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Maya Lauqué reçoit Julie Chastang médecin généraliste au centre municipal de santé de Champigny-sur-Marne. Elle évoque les conditions d'exercice auprès d'une patientèle de plus en plus difficile à l'occasion du lancement d'une campagne de sensibilisation aux violences qui ciblent les professionnels de santé. Le système de santé est de plus en plus difficile et les situations dans lesquelles se retrouvent les patients sont de plus en plus complexes, un phénomène qui n'est pas étranger à ces situations. 

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Transcription
00:00 Bonjour Julie Chastan.
00:01 Bonjour.
00:02 Merci d'être avec nous ce matin.
00:03 Est-ce que, on m'entend, est-ce que les piles sont revenues au bon endroit ?
00:06 Je pense, donc on va continuer cette interview.
00:08 Vous faites partie de ces médecins de service, au service du public,
00:11 qui exercent en centre municipal un public, une patientèle de plus en plus difficile.
00:17 Mardi prochain, le gouvernement va lancer une campagne de sensibilisation
00:20 aux violences qui ciblent les professionnels de santé.
00:23 Est-ce qu'il était temps ?
00:25 Est-ce qu'il était temps ?
00:27 Des violences, on en vit, on a l'impression d'en vivre de plus en plus
00:31 et je pense qu'il faut bien sûr les dénoncer.
00:33 Mais je crois que la façon de l'analyser, c'est probablement pas de dire
00:37 que les patients sont de pire en pire, mais plutôt de dire que le système de santé
00:42 est de plus en plus difficile.
00:44 Et que la situation, les situations dans lesquelles se retrouvent nos patients
00:47 aujourd'hui sont de plus en plus complexes.
00:50 Et qu'en tant que médecin généraliste, on se retrouve confronté
00:53 à des situations qui sont finalement totalement inacceptables.
00:57 Donc la violence, je peux vous citer des exemples,
01:00 des situations de violence, on en vit, mais on en vit à chaque fois
01:03 avec des choses où on remonte le fil et on s'aperçoit que c'était extrêmement complexe.
01:07 Oui, on va rentrer dans les détails.
01:09 La ministre aux Professions de Santé, Agnès Fernand-Baudot,
01:11 estime que 65 professionnels sont victimes de violences chaque jour.
01:15 Est-ce que ce chiffre-là de 65 reflète le quotidien,
01:19 votre quotidien dans ce centre de santé ?
01:23 Je n'ai vraiment pas de chiffre à l'échelle nationale,
01:25 mais on a l'impression.
01:26 Mais vous, est-ce que les agressions sont régulières chez vous,
01:30 chez vos confrères dans ce centre ?
01:32 En fait, c'est très difficile de donner des chiffres.
01:35 Oui, il y a des agressions qui ont lieu régulièrement,
01:38 mais encore une fois, c'est plutôt des situations
01:41 dans lesquelles on se retrouve en difficulté, nous, face aux patients.
01:44 Donnez-nous un exemple.
01:45 De façon très pratique, il va y avoir des gens qui arrivent chez nous,
01:48 qui sont extrêmement inquiets, qui ont par exemple leur enfant,
01:51 encore il y a peu de temps, il y a une dizaine de jours,
01:55 qui a un petit gamin qui est malade.
01:57 À la crèche, on leur a dit qu'il fallait voir un médecin rapidement,
01:59 et ils ne trouvent pas de rendez-vous.
02:02 Donc il y a deux problèmes.
02:04 Il y a avoir un enfant qui a de la fièvre depuis trois heures
02:06 et qui a deux ans et qui va bien.
02:08 Peut-être que ça ne nécessitait pas de consulter en urgence,
02:11 mais les parents n'ont pas eu la prévention, l'information,
02:14 sur le fait qu'un enfant qui avait de la fièvre,
02:16 il fallait le faire voir, il fallait le découvrir,
02:17 il fallait surveiller deux jours,
02:18 et puis voir comment ça évoluait,
02:19 et qu'un enfant gardé en crèche, dans la période des virus,
02:22 ne nécessite pas systématiquement une consultation dans les trois heures.
02:25 Mais ça, cette information, ils ne l'ont pas eue.
02:27 Donc ils arrivent, ils sont très inquiets.
02:28 Cette inquiétude, il faut l'entendre.
02:30 Ils ont appelé plein de médecins,
02:31 ils n'arrivent pas à trouver de rendez-vous.
02:33 Nous, on est un service public, donc on est un centre de santé,
02:35 on accueille tout le monde,
02:36 et donc ça ne va pas être moi, en fait,
02:38 qui vais avoir, entre guillemets, le stress, c'est mon accueil.
02:42 Donc c'est les agents d'accueil qui se retrouvent en difficulté,
02:44 et quelqu'un de très inquiet, qui va être assez véhément.
02:48 Donc on va aplanir les choses,
02:50 et on va le prendre finalement en consultation.
02:52 Mais retarder les autres derrière, qui peuvent aussi se merver.
02:55 On va le prendre en consultation,
02:56 et là aussi, moi, je vais rajouter dans ma consultation un patient,
02:59 donc je vais avoir les autres qui vont s'agacer,
03:02 je vais prendre du retard,
03:03 je vais aussi être agacée,
03:04 parce qu'en fait, il y a un nombre de cumul
03:06 qui va faire que moi aussi, je suis fatiguée,
03:09 stressée dans mes journées de consultation.
03:11 Et en fait, quand on déroule les choses,
03:14 on s'aperçoit que c'est un cercle infernal.
03:17 D'autres situations dont je peux vous parler,
03:20 c'est des situations, là on est vraiment sur le soin non programmé,
03:22 sur le manque de prévention en fait.
03:24 Je crois que le problème de ce que je vous ai raconté,
03:26 c'est à mon avis le manque d'informations,
03:28 de prévention des parents par exemple.
03:30 Mais on a aussi des situations qui sont, par exemple,
03:32 j'ai eu un petit garçon qui est en situation de handicap,
03:35 dont la mère s'est vraiment fâchée en consultation,
03:38 et on a eu une consultation qui était très difficile,
03:42 il y a quelques mois.
03:44 Néanmoins, ce petit garçon, il n'a plus d'accueil à l'école,
03:46 elle n'arrive pas à trouver d'orthophoniste.
03:48 Le neuropédiatre, c'est soit du secteur 2,
03:50 parce que le secteur 2, c'est quand il y a des dépassements d'honoraires.
03:53 Le fait de trouver aujourd'hui un médecin,
03:55 notamment sur l'île de France, spécialiste,
03:57 ou en libéral, c'est devenu un entrer.
03:59 - C'est très compliqué, mais pour autant,
04:01 qu'est-ce qui s'est passé ? Vous nous dites que ça s'est mal passé.
04:03 C'est quoi ? Elle vous a mal parlé ? Elle vous a insulté ?
04:05 - Elle ne m'a pas insultée en fait.
04:07 C'est-à-dire qu'elle s'est énervée sur "mais pourquoi j'ai rien ?
04:09 Qu'est-ce que vous pouvez faire ? Vous ne pouvez rien faire ?
04:11 Vous ne pouvez pas m'aider ? J'ai appelé tous les orthophonistes,
04:13 personne ne peut m'aider."
04:14 - Après, c'est tout à votre honneur, mais j'ai l'impression
04:16 que vous vous disculpez complètement de la responsabilité des patients.
04:18 Parce que, je vais vous citer, il y a 4 jours, à Bazas,
04:20 un médecin a été pris en otage par un homme muni d'un couteau.
04:23 Il souffrait de troubles psychologiques.
04:25 Cet été, à Nice, un médecin de 79 ans a agressé violemment au domicile d'un patient.
04:29 Il venait vérifier son arrêt maladie.
04:31 Il y a une infirmière qui est décédée au CHU de Reims,
04:34 il y a quelques mois aussi.
04:35 Donc, il y a malgré tout une violence contre l'espionneur.
04:38 - Il y a une violence, elle est inacceptable.
04:39 Prenons l'exemple de celui qui a des troubles psychiatriques.
04:42 Voilà, l'accès à la santé mentale est extrêmement difficile en France.
04:46 - Donc, vous dites que la désorganisation des soins
04:50 favorise ou amplifie la violence et les incivilités ?
04:53 - La désorganisation des soins, c'est évident.
04:55 Favorise et amplifie cette violence.
04:57 Et je crois qu'aujourd'hui, on a une responsabilité de l'État, en fait,
05:01 de coordonner absolument le système de santé,
05:04 d'avoir une offre de soins qui soit organisée,
05:07 vraiment qui opte sur le soin de premier recours,
05:10 accéder à un médecin généraliste ou à une équipe de santé de premier recours,
05:13 c'est absolument fondamental.
05:15 Parce que si on n'a pas cet accès, cette première ligne,
05:18 on finit à l'hôpital et c'est là où ça dégénère aux urgences,
05:21 ou alors on va s'affoler, on va s'énerver.
05:25 Vraiment, accéder à un médecin traitant, compléter l'offre,
05:28 parce qu'il y a une offre, effectivement, libérale.
05:31 À mon avis, le service public ambulatoire devrait aujourd'hui être pensé
05:35 et devrait compléter l'offre de ville.
05:38 Il faut absolument qu'on organise les soins.
05:41 - Et rétablir aussi, et c'est ma dernière question,
05:44 mais rétablir aussi le lien médecin-patient.
05:46 Autrefois, le médecin, le médecin de famille, c'était la référence.
05:49 On ne contestait pas ses décisions, on n'arrivait pas,
05:52 on y regardait avant sur Internet et en lui demandant une ordonnance
05:55 parce qu'on croit savoir plus que lui.
05:57 Il faut quand même aussi rétablir cette figure-là du médecin, d'après vous ?
06:01 - D'après moi, notre société est en train d'évoluer.
06:04 Donc, en fait, il va falloir aussi, et le visage de notre métier,
06:06 il est en train d'évoluer.
06:07 Le médecin de famille qui avait sa femme dans le cabinet,
06:10 qui enchaînait les consultations dans le petit village, tout seul.
06:14 En fait, aujourd'hui, ce n'est pas l'avenir, je pense,
06:16 de notre système de santé, et ce n'est pas comme ça qu'il est en train de s'écrire.
06:19 Ce n'est pas ce que me disent les jeunes médecins que je forme.
06:22 Donc, il va falloir aussi qu'on évolue.
06:24 Aujourd'hui, c'est plutôt en train de s'inscrire sur des équipes de santé.
06:27 L'ambition et les situations que je vous décris de violence,
06:31 elles sont souvent désamorcées par l'équipe.
06:33 Quand moi, je n'en peux plus, j'ai une assistante médicale,
06:36 j'ai une infirmière qui prend le relais,
06:38 et en fait, l'équipe permet vraiment de désamorcer ces situations de violence.
06:41 Je pense que les situations de violence sont aussi vécues encore plus mal quand on est seul.
06:46 - Merci beaucoup pour cet éclairage ce matin, Julie Festin.

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