pour alerter la direction de l'Etat-vice-membre,
17:21 qui ont fait des tournées, qui ont fait des photos,
17:24 qui ont fait des photos, qui ont fait des photos,
17:27 qui ont fait des photos, qui ont fait des photos.
17:30 Et là, on a une trace de la traverse.
17:33 - On va continuer, parce que je pense qu'il y en a d'autres plus loin.
17:37 C'est tout le long.
17:39 - Nous marchons sur plus d'un kilomètre.
17:42 Un peu partout, nous notons que des travaux
17:45 ont été oubliés ou remis à plus tard.
17:48 - On a un train qui est parti sur 2-3 m,
17:51 c'est-à-dire que le contact se fait mal
17:54 avec les boudins du train, et c'est de part et d'autre.
17:57 Il y en a là-bas aussi, qui est usé.
18:00 Si ça continue comme ça, un jour, on peut avoir les rails cassés.
18:03 On peut avoir des défauts graves.
18:05 Il ne faudrait pas que ça casse en plusieurs morceaux.
18:08 Ca peut risquer de faire dérailler un train.
18:11 - Là, il y a des trains de voyageurs qui passent.
18:14 - Oui, des trains de voyageurs qui roulent à 100 km/h
18:17 ou à 100 mètres de long.
18:19 Quelques centaines de mètres plus loin,
18:22 nous découvrons des dégradations qui ne sont pas mentionnées
18:25 dans le rapport des cheminots de 2013.
18:28 - Le charfon est là. La cheville, tout est pourri.
18:31 Le travers, c'est pourri. Et ça continue.
18:34 Là, ça se soulève, c'est pourri.
18:37 C'est une catastrophe. Le charfon, il ne tient pas.
18:40 On l'enlève à la main.
18:43 Le charfon, ça ne tient pas.
18:46 Il tient tout le long.
18:49 Il s'en va aussi.
18:52 Il n'y a rien qui tient.
18:55 On est au 115, 300 et dans le rapport, ça n'y est pas.
18:58 - Ca veut dire que le rapport est alarmant,
19:01 mais il y a encore des problèmes sur la voie
19:04 qui ne sont pas notés dans le rapport.
19:07 - Qu'est-ce que ça impliquerait de changer de traverse?
19:10 - C'est du boulot. C'est compliqué.
19:13 - Vous avez vu comment ça tape?
19:16 Vous avez vu le bruit?
19:19 Face au ravage du temps,
19:22 la SNCF ne reste pas inactive.
19:25 Elle communique régulièrement auprès du public
19:28 pour valoriser ses efforts de modernisation.
19:31 - Réseau ferré de France construit le réseau de demain
19:34 tout en faisant fonctionner celui d'aujourd'hui.
19:37 - Récemment, elle a publié cette campagne
19:40 dans plusieurs grands journaux comme "Le Monde" et "Le Parisien".
19:43 Elle y fait la pub de ses plus gros chantiers
19:46 de réparation et de construction.
19:49 Nous contactons l'entreprise
19:52 pour lui demander de nous montrer
19:55 comment elle répare et entretient ses voies.
19:58 Requête acceptée, mais c'est le service de la com
20:01 qui choisit l'endroit. Ce sera dans les Yvelines, à Oudon.
20:04 Rendez-vous a été pris à 23 h
20:07 pour gêner le moins possible le trafic.
20:10 La SNCF fait ses travaux surtout la nuit.
20:13 L'homme qui nous fait la visite,
20:16 c'est le directeur de la maintenance en Ile-de-France en personne,
20:19 Stéphane Chapiron.
20:22 - Caractère impressionnant de ce chantier,
20:25 c'est les moyens importants qui sont mobilisés.
20:28 En particulier, on va utiliser, pour nous permettre
20:31 de réaliser ces 55 km de remplacement de voies
20:34 à un délai relativement contraint, on va utiliser un train-usine.
20:37 Donc c'est un engin moderne.
20:40 - Ce train-usine, c'est la fierté de Stéphane Chapiron.
20:43 - Voilà, donc maintenant, on va marcher sur la piste,
20:46 donc il faut être vigilant.
20:49 - Bonsoir. - Bonsoir.
20:52 - Attention, à gauche, il y a des rails.
20:55 - Difficile de savoir exactement comment marche cette énorme machine.
20:58 On comprend qu'un train-usine fait tout à la fois.
21:01 Il remplace le balast,
21:04 il change les traverses et il repose de nouveaux rails.
21:07 Pour la modique somme de 1,3 million le kilomètre,
21:13 ce train-usine réinstalle 1 km de voies toutes neuves par nuit.
21:16 - C'est le processus normal, je dirais, de la régénération,
21:21 en termes de timing ou vous êtes un peu à la bourre, j'ai envie de dire ?
21:24 - Aujourd'hui, on a une... On va dire qu'il y a un peu un rattrapage.
21:27 Il faut rattraper, effectivement, le travail
21:30 et, justement, le retard qu'on a pris
21:33 dans les investissements sur les lignes du quotidien.
21:36 Et à ce titre, donc, on se dote de tous les moyens qui conviennent
21:39 pour être capables de rattraper ce retard
21:42 et de régénérer notre infrastructure dans les 10 prochaines années.
21:45 - Vous n'avez pas de problème d'entretien ?
21:48 - Non, non, nous n'avons pas de problème d'entretien
21:51 sur le réseau francilien.
21:54 - Le propos est bien calibré et rassurant.
21:57 Mais à quelques dizaines de kilomètres de là,
22:00 toujours en région parisienne, à Étampes,
22:03 des employés de la SNCF nous alertent sur une situation bien différente.
22:08 Ca se passe sur cette ligne.
22:11 Elle est très fréquentée et n'est pas classée obsolète par la SNCF.
22:15 Une voie banlieue et grande ligne,
22:18 comme il en existe des centaines autour des villes.
22:24 2 cheminots nous conduisent le long des rails.
22:27 Eux aussi resteront anonymes.
22:30 Ils passent ici 300 trains par jour.
22:33 Ce qu'ils veulent nous montrer, ce sont des aiguillages.
22:42 - C'est celle-là où il y a danger.
22:47 Oui, ça se voit, regardez, il y a un cadenas.
22:50 C'est-à-dire qu'ils ont bloqué une aiguille,
22:53 et ils ont bloqué un autre cadenas de circulation.
22:56 - Cet aiguillage est défectueux.
22:59 La SNCF a préféré en condamner l'utilisation
23:02 avec une sorte de serre-joint.
23:05 L'ensemble est sécurisé par un simple petit cadenas,
23:08 très facile à faire sauter.
23:11 - Ils ont interdit un itinéraire, parce qu'il y a danger.
23:14 - Là, on peut plus transporter la lame.
23:17 - C'est-à-dire que l'aiguilleur ne peut plus manoeuvrer une aiguille
23:20 et donc, on peut pas...
23:23 - Un peu plus loin, les cheminots pointent l'état d'un autre aiguillage.
23:26 - Là, vous voyez, ça a pété les soudures, ici.
23:29 Là, regardez, là. Là, la soudure a pété, là.
23:32 Ici et là, les soudures ont cassé.
23:35 Et regardez le boulon, là. Regardez le boulon.
23:38 Cassé, cassé. C'est pour ça.
23:41 Regardez là-bas, il y a plus de boulon. Cassé.
23:44 Les installations tiennent pas, ça casse de partout.
23:47 Cette situation, la SNCF la connaît très bien.
23:50 Ces chiffres, à la craie, en témoignent.
23:56 Ils indiquent que les employés de maintenance de la compagnie
23:59 ont pris en compte les travaux à faire.
24:02 Mais pour l'instant, la SNCF a décidé de condamner l'usage
24:05 d'un des 2 aiguillages.
24:08 Et en attendant, pour réduire les risques,
24:13 elle limite la vitesse de ses trains.
24:16 - Il y a le 100 km/h. - 100, ça veut dire qu'ils ont réduit la vitesse
24:19 parce qu'avant, ça roulait à 150.
24:22 Discrètement, l'établissement a réduit la vitesse à 100 km/h
24:25 pour éviter qu'il y ait une catastrophe. - C'est sécurisé ou pas ?
24:28 - Ah ben, ils ont sécurisé une installation qui ne tient plus,
24:31 c'est-à-dire qui est hors norme. - Qu'est-ce qu'ils pourraient faire normalement ?
24:34 - Faut tout changer. Quand c'est hors norme, faut changer.
24:37 Mais ils attendent parce que c'est pas gratuit.
24:43 Au sujet de la maintenance des voies
24:46 près de Chartres ou d'Etampes, nous souhaitons interroger
24:49 la direction de la SNCF.
24:52 Après de longues négociations, nous finissons par obtenir un rendez-vous
24:55 avec le directeur général de la sécurité,
24:58 Frédéric Delorme. Nous lui montrons ce que nous avons filmé,
25:01 à Chartres d'abord.
25:04 - Alors, ce que je peux vous dire,
25:09 évidemment, c'est pas un bon état. Je vais vous dire le contraire.
25:12 Je vous rassure, les Français,
25:15 par rapport à la question de temps en temps, il manque des attaches
25:18 ou des boulons ou des problèmes... - Mais c'est normal que ça, il manque ?
25:21 - C'est l'avis de la voie. - Attendez, des problèmes d'éclipse, c'est des problèmes de rétinie.
25:24 - C'est l'avis de la voie. Il y a des situations,
25:27 et c'est encadré par les normes, où le fait qu'il manque
25:30 un boulon, une attache, tout dépend combien,
25:33 évidemment, il y a des seuils qui permettent de dire "là, c'est acceptable,
25:36 il faut qu'on surveille. Par contre, là, c'est plus acceptable, on met un ralentissement
25:39 ou on arrête les trains." J'imagine, et j'irai vérifier
25:42 après l'entretien, qu'ils ont programmé
25:45 une intervention avant qu'il n'en arrive là.
25:48 - On a été à Étampes, c'est pas très loin de Brétigny,
25:51 c'est un endroit où il y a énormément de trains qui passent,
25:54 et on s'est rendu compte qu'il y avait un problème d'aiguillage,
25:57 et que l'aiguillage était simplement... Regardez,
26:00 qu'est-ce que vous voyez, là ? C'est un petit cadenas,
26:03 un petit cadenas qui bloque l'aiguillage, un petit cadenas comme ça,
26:06 qui bloque un aiguillage de plusieurs tonnes, vous pensez que ça peut rassurer les Français
26:09 de voir des images comme ça ? - On peut prendre une image isolée comme ça ?
26:12 - Ah non, c'est pas isolé, vous verrez, on a... - Ça dépend de ce qu'il y a autour,
26:15 de ce que vous montrez. Moi, ce que je veux vous dire, c'est que d'abord,
26:18 si vous me dites que vous avez détecté des choses qui sont préoccupantes,
26:21 en tant que directeur général de sécurité, je me dois,
26:24 dès demain, de voir ce qui s'est passé, d'accord ?
26:27 A la limite, je suis content qu'Envoyé Spécial m'apporte
26:30 une information, mais sachez qu'il existe des informations directes,
26:33 des choses que je m'étonnerais qu'elles soient pas remontées par les canaux normaux
26:36 de la SNCF. Je préférais, si vous me permettez, que ça puisse passer
26:39 par le canal interne de l'entreprise. - 3 jours après cette interview,
26:42 un dimanche, nous recevons un courriel de Frédéric Delorme.
26:45 - Je vous informe que la SNCF a fait procéder immédiatement
26:48 à des tournées à pied sur ces 2 secteurs.
26:51 - Sur la voie de Chartres, il nous fait savoir...
26:57 - L'état constaté des traverses et des attaches est complètement
27:00 compatible avec la sécurité de l'exploitation.
27:03 - Concernant Étampes, il écrit...
27:08 - Les installations sont conformes aux normes en vigueur
27:11 et ne présentent aucun risque pour la sécurité.
27:14 - Il nous apprend surtout que les 2 aiguillages en cause à Étampes
27:17 vont être remplacés dès le 22 octobre prochain.
27:20 Pourquoi une si soudaine célérité,
27:23 notre caméra aurait-elle joué un rôle ?
27:26 En tous les cas, cela nous rappelle une autre histoire,
27:29 l'histoire d'une vidéo qui a servi d'électrochoc à la SNCF.
27:32 Quand on tape sur Internet les mots "documentaire" et "SNCF",
27:36 on tombe sur un film.
27:39 "Vérité et mensonge".
27:42 Une vidéo commandée en juin 2015, non pas par la direction,
27:45 mais par le comité d'entreprise de la SNCF Nord-Pas-de-Calais
27:48 sur la ligne Paris-Valencienne.
27:51 La plupart des intervenants sont membres de la CGT.
27:54 On y voit les mêmes images que celles que nous avons filmées
27:57 un agent anonyme décrit des voix mal entretenues.
28:00 - Celui-là, c'est pareil.
28:03 Je le desserre.
28:06 C'est tout ça à la main.
28:09 - Du tronc en bande originale
28:12 et un syndicaliste de la CGT qui s'inquiète.
28:15 - C'est 15 000 km de lignes ferroviaires
28:18 qui sont menacées de fermeture.
28:21 - Il s'appelle Hervé Gommet, nous l'avons retrouvé.
28:24 Il raconte que ce film n'était pas destiné
28:27 à être rendu public au départ.
28:30 Il devait servir à alerter la direction de la SNCF.
28:33 - Nous avons projeté le documentaire à la direction.
28:36 On fait ça en toute transparence.
28:39 L'entreprise nous disant, vous savez, de toute façon,
28:42 les risques ferroviaires, on les connaît.
28:45 Les points sensibles qui sont montrés dans le documentaire,
28:48 vous savez, on peut vous en donner plein d'autres,
28:51 il y en a plein, ne vous inquiétez pas.
28:54 Nous sommes au courant, nous gérons.
28:57 Il faut nous faire confiance, tout simplement.
29:00 - Selon Hervé Gommet, la direction de l'entreprise
29:03 ne déclenche pas de travaux.
29:06 Les syndicats menacent alors de diffuser le film si rien n'est fait.
29:09 - Vous avez dit, ne rendez pas ce genre de documentaire public.
29:12 Vous allez faire peser la responsabilité de l'entreprise,
29:15 vous allez critiquer vos collègues, vous allez mettre à mal
29:18 en fait les cheminots dans le travail quotidien.
29:21 - Dans une lettre, la SNCF s'engage finalement
29:24 à faire des travaux en 2017.
29:27 Beaucoup trop tard pour les syndicalistes,
29:30 ils mettent le film en ligne sur Internet le 2 septembre 2015.
29:33 Un peu plus de 96 000 vues plus tard,
29:38 la SNCF aurait élu peur d'un scandale.
29:41 En tout cas, les travaux sont déclenchés en toute hâte.
29:45 - Suite à la diffusion de ce documentaire,
29:48 l'entreprise en Catimini, un week-end, deux nuits,
29:51 a fait les travaux 2 semaines après la diffusion de ce reportage.
29:54 - En un week-end, des ouvriers posent des rails rutilants,
30:00 des tirs font tout neuf.
30:03 Hasard ou coïncidence, le jour où nous tournons,
30:09 nous croisons une équipe d'entretien en plein couloir.
30:12 Cette voie délaissée est peut-être devenue,
30:15 grâce à un film, l'une des voies les plus bichonnées de France.
30:18 - Bonjour. - Bonjour.
30:24 - Vous faites quoi pour taper l'aiguillage, en fait ?
30:27 - Vous n'avez pas le droit de me parler ?
30:30 - Ah bon ? Bah, pourquoi ?
30:33 - Depuis quand ?
30:36 - Récemment ?
30:39 - Récemment ?
30:42 - Mince.
30:45 - La SNCF n'aime pas trop les caméras
30:48 quand elle n'est pas aux manettes.
30:51 En revanche, pour sa com', elle met le paquet.
30:54 - La plus sûre façon d'aller d'un point à un autre en toute sécurité,
30:57 c'est d'être bien équipée, d'avoir confiance en son matériel,
31:00 être capable de superviser 24 heures sur 24 près de 15 000 trains.
31:03 - Entre 2007 et 2011, par exemple,
31:06 la SNCF a déboursé en moyenne 210 millions d'euros
31:09 par an en communication.
31:12 Dans un rapport,
31:15 la Cour des comptes se montre très critique
31:18 et dénonce des opérations dispendieuses.
31:21 C'est d'autant plus grave que la compagnie n'en a pas les moyens.
31:24 Accrochez-vous, c'est la minute économie.
31:34 La SNCF traîne derrière elle une dette colossale.
31:37 50 milliards d'euros.
31:43 Elle ne cesse d'augmenter et forcément,
31:46 la compagnie doit verser des intérêts de plus en plus lourds à ses créanciers.
31:49 Rien que pour payer ces intérêts,
31:52 elle débourse 3 234 euros par minute.
31:55 194 040 euros par heure,
31:58 le temps pour un de ses TGV d'aller de Paris à Lille.
32:01 A la fin de l'année,
32:04 ça fait près d'un milliard 700 millions d'euros,
32:07 autant d'argent qui ne va pas dans l'entretien des voies.
32:10 Le 19 septembre dernier,
32:13 l'Etat a annoncé qu'il ne reprendrait pas la dette de la SNCF à son compte.
32:16 La compagnie reste seule avec ce fardeau sur les bras.
32:19 A leur faute d'argent,
32:25 elle doit faire des choix.
32:29 L'enfant chéri de la compagnie,
32:32 c'est le TGV.
32:35 Il capte la plus grande part de ses investissements.
32:38 Sur les lignes à grande vitesse,
32:43 c'est la SNCF qui finance les rails et le matériel roulant.
32:46 Pour les grandes lignes intercités,
32:49 idem, la SNCF finance les voies et les rames.
32:52 Pour les TER,
32:55 les trains express régionaux,
32:58 normalement, ce sont les régions qui achètent les trains
33:01 et la SNCF qui paye les rails.
33:04 Sauf que depuis quelques années,
33:07 la compagnie demande souvent aux régions
33:10 de financer aussi l'entretien des voies.
33:13 Et ça, ça fait bondir Philippe Richardt,
33:16 le président du Conseil régional Grand Est.
33:19 - Vous me posez des questions, j'essaie de répondre.
33:22 - Il est remonté comme une pendule.
33:25 - On vient maintenant vers nous, les régions,
33:28 en disant "écoutez, si vous voulez que vos trains continuent à circuler,
33:31 il faut faire de l'investissement, c'est ce que nous allons faire".
33:34 Nous versons 430 millions à la SNCF par an.
33:37 C'est 100 millions de plus que ce que nous avons
33:40 pour le fonctionnement de notre propre administration,
33:43 les lycées, la formation professionnelle, etc.
33:46 C'est quand même étonnant.
33:49 - Le président de la SNCF, Charles Villemésière,
33:52 appelle au secours.
33:55 Selon lui, 850 km de voies ferrées sont en mauvais état dans sa région
33:58 et soulèvent des interrogations pour leur sécurité.
34:01 À court d'argent, la SNCF ne finance pas certains travaux
34:04 et impose des limitations de vitesse.
34:07 - Quand je prends aujourd'hui la ligne JV-Charles-Villemésière,
34:10 il y a une portion où on roule à 10 km/h.
34:13 Comment voulez-vous que les gens prennent le train
34:16 quand ils sont plus rapides en bicyclette?
34:19 - On n'a pas eu le temps de monter sur un vélo pour rattraper le train,
34:22 mais on a fait le calcul.
34:25 Dans les années 90, il fallait 52 minutes pour relier les 2 villes.
34:28 Aujourd'hui, on met 1 heure 15 en moyenne,
34:31 23 minutes de plus.
34:34 Ces limitations de vitesse, on en trouve sur une bonne partie
34:41 des lignes secondaires dans tout le pays.
34:44 La SNCF a même établi une carte de ces ralentissements.
34:47 Elle est confidentielle, bien sûr, mais nous l'avons trouvée.
34:50 Voici la France des trains qui roulent au ralenti.
34:53 Ce sont les chiffres de 2013,
34:56 3 425 km de voies.
34:59 Une lenteur qui contraste avec la vitesse du TGV.
35:02 Il va si vite que ses passagers sont même en lévitation
35:05 à 300 km/h.
35:08 - Welcome to you.
35:11 Welcome to you.
35:14 TGV, prenez le temps d'aller vite.
35:17 - Ces films publicitaires,
35:20 c'est la vitrine de la compagnie.
35:23 Elle en produit beaucoup.
35:26 L'un d'eux a attiré notre attention.
35:29 Il est consacré à une motrice,
35:32 la X73-500, mise en service dans les années 2000 en France.
35:35 C'est une silhouette effilée
35:38 qui émerge du brouillard.
35:41 Celle de l'X73-500.
35:44 Quant à l'exploitant, il a peut-être trouvé,
35:47 à travers le code X73-500,
35:50 le début de la formule magique.
35:53 (bruit de moteur)
35:56 15 ans plus tard,
35:59 nous retrouvons la X73-500 à Bayonne, au Pays basque.
36:02 Cette locomotive a beau faire partie de notre paysage familier,
36:05 elle cache en réalité
36:08 une faille technique très dangereuse.
36:11 Un conducteur accepte de nous en parler,
36:14 une nouvelle fois anonymement,
36:17 dissimulé sous une capuche.
36:20 - La problématique, c'est que c'est du matériel
36:23 qui est utilisé sur des lignes qui sont non compatibles.
36:26 La direction n'utilise pas le matériel comme elle le devrait.
36:29 Et ça pose de gros problèmes.
36:32 (bruit de moteur)
36:35 (bruit de moteur)
36:38 Avec ce matériel-là, oui, moi, j'ai peur
36:41 de conduire sur certaines lignes,
36:44 et j'ai peur pour moi, pour ma famille,
36:47 j'ai peur pour mes enfants et j'ai peur pour les voyageurs
36:50 s'ils devaient emprunter ce matériel sur cette ligne-là.
36:53 - Sur une partie des voies, comme celle-ci,
36:56 cette motrice circule sans danger.
36:59 La X73-500 risque ce que l'on appelle un déchintage.
37:02 Elle peut disparaître purement et simplement
37:05 des écrans de contrôle pendant plusieurs secondes.
37:08 Quand tout se passe normalement,
37:11 le contact des roues de la motrice sur les rails envoie un signal.
37:14 Il est observé en temps réel par un poste de surveillance.
37:17 On sait où se trouve le train sur le réseau.
37:20 Le signal permet également
37:23 de déclencher automatiquement les feux de signalisation.
37:26 Et la fermeture des passages à niveau
37:29 à l'approche du train.
37:32 Mais sur certaines voies,
37:35 le signal oublie parfois de se déclencher.
37:38 On dit que le train déchinte.
37:41 Les postes de surveillance perdent la motrice.
37:44 Elle se transforme en train fantôme.
37:47 Les feux de signalisation peuvent refuser de fonctionner
37:50 et les passages à niveau de se fermer.
37:54 Le plus incroyable,
37:57 à aucun moment le conducteur
38:00 ne peut savoir si sa rame déchinte.
38:03 Les conséquences peuvent être très graves.
38:06 On joue à la roulette russe actuellement, à la SNCF.
38:13 Sur l'année 2015, nous, dans notre région Pays Basque Sud-Aquitaine,
38:16 on a vécu 2 graves incidents.
38:19 On aurait pu vivre des catastrophes ferroviaires à 2 reprises
38:22 parce qu'il est devenu train fantôme.
38:25 L'un de ces 2 incidents s'est produit ici,
38:28 au passage à niveau 108,
38:31 au PN 108 dans le langage des cheminots,
38:34 à Saint-Vincent de Tyros, au Pays Basque,
38:37 le 11 janvier 2015.
38:40 Julien Delion assume de montrer son visage.
38:43 En tant que conducteur de locomotive,
38:46 il estime qu'il faut alerter l'opinion publique sans attendre
38:49 sur les risques du déchintage.
38:52 - Vous voyez, c'est l'exemple typique.
38:58 On entend une signalisation, vous avez des annonces sonores
39:01 et vous avez un train qui va passer.
39:04 Ce qui s'est passé le 11 janvier, vous aviez un train qui arrivait
39:07 qui n'a pas réussi à donner l'information.
39:10 Il est passé là, comme il passe aujourd'hui, à 130 km/h,
39:13 mais le PN, vous l'avez là, le PN est resté debout.
39:18 Sur 11 km, il a disparu 7 fois.
39:21 Imaginez, vous avez un train, il disparaît.
39:24 Il revient, il disparaît, il revient, il disparaît.
39:27 C'est un train fantôme. Vous avez une voiture qui arrive de la route,
39:30 vous avez une voiture qui arrive du lotissement,
39:33 il y aurait eu un accident grave. Et derrière, c'est tout qui tombe à l'eau,
39:36 toute la sécurité de la SNCF qui ne tient plus.
39:39 - Ce 11 janvier 2015, seuls quelques cadres de la SNCF
39:42 sont mis au courant de l'incident.
39:45 Ils vont garder l'information pour eux.
39:48 - La SNCF a joué la politique de l'OMERTA.
39:51 Elle a fait toute une série d'enquêtes,
39:54 une batterie d'enquêtes cachée.
39:57 Elle n'a surtout pas informé le personnel, les salariés,
40:00 qu'un grave événement avait eu lieu. Pendant 2 mois,
40:03 on a été tenus à l'écart de tout ça. Et le 2 mars,
40:06 on l'a seulement su parce qu'on a eu un lanceur d'alerte.
40:09 - Ce lanceur d'alerte, c'est un cadre.
40:12 - 2 mois après l'incident, il craque.
40:15 Un soir, il prévient les syndicats par téléphone.
40:18 Depuis, Julien Delion refuse de conduire les X73-500
40:22 sur les lignes non adaptées. Il n'est pas le seul.
40:26 81 conducteurs de la région refusent, comme lui,
40:29 de les conduire sur certaines lignes.
40:32 La SNCF a sanctionné 4 d'entre eux.
40:36 Ils ont reçu un blâme.
40:40 - J'ai eu une retenue sur salaire.
40:43 La SNCF a dit "Vous êtes des mauvais conducteurs,
40:46 "vous êtes des mauvais cheminots." Elle a estimé que j'ai fait une faute.
40:49 Alors que malheureusement, moi, j'estime que ce jour-là,
40:52 la SNCF et mon employeur m'ont donné un ordre de danger.
40:55 Et ça, je peux pas l'accepter.
40:57 L'affaire est aujourd'hui devant les prud'hommes.
41:00 Julien Delion a aussi déposé plainte
41:03 pour mise en danger de la vie d'autrui contre la SNCF.
41:08 - Jamais, moi, j'aurais pu dire qu'un jour,
41:11 je porterais plainte contre mon entreprise.
41:14 Mon papa, depuis toujours, il a été cheminot.
41:17 Et mon papa, il m'a inculqué les valeurs de la SNCF,
41:20 le service public. Et tout au long de ma formation,
41:23 pendant 12, 13 mois, on nous a parlé,
41:26 on a mangé, on a bu, on a travaillé sécurité.
41:29 Ca a été de la sécurité, de la sécurité, de la sécurité.
41:32 - Après un tel incident,
41:35 la procédure impose à la compagnie
41:38 de lancer une enquête en interne.
41:41 Nous avons retrouvé ce rapport d'expertise.
41:44 Il confirme que le 11 janvier 2015,
41:49 de multiples déchantages ont provoqué
41:52 un raté de fermeture du passage à niveau 108.
41:55 Mais il va plus loin.
41:58 Le document souligne la gravité extrême d'un tel incident.
42:03 Les X73-500 sont qualifiés de mauvais chanteurs
42:06 et il est demandé à la SNCF
42:09 de vérifier l'engin impliqué dans l'incident
42:12 avant de le remettre en circulation.
42:15 A Saint-Vincent-de-Tiros,
42:18 la plupart des conducteurs refusent toujours
42:21 de conduire les X73-500 sur une partie des voies.
42:24 Pourtant, la SNCF a trouvé un moyen
42:27 de convaincre quelques cheminots
42:30 de les piloter.
42:33 Une sorte de marché.
42:36 S'ils acceptent de les conduire,
42:39 elles favorisent leur demande de mutation.
42:42 Ce courrier en témoigne.
42:57 Depuis l'incident de janvier 2015,
43:00 la motrice en cause a bien été vérifiée par la SNCF.
43:03 Mais des centaines de X73-500
43:06 continuent de circuler dans toute la France.
43:09 317 en tout.
43:12 Des incidents comme à Saint-Vincent-de-Tiros,
43:15 il y en a eu d'autres.
43:18 A Sainte-Pazanne, en Loire-Atlantique,
43:21 un train déchunte pendant 2 secondes.
43:24 Un carame déraille à son entrée en gare.
43:27 A Paris, nous dénichons ce compte-rendu
43:30 d'une réunion interne de la SNCF.
43:33 En 2015, la compagnie a répertorié 46 déchantages,
43:36 dont 6 sont qualifiés de critiques.
43:39 4 impliquent des modèles X73-500.
43:42 Issu des notices techniques de la SNCF,
43:45 le terme "déchantage" fait son apparition
43:48 à la tribune du Sénat début 2016.
43:51 Alain Vidalis, secrétaire d'Etat au transport,
43:54 répond aux questions d'un sénateur
43:57 sur des problèmes de déchantage en Auvergne.
44:00 - Le phénomène de déchantage,
44:03 qui consiste à la non-détection d'un train
44:06 sur l'infrastructure pendant quelques secondes,
44:09 voire plusieurs minutes,
44:12 présente des enjeux de sécurité très importants,
44:15 induisant des risques de déraillement,
44:18 de collision ou de raté de fermeture de passage à niveau.
44:21 En particulier, le matériel X73-500,
44:24 c'est le matériel en question qui pose une difficulté.
44:27 - Le matériel X73-500 a-t-il déjà tué ?
44:36 C'est la question qui se pose en ce moment même
44:39 au tribunal de Brest, en Bretagne.
44:42 La SNCF est sur le banc des accusés
44:45 pour un accident qui date d'il y a 10 ans.
44:48 - Et puis encore un accident à un passage à niveau
44:51 à propos de transport, c'est le 3e cette semaine.
44:54 Hier soir, une voiture a été percutée par un train régional
44:57 à La Roche-Maurice, dans le Finistère.
45:00 Le conducteur a été tué, tout le trafic ferroviaire
45:03 a du coup été perturbé.
45:06 - Le 21 novembre 2006, une jeune femme,
45:09 Alaa Karoff, va chercher sa fille en voiture
45:12 pour un anniversaire en famille le soir même.
45:15 Il est 17h15, quand elle s'engage sur le passage à niveau
45:18 de La Roche-Maurice, à 5 km de chez elle.
45:21 Un TER X73-500 déboule et pulvérise sa voiture.
45:28 Alaa Karoff décède sur le coup.
45:31 En cause, cette barrière de passage à niveau,
45:34 qui ne se serait pas baissée.
45:37 - L'audience est ouverte, vous pouvez vous asseoir.
45:40 Le procès s'ouvre en juin 2016.
45:43 Le mari et la fille d'Alaa Karoff ont déposé plainte
45:46 pour homicide involontaire.
45:49 Le président nous laisse filmer l'audience
45:52 à travers un hublot.
45:55 L'avocat des victimes, Maître Apéré,
45:58 tente de convaincre le tribunal que la SNCF est en cause.
46:01 Le déchâtage de la motrice aurait empêché
46:04 le passage à niveau de se fermer.
46:07 - Comme la SNCF continue de dire que les barrières
46:10 étaient fermées, que la sonnerie a retenti,
46:13 que le signal lumineux était en marche,
46:16 que tout fonctionnait parfaitement
46:19 et que ma cliente se serait hasardée
46:22 à franchir les barrières.
46:25 Donc vous voyez cette position qui est intenable
46:28 au regard des rapports d'expertise,
46:31 intenable au regard des témoignages
46:34 qui se sont succédés devant ce tribunal.
46:37 La SNCF campe sur sa position,
46:40 ni responsable, ni coupable,
46:43 et contre toutes les évidences.
46:46 - La motrice X73500 aurait déchanté.
46:49 C'est aussi ce que défend le procureur de la République.
46:52 - De mon point de vue, je pense que la raison
46:55 technique pour laquelle la barrière ne s'est pas fermée,
46:58 c'est un problème de détection de l'approche du train
47:01 ou de déchantage, pour prendre le terme technique
47:04 qui est apparu un certain nombre de fois dans ce dossier.
47:07 - Face à eux, l'avocat de la SNCF,
47:10 Michel Bertin, martèle sa ligne de défense.
47:13 Le passage à niveau aurait fonctionné normalement.
47:16 - On ne peut pas faire le procès
47:19 d'une entreprise comme celle de la SNCF
47:22 uniquement sur un accident dont on ne connaît pas
47:25 avec certitude les conditions dans lesquelles il s'est déroulé.
47:28 La famille d'Ala Karoff sort épuisée
47:33 par 10 ans de procédure.
47:36 La maison a gardé l'insouciance des belles années avec Ala,
47:39 mais sa fille et son mari sont meurtris.
47:42 Ils veulent témoigner pour dénoncer le cynisme de la SNCF.
47:46 Ils affirment qu'au début de l'enquête,
47:49 un expert de la compagnie a même prétendu
47:52 que cet accident était un suicide.
47:55 - Comment vous l'avez vécu, ça?
48:00 - C'était un choc. On vivait une tragédie,
48:03 mais c'était un choc supplémentaire,
48:06 comme une insulte aussi de la part de la SNCF
48:09 pour la mémoire de ma mère, pour toute notre famille.
48:12 C'est quelqu'un qui était très joyeux,
48:15 qui aimait la vie, qui aimait les voyages,
48:18 qui avait des projets, qui voulait avoir un enfant.
48:21 Non. Pas possible.
48:24 - Est-ce que vous avez l'impression
48:27 que le décès de votre femme gêne la SNCF?
48:30 - Oui.
48:33 Parce qu'ils veulent pas reconnaître leur tort
48:36 et qu'ils n'ont pas pris les mesures qu'il fallait.
48:39 - C'est une grosse machine
48:42 qui est prête à écraser tout sur son chemin
48:45 pour que la vérité soit pas établie.
48:48 - Excusez-moi.
48:51 - Ce qui a interpellé le tribunal,
49:00 c'est le témoignage de 2 cheminots,
49:03 Thierry Larket et Christian Maljac.
49:06 Ils travaillaient sur les voies dans la région de Brest
49:09 dans les années 2000. Ils se souviennent
49:12 d'avoir alerté leur direction sur les problèmes de déchantage.
49:15 Il y a quelques mois avant l'accident,
49:18 Thierry Larket participe même à la rédaction d'un rapport.
49:21 Suite à un déchantage précédent,
49:24 les cheminots y demandent un complément d'enquête
49:27 et mettent le service en garde contre le renouvellement de ce risque.
49:30 - C'est malheureux parce que nous avons prévenu
49:33 en 2004, 2005 et 2006 notre direction
49:36 pour pouvoir exprimer le fait que si on prenait pas
49:39 les précautions qui étaient nécessaires
49:42 pour la sécurité technique, on pourrait avoir le décès
49:45 de quelqu'un, malheureusement, d'un usager de la route
49:48 en passant un passage à niveau.
49:51 - A l'époque, une solution est évoquée.
49:54 Elle préconise l'installation sur les voies de pédales d'annonce comme celle-ci.
49:57 Le principe, lorsque les trains roulent sur ces installations,
50:00 ils déclenchent la fermeture des passages à niveau.
50:03 Mais à La Roche-Maurice, la SNCF ne suit pas ce conseil.
50:11 - Pourquoi on n'a pas mis des pédales d'annonce à cet endroit-là?
50:14 Cette note aurait dû être appliquée.
50:17 Ces directives techniques auraient dû être appliquées.
50:20 Si on avait fait ce qu'il fallait, on serait pas mort.
50:23 Mais nous, on a ça dans la tête, ça nous marque.
50:26 Jusqu'à la fin de notre vie, ça va nous rester dans la tête.
50:29 En juin dernier, au tribunal de Brest,
50:32 le procureur a requis la condamnation de la SNCF
50:35 pour homicide involontaire.
50:38 Le jugement est attendu le 20 octobre.
50:41 Nous interrogeons le directeur de la sécurité de la SNCF
50:44 sur ces motrices controversées.
50:47 - Il n'y a jamais eu de victime, il faut quand même le dire,
50:50 à cause du déchantage, en France.
50:53 Il y a un procès, madame. Il y a un procès.
50:56 Je ne commande pas un procès en cours,
50:59 entre passage en chicane, détémoignage ou déchantage.
51:02 C'est le juge qui dira.
51:05 - Vous pourriez dire les choses très clairement.
51:08 Les barrières sont restées ouvertes alors qu'un train arrivait.
51:11 On ne sait pas d'où ça vient.
51:14 Ça peut venir des feuilles qui sont tombées à l'automne,
51:17 des travaux qui ont été faits sur la voie.
51:20 Dès qu'il y a une petite couche pellicule,
51:23 le circuit électrique fonctionne moins bien.
51:26 - Si on ne prend pas de mesures, ça pourrait.
51:29 - Partout en France, sur les voies qui risquent de déchanter,
51:32 partout, tous les passages à niveau.
51:35 - Sur tous les passages à niveau,
51:38 où le niveau de risque lié aux enregistreurs montre
51:41 que ça pourrait arriver, c'est déjà équipé.
51:44 Mais dans une mesure de prévention totale,
51:47 même là où les enregistreurs, où nos mesures nous permettent
51:50 de dire qu'il n'y avait pas de risque, où c'est pas avéré,
51:53 il ne s'est rien passé, nous allons équiper
51:56 tous les passages à niveau.
51:59 - Le secrétaire général de l'Ordre nous adresse un courriel.
52:02 Il nous demande si nous avons découvert des équipements
52:05 ou des situations potentiellement dangereuses,
52:08 de l'informer sans délai, de façon très précise et exhaustive,
52:11 afin qu'il soit procédé sans délai aux vérifications qui s'imposent.
52:14 Nous aurions souhaité nous en entretenir
52:21 avec le patron de l'entreprise, Guillaume Pépi,
52:24 mais il a refusé de répondre à nos questions.
52:28 - Selon le classement 2015 du Boston Consulting Group,
52:31 le réseau ferret français est aujourd'hui classé 6e en Europe
52:34 en matière de sécurité, derrière le Danemark,
52:37 la Grande-Bretagne, le Luxembourg, la Suisse et l'Irlande.
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