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AmusantTranscription
00:00 Vous connaissez la lo-fi girl qui vous aide à bosser, ou encore ces playlists censées vous aider à la salle.
00:04 Dès comme ça, il y en a des milliers.
00:05 A chaque activité, à chaque étape de la journée, il y a la bande 100 qui correspond.
00:09 Il existe même des playlists pour faire le ménage, déprimer, aller aux toilettes, faire un goûter entre amis, ou encore pour ses plans d'intérieur.
00:15 Mais est-ce qu'en écoutant Beastmode ou Cleaning Motivation 2023, on augmente vraiment nos capacités ?
00:21 C'est surtout de la musique qui est faite pour se caler une ambiance sonore, briser le silence, et pas vraiment pour être écoutée.
00:26 Ou alors très vite fait.
00:27 Sauf que mi-bout à bout, cette musique un peu bouche-trou représente quand même des millions de streams, ses compositeurs, son business, etc.
00:34 Et si c'est un tel phénomène, c'est peut-être qu'elle parvient à changer de comportement.
00:38 Et si je vous disais qu'à la base, il existe vraiment une musique qui est faite pour vous manipuler ?
00:44 Ça s'appelle la musac.
00:45 [Musique]
01:05 En pleine première guerre mondiale, le général américain George Squire invente un nouveau système de transmission.
01:15 Il a l'idée d'utiliser les réseaux de lignes électriques pour transporter d'autres données que de l'énergie.
01:19 C'est un peu technique, mais en gros le concept c'est d'utiliser un seul canal pour envoyer plusieurs types de signaux, dont du son.
01:25 Et pendant la guerre, à une époque où la radio est encore en voie de développement et très chère, ça permet de contourner l'espionnage.
01:31 L'armée s'en sert de ouf.
01:33 Dans les années 20, Squire veut faire de sa découverte un business.
01:36 Sur la même base, il crée son entreprise qui propose aux gens de diffuser de la musique chez eux via leur ligne téléphonique.
01:42 Comme les platines, les enceintes ou les vinyles ne sont pas encore au point non plus à cette époque,
01:45 c'est quasiment le seul moyen d'avoir de la musique enregistrée chez soi.
01:49 Ça marche par téléphone, tu décroches, et si tu es abonné, en échange d'un abonnement, on te diffuse de la musique.
01:54 Et tu choisis pas ce que c'est.
01:56 C'est juste, c'est presque le mode aléatoire de Spotify.
01:58 Peut-être le truc qui se rapproche le plus de ça aujourd'hui.
02:00 Donc tu décroches et t'écoutes Squire.
02:02 Alors oui, ça paraît fou de se dire qu'il fallait décrocher le téléphone pour tenter d'écouter de la musique chez toi, mais ça marche.
02:07 Il déploie d'abord son réseau à Staten Island, un arrondissement de New York qui peut profiter pour la première fois de musique enregistrée à domicile.
02:14 C'est pour ça que la société s'appelle d'abord "Wired Radio", mon accent,
02:18 ce qui veut littéralement dire "radio branchée", parce qu'on utilise l'électricité et pas les ondes.
02:23 Mais vite, l'entreprise est renommée "Muzak".
02:25 Je me dirais une blague, la "Muzak".
02:27 Contraction de musique et Kodak.
02:29 Alors pourquoi Kodak ? Parce que c'est une de ces boîtes qui donne son nom au produit qu'elle vend.
02:32 Comme Kleenex ou Zoom.
02:34 Vous savez ce que c'est ? C'est un Kodak 35mm Color Slide.
02:38 Vous en doutez, rougeoirs.
02:40 Les Kleenex ultra soft.
02:41 Son nom rentre dans le langage commun, ce qui est souvent signe d'un monopole sur un marché.
02:45 Et c'est exactement ce que vise notre cher Georges.
02:48 Georges est doux, Georges est frais.
02:49 Sauf que, y'a un problème.
02:51 A l'époque, y'a pas de librairie musicale comme aujourd'hui.
02:53 Donc s'il veut émettre des musiques, Georges doit soit diffuser des enregistrements dont il a les droits, soit créer sa propre musique.
02:59 Il réfléchit deux secondes, acheter des droits c'est cher, c'est chiant, il choisit la deuxième option.
03:04 Il va créer ses sons.
03:05 En 1936, il embauche Ben Selvin, un chef d'orchestre et producteur de disques connu dans le milieu, à la programmation musicale de Muzak.
03:12 Avec son ensemble, Selvin va enregistrer près d'une dizaine de morceaux par jour, dans plein de styles différents.
03:17 Sa recette, c'est de piocher des thèmes de différentes musiques, classiques ou populaires, pour les réarranger de façon à créer de nouveaux morceaux.
03:23 Prenez ça par exemple, que vous avez déjà forcément entendu dans une pub.
03:26 [Musique]
03:31 Et bien en version Muzak, ça donne ça.
03:33 [Musique]
03:37 Rapide, efficace, à l'époque c'est même pas considéré comme du plagiat.
03:41 Et après quelques mois seulement à faire ça, son catalogue compte déjà quelques milliers de musiques.
03:46 Et ces milliers d'enregistrements, il les diffuse dans les foyers et dans les entreprises du pays.
03:50 Car oui, s'il y a diffus de la musique chez les gens, Muzak se fixe aussi comme mission d'émettre dans les lieux publics.
03:55 À la même époque, l'entreprise se déploie dans presque tous les Etats-Unis.
03:59 Seulement voilà, son offre à destination des ménages, pour écouter de chez soi, etc.
04:03 Bah avec l'arrivée de la radio qui augmente progressivement...
04:06 Bah les gens, je sais pas, ils préfèrent acheter une radio et avoir de la musique gratuitement, plutôt qu'acheter un abonnement et recevoir sur ton téléphone des musiques.
04:12 Enfin bref, c'est logique, la radio ça vient un petit peu foutre la merde dans le business que lui prévoyait.
04:16 Mais Muzak, il voit venir le truc et il abandonne, juste à temps, l'idée de vouloir diffuser chez les gens pour se concentrer uniquement sur "Ok, on va envoyer ça dans les entreprises et dans les lieux publics".
04:26 Leur but, c'est de se concentrer uniquement sur la distribution de musique dans les lieux où on travaille et où on consomme.
04:32 Comme les bureaux, les usines, les restaurants, les centres commerciaux... Et c'est un succès.
04:36 À la mort de George Squire, en 1937, la boîte se fait même racheter par la Warner Bros.
04:41 Alors dans ce que je vous raconte, ce qu'il faut comprendre c'est qu'aujourd'hui, on est habitué à faire ses courses et qu'il y a de la musique de fond.
04:46 Y'a de la radio, les machins, les trucs...
04:47 À cette époque-là, c'est une nouveauté.
04:49 Déjà c'est la première fois qu'on entend autre chose que le bruit des chariots et de la discussion à côté...
04:53 "Oh madame Gillette, comment ça va ?"
04:55 Y'avait pas ça, y'avait pas de musique à moi.
04:57 La MUSAC trouve sa raison d'être.
04:59 Devenir la bande originale du quotidien.
05:01 En remplissant l'espace sonore et tout ça sans qu'on y prête vraiment attention.
05:05 Dans les restaurants, les centres commerciaux, mais aussi les bureaux, les usines, les hôpitaux...
05:09 La MUSAC est partout, tout le temps.
05:11 Même dans les ascenseurs, d'où l'expression "la musique d'ascenseur".
05:15 *Musique d'ascenseur*
05:19 Aujourd'hui, c'est péjoratif, mais dans les années 30, c'est un exploit de la société.
05:23 Ils ont trouvé un truc pour réussir à détendre l'atmosphère où...
05:26 Bah voilà, t'arrives dans un ascenseur, y'a un truc qui casse ce petit malaise,
05:29 tu vois, t'es avec ton voisin là, y'a un blanc...
05:31 *Musique d'ascenseur*
05:33 À l'époque, les ascenseurs marchent avec un engrenage à vapeur,
05:36 donc on est plus proche du mont de charge que des machines qu'on a maintenant.
05:39 Et ça, MUSAC en a bien conscience, et il profite de l'obligation d'installer des interphones dans les ascenseurs,
05:44 pour convaincre les fabricants de rajouter un petit haut-parleur,
05:47 qui diffusera des musiques douces et relaxantes, au rythme assez lent.
05:51 *Musique d'ascenseur*
05:55 Et c'est à partir de ce putain d'ascenseur que MUSAC se dit justement,
05:58 "Mais attends, attends, attends...
06:00 Si notre musique peut apaiser les gens,
06:03 est-ce qu'on peut pas aller plus loin ?
06:04 Est-ce qu'on pourrait pas modifier leur comportement ?"
06:07 Là, on est après la Seconde Guerre mondiale,
06:12 et c'est un moment où les sciences sociales progressent beaucoup.
06:14 En travaillant sur ce qui s'est passé pendant la guerre,
06:17 les chercheurs font beaucoup d'avancées en psychologie ou sur le marketing.
06:20 Et les questions que se pose MUSAC sont très proches de ces recherches.
06:22 Ils veulent s'intéresser aux effets théoriques de la musique sur le comportement humain.
06:26 Ce qui tombe plutôt bien, parce que dans les années 40 déjà,
06:29 des instituts ont fait état des conséquences de la diffusion de MUSAC dans les bureaux.
06:33 Et là, on apprend que leur musique réduirait l'absentéisme,
06:36 et retarderait le départ des employés en fin de journée.
06:40 Ah bah...
06:41 Sympa.
06:41 T'es patron, tu prends ton abonnement de MUSAC,
06:44 les gens ils sont plus là, et plus longtemps.
06:46 Régalade.
06:47 Alors, oui, mais pas si vite.
06:49 On sait aujourd'hui que ces études sont à prendre avec des pincettes,
06:51 pour ne pas dire qu'elles sont... bidons.
06:54 Mais à l'époque, ça pousse la société à financer des recherches
06:56 qui aboutissent à une méthode, déposée par la marque,
06:59 qu'elle appelle "stimulis progression".
07:01 En gros, des soi-disant chercheurs ont réussi à identifier les rythmes naturels des employés.
07:06 Ces employés qui alternent des phases plus ou moins productives dans la journée,
07:09 selon leur fatigue, ou bien le moment où ils ont mangé.
07:12 Et c'est à partir de ça que MUSAC a créé un programme de playlist,
07:14 alternant des musiques au tempo rapide et plus lent.
07:17 Et cette playlist, elle vise à neutraliser ces phases de fatigue,
07:20 ou de déconcentration, sans qu'on le remarque.
07:21 D'abord le tempo, qui est la vitesse à laquelle est jouée la musique.
07:25 Puis le rythme, un 4/4, une valse, un rock, etc.
07:29 Et ça, j'admets, ça peut être considéré comme, dans la théorie,
07:32 de la manipulation mentale.
07:33 Mais bon, comme on dit, ça reste théorique,
07:36 pincettes et tout le tralala, quoi.
07:38 En résumé, le programme ressemble à ça.
07:39 Ça représente le degré de stimuli avec le tempo, le style de musique,
07:43 le nombre d'instruments,
07:44 et donc c'est censé pouvoir rendre les gens plus calmes ou plus productifs.
07:47 Écoutez ça, ça donne littéralement envie de remplir ses impôts avec le sourire.
07:52 Et vous retrouverez d'ailleurs cette bande-son dans tous les films et séries US d'époque,
07:56 qui leur donne ce côté nostalgique et insouciant.
07:58 Ah là là, l'Amérique.
08:07 Et à l'époque, tout le monde achète,
08:08 et l'activité de MUSAC se développe dans tout le pays.
08:11 On en passe même à la Maison Blanche,
08:13 ou encore dans les casques des astronautes quand ils sont en mission dans l'espace.
08:17 À ce niveau de son histoire, MUSAC, c'est deux choses.
08:23 Un système d'organisation par playlist,
08:25 un peu comme on peut le retrouver sur nos plateformes de streaming,
08:27 et un style musical bien particulier.
08:29 Ce style musical est reconnaissable grâce au travail d'un mec, Ben Selvin.
08:33 Son but, c'est de débarrasser les musiques de leurs éléments caractéristiques.
08:37 Donc en gros, tout ce qui rentre en tête,
08:39 dont l'absence de certains éléments,
08:41 c'est ce qui donne à la MUSAC cet aspect de flux continu
08:44 qui empêche de se concentrer dessus.
08:46 T'es là, tu peux écouter le truc sans t'enlacer,
08:48 ça en a fait une musique de fond,
08:49 mais ça vient du cerveau de ce gars-là,
08:51 où il s'est dit "je retire ça, je retire ça",
08:53 et l'absence de choses fait que ton cerveau ne va pas se focus,
08:55 parce que notre cerveau aime bien avoir des mélodies qui reviennent,
08:58 et c'est ça qu'on aime dans la musique.
09:00 Hum...
09:01 Et là vous me dites "Seb, la manipulation dans tout ça".
09:03 Et bien la manipulation, c'est le consentement.
09:06 Parce que le truc, quand on lance une playlist thématique,
09:08 que ce soit pour réviser, faire du sport ou chiller,
09:10 on choisit de l'écouter.
09:12 Et la MUSAC, non.
09:13 A l'époque, la MUSAC est partout,
09:15 et cherche avant tout à piéger nos émotions.
09:17 Ce n'est pas des stimuli pour rendre les gens plus heureux,
09:19 mais bien pour qu'ils produisent et consomment plus.
09:22 Les productions de MUSAC deviennent donc la bande-son du capitalisme à son apogée.
09:25 "50 dollars Swiss !"
09:27 Mais alors posons-nous les bonnes questions,
09:29 est-ce que MUSAC produit vraiment de la musique ?
09:31 Parce que faire de la musique pour tenter de manipuler les gens...
09:34 Voilà...
09:35 Ça fait poser des questions quand même.
09:36 Sans rentrer dans des débats esthétiques,
09:38 cette question fascine dans les années 60.
09:40 Bah oui, parce qu'en parallèle à cette époque,
09:41 les musiques populaires deviennent des moyens de revendication culturelle,
09:44 en se chargeant de symboles politiques et sociaux.
09:46 On écoute Bob Dylan, les Beatles, les Rolling Stones,
09:57 y'a tout le mouvement hippie.
09:58 La musique des jeunes porte des messages.
10:00 Alors forcément, la jeune génération voit la MUSAC pour ce qu'elle est,
10:03 c'est-à-dire la musique de la société de consommation,
10:05 et rien d'autre que ça en fait.
10:06 Et ça, bah du coup c'est le début de la fin pour la société telle qu'on la connaît.
10:09 Déjà parce qu'elle est rejetée par les gens,
10:11 mais aussi parce qu'elle a de la concurrence.
10:13 Son idée a tellement bien marché,
10:14 qu'il y a d'autres sociétés qui proposent ce service-là,
10:16 mais sans avoir pour projet de manipuler les gens.
10:18 Donc du coup en fait, t'as juste plein de gens qui proposent juste des musiques de fond...
10:22 de manière plus saine.
10:23 MUSAC continue d'exister dans les années 70 et 80,
10:25 en connaissant un certain succès au Japon,
10:27 ce qui inspire des marques comme VJ
10:29 à enregistrer leurs propres compilations par exemple.
10:31 Avant de se mettre à diffuser de la musique originale,
10:36 Musac a décidé de s'en sortir et d'abandonner son fameux programme de stimulation par la musique.
10:41 Dans les années 90, l'entreprise est accablée par une mauvaise presse,
10:44 des associations se forment pour demander l'interdiction de diffuser ce genre de musique,
10:48 et à côté, Ted Nugent, un musicien américain,
10:51 offre même de racheter MUSAC 10 millions de dollars
10:53 pour lui faire cesser son activité,
10:55 jugeant qu'elle est une force maléfique à l'œuvre dans la société.
10:58 Et après plusieurs rachats, fusions, blabli, blabla,
11:01 MUSAC va être déclarée banqueroute en 2009.
11:05 Et puis, il y a le groupe Media en 2011,
11:07 qui maintient depuis ses activités autant que son héritage,
11:10 puisque l'entreprise détient quand même un catalogue de plus de 3 millions de musiques.
11:15 MUSAC, tel que je vous l'ai présenté, existe donc toujours,
11:18 mais bon, plus par son influence.
11:21 Il y a encore aujourd'hui des playlists destinées à de grandes enseignes.
11:24 Ces playlists sont calées sur les horaires pour alterner différents types de musique,
11:28 visant à réguler les comportements selon la foule,
11:31 avec en heure de pointe, des rythmes élevés,
11:33 et plus doux, le reste du temps.
11:35 Faites le test, allez dans n'importe quel McDo,
11:38 et écoutez la musique qui passe.
11:39 Si vous y êtes en heure de pointe,
11:41 il y a de bonnes chances pour que vous entendiez de la pop,
11:43 un truc assez énergique et qui bouge.
11:45 Le reste du temps, on passe surtout des trucs calmes,
11:47 comme du trip hop, par exemple.
11:49 Et maintenant que vous savez tout ça, c'est amusant de savoir que par exemple,
11:51 la bande originale des Sims, qu'on connaît tous,
11:54 est une énorme référence évidente à la MUSAC.
11:56 Les Sims, ce jeu où tu contrôles évidemment la vie des gens.
12:00 Au-delà de tout ça, la MUSAC a eu de l'influence dans le monde de l'art.
12:04 En fait, les liens entre la MUSAC et l'art vont dans les deux sens.
12:09 Déjà, et c'est probablement une coïncidence,
12:11 mais l'entreprise a réalisé un des rêves d'Eric Satie,
12:14 celui de désacraliser l'écoute de la musique.
12:17 Pour comprendre, il faut que je vous donne un petit peu de contexte.
12:19 Eric Satie, c'est un pianiste français qui a vécu entre le 19ème et le 20ème siècle.
12:23 Ça, c'est lui.
12:24 [Musique]
12:34 En gros, il a surtout fait de la musique classique.
12:36 Mais à la fin de sa vie, il a aussi conceptualisé ce qu'il a appelé
12:39 la musique d'ameublement.
12:40 Son idée, c'est de créer des œuvres musicales
12:42 qui ne sont pas faites pour être écoutées.
12:45 C'est son projet.
12:45 Lui, il veut composer quelque chose qui serait juste entendu
12:48 pour pouvoir souligner la différence entre ce qui relève de l'art
12:51 et qui mérite d'avoir de l'intention,
12:53 et le reste, qui serait juste de la consommation.
12:55 Donc c'est son but.
12:56 Et donc à Paris, en 1920,
12:58 alors que George Squire a à peine créé la technologie à l'origine de la musaque,
13:01 Eric Satie organise une petite expérience.
13:04 Pendant l'entracte d'une pièce de théâtre,
13:06 un orchestre dispersé aux quatre coins de la fosse
13:08 est chargé de jouer ses compositions.
13:10 Avant le début du spectacle, le public est averti,
13:12 ce qui est joué pendant la pause n'est pas fait pour être écouté.
13:15 Et tout le monde est invité à l'ignorer,
13:17 discuter, faire avis, machin, lala,
13:20 calcule pas.
13:21 Et évidemment, tu dis à des gens de pas calculer,
13:23 "Non mais les gars, faites vraiment pas attention, mais regardez pas,
13:26 arrêtez de regarder."
13:27 Et évidemment, personne n'ose parler pendant l'entracte,
13:29 et tout le monde va rester écouter les musiciens.
13:32 L'idée de Satie est peut-être gratuite,
13:33 mais en vrai c'est assez visionnaire.
13:35 Parce qu'aujourd'hui, on est entouré de ces musiques
13:37 auxquelles on ne fait pas attention.
13:38 Comme s'il avait prédit, à une époque où les technologies d'enregistrement
13:41 et de diffusion n'existaient même pas,
13:43 notre rapport à la consommation musicale.
13:45 Ce que la musaque a ensuite fait exploser.
13:48 Vous savez ce que c'est l'ironie du sort ?
13:50 C'est qu'aujourd'hui, tu as des compils de 3 heures d'Eric Satie
13:53 qui sont juste faits pour être écoutés en fond sonore.
13:55 Sur YouTube.
13:56 Je ne savais pas quoi faire de cette morale, mais c'est ironique.
13:59 Comme quoi la vie c'est rigolo.
14:00 Ces deux références, Satie et la musaque,
14:03 ont beaucoup inspiré un type qui s'appelle Brian Eno.
14:06 Un musicien anglais qui lui est toujours vivant,
14:08 qui a notamment travaillé avec David Bowie, U2,
14:11 ou plus récemment Fred again.
14:12 Et qui a participé au développement d'une pensée
14:19 à l'origine d'un genre musical,
14:20 l'ambiante.
14:22 Selon ses propres mots, la musique ambiante
14:24 a pour but d'induire le calme
14:25 et de créer un espace où penser.
14:27 À l'inverse de la musaque, supposée influencer un comportement
14:30 de façon subliminale,
14:32 Eno considère que sa musique doit autant pouvoir être ignorée qu'écoutée.
14:35 C'est à celui qui écoute de juger.
14:37 L'exemple type de l'ambiante, c'est l'album Ambient One,
14:40 Music for Airport,
14:42 que Brian Eno va sortir en 78.
14:44 4 morceaux qui mélangent piano et synthé,
14:46 effectivement calme et oubliable,
14:49 autant qu'écoutable.
14:50 Et quand il sort ça, on est juste après l'âge d'or de la musaque,
14:53 et évidemment le Music for Airport
14:55 est juste ironique,
14:56 parce que c'est pas du tout fait pour les airports,
14:57 c'est juste pour se moquer un peu de...
15:00 de la musaque.
15:01 Autre exemple, en 76, un fleuriste de Los Angeles,
15:04 appelé Mother Earth,
15:06 offrait pour tout achat d'une plante
15:07 un vinyle appelé Mother Earth,
15:09 Plantasia.
15:09 L'album a été composé en partenariat avec le magasin
15:12 par un musicien qui s'appelle
15:13 Morgarson,
15:14 qui a imaginé une musique
15:16 pour les plantes.
15:17 C'est pas une musique pour toi,
15:18 c'est pas une musique pour moi,
15:19 c'est une musique pour les fougères.
15:21 Voilà.
15:22 Il a fait ça.
15:23 T'es une fougère.
15:31 Figurez-vous que cet album a été redécouvert
15:33 dans les années 2000 avec Internet.
15:35 Les gens cherchaient des musiques d'ambiance
15:36 et sont tombés sur ça,
15:38 et aujourd'hui, sachez que je l'écoute parfois premier degré.
15:40 C'est considéré comme un des albums précurseurs
15:43 de l'ambiante.
15:44 La texture musicale du projet est très simple,
15:46 la texture musicale du projet c'est une dinguerie,
15:48 Morgarson est un véritable pionnier
15:50 de la musique électronique,
15:51 c'est d'ailleurs l'un des premiers musiciens
15:53 à avoir utilisé le synthé Moog,
15:54 enfin bref, là on dit vague,
15:55 mais allez écouter le projet Plantasia
15:57 parce que c'est vraiment très bien.
15:59 Ou alors je suis juste une plante.
16:00 Mais bon, tout ça, ça reste la version artistique
16:03 de la musa, qu'on va dire,
16:05 ça répond pas à notre question.
16:06 Est-ce qu'on peut être manipulé par de la musique,
16:08 oui ou non ?
16:09 Alors, les études menées à l'époque
16:14 avec la musa et tout sont bidons.
16:16 Ok, ça, j'accepte.
16:17 Mais ça, ça a pas empêché d'autres chercheurs
16:19 de se pencher sur la question
16:20 beaucoup plus récemment.
16:21 Parce qu'aujourd'hui, si la musique qu'on passe
16:23 n'est plus vouée à nous manipuler
16:24 ou à modifier nos comportements,
16:26 ça n'empêche pas qu'elle peut nous influencer.
16:28 C'est ce qu'a montré par exemple
16:29 ce psychologue français.
16:31 Il a écrit un livre où il montre
16:32 que la diffusion de musique classique
16:34 dans des magasins qui vendent du vin
16:36 multiplierait par 2,5 ce que payent les clients.
16:39 Ils n'achètent pas plus,
16:40 mais ils achètent des bouteilles plus chères,
16:42 comme si leur cerveau faisait un lien
16:44 entre la musique entendue
16:45 et la qualité de ce qu'ils veulent.
16:46 Et c'est pas le seul à travailler là-dessus.
16:48 Il y a aussi eu des tests faits sur les tempos
16:50 et le volume des musiques passées en magasin
16:52 qui prouvent que la musique a bien une influence
16:54 sur notre comportement dans un contexte de consommation.
16:57 De là à parler de manipulation,
16:58 il y a clairement un fossé.
16:59 Il n'y a pas de quoi être parano,
17:00 vous êtes quand même maître de vous-même,
17:02 je vais pas vous mentir.
17:03 Ce serait un peu comme prouver
17:05 qu'on ressent des choses différentes
17:06 selon la musique qui passe
17:07 quand on regarde un film.
17:08 Au fond, c'est même logique.
17:09 Pour rappel, c'est vraiment le propre de l'art
17:11 de jouer sur nos émotions.
17:13 En tout cas, cette croyance en les effets de la musique
17:15 a même mené à une chose,
17:17 la musicothérapie,
17:18 bien que...
17:19 bon, les gens n'y croient pas forcément.
17:21 À l'inverse, par contre,
17:22 on sait que de la musique a été utilisée
17:23 dans la prison militaire de Guantanamo,
17:25 aux Etats-Unis,
17:25 où des prisonniers ont été torturés
17:27 avec des morceaux de hard rock,
17:28 de rap et de pop.
17:29 Des documents qui ont fuité
17:30 expliquent qu'on y passe
17:32 Elinem, Metallica, Queen,
17:33 mais aussi Christina Aguilera et Britney Spears,
17:35 entre d'autres groupes de métal.
17:37 Le but ?
17:37 Les passer à fond et en boucle
17:39 pendant des semaines entières
17:40 selon certains témoignages,
17:41 à des prisonniers enfermés dans le noir,
17:43 dans leurs cellules,
17:44 pour les fatiguer mentalement.
17:45 Alors on sait pas comment ont été sélectionnés les musiques,
17:47 mais dans tous les cas,
17:48 une musique qui passe en boucle,
17:49 à fond,
17:50 dans le noir, tu peux pas le changer,
17:51 n'importe quelle musique qui passe en boucle,
17:53 ça fait chier à un moment donné.
17:54 Donc je comprends,
17:55 mentalement, ça peut vraiment te fatiguer
17:57 et c'est fou que la musique soit
17:58 un instrument de torture à ce niveau-là.
18:01 Et ça peut paraître drôle comme ça,
18:03 mais c'est pas très légal.
18:04 Hum hum.
18:05 Après, Guantanamo,
18:06 les conditions d'enfermement là-bas,
18:08 elles sont discutées.
18:09 Ça fait 20 ans qu'elles sont dénoncées
18:10 par des militants des droits de l'homme,
18:11 si bien que Skinny Puppy,
18:13 un groupe de métal dont les musiques
18:14 auraient été utilisées comme instruments de torture,
18:16 a envoyé en 2014 une facture de 666 000 dollars
18:19 à l'armée américaine
18:20 en forme de protestation.
18:22 Voilà, pour la petite anecdote.
18:23 C'est-à-dire que même si t'es artiste,
18:25 qu'on utilise tes sons pour torturer des gens,
18:27 bah tu vas rien faire du tout frérot.
18:28 [Rire]
18:30 De tout ça, il reste que l'histoire de la musaque
18:31 peut être vue comme la plus grande expérience
18:33 jamais menée sur les effets de la musique,
18:35 sur notre psychologie.
18:37 Une expérience dont on connaît pas très bien
18:38 les résultats, en fin de compte.
18:41 Et ce qu'on peut retenir,
18:42 c'est que ça a marqué les imaginaires
18:43 de tout l'Occident,
18:44 et aboutit sur le fait qu'on diffuse de la musique
18:46 quasiment partout aujourd'hui.
18:48 Ça fait partie de nos vies.
18:49 Y'a même une musique de fond
18:50 pendant que je vous parle,
18:51 afin de vous manipuler à vous abonner à cette chaîne.
18:53 Et là, elle s'est coupée pour insister mon propos.
18:55 Abonnez-vous.
18:56 Aujourd'hui, plus aucune entreprise
18:58 ne propose ouvertement de composer de la musique
19:00 pour manipuler les gens.
19:01 Je fais ça de ma vie, oui.
19:02 Alors non, mais c'est quand même
19:04 ce qui se retrouve dans les playlists automatiques
19:05 proposées par tes plateformes de streaming.
19:07 Spotify, Deezer, Apple Music.
19:09 Comme quoi, y'a un héritage,
19:11 et maintenant vous saurez d'où tout ça vient.
19:13 J'espère que ça vous a, vous aussi, intéressé.
19:15 C'est un peu plus niche,
19:16 mais ça n'en est pas moins intéressant.
19:18 Et si ça existe depuis si longtemps,
19:19 c'est que quelque part...
19:21 ça compte.
19:21 Pour conclure, j'aimerais juste dire une chose,
19:23 c'est qu'on a oublié quelque chose de fondamental.
19:25 Le silence, c'est vachement bien quand même.
19:27 À bientôt.
19:33 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
19:36 Les sous-titres ont été réalisés par la communauté d'Amara.org
19:39 [SILENCE]