Ces idées qui gouvernent le monde - La guerre des âges ou le déni du vieillissement

  • l’année dernière
La société française, comme la plupart des sociétés européennes, chacune avec ses spécificités, est constituée d'un archipel de communautés, un archipel de situations familiales, religieuses, et territoriales, de modes de vie distincts, de valeurs qui s'entremêlent et parfois s'entrechoquent. Ce qui fait le sel et le poivre d'un vivre ensemble qui doit s'adapter aux transformations et aux mutations climatiques, technologiques et socio-culturelles. Avec le risque inhérent à la société de consommation où tout passe dans le commerce, jusqu'au rêve a pu dire Marx et à l'intimité massifiée selon Freud. Avec aussi le déni démographique d'une société qui tend infailliblement vers le vieillissement, avec certes des limites biologiques mais que l'espérance de vie prolonge avec les aléas du grand âge. Sommes-nous préparés à cette transition démographique qui bouleverse tous les compartiments socio-économiques, culturels et sanitaires liés au vieillissement ! De nombreux projets de loi mais pas de véritable loi sur le grand âge, parce que ça coûterait trop cher ou plus cyniquement parce que le sujet par trop consensuel ne cliverait pas politiquement. C'est ce que nous allons observer et discuter avec mes invités. Mais il est une autre priorité que nous examinerons aussi et qui a trait au bouleversement anthropologique d'une société moderne qui oublie ses vieux en se privant du monde d'avant, des simples choses de la vie si chère à Georges Perec, de la part intime de notre identité passée et de tous ses petits détails rendus insignifiants par l'hyper-modernité et qui nous permettent de donner de la vie à la vie.

Émile Malet reçoit :

Jérôme Guedj, député de l'Essonne, conseiller régional d'Ile de France,
Juliette Méadel, ancienne ministre, élue à Montrouge, présidente de « L'Avenir n'attend pas »,
Hervé Le Bras, démographe, essayiste,
Jean-Pierre Michel, professeur des Universités, membre de l'Académie nationale de médecine.

Présenté par Emile MALET
L'actualité dévoile chaque jour un monde qui s'agite, se déchire, s'attire, se confronte... Loin de l'enchevêtrement de ces images en continu, Emile Malet invite à regarder l'actualité autrement... avec le concours d´esprits éclectiques, sans ornières idéologiques pour mieux appréhender ces idées qui gouvernent le monde.

Abonnez-vous à la chaîne YouTube LCP Assemblée nationale : https://bit.ly/2XGSAH5
Et retrouvez aussi tous nos replays sur notre site : https://www.lcp.fr/

Suivez-nous sur les réseaux !

Twitter : https://twitter.com/lcp
Facebook : https://fr-fr.facebook.com/LCP
Instagram : https://www.instagram.com/lcp_an/
TikTok : https://www.tiktok.com/@LCP_an
Newsletter : https://lcp.fr/newsletter

#LCP

Category

🗞
News
Transcription
00:00 Générique
00:02 ...
00:23 -Bienvenue dans "Ces idées qui gouvernent le monde".
00:27 la guerre des âges ou le déni du vieillissement.
00:30 La société française,
00:32 comme la plupart des sociétés européennes,
00:35 chacune avec ses spécificités,
00:38 est constituée d'un archipel de communautés,
00:41 un archipel de situations familiales,
00:44 religieuses et territoriales,
00:46 de modes de vie distincts,
00:48 de valeurs qui s'entremêlent
00:50 et parfois s'entrechoquent,
00:52 ce qui fait le sel et le poivre d'un vivre-ensemble
00:55 qui doit s'adapter aux transformations
00:57 et aux mutations climatiques, technologiques
01:00 et socioculturelles,
01:02 avec le risque inhérent à la société de consommation,
01:06 où tout passe dans le commerce,
01:08 selon Marx,
01:09 ou le rêve...
01:11 disparu, selon Freud.
01:14 Avec aussi le déni démographique
01:17 d'une société qui tend infailliblement
01:19 vers le vieillissement,
01:21 avec certes des limites biologiques,
01:24 mais que l'espérance de vie prolonge toutefois
01:27 avec les aléas du grand âge.
01:29 Sommes-nous préparés à cette transition démographique
01:33 qui bouleverse tous les compartiments
01:36 socioéconomiques, culturels et sanitaires
01:39 liés au vieillissement ?
01:41 De nombreux projets de loi,
01:43 mais pas de véritable loi sur le grand âge.
01:46 Parce que ça coûterait trop cher
01:48 ou plus cyniquement ?
01:50 Parce que le sujet, par trop consensuel,
01:53 ne clivrait pas politiquement.
01:56 C'est ce que nous allons observer et discuter
01:59 avec mes invités, mais il y a une autre priorité
02:02 que nous examinerons aussi
02:03 et qui a trait au bouleversement anthropologique
02:07 d'une société moderne
02:09 qui oublie ses vieux
02:11 en se privant du monde d'avant,
02:14 des simples choses de la vie
02:16 si chères à Georges Perrecq,
02:18 de la part intime de notre identité passée
02:21 et de tous ces petits détails rendus insignifiants
02:25 par l'hypermodernité
02:27 et qui nous permettent de donner
02:30 de la vie à la vie.
02:31 Pour en parler, je vous présente mes invités.
02:35 Jérôme Getsch,
02:36 vous êtes député de l'Essonne,
02:38 conseiller régional d'Ile-de-France.
02:41 Juliette Méadel, vous êtes ancienne ministre,
02:44 vous êtes élue à Montrouge
02:46 et présidente de l'Avenir n'attend pas.
02:49 Hervé Lebrun, vous êtes démographe et essayiste.
02:53 Jean-Pierre Michel, vous êtes professeur des universités,
02:56 notamment en Suisse,
02:58 et membre de l'Académie nationale de médecine.
03:01 Dans votre rapport au Jérôme Getsch,
03:12 vous distinguez trois catégories
03:14 parmi les personnes âgées de plus de 60 ans.
03:17 Ceux qui sont autonomes, en somme, en bonne santé,
03:21 ceux qui sont fragiles et qui nécessitent
03:24 un accompagnement,
03:25 et les personnes âgées dépendantes.
03:28 Au total, plus de 20 %,
03:30 et si on en croit les statistiques,
03:33 30 % en 2050.
03:35 Avec les besoins quantitatifs, qualitatifs,
03:39 aussi massifs nécessaires
03:41 par les situations rencontrées,
03:44 comment faire en attendant cette loi du grand âge
03:48 qui est programmée pour 2024 ?
03:50 -D'abord, il faut regarder le sujet.
03:53 Le problème qu'on a, la démographie,
03:55 et je parle sous le couvert d'Hervé Lebrun,
03:58 est tonitruante dans les informations
04:00 qu'elle nous fournit.
04:02 S'il y a bien un phénomène totalement prévisible,
04:05 c'est celui du vieillissement de la population.
04:08 C'est vrai que nous sommes entrés
04:10 dans une période de massification,
04:13 de triple massification du vieillissement.
04:15 Les trois catégories que vous avez mentionnées,
04:18 je les ai empruntées au gériatre.
04:20 C'est une pyramide qui est celle de la robustesse,
04:24 les fragilités et la perte d'autonomie.
04:27 -Encore que ça s'entende.
04:29 -On peut y mettre des bornes d'âge
04:31 qui ne veulent pas dire grand-chose,
04:33 parce qu'on peut être en situation de fragilité
04:36 à 62 ou 63 ans parce qu'on a une pathologie,
04:39 parce qu'on a eu une carrière
04:40 avec des métiers pénibles, etc.,
04:42 mais pour schématiser, mettons quelques bornes d'âge
04:45 pour bien comprendre que quand on parle de vieillissement
04:49 et de vieillesse, c'est une quirielle de situation
04:52 aussi différente que celle qui existe entre 0 et 20 ans
04:55 quand on parle de jeunesse.
04:57 Quel est le point commun entre un nourrisson accueilli par la PMI
05:00 et un jeune en insertion professionnelle
05:03 accompagné par l'émission locale ?
05:05 C'est un peu la même chose pour les personnes âgées,
05:08 parce que, juste après la fin,
05:12 sa sortie du marché du travail,
05:15 il a du temps, il est plutôt en bonne santé,
05:18 il est sollicité par sa famille,
05:20 chaque semaine, les personnes âgées font autant de garde d'enfants
05:24 que l'ensemble des services publics et privés de crèches ou de nounous,
05:28 il participe à la vie associative,
05:30 s'il n'y avait pas les retraités,
05:32 il n'y aurait plus qu'une association,
05:34 les conseils municipaux...
05:36 C'est la place des personnes âgées.
05:38 Puis, après, mettons une date, 75, 80 ans,
05:41 l'âge des fragilités.
05:43 Là, je parle sous le couvert du médecin,
05:45 la physiologie fait qu'immanquablement,
05:48 on va avoir des fragilités physiques ou psychiques
05:51 liées à l'avancée en âge.
05:52 C'est là que se noue le coeur du défi.
05:55 Comment on fait pour que ces fragilités
05:57 ne basculent pas dans la pointe de la pyramide,
06:00 la perte d'autonomie, la situation de dépendance,
06:02 qui, pour le coup, concerne une minorité de personnes âgées
06:06 et pas toutes, c'est pas un cheminement linéaire.
06:09 L'enjeu des politiques publiques,
06:11 c'est ça qui m'intéresse, face à ces défis,
06:13 c'est de plutôt faire en sorte que,
06:15 grâce à la prévention et à l'adaptation
06:18 de la société au vieillissement,
06:20 on accompagne les fragilités,
06:22 on les intègre, on les voit,
06:24 pour limiter les situations de perte d'autonomie
06:27 et, quand elles surviennent,
06:29 avoir des réponses à la hauteur.
06:31 -Merci. Alors, Hervé Lebras,
06:33 j'allais dire, vous, vous êtes le mateux,
06:35 le démographe, le statisticien.
06:39 Un mot, simplement, sur cette trinité.
06:41 Vous y croyez, vous, à cette trinité laïque,
06:45 bien entendu ? -Oui.
06:46 Non, je suis tout à fait d'accord avec Jérôme Getsch.
06:50 La petite nuance que j'aurais
06:53 est qu'au fil du temps, avec le vieillissement,
06:57 les âges de séparation ont bougé.
07:01 Il faut se souvenir qu'au 19e siècle,
07:03 un vieillard, chez Balzac, c'est à 50 ans
07:06 qu'on est un vieillard.
07:07 Dans le livre qu'Alfred Sauvy
07:11 et le docteur Debré avaient publié,
07:14 "Les Français pour la France", en 1946,
07:17 chez Gallimard, à partir de 60 ans,
07:20 on était un vieillard.
07:22 Ensuite, on est allé jusqu'à 65 ans.
07:24 Maintenant, vous avez dit, 75, 80 ans,
07:28 et encore pas complètement, j'espère.
07:30 Mais...
07:32 C'est très important, dans la mesure où
07:35 l'état de santé a aussi suivi, en partie,
07:39 je trouve, par exemple,
07:40 que les travaux des économistes de la santé,
07:43 comme Brigitte Dormont, qui montrent
07:45 les coûts de santé au lieu de les mesurer selon l'âge,
07:49 les mesures selon l'âge auquel on décède.
07:52 On s'aperçoit que tout glisse, d'une certaine manière.
07:55 Donc, je voudrais être un tout petit peu plus optimiste.
07:58 Quand on prend des limites d'âge démographique...
08:01 -Je voulais pas les prendre, les limites d'âge,
08:04 parce qu'elles ne veulent pas dire grand-chose,
08:07 mais ça pour éclairer. -Juliette Méadel,
08:09 par rapport à ce qui vient d'être dit,
08:11 il y a une police de la parole, il faut être politiquement correct,
08:15 sinon, on se fait dénoncer sur les réseaux sociaux.
08:18 A votre avis, il faut parler des vieux, des gens âgés ?
08:22 Quel est le langage approprié
08:24 pour satisfaire la doxa des réseaux sociaux ?
08:27 -Je suis pas une spécialiste de la doxa des réseaux sociaux,
08:31 mais je dirais que c'est pas la peine d'être blessant.
08:34 Dire les vieux, c'est pas très agréable.
08:36 D'abord, on pense à soi, on se dit qu'un jour,
08:39 ça va finir par arriver.
08:41 Je crois qu'on peut dire les personnes âgées,
08:43 ça me semble respectueux.
08:45 Je suis frappée, parce que quand j'étais en 3e,
08:48 on nous apprenait que la démographie française
08:50 évoluait vers une pyramide des âges
08:52 qui donnait la part belle aux personnes âgées.
08:55 C'était déjà il y a une vingtaine d'années.
08:58 Un temps plus tard, on s'aperçoit que les pouvoirs publics,
09:01 au niveau présidentiel et gouvernemental,
09:04 n'ont absolument pas ni vu venir cette situation
09:07 que les démographes ont montrée,
09:09 ni même conçu des outils de politique publique à la hauteur.
09:12 Jérôme Guedje le dit très bien dans son rapport.
09:15 La question du grand âge, les personnes âgées,
09:18 c'est comme toutes les politiques sociales,
09:20 ça concerne tous les domaines.
09:22 L'éducation, la santé... -On va en parler.
09:25 -Vous voyez bien que c'est un problème politique
09:28 massif, c'est l'éléphant dans la pièce.
09:31 -Juste un mot, sur la politique... -On n'a pas de vision.
09:34 -Vous en avez fait, vous en faites.
09:37 Vous pensez que, comme le sujet n'est pas clivant,
09:41 c'est une des raisons pour lesquelles...
09:44 -Non, pas du tout. Quand on fait une politique du grand âge,
09:47 c'est pas glamour.
09:48 Comme les hommes politiques s'adressent
09:50 à ceux qui votent immédiatement,
09:52 donc plutôt les 30, 50, 60 ans,
09:56 ils pensent d'abord à eux,
09:57 les 30, 50, 60 ans, la première chose à laquelle ils pensent,
10:01 c'est pas tout de suite le grand âge,
10:03 mais ils y pensent pas tout de suite.
10:05 Les hommes politiques ont une vision à courte vue.
10:08 Quand on bâtit un programme pour les présidentielles,
10:11 c'est une erreur profonde.
10:13 On pense pas d'abord à la question du grand âge.
10:15 C'est une erreur et une injustice sociale profonde.
10:18 -On va en parler. Monsieur Michel,
10:20 vous êtes le médical, si je puis dire, de l'Étape.
10:24 Qu'est-ce que vous pensez de ce qui vient d'être dit
10:27 sans pour autant vous limiter à un point de vue thérapeutique ?
10:31 -Bien sûr. Moi, j'aimerais réagir
10:33 pour ce que vous avez dit, monsieur Getsch,
10:36 parce que pour moi, le vieillissement
10:38 commence à la conception.
10:40 Donc, en fait, c'est un long processus.
10:42 On est tous dans ce processus
10:44 avec une interaction entre l'individuel et la société.
10:47 On commence vraiment à vieillir sur le plan individuel
10:50 à partir de 45, 55 ans.
10:52 Toutes les fonctions physiologiques déclinent
10:55 à partir de 45, 55 ans.
10:57 Et qu'il y a un problème majeur,
10:59 c'est que les personnes ne se rendent pas compte
11:02 qu'elles vieillissent et elles comprennent pas
11:05 qu'elles vieillissent. Et à un moment donné,
11:07 comme elles prennent pas soin d'elles,
11:09 il y a un problème majeur qui peut arriver.
11:12 Ce que dit monsieur Getsch par rapport à ces notions
11:15 de robustesse, fragilité, épidépendance,
11:18 c'est vraiment très vrai. J'aimerais réagir
11:20 et dire, madame, moi, je pense que,
11:22 en tout cas, mon expérience,
11:24 c'est que les vieux votent plus que les jeunes.
11:27 Et donc, en fait... -75, mais bon.
11:30 -Oui, mais enfin, même plus.
11:32 J'ai l'impression que là, il y a...
11:34 Et vraiment, moi, je suis,
11:36 en tant qu'engagé dans le domaine
11:38 depuis 35 ans environ,
11:40 j'avoue que je suis absolument mécontent
11:43 de ce qui se passe depuis 35 ans,
11:45 parce que c'est une vague qui arrive,
11:48 qui est absolument déterminée,
11:50 et je dis, rien n'est fait.
11:51 Rien n'est fait, et j'arrive pas à comprendre,
11:54 parce que ce sera la prochaine pandémie.
11:57 -Vous dites "rien n'est fait",
11:59 c'est-à-dire qu'il y a quand même des mesures sociales
12:02 qui sont prises partout, dans les pays démocratiques, s'entend ?
12:05 -Non, je pense qu'il n'y a pas de conscience du vieillissement.
12:09 Il n'y a pas de conscience du vieillissement personnel,
12:12 du vieillissement environnemental et aussi familial,
12:16 et il n'y a pas de conscience aussi du vieillissement
12:19 de la vieillissement de la raison,
12:21 c'est-à-dire là où l'on vit.
12:23 Et donc, ces trois consciences doivent être absolument mises en avant
12:27 pour que les personnes qui sont vieillissantes aujourd'hui
12:30 se rendent compte qu'elles sont en partie
12:32 les acteurs de leur propre vieillissement.
12:35 -Très bien. Vous dévouez.
12:37 -Je pense que la question de la conscience,
12:39 vous avez tout à fait raison, est importante,
12:42 parce qu'en même temps, si on prend un regard
12:44 sur un assez long terme, il y a eu d'énormes progrès
12:48 qui ont été faits sur le vieillissement.
12:50 Je vous rappelle quand le livre de Simone de Beauvoir
12:53 sur la vieillesse commence par "vieillesse est synonyme
12:56 "de pauvreté". Actuellement, avec le seuil de pauvreté,
12:59 c'est les personnes âgées qui ont la plus faible proportion
13:02 au-dessous du seuil de pauvreté,
13:04 et c'est les jeunes la plus forte.
13:06 C'était exactement l'inverse dans les années 80.
13:10 Il faut voir qu'en 1970,
13:13 2 600 000 Français étaient au minimum vieillesse.
13:17 L'année dernière, il en reste 560 000.
13:19 C'est 560 000 de trop, mais au fond, ce qui s'est produit,
13:23 il y a eu un énorme progrès financier,
13:25 mais il n'y a pas eu, ce que vous dites, de conscience,
13:28 il n'y a pas eu de distinction dans les cas les plus graves,
13:31 parce qu'il y a des îlots de pauvreté très importants.
13:34 -Vous voulez réagir, Jérôme Guetz ?
13:36 -Ce qui me frappe, vous vous rappelez Jacques Chirac
13:39 quand il voulait interpeller sur les conséquences
13:42 du réchauffement climatique, alors que le phénomène
13:45 de la réduction de la pollution a été constaté.
13:48 Il disait que la maison brûle et qu'on regarde ailleurs.
13:51 Je pense que la maison vieillit et qu'on regarde ailleurs,
13:54 parce qu'en effet, on peut considérer
13:57 qu'il y a eu des progrès médicaux,
14:00 des progrès du système de protection sociale,
14:03 le fait qu'en effet, il y a à peine 8 % de retraités pauvres,
14:06 ce qui est en dessous des 14 % de l'ensemble des Français,
14:09 qui est deux fois moins que nos voisins européens,
14:12 de notre système de retraite, dont certains disent
14:15 qu'il est trop généreux, mais ça se traduit
14:18 par un des plus faibles taux de pauvreté.
14:20 On se compare souvent avec les autres pays.
14:23 Donc, on s'est dit, la question
14:25 "retraite = pauvreté, précarité",
14:28 elle est traitée, mais derrière ça,
14:31 il y a toutes les questions de la place des personnes âgées
14:34 dans la société. J'ai un petit désaccord
14:36 avec Juliette Méadel, c'est que je n'hésite pas à parler de vieux.
14:40 Il y a un peu de pudeur à ne pas nommer les choses.
14:43 On dit bien les jeunes, on ne dit pas les juniors.
14:46 On nomme les jeunes.
14:47 Les vieux, j'ai écrit un petit livre
14:49 qui s'appelle "Plaidoyer pour les vieux"
14:52 il y a quelques années, avec cette idée de contrecarrer
14:55 quelque chose qui rend aussi compliqué
14:57 tout ce qu'on appelle de nos voeux,
15:00 qui est de lutter contre l'invisibilisation
15:02 des personnes âgées.
15:04 C'est-à-dire qu'il y a un phénomène
15:06 de retrait du débat public,
15:09 de retrait, Juliette avait raison de le rappeler,
15:12 dans les dernières élections présidentielles,
15:14 ça n'a jamais été un sujet de débat important,
15:17 comme d'autres, l'immigration, la sécurité, l'éducation,
15:21 l'hôpital, etc. La question du vieillissement
15:23 et toutes les conséquences sur la société
15:26 étaient totalement écartées.
15:28 Cette invisibilisation est à tous les étages.
15:30 Moins on voit les vieux, moins on se préoccupe d'eux.
15:33 Un exemple très parlant, on est sur une chaîne de télé,
15:37 où le journal "Les Républicains" avait fait une enquête
15:40 en regardant sur une dizaine d'années
15:42 la présence des personnes âgées ou des vieux
15:45 dans les journaux de 20h sur les six principales chaînes.
15:48 C'était 6 % des sujets
15:51 dans les journaux de 20h,
15:54 quand les personnes âgées représentent 20 % de la population.
15:57 Ce que je veux dire, c'est que, symboliquement,
16:00 le fait de ne pas voir qu'on peut parler
16:02 vieillesse et sexualité,
16:04 vieillesse et sport, vieillesse et culture,
16:07 vieillesse, effets divers, il y en a aussi quelques-uns,
16:10 on le cantonnait juste au sujet de la retraite,
16:13 d'une maladie, d'une problématique particulière.
16:16 Ca peut paraître anecdotique,
16:18 mais quand on va faire avancer des débats de société,
16:21 il faut donner à voir ceux qui sont concernés
16:24 et entendre la parole des vieux eux-mêmes.
16:26 -Merci, Jérôme Guest.
16:27 On va pas rester sur ce ressenti,
16:29 mais juste un mot là-dessus.
16:31 Juliette Méadel...
16:32 -On est dans cette situation parce qu'en France,
16:35 c'est comme en Europe.
16:37 De Gaulle disait que la vieillesse, c'est un naufrage.
16:40 Ca colle à quelque chose de négatif.
16:42 C'est comme quand on veut parler des sujets
16:44 qui concernent des personnes...
16:46 Je me suis occupée des victimes d'attentats,
16:49 des personnes qui sont malades, handicapées.
16:51 Tout ce qui est douloureux, difficile,
16:54 tout ce qui évoque de la souffrance,
16:56 ça ne se vend pas bien dans les réseaux, sur les journaux.
16:59 Donc, il faut changer complètement le regard de notre société
17:03 sur la personne qui est en position de fragilité.
17:05 Et ça, c'est un problème politique.
17:08 Il faut arrêter de ne mettre en avant
17:11 que la force, la jeunesse,
17:13 la beauté, la richesse.
17:16 C'est quand même le monde à l'envers.
17:18 La vraie vie n'est pas celle-là.
17:20 C'est une responsabilité de qui ?
17:22 De celui ou celle qui sera le futur candidat à la présidentielle.
17:25 -Mais aussi les autres sociétés.
17:27 -Oui, mais on a aussi les gouvernants qui méritent.
17:30 -C'est vrai, on sait aussi à la société de porter un autre regard.
17:34 Tout les âges de la vie,
17:36 à tous les âges de la vie, on a des moments de fragilité.
17:39 Quand on est petit, si on est malade à l'âge adulte,
17:42 et quand on est plus âgé.
17:43 Qu'est-ce que c'est, cette société,
17:45 où on ne montre que celui qui est fort et beau ?
17:48 C'est pour ça que les gens ne votent plus.
17:51 On a l'impression que le politique ne protège pas le plus fragile.
17:54 -Moi, je trouve cette perception un peu psychologique
17:57 et fort intéressante, mais il faut qu'on rentre aussi
18:00 dans les problèmes qui se posent.
18:02 Alors, monsieur Michel, vous, qui êtes un médecin,
18:05 parmi les sujets de préoccupation
18:09 des vieux, des personnes âgées,
18:12 il y a le logement.
18:14 Alors, en EHPAD ou maintien à domicile,
18:18 les deux solutions ont leurs avantages
18:21 et leurs inconvénients.
18:23 Comment se fait la distribution ?
18:25 Je sais que c'est un mot inélégant,
18:27 mais en vérité, ça se pratique.
18:29 Alors qu'il y a une volonté affirmée,
18:32 et ça, on le constate dans toutes les statistiques,
18:35 les personnes âgées veulent rester chez elles à domicile.
18:40 Qu'est-ce que vous pensez ? Voilà.
18:43 -80 % des personnes âgées, on pourrait dire même en Europe,
18:47 veulent rester à domicile et mourir à domicile.
18:49 Le seul problème, c'est que, comme je l'ai dit tout à l'heure,
18:53 elles ne font rien pour essayer que ça se passe bien,
18:56 tant sur le plan individuel,
18:59 tant sur le plan du logement lui-même,
19:02 et puis sur le plan environnemental, familial et autre.
19:05 Je pense que là, il y a une construction à faire
19:08 qui n'est pas une construction des dernières années de vie,
19:11 mais de toute la ville. Encore je reviens sur ça.
19:14 Vous n'avez pas l'air d'accord, madame.
19:16 -On la laissera exprimer son désaccord,
19:19 mais la parole est à vous. -Il n'y a rien à faire.
19:22 -Vous n'avez rien à faire. -Vous n'avez rien à faire.
19:25 -Le visage.
19:27 -Moi, je suis convaincu de ce que je dis,
19:29 mais on va argumenter tout à l'heure.
19:31 Et puis je pense que les choix,
19:34 ils vont essentiellement dépendre
19:36 de la notion de dépendance ou de perte d'autonomie.
19:41 Moi, je différencie les deux.
19:43 La dépendance, pour moi, c'est physique,
19:46 et l'autonomie, c'est plus l'autonomie de décision.
19:49 Je pense que les deux choses ne sont pas toujours associées.
19:52 La dépendance physique, vous êtes dépendant,
19:55 et vous pouvez un peu rester à la maison
19:57 si vous avez de l'aide.
19:58 La perte de l'autonomie, avec ses notions de démence majeure,
20:03 pose d'autres problèmes.
20:05 A mon avis, c'est à ce moment-là, quand il y a une rupture,
20:09 que le domicile n'est plus possible.
20:11 -En tant que médecin, comment vous expliquez ?
20:14 Moi, en tant que journaliste,
20:16 il m'arrive d'interviewer très fréquemment
20:19 certains intellectuels,
20:22 qui gardent leur tête,
20:25 si on peut dire, même très âgés,
20:27 et dans des conditions physiques désavantagées,
20:31 tandis que certains,
20:33 dans des conditions physiques désavantagées,
20:36 ils ont aussi leur psychisme qui vacille.
20:39 Comment vous expliquez ça ?
20:41 Qu'est-ce qui fait que...
20:43 -C'est un problème.
20:44 C'est un problème majeur.
20:46 Il faudrait le prix Nobel, si j'arrive à...
20:48 -La question se pose.
20:50 -Le problème, aussi, c'est un problème d'éducation.
20:53 -On peut perdre son autonomie physiquement,
20:55 mais pas psychiquement et vice-versa.
20:58 -C'est pour ça que je différencie la dépendance de l'autonomie.
21:01 Mais je pense que là, c'est très compliqué à dire.
21:04 Je pense qu'il y a une notion...
21:06 L'éducation est extrêmement importante,
21:08 parce qu'elle intervient beaucoup dans les notions
21:11 de perte d'autonomie, en particulier,
21:14 et aussi de perte de dépendance.
21:16 Donc là, ça intervient beaucoup.
21:18 -A mon avis, ce qu'il faut voir,
21:20 c'est, immédiatement après la personne,
21:22 l'environnement familial.
21:24 L'environnement familial est majeur.
21:26 Si vous avez construit votre vie
21:28 avec autour de vous des personnes qui sont aimantes,
21:31 vous arrivez mieux à rester à domicile
21:34 que si vous avez des personnes...
21:36 Il n'y a plus personne autour de vous.
21:38 Je crois que c'est vraiment...
21:40 -Jérôme Getsch, là-dessus, sur le logement.
21:43 -Encore une fois, il faut pas que l'arbre de la dépendance
21:47 cache la forêt du vieillissement.
21:48 C'est une des raisons pour lesquelles
21:51 on a toujours repoussé les lois pour appréhender le sujet.
21:54 Vous l'avez dit,
21:55 cette question de l'accompagnement
21:57 de la perte d'autonomie de la dépendance,
22:00 pour ceux qui sont en EHPAD,
22:01 c'est une question, là, tout à fait planifiée.
22:04 Il faut aller chercher de l'argent dans les 10 prochaines années,
22:08 9 à 10 milliards d'euros supplémentaires.
22:11 Tous les gouvernements ont freiné des cas de fer
22:13 en se disant qu'on a d'autres priorités.
22:16 On en parlera peut-être, mais aujourd'hui,
22:18 le scandale absolu que nous vivons,
22:20 c'est le mode d'organisation de nos services à domicile,
22:24 où on a 300 ou 400 000 professionnels
22:26 qui ont des conditions de travail exécrables.
22:29 Ce sont essentiellement des femmes.
22:31 C'est un sujet clivant, le vieillissement.
22:33 Derrière, on y touche à des sujets d'organisation du travail,
22:37 à un combat féministe.
22:38 Les services à domicile, c'est la dernière activité en France
22:42 où il y a une tarification à l'heure et parfois à la minute
22:45 dans des situations de précarité, d'intermittence.
22:48 Ca, c'est le premier scandale.
22:50 Le deuxième, c'est dans les EHPAD.
22:52 -Sur les EHPAD, un mot là-dessus.
22:54 Est-ce que ça s'est amélioré
22:56 depuis ce qu'on a appelé le scandale des EHPAD
22:59 avec le livre de mon confrère Castaner
23:01 sur les pôts soyeurs ?
23:02 Est-ce que ça s'est amélioré ? -Non.
23:04 Ca s'est amélioré sur le point particulier qu'il a levé,
23:08 c'est la financiarisation, la manière dont certains groupes...
23:11 -La maltraitance. -La maltraitance,
23:13 c'est une chose terrible, elle est systémique.
23:16 Notre société a décidé, inconsciemment ou consciemment,
23:19 de ne pas donner suffisamment de moyens
23:21 pour accompagner dignement les personnes âgées dans les EHPAD.
23:25 J'étais hier dans un EHPAD à Orléans
23:27 et je discutais avec des aides-soignantes.
23:29 Le matin, elles sont six aides-soignantes
23:32 pour s'occuper de 77 personnes.
23:34 Ca veut dire que, concrètement, elles n'ont pas le temps
23:37 pour faire la toilette,
23:39 pour aider à prendre le petit déjeuner.
23:42 On est encore en France avec des situations
23:44 où on va prendre une douche tous les 15 jours.
23:47 Donc, le choix de société qui a été fait,
23:49 il n'y a pas assez de personnel dans les EHPAD,
23:52 alors même que les besoins sont gigantesques,
23:55 qu'on aura toujours besoin des EHPAD.
23:57 Même si les gens privilégient le fait de rester à domicile,
24:00 il y a certaines situations de troubles cognitifs,
24:03 de déments déambulants, de polypathologies
24:06 qui font que l'EHPAD sera nécessaire,
24:08 mais à condition qu'il soit un véritable lieu de vie.
24:11 L'insuffisance de personnel dans les EHPAD
24:13 fait que c'est à la chaîne, dans des conditions
24:16 qui sont, je le redis, maltraitantes.
24:18 -On vous a entendu là-dessus.
24:20 Est-ce qu'il y a eu des études démographiques
24:23 qui montrent que des personnes qui restent à domicile
24:26 vivent plus longtemps que si elles sont trimbalées
24:31 dans des EHPAD ?
24:32 Est-ce que ça...
24:33 -Il y a très peu d'études, mais objectivement,
24:36 étant donné qu'il y a une sélection,
24:38 comme vous l'avez dit, de ceux qui vont rester à domicile
24:41 et d'autres, c'est difficile de faire la séparation.
24:44 Je voudrais ajouter sur ce point-là,
24:46 quand vous avez dit, à juste titre,
24:48 que le vieillissement se fabrique tout au long de la vie,
24:52 mais il se fabrique aussi,
24:53 pas simplement pour une raison biologique,
24:56 c'est pour les métiers qu'ont suivi les personnes.
24:59 Quand on regarde les disparances d'espérance de vie,
25:03 elles sont très importantes selon la catégorie sociale.
25:06 Les ouvriers, surtout, les manoeuvres,
25:08 ont, actuellement encore en France,
25:11 sept ans de moins d'espérance de vie que les cadres,
25:14 mais ça va beaucoup plus loin.
25:15 Quand on regarde la partie de vie en bonne santé,
25:18 l'espérance de vie en bonne santé,
25:21 à ce moment-là, l'écart est encore plus grand
25:24 pour ceux qui meurent le plus jeune.
25:26 -Oui, mais Hervé Lebray,
25:28 nous avons eu ici, sur ce plateau, plusieurs fois,
25:31 l'économiste Daniel Cohen,
25:34 qui je rends hommage.
25:35 -Oui.
25:36 -Bon. Il dit cette chose évidente,
25:40 que dans nos démocraties,
25:41 c'est pire ailleurs dans les sociétés totalitaires.
25:44 Il dit qu'il y a constamment des avancées sociales,
25:47 mais en même temps, les inégalités se creusent.
25:50 Est-ce qu'on peut espérer un jour inverser la tendance ?
25:55 -Oui, je pense, justement,
25:57 et le travail continu de Jérôme Getsch va dans ce sens-là.
26:00 -On a eu des régimes de gauche, des régimes de droite...
26:03 -Quand on regarde, à nouveau...
26:05 -Les inégalités n'ont pas été... -Les inégalités ?
26:09 -Diminuées. -Globalement, si vous voulez.
26:11 Il y a eu une grosse diminution des inégalités,
26:14 pour la France, mais pour les pays développés,
26:17 sauf les Etats-Unis, jusqu'à 2000.
26:19 Ensuite, ça s'est lentement inversé,
26:22 mais c'est assez lent.
26:23 Quand on regarde par âge,
26:25 les inégalités, de façon surprenante,
26:29 ne sont pas plus importantes dans la catégorie des personnes âgées
26:33 que dans la catégorie des personnes actives,
26:35 mais ça veut dire qu'elles restent importantes.
26:38 Il y a un sentiment,
26:39 au fait de la fragilité des personnes âgées,
26:42 qu'elles sont plus inégales, mais elles ne sont pas.
26:45 -Juliette Merdel, je voudrais qu'on avance un peu.
26:48 Je vais vous donner la parole,
26:49 parce qu'il y a beaucoup de choses qui se posent.
26:52 On ne peut pas rester que dans du ressenti ou du psychologique.
26:56 Il y a beaucoup de problèmes.
26:58 La transition démographique, aujourd'hui,
27:01 oblige à adapter la société dans son ensemble.
27:05 Sans concerner l'habitat, on vient d'en parler,
27:08 mais les transports, l'accès aux soins,
27:11 aux loisirs, à une alimentation,
27:13 aux numériques, etc.
27:15 Comment arbitrer
27:17 entre ces différentes adaptations
27:20 et lesquelles ont la priorité ?
27:23 On ne peut pas tout faire dans une société.
27:25 -Vous avez raison, on ne peut pas tout faire, mais quand même.
27:29 -Qu'est-ce qu'il faut faire ?
27:30 -On doit permettre à quelqu'un de finir ses jours dignement.
27:34 Aujourd'hui, les conditions dans lesquelles on finit son existence,
27:38 je ne parle pas des soins palliatifs,
27:40 je parle vraiment des dix dernières années,
27:42 surtout quand on est malade.
27:44 Le nombre de maladies chroniques, cognitives, ne cesse d'augmenter.
27:48 On vit de plus en plus longtemps.
27:50 Il y a aussi un facteur environnemental
27:52 sur le développement des maladies cognitives.
27:55 Il y a une population de plus en plus malade,
27:57 qui a de plus en plus de maladies cognitives
28:00 et qui vit de plus en plus longtemps.
28:02 L'espérance de vie en bonne santé a diminué.
28:06 C'est-à-dire qu'elle augmente en valeur absolue,
28:09 mais on sait qu'aujourd'hui,
28:11 passé 65 ans, on va de plus en plus mal
28:13 et on sait que l'espérance de vie en bonne santé
28:15 est de plus en plus courte.
28:17 C'est quand même un signe de dégradation
28:19 de nos conditions de vie.
28:21 Donc, pour moi, une priorité pour le prochain président
28:24 de la République serait de dire qu'on doit finir ses jours dignement.
28:28 Comment on les finit dignement ?
28:30 Jusqu'à ce qu'on soit dépendant, vous avez raison,
28:33 le maintien à domicile, comme le fait le Danemark,
28:36 c'est une solution, cela dit, très onéreuse.
28:38 Rester chez soi, avoir un maintien à domicile
28:42 tant qu'on est à peu près capable,
28:44 c'est cher, parce qu'il faut quand même des aides.
28:47 On n'a pas toujours des parents pour s'occuper de soi
28:50 et on a des jeunes qui n'ont pas envie de le faire.
28:53 Le maintien à domicile doit être réorganisé.
28:55 Il y a un éclatement entre départements, communes.
28:58 C'est très compliqué d'organiser le maintien à domicile
29:01 d'une personne âgée.
29:03 Il faut pratiquement un mi-temps
29:05 pour coordonner, avoir les aides, être présent,
29:07 ouvrir la porte aux différents intervenants.
29:10 C'est un premier sujet.
29:11 Le deuxième sujet, c'est les EHPAD.
29:13 -Il faut changer le modèle des EHPAD ?
29:16 -Les EHPAD se sont financiarisées, c'est vrai,
29:18 mais même les grands groupes à la tête des EHPAD
29:21 et Orpea en tête, eux, ne sont pas assez contrôlés.
29:24 Il faut que maintenant... Qui contrôle les EHPAD ?
29:27 Les ARS, dans les agences régionales de santé.
29:30 Il y a 3, 4 inspecteurs envoyés...
29:33 Vous savez qu'il y a 23 ARS en France ?
29:35 -ARS, ce sont les agences régionales de santé.
29:39 -Les ARS sont, parce qu'elles sont en partenariat
29:42 avec les départements et d'autres collectivités,
29:45 chargées de surveiller ce qui se passe.
29:47 Elles ne pilotent pas les EHPAD, elles sont chargées de surveiller.
29:51 3 inspecteurs par ARS.
29:53 Comment voulez-vous que l'Etat puisse contrôler ce qui se passe ?
29:56 La CNSA, qui est le financeur des EHPAD, c'est la caisse.
29:59 La CNSA, la caisse qui paye,
30:01 elle n'exerce pas de pouvoir de contrôle.
30:03 -Vous avez entendu Juliette Merdé.
30:05 -Qu'est-ce que je dis ? -Vos priorités.
30:08 -D'ici l'Etat, il faut que l'Etat ait une vision du grand âge
30:11 et qu'il contrôle les conditions dans lesquelles les personnes âgées
30:15 finissent leurs jours, en particulier dans les EHPAD,
30:18 et qu'il surveille le bien-être.
30:20 -Monsieur Michel, vos priorités,
30:22 c'est...
30:23 Tout va mal, si je vous entends.
30:27 Par où commencer ?
30:30 -On ne veut pas. -Je suis persuadé
30:32 qu'il faut commencer en prenant conscience
30:34 de son propre vieillissement et que la personne soit responsable.
30:38 Je suis vraiment, alors, convaincu de ça.
30:41 Autrement, on peut toujours donner des solutions pour ci, pour ça,
30:45 mais à mon avis, il faut que la personne,
30:47 que chacun d'entre nous soit conscient
30:49 de son propre vieillissement et qu'on agisse dans ce sens.
30:53 -Et vous, Jérôme Gued,
30:54 votre priorité ? -Vous mentionnez
30:56 sur les mobilités, le logement, etc.
30:59 Il faut voir la vie, la ville et les villages
31:02 avec un oeil de vieux,
31:04 c'est-à-dire mettre les fragilités et les vulnérabilités
31:07 comme porte d'entrée de la définition
31:10 des politiques publiques à mener.
31:12 Le vieillissement est un phénomène territorial.
31:15 C'est-à-dire que les sociodémographes
31:17 ont bien démontré que, pour une personne âgée,
31:20 ce qui est important, c'est les services et les biens
31:23 auxquels elle va avoir accès dans un rayon de 500 m
31:26 autour des chez-elle.
31:28 C'est pour ça que je suis convaincu,
31:29 et je parle devant une élue municipale,
31:32 que les maires vont être en première ligne
31:34 pour coordonner les enjeux du vieillissement.
31:37 Ils n'ont pas toutes les compétences,
31:39 il y a les ARS, les départements,
31:41 les bailleurs sociaux sur les logements, etc.
31:44 Mais les maires vont devoir se poser la question
31:47 de savoir si sur leur territoire municipal,
31:50 on a l'ensemble de cette adaptation.
31:53 Je vous prends un seul exemple.
31:56 Ces dernières années, dans les villes,
31:58 on a retiré les bancs de l'espace public,
32:00 pour des bonnes ou des mauvaises raisons.
32:03 Les jeunes s'y installent, font du bruit,
32:05 parfois, il y a des sans-domicile fixe,
32:07 on veut les éloigner, ce qui n'est pas très sympa.
32:10 Du coup, il y a moins de bancs dans l'espace public.
32:13 Avec cette décision qui a été prise pour une raison,
32:16 les jeunes, les SDF, etc., la conséquence,
32:19 c'est qu'on a envoyé un message subliminal aux personnes âgées
32:23 qui ont besoin, quand elles vont se promener,
32:25 d'avoir un endroit où elles peuvent se reposer.
32:28 On est comme dans la chanson de Brel,
32:30 on leur a dit "du lit au salon,
32:32 "puis du lit au fauteuil, et du lit au lit".
32:35 Et donc, aujourd'hui, concrètement,
32:37 je pense à Mathieu Klein, le maire de Nancy,
32:39 il a pris ce sujet, et ça peut paraître bizarre,
32:42 mais c'est un maire qui a lancé un plan banc.
32:45 Il a posé la question de savoir où on réinstalle les bancs,
32:48 comment on discute avec les personnes âgées,
32:51 comment on fait des déambulations.
32:53 -Vous, vous êtes député. -Ca peut paraître anecdotique.
32:56 -Mais comment légiférer face à cette diversité de problèmes ?
33:00 Selon les territoires, selon les niveaux de revenus,
33:04 selon la structure familiale,
33:06 ça se pose pas de la même manière.
33:08 -Je vais vous dire, d'abord, c'est le cadre.
33:10 J'aime le terme que vous avez utilisé,
33:13 "transition démographique",
33:14 parce que les deux autres transitions
33:16 qui bouleversent nos sociétés,
33:18 la transition économique ou la transition digitale,
33:21 elles sont regardées, chacun s'en préoccupe,
33:24 les entreprises, les collectivités locales, l'Etat, etc.
33:27 La transition démographique, la révolution de la longévité,
33:31 pour l'instant, c'est pas le sujet prioritaire.
33:33 La première chose, c'est provoquer le débat.
33:36 C'est pour ça que je me suis battu avec d'autres,
33:39 pour qu'on ait cette loi de programmation sur le grand âge
33:42 et au-delà du seul grand âge, sur la longévité.
33:45 J'ai élaboré pour stimuler le débat une proposition-loi,
33:48 qui est adaptée à la société et au vieillissement.
33:51 Qu'est-ce qu'il devrait y avoir dans un texte comme ça ?
33:54 Parler de compétence des communes,
33:56 vous devez coordonner les acteurs du vieillissement
33:59 sur votre territoire, parler de logement.
34:02 Dans le parc social, on va avoir une crise du vieillissement majeure,
34:06 parce qu'on a des cages d'escalier,
34:08 où il y a déjà une majorité de gens qui ont plus de 60 ans,
34:11 et dans les 15 années qui viennent,
34:13 on aura quasiment une résidence autonomie sur pied.
34:16 C'est tous les sujets qui doivent être regardés
34:19 de manière transversale, et la question du financement.
34:22 Un débat public national qui n'a pas encore eu lieu,
34:25 dans lequel on donne la parole aux personnes âgées,
34:28 parce qu'on ne peut pas décider pour les personnes âgées,
34:31 même si, et c'est ça qui est intéressant,
34:33 contrairement à d'autres sujets,
34:35 nous sommes tous des vieux en devenir.
34:38 C'est ça qui est passionnant.
34:39 Quand je milite pour ces sujets,
34:41 c'est parce que c'est un sujet éminemment politique,
34:45 de combat féministe, mais c'est aussi un sujet d'emploi.
34:48 C'est des gisements d'emplois gigantesques,
34:50 dès l'instant où on va pouvoir les financer et les socialiser.
34:54 C'est des emplois non délocalisables,
34:56 non substituables, les fameux métiers du lien, du soin,
34:59 de l'accompagnement.
35:00 C'est un enjeu d'aménagement du territoire.
35:03 Il y a des pans entiers du territoire national
35:06 où on est dans une crise du vieillissement.
35:08 On parle beaucoup des déserts médicaux,
35:10 mais à des endroits, c'est médicaux sociaux.
35:13 On ne peut pas faire ça dans les EHPAD ni dans les services.
35:16 C'est un enjeu. Pouvoir d'achat, combat féministe,
35:19 aménagement du territoire, emploi, santé.
35:22 Si ça, c'est pas politique,
35:23 c'est des choix clivants à faire sur tous ces sujets.
35:26 Est-ce plus de solidarité familiale ou de solidarité nationale ?
35:30 Est-ce des services publics ou des opérateurs privés ?
35:33 C'est débat. Comment on finance ?
35:35 Chacun pour soi ou bien avec...
35:37 Je propose d'augmenter les impôts sur les successions
35:40 pour financer le grand âge.
35:42 Ce débat, il va être passionnant à condition qu'il y ait lieu,
35:45 parce qu'il va devoir trancher...
35:47 -Vous serez d'accord pour qu'il y ait un grand emprunt,
35:51 par exemple, pour le grand âge ?
35:54 -Je sais pas si c'est un emprunt qu'il faut faire.
35:57 Sinon, on va... Pour le coup, on va alimenter la gisme
36:00 en disant que c'est à cause des vieux, etc.
36:02 Je suis attaché à la logique de la sécurité sociale.
36:05 -D'accord. Vous voudrez avoir votre avis,
36:08 Hervé Lebras, sur un point important.
36:12 Si je vous écoute,
36:14 le grand âge, c'est une diversité de situations.
36:19 C'est d'abord sur le plan sanitaire.
36:23 Les niveaux de santé ne sont pas les mêmes.
36:26 Sur le plan territorial, les logements...
36:29 Il y a des gens qui vivent jusqu'à 100 ans en très bon état,
36:33 il y en a qui vivent à 60 ans qui sont déjà dépendants.
36:36 Démographiquement, comment peut-on faire des projections
36:41 à partir d'une telle diversité de situations ?
36:44 -Très difficile, mais même la plus simple projection,
36:48 on en parlait avec le docteur Michel juste avant,
36:51 on ne sait pas très bien comment va évoluer l'espérance de vie,
36:55 donc la mortalité, au cours des 10 ou 15 prochaines années.
37:00 Il y a eu un très fort ralentissement
37:02 à partir de peu près 2010-2012,
37:05 pas simplement en France, en Angleterre,
37:07 encore plus aux Etats-Unis.
37:09 Ca change énormément de choses en termes de
37:12 quels seront les volumes, justement, de personnes âgées.
37:15 Donc c'est très difficile.
37:17 En plus de ça, vous avez des questions...
37:19 -Comment les politiques peuvent se projeter dans ce cas-là
37:23 s'il est scientifique ?
37:25 -Ma réponse serait à peu près la même
37:27 que pour la question des retraites.
37:31 Elle serait d'abord de définir précisément,
37:33 pour la retraite, par exemple,
37:35 qu'est-ce qu'une politique juste des retraites ?
37:39 Il fallait définir, j'ai entendu dire par le gouvernement,
37:42 que c'était juste. Mais en quoi était-elle juste ?
37:45 Par exemple, une proposition, c'est de dire
37:47 qu'une juste retraite, c'est que le même nombre d'années travaillées
37:51 donne droit au même nombre d'espérances de vie
37:54 en bonne santé à la retraite.
37:56 On peut en discuter, mais c'est l'exemple de justice.
37:59 Or, il y a, par exemple,
38:01 pour ce que vous signaliez à propos de la mobilité,
38:04 quelque chose d'assez simple, c'est de dire
38:07 qu'il faut une égalité de mobilité,
38:09 donc que les personnes âgées puissent se déplacer dans la ville
38:12 aussi bien qu'elles ne le sont pas.
38:14 Autrement dit, de poser les termes en termes clairs et simples.
38:18 Un autre point, c'est juste un tout petit point
38:21 à propos du logement. On entre dans des contradictions.
38:24 Vous avez parlé de vieillissement dans le logement,
38:27 mais c'est aussi parce que les personnes âgées
38:30 restent dans les logements qu'elles ont eus.
38:32 Quand on regarde comment évolue le nombre moyen de personnes
38:36 dans le logement, on voit que ça monte,
38:38 et puis, arrivé à 50, 60 ans, ça reste à peu près au niveau.
38:42 Autrement dit, le gros problème de l'habitat social,
38:45 c'est de faire passer les personnes
38:47 qui sont dans des logements de 3, 4, 5 pièces
38:50 dans une studio ou dans le logement de 2 pièces.
38:53 Il y a des tas de problèmes. -Merci, Hervé Lebrun.
38:56 On va passer au moment anthropologique,
38:58 si vous voulez bien.
38:59 Musique rythmée
39:01 ...
39:05 -Je voudrais parler avec vous de vieillissement et d'amour
39:09 à partir d'une histoire que m'a relatée Elie Wiesel,
39:14 l'ancien prix Nobel de la paix.
39:16 Un jour, il visitait un cimetière en Amérique latine
39:22 et il était intrigué par le fait
39:26 que sur les tombes, il y avait des visages très jeunes.
39:31 Il ne comprenait pas pourquoi tous ces morts
39:36 avaient sur leurs tombes des espèces de petits camés
39:39 avec des visages très jeunes.
39:41 Il a interrogé le gardien du cimetière en lui demandant
39:44 comment se fait-il que dans ce cimetière,
39:47 les gens sont, comme partout ailleurs,
39:49 c'est des personnes âgées, qui sont décédées,
39:52 mais les visages ne correspondent pas.
39:54 Le gardien lui a dit que dans ce cimetière,
39:58 on ne met pas la photo du défunt quand il est âgé,
40:02 mais on lui demande combien d'âge d'amour il avait.
40:07 Par conséquent, certains avaient quelques jours,
40:10 d'autres, quelques années.
40:11 Je voudrais vous intéresser et vous faire parler de ce sujet-là.
40:16 Les vieux et les jeunes,
40:18 c'est des mondes aujourd'hui qui se côtoient,
40:21 mais qui se distinguent.
40:23 Les valeurs ne sont pas les mêmes.
40:25 Il y a une instantanéité, il y a la rapidité,
40:29 il y a une hypermodernité chez les jeunes,
40:32 et il y a un côté sagesse des personnes âgées, etc.
40:36 Ils diffèrent par leur rapport à l'intimité,
40:41 par leur rapport au temps, etc.
40:43 Comment fait-on pour appréhender ces générations
40:47 sans les séparer ?
40:49 -C'est précisément...
40:53 Votre premier mot dans votre introduction,
40:56 vous avez utilisé le terme de "guerre des âges".
40:59 S'il y a une guerre qu'on évite,
41:01 on a déjà suffisamment de lignes de fracture.
41:03 Sur les questions religieuses, sur les questions sociales, etc.
41:09 Nous n'ajoutons pas une guerre des âges
41:12 qui peut nous pendronner,
41:13 avec la question de savoir si on n'en fait pas trop pour les vieux.
41:17 C'est ce qui retient le législateur ou le gouvernement
41:20 de dégager des moyens en disant
41:22 que c'est cette génération des baby-boomers,
41:24 ils ont profité du boom de l'immobilier, etc.,
41:27 avant pas encore, en plus, leur en rajouter.
41:30 D'ailleurs, regardez ce qui s'est passé pendant le Covid.
41:33 C'était l'inquiétude qu'on pouvait avoir.
41:35 On a confiné pour protéger les plus fragiles et vulnérables.
41:39 La bonne nouvelle, quand même, à ce moment-là,
41:42 c'est qu'on n'a pas eu une sorte d'insurrection agiste.
41:46 Il y a eu un ou deux acteurs dans le débat public,
41:49 André Comtes-Ponville ou François de Closet,
41:52 qui ont eu le jeu de confiner pour des vieilleurs
41:54 qui devaient mourir dans les six ou huit mois qui suivent.
41:57 Donc, il faut absolument éviter cette guerre des âges,
42:01 et ça, ça passe par les liens intergénérationnels.
42:04 Les personnes âgées, c'est des vecteurs de transmission,
42:08 alors de mémoire, de sagesse, de tempérance,
42:12 autant de valeurs dont on a besoin dans nos sociétés,
42:16 et ça passe précisément par le fait
42:18 d'organiser ces liens intergénérationnels.
42:21 -Hervé Lebras, sur cet aspect-là,
42:23 ce rapport au temps et même ces questions d'amour.
42:26 -Je pense qu'en fait, la situation,
42:28 je vais être à nouveau assez optimiste,
42:31 est très bonne en France.
42:32 Quand on prend dans les enquêtes, on pose la question sur la famille,
42:36 96 % des Français pensent que la famille se porte bien,
42:41 qu'elle est une valeur importante.
42:43 C'était pas du tout la même chose dans les années 30.
42:46 C'était le "Famille, je vous hais",
42:48 c'était quitter la famille, une chambre en ville.
42:51 Il y a eu, au fond, je dirais même,
42:53 c'est un des problèmes, pas simplement en France,
42:56 il y a eu un certain repli sur la famille.
42:58 C'est le slogan qui est "Malheur public, bonheur privé".
43:02 Vous l'avez entendu, notamment à cause d'une certaine déception
43:06 vis-à-vis de la politique, par exemple.
43:09 Donc, il y a là-dedans plutôt, au fond, un thème d'espoir.
43:13 Ca n'empêche pas qu'il y a des personnes...
43:16 La plus grande injustice, d'une certaine manière,
43:19 c'est des personnes qui ont beaucoup de famille
43:22 et des personnes qui ont très peu de famille.
43:24 L'Etat a été créé pour égaliser ces situations individuelles.
43:28 -Je reviens sur ma question initiale,
43:31 à la fois sur la citation de Philippe Toretton
43:35 et sur l'histoire d'Elie Wiesel.
43:38 Quel rapport on peut faire entre les personnes âgées
43:43 et cet amour
43:46 qui est associé à cette génération,
43:49 comme porteuse d'amour pour les jeunes générations ?
43:53 -Vous savez, moi, je suis pas très friand de généralité,
43:56 parce que je crois que ce qui détermine la relation
43:59 entre un petit-enfant et son grand-père ou sa grand-mère,
44:02 c'est le transgénérationnel, c'est ce que le grand-père
44:05 ou la grand-mère a transmis à l'enfant,
44:08 puis ensuite au petit-enfant.
44:10 Je crois que les liens de famille sont irréductiblement liés
44:13 à l'estime, à l'individu, à son histoire, à sa spécificité.
44:16 Le politique n'a pas grand-chose à faire là-dedans.
44:19 En revanche, là où le politique peut faire des choses,
44:22 c'est sur l'éducation, apprendre,
44:25 qu'on doit prendre soin du plus vulnérable.
44:28 Qui est le plus vulnérable ?
44:30 Dans l'aspect familial, c'est le malade, l'handicapé,
44:34 la personne âgée.
44:35 Mais c'est d'abord sur le terrain de la question
44:38 de la solidarité nationale, familiale,
44:43 que peut se porter le discours du politique.
44:45 L'amour dont vous parliez, ça ne s'apprend pas dans des lois.
44:49 L'amour, c'est quelque chose qui se transmet,
44:52 qui est lié à vous, ce que vous êtes.
44:55 Mais la solidarité, c'est une obligation civique,
44:59 si je puis dire. Et ça...
45:01 -Attendez.
45:02 -Monsieur Michel, là-dessus...
45:04 -Non, moi, je suis entièrement d'accord
45:06 avec ce que vous venez de dire.
45:08 La chose qu'il faut qu'on réapprenne,
45:11 c'est à vivre tous ensemble.
45:13 Et ça, on l'a plus, actuellement.
45:15 Il faut penser aux sociétés dans d'autres continents
45:20 qui ont encore la personne âgée
45:23 comme la personne importante de la famille,
45:26 alors que chez nous...
45:27 -Mais vous dites qu'il faut apprendre à vivre ensemble.
45:33 Or, ce que l'on constate aujourd'hui,
45:35 c'est exactement le contraire.
45:38 Vous avez un clivage selon les âges,
45:40 vous avez un clivage selon les sexes,
45:42 vous avez un clivage selon les genres,
45:44 vous avez un clivage selon les options politiques,
45:47 vous avez un clivage selon les fantasmes,
45:50 selon les mythes, etc.
45:51 Comment, dans ce cadre-là,
45:54 et en même temps, avec une distribution des valeurs
45:58 qui sont distinctes,
45:59 comment faire dans ce cadre-là ?
46:02 -Ce que vient de dire Mme Méhader est vraiment important.
46:05 Au sein de la famille, la personne âgée est encore intégrée
46:09 et elle fait partie de la famille.
46:11 Il y a peut-être des distinctions, comme vous le citez,
46:14 au niveau global et général, mais au sein de chaque famille,
46:17 il y a ce respect dans l'ensemble.
46:21 Cette notion d'intergénérationalité
46:24 est vraiment importante.
46:26 -Je vais mettre en cause une politique,
46:29 avec Jérôme Getsch là-dessus.
46:31 Les barrières d'âge,
46:33 les politiques portent une responsabilité,
46:36 les syndicats aussi,
46:38 je vais vous dire,
46:40 vous prenez certaines professions très capées,
46:43 intellectuellement, scientifiquement,
46:46 à 65 ans, quand elles partent à la retraite,
46:48 elles sont toujours très capées et très capables
46:51 et elles pourraient faire du tutora, etc.
46:54 Or, les barrières d'âge, aujourd'hui,
46:56 on n'arrive pas à les franchir.
46:58 -Je vais être clair dans le projement
47:00 de ce que j'ai dit en dénonçant l'agisme potentiel.
47:03 L'agisme, c'est-à-dire cette discrimination liée à l'âge,
47:07 à la loi ou de fait,
47:08 il faut la combattre avant qu'elle débouche
47:11 sur une guerre des âges.
47:12 Les barrières d'âge, c'est l'incarnation
47:15 la plus palpable de cette forme de séparation.
47:18 Dès qu'on entend le mot "barrière d'âge",
47:20 il faut faire gaffe, c'est-à-dire que,
47:22 passé un certain âge, vous avez des droits qui reculent.
47:25 Moi, ça peut paraître contre-intuitif
47:28 pour un homme de gauche, mais je suis totalement hostile
47:31 à l'existence de barrières d'âge.
47:33 Si quelqu'un veut continuer à pouvoir travailler
47:36 à un certain âge, il y a des limites
47:38 dans le droit de la fonction publique,
47:40 mais aussi dans le droit privé,
47:42 puisque, à partir de 70 ans, votre employeur
47:45 peut légalement vous licencier au nom de votre âge.
47:48 Ca n'existe pas dans les professions libérales.
47:50 On a des médecins, des avocats, des notaires, des huissiers
47:54 qui peuvent continuer aussi longtemps qu'ils veulent.
47:57 Donc, on supprime les barrières d'âge dans le rapport au travail,
48:00 mais on n'introduit pas dans de nouveaux dispositifs.
48:03 Voici un exemple, vous allez comprendre ce que peut être l'agisme.
48:07 A chaque fois qu'il y a une personne âgée,
48:09 un octogénaire qui prend à contresens la bretelle d'autoroute
48:13 et qui provoque un drame sur la route,
48:15 on a le débat immanquable dans les émissions de radio
48:18 ou dans les journaux en disant
48:20 "Est-ce qu'il faut retirer le permis de conduire
48:23 "ou faire repasser le permis de conduire
48:25 "passé un certain âge ?" Ca, c'est de l'agisme.
48:28 Quand on pose la question pour nous tous,
48:31 à 40, 60, 70 ans, la question est de savoir
48:33 si on doit pas avoir, régulièrement,
48:35 parce qu'on a passé son permis à 18 ans,
48:38 et que 50 ou 60 ans après, ce serait pas incongru
48:40 pour nous tous et nous toutes d'avoir une petite évaluation.
48:44 Donc, le droit commun, mais pas de stigmatisation
48:47 liée à l'âge, parce que ça participe
48:49 de ce que j'évoquais, la relégation,
48:51 l'invisibilisation des personnes âgées.
48:53 -Est-ce que c'est vrai pour le rapport à l'emprunt ?
48:56 Aujourd'hui, passer un certain âge,
48:59 c'est pas âgé, au-delà de, je crois, 60 ou 65 ans.
49:02 -Les conditions des banques ou d'assurance...
49:04 -Quand vous voulez emprunter de l'argent
49:06 pour acheter une voiture, que vous avez plus de 60 ou 65 ans,
49:10 plus personne ne vous prête d'argent.
49:12 C'est quasiment une espèce d'atteinte à votre autonomie,
49:15 alors que vous pouvez être en parfaite santé.
49:18 Vous avez payé des impôts toute votre vie,
49:21 vous êtes en bonne santé,
49:22 et le système financier bancaire, qui ne prend jamais de risques,
49:26 en réalité, ils ne prennent jamais de risques,
49:29 ils ont le droit de vous embêter.
49:30 -Politiquement, vous êtes aussi pour franchir...
49:33 -On devrait interdire ça. -On est bien d'accord.
49:36 Pour franchir les barrières d'âge, c'est-à-dire permettre des tutorats...
49:40 -Je crois que les barrières d'âge ne doivent pas exister.
49:43 Dans le temps, François Hollande avait inventé, en 2012,
49:47 le contrat de génération. On avait travaillé sur cette idée
49:50 qu'il pouvait y avoir une personne dans une entreprise,
49:53 un senior, qui pouvait accompagner un jeune.
49:56 Il faut travailler cette idée de solidarité transgénérationnelle.
49:59 Aujourd'hui, vous avez plein de personnes à la retraite,
50:02 en pleine forme, qui se mettent dans du bénévolat,
50:05 parce que ça les maintient,
50:07 je suis pour qu'on les encourage, qu'on les valorise,
50:10 et qu'on les rige aussi comme un modèle
50:12 d'être dans la société, d'être actifs.
50:15 -Les pays aux Etats-Unis, si vous prenez les universités,
50:19 il n'y a pas de limite d'âge pour un universitaire aux Etats-Unis.
50:23 En même temps, on s'aperçoit qu'ils partent à un âge
50:26 relativement jeune, entre 65 et 70 ans.
50:29 -En tout cas, pour cette émission,
50:31 on n'a pas fait de ségrégation d'âge.
50:35 Alors, je voudrais...
50:36 Ecoutez, l'auteur de ces mots s'y implique également.
50:40 Mais on va terminer, puisqu'il nous reste très peu de temps
50:43 pour donner un peu d'espoir, etc.,
50:46 dans la vie des personnes âgées,
50:48 au-delà des améliorations socioéconomiques
50:51 dont on a parlé pendant cette heure.
50:53 Il y a des choses qui sont moins utilitaires,
50:57 peut-être plus ludiques, qui font retour
51:00 à ce qu'un philosophe appelait un "presque rien".
51:03 Vous savez, quelque chose qui donne de la vie à la vie.
51:07 A votre avis, quelle aération vous donneriez
51:11 pour changer la vie, en quelque sorte ?
51:15 Je ne vous demande pas de créer de nouveaux impôts, etc.
51:18 On en a parlé, mais là, on est dans l'air.
51:21 -Non, moi, je suis...
51:23 Je suis vraiment médecin,
51:25 et je vois le parcours de vie.
51:27 Je n'arrive pas à me concentrer sur le grand âge.
51:30 Je vois ça en parcours de vie.
51:32 Dans ce parcours de vie, la chose la plus importante
51:35 et la nouvelle définition du vieillir en bonne santé,
51:38 c'est être fonctionnellement actif jusqu'au bout
51:41 pour avoir un bien-être au grand âge.
51:44 Et pour moi, la notion de maladie n'existe plus.
51:48 Elle est surpassée par la notion de fonctionnalité
51:51 tout au long de la vie.
51:52 -Bien, Juliette Merdel, là-dessus ?
51:55 -Je voudrais associer l'idée d'âge à l'idée de plénitude.
51:59 C'est pas parce qu'on est vieux qu'on est malheureux.
52:02 On peut très bien être bien portant ou mal portant,
52:05 mais heureux, c'est-à-dire apaisé,
52:07 jusque dans les derniers moments de sa vie.
52:10 C'est une question de psychologie, d'accompagnement, de valeur,
52:13 et tout ça se travaille dans nos discours politiques.
52:17 -Oui, Jérôme Guets, là-dessus.
52:19 -La vieillesse n'est pas une maladie.
52:21 Il faut marteler cela. -Elle s'accompagne.
52:24 -La vieillesse est une chance,
52:25 et le vieillissement de la population,
52:28 c'est une chance pour notre pays.
52:30 Ca va pas être vécu comme un boulet, comme quelque chose d'anxiogène.
52:34 C'est un défi auquel, je me mets sous l'angle
52:36 de la décision de la puissance publique,
52:39 auquel nous devons nous adapter, que nous devons anticiper
52:42 et inciter, je suis d'accord avec vous,
52:44 à avoir la lucidité de regarder son vieillissement
52:47 pour le préparer dans de bonnes conditions.
52:49 -Hervé Lebrun, là-dessus, en deux mots.
52:52 -Un petit peu en rebours, ne pas croire
52:54 que les personnes âgées étaient bien traitées.
52:57 C'était horrible. Un grand nombre de travaux
52:59 d'anthropologie historique sur le XVIIIe siècle
53:02 montrent comment, dans la losère, on les plaquait
53:05 contre une porte jusqu'à ce qu'elles étouffent,
53:08 comment elles étaient chassées du logis.
53:10 Il y a énormément d'études sur ce sujet.
53:13 Reconnaissons qu'on a quand même fait des progrès,
53:15 même s'il en reste beaucoup à faire.
53:18 -Merci, merci de cette note d'optimisme.
53:20 Il me reste à vous présenter une brève bibliographie.
53:24 Jérôme Goetsch, vous avez publié rapport sur rapport
53:28 concernant les personnes âgées,
53:32 mais vous avez également publié un plaidoyer pour les vieux.
53:36 Cette question, ça a stimulé chez vous
53:40 un côté littéraire qui vous a poussé à écrire ?
53:43 -On n'a pas beaucoup de temps.
53:44 Je sais que la question est importante.
53:47 -En tous les cas, de participer à l'alimentation
53:49 du débat public, y compris dans la culture populaire,
53:54 c'est assez intéressant, dans le roman,
53:56 dans le cinéma, dans les séries, on voit de plus en plus,
53:59 et c'est tant mieux, des personnes âgées.
54:02 C'est aussi une manière de participer
54:04 de cette reconnaissance et de cette pleine participation
54:07 à la vie de la cité.
54:09 -Alors, Hervé Lebrun,
54:10 vous avez publié un atlas des inégalités,
54:14 autrement, en flammarion, les éditeurs,
54:17 et donc, c'était pour montrer cette persistance,
54:20 mais en même temps, vous dites que ça s'améliore
54:23 pour les personnes âgées. -Oui, sur le long terme,
54:26 mais c'est surtout dans cet atlas, on voit aussi,
54:29 on en a peu parlé, qu'il y a de très fortes différences
54:32 géographiques en France, c'est le but d'un atlas,
54:35 et on pourrait aussi parler, au fond,
54:37 d'une montée d'une ségrégation des âges,
54:39 qui est un autre problème,
54:41 à la fois dans les villes, mais aussi entre régions.
54:44 -Alors, je voudrais signaler l'ouvrage de Philippe Touréton,
54:47 "Mémé", chez l'Iconoclase,
54:49 dont on a eu un film,
54:51 qui est passé, je crois que c'était, sur France 2.
54:55 Est-ce que vous avez un livre à suggérer ?
54:57 -Je vous recommande un rapport de la Cour des comptes
55:01 qui porte sur les soins palliatifs.
55:03 -Sur les soins palliatifs. -Je vous le recommande,
55:06 il a été remis à l'Assemblée nationale,
55:09 et qui insiste sur la question
55:10 de l'accompagnement psychologique des derniers jours,
55:13 et dont le maître mot, c'est "permettre de mourir
55:16 le plus sereinement possible".
55:18 -Un bon entendeur, salut.
55:20 Et monsieur Michel ?
55:22 -J'étais responsable d'un groupe européen
55:24 pour toutes les fédérations européennes
55:27 des académies de médecine, publié en 2019,
55:29 qui s'appelle "Transformer le futur du vieillissement",
55:32 qui est essentiellement ciblé sur ce que j'ai dit,
55:35 le vieillissement en bon fonctionnement.
55:38 -Vous voyez, pour nos téléspectateurs,
55:41 voilà de bonnes lectures.
55:42 Il me reste à vous remercier, madame.
55:44 Merci, messieurs, d'avoir participé à cette émission.
55:47 Merci à notre équipe de LCP, qui a permis sa réalisation.
55:52 Et avant de vous laisser, je vous soumets cette citation.
55:56 "Vieillir est encore le seul moyen qu'on ait trouvé
56:00 "de vivre longtemps."
56:01 Bon, c'est de sainte beuve.
56:03 Rires
56:05 ...

Recommandations