• il y a 2 ans
Conférence d'Andrée Corvol-Dessert, directrice de recherche au CNRS, membre du conseil scientifique de l’ONF, élue à l’Académie d’agriculture ayant pour thème "La forêt bretonne, du passé au présent"

Non, non la forêt en Bretagne ne se limite pas aux légendes où les arbres têtards à la silhouette singulière, par les nuits de pleine lune ou les épais brouillards, évoquent maints personnages et alimentent le cycle des légendes arthuriennes.
Au-delà de cette histoire culturelle, il en est une autre : longtemps, ces forêts ont fourni le charbon de bois destiné à la sidérurgie, à la faïencerie et à la verrerie.
L’Ouest de la France est pauvre en massifs, mais riche en landes et arbres de bocage, riche aussi en ateliers et usines travaillant le bois.
Aujourd’hui, les espaces boisés conditionnent activités touristiques et préservation de la biodiversité. Mais demain, que seront-ils sous l’effet du réchauffement climatique ? En parcourant l’histoire, Andrée Corvol nous invite à y réfléchir ensemble.

Tout le mois d'octobre 2023 pour la troisième fois, dans le cadre de ses démarches actives d’adaptation au changement climatique et de protection de la biodiversité, la ville de Quimper organise « Le temps de l’arbre ».

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00:00 [Musique]
00:11 Bonjour à vous et merci d'être aussi nombreux.
00:14 J'ai un peu écarté ça parce que je vais faire courir sinon un risque à l'ordinateur.
00:20 Et nous allons rentrer tout de suite dans le sujet où pouvoir le titre
00:24 "La forêt bretonne du passé au présent" est avec un superbe chemin creux
00:30 qui est avec les talus de chaque côté et des hêtres qui sont plantés
00:36 et qui sont naturellement utilisés pour le chauffage.
00:41 En introduction, je voudrais resituer cette forêt bretonne dans deux ensembles
00:47 car il y a eu influence réciproque concernant les évolutions.
00:53 Tout d'abord, la forêt bretonne, je dirais qu'il y a une singularité de la forêt atlantique
00:58 et disons de la moitié occidentale.
01:01 On est dans une zone de domination de la forêt privée.
01:06 Par exemple, en Aquitaine, on est à 91% de forêt privée, en Bretagne 93%,
01:12 c'est-à-dire le même pourcentage que dans le Vaucluse ou dans le Var.
01:17 Seconde singularité, la parcellisation de cette forêt privée.
01:22 Là aussi, on a l'image d'une forêt en Aquitaine de grandes propriétés bourgeoises
01:29 créées au XIXe siècle par l'enrésignement, par l'installation du pain maritime
01:35 pour l'exploitation de la résine.
01:37 Et du côté de la Bretagne, on a l'image d'une grande propriété aristocratique.
01:43 En réalité, dans un cas, il y a 275 000 propriétaires
01:48 qui disposent de 6,5 hectares par propriétaire,
01:55 mais ce n'est pas une propriété continue, elle est constituée d'une multitude de petites parcelles.
02:01 Et du côté de la Bretagne, 124 000 propriétaires avec une moyenne de 3,1 hectares par propriétaire.
02:09 Donc des propriétés qui sont très petites et qui sont composées de parcelles très dispersées.
02:17 Seconde donnée, la spécificité de la région Grand Ouest à l'intérieur de la moitié Atlantique.
02:28 Tout d'abord, en ce qui concerne le taux de boisement.
02:31 En Aquitaine, 45 %, les Landes, 65 %,
02:35 la Bretagne, seulement 15 %, le Morbihan, 25 %.
02:41 On est donc dans une zone qui se situe du point de vue du taux de boisement
02:46 très, très, très en dessous de la moyenne française qui est à un taux de couverture de 31 %.
02:54 Et si l'on prend le taux de collecte, on a cette même différence.
02:58 En Aquitaine, plus de 90 % du croix naturel est prélevé et transformé.
03:05 En Bretagne, moins de 50 %.
03:08 Avec une différence d'ailleurs qui pose, sur laquelle on va réfléchir pendant mon exposé.
03:15 En Aquitaine, 83 % de la récolte repose sur des résineux,
03:20 ce qui est logique puisque c'est une forêt artificielle
03:24 qui a été constituée par la plantation de pains maritimes à partir du début du XIXe siècle.
03:31 Alors qu'en Bretagne, la collecte est à 75 % de résineux.
03:38 Or, on est dans des forêts naturelles à dominante feuille.
03:44 Donc le problème, qu'est-ce que l'on peut faire de tous ces feuilles qui ne trouvent pas d'utilisation ?
03:51 En fait, on peut dire que la faiblesse de la surface forestière, elle se reflète dans cette carte.
03:58 Vous avez à droite le taux de boisement.
04:01 Vous pouvez voir qu'on est à moins de 15 % de taux de boisement.
04:05 On est en bleu extrêmement pâle.
04:08 Et bien cette partie-là, c'est exactement le contraire de ce qui concerne la densité de haies en France métropolitaine.
04:17 Il n'y a que le Cotentin qui fait mieux que l'ensemble de la Bretagne.
04:21 On est dans une zone entre 90 et 120 mètres de forêt linéaire par hectare.
04:30 Donc là, au fond, le contraste des deux cartes, l'une est le positif et le négatif, et l'autre est le négatif.
04:37 On voit bien que l'insuffisance du boisement a été compensée par la formation du bocage.
04:47 Alors comment peut-on expliquer cela ?
04:49 Rentrons dans le vif de la première partie, c'est-à-dire la forêt d'autrefois.
04:54 La faiblesse de la surface forestière s'explique en grande partie par la primauté donnée à l'agriculture.
05:00 Ça ne veut pas dire que l'agriculture n'a pas été créatrice de boisement en Bretagne,
05:06 notamment dans le sud de la Bretagne, avec des taillis de châtaigniers
05:10 pour répondre aux besoins de piquets de vignes et de cercles pour les barriques.
05:17 Mais en gros, primauté agricole, ça voulait dire le primat donné aux pâtures et aux cultures.
05:25 On pense souvent que les choses ont pu changer au cours du temps.
05:29 Pas du tout.
05:30 Les mouvements internes de peuplement se sont fait d'ouest en est et s'est acquis très précocement.
05:37 On peut dire que tout est joué dès le Xe siècle.
05:40 En effet, les invasions viennent de la mer.
05:44 Au Ve millénaire, ce sont des ramasseurs de coquillages.
05:47 Bon, c'est pas bien méchant.
05:50 Viennent ensuite de la mer les peuples solsticiens à partir du IIe millénaire
05:55 qui ont influencé la direction des champs et puis surtout la création d'alignements de mégalithes.
06:03 Et à partir du VIe siècle avant Jésus-Christ, les invasions bretonnent.
06:08 Donc les mouvements de population ont toujours été fait d'ouest vers l'est
06:12 en s'arrêtant aux frontières de l'est car là on bute sur des forêts frontières
06:18 qui permettaient de préserver la Bretagne par rapport aux tentatives gourmandes de l'Angleterre en Normandie
06:29 ou des tentatives non moins gourmandes des rois de France.
06:34 Donc les forêts frontières sont concentrées à l'est de la Bretagne.
06:40 La régression forestière s'explique également par l'importance des densités rurales
06:46 qui ont toujours été une caractéristique de cette zone y compris dans l'ancien temps.
06:52 En effet, pourquoi cette croissance continue ?
06:55 Eh bien contrairement au reste de la France, la Bretagne a en gros échappé aux grandes crises de surmortalité,
07:03 celles qui sont liées à la dureté du petit âge glaciaire 1580-1880
07:11 et surtout aux années terribles qu'ont été 1690-1710
07:17 où certaines régions ont perdu quasiment la moitié de leur population.
07:21 Rien de tel en Bretagne.
07:23 Climat plus doux et puis surtout, je dirais, même s'il y a eu de mauvaises récoltes de céréales,
07:32 ces mauvaises récoltes de céréales n'ont pas tué comme dans le reste du pays.
07:36 Pourquoi ? Parce qu'il y avait d'autres ressources et en particulier les ressources de la pêche
07:42 avec le transport des poissons fumés jusque dans l'intérieur des terres.
07:47 Également, densité rurale importante en raison de l'évolution précoce de la mortalité infantile
07:53 qui décroche au XVIIIe siècle passant brutalement de 294 à 193 pour mille
08:00 et ce sera, je dirais, quelque chose qui sera continu par la suite.
08:04 On pourrait penser que les guerres chouanes ont entraîné une désorganisation de la population.
08:13 Eh bien, après les guerres chouanes, la convalescence nuptiale a été très rapide, dirais-je
08:19 et par conséquent les enfants ont suivi.
08:21 On peut dire que l'équilibre démographique est totalement rétabli à partir des années 1800.
08:27 Mais cette primauté agricole, ça explique la régression forestière.
08:31 Régression forestière, j'ai mis au premier sous-titre "décapage" avec trois méthodes
08:38 que je vais décrire en partant de la plus inoffensive à la plus draconienne.
08:44 La plus légère, en quelque sorte, c'est l'essartage.
08:49 Ça consiste à abattre des jeunes tiges et à y mettre le feu.
08:55 C'est un feu courant et comme le mot l'indique, il passe très rapidement.
09:00 Il détruit donc les jeunes tiges, on va en récupérer les cendres,
09:05 mais par contre cela préserve les très gros arbres,
09:09 d'autant plus qu'on a protégé le cambium de ces arbres,
09:14 là où passent la sève descendante et la sève montante,
09:18 en y mettant des péphagos qui fait que l'arbre n'est pas touché.
09:23 Ça vous explique que partout en Bretagne,
09:26 vous trouvez grâce à ce système d'essartage la présence de très vieux arbres,
09:32 des arbres tout à fait vénérables et impressionnants par le volume de leur ramure
09:39 et naturellement ce qu'on appelait joliment autrefois leur rotondité,
09:43 c'est-à-dire le tour de taille.
09:45 Je vous rappelle que jusqu'à la fin du 19e siècle,
09:48 les arbres sont mesurés par leur tour de ceinture
09:51 et non pas par leur diamètre qui est une mesure plus moderne,
09:56 à partir du moment où on a développé l'utilisation des compas forestiers.
10:02 Seconde méthode, l'éco-buage.
10:05 Là, on a un retournement des mottes,
10:09 donc on y va à la pelle et au râteau.
10:13 Sur ce retournement des mottes, on jette des arbustes, des arbrisseaux coupés,
10:19 on y met le feu et là c'est un brûlit qui est long,
10:24 qui va donc détruire, qui va transformer complètement la biomasse.
10:28 Après cela, vous avez des salariés, des travailleurs qui vont récolter les cendres,
10:36 les cendres qui sont à la base de la fabrication des savons.
10:40 Et enfin, troisième méthode, l'étrépage,
10:43 où là il y a transfert de fertilité,
10:46 c'est-à-dire qu'on gratte une partie des fertilisants
10:50 que l'on a obtenus par les procédés précédents,
10:53 de façon à enrichir le sol sur lequel on pratique l'éculture légumière,
11:00 c'est-à-dire le potager qui est la seule partie des propriétés
11:06 qui bénéficie d'une réelle amélioration du terrain.
11:13 De ce fait, vous avez un paysage de juxtaposition.
11:18 Vous avez d'un côté ce que j'appellerais une cellule massive,
11:23 une forêt massive où la forêt est continue.
11:26 Les peuplements sont tout petits, la moitié des bois font moins de 10 hectares
11:33 et le cinquième des massifs font moins de 1000 hectares.
11:36 Donc vraiment une forêt massive, oui,
11:41 mais qui représente peu dans le paysage.
11:43 Et pourtant on a l'impression que l'arbre est très présent
11:46 en raison des mailles boisées, c'est-à-dire des cellules qui sont vides.
11:51 Sur le pourtour, vous avez les haies de bocage
11:54 et au centre, vous avez des cultures ou des pâtures.
11:59 Ces haies ne sont pas faites n'importe comment,
12:02 elles sont portées sur des talus qui sont d'autant plus hauts
12:07 que l'on va plus en face de l'ouest pour se protéger des vents.
12:12 Vous avez en gros un tiers qui est composé d'essence caduque,
12:17 c'est-à-dire qui perdent leurs feuilles, châtaignées, chênes ou hêtres,
12:21 et deux tiers qui sont en feuillage persistant ou marcessant.
12:26 Persistant, c'est-à-dire qu'ils ne perdent pas leurs feuilles,
12:29 c'est le cas du Troen, il n'y a pas que les résineux qui ont des feuillages persistants,
12:33 et marcessant, c'est-à-dire que les feuilles restent jusqu'au moment
12:38 où les petites nouvelles au printemps sont prêtes à apparaître,
12:41 c'est le cas de certaines variétés de hêtres.
12:44 Ce qui vous permet d'avoir un bon comblement de la partie basse de la haie
12:50 et ça arrête les vents, les coulis froids,
12:53 qui seraient nuisibles pour le bétail.
12:58 Toutes ces opérations, naturellement, exigent énormément de bras
13:02 et je dirais que ça permet d'occuper toute cette population.
13:07 Le résultat, c'est que, que ce soit du côté des haies ou du côté des forêts,
13:12 on a affaire à une végétation qui est très animée par la population et très bruyante.
13:19 Vous ne faites pas de pas sans rencontrer un voisin, un ami,
13:24 on n'est pas du tout dans les campagnes silencieuses que l'on peut rencontrer aujourd'hui.
13:33 Dans ces deux cartes, vous ne voyez rien du tout.
13:40 Dans la première carte, vous voyez les forêts privées en vert pâle
13:45 et vous vous dites "Fichtre, elles ne représentent pas grand-chose à l'échelle du territoire".
13:51 Vous voyez en vert plus foncé les forêts de l'Etat,
13:55 de l'Etat, des collectivités, des établissements publics,
14:00 vous voyez qu'elles sont situées à l'est de la Bretagne,
14:03 mais vous en avez certaines qui piquettent, en quelque sorte, le littoral
14:08 et elles sont reliées par les fleuves côtiers,
14:13 ce qui permet d'envoyer leur bois, qu'il s'agisse des grumes ou des produits transformés,
14:18 de les envoyer jusque dans les arsenaux.
14:20 De ce fait, elles ont été soigneusement conservées,
14:23 mais vous voyez que ça ne représente pas beaucoup.
14:26 L'autre carte vous montre, elle est un petit peu ancienne, mais elle est très parlante
14:31 parce qu'elle vous donne comme estimation 389 000 hectares,
14:36 aujourd'hui on est à plus de 400 000 hectares,
14:38 mais vous voyez que les grandes masses forestières,
14:41 c'est le Morbihan, 127 000 hectares, en grande partie liées aux arsenaux
14:48 et l'Île-et-Vilaine, liée au phénomène de forêt frontière
14:51 dont j'ai parlé tout à l'heure avec 72 000 hectares.
14:57 Dans cette forêt d'autrefois, je vous ai dit qu'elle était très animée,
15:01 il y a donc beaucoup de travailleurs,
15:03 ne serait-ce que des travailleurs qui servent pour la construction des maisons.
15:07 Pendant très longtemps, ces maisons sont essentiellement végétales,
15:11 qu'il s'agisse des murs qui sont composés de torchis, de pisés,
15:15 ou le toit qui est composé d'ajons coupés
15:20 et également de la récupération des chaumes sur les champs.
15:24 Mais moi je vais insister uniquement sur deux grandes catégories de travailleurs
15:31 qui ont un positionnement qui est différent dans la société.
15:34 On peut dire que sociologiquement, il y a d'un côté ceux qui coupent et façonnent,
15:39 qui sont intégrés dans la société villageoise,
15:42 et ceux qui brûlent et transforment le bois
15:46 et qui vivent en marge de la société villageoise.
15:50 Alors tout d'abord ceux qui coupent et façonnent.
15:53 Ils vivent dans ces cellules bocagères dont j'ai parlé,
15:58 qui ont toute une organisation à peu près semblable,
16:01 mais qui sont disjointes et qui communiquent,
16:04 en particulier en hiver et à l'automne quand les pluies sont venues,
16:07 difficilement entre elles en raison des chemins creux,
16:11 le fond de ces chemins, c'est l'ornière qui est remplie d'eau,
16:16 et par conséquent pour franchir les mauvais passages,
16:20 vous vous cramponnez au haie qui surmonte le talus
16:24 pour réussir à franchir le passage qui est difficile.
16:28 Vous avez donc un habitat dispersé dans des paroisses
16:33 qui ont une taille très considérable.
16:35 Et je crois que dès maintenant on peut introduire une donnée
16:38 qui me paraît importante pour la Bretagne,
16:41 c'est que pendant très longtemps la Bretagne a eu une urbanisation insignifiante.
16:46 Et par conséquent ces forêts, le peu de forêts qu'elle avait,
16:50 n'ont pas été englobées dans des périmètres d'approvisionnement,
16:55 d'agglomération, comme en Normandie pour approvisionner Rouen,
17:00 ou comme en Ile-de-France pour approvisionner Paris, Troyes, etc.
17:05 Le résultat c'est que ces communautés bretonnes
17:10 n'ont pas les produits de ce que l'on appelle la vente à la feuille,
17:14 c'est-à-dire la vente du tahille annuel
17:17 où on passe un contrat pour 20 ans avec un marchand
17:21 et celui-ci vous paye chaque année une partie,
17:26 le vingtième par exemple, de la somme totale
17:28 et c'est lui qui s'occupe d'ailleurs de garder en bon état cette forêt.
17:33 Non, dans le cas de la Bretagne pas du tout.
17:36 Les bois ne quittent pas la région,
17:39 ils doivent donc être transformés sur place
17:42 dans le cadre d'une économie autarcique.
17:45 Alors il faut bien penser qu'on vit chichement
17:49 et comme on vit chichement on cherche un revenu d'appoint.
17:54 Au fond c'est l'image du paysan ouvrier.
17:57 Alors certains paysans tissent,
17:59 donc ils participent par exemple à la fabrication des toiles
18:03 qui sont nécessaires pour les navires,
18:06 mais il y en a d'autres qui transforment le bois de maître
18:11 pour en faire des sabots.
18:13 Le sabot c'est une formidable conquête
18:16 car jusque-là on marche pieds nus.
18:18 Le sabot apparaît dans les années 1480-1512
18:22 et je vous conseille de relire l'ode du poète François Villon
18:26 qui s'appelle "Ode à la grosse Margot".
18:29 Jusqu'à la fin du 19e siècle les sabots restent extrêmement précieux.
18:34 Je dirais que ce qui a éliminé les sabots
18:37 ce sont les bottes en caoutchouc.
18:40 Alors ce genre d'artisanat a évolué.
18:43 À la fin du 19e siècle arrivent des machines à sabots,
18:47 la tailleuse qui donne la forme extérieure du sabot
18:50 et la creuseuse qui permet d'avoir les pieds à l'intérieur du sabot.
18:56 Et vous avez des sabots de toutes sortes.
18:58 Vous avez même des sabots qui sont à deux talons.
19:02 Pourquoi deux talons ?
19:03 Eh bien pour pouvoir marcher même quand le sol est très mouillé.
19:07 On ne met pas des échaches mais on met ces sabots qui ont cette forme très particulière.
19:12 Vous avez également des sabots dont le talon est devant et non pas derrière.
19:20 Vous comprenez très bien à quoi il sert.
19:22 Il sert aux braconniers pour que le garde forestier qui suit ces traces
19:28 ne sache pas dans quel sens se déplace le paysan.
19:32 Cela dit, très souvent les enfants vont à l'école pieds nus pour économiser leurs sabots
19:38 et ils les portent en bandoulière autour de leur cou
19:42 et ne le mettent qu'en rentrant directement à l'école.
19:46 Alors évidemment aujourd'hui on ne porte plus des sabots
19:50 mais ça a créé une industrie très importante
19:53 en particulier de feutres pour les petites soquettes
19:57 que l'on mettait à l'intérieur du sabon pour ne pas souffrir de l'humidité.
20:04 L'autre catégorie, ce qui brûle et transforme,
20:08 cela concerne les charbonniers.
20:11 Alors en fait vous avez des usages très nombreux
20:14 auxquels on se livre dans des espaces communs
20:17 et ce sont des travaux que l'on fait ensemble.
20:20 Les habitants sont très attachés à ce que l'on appelle la compasquité
20:25 et on le verra dans l'exploitation des ragosses
20:28 caractéristiques de l'île Évilaine et qui permettent le chauffage.
20:34 Mais vous avez des règles également communes
20:37 concernant les charrois de grume en direction des chantiers de construction navale.
20:43 Sauf que le transport des grumes,
20:46 il faut vraiment avoir un très gros commanditaire
20:50 qui a des trains de bœufs pour réussir à acheminer ces grumes qui pèsent des tonnes.
20:57 C'est très difficile en raison de la nature des chemins creux.
21:00 Donc la bonne solution,
21:03 évidemment les grumes dont on a besoin pour les navires,
21:06 il faut quand même les transporter,
21:07 mais l'essentiel des bois ne sont pas transportés à l'état de nature,
21:14 ils sont transformés par déshydratation.
21:17 Et c'est là que mes charbonniers interviennent.
21:22 Alors les charbonniers, à la différence des sabotiers
21:26 qui vivent aux rives de la forêt, aux reins de la forêt,
21:30 c'est-à-dire en lisière de la forêt,
21:31 comme on disait autrefois,
21:33 le charbonnier, lui, il vit son existence à l'intérieur de la forêt.
21:39 Il habite dans des loges,
21:41 en gros c'est 6 à 8 familles de 3 à 4 personnes
21:46 qui sont là pour surveiller un ensemble de meules de charbon.
21:52 En général, ils en surveillent 3 à 4 en même temps.
21:58 Et une fois que le processus de la cuisson,
22:02 que l'on appelle la cuite de la meule de bois,
22:05 où on a entièrement enfermé la meule de bois
22:08 avec juste quelques ovants percés à la base
22:11 pour que ça cuise lentement
22:13 et que par conséquent le bois se transforme en charbon de bois,
22:17 c'est-à-dire qu'il perd complètement son eau,
22:19 ça s'appelle la cuite,
22:20 ça prend en gros de 5 à 8 jours.
22:23 Or, lorsque l'on est en train de faire une cuite,
22:28 il faut surveiller tous les instants
22:31 jusqu'au moment où la fumée va devenir bleuâtre
22:34 et cela indique que la transformation est à peu près achevée.
22:39 Donc, le charbonnier a une particularité,
22:44 c'est qu'il travaille l'hiver
22:47 pour éviter que le feu puisse se propager,
22:50 ça arrive d'avoir des incendies qui sont causés par des meules de charbon,
22:54 il travaille l'hiver,
22:55 c'est-à-dire dans la période de la morte saison agricole pour les paysans,
23:00 il travaille nuit et jour,
23:02 si bien que de loin on voit la clarté rougeoyante des meules,
23:07 l'idée que quelqu'un maîtrise la flamme et travaille la nuit,
23:11 oula, il est forcément sinon magicien,
23:16 du moins un être bizarre,
23:18 et d'autant plus bizarre que naturellement ses vêtements sont noirs
23:22 et sa peau aussi.
23:24 Dans bien des villages du XVIIe siècle,
23:27 au moment de la contre-réforme,
23:29 lorsqu'un charbonnier meurt,
23:31 on hésite à l'enterrer dans le cimetière du village,
23:36 on pense qu'il va se ranimer la nuit
23:39 et faire des coups de sorcellerie,
23:42 donc parfois on les enterrait à l'intérieur même de la forêt,
23:46 pas très loin de leur loge,
23:47 parce qu'on leur refusait la terre chrétienne.
23:52 J'ai pris deux séries de documents,
23:54 tout d'abord concernant le sabotier.
23:57 Vous avez en haut le sabotier représenté
24:01 dans une aquarelle de Louis Frédéric,
24:03 le sabotier 1900.
24:05 Vous avez au centre une carte postale illi-vilaine
24:09 qui concerne la forêt de Fougères,
24:11 et vous voyez que les ateliers
24:14 sont alignés dans une sorte de rue en terre,
24:19 et on attend le client,
24:20 parce que les sabots sont plus ou moins décorés,
24:24 et c'est aussi un cadeau que l'on fait au moment des fiançailles,
24:28 et on le garde avec soin,
24:30 souvent ces sabots-là sont mis au-dessus de la porte d'entrée,
24:34 à l'intérieur de la maison.
24:36 Et vous voyez cette fois-ci un atelier
24:39 qui a fonctionné jusqu'en 1993 en forêt de Camorres,
24:43 et vous voyez ces sabots qui sont faits exclusivement en hêtres.
24:47 Et le métailler qui va faire de la saboterie,
24:51 il n'a pas coupé les hêtres au hasard,
24:55 c'est le propriétaire de la métairie
24:57 qui lui a donné le droit d'exploiter un certain nombre de hêtres
25:02 pour fabriquer les sabots,
25:04 et naturellement il prélève une redevance sur le commerce des sabots.
25:08 Donc vous avez là un mouvement de population,
25:11 car au moment des grandes fêtes religieuses,
25:13 les sabotiers vont vendre lors des pardons
25:16 leurs sabots les plus beaux,
25:19 sachant que c'est le moment où ils peuvent demander davantage pour ces sabots.
25:23 Ces sabots sont faits avec du bois vert,
25:26 et ils sont séchés à la fumée des fours,
25:30 en même temps que les charcuteries, saucisses ou jambons,
25:33 ça va ensemble.
25:36 Ici vous avez au contraire trois représentations concernant les charbonniers.
25:41 Tout d'abord un tableau de Guethe,
25:42 et vous voyez cette fumée de 1880,
25:45 vous avez cette fumée bleuâtre qui apparaît tout au bout du chemin,
25:50 et vous avez les piles de bûches à charbon.
25:54 La bûche à charbon n'a pas la même taille
25:56 que la bûche qui va être utilisée pour la sidérurgie,
25:59 elle est nettement plus petite,
26:01 elle représente ma main plus le bras,
26:06 en gros jusqu'en haut du coude,
26:08 alors que la bûche de sidérurgie est beaucoup plus longue,
26:11 puisqu'elle comprend jusqu'à l'épaule.
26:13 Donc il y a là deux circuits de marché
26:16 qui ne se recoupent pas du tout.
26:19 Vous avez également un dessin de Rosa Bonheur,
26:22 "Les Charbonniers de 1890",
26:25 et je vous ferai remarquer à chaque fois,
26:27 dans ces représentations de la fin du 19ème siècle,
26:29 au moment où le charbonnage a sinon disparu,
26:33 tout au moins fortement décliné,
26:36 ce que les artistes représentent,
26:38 c'est le moment où on démolit la meule,
26:41 c'est-à-dire le moment où on récupère le charbon
26:44 et on va procéder à l'ensachement.
26:47 En gros, le sac que l'on appelle également une pipe,
26:53 ça représente 5 à 3 litres de charbon de bois.
26:56 Ne croyez pas que le charbon de bois
26:58 peut être transporté sur longue distance,
27:00 il s'émiette, il s'effrite extrêmement vite,
27:03 donc il perd sa qualité,
27:05 en plus il va absorber la vapeur d'eau de l'atmosphère,
27:09 donc on ne le transporte pas au-delà de 30 km.
27:13 Donc ça vous indique déjà le périmètre des forêts
27:16 qui peuvent être soumises à charbonnage
27:18 par rapport aux demandes de l'industrie siderurgique
27:21 ou naturellement des chantiers de construction navale.
27:27 Et tout en bas, vous voyez dans la forêt de Pinpon,
27:30 une reconstitution d'une fouée,
27:32 c'est-à-dire le processus complet de construction
27:37 de la meule, de la cuite et ensuite du démontage de la meule
27:41 qui est fait dans les années 1990.
27:45 Mais vous voyez, les représentations sont extrêmement abondantes
27:50 concernant le travail du charbonnage.
27:55 Alors pourquoi est-il si important
27:58 et quel a été son effet sur la forêt bretonne ?
28:01 Les forêts appartiennent soit au roi, soit au grand
28:05 et elles ont été rentabilisées par la transformation du bois en charbon
28:11 pour le compte des établissements siderurgiques.
28:14 Alors de temps en temps, il faut rendre hommage aux grands anciens,
28:19 la siderurgie en Bretagne était extrêmement ancienne
28:24 mais elle avait été totalement désorganisée
28:26 pendant les guerres de religion dans la seconde moitié du XVIe siècle.
28:31 Lorsque la paix entre les catholiques et les protestants est signée,
28:35 paix précaire certes, c'est la paix d'Alaisse en 1629,
28:40 une grande famille de la région, les Rohan,
28:43 dont la personne du chef de famille, Henri II de Rohan,
28:47 décide de restaurer la siderurgie bretonne.
28:51 Il est très bien placé pour cela
28:55 parce qu'il est le gendre de Béthune,
28:58 que vous connaissez sous le nom de Sully,
29:00 et il est le beau frère du grand maître de l'artillerie.
29:04 Par conséquent, d'importantes commandes militaires
29:08 sont donc passées dans tous les établissements
29:11 qui sont dans l'obédience de la famille Rohan.
29:15 Il y a deux versions dans cette politique industrielle,
29:20 les constructions navales avec un programme de restauration,
29:26 je dirais même de constitution d'une flotte navale
29:29 qui est lancée sous les Rohan
29:32 et qui va être continuée ensuite sous l'église,
29:34 avec une conception très moderne des techniques,
29:36 puisque tout a été détruit précédemment,
29:38 donc quand on refait, on fait de neuf.
29:41 Pourquoi on peut faire des techniques très modernes ?
29:44 Eh bien parce qu'Henri II de Rohan,
29:46 que décidément j'aime de plus en plus,
29:48 a été ambassadeur en Grande-Bretagne et en Allemagne,
29:52 et par conséquent, il a pris bonne note
29:55 de tous les procédés les plus modernes qui existaient à l'époque
29:58 dans les pays de haute technicité sinéorgique,
30:01 en particulier la fenderie,
30:03 c'est-à-dire deux blocs de cylindres avec taillants
30:09 qui permettent de découper en deux une plaque,
30:12 et sans cette plaque extrêmement fine,
30:15 on ne pourrait pas faire des fers à clous
30:17 qui servent à des tas de choses
30:19 et qui sont une des spécialités de la Bretagne.
30:22 Les fers à clous ne servent pas seulement à ferrer les chevaux,
30:25 ça sert également dans la construction nabale,
30:28 car la France a une particularité contrairement à la Hollande,
30:31 on ne cheville pas avec du bois,
30:35 on cheville avec du métal.
30:37 Et souvent, je dirais,
30:40 on a dû le regretter,
30:43 car dans les guerres coloniales qui nous ont mené
30:46 dans des mers chaudes, notamment les Antilles,
30:49 la corrosion liée à la présence métallique au contact du bois
30:53 a souvent entraîné une désorganisation rapide
30:56 des membrures qui composent le bateau.
31:00 Quel est donc l'impact des complètes sidérurgiques ?
31:04 Je dirais qu'il y en a deux essentiellement.
31:07 Il y a un premier problème,
31:09 qui correspond à ce que je vous ai expliqué tout à l'heure,
31:11 de mes paysans ouvriers.
31:13 Ils sont ouvriers, mais aussi ils sont paysans,
31:15 donc ils veulent faire la récolte.
31:17 Ils veulent faire les semailles,
31:19 d'abord les semailles, puis ensuite les récoltes.
31:21 Et par conséquent,
31:23 ils ne restent pas en place.
31:26 Il arrive un moment, c'est "ciao,
31:28 je vais faire les semailles,
31:29 ciao, je vais faire les récoltes".
31:30 Donc, les complexes sidérurgiques
31:34 se sont dotés, je dirais,
31:36 de moyens pour retenir cette population.
31:39 Non seulement par les salaires qui sont donnés,
31:42 mais également, je dirais,
31:44 ce qu'on appellerait aujourd'hui les avantages sociaux.
31:47 En particulier, des sortes de cantines, si vous voulez,
31:50 qui permettent de nourrir les ouvriers
31:53 et de leur laisser de quoi rapporter
31:55 également de la nourriture à leur famille.
31:58 Cette activité, elle est restée persistante
32:02 malgré la Révolution française.
32:04 Alors évidemment, au moment de la Révolution française,
32:07 bon nombre des nobles ont émigré,
32:10 ou bien se sont cachés,
32:11 ou sont passés dans l'opposition
32:13 en devenant des chefs de la chouannerie.
32:16 Mais à ce moment-là, l'établissement
32:18 passait sous le contrôle de la République
32:21 qui nommait un technicien,
32:23 qui était souvent d'ailleurs le régisseur,
32:25 qui était déjà en place
32:28 et qui va donc continuer l'exploitation.
32:31 Et je dirais,
32:34 dans toute cette période de 1793
32:38 jusqu'en gros 1797-1799,
32:41 on a des coups de main de la chouannerie,
32:45 des opérations commando
32:47 contre ces établissements synergiques
32:49 qu'ils produisent pour les armées de la République.
32:53 Donc ces établissements sont bientôt
32:56 sains d'une ceinture fortifiée
33:00 et ils sont protégés par des gardes.
33:02 Ça devient, je dirais, des établissements
33:04 de haute sécurité.
33:07 Il y a tout de même une contradiction
33:09 qui va se poser très rapidement.
33:12 L'industrie est-elle
33:14 en mesure de conserver les espaces forestiers
33:18 ou au contraire est-elle
33:19 destructrice des peuplements forestiers ?
33:23 Alors j'essaye d'avoir une position
33:27 mi-chèvre mi-chou,
33:29 c'est-à-dire dans l'entre-deux.
33:31 Je dirais que c'est vrai
33:33 qu'il y a peu de forêts
33:35 mais que ces forêts
33:38 sont relativement demeurées, tout au moins
33:40 en ce qui concerne leur périmètre.
33:42 Pourquoi ?
33:43 Eh bien parce que tout d'abord,
33:44 ces forêts sont détenues par la noblesse
33:46 et par conséquent, il y a une transmission
33:50 d'un patrimoine qui est sans partage.
33:54 Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de partage
33:55 successoral, mais ça veut dire que
33:58 ce qui est la terre de dignité
34:00 où se trouve l'établissement chirurgique
34:03 est confié, je dirais, à l'aîné de la famille
34:07 qui récupérera le nom.
34:09 Mais naturellement, il donne dommage
34:10 aux frères et les sœurs,
34:11 mais pas à la hauteur de ce qu'il a reçu
34:13 en tant que terre de dignité.
34:16 Il y a également le rendement
34:17 du capital nobiliaire
34:19 qui est placé là-dedans.
34:21 Les chiffres sont très élevés.
34:23 On les possède au travers
34:24 de différentes thèses.
34:25 Je pense en particulier à la thèse de Meyer.
34:27 En gros, ça tourne souvent
34:30 aux alentours de 10 à 15 %,
34:32 c'est-à-dire que c'est un taux de rendement
34:34 extrêmement élevé, plus élevé
34:36 que certains placements financiers
34:38 qui étaient pourtant forts à la mode
34:40 à la fin du XVIIIe siècle.
34:42 Je dirais que ce qui m'intéresse,
34:44 ce n'est pas tellement le rendement du capital,
34:46 c'est la structure du peuplement forestier
34:50 qui en est modifiée.
34:51 En effet, quand vous avez un établissement
34:54 chirurgique, il faut qu'il puisse fonctionner
34:57 sans à-coups.
34:58 Il n'est pas question d'éteindre
35:00 un haut fourneau.
35:01 Il faut que ça tourne continûment.
35:03 Et par conséquent, la propriété
35:05 qui fournit le bois est divisée
35:07 en un certain nombre de parcelles
35:09 que l'on fait rouler.
35:11 Par exemple, si on exploite les bois,
35:14 je vous dis n'importe quoi,
35:15 à l'âge de 20 ans,
35:17 on va diviser le patrimoine en 20 parcelles
35:20 et on en exploitera une par an.
35:23 Il y a donc des mesures, je dirais,
35:25 de sauvegarde du patrimoine
35:27 qui sont liées au fonctionnement même
35:30 d'un établissement chirurgique.
35:32 Alors, j'ai dit que j'étais chèvre et chou,
35:35 l'industrie, elle épuise quand même
35:37 les peuplements forestiers
35:38 parce que la France est un pays
35:41 qui est en guerre.
35:42 On adore la guerre.
35:44 Au XVIIe siècle, on a fait en gros la guerre
35:48 un peu plus de un an sur trois.
35:50 Et l'année où on n'en faisait pas la guerre,
35:51 ça veut dire qu'on préparait la suivante.
35:54 Par conséquent, on avait énormément besoin
35:57 de produits chirurgiques pour l'artillerie.
36:01 Mais on s'est un petit peu calmés
36:03 au XVIIIe siècle, pas longtemps,
36:05 parce que dès 1763,
36:06 on a repris les hostilités.
36:08 Puis 1780, allez hop,
36:10 on est allés derrière les États-Unis.
36:12 Et puis ensuite, il y a eu la Révolution.
36:14 La Révolution, en gros, et l'Empire,
36:16 c'est la guerre continue et à outrance,
36:19 et au moins on ne me lie pas,
36:21 contre toute l'Europe.
36:22 Là, on n'hésite pas.
36:23 Et ça, de 1792 à 1815.
36:28 Quand on s'est débarrassé de Napoléon Ier,
36:31 on est épuisés, éreintés, lessivés.
36:35 Mais c'est vous dire que, progressivement,
36:37 il a fallu que ces établissements
36:39 consomment de plus en plus de charbon de bois,
36:41 donc de plus en plus de bois,
36:43 pour réussir à fournir la demande.
36:49 Donc l'offre est restée à peu près stable,
36:52 alors que les besoins ont été croissants.
36:54 Le résultat, c'est que le prix de la corde de bois,
37:00 c'est-à-dire le bois vide et plein, empilé,
37:04 la corde, ça représente en gros trois stères,
37:06 n'a pas cessé d'augmenter.
37:08 Et comme elle n'a pas cessé d'augmenter,
37:10 ça affaiblit le rendement de ces établissements.
37:16 L'investissement devient de moins en moins rentable
37:19 à partir du moment où la ressource énergétique
37:22 devient de plus en plus chère.
37:24 Et de toutes les façons, il faut réussir à fournir.
37:26 Et pour réussir à fournir,
37:28 ce qui était enfûté va être transformé
37:33 en taillis sous-fûté,
37:34 donc un étage inférieur surmonté par des balivots
37:38 qui peuvent produire des grumes pour le bois d'oeuvre
37:41 ou pour le bois de marine.
37:43 Et puis progressivement, ça va devenir du taillis tout court
37:47 que l'on exploite très jeune,
37:49 souvent aux alentours d'une quinzaine d'années.
37:53 Et le résultat, il va être surprenant, vous allez voir.
37:58 Tout d'abord, je vous présente la forêt du Cranou,
38:02 qui est une forêt qui servait uniquement à la construction navale.
38:07 Et dans la forêt de Pinpon,
38:10 les anciens eaux fournoues en île évilaine.
38:13 Mais vous...
38:14 Bon, je reviendrai en arrière après.
38:17 Voilà.
38:18 Je reviendrai après en arrière.
38:20 Voilà, dans les côtes d'Armor, la forge des Salles,
38:23 1623, évidemment la carte postale, ça ne correspond pas à cette période.
38:26 Mais vous voyez, l'organisation,
38:29 c'est quasiment un phalanctère déjà avant la lettre.
38:32 Et au centre, vous avez ce tableau de Corot,
38:35 de Jean-Baptiste Corot,
38:36 qu'il a peint quand il allait voir son élève, Charles Roux,
38:40 qui venait en 1861 d'être élu maire de Cerisée.
38:44 Et qu'est-ce que vous voyez de cette forêt ?
38:46 Elle est composée de bouleaux, c'est-à-dire de bois blanc,
38:50 c'est-à-dire d'essence pionnière qui revient très vite,
38:53 qui vous fournit un excellent charbon de bois,
38:55 qui est aussi utilisé en boulangerie.
38:58 Mais ça indique bien, le périmètre demeure,
39:02 mais le peuplement, lui, s'est dégradé, s'est appauvri.
39:05 Et tout à fait, l'autre dessin,
39:09 c'est une estampe de Henri Rivière,
39:11 les pins, c'est dans les monts d'Arrée,
39:13 qui là aussi avaient été fortement sollicités
39:16 pour la fourniture de la sidérurgie.
39:20 Et à la fin du XIXe siècle, il n'y a plus de sidérurgie,
39:23 donc on essaye de tirer parti de ce patrimoine
39:26 en y installant des pins,
39:28 mais vous voyez que les premiers pins qu'on a plantés,
39:31 ils n'ont quand même pas une allure formidable.
39:36 Donc ça pose le problème,
39:38 qu'est-ce que l'on fait de ces forêts
39:41 à partir du moment où la sidérurgie,
39:44 progressivement, va se retirer ?
39:48 J'ai pris deux cas qui montrent tout de même,
39:53 je dirais, l'habileté des propriétaires
39:59 et des exploitants de ces établissements.
40:02 J'ai pris d'abord ce qui concernait la pression des maîtres de forges,
40:06 avec les forges de Vaux-Blanc,
40:08 qui utilisaient une partie de la forêt de Loudeac,
40:12 et qui était installée dans la commune de Plémet.
40:16 Au départ, ce n'est pas du tout un établissement sidérurgique,
40:19 c'est un moulin à papier.
40:20 C'est-à-dire que dans tous les environs,
40:22 ils ramassaient les chiffons qu'on broyait
40:25 et on les transformait en une sorte de pâte
40:27 en utilisant les larves des anitons blancs.
40:31 Ce n'était peut-être pas ragoûtant, ça sentait très mauvais,
40:33 mais ça se vendait très bien.
40:35 Et en 1671,
40:37 François de Farcy,
40:40 qui possédait ce moulin à papier,
40:42 a été conscient de l'intérêt d'exploiter les filons ferreux
40:46 qui étaient découverts en forêt de Loudeac
40:48 et qui affleuraient à la surface.
40:51 Et à force de faire des pieds et des mains,
40:53 il a obtenu de la famille de Rohan
40:55 d'obtenir cette forêt un tiers en concession
40:59 pour l'exploitation en charbonnage.
41:01 Et si on lui a donné,
41:02 c'est vraisemblablement parce qu'il avait été le régisseur
41:06 de Madame de Rohan.
41:08 En 1675, il a très bien réussi,
41:11 et là, il revend le bloc,
41:13 c'est-à-dire sa concession forestière,
41:16 le haut fourneau,
41:17 la forge qui est à 2 km de là.
41:20 Il la revend à qui ?
41:22 À un ami de Rohan,
41:24 Simon Hay, comte de Couélon.
41:26 Et donc on voit bien dans ce cas
41:29 le passage de ce qui était un affogement,
41:32 c'est-à-dire la possibilité de se procurer
41:34 le bois de chauffage qu'on transformait en charbon de bois,
41:38 en investissement durable d'un bloc chirurgique.
41:42 Et l'investissement, il est fait par le comte de Couélon.
41:48 Cela dit, à l'apogée des forges du Vaux-Blanc,
41:51 il y a 500 employés de manière permanente.
41:55 Sauf qu'il arrive un moment,
41:56 la rentabilité de l'établissement n'est plus assurée
42:00 à cause du prix de la corde de bois.
42:02 Et puis, il y a aussi la concurrence anglaise,
42:06 le protectionnisme qui avait été mis en place
42:11 à partir des années de 1820 à 1832
42:14 progressivement recule.
42:16 Et sous Napoléon III, il est complètement supprimé.
42:19 Or là, les produits bretons, chirurgiques bretons,
42:23 ne sont pas compétitifs par rapport aux produits chirurgiques anglais
42:27 qui eux n'utilisent pas le charbon de bois
42:29 mais qui utilisent le coq,
42:31 la Grande-Bretagne étant un bloc de charbon
42:34 exactement comme la Belgique.
42:36 Et par conséquent, on fait l'investissement,
42:40 on a découvert un filon de kaolin
42:42 et donc on crée une usine à kaolin
42:45 dans les forges du Vaux-Blanc
42:47 qui va fonctionner de 1865 à 1955.
42:51 À partir de ce moment-là,
42:53 les gisements sont à peu près épuisés
42:55 et à ce moment-là, il faut vraiment se poser la question
42:58 qu'est-ce qu'on fait du patrimoine forestier que l'on a ?
43:02 Ça, c'était le premier point.
43:04 Second point,
43:06 le maintien des forêts avec forges.
43:09 Ce qui est effectivement très frappant,
43:11 c'est que pour toutes ces forêts,
43:13 lorsqu'on étudie les arpentages,
43:16 on s'aperçoit qu'il y a très peu de variations de surface qui sont faites.
43:22 Je vais prendre le cas de la forêt de Loudeac
43:25 qui appartenait à la famille Pontavis depuis 1683.
43:30 En 1769, 2500 hectares.
43:33 En l'an VII, nouvel arpentage, 2850 hectares.
43:38 Mais les techniques d'arpentage ont changé entre-temps.
43:40 En 1802, 2630 hectares.
43:44 Donc cette forêt est restée à peu près stable dans sa surface
43:49 en dépit de la présence de la forge.
43:54 Cela dit, au départ,
43:57 l'affogement qui était accordé en forêt de Loudeac,
44:00 ça couvrait tous les besoins en bois.
44:04 Une génération plus tard, c'est-à-dire 30 ans après,
44:07 ça ne couvre plus que la moitié des besoins.
44:10 Cela veut dire que le régisseur,
44:15 qui est le directeur, le maître d'œuvre de cette entreprise,
44:19 il doit chercher partout du bois dans les forêts voisines
44:23 en contractualisant les propriétaires d'une ressource
44:27 qui devient de plus en plus chère parce qu'elle est de plus en plus rare.
44:32 Et la conséquence, qui est à mon avis extrêmement importante,
44:35 vous l'avez ici.
44:37 C'est que pour les foyers ruraux,
44:39 il n'y a pas de salue en dehors des haies de bocage.
44:42 La seule chose qu'ils peuvent faire,
44:44 c'est lorsqu'il y a une exploitation de taillis
44:46 et qu'il faut régénérer ce taillis en dessouchant,
44:50 ils sont payés à l'anspière,
44:53 c'est-à-dire plus exactement, ils sont payés avec les souchons,
44:56 c'est-à-dire avec le collet, la souche
44:59 et une partie des racines qu'on a déterrées du sol.
45:03 Et quant au foyer urbain,
45:05 il bénéficie des ragosses,
45:09 je vous en montrerai plusieurs tout à l'heure,
45:11 c'est-à-dire des arbres qui sont émondés latéralement
45:15 et qui, je dirais, sont très frappants
45:18 dans l'ensemble de l'île de France,
45:21 de l'île Évilaine,
45:23 mais de façon générale de la Bretagne.
45:26 Et ce qui est aussi intéressant,
45:27 c'est que les premières plantations
45:30 dans les allées de promenade, etc.,
45:33 qui vont être faites au XVIIIe siècle
45:35 dans beaucoup de villes de Bretagne,
45:37 les arbres sont exploités selon la technique des ragosses,
45:41 c'est-à-dire que quand les rejets latéraux se sont développés,
45:47 vous n'avez pas énormément d'ombrages évidemment,
45:50 puisqu'ils sont extrêmement courts.
45:52 Mais l'avantage, c'est que les mondes,
45:54 ça procure une ressource par la revente de la commune
45:58 à une époque où les communes, je dirais,
46:01 n'ont pas d'autre budget que ce que leur donnent
46:04 les taxes à l'entrée de la ville et les octrois.
46:08 Donc là, on touche bien la solidarité,
46:13 je dirais même l'imbrication de ces différents systèmes
46:16 qui sont liés au problème du chauffage.
46:19 Par conséquent, notamment pour les foyers ruraux,
46:22 je dirais qu'il n'y a pas de salut en dehors du bocage.
46:25 [Musique]