Michelle Dayan, avocate, présidente de l'association Lawyers For Women, qui lutte contre les violences faites aux femmes, était jeudi 21 décembre l'invitée de la matinale de franceinfo. Elle répondait aux questions de Jérôme Chapuis.
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00:00 L'invité de l'actu ce matin sur France Info est Michel Daillon, bonjour.
00:03 Bonjour.
00:03 Vous êtes avocate, présidente de Lawyers for Women,
00:06 association de juristes qui luttent contre les violences faites aux femmes.
00:10 À la fin de sa très longue interview où il a abordé quantité de sujets,
00:14 Emmanuel Macron hier soir a été interrogé sur Gérard Depardieu.
00:17 Et là encore, il s'est exprimé longuement, très longuement.
00:20 Il utilise une expression, c'est une chasse à l'homme, dit-il,
00:24 au sujet d'un acteur accusé de viol et filmé en train de tenir des propos outranciers.
00:28 La chasse à l'homme, est-ce que l'expression vous heurte ?
00:30 Évidemment. Je ne peux pas imaginer qu'un président de la République,
00:34 et en particulier Emmanuel Macron, ne choisisse pas ces mots.
00:37 Chasse à l'homme. A l'homme, pas forcément à l'humain.
00:40 Moi je pense qu'il y a surtout une chasse à la femme,
00:42 en tout cas dans les propos de Gérard Depardieu, et pas une chasse à l'homme.
00:45 Donc je pense que les mots qui sont utilisés,
00:47 ils sont utilisés à dessein pour parler aux hommes.
00:51 Aux hommes virils qui, et il y en a encore beaucoup,
00:54 et des femmes aussi, qui vous disent que finalement, ces propos, c'est pas si grave,
00:58 que c'est drôle, que finalement, GG, il est comme ça.
01:03 Et c'est une façon de s'adresser et de raconter quelque chose de notre société.
01:09 Je ne suis pas certaine qu'Emmanuel Macron y croit totalement, à ce qu'il dit,
01:12 mais en tout cas, il veut s'adresser à quelqu'un, et à plusieurs.
01:15 Mais le président de la République, il le fait aussi au titre de ses fonctions.
01:19 Président, c'est-à-dire garant des institutions, il parle de la présomption d'innocence,
01:23 il estime que c'est d'abord à la justice de se prononcer,
01:26 avant éventuellement de retirer la Légion d'honneur de Gérard Depardieu.
01:31 Ça, en tant qu'avocate, vous l'entendez ?
01:33 Alors en tant qu'avocate, et en tant que citoyenne française,
01:36 je suis extrêmement attachée à la présomption d'innocence,
01:38 qui est une valeur cardinale de notre État de droit.
01:41 Mais la présomption d'innocence, elle ne doit pas servir de prétexte
01:46 à ne pas écouter des femmes qui se disent victimes de violences,
01:50 elle ne doit pas s'opposer à ce que j'appellerais une présomption,
01:54 en tout cas un crédit de véracité, de celles qui parlent.
01:57 Je crois que c'est important, c'est une valeur trop importante pour la dévoyer ainsi.
02:03 D'autant qu'en l'occurrence, si l'on parle notamment de cette caméra cachée,
02:12 et des propos de l'émission Complément d'enquête,
02:16 il n'y a pas de sujet de présomption d'innocence,
02:18 parce que, hélas ou pas, il n'y a pas véritablement d'infraction pénale,
02:23 et il n'y a pas de contexte non plus, parce que c'est assez clair ce qui est dit.
02:27 – Il a été loin, on le disait, dans cet exercice de défense de Gérard Depardieu,
02:32 le Président de la République, ça dure assez longtemps, plusieurs minutes,
02:35 mais il ne parle pas seulement de chasse à l'homme, écoutez notamment ce qu'il dit.
02:39 – Moi je suis un grand admirateur de Gérard Depardieu,
02:42 c'est un immense acteur, il a servi les plus beaux textes,
02:45 lui aussi c'est un génie de son art, complet.
02:48 Il a fait connaître la France, nos grands auteurs, nos grands personnages,
02:52 dans le monde entier, et je le dis en tant que Président de la République,
02:56 mais aussi en tant que citoyen, il rend fier à la France.
02:59 – C'est impossible ça à entendre aujourd'hui dans le contexte actuel ?
03:02 – Alors entendre aujourd'hui dans le contexte, encore une fois, actuel,
03:07 et lorsque, j'aimerais quand même, on va revenir à l'origine de ce quinquennat,
03:11 enfin de ce deuxième quinquennat, après le premier quinquennat,
03:14 la lutte contre les violences faites aux femmes, grande cause nationale.
03:18 – Alors il dit hier soir d'ailleurs "je suis inattaquable sur la lutte
03:20 sur les agressions faites aux femmes, les violences faites aux femmes
03:22 et pour l'égalité femmes-hommes".
03:23 – Sauf que les violences faites aux femmes, elles commencent là,
03:27 elles ne commencent pas dans les commissariats,
03:28 et elles ne commencent pas dans les tribunaux correctionnels,
03:31 elles commencent à cet endroit-là, elles commencent dans l'image qu'on a de la femme.
03:35 Et lorsqu'on réduit la femme, non pas à son corps, mais à ses organes génitaux,
03:38 parce que c'est ce que fait Gérard Depardieu,
03:40 et l'homme a besoin d'exprimer une libido débordante,
03:45 qui se moque éperdument du consentement de la femme,
03:48 elle commence là la lutte contre les violences faites aux femmes.
03:50 – C'est important parce que vous accusez à demi-mot le Président de la République
03:53 de participer à une sorte de continuum entre le verbe, les mots et puis les agressions.
04:00 – Moi je n'accuse personne, et pas particulièrement le Président de la République,
04:04 en revanche je suis extrêmement…
04:06 – Non mais vous dites "ça commence là la violence".
04:07 – Elle commence là, elle commence dans les propos de Gérard Depardieu,
04:09 et elle commence dans ceux qui volent à son soutien,
04:11 comme il y a quelques années on a volé, de nombreux intellectuels ont volé au soutien de DSK,
04:16 sans accorder une seconde, une crédibilité, une véracité à la parole d'une femme de chambre,
04:21 parce que Gérard Depardieu il prend en plus le pouvoir sur celles qui n'en ont pas.
04:24 Et donc qu'un Président de la République, en ce moment,
04:27 alors il a certainement ses raisons, il ne fait rien par hasard,
04:30 en ce moment soit à ce point à la défense de Gérard Depardieu,
04:35 par le contexte, par de chasse à l'homme, alors qu'il a entendu comme nous,
04:38 et de fierté, ça me choque.
04:39 – C'est relativisé de parler de contexte ?
04:41 – Alors le contexte, on sait que c'est en général un terme qui est utilisé
04:47 pour ne pas dénoncer quelque chose.
04:49 Quand on dit "c'est un contexte" ou "c'est plus compliqué",
04:51 on l'a vu pour les attaques du Hamas,
04:54 on a entendu récemment certains présidents de grandes universités américaines
04:58 parler de "contexte" pour ne pas dénoncer un antisémitisme et un appel au génocide,
05:03 donc c'est extrêmement curieux, ça interroge et ça inquiète de parler de contexte,
05:08 parce qu'en plus il n'y a pas de contexte,
05:10 les paroles du complément d'enquête, elles sont là, il n'y a pas de contexte.
05:13 – Merci beaucoup, Michèle Vaillant, avocate, présidente de l'association
05:17 "Lawyers for Women", vous étiez l'invité de l'Actu de France Impos ce matin.