La grande aventure du France

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Le paquebot France (troisième du nom, rebaptisé Norway en 1979, puis Blue Lady en 2006) est un ancien paquebot transatlantique construit aux Chantiers de l'Atlantique, à Saint-Nazaire, où il est mis à l'eau le 11 mai 1960 en présence du président de la République française, le général de Gaulle. Avec ses 314 mètres de long, il est pendant toute sa période d'activité le plus long paquebot (navire à passagers) jamais construit au monde jusqu'au lancement en 2004 du Queen Mary 2, long de 345 m (1 132 ft). Il est ainsi resté pendant 42 ans le plus grand paquebot au monde, un record encore actif aujourd'hui. Symbole du prestige de la France gaullienne, dont la fin de l'exploitation en France fut elle symbolique de la crise des années 19702, il fut surnommé le « petit frère du Normandie » par les chantiers de l'Atlantique.

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00:00:00 Le 8 février 1962, un grand pas de beau, portant fièrement le pavillon tricolore, pénètre dans les eaux territoriales américaines.
00:00:07 "France entre dans l'Oxon River et va recevoir cet accueil inoubliable que New York réserve aux grands navires qui pénètrent pour la première fois dans son port."
00:00:15 "Les navires de la Grande Passe sont en train de débarquer dans l'eau, et le bateau est en train de s'enfoncer."
00:00:22 "Le bateau est en train de s'enfoncer, et le bateau est en train de s'enfoncer."
00:00:27 La remontée vers New York est triomphale, marquée par une impressionnante escorte, véritable essaim d'hélicoptères, de bateaux-pompes et de 47 remorqueurs.
00:00:40 Plus de 100 000 curieux sont au rendez-vous.
00:00:44 "Le navire attaque enfin le quai 88 sous les acclamations des New Yorkers. France a répondu aux espérances mises en nuit."
00:00:54 New York tombe sous le charme, et les superlatifs ne manquent pas.
00:00:58 France est le plus grand et le plus beau des transatlantiques, le symbole de l'apogée d'une période faste et luxueuse.
00:01:05 "France a une histoire particulière dans l'histoire maritime et dans l'histoire des grands transatlantiques."
00:01:09 "C'est le dernier des navires transatlantiques traditionnels, et par une chance absolument inouïe, il a été le premier des navires de croisière géant."
00:01:18 France, c'est plus qu'un paquebot. C'est une démonstration de puissance, un renouveau économique dans un pays en pleine reconstruction.
00:01:25 Et c'est la volonté politique de dominer les Anglo-Saxons sur la ligne Le Havre-New York.
00:01:30 "C'est un élément phare de cette ronde glorieuse, comme le Concorde, et bien il y a eu aussi le France."
00:01:36 France, c'est la vitrine d'un savoir-faire, d'un art de vivre et de l'élégance.
00:01:42 "Je dirais que c'est un paquebot qui a réussi le pari d'être à la fois démocratique, d'être moderne et très français en même temps."
00:01:51 France, c'est aussi un concentré du meilleur de l'industrie de son époque, appliqué à la construction navale.
00:01:57 "C'est d'abord une formidable machine technologique."
00:02:01 "On redémarre un chantier complet avec un navire qui s'annonce comme exceptionnel."
00:02:05 Mais pour en arriver là, il aura fallu relever de nombreux défis technologiques.
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00:02:43 En 1962, France est le plus grand paquebot du monde.
00:02:48 Sous sa ligne épurée se cache un mode de fabrication inédit, des matériaux innovants, un système de propulsion ultra-moderne et économe.
00:02:56 Bref, un monstre de technologie.
00:02:59 "Un liner, ça a été dans la grande tradition pendant un siècle de transporter des passagers entre l'Europe et les Etats-Unis essentiellement, dans un temps très donné."
00:03:09 "C'est-à-dire qu'en fait, il fallait pas dépasser un certain nombre de jours, très cadencés, de façon à capter des passagers régulièrement, comme cela se passe aujourd'hui avec les avions en fait."
00:03:22 "Et donc, il traçait une ligne, toujours la même, d'où ce nom de liner."
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00:03:30 Novateur, France va être intimement liée à l'histoire du pays qui l'a vu naître et dont il porte le nom.
00:03:37 Sa gestation va être compliquée et tumultueuse, et pour comprendre son histoire, il faut revenir en arrière.
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00:03:53 Près de 30 ans auparavant, France a eu un prédécesseur prestigieux.
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00:04:03 Normandie était le joyau de la compagnie générale transatlantique, et la fierté de la France en s'octroyant le fameux ruban bleu.
00:04:10 Le trophée qui récompense le liner transatlantique le plus rapide.
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00:04:21 "Le Normandie a eu une exploitation d'abord très courte, 4 années, 1935-1939."
00:04:27 "Il y a eu la seconde guerre mondiale qui s'est déclarée à partir de 1939."
00:04:33 "L'armateur, la Transat, a décidé de mettre à l'abri ce paquebot qui se trouvait dans le port de New York."
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00:04:40 En août 1939, une mauvaise surprise attend la compagnie générale transatlantique.
00:04:45 Normandie est réquisitionnée par les Américains, qui le rebaptisent USS Lafayette.
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00:04:52 Ils sont en train de le transformer en transport de troupes quand un incendie se déclare à bord.
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00:04:59 Les pompiers de la ville de New York parviennent à maîtriser les flammes, mais le bateau, rempli d'eau, verse sur le côté.
00:05:05 "Le 9 février 1942, le jour du feu de Normandie, une tragédie fatale pour le grand liner luxueux et pour l'Amérique."
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00:05:19 "L'eau s'est transformée bien vite en glace et si l'incendie a été éteint, malheureusement, le navire a gîté et est resté complètement à mi-eau, en quelque sorte, pendant plus d'une année."
00:05:31 "C'était la triste fin du Normandie."
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00:05:41 À la fin de la guerre, la France, victorieuse mais dévastée, doit redorer son blason maritime.
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00:05:49 Et la reconquête de cette voie de transport vitale qui relie l'Europe à l'Amérique du Nord par la mer est un bon moyen.
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00:05:57 Face aux puissantes compagnies rivales, Cunard Line et United States Line, la compagnie générale transatlantique n'a pas la moindre chance.
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00:06:07 Elle a perdu les deux tiers de sa flotte durant la guerre.
00:06:09 Les paquebots rescapés sont loin d'être suffisants pour faire face à la concurrence étrangère.
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00:06:19 "Pour Saint-Nazaire, c'est aussi extrêmement important.
00:06:21 Il ne faut pas oublier qu'après la libération de la Poche en 1945, le général de Gaulle vient à Saint-Nazaire
00:06:27 et dans son discours, la relance économique est une des priorités.
00:06:31 Il faut reloger et les sinistrer et d'autre part relancer l'économie.
00:06:35 Et à Saint-Nazaire, relancer l'économie fait relancer les chantiers."
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00:06:46 En 1950, quand les lignes de transports maritimes sont enfin rétablies,
00:06:51 la flotte de la compagnie générale transatlantique n'est plus composée que de l'île de France, du Liberté et du Degrasse,
00:06:58 des bateaux vieillissants d'avant-guerre.
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00:07:02 Difficile de concurrencer les britanniques Queen Mary et Queen Elizabeth et le United States en construction aux États-Unis.
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00:07:14 "On sait, dès que la ligne reprend dans des conditions normales en 1949-1950,
00:07:19 qu'il faudra rapidement prendre une décision de construire ou de ne pas construire un nouveau grand paquebot ou des nouveaux grands paquebots."
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00:07:31 Cette voie est un enjeu capital pour le commerce entre l'Europe continentale et l'Amérique du Nord.
00:07:37 La compagnie générale transatlantique joue un rôle prépondérant dans les échanges entre les grandes puissances.
00:07:44 L'Atlantique est le théâtre de leurs savoir-faire industriel, technologique et culturel.
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00:07:53 Pour la France, hors de question d'abandonner cet axe stratégique.
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00:08:00 Le gouvernement engage des discussions officielles en novembre 1953.
00:08:05 Trois options sont envisagées.
00:08:08 Hypothèse A, un paquebot moyen, 1300 passagers, traversé en six jours.
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00:08:18 Hypothèse B, deux petits paquebots de 1000 passagers chacun, traversés en six jours.
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00:08:27 Hypothèse C, un super paquebot de 55 000 tonnes, 2000 passagers, traversés en cinq jours.
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00:08:36 La compagnie générale transatlantique penche rapidement pour l'hypothèse C, la plus ambitieuse.
00:08:41 Avec 22 à 23 rotations, le paquebot transportera au moins 65 000 passagers tous les ans.
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00:08:52 Mais pour la compagnie générale transatlantique, une longue attente commence.
00:08:58 En 1947, c'est le début de la quatrième république.
00:09:01 Il y a des changements de gouvernement en permanence.
00:09:04 Donc les élus, les ministres tergiversent et les décisions sont longues à prendre.
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00:09:11 Le 20 juin 1956, après trois longues années de discussions,
00:09:16 l'Assemblée nationale annonce enfin la commande d'un paquebot de 55 000 tonnes
00:09:20 pour la ligne transatlantique et débloque une ligne budgétaire spécifique de 100 millions de francs.
00:09:25 Son nom de code, G19.
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00:09:33 Finalement la réalisation n'a démarré qu'à l'automne 1957.
00:09:37 Il se sera passé finalement pratiquement dix ans entre le lancement des études et la mise en service du navire.
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00:09:45 À Paris, M. Jean-Marie, président de la Transat et le sous-secrétaire d'État à la Marine marchande,
00:09:49 ont signé la lettre de commande du futur paquebot France qui ressuscitera le prestige de Normandie.
00:09:55 Les ingénieurs de la compagnie générale transatlantique et ceux des chantiers
00:10:00 unissent leur savoir-faire unique pour que ce paquebot devienne l'emblème de la puissance maritime française.
00:10:05 Il sera baptisé France.
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00:10:12 Très vite une querelle s'installe. Faut-il dire le France, la France ou France ?
00:10:18 Les avis s'opposent.
00:10:20 Finalement la direction de la compagnie générale transatlantique tranche.
00:10:24 Ce sera France tout simplement.
00:10:27 Les lettres lumineuses hautes de plusieurs mètres sur les côtés seront lisibles à 16 km par temps clair.
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00:10:41 Pour rivaliser avec ses concurrents anglo-saxons,
00:10:44 le nouveau paquebot doit impérativement parcourir les 6 150 km de la ligne Le Havre-New York
00:10:49 avec escala Southampton en 5 jours et respecter les horaires en toutes circonstances.
00:10:55 Jean-Paul Ricard de la compagnie générale transatlantique donne le ton.
00:11:01 France devra être plus long, plus fin, plus léger et plus rapide que tous ses prédécesseurs.
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00:11:12 Le cahier des charges à satisfaire est plus qu'ambitieux.
00:11:15 Transporter 2000 passagers, 1100 t d'équipage, 100 voitures à travers l'Atlantique
00:11:21 tout en offrant confort et élégance.
00:11:24 Aucun autre navire ne propose de telles prestations.
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00:11:34 C'est au bassin des Carennes, situé à Paris, que sont réalisés les tests des différentes formes du futur paquebot.
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00:11:47 C'est à Val-de-Reuil, dans l'Eure, au centre DGA technique hydrodynamique,
00:11:52 qu'on expérimente l'efficacité des navires en devenir.
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00:12:03 L'hydrodynamique, c'est l'ensemble des interactions entre le bateau et son environnement.
00:12:08 Donc l'environnement, c'est la mer.
00:12:12 Ici, on est à la cuve à houle.
00:12:14 C'est une piscine à vagues dans laquelle on va faire des essais de mouvements sur houle, de tenue à la mer.
00:12:19 On va générer de la houle grâce à un générateur de houle qui est à cette extrémité du bassin.
00:12:24 On va l'envoyer sur notre maquette de bateau et puis on va regarder la façon dont le bateau se comporte.
00:12:29 Ainsi, on va pouvoir caractériser la réponse du navire à un environnement donné,
00:12:34 Atlantique Nord, Méditerranée, Etat de mer 3, Etat de mer 4.
00:12:39 Chaque bateau est différent. Chaque projet navire est différent.
00:12:43 L'architecture navale, c'est une boucle itérative.
00:12:45 Je vais changer quelque chose ici pour améliorer cette performance.
00:12:49 Ça va tout faire bouger là.
00:12:50 Il faut converger vers un design qui satisfait à toutes les exigences qu'on a données au bateau.
00:12:55 Donc si j'ai un bateau qui est plus fin, qui est plus élancé, il ira plus vite.
00:12:59 Mais par contre, il aura peut-être des mouvements de tangage plus importants.
00:13:02 Voilà, c'est toute cette chaîne, cette boucle itérative qu'il est important de faire à chaque cycle de conception du navire.
00:13:09 On doit revérifier toutes les exigences.
00:13:11 C'est dans le bassin de traction de 550 mètres de long qu'est testée l'hydrodynamique des bateaux.
00:13:21 Pour faire l'essai d'une coque, la procédure est toujours la même.
00:13:29 A l'aide de maquettes, les architectes navales réalisent différents tests basés sur les lois de l'hydrodynamique.
00:13:35 La seule différence est qu'aujourd'hui, les maquettes sont en plastique.
00:13:39 Elles ont longtemps été réalisées en paraffine pour pouvoir être refondues.
00:13:45 Il ne reste aucune maquette de France.
00:13:47 Mais heureusement, les caméras 35 mm ont presque tout immortalisé à l'époque.
00:13:53 Il y a eu énormément de maquettes de France testées, plusieurs dizaines,
00:13:57 puisque quand on avait une nouvelle idée, il fallait faire une nouvelle maquette.
00:14:00 Et donc en ce qui concerne le paquebot Le France, par exemple, effectivement, les maquettes étaient en paraffine.
00:14:07 Pourquoi ce matériau ? Parce qu'il se travaille facilement, il permet de rajouter de la matière, d'en enlever,
00:14:12 et donc finalement d'affiner le design de la carène, finalement en assez peu de temps.
00:14:17 Sa tenue en mer, sa stabilité, sont éprouvées dans une houle artificielle
00:14:25 qui, toute proportion gardée, reproduit les plus grandes tempêtes de l'Atlantique.
00:14:31 Le cinéma au ralenti restitue les réactions du navire dans une houle de 200 mètres de long et de 15 mètres de creux,
00:14:40 la hauteur d'une maison de cinq étages.
00:14:43 Le dimensionnement de la coque de France se joue directement au bassin,
00:14:48 en fonction des contraintes de flottabilité et d'hydrodynamique.
00:14:52 Les essais sont indispensables pour définir les formes de la carène,
00:14:56 comme la largeur ou les appendices de la coque.
00:14:59 Il y a 70 ans, les phénomènes physiques étaient les mêmes qu'aujourd'hui, bien entendu.
00:15:04 Ce qui a évolué, c'est la façon de les appréhender, c'est la façon de les calculer.
00:15:08 À l'époque, c'était tout expérimental.
00:15:11 Dès qu'on avait une nouvelle idée, il fallait refaire une maquette.
00:15:14 Aujourd'hui, on a une nouvelle idée, on peut d'abord utiliser le numérique.
00:15:17 Ici, au bassin de traction, on va mesurer la résistance à l'avancement du navire.
00:15:28 Ce qu'on veut, c'est que le bateau aille à une certaine vitesse.
00:15:33 Pour ça, il faut à la fois connaître ce qui va pousser le bateau,
00:15:37 mais il va aussi falloir connaître ce qui s'oppose à son mouvement.
00:15:40 Ici, on va les mesurer finement, avec des capteurs, avec de l'instrumentation,
00:15:45 de façon à pouvoir ensuite prédire le besoin en puissance qu'on doit mettre au niveau du propulseur.
00:16:01 Plus de 40 formes et 12 maquettes seront testées pour qu'enfin, le 31 juillet 1957,
00:16:07 la ligne qui sera donnée au France soit arrêtée.
00:16:10 Par rapport à Normandie, France sera plus longue d'1,75 m, plus fin de 70 cm,
00:16:20 plus rapide de 2 nœuds, mais surtout plus léger de 15 000 tonnes.
00:16:30 Le Titanic, mesuré 269 m, le Normandie, 314 m, le Queen Elizabeth, 315 m.
00:16:38 Avec 315,66 m de longueur, France sera le paquebot le plus long du monde.
00:16:44 France possédera une magnifique coque en acier, à l'étrave fine et élancée,
00:16:53 dessinée pour fendre les flots à grande vitesse, avec un léger bulbe sous la flottaison
00:16:58 et un arrière affiné comme celui d'un croiseur.
00:17:01 Un modèle d'esthétique navale avec des superstructures harmonieusement étagées en gradin jusqu'au cheminé.
00:17:07 Avec France, les méthodes, les métiers et les technologies sont en pleine évolution.
00:17:14 Pourtant, les savoir-faire traditionnels sont encore de la partie.
00:17:18 France est un des derniers bateaux tracés à la main.
00:17:26 Le traceur de coque dessine les pièces en gravant des patrons, comme on en utilise en couture.
00:17:31 Ce métier consiste à définir la géométrie de toutes les pièces métalliques constituant la charpente du navire.
00:17:42 On s'y prend en deux étapes.
00:17:44 La première étape consiste à tracer ces formes à l'échelle 1/10e.
00:17:50 On relevait toutes les intersections des couples avec les lignes d'eau et les traceurs sur la salle à tracer juste à côté.
00:17:56 On reprenait ces points pour réaliser sur le parquet en vraie grandeur le tracé du navire.
00:18:04 Avec l'arrivée des machines, les traceurs ont quitté les salles, abandonné les planches et se sont faits dessinateurs.
00:18:16 Et puis, l'informatique a pris le relais à toutes les étapes.
00:18:20 France appartient à la fois à l'ancien monde, quand on tracait les coques à la main et qu'on les modélisait en bois,
00:18:25 et au Nouveau Monde, avec le début des procédés de fabrication industrialisées.
00:18:30 Saint-Nazaire, le plus grand chantier naval d'Europe.
00:18:39 Si les chantiers de l'Atlantique sont parmi les plus vastes et les plus performants du monde, c'est en grande partie grâce au France.
00:18:46 Mais le paysage a bien changé depuis la construction du paquebot, il y a 60 ans.
00:18:51 Aujourd'hui, c'est la silhouette du très grand portique qui domine le paysage.
00:18:58 Cette grue roulante, la plus grande d'Europe, est capable de soulever 1200 tonnes d'une seule traction.
00:19:06 La Grande Grue
00:19:10 La première évolution, et la principale évolution, je dirais, entre la construction navale aujourd'hui à Saint-Nazaire et au moment du France, c'est d'abord la taille.
00:19:34 Le France était un très grand navire, puisqu'il faisait 315 mètres de long, c'était un grand navire pour l'époque.
00:19:42 Le Wonder of the Seas est à peu près 6 fois plus gros, 5-6 fois plus gros, puisqu'il fait 361 mètres de long, 47 mètres de large en bas, 66 en haut.
00:19:53 Donc on a complètement changé de taille des navires, avec beaucoup plus de passagers à bord, beaucoup plus de cabines à bord, des plus grands locaux publics.
00:20:01 Le Vendée Globe
00:20:06 Les navires de croisière qu'on construit aujourd'hui, c'est des navires à visée touristique, qui se déplacent de ville en ville la nuit, pour se réveiller chaque matin face à une nouvelle ville à visiter pour les passagers.
00:20:21 A l'époque, c'était une visée de transport, donc on voulait traverser l'Atlantique le plus rapidement possible.
00:20:29 Aujourd'hui, on est sur des vitesses de 22 à 23 nœuds, à l'époque on était sur des vitesses de 35 nœuds. La visée est différente, on doit rejoindre 2 villes en une nuit aujourd'hui, à l'époque on devait traverser entre Le Havre et New York en 5 jours.
00:20:43 Les bâtiments de croisière construits aujourd'hui sont tous les héritiers de France.
00:20:52 Sans lui, ces géants des océans n'existeraient sans doute pas. Mais quoi de commun entre le dernier paquebot national fin et effilé, et ces monstres des mers, énormes immeubles flottants, qui battent des records de gigantisme ?
00:21:08 Le paquebot France, c'est un bateau qui a été emblématique pour la région et pour le chantier. C'était le premier navire pour lequel on avait fait de la construction par bloc. C'est-à-dire qu'avant, on posait des tôles, on venait souder des tôles transversales directement sur la cale.
00:21:21 Avant France, la construction se faisait peu à peu, pièce par pièce, tôle par tôle, et le bateau montait le long des échafaudages.
00:21:31 C'est le premier navire pour lequel on a fait des blocs, comme une construction de Lego. On venait fabriquer des blocs à différents endroits dans le chantier.
00:21:37 Et vu qu'on pouvait fabriquer des blocs et non assembler directement dans la cale, on pouvait déjà commencer à assembler autre chose que des pièces métalliques et à rajouter des choses dans les blocs, qui permettaient à plusieurs métiers d'agir avant que le navire soit déjà assemblé.
00:21:58 En 1957, le chantier du paquebot France est lancé.
00:22:02 Le 7 octobre a lieu le moment symbolique de la pose de la première tôle de la quille.
00:22:08 Mai 1958, assemblage des premiers éléments de la charpente.
00:22:14 Quatre grues réunissent les morceaux du paquebot.
00:22:25 Jumelées, elles peuvent embarquer les plus gros blocs, qui atteignent 80 tonnes. Un véritable exploit.
00:22:36 C'est la première fois dans l'histoire de l'industrie navale qu'un navire est assemblé bloc par bloc.
00:22:45 Et presque aucun échafaudage n'est visible sur la cale autour de France, contrairement aux autres grands paquebots construits au même moment à l'étranger.
00:22:54 Le navire est un des plus grands blocs de navires de l'histoire.
00:22:58 Vous avez sous les yeux là un bloc de navires qui peut peser jusqu'à 1200 tonnes, alors qu'à l'époque, quand on a construit le France, on montait les navires à la grue avec des colis de l'ordre de 20 à 50 tonnes.
00:23:17 Et la taille de ces colis, fabriqués maintenant à terre, nous permet de réduire considérablement le temps de construction des navires, à la fois en délai et en heure passée de travail,
00:23:28 puisqu'aujourd'hui, on construit à peu près six fois plus vite qu'en 1960.
00:23:32 Aujourd'hui, l'échelle a changé, mais cette technique de construction est devenue la norme.
00:23:37 Construire de tels blocs, en fait, est essentiellement permis par les équipements industriels qui se sont développés depuis à Saint-Nazaire.
00:23:44 On va commencer d'abord par le grand portique rouge que vous avez là, qui est le plus grand portique d'Europe et qui permet de lever des colis de 1200 tonnes,
00:23:50 mais aussi l'aire de prémontage qui s'étend maintenant sur près d'un kilomètre cinq, qui n'existait pas au moment du France, et qui nous permet finalement de construire en parallèle tous ces blocs.
00:24:12 Dans l'enchaînement assez cadencé des tâches, on commence par sortir des éléments de coque métallique des ateliers de préfabrication qu'on appelle des panneaux,
00:24:18 qui sont des grands rez-de-chaussée de maison, puisque ça fait jusqu'à 400-500 mètres carrés.
00:24:23 Ces panneaux, on les amène ici sur l'aire de prémontage, qu'on vient prendre au portique pour retourner l'élément de coque métallique et se mettre dans sa position définitive,
00:24:31 et empiler les couches de ce qui va devenir l'immeuble. Un bloc, c'est un immeuble.
00:24:36 Vous voyez ici les premières couches qui sont en train de s'empiler, qu'on va venir souder.
00:24:41 Une fois qu'elles sont soudées, on va venir les équiper encore avec des éléments d'armement, et on arrive à cette étape-là, avec un immeuble qui est déjà peint,
00:24:48 qui nous permet après de poser les baies vitrées et les balcons, pour embarquer à bord un immeuble quasi terminé dans ses extérieurs et dans ses parties techniques.
00:24:56 Alors ça permet une nouvelle fois de dissocier les tâches de coque et d'armement, de les paralléliser, donc d'aller beaucoup plus vite dans les séquences de montage,
00:25:07 et puis de gagner également en conditions de travail, en ergonomie, en sécurité, et ce préarmement nous a fait faire un pas majeur dans la construction navale, et ce depuis plusieurs années.
00:25:34 Autre différence très importante entre aujourd'hui et le moment du France, c'est qu'on construit nos navires dans des formes de construction.
00:25:40 Vous savez que le France a été construit sur une forme inclinée, sur un plan incliné, qui du coup au moment de son lancement, il fallait que ça marche,
00:25:47 il fallait évidemment que le bateau flotte, qu'il n'y ait pas de voileau.
00:25:49 Aujourd'hui à Saint-Nazaire, on a une forme de construction qui est fermée par rapport à la Loire, puisqu'au bout de cette forme, vous avez la Loire,
00:25:57 qui nous permet de monter le bateau déjà d'aplomb, au sec, de mettre le bateau à flot de manière progressive, donc de manière complètement sécurisée, puisqu'on maîtrise la montée du plan d'eau.
00:26:07 La construction de France va durer 4 ans. Le chantier emploie 1300 ouvriers à la fabrication de la coque. Fin novembre 1959, pose du dernier élément de l'étrave.
00:26:24 Quatre grues sont nécessaires pour mettre en place cette pièce d'acier pesant 31 tonnes. Elle est fixée en 17 minutes par 10 hommes. Un record.
00:26:33 D'octobre 1957 au début 1960, la coque de France s'élève, morceau par morceau, étage par étage.
00:26:52 Vu de l'extérieur, la coque de France affiche une finesse impertinente, effrontée, prête à braver les flots et à briller dans les ports d'Amérique.
00:27:03 Vu de l'intérieur, elle révèle le souci des architectes de faire face à toutes les avaries possibles.
00:27:15 Quand on prend les dossiers de stabilité du France, on voit qu'ils avaient étudié une dizaine de cas d'avaries qu'ils avaient calculés eux-mêmes à la main et redessinés dans des cahiers qu'ils transmettaient aux différents organismes de réglementation.
00:27:31 Aujourd'hui, on n'étudierait pas une dizaine de cas d'avaries, on en étudie environ 6000 avec des technologies qui ont grandement évolué.
00:27:41 On est sur des calculs numériques qui nous permettent de calculer beaucoup plus de cas.
00:27:46 Par leur gigantisme et le nombre de passagers transportés, jusqu'à 9000, les défis posés par les navires contemporains sont bien sûr d'une autre envergure que ceux d'il y a 60 ans.
00:28:00 Mais la méthode est toujours identique.
00:28:10 France expérimente une toute nouvelle disposition. Les appareils propulsifs des deux paires d'hélices sont entièrement séparés.
00:28:17 L'avantage d'avoir des machines séparées, c'est de permettre que s'il y avait une voie d'eau, un incendie à un endroit dans le navire, on garde une capacité de manœuvre du navire.
00:28:29 Mais également on avait redondé les sources d'approvisionnement en fioul de façon à s'assurer qu'il n'y avait pas un point à un endroit qui nous ferait perdre cette redondance.
00:28:40 Pour obtenir le plus haut coefficient de sécurité possible, le navire est divisé en 15 compartiments.
00:28:47 France dispose d'une double coque sur toute la longueur des 8 tranches affectées aux machineries et aux combustibles, soit sur environ 150 mètres.
00:28:58 La disparition de Normandie dans les flammes est encore gravée dans les mémoires.
00:29:03 La protection incendie sur France est donc un point prioritaire. Rien n'est laissé au hasard.
00:29:09 Aucun matériau combustible n'entre dans la constitution des structures et du contrôle de la production.
00:29:17 Les machines sont donc encore en train de se débrouiller.
00:29:22 Aucun matériau combustible n'entre dans la constitution des structures et du cloisonnement.
00:29:27 Les structures des différents ponts du navire, faites auparavant de multiples poutres de bois, sont totalement remplacées par des profilés en acier.
00:29:41 L'anecdote veut qu'il n'y ait que 3 objets en bois à bord, en dehors du pont Antec.
00:29:46 C'est la roue du commandant, le billot du boucher et la baguette du chef d'orchestre.
00:29:52 Il faut savoir que le risque d'incendie est un risque majeur pour la plupart des navires.
00:29:57 De nombreux navires, paquebots ou navires de charge, vont disparaître en raison d'incendie notamment.
00:30:02 L'idée est d'utiliser des matériaux à combustible.
00:30:05 Un central de sécurité est installé au cœur des emménagements.
00:30:16 Des systèmes de détection d'incendie et d'extinction sont placés à tous les endroits stratégiques.
00:30:29 Des matériaux incombustibles viennent remplir les cloisons, les portes, les plafonds, la coque, principalement de l'amiante.
00:30:36 Avec ces fibres ravageuses pour les poumons, sa présence encombrante sera comme une tâche noire sur la fin de vie du bateau.
00:30:43 Évidemment, à l'époque, ces dangers sont insoupçonnables.
00:30:48 France se prévaut d'être l'un des bateaux les plus sûrs de la ligne transatlantique.
00:30:54 Les ambitions de grandeur du Paquebot France doivent se marier à d'autres exigences.
00:30:58 D'économie, car la rentabilité du bateau, financée par la commande publique, mais aussi par la compagnie générale transatlantique qui s'en dette, doit être assurée sur le long terme.
00:31:07 De confort, car ce ne sont plus des migrants qui voyagent sur la mer.
00:31:13 Ce qui se passe avec France, c'est qu'après la guerre, la société a changé. L'offre s'est démultipliée. Vous pouvez passer par la mer comme par l'air.
00:31:21 Et dans la mesure où vous allez avoir de plus en plus de passagers aériens, le transport maritime va être obligé de se repenser.
00:31:28 Historiquement, les transports maritimes n'ont pas été les plus importants.
00:31:32 Mais les transports maritimes ont été les plus importants.
00:31:36 Et dans la mesure où vous allez avoir de plus en plus de passagers aériens, le transport maritime va être obligé de se repenser.
00:31:43 Historiquement, sur les lignes de l'Atlantique, la première classe était au centre, la deuxième classe à l'arrière et la troisième classe à l'avant.
00:31:50 On s'adapte au mouvement de la société et donc il n'y aura plus que deux classes.
00:31:54 Une première classe réduite, parce que c'est toujours une population qui a envie de voyager par ce biais.
00:32:01 Et une classe qu'on va appeler la classe touriste et qui correspond à cet avènement et cet essor du tourisme d'après-guerre qui va toucher des couches sociales de plus en plus larges.
00:32:10 On est face à un grand navire rapide, mais qui est conçu pour accueillir un petit nombre seulement de passagers de première classe.
00:32:18 Et un très grand nombre de passagers de classe touriste. 400 passagers de première classe, 1600 de classe touriste.
00:32:28 Pour concurrencer l'aviation, France propose des loisirs et des équipements haut de gamme.
00:32:33 Il faut donc pour le même nombre de passagers que Normandie, augmenter la quantité d'infrastructures et d'espaces passagers, tout en restant léger et rapide.
00:32:43 Une contrainte qui va une nouvelle fois pousser les ingénieurs à trouver des solutions innovantes.
00:32:54 C'est d'abord l'appareil propulsif qui va permettre de diminuer le poids.
00:32:58 Pour une même puissance que celui de Normandie, celui de France est plus léger de 30%.
00:33:04 Ça c'est vraiment un point important puisque la motorisation ne prend pas autant de place qu'elle n'en prenait du temps de Normandie.
00:33:11 Et elle permet d'être plus légère aussi. Et donc qui dit moins de place et plus léger, dit aussi plus grande capacité d'accueillir des passagers.
00:33:19 Et ça, ça va être vraiment un argument essentiel de pouvoir accueillir de nombreux passagers à bord.
00:33:24 Sur les chaudières du France, ils avaient réussi à augmenter les pressions qui permettaient de basculer sur 8 chaudières à la place de 29 sur le Normandie.
00:33:37 Donc une efficacité à la fois en termes de volume occupé dans le navire, mais également une efficacité des chaudières en elles-mêmes.
00:33:44 Et donc un rendement meilleur qui permettait d'améliorer grandement l'efficacité énergétique d'un navire comme le France.
00:33:51 Grâce à ces chaudières haute pression, fonctionnant au mazout plutôt que au charbon, et à la réduction de poids, les économies d'énergie sont importantes.
00:33:59 La place occupée par le carburant est aussi considérablement réduite. Mais ce n'est pas tout.
00:34:04 Alors que les paquebots devaient jusqu'à présent transporter toute l'eau douce indispensable à la traversée,
00:34:09 France possède ses propres stations de désalinisation qui permettent de transformer l'eau de mer en eau douce.
00:34:17 L'eau de mer est évaporée dans un bouilleur grâce à la chaleur dégagée par les machines, puis récupérée par des condensateurs.
00:34:23 Elle passe ensuite dans un neutralisateur pour rééquilibrer le pH. Puis elle est chlorée pour la rendre potable, et traverse 4 filtres de silex afin d'enlever le goût du chlore.
00:34:34 Pour finir, elle passe dans 3 filtres de charbon pour la déchlorer. Et on obtient ainsi de l'eau douce potable.
00:34:44 Les 4 centrales peuvent fabriquer 1 000 tonnes d'eau douce toutes les 24 heures.
00:34:48 Un coup de génie qui va permettre de supprimer 5 000 tonnes par traversée.
00:34:53 Mais l'un des gains de poids les plus importants va être constitué par le matériau même des superstructures.
00:35:07 Pour améliorer la stabilité sans abandonner le rendement économique, les architectes et les ingénieurs de France utilisent les dernières innovations technologiques pour alléger les parties hautes du bateau.
00:35:30 Le paquebot France a accueilli pas mal d'aluminium dans ses superstructures qui permet de diminuer les poids.
00:35:36 Ça avait deux effets, un effet sur les économies d'énergie et également un effet sur des gains en stabilité du paquebot.
00:35:44 Sur un bateau, si les superstructures sont lourdes, le centre de gravité, G, est trop haut et le bateau roule.
00:35:53 En utilisant de l'aluminium, les superstructures s'allègent et le bateau se stabilise.
00:35:59 Sur les navires bâtis aujourd'hui, le développement de la partie loisir est poussé à l'extrême.
00:36:04 Pourtant, dans ces immeubles flottants, le déséquilibre n'est qu'apparent.
00:36:09 Les structures hautes sont relativement légères et comparées à la finesse de France, l'assise de la coque est assez large.
00:36:16 De plus, un lest important est placé à fond de cale pour abaisser le centre de gravité.
00:36:22 Pour ces bateaux destinés à voguer tranquillement de port en port, la vitesse n'est en effet plus un besoin
00:36:27 et les questions de stabilité ne se posent plus du tout de la même façon.
00:36:31 La légèreté des éléments préfabriqués permet une grande facilité de manutention.
00:36:41 Les bateaux sont donc plus adaptés à la vitesse de la surface, et plus facilement à la vitesse de l'eau.
00:36:48 La légèreté des éléments préfabriqués permet une grande facilité de manutention.
00:36:51 Leur pose sur les hauts du navire s'opère à une cadence rapide.
00:36:55 A l'époque de France, l'aluminium est en plein développement.
00:37:00 L'aluminium, c'est le matériau de la modernité et de la légèreté qui prend une place croissante dans l'automobile, l'aviation, les ponts, l'électricité.
00:37:10 L'industrie navale emboîte le pas.
00:37:17 L'aluminium seul est un métal qui a beaucoup de qualités, de conductivité thermique, électrique.
00:37:25 Il est léger, il résiste assez bien à la corrosion, mais ses caractéristiques mécaniques sont faibles.
00:37:33 Si bien que quand on parle d'usage de l'aluminium, il faudrait parler d'alliage d'aluminium.
00:37:44 Sur le France, ça a été l'explosion de l'utilisation de l'aluminium qui a été utilisé de façon systématique.
00:37:54 On estime que la réduction de masse était d'environ 1200 à 1300 tonnes.
00:38:01 En tout, France utilise 1600 tonnes d'alliage d'aluminium pour les superstructures,
00:38:08 le mât radar, les deux cheminées, les 22 embarcations de sauvetage et les quatre vedettes de croisière.
00:38:14 Comme de multiples secteurs de la technologie et de l'artisanat français,
00:38:18 l'industrie métallurgique sera largement mise à contribution pour ce grand projet.
00:38:33 Issoir, en Auvergne, l'un des plus importants centres de laminage au monde pour l'aéronautique et l'aérospatiale.
00:38:39 Le site connaît une explosion de sa production et de ses savoir-faire à l'époque de France.
00:38:44 Il se trouve qu'à l'époque, à Issoir, il existait un des trains de laminage les plus modernes au monde.
00:38:57 Elle est spécialisée dans ce que l'on appelle les tôles, et en particulier les tôles épaisses.
00:39:03 Ça consiste à réduire l'épaisseur de cette plaque qui fait quelques dizaines de centimètres d'épaisseur à la sortie de la fonderie,
00:39:16 à l'épaisseur demandée par le client.
00:39:18 Dans le cas du France, c'était entre 8 et 20 millimètres d'épaisseur pour les structures.
00:39:25 Et dans l'aménagement intérieur des cabines ou des salons, des salles à manger, des tôles qui faisaient de l'ordre de 2 à 3 millimètres seulement.
00:39:35 Certaines parties du bateau constituent de véritables prouesses architecturales permises par l'aluminium.
00:39:47 La salle de spectacle, de 22 mètres de longueur par exemple, est soutenue seulement par deux poutres en métal léger.
00:39:54 Le dôme de la salle à manger de première classe, de 16 mètres de diamètre, est construit sans poutres de soutien.
00:40:00 Un exploit technologique.
00:40:02 France est un paquebot de transition dans sa construction.
00:40:10 Donc ça veut dire au niveau des chantiers, une nouvelle organisation, une nouvelle façon de penser.
00:40:16 Et ça va s'accompagner aussi d'une bascule sur riftage et soudure.
00:40:22 C'est-à-dire que depuis les années 30, on commence à pratiquer un peu la soudure.
00:40:26 Mais la technique c'est le riftage.
00:40:29 Riftage c'est une opération extrêmement longue parce qu'un navire ce sont des milliers de rivets.
00:40:35 Normandie c'est beaucoup de rivets et un tout petit peu de soudure.
00:40:42 France c'est l'inverse, c'est beaucoup de soudure et un tout petit peu de rivets.
00:40:46 En fait c'est cet ensemble-là entre l'assemblage par bloc et la soudure qui va commencer à entamer une évolution dans la technique de construction des navires.
00:40:54 Le soudage à l'arc électrique sous atmosphère d'Argon avec électrode consommable a été très largement utilisé.
00:41:01 Il est d'un emploi aisé, économique, rapide et sûr.
00:41:10 Si les ingénieurs-concepteurs de France tiennent au soudage, c'est que le riftage n'est pas du tout adapté à l'aluminium.
00:41:16 Les joints rendent le matériau vulnérable à la corrosion.
00:41:19 Pour que l'aluminium soit pleinement performant en mer, il faut absolument changer de méthode d'assemblage.
00:41:25 France sera donc presque entièrement soudée.
00:41:28 Cette innovation, invisible mais majeure, est l'un des points les plus sensibles pour les architectes.
00:41:36 Un défi de taille, marier l'acier et l'aluminium pour former un navire à la fois élastique et résistant.
00:41:42 Rajouter de l'aluminium, ça permettait de mettre en avant le fait que la France avait un savoir-faire particulier dans la soudure de l'aluminium.
00:41:53 Impliquer l'industrie française, c'était aussi permettre de la faire rayonner dans les différents ports d'escale dans lesquels le France allait pouvoir s'arrêter.
00:42:03 Au niveau du dernier pont en acier, on procède au traitement du surbot sur lequel viendront se monter les premiers éléments en alliage d'aluminium
00:42:11 et qui assurera la parfaite jonction de l'acier et du métal léger.
00:42:15 Ce bateau va être un ambassadeur du savoir-faire et du savoir-vivre national.
00:42:21 C'est un produit totalement français, fabriqué par des usines françaises, des professionnels français.
00:42:28 [Musique]
00:42:38 Si France est construite et montée à Saint-Nazaire, ces éléments viennent de tout l'Hexagone.
00:42:43 Outre l'alliage d'aluminium de sa coque, qui arrive d'Issoir, le gouvernail est fabriqué à la Ciota.
00:42:49 Les arbres d'hélice le sont au Creusot. La mèche de Safran, c'est-à-dire l'axe guidant le gouvernail, à Montluçon.
00:42:57 C'est toute la France qui est mobilisée pour la construction du navire.
00:43:00 En fait, la question des sous-traitants, elle est extrêmement prégnante puisque l'État soutient la compagnie
00:43:14 avec une demande, c'est qu'on fasse travailler au maximum des entreprises françaises.
00:43:19 Et le savoir-faire, il est partout en France.
00:43:22 Arbres de 25 mètres de long, usinés d'une seule pièce. Ce n'est que le dernier élément de chacune des 4 lignes d'arbres
00:43:30 de 100 et 150 mètres de long qui transmettront aux hélices l'action des moteurs.
00:43:35 On va travailler sur de multiples typologies de matériaux, de savoir-faire, que ce soit technologique,
00:43:42 pour les machines, que ce soit pour les emménagements. Et donc on va faire appel à un savoir-faire très large.
00:43:48 Ce d'autant plus qu'on est à une période d'invention de matériaux, d'invention de techniques,
00:43:53 et France va porter aussi l'image de ça.
00:43:55 Découpes, assemblages, soudages, préfabrications, montages.
00:44:15 Au fur et à mesure que France s'élève, la curiosité du public grandit.
00:44:19 Le moment où le paquebot doit quitter sa cale approche.
00:44:23 Il va bientôt être lancé pour rejoindre la forme écluse où les machines seront chargées
00:44:28 et où l'aménagement intérieur sera réalisé.
00:44:30 Les préparatifs démarrent pour cette inauguration tant attendue.
00:44:35 Les derniers éléments sont ajoutés pour que France soit prête pour son lancement médiatique.
00:44:43 Le mât radar de 30 mètres est posé le 3 mai.
00:44:45 Avec sa ligne profilée, ce mât radar fabriqué en aluminium signe lui aussi la silhouette si particulière de France.
00:44:53 Le mât radar était aussi à l'époque une sorte d'innovation.
00:45:00 Là, ce mât radar nous donnait l'impression d'être une figure de proue,
00:45:07 un chien, une sirène au buste avancé et les bras en arrière.
00:45:13 A l'époque, c'était assez révolutionnaire.
00:45:16 Le 11 mai 1960, toute la ville de Saint-Nazaire est en effervescence pour assister à la mise à l'eau de l'enfant du pays.
00:45:31 Les gens de toutes les régions environnantes, à pied, à vélo, en voiture ou en autocar pour assister à ce moment historique.
00:45:37 Quatre trains Paris-Saint-Nazaire sont spécialement affrétés pour l'occasion
00:45:41 et des avions arrivent de toutes parts transportant des cohortes de journalistes.
00:45:46 Un navire, c'est un peu comme un enfant que l'on fait grandir,
00:45:54 que l'on construit, que l'on décore, que l'on aime et qui nous quitte.
00:46:01 Et le moment du départ est un moment un peu particulier.
00:46:04 C'est ainsi qu'à chaque départ, les quais de Saint-Nazaire sont encombrées de milliers de personnes.
00:46:11 Alors particulièrement pour le France qui était quand même une sorte de renouveau à l'époque.
00:46:18 Cette opération de lancement est un véritable événement médiatique.
00:46:28 Le bateau va être libéré pour glisser sur la cale, emporté par son poids.
00:46:31 Une opération périlleuse mais qui garantit spectacle et frissons pour le public présent et la télévision.
00:46:37 D'autant que France est déjà bien avancée et qu'il pèse déjà 35 000 tonnes.
00:46:42 Lors de son lancement, Normandie n'en faisait que 28 000.
00:46:47 Afin de bénéficier de la marée haute la plus favorable et d'un tirant d'eau satisfaisant,
00:46:54 le lancement de France est réglé à la minute près.
00:46:58 Le lancement s'effectue donc à partir de la cale inclinée.
00:47:02 Le navire est soutenu par de nombreuses étais que l'on enlève au cours de la phase préparatoire.
00:47:12 Lorsque tous les étais sont supprimés, le navire reste accroché en quelque sorte
00:47:25 par un élément métallique qui a été découpé au chalumeau.
00:47:30 Lors de la cérémonie retransmise en Eurovision, Madame de Gaulle baptise le bateau.
00:47:40 L'évêque de Nantes prononce ses mots.
00:47:43 Vous qui avez daigné bénir l'arche de Noé, que votre sainte main bénisse ce navire et tous ceux qu'il portera.
00:47:52 (Cris et applaudissements)
00:48:12 France, plus long paquebot du monde, est née.
00:48:17 (Cris et applaudissements)
00:48:30 A 16h15, France touche l'eau pour la première fois et le général de Gaulle aura cette phrase restée célèbre.
00:48:39 Le paquebot France est lancé. Il a épousé la mer.
00:48:47 J'avais 7 ans, j'ai fait partie de ces 100 000 spectateurs qui ont insisté au lancement du paquebot.
00:48:55 Tout autour de cette cale inclinée, face à l'essuieur de la Loire.
00:48:59 J'étais sur les épaules de mon père pour essayer de voir cette énorme masse qui s'est détachée petit à petit
00:49:07 et puis elle prit une vitesse considérable pour flotter sur les eaux de l'esphère.
00:49:12 Le navire glissait sur la mer et le freinage du navire a été effectué à l'aide de chaînes qui étaient levées et au sol.
00:49:28 Le navire a traîné, a été freiné et s'est immobilisé comme espéré dans de très bonnes conditions.
00:49:38 Prise en charge par les remorqueurs, France est ensuite conduite dans la forme écluse Joubert pour y être achevée à flot.
00:49:53 Malgré l'effort qui a été fait autour de la préfabrication, malgré l'effort qui a été fait autour de l'intégration d'un certain nombre de composants
00:50:00 au stade de la construction préalable au lancement, le 11 mai 1960, on est encore à plus d'un an et demi du voyage inaugural.
00:50:09 Il reste donc un travail absolument considérable à faire.
00:50:12 Les travaux se poursuivent au quai d'armement.
00:50:18 Le travail est terminé. L'installation des machines et des intérieurs, cabine, salon, cuisine.
00:50:23 La tâche est encore conséquente pour poser tous les câbles électriques.
00:50:27 Les fils téléphoniques et de télévision, 80 km. Les tuyaux d'eau, 600 km.
00:50:35 Les événements se succèdent sur le chantier.
00:50:39 Juillet 1960, installation du gouvernail de 74 tonnes. Décembre 1960, embarquement des chaudières.
00:50:48 Janvier 1961, cloisonnement des ponts, installations électriques et ventilation.
00:50:55 Mars 1961, pose des cheminées et des ailerons caractéristiques.
00:51:03 Juillet 1961, pose des hélices.
00:51:09 Puis commence la phase délicate de la décoration intérieure.
00:51:13 Sur le France, toute cabine de série est de luxe, conçue par un décorateur connu.
00:51:21 Cabine extérieure de première classe, une cabine extérieure pour deux, classe touriste pour deux, une autre pour trois.
00:51:29 Partout, l'ameublement et les installations de France sont des innovations dans la manière de vivre à bord des paquebots.
00:51:37 La décoration des paquebots, elle est le fruit de la volonté de la compagnie.
00:51:41 Il faut pouvoir faire que tout ce qui est à l'intérieur va être sécure pour le passager,
00:51:48 et en même temps facile d'entretien, facile de réparation, qu'il puisse être solide, résister à l'incendie,
00:51:56 et avoir en plus une signature, une patte qui va être spécifique à un paquebot.
00:52:03 Il fallait du métal partout, c'était un peu la grosse difficulté, et en ce qui concerne tout ce qui était textile,
00:52:08 il y en avait quand même, il devait être inifigé.
00:52:11 Tout cela pour se mettre aux normes anti-incendie, suite malheureusement au grand sinistre du Normandie.
00:52:18 À l'intérieur, on va retrouver du mobilier métallique bien sûr, mais on essaie d'avoir à la fois un confort un peu bourgeois.
00:52:28 On retrouve dans ces appartements un salon, une salle à manger, deux chambres, une vraie salle de bain, un espace de vie complet,
00:52:35 et en même temps quelque chose d'assez cosy, mais on va investir des nouveaux matériaux.
00:52:40 On a des revêtements de lit, des dessus de lit, qui sont dans ces matières synthétiques poilues,
00:52:47 c'est un côté très doux, et en même temps très vif, parce qu'on a des rouges, des orangés, des gris,
00:52:54 on essaie d'avoir des coloris assez poussés, parce qu'on veut s'adresser à une clientèle jeune,
00:53:00 et donc on essaie de les séduire aussi de cette manière-là.
00:53:04 Sur le France, les commodes méritent bien leur nom.
00:53:09 Elles sont jolies, mais surtout pratiques, parce qu'elles se transforment en bureaux.
00:53:13 On va faire appel à un designer, comme on dirait aujourd'hui un décorateur,
00:53:19 qui va commencer à dessiner un type de mobilier, et ensuite qu'on va faire reproduire à l'envie,
00:53:24 avec des variantes suivant les classes.
00:53:26 Mais après on part souvent de structures modulaires qui sont les mêmes,
00:53:29 c'est le même principe, qu'on va habiller différemment.
00:53:32 [Musique]
00:53:48 La coiffeuse recèle un bouton pour ouvrir la radio.
00:53:51 On fait très bien !
00:53:53 On retrouve cette ambiance, ou cette atmosphère un peu jactatis,
00:53:57 notamment dans les appartements de grand luxe,
00:54:01 cette ambiance très colorée, avec des couleurs très vives,
00:54:03 qui font référence un peu à la villa de mon oncle,
00:54:05 et puis cette relation au modernisme.
00:54:08 La vie en mer à l'âge des communications rapides est tout à fait différente de ce qu'elle était hier encore.
00:54:13 Dans chaque cabine de première classe, vous êtes en liaison téléphonique
00:54:17 avec le bateau tout entier, et même avec la terre.
00:54:20 [Bruit de la téléphone]
00:54:22 France s'inscrit définitivement dans la modernité,
00:54:25 et fait la part belle à des matériaux nouveaux et insolites.
00:54:29 Le formica, la fibre de verre, le vinyle, le sky.
00:54:33 De nombreuses entreprises et usines sont mises à contribution.
00:54:37 [Musique]
00:54:42 Cerquini, dans l'heure, usine de la société Arkema.
00:54:46 Cette entreprise, toujours en activité, produit du rilsan,
00:54:50 un polymère unique au monde, ne craignant ni l'eau, ni les moisissures.
00:54:54 Ce matériau trouve son application dans de nombreux domaines,
00:54:58 comme l'automobile, le sport ou l'impression 3D.
00:55:00 [Musique]
00:55:02 Le rilsan est une matière plastique de haute performance et biosourcée.
00:55:06 Elle est issue de la graine de ricin, dont nous extrayons l'huile,
00:55:11 puis, après différentes étapes chimiques, nous arrivons à cette matière plastique qu'est le rilsan.
00:55:16 [Musique]
00:55:18 Au moment de la construction du Pacbo France, le rilsan était connu dans le domaine du textile,
00:55:23 comme étant un matériau inusable et résistant à l'humidité.
00:55:27 Nous retrouvons le rilsan dans le Pacbo France, sur des tissus mureaux, d'ameublement,
00:55:33 nous le retrouvons dans la moquette ou encore sur des rideaux.
00:55:37 [Musique]
00:55:51 L'aménagement intérieur est achevé le 11 novembre 1961.
00:55:56 [Musique]
00:55:58 Huit jours plus tard, le 19 novembre à 14 heures, le Pacbo France quitte Saint-Nazaire pour le Havre, son port d'attache.
00:56:06 Le voyage est aussi l'occasion de réaliser un certain nombre d'essais en mer.
00:56:10 [Musique]
00:56:14 D'abord pour la partie propulsive, on fait les rodages de la machine,
00:56:21 différents stades de puissance, à la puissance maxi, 175 000 chevaux,
00:56:26 on est quand même monté à 35 nœuds 21, à la puissance contractuelle, 144 000 chevaux,
00:56:34 on était aux alentours de 31 et quelques nœuds.
00:56:37 Rodage effectué, on peut passer après à des essais de navigation,
00:56:41 soit des essais de manœuvrabilité, qui permettent de contrôler la bonne réaction du navire
00:56:50 lors des girations et des mouvements nécessaires.
00:56:55 Ayant lancé son navire à 31 nœuds, soit près de 60 km/h, le commandant fait un essai de giration.
00:57:01 Le bateau opère un demi-tour complet dans un rayon de 1750 mètres,
00:57:05 un résultat remarquable pour un navire de cette taille lancé à une telle vitesse.
00:57:10 Il faut quand même montrer que le gouvernail est capable de faire manœuvrer le navire lorsqu'il est en navigation
00:57:17 et qu'un obstacle se présente devant lui.
00:57:21 Puis arrive le moment le plus redouté des ingénieurs, le crash-stop.
00:57:35 L'essai consiste à stopper le plus rapidement possible le paquebot alors qu'il marche à la vitesse de 31 nœuds.
00:57:43 Ce sont 55 000 tonnes fonçant à 16 mètres secondes qui doivent s'arrêter le plus vite possible.
00:57:49 Dans un premier temps, on stoppe les moteurs, le bateau ralentit sur sa lancée.
00:57:55 Alors l'essai de crash-stop c'est un essai de performance en fait.
00:58:01 Performance nautique d'une part, mais aussi performance de la machine.
00:58:09 On place les quatre transmetteurs d'ordre en arrière-toute.
00:58:13 Un grand silence se fait sur la passerelle.
00:58:16 Les visages des ingénieurs et des responsables des chantiers deviennent blancs.
00:58:20 Tout le bateau se met à trembler terriblement.
00:58:23 Le France s'arrête en 4 minutes et 48 secondes sur une distance de 2100 mètres.
00:58:30 Un véritable succès. L'expérience est réussie.
00:58:34 [Musique]
00:58:41 France fait sa première entrée au Havre le 23 novembre 1961.
00:58:46 Un événement mémorable sous les clameurs de bienvenue de toute la ville.
00:58:51 [Musique]
00:58:55 D'un seul coup vous avez ce navire magnifique qui va arriver, qui va propager l'histoire,
00:59:01 le savoir-faire, le savoir-vivre de la France un peu partout dans le monde.
00:59:04 Qui va être un objet de fierté profond pour les Havre.
00:59:08 La plupart des Havre connaissent quelqu'un qui travaille à bord,
00:59:11 ou qui est monté à bord, ou qui est passager à bord.
00:59:14 [Musique]
00:59:16 Ce navire était magnifique, ce navire était une publicité pour notre pays.
00:59:20 Et les gens qui l'ont fabriqué comme les gens qui l'ont utilisé,
00:59:23 les gens qui vivaient autour, parce que la ville du Havre vivait un petit peu du paquebot.
00:59:28 C'était son paquebot.
00:59:30 Il y avait des gens qui venaient de tous les quartiers de la France,
00:59:33 de toutes les provinces, pour voir le bateau, pour visiter le bateau.
00:59:37 [Musique]
00:59:50 3 février 1962.
00:59:53 France quitte le Havre pour sa toute première traversée vers New York.
00:59:58 Alors dans un instant maintenant, le navire va partir.
01:00:01 Il nous reste encore, voici quelqu'un que vous connaissez bien,
01:00:04 qui part sur le navire aussi.
01:00:06 Il s'agit d'un jeune reporter de notre maison, le voici.
01:00:09 Comment allez-vous Pierre ? On vous attendait vous savez.
01:00:12 Je crois que je suis un peu en retard.
01:00:14 Vous êtes un peu en retard effectivement.
01:00:16 La pipe de Pierre Sabac sera bien entendu la troisième cheminée de France.
01:00:20 Vous êtes gentil. Je ne l'ai quitté hier vous voyez.
01:00:23 Je crois qu'on va lever la poupée dans maintenant 4 minutes.
01:00:27 Il est temps que vous se gâtiez.
01:00:28 [Musique]
01:00:32 A 15h08, on largue les Amars.
01:00:35 Malgré un temps détestable, des milliers de Normands observent le paquebot depuis les quais.
01:00:40 L'événement fait la une de tous les journaux.
01:00:43 [Musique]
01:00:47 Le commandant est entouré d'un état-major de 40 personnes.
01:00:52 Sous leurs ordres, 72 marins de pont et 150 mécaniciens s'affairent dans les entrailles du navire.
01:00:57 Effectivement, nous allons partir maintenant vers la passerelle et nous allons quitter pour nous rendre vers l'intérieur.
01:01:04 Ce sont toujours les ordres du commandant qui sont transmises.
01:01:08 Le commandant vient de dire latéral-bord-en-arrière et ça réagit immédiatement.
01:01:14 [Musique]
01:01:25 Il y avait sur France de multiples innovations qui ont, dans une certaine mesure, dérouté les passagers.
01:01:31 Les ascenseurs, par exemple. Sur Normandie, il y avait des batteries d'ascenseurs,
01:01:36 mais les ascenseurs étaient commandés par des groupes qui étaient eux-mêmes avec les passagers en permanence à l'intérieur.
01:01:42 On change de monde. On rentre dans un monde où l'automatisation est mise au service des passagers.
01:01:47 Dans le cas présent, sur des hauteurs très importantes, une dizaine de ponts.
01:01:52 À bord, c'est bien le confort, la fonctionnalité et la détente qui règnent en maître.
01:01:57 Il ne manque rien. Deux piscines, un théâtre, huit bars, un bowling, une blanchisserie, une salle d'opération et même une prison.
01:02:05 On trouve des cabines téléphoniques, comme dans un bureau de poste, et un téléviseur en couleur dans un salon de première classe.
01:02:11 Ils diffusent en direct des bulletins d'informations réalisés dans le propre studio du bateau.
01:02:16 Dans les deux restaurants, le Versailles et le Chambord, les convives mènent la vie de château,
01:02:23 dégustant les mets les plus raffinés et engloutissant en un aller-retour jusqu'à 60 kg de caviar.
01:02:29 Chacun s'accorde à dire que la meilleure table de l'Hexagone se trouve à bord de France.
01:02:40 Une des qualités premières de France est bel et bien confirmée. Le paquebot offre une stabilité à toute épreuve.
01:02:45 Il faut dire que France a investi sur ce point essentiel pour le confort de la traversée.
01:02:50 Il dispose d'une innovation technologique unique. Deux paires d'ailerons stabilisateurs anti-roulis.
01:02:56 Semblables à des ailes d'avion, ils se déploient dès qu'un état de mer agité se fait sentir.
01:03:04 Les stabilisateurs étaient fabriqués dans le sud de la France et c'était des modèles nouveaux,
01:03:11 puisqu'ils étaient parmi les premiers stabilisateurs et il fallait qu'ils soient rétractables.
01:03:17 Quand le bateau penche à droite, il faut pouvoir lui donner un effort pour le ramener à gauche,
01:03:26 aider la gauche à redescendre et aider la droite à remonter et vice-versa.
01:03:32 Quand le navire avait tendance à s'incliner d'un côté, l'aileron du stabilo lui permettait de se remettre en ligne.
01:03:39 Tout dépendait de l'état du temps. Mais en général, on les mettait régulièrement dans l'Atlantique,
01:03:45 parce que le navire roulait, surtout quand on faisait le retour, quand nous avions le vent arrière.
01:03:51 Si les passagers ignorent tout de ce système pourtant si efficace pour leur confort,
01:03:57 leur regard se porte sur les fameux ailerons des cheminées.
01:04:02 Sans doute la signature principale de France, ce sont ces cheminées.
01:04:06 C'est ce qui fait que quand on voit sa silhouette, on le reconnaît tout de suite en photo, quand on fait un graphisme.
01:04:12 Ces deux cheminées très particulières avec des ailerons sur les côtés, permettaient d'évacuer latéralement les fumées.
01:04:19 Ce que l'on déplore sur les navires, ou ce qu'on déplorait, c'était surtout les revolins de fumée,
01:04:28 nuisances qui venaient sur les passagers avec odeur essuie.
01:04:34 Le fait d'avoir ces ailerons sur les cheminées, repoussait toutes ces nuisances sur l'extérieur,
01:04:42 et rendait les ponts plus confortables pour les passagers.
01:04:47 Ici France, 3ème jour de la traversée vers New York.
01:04:50 Depuis que nous avons quitté la Manche pour l'Atlantique, la mer n'a cessé de grossir.
01:04:56 C'était d'abord de la grosse houle, et puis c'est venu à la tempête, à la franche tempête.
01:05:01 Il y avait 15 mètres de creux, des houles de 150 mètres de long,
01:05:05 et on a commencé à voir des houles de plus de 100 mètres de long.
01:05:10 Et puis c'est venu à la tempête, à la franche tempête. Il y avait 15 mètres de creux, des houles de 150 mètres de long,
01:05:16 et un vent de 110 km/h en plein dans le nez.
01:05:19 Commandant, excusez-moi, est-ce que je peux vous déranger ?
01:05:22 Oui, bien sûr.
01:05:24 Vous avez le temps ?
01:05:26 Oui.
01:05:28 Commandant, je suis monté hier soir sur la passale Sept-Vuilles, et la mer était très dure. Est-ce que c'est vraiment une grosse tempête ?
01:05:31 Ah oui, nous avons subi la nuit dernière un temps exceptionnellement violent,
01:05:36 ce qu'on rencontre heureusement assez rarement dans l'Atlantique Nord.
01:05:40 On m'a dit 15 mètres de creux, c'est exact ?
01:05:42 Ah oui, sans aucun doute. Je pense qu'il devait certainement y avoir une quinzaine de mètres,
01:05:46 mais en particulier il y avait une violence considérable, la mer avait une force vive extraordinaire,
01:05:51 et c'était vraiment très fort.
01:05:55 Aujourd'hui, grâce à son carnet de bords archivés mais tenus soigneusement secrets,
01:06:02 on sait que la traversée ne fut pas de tout repos.
01:06:05 Lors de cette première transatlantique, le 5 février 1962,
01:06:09 France, pris dans une puissante tempête, a subi de nombreuses abarris.
01:06:14 Le navire va être vraiment mis à l'épreuve pendant ce gros coup de vent,
01:06:20 et le commandant prend la décision de réduire l'allure de 30 nœuds à 24 nœuds,
01:06:25 ce qui lui permet d'éviter les grands coups de balaste.
01:06:27 Vous savez, quand le navire monte la crête de la vague et chute ensuite dans le queu,
01:06:33 il y a une très forte pression sur la coque, donc ils vont réduire l'allure,
01:06:36 et ils vont remarquer que les stabilisateurs font bien leur office.
01:06:40 L'équipage maintient une vitesse satisfaisante, mais raisonnable.
01:06:49 Malgré la puissance potentielle dont le bateau a fait preuve aux essais,
01:06:53 le but n'est pas de battre des records.
01:06:55 France ne cherchera jamais à remporter le ruban bleu.
01:06:59 En revanche, tel un TGV, le paquebot France part et arrive à leur dicte.
01:07:03 L'arrivée à New York est absolument triomphale,
01:07:15 avec un accueil grandiose de New York qui est heureux de retrouver un fleuron de l'industrie navale française.
01:07:23 France a eu une réception triomphale dans la baie d'Hobson,
01:07:27 escortée par les bateaux-pompes et leurs jets.
01:07:30 Il y a eu cette tradition-là qui a été honorée de la Transat à New York.
01:07:51 Les traversées initiales permettent de corriger certains défauts.
01:07:54 Il y avait des cabines passagers qui étaient très près de l'étrave
01:08:02 et dans lesquelles il y avait un bruit qui voisinait les 90 décibels.
01:08:09 Alors ça, pendant la nuit, ça aide tout de suite à dormir.
01:08:12 Quand un fluide en mouvement, le bateau est en train de se déplacer.
01:08:19 Quand un fluide en mouvement, la mer, rencontre un obstacle, l'étrave, il doit le contourner.
01:08:25 Ce contournement s'accompagne d'une accélération du fluide et d'une dépression.
01:08:30 Dans cette zone de dépression, au cœur du fluide, vont se développer des structures de vapeur qui vont grossir.
01:08:36 C'est ce phénomène qu'on appelle la cavitation.
01:08:39 En quittant la zone de dépression, ces structures vont imploser
01:08:45 et cette implosion va créer du bruit, des vibrations et éroder l'acier.
01:08:49 Le bureau d'études avait tracé une étrave qui était de forme elliptique quand on la coupe horizontalement
01:09:00 et les travaux du chantier ayant déclaré que ça coûtait cher de faire une ellipse
01:09:06 et qu'il était mieux de le faire en demi-cercle, ils avaient, sans le dire au bureau d'études, fait un demi-cercle.
01:09:13 Ce demi-cercle décollait à la vitesse et faisait de la cavitation.
01:09:18 Lors d'une escale technique, le front a été découpé.
01:09:24 Ils ont décidé de reconstruire un nouveau bulbe d'étrave plus important pour éviter ce défaut.
01:09:32 Du coup, l'étrave a été complètement modifiée puisque l'étrave qui avait, dans le sens longitudinal, une belle courbure très très très travaillée,
01:09:42 a été à conserver cette belle courbure jusqu'à la ligne de flottaison
01:09:45 et à partir de la ligne de flottaison, elle est descendue verticalement au fond du bateau.
01:09:49 Le bulbe est rallongé. La cavitation s'arrête.
01:09:55 Une autre mise au point concerne les hélices.
01:09:59 À quatre pâles, elles subissent une forte érosion de l'acier.
01:10:03 Le métal est arraché et le bruit est une nouvelle fois beaucoup plus fort que la normale. 105 décibels.
01:10:10 Au centre des G.A. techniques hydrodynamiques, le G.T.H., Grand Tunnel Hydrodynamique avec Soufflerie à Eau,
01:10:17 permet d'analyser les effets acoustiques et de cavitation liés aux pâles d'hélices.
01:10:22 Ici, on est au centre de la cavitation.
01:10:37 Ici, on est devant la petite veine du Grand Tunnel Hydrodynamique,
01:10:42 dans laquelle on a monté un modèle de propulseur, une hélice, et un modèle de safran.
01:10:48 Et en fonction de la vitesse de rotation de l'hélice, évidemment, on va demander plus de puissance à l'hélice.
01:10:53 Et là, on va voir apparaître ce phénomène de cavitation.
01:11:02 On va pouvoir le visualiser avec un ensemble de caméras rapides, vraiment dédiées à ce type de visualisation.
01:11:09 Et puis, on va aussi pouvoir l'écouter, parce qu'on a des hydrophones de parois sur le hublot de la petite veine du G.T.H.
01:11:27 Alors, sur le Pâques-Beaufrance, on a retravaillé la forme des pâles d'hélices.
01:11:31 On a retrouvé un rapport signé de la main de Roger Brard, ex-directeur du bassin d'essai des carènes de Paris,
01:11:38 qui conseillait au chantier en charge des hélices du Pâques-Beaufrance de faire ce qu'on appelle un chanfrein anti-chant.
01:11:46 Chant comme chanter. Pourquoi ? Parce que l'hélice a tendance à chanter, elle a tendance à faire du bruit.
01:11:51 La cavitation est responsable de ce phénomène-là.
01:11:55 Et donc, on vient tailler l'hélice, on vient tailler le fond de l'hélice, l'arrière de la pâle de l'hélice,
01:12:00 pour éviter, limiter ce phénomène de cavitation qui est néfaste pour le bateau.
01:12:05 En passant les hélices de 4 à 5 pâles, avec un dessin plus profilé, et en réduisant leur vitesse de rotation,
01:12:12 les effets de cavitation ont été limités.
01:12:15 Chant.
01:12:42 Pendant ses 12 années d'exploitation, France effectue ses rotations sur l'Atlantique sans encombre.
01:12:47 Les premières années sont marquées par un brillant succès.
01:12:50 Chant.
01:13:08 On vivait un petit peu comme des diplomates. On rencontrait des gens qu'on n'aurait jamais rencontrés ailleurs.
01:13:13 C'est comme ça que je me suis fait lier d'amitié avec un certain nombre d'artistes ou de personnalités.
01:13:19 France devient le décor grandiose de nombreux films populaires, dans lesquels des acteurs réputés arpentent les quais de la French Line.
01:13:28 Belmondo et Bourville se donnent la réplique dans le cerveau.
01:13:33 Oui, j'ai un associé, j'ai Bourville comme associé. Lui, il ne comprend pas très bien, mais il me suit, il me suit gentiment.
01:13:39 De Funès embarque même à bord du paquebot géant pour une traversée épique, dans le gendarme à New York.
01:13:45 Chant.
01:13:50 En coulisses, loin des strass et des paillettes, France est de plus en plus déficitaire.
01:13:57 La conjoncture est telle que la French Line, qui exploite uniquement le paquebot entre le Havre et New York,
01:14:03 tente une diversification bien tardive en organisant deux croisières autour du monde en 1972 et 1974.
01:14:11 La compagnie générale transatlantique avait imaginé quelques aménagements permettant de rendre plus supportable l'exploitation du navire.
01:14:22 Elle avait imaginé, par exemple, de réduire la vitesse des traversées transatlantiques.
01:14:28 Elle avait aussi imaginé de réduire le standing du navire en réduisant l'effectif.
01:14:33 Mais sur la question de l'effectif, elle a été confrontée, dès le départ, à une opposition syndicale extrêmement forte.
01:14:40 Le vent ne va pas tarder à tourner.
01:14:43 Tandis que le transport aérien monte en flèche, le bateau devient trop cher à exploiter.
01:14:49 Il est déjà certain, en 1961, que la bataille contre l'avion est une bataille perdue.
01:14:55 Et que si le paquebot veut perdurer, il va falloir qu'il se trouve des marchés qui lui soient propres
01:15:00 et qui développent une forme de marketing particulier, en réalité, pour continuer à survivre sur la ligne transatlantique.
01:15:07 Non seulement le marché des transatlantiques se réduit dangereusement,
01:15:11 mais France doit aussi faire face à la rude concurrence du Queen Elizabeth II,
01:15:16 construit sept ans après, plus économe, plus performant, et dont le personnel naviguant est moins souvent en grève.
01:15:22 Il propose la traversée en quatre jours, et par sa taille plus réduite, il peut avoir des usages plus variés, notamment des croisières.
01:15:31 Il va falloir moins de dix ans, finalement, pour que, au Boeing 707, succède le Boeing 747,
01:15:41 qui est trois fois plus gros, en réalité, et que les tarifs aériens s'écroulent.
01:15:46 C'est vraiment l'avènement du transport aérien de masse qui scelle de façon définitive le sort du paquebot,
01:15:58 et qui le rend totalement inapte à offrir une alternative, y compris en été,
01:16:07 à un moment où, finalement, le voyage par la mer pourrait être attractif.
01:16:12 L'aventure de France semble vouée à l'échec.
01:16:17 Elle se fracasse non pas sur des réalités technologiques, mais commerciales, et surtout financières.
01:16:23 Dans une période de mutations accélérées, les nombreuses années de retard qu'il a accusées dès sa genèse lui ont sans aucun doute été fatales.
01:16:36 Ce qui a fini de rendre impossible l'exploitation du France, c'est effectivement le choc pétrolier de 1973.
01:16:41 Il faut savoir que même si France était plutôt un navire bien conçu sur le plan technique,
01:16:45 il consommait quand même à 30 nœuds une tonne de mazout au mile.
01:16:48 Ce qui fait que traverser l'Atlantique impliquait que le navire puisse consommer 3500 tonnes de mazout.
01:16:56 Le baril de pétrole va passer de 3 dollars à 12 dollars.
01:17:05 Du coup, ça va s'ajouter aux frais d'exploitation des navires, qui sont déjà conséquents.
01:17:08 Et donc, ça va rendre l'équilibre recettes-dépenses, qui avait toujours été très difficile pour le paquebot France,
01:17:14 ça va aggraver cette situation déficitaire.
01:17:18 Juillet 1974. Valéry Giscard d'Estaing, le nouveau président de la République, déclare.
01:17:25 La conception que j'ai du prestige de la France n'est pas qu'il y ait des croisières dans la mer des Caraïbes.
01:17:32 Ma conception, c'est que nous ayons une grande marine marchande.
01:17:35 Nous ne pouvons pas en même temps développer notre marine marchande de transports
01:17:39 et supporter des déficits de l'ampleur que vous dites. Je le dis à regret.
01:17:43 Jacques Chirac, son premier ministre, confirme.
01:17:46 Est-il raisonnable d'imposer au contribuable national le paiement d'une somme aussi importante
01:17:51 qui représente, je le rappelle par exemple, la construction de deux hôpitaux ?
01:17:55 Huit jours plus tard, l'entreprise n'a d'autre choix que d'annoncer le désarmement de France d'ici l'hiver.
01:18:01 Cet après-midi, le secrétaire d'État aux transports, Marcel Cavallier, l'a annoncé au syndicat représentant le personnel.
01:18:06 Le gouvernement, l'a-t-il dit, n'a pas l'intention de revenir sur sa décision.
01:18:11 Le France coûte trop cher.
01:18:13 L'État était partie prenante dans l'exploitation.
01:18:16 En tant qu'administrateur financier, il apportait, je dirais, un élément important dans le déficit d'exploitation.
01:18:23 Et donc, sa vie était en suspens en fonction de ce que l'État déciderait.
01:18:29 Le gouvernement a laissé la compagnie libre de tirer les conséquences de cette décision.
01:18:34 La compagnie générale Grande-Atlantique a indiqué en réponse qu'en l'absence de subvention,
01:18:39 il ne lui sera pas possible de poursuivre l'exploitation du paquebot France.
01:18:43 La direction de la compagnie estime devoir continuer l'exploitation du navire au moins jusqu'à la fin du mois de septembre prochain.
01:18:51 Cette subvention, si on la convertissait en euros d'aujourd'hui, elle serait probablement supérieure à 100 millions d'euros par an.
01:18:58 Le paquebot, on avait absolument besoin pour vivre et pour survivre.
01:19:01 La fin de la subvention entraînait immédiatement l'arrêt de l'exploitation du paquebot.
01:19:05 L'onde de choc est énorme. Les réactions sont nombreuses.
01:19:11 Des comités de soutien se forment. Des pétitions sont signées.
01:19:15 De nombreux articles défendent le navire dans la presse.
01:19:18 En septembre 1974, le voyage tourne à la mutinerie.
01:19:27 Des marins retiennent le commandant. L'équipage occupe le bateau.
01:19:31 L'officier de car est contraint de donner l'ordre de jeter l'ancre dans le chenal du Havre, paralysant le port.
01:19:37 Nous avons décidé de faire quelque chose de spectaculaire pour attirer l'attention du gouvernement,
01:19:47 à discuter de nos problèmes.
01:19:49 Tant qu'il y aura pas ce dialogue d'engagés, nous ne bougerons pas d'ici un point c'est tout.
01:19:54 Vous comprenez très bien qu'un navire comme ça, il appartient aux français, il est pas à vendre, il est à nous, il est au contribuable.
01:20:00 C'est quand même un objet de valeur, un chef-d'oeuvre du génie maritime. Ce navire-là, il peut pas partir, c'est pas vrai.
01:20:06 La mutinerie, qui va durer 28 jours, est bel et bien une révolte contre le gouvernement et l'armateur.
01:20:14 La croisière transatlantique d'Adieu, prévue en octobre, n'aura jamais lieu.
01:20:22 Une partie de l'équipage demeure à bord, refuse de revenir à terre, et demande, exige, que le navire puisse poursuivre son exploitation.
01:20:31 Il va y avoir toute une partie de la population à Dieu Havre qui va les soutenir, il va y avoir une émotion nationale autour de cet événement.
01:20:39 Aujourd'hui, le temps s'était dégagé, et les curieux étaient nombreux tout le long de la mer, avec ou sans jumelles, à admirer au loin le beau bateau.
01:20:48 La population, il faut le dire, circule vite dans les rues de la ville, et chacun se demande comment va se terminer cette affaire.
01:20:53 Le pays entier est suspendu aux nouvelles du paquebot.
01:20:58 La grève dure 88 jours, mais malgré de multiples réunions entre syndicats et représentants ministériels, Jacques Chirac reste intraitable.
01:21:10 Au bout d'un mois, le navire doit revenir, et finalement intégrer dans le port du Havre, et va être amarré sur ce qu'on appellera le quai de l'oubli, pendant plusieurs années.
01:21:19 France s'arrête sur un bilan à sa démesure.
01:21:25 En 13 ans, il aura effectué 377 traversées transatlantiques, transporté près de 588 000 personnes, et réalisé l'équivalent de 85 tours de la planète.
01:21:38 Dans sa décadence, France poursuit son mythe, comme le Concorde, la déesse, ou l'aérotrain de l'ingénieur Bertin, le paquebot fleurbon les 30 glorieuses, quand rétrospectivement, tout semblait possible.
01:21:50 Finalement vendu à un armateur étranger pour être transformé en bateau de croisière, France va malgré tout prouver qu'il était construit pour durer.
01:22:02 C'est Monsieur Kloster, un Norvégien qui lui va tenter sa chance, va racheter, après le quai de l'oubli au Havre, ce paquebot qui était abandonné, en 1979, va le rebaptiser le Norway.
01:22:15 Sur les quatre chaudières, il n'en exploitera que deux, qui effectivement permettra de moins consommer, et d'être beaucoup plus rentable.
01:22:27 Et donc, France a effectivement une deuxième vie avec le Norway, avec un armateur norvégien qui avait tout compris, qui était amoureux du paquebot France, qui voulait continuer que ce navire navigue.
01:22:51 Comme si France avait montré la voie de la croisière, aujourd'hui toute la construction navale a muté vers l'industrie des loisirs.
01:22:57 Pourtant, nous sommes sans aucun doute à un tournant, et les concepteurs de paquebots vont faire leur évolution.
01:23:04 Les bateaux se doivent d'être plus économiques et plus écologiques.
01:23:09 Aujourd'hui, ce n'est plus la vitesse, la résistance ou la légèreté que les armateurs et les chantiers doivent améliorer.
01:23:16 Leur nouveau défi à relever se fait en matière de pollution.
01:23:21 C'est un sujet sur lequel on travaille depuis plus d'une dizaine d'années.
01:23:24 L'objectif à terme, c'est d'arriver à des navires idéaux, des navires zéro émissions.
01:23:30 On a un concept qui s'appelle la voile solid sail, qui a pour objet d'arriver à rendre possible des voiles de très grande dimension,
01:23:39 qui seraient faciles à opérer pour des paquebots transportant un certain nombre de passagers.
01:23:47 Près des chantiers de Saint-Nazaire, à Port-Nichet, la silhouette d'une voile futuriste laisse apercevoir des horizons encore plus verts.
01:23:59 La solid sail, c'est une aventure qui a commencé dans les années 2010 au chantier de l'Atlantique,
01:24:06 où une bonne partie des ingénieurs du service projet et à la direction technique se sont dit
01:24:13 « On pourrait bien refaire des paquebots à voile ou des paquebots à hybride ».
01:24:17 Le concept a été travaillé, on a fait des essences souffleries, plein de calculs dans tous les sens.
01:24:24 Et à un moment, on s'est dit que ce n'était pas une idée aussi farfelue que ça en avait l'air.
01:24:30 On développe le prototype que vous voyez derrière moi, qui est un prototype à l'échelle 1/5.
01:24:39 Le but étant d'en fabriquer un prototype à l'échelle 1, donc ça fera un mât d'un peu moins de 100 mètres de haut,
01:24:45 et une grande voile de 1200 mètres carrés.
01:24:48 Avec solid sail, nous n'avons aucune limite de taille.
01:24:52 On pourrait imaginer fabriquer des voiles de 5000 mètres carrés s'il fallait, il n'y a pas de limite à ce niveau-là.
01:24:58 Tandis que l'avion est à son tour pointé pour sa consommation faramineuse de carburant,
01:25:04 le bateau pourrait bien faire son grand retour sur des longs trajets.
01:25:08 Et si les liners pouvaient un jour à nouveau offrir une alternative pour assurer des traversées intercontinentales régulières ?
01:25:14 On peut imaginer que les premiers navires de grande dimension à voile, à propulsion hybride en tout cas,
01:25:25 seront dans l'eau dans 3, 4 ans, 5 ans, et que d'ici 10 ans, ça devrait se généraliser.
01:25:30 Alors, ça va monter progressivement.
01:25:33 Réintroduire les liners transatlantiques permettrait d'offrir une autre façon de voyager.
01:25:38 Reste la question de la vitesse.
01:25:41 Notre société est justement en train de remettre en question son rapport au temps, au travail, à la distance.
01:25:52 Ne pas avoir à se presser est le dernier espace de liberté.
01:25:58 Ultime témoin d'un monde en pleine mutation, déjà moderne mais pas encore victime de l'accélération,
01:26:04 France incarne un basculement et augure peut-être des retournements de demain.
01:26:09 On a envie d'y croire.
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