100% Sénat - 100% Sénat

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00:00:10 Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans 100% Sénat.
00:00:12 Quelles sont les causes et les origines profondes des violences urbaines
00:00:15 qui ont suivi la mort du jeune Nahel l'été dernier ?
00:00:18 C'est ce que tente de déterminer une commission d'enquête au Sénat.
00:00:21 Pour cela, elle a auditionné quatre sociologues.
00:00:24 Sentiment de marginalisation, manque de mixité sociale,
00:00:28 finalement les causes sont très similaires aux émeutes qui ont touché la France en 2005,
00:00:33 avec parfois un certain opportunisme.
00:00:35 Je vous propose de suivre leurs propos.
00:00:38 Merci de votre présence physique, bien évidemment.
00:00:41 Ah, et qui est-ce que j'ai vu ? C'est Monsieur Dubé que j'aperçois.
00:00:45 C'est ça, voilà, très bien.
00:00:47 Merci de votre présence ce matin.
00:00:50 Je suis accompagné de plusieurs collègues, peut-être que vous ne les voyez pas,
00:00:53 mais Madame Eustache Brignot, Madame Narassi,
00:00:55 il y a Monsieur Vogel qui sont des commissaires aux lois,
00:00:58 des membres de la commission des lois et qui suivent bien sûr
00:01:01 la mission d'information qui sont mises en place sur les émeutes
00:01:04 qui sont survenues le 24 juin dernier, enfin du 24 juin au début du mois de juillet.
00:01:09 Bien que nous ayons débuté à l'heure la commission des lois ce matin,
00:01:14 les collègues ont été passionnés par les textes.
00:01:17 C'est moi qui dis ça, les déconcertes viennent de dramatique.
00:01:22 Et donc dans le travail que nous menons, dont l'objectif est d'avoir un rapport en février,
00:01:27 ça c'est une chose, c'est de comprendre ce qui s'est passé.
00:01:32 Et à travers, j'allais dire, tous les sujets, c'est-à-dire que,
00:01:35 bien évidemment que la commission des lois s'intéresse aux problèmes juridiques premiers, sécurité, très bien,
00:01:40 mais pas seulement. On veut essayer d'avoir une approche multifactorielle
00:01:47 et en tous les cas une connaissance assez précise de ce qui s'est passé
00:01:49 pour potentiellement proposer une évolution législative, je dis bien potentiellement,
00:01:54 ou un certain nombre de recommandations qui peuvent être de nature réglementaire,
00:01:56 c'est-à-dire qui dépendent du gouvernement.
00:01:58 Mais en tous les cas, ne pas passer à travers ou ne pas éviter quelconque sujet.
00:02:04 Donc je vais vous laisser la parole très rapidement maintenant.
00:02:06 Je ne sais pas si vous avez prévu un ordre entre vous ou pas du tout,
00:02:10 auquel cas je vais peut-être donner la parole à monsieur Jardin. Vous êtes d'accord ?
00:02:16 - Bon, ben voilà. Entendu, merci beaucoup.
00:02:23 Alors, mon travail c'est d'être ingénieur de recherche au CNRS,
00:02:28 donc je travaille beaucoup sur de l'analyse de données.
00:02:31 Et ça fait maintenant une quinzaine d'années que je travaille sur la question des quartiers marginalisés
00:02:36 et des phénomènes politiques qui s'y déroulent,
00:02:38 et également des enjeux relatifs aux formes de violences politiques et enjeux de sécurité.
00:02:45 J'ai eu l'occasion finalement d'essayer de lire un peu tout ce qui avait été écrit
00:02:49 depuis une quinzaine d'années sur ce sujet des marginalités urbaines en France et ailleurs.
00:02:54 Et ce qui m'apparaît extrêmement frappant à la suite des événements de l'été 2023,
00:03:02 c'est le sentiment finalement de nouveauté qui animait beaucoup des réflexions
00:03:07 avec l'idée que les phénomènes qu'on a qualifiés d'émeutes ou de violences urbaines
00:03:12 auxquelles on a été exposés ont été présentés comme quelque chose qui sortait de la trame habituelle,
00:03:18 de l'ordinaire, de la connaissance qu'on pouvait déjà avoir des enjeux de révolte,
00:03:23 de protestation, de violence dans les quartiers marginalisés.
00:03:26 Et ce phénomène de nouveauté, si je me permets l'expression, n'est pas nouveau,
00:03:30 puisqu'en 2005 on avait déjà présenté des émeutes de 2005 comme des émeutes d'un genre nouveau,
00:03:35 qui contrastaient avec celles des années 70 ou des années 80.
00:03:39 Et puis là, il y a l'idée qu'en 2023, on a de nouveau une nouveauté qui se surajoute aux phénomènes des émeutes de 2005.
00:03:46 Au cours des dix dernières années, j'ai été toujours très surpris de voir combien la mémoire de 2005,
00:03:52 finalement, était passée quelque chose d'historique, quelque chose qui n'était plus un sujet d'actualité,
00:03:57 qui appartenait au passé et qui était finalement une question un petit peu réglée.
00:04:01 Et une difficulté qui était passagère, qui n'était plus au prisme des priorités politiques
00:04:08 ou des enjeux qui méritaient une attention particulière.
00:04:11 Et finalement, ce qu'on voit dans le courant de l'été, c'est que bien on remet sur le devant de la scène
00:04:16 une préoccupation pour la situation des quartiers marginalisés au prisme de ces violences.
00:04:21 Donc le premier constat que je ferai, c'est que finalement, cette question de la violence et de la protestation violente,
00:04:28 elle donne une existence politique aux quartiers marginalisés,
00:04:31 puisque en l'absence de ces violences, les quartiers marginalisés n'ont pas véritablement de poids
00:04:37 dans les enjeux politiques, dans les débats nationaux, dans la définition des politiques publiques
00:04:42 ou dans la réflexion des questions générales qui peuvent traverser la société en matière scolaire,
00:04:48 en matière de logement, en matière de transport, etc.
00:04:50 Et finalement, la violence, elle fait exister ces quartiers et leurs habitants dans le champ politique d'une façon négative,
00:04:57 d'une façon qui est souvent perçue comme stigmatisante ou dévalorisante,
00:05:00 d'une façon qui est souvent mal vécue par beaucoup d'habitants.
00:05:04 Mais très certainement, l'existence de cette commission, l'existence d'un certain nombre de commandes
00:05:09 qui peuvent être adressées à mes collègues universitaires ou chercheurs,
00:05:13 montre bien qu'il y a un intérêt quand il y a de la violence et qu'en l'absence de violence,
00:05:17 il y a moins d'intérêt pour ce qui se passe dans ces quartiers.
00:05:19 Ce qui apparaît également, c'est le caractère pluriel de ces phénomènes,
00:05:25 puisqu'on a qualifié comme un ensemble homogène les émeutes de l'été 2023.
00:05:29 Il semble davantage qu'on ait une stratification de différents phénomènes,
00:05:34 des phénomènes de réaction immédiate dans les Hauts-de-Seine et aux environnements de Nanterre
00:05:40 après la mort du jeune Nahel, et puis une diffusion dans d'autres territoires avec d'autres modalités d'action par la suite,
00:05:50 qui a été interprétée comme étant participant du même mouvement,
00:05:53 mais avec des différences de nature, de pratique, de répertoire d'action, de mots d'ordre,
00:05:58 voire parfois d'absence de mots d'ordre, qui viennent questionner l'unité du phénomène.
00:06:04 Vraisemblable que les personnes qui se sont affrontées avec les forces de l'ordre dans les quartiers marginalisés
00:06:09 ont des grilles de lecture, des profils sociologiques, des motivations un peu différentes
00:06:14 de celles qui se sont rendues dans les centres-villes pour voler des paires de baskets en cassant des vitrines.
00:06:20 Et donc le terme des meutes, à minima, recouvre une diversité de situations et de configurations
00:06:25 qu'il est difficile de bien documenter parce qu'on n'a pas de carte très précise
00:06:29 de quel type d'événement il y a eu dans les différents territoires.
00:06:32 Donc on a un petit peu de difficulté, quelques mois après les événements, à pouvoir couvrir ces différences de nature de les meutes.
00:06:39 Un troisième enjeu qui me paraît essentiel, c'est la question de la dynamique durable de marginalisation de certains quartiers.
00:06:46 C'est quelque chose qui est frappant quand on fait l'historique de la politique de la ville sur une quarantaine d'années.
00:06:52 C'est combien le constat de tentatives renouvelées, revendiquées à chaque fois comme ambitieuses,
00:06:58 est suivi d'un constat d'échec ou en tout cas de succès très limité par rapport à une logique de marginalisation
00:07:08 qui se prolonge dans le temps, dans beaucoup d'espaces, qui semble être une dynamique difficile à enrayer
00:07:15 et qui n'est pas pour autant la dynamique d'ensemble des grandes métropoles, puisqu'on voit qu'il n'y a pas du tout
00:07:19 une dualisation entre des quartiers aisés et des quartiers pauvres, mais une majorité de quartiers qui sont plutôt des quartiers intermédiaires et mélangés
00:07:25 et localement, dans des configurations très spécifiques, des quartiers qui sont particulièrement marginalisés et qui le restent durablement.
00:07:32 Si on prend des dispositifs qui ont 20 ans d'âge, ils concernent encore la plupart de ces territoires aujourd'hui.
00:07:38 Je pense qu'un des enjeux importants, c'est de déspécialiser le regard sur la banlieue.
00:07:46 Il y a eu l'idée très fort, je pense, après 2005, selon laquelle seuls certains quartiers ciblés par des dispositifs particuliers de petites publiques
00:07:53 étaient les territoires et les lieux où résidaient les personnes qui concentraient le plus de difficultés,
00:07:59 ce qui est le cas quand on objective avec des critères sociologiques, mais on voit bien que finalement, c'est un enjeu qui est un enjeu national,
00:08:06 qui concerne des territoires au-delà des quartiers les plus marginalisés et qui, du point de vue de ses répercussions, de ses conséquences,
00:08:13 résonne à l'échelle du pays et pas seulement à l'échelle des banlieues. Donc je ne crois pas qu'il y ait une crise des banlieues en tant que telle.
00:08:19 Il y a des difficultés dans les banlieues qui provoquent une crise à l'échelle nationale de la structure des institutions, des politiques publiques
00:08:26 et de la structure du tissu social ou en tout cas des structures de relations sociales qui sont présentes.
00:08:33 Donc je pense qu'on ne peut pas regarder l'insécurité ou la ségrégation dans les quartiers marginalisés sans la regarder en même temps
00:08:40 dans des espaces qui sont également plus aisés, parce que c'est un processus qui est dialectique et qui, finalement, s'alimente de façon réciproque.
00:08:49 Dans ce processus général, un élément qui me semble mériter l'attention, c'est que lorsque vous parlez avec des responsables des forces de l'ordre,
00:08:58 le service de sécurité vous indique la préoccupation d'une montée de la violence en France.
00:09:02 Une montée de la violence qu'on retrouve pas ou peu dans la plupart des indicateurs, qu'il s'agisse des statistiques administratives ou des enquêtes de victimation.
00:09:10 Mais néanmoins, une violence qui est plus présente dans les conflits sociaux et on peut présenter des exemples comme les mouvements écologistes
00:09:18 ou les mouvements autour des conflits du travail, le mouvement des retraites, mais on peut penser également au mouvement des gilets jaunes.
00:09:24 On a eu une succession de mouvements sociaux dans lesquels la violence était finalement, à un moment ou à un autre,
00:09:29 une facette du rapport politique en l'absence d'autres relais, d'autres médiations institutionnelles.
00:09:35 Je crois que la question des banlieues est une question paroxystique de cette dynamique.
00:09:39 En l'absence quasi complète de relais politiques structurés, finalement, il n'y a soit pas de confrontation, soit une confrontation qui passe par la forme de la violence
00:09:47 et qui est un des enjeux à construire et qui n'est pas forcément seulement du travail des institutions,
00:09:51 mais c'est de réussir à trouver des canaux de désaccord et d'affrontements politiques qui ne passent pas par la violence
00:09:57 et qui permettent de faire émerger des enjeux de façon beaucoup plus structurelle que ces affrontements sporadiques qui arrivent à échéance régulière
00:10:08 et en causant beaucoup de dégâts et beaucoup de dommages aussi pour les auteurs, pour certains très jeunes,
00:10:15 dont la trajectoire sociale, scolaire, familiale va être fortement impactée par leur participation et leur condamnation dans ces contextes.
00:10:24 Peut-être pour en terminer, avant de passer la parole à mes collègues, je crois qu'il y a un enjeu également très important
00:10:34 sur la réflexion avec les forces de l'ordre et la relation à la police.
00:10:39 Il y a eu le sentiment peut-être de mettre en cause uniquement les responsabilités individuelles des agents de police,
00:10:46 ce qui est effectivement une partie importante, puisqu'ils ont la détention, le moyen de répression et que leur usage dépend de leur exercice personnel,
00:10:54 mais qu'il y a sans doute aussi des questions de doctrine sur les modalités et la présence des forces de sécurité dans un certain nombre de quartiers
00:11:01 et c'est spectaculaire quand on regarde sur une vingtaine d'années ce débat sur les modalités précises d'existence,
00:11:08 la police de proximité, puis sa suppression, puis son retour et on voit bien qu'on est finalement dans une oscillation des dispositifs
00:11:14 sans ligne directrice vraiment structurelle sur le long terme.
00:11:18 Je crois qu'un des grands enjeux, si on veut voir un développement de ces quartiers marginalisés et voir réduire l'écart avec le reste de la société française,
00:11:29 c'est sans doute dans le besoin d'ancrer sur le long terme un certain nombre de dispositifs
00:11:33 et de ne pas avoir ces fluctuations qui sont souvent peu productives.
00:11:40 Un dernier mot peut-être sur des territoires qui sont très très peu évoqués mais qui me paraissent mériter une attention particulière
00:11:46 au regard des indicateurs socio-démographiques qu'ils présentent, ce sont les territoires ultramarins
00:11:51 dans lesquels il y a des formes de marginalité qui sont très très intenses, mais qui passent souvent un peu au second plan des enjeux des dispositifs de politique publique,
00:12:01 également parce que ce sont des territoires qu'on a moins bien documentés,
00:12:04 que ce soit dans les données de recensement ou dans les données d'enquête de victimation depuis les dernières années.
00:12:10 Donc il y a une volonté de mieux prendre en compte ces territoires, mais je crois que c'est un enjeu important qui passe un peu trop souvent au second plan.
00:12:16 Merci beaucoup.
00:12:19 Merci Monsieur Jardin. Monsieur Merklen. Je ne vois plus nos interlocuteurs en visio, c'est normal ? Ils ont disparu. Allez-y, Monsieur Merklen.
00:12:28 Merci Monsieur le Président. Alors, dans l'invitation que je remercie, la convocation à venir aujourd'hui parmi vous...
00:12:44 C'est une invitation, on ne vous convoque pas.
00:12:45 C'est une invitation, merci. Je vous en remercie quand même.
00:12:51 On m'a précisément demandé d'intervenir autour des équipements publics et des équipements culturels qui ont été pris par cible lors des manifestations
00:13:09 et à propos desquels j'ai enquêté pendant très longtemps.
00:13:14 Alors je vais essayer de donner un certain nombre d'éléments permettant de construire une certaine intelligibilité parce que les attaques à ces équipements
00:13:25 provoquent souvent une perplexité, que ce soit de la part des personnels des bibliothèques, par exemple, ou des élus, des instances ministérielles et puis de l'opinion publique en général.
00:13:42 Ce que je vais présenter trouve sa source dans un travail de terrain de longue haleine, de nombreuses enquêtes qui se succèdent et donc une temporalité qui est nécessaire et qui est précise.
00:13:57 Ce pourquoi aussi, d'une certaine façon, pour ce que je peux faire, les émeutes du mois de juin sont encore faiblement connues.
00:14:07 On en connaît très peu du point de vue des enquêtes que je peux mener.
00:14:15 Il y a quand même un certain nombre d'éléments. On a évoqué à l'instant cette question de la nouveauté et de la continuité de ce type de manifestation
00:14:33 et la focale doit être large et considérer l'ensemble des acteurs qui sont engagés dans le conflit ou dans la conflictualité que l'émeute met en scène.
00:14:46 L'une des choses qui est une nouveauté et qui est évidente, ne se trouve nullement dans les quartiers, mais ailleurs.
00:14:54 On vient d'exprimer le caractère politique dans l'intelligibilité, dans la compréhension de ce type de phénomène.
00:15:02 En 2005, on disait exactement le contraire, qu'il y avait un déficit de socialisation politique, que c'était des actes nihilistes, que c'était des actes à l'extérieur de la citoyenneté,
00:15:14 que tout ça s'expliquait comme une forme de poussée des sentiments, de broncade, de manque de rationalité.
00:15:26 Et aujourd'hui, on est passé, heureusement je crois, à une analyse complètement différente qui donne à voir ces manifestations comme des mouvements sociaux,
00:15:39 comme des manifestations sociales, comme des formes de mobilisation, qui donnent une forme de la politique, un changement dans l'expérience de la citoyenneté et de notre vie démocratique.
00:15:53 Qu'elle soit à caractère négatif ou positif, c'est pas au sociologue peut-être de le qualifier d'une manière ou de l'autre.
00:16:03 J'ai essayé de faire de cette question une question centrale des mes objets de recherche.
00:16:11 J'ai proposé pour cela une notion qui est celle de la politicité populaire, qui essaye de rendre compte du fait que l'expérience de la citoyenneté n'est pas la même selon les groupes sociaux.
00:16:28 Ça paraît une évidence, mais il faut le rappeler à chaque fois. Et cette expérience à avoir avec le type de conflit dans lequel chaque groupe prend part, d'une part.
00:16:40 Et donc elle se distingue de, par exemple, l'expérience de la citoyenneté des classes moyennes, mais aussi d'autres segments des classes populaires.
00:16:51 C'est l'un des éléments sur lesquels je vais revenir à l'instant. Et deuxièmement, le fait que cette expérience de la citoyenneté ou cette politicité évolue dans le temps.
00:17:00 Et pour saisir ce qui se passe dans les quartiers populaires, il faut avoir une attention particulière à la relation ou au rapport des habitants et du groupe.
00:17:19 Ce n'est pas pareil le groupe que les personnes ou les familles avec les institutions.
00:17:25 Parce qu'il y a une spécificité française, pas exclusivement française, mais pour des gens qui travaillent aussi ou qui enquêtent dans d'autres horizons quand on mène une démarche comparative.
00:17:42 Dans des sociétés à caractère plus libéral ou dans des sociétés plus pauvres, comme celle d'Amérique du Nord, par exemple,
00:17:52 ou dans des sociétés plus pauvres où l'État a un caractère segmentaire incertain, où l'État social est moins fréquent présent,
00:18:06 ce qui caractérise un quartier populaire, c'est l'absence de l'État.
00:18:10 En France, ce qui caractérise la vie des habitants du quartier populaire, c'est l'omniprésence de l'État.
00:18:18 Il faut s'interroger très précisément à propos de la manière dont ces familles et ces personnes trouvent solution à la plupart des problèmes qui concernent la vie quotidienne, qui est la leur.
00:18:32 L'éducation, la santé, le logement, la culture, le sport, les transports, tout cela et plus est entre les mains d'institutions publiques.
00:18:48 Et cette expérience de la vie quotidienne, c'est-à-dire le fait que les problèmes ne trouvent pas leur solution ni par la solidarité locale,
00:18:57 ni dans le marché, en payant avec son salaire des services par exemple, ou en accédant à des biens avec son salaire, fait qu'il y a une conflictualité qui est directement politique.
00:19:08 La vie quotidienne de ces personnes est directement politisée parce qu'ils sont en conflit recurrent et quotidien avec un fonctionnaire,
00:19:20 un agent représentant de l'institution qui prend des décisions et qui est un fonctionnaire, un membre de la fonction publique,
00:19:28 derrière lequel se trouvent les autorités, les élus, le personnel politique et donc il y a une politisation immédiate de la conflictualité sociale.
00:19:39 Et ça c'est une note majeure, une coordonnée principale à l'intérieur de laquelle se trouvent les équipements culturels.
00:19:51 Deuxième élément sur lequel je voudrais attirer l'attention, c'est ce que vous pouvez appeler l'historicité de l'émeute.
00:20:00 L'historicité est double. D'une part, et ça a été rappelé, c'est une histoire qui commence disons en 1979 ou au début des années 80,
00:20:12 et où on observe de cette relative unité des classes populaires en France autour de la classe ouvrière, le détachement d'un segment, d'une partie,
00:20:24 qui se manifeste par l'émergence d'un nouveau répertoire de l'action collective pour ce qui relève de notre jargon de ce qu'ils faisant de la sociologie politique.
00:20:34 C'est-à-dire les gens commencent à agir collectivement autrement que par le passé.
00:20:38 Ce n'est plus la manifestation, le vote et la grève qui sont les modes d'expression naturels ou primordiaux de ces groupes,
00:20:47 à travers les syndicats et les partis politiques qui assurent l'intégration et la socialisation politique.
00:20:53 C'est donc l'émeute, le monde associatif qui a été suscité et créé suite à la réponse de l'État à ces émeutes,
00:21:04 les lois de décentralisation et la création de la politique de la ville, qui fait exister une myriade d'associations dans tout le territoire et un militantisme très important.
00:21:15 Quand on interroge aujourd'hui les membres qui ont 40, 50 ans de ces associations qui sont indispensables à la vie démocratique,
00:21:22 on s'aperçoit que beaucoup parmi eux étaient des émeutiers, par exemple, il y a 20 ans, parce que ça a duré depuis 40 ans.
00:21:29 Cette historicité est très importante, cette dimension de l'historicité est très importante.
00:21:38 Mais il y en a une autre dimension de l'historicité qui est celle de l'événement.
00:21:42 Et la manière dont on découpe l'événement, la manière dont on va l'employer pour s'y reconstruire, l'événement est très important.
00:21:53 Est-ce que ça commence avec la mort d'un jeune dans un conflit avec la police, dans l'immense majorité des cas, suivi d'une émeute,
00:22:01 et suivi d'une inscription dans l'espace public, qui est primordiale ?
00:22:05 L'émeute a un caractère éminemment symbolique. Ce n'est pas l'instauration d'un rapport de force qu'on cherche,
00:22:14 mais la possibilité d'inscrire dans l'espace politique local ou national, en fonction des circonstances, un événement, c'est-à-dire de susciter la prise de parole.
00:22:25 Ça, c'est le noyau de l'historicité et il y a un moment en aval et un moment en amont de l'événement.
00:22:36 En aval, c'est une conflictualité sourde, silencieuse et cachée que justement l'émeute cherche à faire venir dans l'espace public.
00:22:43 Et il y en a un autre en amont, ce que nous faisons aujourd'hui, fait partie de l'événement, heureusement,
00:22:51 fait intervenir d'autres acteurs, la presse, les sciences sociales, les autorités qui vont se prononcer, qui vont prendre la parole,
00:22:59 qui vont qualifier les faits, qui vont qualifier les protagonistes et qui vont de ce fait donner son caractère politique, l'inscrire dans la vie du système politique.
00:23:10 L'une des clés d'interprétation de l'émeute, c'est la cupure qu'il y a entre les espaces de parole à l'extérieur de l'institution,
00:23:16 à l'extérieur de l'espace du système politique et ce qui peut venir à l'intérieur.
00:23:21 Par exemple, les encendies de bibliothèques que j'ai étudiées en 2005, je trouve 70 encendies de bibliothèques depuis les années 80.
00:23:30 Il n'y a jamais eu un article de presse là-dessus, jamais une prise de parole, jamais un débat politique concernant l'encendie d'une bibliothèque.
00:23:38 On aurait pu penser que dans un pays comme la France, la mise à feu d'une bibliothèque aurait pu susciter une grande émotion.
00:23:44 Ça n'a pas été le cas. Aujourd'hui, il y a des articles dans la presse, la télévision s'y intéresse, je suis ici pour en parler, il y a un changement.
00:23:53 Ça, c'est le moment qui suit l'émeute.
00:23:58 Pour finir et dire un mot des bibliothèques et des équipements culturels, les bibliothèques donc s'intègrent, font partie de cet appareil institutionnel qui fait les quartiers,
00:24:11 qui les produit du logement jusqu'à la bibliothèque en passant par les terrains des sports, les écoles, etc.
00:24:18 Et de ce fait, le bibliothécaire fait partie d'une chaîne d'agents qui se trouve face aux habitants comme étant une association du même,
00:24:32 une association du même qui donne son même caractère à l'instituteur, au bibliothécaire, à l'agent de la FISS-HLM, de la PMI et le policier.
00:24:43 Et donc, il y a de ce fait un face-à-face qui se produit entre des agents et des habitants qui sont, eux deux,
00:24:54 mis par l'État et par la situation sociale au cœur d'une conflictualité qui trouve souvent ses causes ailleurs.
00:25:02 Donc, il n'est absolument pas étonnant que le conflit prenne les institutions comme cibles de la manifestation.
00:25:10 Même lorsque c'est un policier qui se trouve à l'origine ou un conflit avec la police et qu'on va brûler une bibliothèque.
00:25:17 Quand on regarde les choses de ce point de vue-là, on voit que la bibliothèque, ce n'est plus une bibliothèque populaire qui trouve son origine dans une émergence,
00:25:25 dans les habitants qui s'organisent pour créer un espace de réflexion, pour créer un lieu d'émancipation,
00:25:32 mais une implantation du service public qui vient là pour aider les habitants individuellement,
00:25:38 mais qui a énormément de mal à parler au groupe, à participer du groupe.
00:25:43 D'où la question recurrente, est-ce leur bibliothèque ou notre bibliothèque ?
00:25:48 C'est ça la question que se posent les habitants et la pierre jetée vient interroger l'institution pour lui dire,
00:25:55 alors, tu es notre institution ou la leur ?
00:25:59 L'écrit, de ce point de vue, se pose dans l'espace d'une sacralité où c'est le sacré de l'autre qu'on va essayer de busculer
00:26:10 parce que c'est l'écrit, le terrain de l'école, du marché du travail qui nous est scamoté,
00:26:18 la parole de la vie politique, de la vie institutionnelle,
00:26:22 et c'est tout cela qui est mis en question à travers la pierre et le feu,
00:26:27 en essayant de rendre visible cette problématique qui a du mal à être dite.
00:26:33 Les habitants eux-mêmes, les émeutiers eux-mêmes ont énormément de mal à pouvoir transformer cette action symbolique
00:26:40 en une action textuelle, discursive, avec une parole permettant de la rendre intelligible par elle-même.
00:26:47 C'est à nous de le faire. Voilà. Merci de votre attention.
00:26:51 Merci beaucoup, Monsieur. Alors, je me retourne vers nos intervenants qui sont en visio, Monsieur Domingo et Monsieur Dubé.
00:26:59 Y a-t-il une préférence pour intervenir ou d'autorité ?
00:27:03 Eh bien, écoutez, le premier de ma liste, c'est Monsieur Domingo. Alors, vous avez la parole.
00:27:09 Bonjour. Merci pour votre invitation. Donc, moi, je vous parle depuis la province et depuis une ville qui est la ville de Toulouse,
00:27:20 qui a subi, là aussi, depuis une vingtaine d'années, c'est le mode que l'on qualifie d'émeute ou de violence urbaine,
00:27:27 notamment en 1998, à la suite de la mort d'un dénommé "pipo", donc un jeune qui est mort, là aussi, dans une altercation avec la police
00:27:38 et qui a donné lieu à des émeutes sur la ville et qui a enclenché, d'ailleurs, par la suite, la mise en place d'un dispositif qui était émergent à l'époque,
00:27:46 qui était celui des contrats locaux de sécurité, donc l'idée qu'il fallait traiter de manière partenariale, pas seulement politière, d'ailleurs,
00:27:56 ces enjeux de quartier, avec finalement l'émeute qui va donner naissance à, en effet, à une mobilisation de dispositifs publics,
00:28:08 essayant de renforcer l'action publique sur ces quartiers qui sont à Toulouse et les quartiers notamment dits du Grand Mirail,
00:28:17 et qui, en effet, comme d'autres dans la région parisienne ou en province, sont parfois affectés par ces phénomènes.
00:28:26 Alors, je vais essayer de, sans trop répéter ce qu'ont dit mes collègues, mais c'est vrai, souligner l'historicité de ce phénomène dit émeutier ou d'urgence urbaine,
00:28:36 qui alterne entre des fortes continuités, mais aussi des formes d'innovation et de nouveauté.
00:28:41 Les continuités, elles s'inscrivent, en effet, dans une histoire qui a au moins une quarantaine d'années, en tout cas, si on prend le début de la réflexion
00:28:53 sur la question des quartiers avec l'émergence de la politique de la ville, donc depuis le début des années 80.
00:29:00 François Dubé, je pense qu'on pourra y revenir, puisqu'il a travaillé ça depuis de très nombreuses années.
00:29:05 Mais donc, on est dans une forme de grande continuité avec des événements, notamment en 2006,
00:29:10 et une forme de récurrence de ces événements qui en font finalement désormais non plus des événements exceptionnels,
00:29:15 mais des événements qui se reproduisent selon une forme de régularité plus ou moins importante
00:29:21 et qui se rappellent à nous dans ce qui est finalement la question sociale de ces quartiers.
00:29:26 Ces émeutes, ces violences urbaines, elles résultent souvent d'ailleurs d'un événement déclencheur,
00:29:34 souvent lié à une altercation entre la police et des jeunes, avec parfois la mort d'un jeune,
00:29:43 qui va générer en tout cas l'étincelle, qui va mettre le feu aux poudres,
00:29:50 et créer une forme de déstabilisation plus collective du quartier, et puis ensuite une forme de diffusion sur le territoire national.
00:29:58 Donc là aussi, on a parmi les continuités, on l'a vu, finalement, il y a un certain nombre de quartiers
00:30:03 qui restent des quartiers dissensibles, malgré ces 40 ans de politique de la ville,
00:30:08 avec là aussi une population, celle des jeunes issus de ces quartiers, qui sont des quartiers paupérisés,
00:30:13 des jeunes qui font l'expérience plus ou moins conscientisée d'ailleurs, plus ou moins politique,
00:30:18 de certaines formes d'inégalités, de marginalisation sociale, et d'une expérience qui est à la fois objective,
00:30:24 mais aussi subjective, je pense qu'il faut réintégrer la dimension subjective, les perceptions sociales
00:30:30 que peuvent avoir certains jeunes de leur position sociale, des inégalités qu'ils subissent,
00:30:34 les enjeux de reconnaissance, donc des jeunes qui se sentent marginalisés, victimes d'inégalités,
00:30:42 alors parfois, souvent à raison, mais aussi parfois avec des formes de distorsion peut-être,
00:30:47 de représentation qu'ils possèdent, et qui les font se sentir exclus d'un système auquel ils pensent ne pas appartenir.
00:30:56 Et donc ce qui questionne directement ce lien de citoyenneté, ce lien civique, que l'on invoque souvent,
00:31:03 mais qu'on a du mal à inscrire dans une forme de matérialité et de subjectivité plus quotidienne.
00:31:09 L'autre continuité, c'est l'attaque contre les équipements, les incendies de véhicules,
00:31:14 les affrontements avec les forces de l'ordre, la destruction, ça a été dit, des écoles, des bibliothèques,
00:31:18 des équipements publics qui représentent l'État.
00:31:21 Autre continuité, c'est celle de la logique de diffusion sur le territoire national,
00:31:27 ce qui fait que l'émeute est à la fois un phénomène local, mais c'est aussi un phénomène national et un phénomène partagé.
00:31:34 Parmi, finalement, les nouveautés, à mon avis, qui sont celles des émeutes de 2023,
00:31:42 c'est d'abord la rapidité de la contagion de ces émeutes, et puis la rapidité de leur fin,
00:31:55 parce qu'elles ont duré finalement assez peu de temps, donc on est sur une sorte d'embrasement très fort,
00:32:01 avec une forte mobilisation d'ailleurs de dispositifs de maintien de l'ordre,
00:32:05 et une réponse judiciaire qui a été très rapide également,
00:32:09 qui nous montre à la fois, je pense, un phénomène qui, oui aussi, tient à la volatilité peut-être du mouvement,
00:32:20 qui est finalement moins organisé, je pense qu'on le dit, parce qu'il est le résultat de la coalition de petits groupes de jeunes qui sont là,
00:32:29 ou aussi parfois par opportunisme, avec parfois une charge politique qui est beaucoup plus faible que précédemment,
00:32:36 on parle de la question de la mobilisation, du mouvement social,
00:32:39 bon, je pense que cette question du mouvement social, elle est toujours là, en filigrane,
00:32:43 mais peut-être par rapport aux nouvelles générations de ces jeunes qui s'engagent dans ces dynamiques-là,
00:32:49 on a une population peut-être aussi beaucoup plus diversifiée, avec des agendas beaucoup plus hétérogènes.
00:32:55 On a aussi sûrement une présence, en tout cas ressentie plus forte des violences,
00:33:01 à la fois du côté des émeutiers, mais aussi du côté de la réponse policière.
00:33:05 En tout cas, la perception de la violence, elle est beaucoup plus forte,
00:33:08 elle est aussi mise en scène dans les médias de manière beaucoup plus explicite,
00:33:12 et donc sans doute ressentie beaucoup plus fortement au niveau des subjectivités,
00:33:17 à la fois des forces de l'ordre et des jeunes.
00:33:20 Avec quelques événements qui peuvent questionner, moi ce qui m'a quand même alerté,
00:33:26 c'est l'attaque par exemple de la prison de Fresnes par des groupes,
00:33:29 donc on pense que dans les précédentes émeutes, on n'avait pas constaté l'attaque d'une prison,
00:33:34 l'attaque directe contre certains élus, donc des signes qui montrent en effet,
00:33:39 alors qui sont des signes émergents, sur lesquels il faut être vigilant,
00:33:44 et qui questionnent ce rapport à la violence,
00:33:46 et la confrontation directe cette fois-ci avec les représentants de l'État.
00:33:50 Une des nouveautés aussi, c'est la question du pillage.
00:33:57 On a vu dans cette dernière séquence d'émeute que l'émeute constitue aussi un espace d'action
00:34:06 pour aller piller des supermarchés, des centres-villes, des magasins,
00:34:10 dans une logique qui est finalement, alors qu'on peut qualifier de politique,
00:34:14 mais qui est aussi finalement peut-être pour certains acteurs,
00:34:18 moins formalisé selon ce mode, qui relève du fait que l'on profite de l'émeute pour se servir,
00:34:24 et pour bénéficier finalement de ce qu'offre la société capitaliste,
00:34:30 dans une logique qui est tout à fait instrumentale.
00:34:33 Autre élément aussi qui me paraît assez nouveau,
00:34:36 ou en tout cas qui se renforce, c'est la question de la médiatisation,
00:34:39 via les réseaux sociaux, qui n'existait pas de manière aussi forte et aussi importante à l'époque,
00:34:48 et qui permet aux jeunes finalement de produire leurs propres images de l'émeute.
00:34:52 Et donc je pense qu'on n'a pas encore très bien compris comment tout ça fonctionnait,
00:34:57 à la fois dans la diffusion de l'émeute,
00:35:00 dans le partage d'expériences réciproques chez ces jeunes,
00:35:03 dans l'émulation qui peut en résulter,
00:35:05 et dans la spectacularisation de l'émeute,
00:35:08 voire dans la jouissance tout simplement de ce partage d'une expérience collective
00:35:14 au niveau local, mais aussi au niveau national.
00:35:17 Donc je reviendrai sur ce qui a été aussi dit,
00:35:20 finalement c'est que ces émeutes de 2023,
00:35:23 elles sont peut-être plus composites qu'on ne le dit,
00:35:26 elles ont une dimension pour certains acteurs sans doute jeunes,
00:35:29 qui peut renvoyer une lecture politique,
00:35:32 la mort du jeune Nahel, en effet un enterre,
00:35:35 renvoie un questionnement sur le rapport aux institutions et à la police,
00:35:38 ça c'est je pense qu'un élément important,
00:35:40 mais dans sa diffusion, je pense que le mouvement devient aussi de plus en plus hétérogène,
00:35:43 il devient parfois des fouloirs, espace de confrontation,
00:35:47 et parfois pour certains acteurs peut-être plus organisés,
00:35:50 comme certains trafiquants de drogue,
00:35:52 c'est une manière de mettre en difficulté les autorités publiques
00:35:55 auxquelles elles sont confrontées au fil des jours.
00:35:58 Deux points encore, peut-être, je ne sais pas s'il me reste un petit peu de temps,
00:36:03 je pense que ce qui est important c'est d'abord de repenser,
00:36:06 peut-être dans le volet solution,
00:36:09 quelque chose qui est souvent mis de côté,
00:36:11 c'est ce lien entre la jeunesse des quartiers populaires et la police.
00:36:14 Donc on tourne beaucoup autour du débat,
00:36:17 mais on a peu de solutions assez directes
00:36:20 qui remettraient en effet, qui rendraient une doctrine précise,
00:36:24 de prévention, du rôle préventif de la police dans ces quartiers.
00:36:28 Et ça, cette doctrine-là, elle est souvent renvoyée d'ailleurs aux acteurs sociaux,
00:36:32 en disant que la police fait son travail, les acteurs sociaux doivent.
00:36:34 Et donc on est dans une sorte de répartition des rôles,
00:36:36 qui à mon avis n'est pas forcément toujours bonne,
00:36:38 parce qu'elle renvoie à une forme de conflictualisation entre ces jeunes et la police,
00:36:43 et avec l'enjeu aujourd'hui, à mon avis,
00:36:46 qui est sous-estimé du rôle des polices municipales,
00:36:48 qui se sont beaucoup structurées au cours des dernières années,
00:36:50 et qu'on doit aujourd'hui faire rentrer dans l'équation.
00:36:52 Ces polices municipales, souvent, qui miment,
00:36:55 qui sont dans une forme de mimétisme institutionnel,
00:36:57 sur le plan culturel et des mots d'action, avec la police nationale.
00:37:01 Et donc là aussi, je pense qu'il faut repenser le rôle des polices locales,
00:37:06 en lien avec celui de la gendarmerie ou de la police nationale,
00:37:09 sur la manière dont se crée ce rapport police-population.
00:37:12 Ce qui renvoie à des enjeux de formation des policiers nationaux,
00:37:16 de la gendarmerie nationale, mais aussi des polices municipales.
00:37:18 Et comme cela a été dit aussi, sur les enjeux, les médiations
00:37:22 que l'on peut organiser entre les jeunes et la police.
00:37:26 Sachant qu'il y a quand même des expériences qui existent,
00:37:29 comme les correspondants polices-population,
00:37:31 les centres de loisirs jeunes, gérés par la police nationale,
00:37:34 mais qu'il faudrait sans doute approfondir,
00:37:37 pour pouvoir avoir une lecture plus préventive de l'activité policière,
00:37:42 qui ne soit pas seulement lorsqu'il y a des émeutes
00:37:44 centrées sur les enjeux de maintien de l'ordre.
00:37:46 Le second point, c'est qu'il faut qu'on arrive à mieux comprendre
00:37:49 les nouvelles subjectivités juvéniles, leurs transformations,
00:37:52 les politicisations ordinaires qui existent chez ces jeunes.
00:37:56 Et peut-être, on sait beaucoup, je pense,
00:37:59 centrer sur les publics adolescents et puis sur les plus jeunes.
00:38:02 Je pense qu'on voit que dans ces émeutes,
00:38:05 on a beaucoup de 18-25 ans, donc des jeunes adultes.
00:38:10 Et cette catégorie des jeunes adultes, on les aborde souvent en effet
00:38:14 par le biais de l'intégration socio-économique,
00:38:16 et c'est un point important.
00:38:18 Mais il faut aussi peut-être reprendre le débat
00:38:22 à partir de leurs besoins politiques et des canaux d'expression politique
00:38:25 qui peuvent exister, ou qu'on peut mettre à leur disposition.
00:38:28 Et là, je pense qu'on est un peu en déficit,
00:38:30 avec des enjeux aussi intergénérationnels,
00:38:33 comme ça a été dit, ces jeunes aujourd'hui
00:38:37 sont parfois les enfants des meutiers,
00:38:39 et donc avec des transmissions intergénérationnelles dans les familles,
00:38:42 peut-être qu'on peine, avec des choses qui ont été transmises,
00:38:45 qu'on peine à comprendre aujourd'hui.
00:38:48 Le dernier point, à mon avis, qui est important,
00:38:50 c'est de travailler sur les mécanismes de prévention du phénomène.
00:38:53 On a une politique de la ville qui se relance,
00:38:55 on a une politique nationale de prévention de l'élincrance
00:38:58 qui va se relancer en 2024.
00:39:00 Donc c'est comment on fait, comment on intègre ces enjeux
00:39:02 de la prévention des émeutes, ou du debriefing des émeutes,
00:39:07 et quel type de dispositif préventif on peut intégrer
00:39:09 dans ces politiques publiques-là.
00:39:11 On se rend compte que la question émeutière,
00:39:13 elle n'est jamais prise en compte par ces politiques de prévention de la délinquance.
00:39:16 Quand on reprend les différents textes depuis une vingtaine d'années
00:39:19 qui essaient de cadrer ces objectifs de prévention de la délinquance,
00:39:21 la question émeutière n'est pas présente, en tout cas pas directement.
00:39:24 Et dans la politique de la ville, finalement,
00:39:27 la politique de la ville est vue plutôt comme une sorte de correctif social
00:39:30 qui permettrait de prévenir de nouveaux mouvements.
00:39:33 On voit bien que tout ça reste malgré tout difficile,
00:39:36 et pour produire des effets.
00:39:39 Et ça, ça renvoie aussi à des enjeux d'évaluation,
00:39:41 pas seulement national, mais aussi local, et d'animation,
00:39:44 de la manière dont on anime et on met en œuvre ces dispositifs locales,
00:39:47 avec sans doute des enjeux de débureaucratisation
00:39:50 de cette politique de la ville et de ces dispositifs,
00:39:52 qui sont très nombreux et qui rendent finalement les choses assez lisibles,
00:39:56 illisibles, pardon, en termes de contrat social.
00:39:58 Donc il y a peut-être un travail sur la manière dont l'État,
00:40:01 finalement, principalement, en lien avec les collectivités locales,
00:40:05 définit ces politiques et les anime.
00:40:08 Merci beaucoup.
00:40:10 Merci, M. Domingo, merci beaucoup.
00:40:12 On va donner la parole à M. François Dubé.
00:40:15 Alors c'est pareil, est-ce que je le vois ?
00:40:18 Je ne le vois plus.
00:40:20 Je ne sais pas, moi je vous vois, je vous entends.
00:40:26 Bien, parfait.
00:40:27 Écoutez, M. Dubé, vous avez la parole.
00:40:29 Bien, alors, comme ça a déjà été évoqué,
00:40:35 j'ai le triste privilège de l'âge,
00:40:37 c'est-à-dire d'avoir étudié les émeutes du début des années 80.
00:40:41 Et je crois qu'il faut d'abord un peu comprendre
00:40:46 que c'est à la fois des révoltes quant à leur signification
00:40:49 et des émeutes par leur mode d'action.
00:40:51 Après tout, une révolte contre des injustices vécues
00:40:54 pourrait donner lieu à des manifestations, des grèves,
00:40:57 autre chose que des émeutes.
00:40:59 Mais le vocabulaire lui-même nous met dans une sorte d'incertitude.
00:41:03 Alors, moi, ce qui me frappe, c'est quand même la répétition.
00:41:07 Je veux dire que c'est la répétition sur le sentiment
00:41:11 de discrimination, d'injustice, de chômage, de mise à l'écart, etc.
00:41:15 Ce sont des choses extrêmement connues.
00:41:18 C'est le déclenchement quasi automatique ou quasi régulier
00:41:24 par une confrontation avec la police.
00:41:27 C'est la disparition des acteurs locaux.
00:41:30 C'est très spectaculaire et ça date depuis les années 80,
00:41:32 c'est-à-dire que le maire disparaît,
00:41:35 les travailleurs sociaux disparaissent,
00:41:38 les enseignants disparaissent, il n'y a plus rien.
00:41:41 C'est un vide politique qui s'installe.
00:41:45 C'est la répression, c'est le retour au calme,
00:41:48 c'est les réactions politiques assez convenues.
00:41:51 Les uns disent que c'est d'abord une révolte,
00:41:54 donc c'est un problème de justice sociale.
00:41:57 Les autres disent que c'est d'abord un problème de maintien de l'ordre,
00:42:00 donc un problème de police.
00:42:02 Et je partage ce qui a été dit,
00:42:04 c'est-à-dire qu'on a été plus habile pour faire des politiques de la ville
00:42:07 que pour réformer l'action policière.
00:42:09 Je ferme cette parenthèse depuis une quarantaine d'années.
00:42:12 Alors évidemment, chaque fois qu'il y a des émeutes,
00:42:16 on explique que ce n'est pas comme la dernière fois,
00:42:18 mais c'est en réalité assez proche.
00:42:21 Ce qui a changé a déjà été souligné,
00:42:24 c'est-à-dire que par la grâce des réseaux sociaux,
00:42:27 il y a un phénomène traîné de poudre
00:42:30 qui est extrêmement spectaculaire.
00:42:32 Dans la dernière émeute, on a vu des villes toutes petites
00:42:35 dans lesquelles on n'imaginait pas qu'il y aurait des émeutes,
00:42:38 dans lesquelles les jeunes sont entrés dans des sortes de jeux de concurrence
00:42:41 avec d'autres, parce que tout ça était sur la toile.
00:42:47 Je crois que la grande caractéristique,
00:42:49 c'est tout au fond que la seule émeute qui a créé un mouvement,
00:42:54 ça a été aujourd'hui le 40e anniversaire,
00:42:57 ça a été la marche pour l'égalité contre le racisme,
00:43:00 parce qu'il y avait des acteurs locaux,
00:43:02 parce qu'il y avait des travailleurs sociaux,
00:43:03 parce qu'il y avait un curé,
00:43:05 parce qu'il y avait une oreille politique.
00:43:09 Le destin de cette marche est une autre affaire,
00:43:12 mais en tout cas, on était dans une logique démocratique
00:43:15 où une révolte se transformait en mouvement social,
00:43:19 en revendication.
00:43:21 Ce qui me paraît caractéristique, évidemment,
00:43:24 et au fond le plus tragique,
00:43:26 c'est que cet embrayage qui passe du sentiment d'injustice et de révolte
00:43:31 à l'action organisée, politique, revendicative,
00:43:34 qui est quand même au cœur des mécanismes démocratiques.
00:43:37 La démocratie, ça consiste à transformer des révoltes en revendications,
00:43:41 et donc à pacifier la vie sociale.
00:43:43 Là, c'est quelque chose qui, de toute évidence, patine depuis des années.
00:43:49 Je crois même que c'est de pire en pire,
00:43:51 parce qu'au fond, ces émeutes sont de plus en plus le prétexte
00:43:56 à des interprétations exogènes.
00:43:58 C'est l'immigration, c'est l'envahissement,
00:44:00 c'est le capitalisme, c'est le néo-capitalisme.
00:44:03 Et au fond, personne n'écoute les gens.
00:44:05 C'est ça qui me frappe.
00:44:07 Personne, au fond, ça a déjà été dit,
00:44:12 on n'entend jamais les habitants de ces quartiers
00:44:14 qui sont des problèmes sociaux,
00:44:16 qui ne sont pas des acteurs sociaux.
00:44:18 Donc je crois que ce qu'il y a de plus pénible,
00:44:22 au fond, c'est la répétition de ce genre d'affaires,
00:44:26 et au fond, son extension.
00:44:28 Alors, qu'est-ce qui s'est passé ?
00:44:32 Je crois que la France a été dans une situation paradoxale
00:44:35 depuis une trentaine d'années.
00:44:38 Il y a eu des politiques de la ville
00:44:40 qui n'ont pas été inefficaces.
00:44:44 Ça n'a pas été rien.
00:44:45 Je veux dire que dans ma bonne ville de Bordeaux,
00:44:48 j'ai vu des quartiers se transformer,
00:44:50 être plus vivables.
00:44:52 On a créé des trams, des bus,
00:44:54 on a mis des équipements.
00:44:56 Ça n'est pas...
00:44:57 Et ça a beaucoup frappé,
00:44:59 j'y reviendrai,
00:45:00 les journalistes étrangers qui m'ont interrogé,
00:45:03 qui étaient très surpris par là.
00:45:06 Alors je vais employer avec tous les guillemets du monde,
00:45:09 mais par la qualité du bâti d'un certain nombre de banlieues
00:45:12 qui s'enflamment et qui disent
00:45:14 "je comprends pas".
00:45:15 On ne comprend pas vraiment pourquoi
00:45:18 dans ces endroits qui sont au fond
00:45:20 plus du tout des grands taux d'urban,
00:45:23 on a des révolts.
00:45:25 Je crois que ce qui a été la faiblesse de ces politiques,
00:45:29 c'est que ces politiques-là n'ont pas affecté
00:45:33 un mécanisme
00:45:35 que je crois qu'on peut définir de la manière suivante.
00:45:39 C'est qu'au fond dans ces quartiers,
00:45:42 tous ceux qui s'en sortent,
00:45:44 et beaucoup s'en sortent de ces quartiers,
00:45:47 s'en vont, les fuient.
00:45:48 Il y a une mobilité sociale
00:45:50 et cette mobilité sociale joue contre le quartier.
00:45:53 Au fond, j'y reviendrai,
00:45:56 quand on regarde ce qu'étaient les banlieues populaires,
00:46:00 les grands ensembles, les banlieues rouges
00:46:03 qui ont existé jusqu'au début des années 80,
00:46:06 il y avait des classes moyennes.
00:46:07 Les enseignants vivaient là,
00:46:09 les travailleurs sociaux vivaient là,
00:46:10 les jeunes ménages en mobilité vivaient là.
00:46:13 Alors, évidemment,
00:46:15 il y avait de la distance sociale entre les habitants,
00:46:18 mais c'est ce qu'on appelle la mixité.
00:46:20 Il y avait des travailleurs bien installés,
00:46:24 des classes moyennes, etc.
00:46:26 Aujourd'hui, le mécanisme de peuplement des quartiers
00:46:29 est un mécanisme qui fait que
00:46:31 tous ceux qui s'en sortent, s'en vont,
00:46:34 sont remplacés par des gens de plus en plus pauvres
00:46:38 et qui viennent de plus en plus loin.
00:46:40 Et donc, vous avez une sorte de paradoxe
00:46:42 entre une action sur le cadre
00:46:44 qui est loin d'être insignifiante
00:46:47 et une incapacité d'agir sur un peuplement
00:46:52 qui fait que ça s'appauvrit
00:46:54 et que c'est de plus en plus
00:46:56 un monde éloigné, immigré, étranger.
00:47:00 Bon.
00:47:02 Ça, c'est évidemment un mécanisme
00:47:04 qui accentue considérablement
00:47:06 le sentiment de marginalisation, d'exclusion,
00:47:12 puisque de la mobilité des uns
00:47:16 découle l'enfermement des autres.
00:47:18 Vous avez même comme ça.
00:47:20 Il y a un mot en France
00:47:22 qu'on a beaucoup de mal à utiliser
00:47:24 qui est le mot « ghetto ».
00:47:26 Alors, il est évident que si on compare
00:47:32 les quartiers français aux grands ghettos
00:47:34 du sud de Chicago, etc.,
00:47:38 c'est pas comparable.
00:47:40 Mais quand même, si les quartiers
00:47:42 ne sont pas des ghettos,
00:47:43 il y a des mécanismes de ghetto dans le quartier.
00:47:45 C'est-à-dire que, ça c'est ce qui me frappe
00:47:48 sur l'observation des quartiers
00:47:50 que j'ai bien connus
00:47:51 et dans lesquels je continue d'aller,
00:47:53 c'est que ces quartiers se sont enfermés.
00:47:55 Ces quartiers ont été enfermés
00:47:57 ou exclus, on pourrait dire,
00:47:59 par les politiques de peuplement.
00:48:01 Enfin, pas par les politiques,
00:48:02 par les mécanismes de peuplement,
00:48:04 de plus en plus pauvres, de plus en plus...
00:48:07 Il suffit de regarder d'ailleurs
00:48:09 l'évolution des indices de position sociale
00:48:11 des collèges pour voir que l'écart se creuse
00:48:14 avec le reste de la ville.
00:48:18 Et on sait tous,
00:48:20 quand on est sociologue,
00:48:21 et c'est très désagréable,
00:48:22 que quand le ghetto est fortement
00:48:24 constitué du dehors,
00:48:26 par l'exclusion, le stigmate,
00:48:28 la mise à l'écart, etc.,
00:48:30 il finit par se construire du dedans.
00:48:33 Et il y a quand même beaucoup de travaux
00:48:36 qui montrent que le ghetto devient,
00:48:40 au fond, une forme de vie collective.
00:48:42 On est entre soi,
00:48:44 on contrôle,
00:48:45 il y a beaucoup d'enquêtes
00:48:46 qui ont été faites là-dessus,
00:48:47 on finit par contrôler l'espace,
00:48:49 par contrôler les filles,
00:48:51 par se surveiller,
00:48:54 par faire que le jeu des réputations
00:48:56 vous enferme.
00:48:57 Et donc, d'une certaine manière,
00:49:00 le quartier est à la fois
00:49:02 ce qui vous exclut,
00:49:03 mais en même temps ce qui peut,
00:49:05 en tout cas chez les jeunes,
00:49:06 vous donner une identité
00:49:08 par des mécanismes de renversement,
00:49:11 de fierté, voilà.
00:49:14 Et d'ailleurs,
00:49:15 quand le ghetto est extrêmement constitué,
00:49:18 on peut observer que
00:49:20 le développement des trafics
00:49:22 procède du ghetto
00:49:25 et je dirais, l'organise.
00:49:28 Alors, il ne s'agit pas de donner dans la littérature
00:49:31 des romans noirs,
00:49:33 des romans,
00:49:34 disons dans les films de Scorsese,
00:49:36 on n'en est peut-être pas là.
00:49:38 Mais des élus marseillais
00:49:40 me faisaient remarquer
00:49:41 que dans les quartiers
00:49:42 les plus ségrégés de la ville,
00:49:43 il n'y avait pas d'émeute.
00:49:45 Parce que la logique du trafic
00:49:46 fait qu'on ne souhaite pas vraiment
00:49:48 qu'il y ait des émeutes.
00:49:49 Donc, d'une certaine manière,
00:49:50 vous avez un renfermement.
00:49:54 Et au fond,
00:49:55 moi j'ai beaucoup étudié
00:49:57 le système scolaire,
00:49:58 il y a un moment où vous êtes victime
00:50:00 de l'échec scolaire,
00:50:01 il y a un moment où au fond,
00:50:03 l'échec scolaire devient votre identité
00:50:05 contre l'école.
00:50:06 Ça, ça a été très bien étudié,
00:50:08 je le signale, aux États-Unis,
00:50:10 dans des comparaisons
00:50:11 qui ont été faites il y a assez longtemps
00:50:13 entre les migrants volontaires,
00:50:16 c'est-à-dire les gens qui venaient aux États-Unis,
00:50:18 pour y vivre et pour s'y installer,
00:50:20 et dont les enfants réussissaient
00:50:22 assez bien à l'école,
00:50:23 alors qu'ils venaient de très loin,
00:50:25 alors que les minorités involontaires,
00:50:28 c'est-à-dire les afro-américains,
00:50:31 installés là depuis longtemps,
00:50:33 stigmatisés, enfermés,
00:50:34 avaient des résultats scolaires plus faibles
00:50:36 parce qu'ils ne croyaient pas à l'école
00:50:38 et parce que l'école ne croyait pas
00:50:39 qu'ils pourraient y réussir.
00:50:41 Donc, d'une certaine manière,
00:50:43 vous avez des...
00:50:47 il faut regarder ça, je crois, un peu en face,
00:50:49 des moments où le quartier
00:50:51 finit par s'enfermer sur lui-même,
00:50:54 en tout cas, pas tous les habitants du quartier,
00:50:56 bien évidemment,
00:50:57 mais dans une large mesure,
00:51:00 dans une large mesure, les jeunes.
00:51:02 Et moi, qui suis beaucoup intéressé
00:51:04 aux problèmes scolaires,
00:51:06 on le voit très bien à l'école.
00:51:07 Vous avez, aujourd'hui, y compris
00:51:10 dans ces quartiers,
00:51:11 des mécanismes de fuite
00:51:13 de l'école du quartier,
00:51:15 du collège du quartier,
00:51:16 par ceux qui le peuvent,
00:51:17 où les gens vous disent
00:51:18 "je suis déjà enfermé dans le quartier,
00:51:20 je ne souhaite pas être enfermé
00:51:22 dans le collège du quartier,
00:51:23 donc je vais aller à côté
00:51:25 et donc je vais fabriquer le ghetto
00:51:28 d'une certaine manière,
00:51:29 donc je suis victime".
00:51:30 Enfin, je crois qu'il faut bien comprendre
00:51:33 la force de ces mécanismes
00:51:35 parce qu'il ne sera pas facile
00:51:38 de les contrer,
00:51:42 mais chacun d'entre nous connaît
00:51:44 une ville dans laquelle
00:51:45 il y a au moins un ou deux quartiers,
00:51:47 il ne s'agit pas forcément
00:51:48 d'une très grande ville,
00:51:49 qui est complètement dans cette logique
00:51:52 d'exclusion radicale
00:51:54 et d'auto-enfermement,
00:51:56 en tout cas, des jeunes du quartier.
00:52:00 Ça, je crois que c'est
00:52:03 le grand problème que nous avons,
00:52:05 c'est qu'au fond, nos politiques urbaines
00:52:07 n'ont pas pesé sur le peuplement
00:52:13 des quartiers,
00:52:16 et la mobilité sociale
00:52:17 que nous désirons tous
00:52:19 joue plutôt contre ces quartiers
00:52:21 dans lesquels, j'y reviendrai,
00:52:23 vous ne trouvez plus
00:52:25 d'enseignants qui y vivent,
00:52:26 de travailleurs sociaux qui y vivent,
00:52:28 de militants qui y vivent,
00:52:30 tous ces acteurs
00:52:32 qui étaient les vecteurs
00:52:33 d'une transformation de la révolte
00:52:35 en revendication,
00:52:36 qui avaient une capacité politique,
00:52:38 ont disparu.
00:52:39 Dans beaucoup d'endroits
00:52:41 où je suis allé,
00:52:42 les gens vous disent
00:52:43 "c'est le collège des Français",
00:52:46 parce que les enseignants sont français,
00:52:49 de leur point de vue,
00:52:50 eux aussi le sont,
00:52:51 ne vivent pas dans le quartier,
00:52:53 ne sont pas là,
00:52:54 et d'une certaine manière,
00:52:55 en dépit de leur enthousiasme
00:52:56 et de leur bonne volonté,
00:52:57 ils sont perçus par les jeunes
00:53:00 comme des acteurs extérieurs.
00:53:02 Ça a été dit tout à l'heure très bien
00:53:04 sur les incendies de bibliothèques,
00:53:06 ce n'est plus notre bibliothèque,
00:53:07 c'est celle qu'on nous a imposée
00:53:11 d'une certaine façon.
00:53:13 Je me suis beaucoup intéressé,
00:53:16 enfin je me suis demandé
00:53:17 pourquoi la France avait des émeutes
00:53:19 et que beaucoup de nos pays voisins
00:53:21 n'en avaient pas.
00:53:23 Or, quand on regarde
00:53:24 les indicateurs généraux d'inégalité sociale
00:53:27 et d'inégalité urbaine,
00:53:29 un grand nombre de pays qui nous entourent
00:53:31 ont des inégalités sociales
00:53:33 plus fortes que les nôtres
00:53:34 et des inégalités urbaines
00:53:35 qui ne sont pas tellement plus faibles.
00:53:37 Or, il n'y a pas vraiment d'émeute,
00:53:41 et ça,
00:53:42 quand il y a eu
00:53:43 aux dernières émeutes de juillet de cette année,
00:53:46 beaucoup de journalistes américains,
00:53:48 anglais, allemands,
00:53:50 se posaient la question
00:53:51 « Mais pourquoi chez vous
00:53:52 il y a ce phénomène qui ne se…
00:53:55 qui… au fond que l'on ignore,
00:53:57 même si évidemment
00:53:58 on a des violences juvéniles,
00:54:01 des bagarres,
00:54:02 de la délinquance,
00:54:03 des trafics, etc.
00:54:04 mais la révolte et les meutes n'existent pas. »
00:54:08 Alors, je me suis intéressé
00:54:10 à une comparaison
00:54:11 de la France et de l'Allemagne.
00:54:13 Alors, pourquoi
00:54:16 il y a une grande communauté turque en Allemagne
00:54:18 qui est marginalisée,
00:54:19 qui est exclue,
00:54:20 qui est victime de racisme, etc.
00:54:23 Et pourquoi il n'y a pas d'émeute là
00:54:24 et pourquoi nous en avons chez nous ?
00:54:27 Alors, la réponse à cette question
00:54:28 est quand même un peu troublante.
00:54:31 C'est qu'au fond, chez nous,
00:54:34 en France,
00:54:36 les gens qui vivent dans ces quartiers,
00:54:38 qui sont souvent des gens immigrés,
00:54:40 enfants d'immigrés
00:54:41 depuis plusieurs générations,
00:54:42 mais toujours vus comme des immigrés,
00:54:45 sont en réalité
00:54:46 assez fortement assimilés
00:54:48 à l'identité, à la culture française.
00:54:51 Au fond, l'héritage colonial,
00:54:53 c'est qu'ils doivent devenir des Français
00:54:55 comme les autres,
00:54:56 ce qui est très bien.
00:54:57 L'héritage colonial moins sympathique,
00:54:59 c'est qu'ils héritent d'un vieux...
00:55:02 de vieilles traditions racistes aussi.
00:55:04 Mais en tout cas,
00:55:05 ils sont beaucoup plus assimilés
00:55:06 par l'école, par les politiques publiques.
00:55:09 Ce sont des gens qui seront des Français
00:55:12 comme les autres à un moment donné.
00:55:14 Et en même temps,
00:55:15 ce sont des...
00:55:16 ces groupes-là sont beaucoup plus exclus
00:55:18 économiquement que les autres.
00:55:21 Si on regarde le cas de l'Allemagne,
00:55:24 et je voudrais bien me faire comprendre,
00:55:26 je ne souhaite pas
00:55:27 que nous devenions Allemands pour autant,
00:55:30 mais il va de soi que les Turcs en Allemagne
00:55:34 sont beaucoup plus intégrés
00:55:37 économiquement que ne le sont
00:55:38 les immigrés français
00:55:40 par un système de formation scolaire duel
00:55:43 qui est très centré sur les entreprises, etc.
00:55:47 Et en même temps,
00:55:48 que ça reste une communauté turque
00:55:52 très largement auto-organisée,
00:55:54 très largement tournée vers la Turquie,
00:55:56 que personne n'imagine
00:55:58 qu'ils deviendront des Allemands,
00:56:00 comme les autres,
00:56:01 d'ailleurs ils n'ont pas le droit de vote
00:56:02 et ils ne pourront pas le devenir,
00:56:04 et eux-mêmes ne souhaitent pas,
00:56:06 pour la plupart d'entre eux,
00:56:07 devenir Allemands.
00:56:08 Donc vous avez d'un côté
00:56:09 une société qui assimile culturellement
00:56:12 et qui exclut socialement,
00:56:15 ça serait plutôt nous,
00:56:17 et ça rend fou d'une certaine façon,
00:56:20 et vous avez de l'autre côté
00:56:21 une société,
00:56:22 parce que ces traditions nationales
00:56:25 entre nous pas toujours sympathiques,
00:56:27 font qu'on n'envisage pas
00:56:29 d'assimiler les communautés turques,
00:56:32 alors qu'on va tout faire
00:56:33 pour assimiler des Allemands
00:56:34 qui viennent du Caucase,
00:56:37 mais qui sont ethniquement
00:56:40 vus comme des Allemands,
00:56:41 mais qui sont économiquement,
00:56:43 qui ont une place
00:56:44 qui était au fond celle
00:56:45 qu'avaient les travailleurs immigrés
00:56:46 dans la France de la société industrielle,
00:56:49 ils étaient maltraités,
00:56:50 mais ils avaient une place
00:56:51 dans les grandes usines, etc.
00:56:52 Donc, je crois que nous sommes
00:56:54 dans ce paradoxe aujourd'hui,
00:56:56 et que la crise des banlieues,
00:56:58 de mon point de vue,
00:56:59 est à la fois une crise sociale,
00:57:00 mais ce que j'ai dit
00:57:01 est d'une grande banalité,
00:57:04 mais fondamentalement
00:57:05 c'est une crise démocratique.
00:57:06 Je répète,
00:57:07 quand on regarde l'histoire
00:57:09 des démocraties,
00:57:11 c'est la capacité de transformer
00:57:14 des émeutes en revendications,
00:57:16 c'est la capacité de transformer
00:57:18 des classes dangereuses
00:57:19 en classes laborieuses,
00:57:20 c'est la capacité de faire entrer
00:57:22 dans un système des gens
00:57:24 qui n'y sont pas.
00:57:26 Or, je crois que cette capacité-là,
00:57:28 elle est aujourd'hui extrêmement faible.
00:57:32 Ça a déjà été dit de mille manières,
00:57:35 mais je crois qu'elle est faible
00:57:37 parce que les quartiers
00:57:38 se sont tellement fermés sur eux-mêmes
00:57:41 que ni les acteurs,
00:57:43 je dirais de l'État,
00:57:45 les enseignants,
00:57:46 les travailleurs sociaux,
00:57:47 les militants, etc.,
00:57:48 ne vivent dans ces quartiers.
00:57:50 Ils y travaillent,
00:57:51 mais ils n'en sont plus.
00:57:53 Et donc, ils sont perçus
00:57:55 comme venant du dehors,
00:57:58 que les gens de ces quartiers
00:58:00 qui réussissent
00:58:01 et qui rentrent dans ces professions,
00:58:02 eux aussi quittent les quartiers.
00:58:05 Donc, d'une certaine manière,
00:58:06 il n'y a plus de vecteur.
00:58:09 Moi, je me souviens avoir fait
00:58:10 des entretiens avec des enseignants
00:58:13 me disant, moi, je ne veux pas vivre là
00:58:15 pour un tas de raisons,
00:58:16 mais en particulier
00:58:17 parce que je n'ai pas envie
00:58:18 de rencontrer les parents d'élèves
00:58:20 sur le marché.
00:58:22 Alors que la tradition,
00:58:24 c'était que j'allais bien finir
00:58:26 par les rencontrer sur le marché.
00:58:28 Donc, je crois que là,
00:58:30 ce sont des choses qui sont creusées.
00:58:32 L'école ne tient pas ses promesses
00:58:36 et donc, elle est l'objet
00:58:38 d'un ressentiment considérable
00:58:39 puisque, au fond,
00:58:41 l'école française ne cesse de dire aux élèves
00:58:43 que tu n'as qu'une manière
00:58:45 de t'en sortir, c'est l'école.
00:58:47 Et comme tu n'es pas bon,
00:58:48 tu ne t'en sortiras pas.
00:58:50 On voit se développer,
00:58:52 pas simplement de l'échec scolaire,
00:58:54 ce qui est un problème aujourd'hui
00:58:56 avec les données PISA,
00:58:59 mais on voit se développer
00:59:00 du refus scolaire,
00:59:02 du rejet de l'école,
00:59:03 puisque d'une certaine manière,
00:59:04 on sauve sa dignité
00:59:06 en l'échoant à l'école.
00:59:09 Les habitants des quartiers
00:59:11 qu'on a vus pendant les émeutes
00:59:13 le disent très nettement,
00:59:14 ils disent, nous sommes l'objet
00:59:15 de politiques publiques,
00:59:17 nous ne sommes jamais les acteurs
00:59:18 des politiques publiques,
00:59:19 c'est-à-dire que
00:59:21 ce sont des choses extrêmement simples.
00:59:22 Ils vous disent, on a construit
00:59:23 tel équipement,
00:59:25 on ne nous a jamais demandé notre avis,
00:59:27 on a mis en place
00:59:28 cette dispositif,
00:59:30 nous n'avons jamais eu
00:59:31 à dire notre mot sur ce dispositif.
00:59:33 Donc, d'une certaine manière,
00:59:35 on fabrique des communautés,
00:59:40 exclues,
00:59:41 mais la parole
00:59:43 de ces communautés,
00:59:44 on ne peut pas l'entendre
00:59:45 parce qu'elle est communautaire.
00:59:47 Je veux dire que,
00:59:49 je vais dire les choses
00:59:50 de manière brutale,
00:59:51 si vous mettez dans le même quartier
00:59:53 des gens pauvres
00:59:54 qui croient à la même religion
00:59:55 et qui s'identifient à cette religion
00:59:57 pour sauver leur dignité
00:59:58 que vous leur disiez,
01:00:00 vous ne pouvez pas parler
01:00:01 au nom de cette religion
01:00:03 parce qu'elle brise
01:00:05 l'universalisme républicain,
01:00:08 d'abord vous fabriquez du radicalisme
01:00:10 et vous le rendez fou.
01:00:14 Les Allemands avec les Turcs
01:00:15 ont pas ce problème
01:00:16 puisque les Turcs s'intéressent
01:00:17 à la Turquie
01:00:18 et ont des problèmes religieux
01:00:20 liés à la Turquie
01:00:21 plus qu'à l'Allemagne.
01:00:22 Mais vous comprenez bien
01:00:23 qu'on ne pourra pas,
01:00:25 à mon avis,
01:00:26 l'enjeu essentiel aujourd'hui,
01:00:27 c'est de refabriquer,
01:00:29 alors ça fait très langue de bois,
01:00:31 mais un minimum de mixité sociale
01:00:33 dans ces quartiers,
01:00:34 ça me paraît tout à fait essentiel,
01:00:36 de trouver des voies
01:00:37 de mobilité sociale
01:00:39 qui font que les gens
01:00:40 restent dans le quartier
01:00:42 et ne fuient pas
01:00:44 dès qu'ils sont sortis du ghetto
01:00:48 et je crois que c'est notre capacité politique
01:00:51 qui est interrogée
01:00:53 à travers ces émeutes.
01:00:57 Je crois évidemment,
01:00:59 mais c'est un autre débat,
01:01:01 qu'il faudra bien un jour
01:01:02 redéfinir les formes d'intervention
01:01:04 de la police
01:01:05 dont les policiers et les jeunes
01:01:06 sont les uns et les autres
01:01:08 des victimes.
01:01:10 Il y a quand même une singularité française
01:01:12 dans la gestion de l'ordre public
01:01:13 qui devrait nous interroger.
01:01:15 C'est en tout cas, là aussi,
01:01:17 ce que montrent les comparaisons
01:01:19 internationales.
01:01:21 Je vous remercie.
01:01:23 Merci.
01:01:25 Pardon.
01:01:27 Deux collègues sont présents avec moi,
01:01:29 y a-t-il des questions ?
01:01:31 Madame Narassilien,
01:01:34 alors vous avez la parole.
01:01:36 Merci monsieur le Président.
01:01:37 Merci à vous quatre,
01:01:39 vraiment, pour vos apports,
01:01:42 vos réflexions, vos analyses,
01:01:44 qui sont, je crois,
01:01:46 quand même assez largement convergentes.
01:01:49 Je m'interrogeais,
01:01:53 alors je ne sais pas plus directement
01:01:56 à qui il faut poser la question,
01:01:58 justement, parce que c'est quand même
01:01:59 assez convergent.
01:02:01 Il y a une,
01:02:03 tout de même une petite contradiction
01:02:08 dans le sens où
01:02:10 il y a une question qui se pose
01:02:13 par rapport à ce que vous dites là, aujourd'hui,
01:02:16 et ce que nous, on a entendu
01:02:17 dans des auditions précédentes,
01:02:19 sur le fait que, finalement,
01:02:22 mise à part, d'abord à Nanterre
01:02:24 et puis un peu en Ile-de-France,
01:02:26 l'élément déclencheur de la mort de Naël
01:02:29 a été finalement une motivation
01:02:31 assez faible,
01:02:33 et qu'en réalité, on est très vite tombés
01:02:36 dans des émeutes qui n'avaient pas
01:02:39 de sens ou de revendications politiques
01:02:42 qu'on pouvait identifier.
01:02:45 Alors, vous ne nous dites pas non plus
01:02:47 clairement que ce ne sont pas
01:02:48 des revendications politiques identifiées,
01:02:50 mais enfin, vous avez une analyse
01:02:52 qui, quand même, montre bien que,
01:02:55 même si il n'y a pas de revendications politiques verbalisées,
01:02:59 il n'y a pas d'organisation politique,
01:03:01 qu'il y a quand même des sources très politiques
01:03:04 à ces émeutes, finalement.
01:03:09 Et que, donc, on ne peut pas simplement
01:03:13 les résumer à une forme de nihilisme
01:03:16 ou à une simple volonté d'en profiter
01:03:21 pour piller des magasins et revendre,
01:03:25 et donc dans une logique un peu consumériste.
01:03:27 Même ça aussi, finalement, c'est un acte social
01:03:30 et donc aussi politique.
01:03:33 Donc j'aimerais peut-être avoir un peu vos réactions
01:03:37 sur peut-être ces premières analyses qu'on a eues
01:03:41 qui ont tendance peut-être à être obnubulées
01:03:44 par le niveau de la violence,
01:03:45 qui est effectivement assez frappant
01:03:49 et qui nous a été décrite de manière
01:03:53 très saisissante par les policiers,
01:03:55 qu'on a entendu, et le policier légendarme,
01:03:57 qu'on a entendu hier notamment,
01:03:59 et où on a eu un niveau de violence
01:04:02 beaucoup plus élevé, je crois,
01:04:04 que ce qu'on avait pu voir auparavant.
01:04:06 Mais finalement aussi peut-être,
01:04:12 parce qu'il y a eu de la violence au moment des Gilets jaunes,
01:04:14 il y a eu de la violence dans les manifestations
01:04:16 dans les Outre-mer qu'il y avait eues auparavant,
01:04:18 il y a eu de la violence un peu autour
01:04:21 des manifestations retraites, même si c'était moindre,
01:04:24 ce qui veut dire que c'est une violence
01:04:25 qui n'est pas spécifique à ces quartiers populaires,
01:04:28 et que c'est peut-être plus un contexte plus général.
01:04:32 Et donc, quelle est peut-être
01:04:40 l'interprétation politique qu'on doit essayer
01:04:43 de faire beaucoup plus fortement de ça,
01:04:45 malgré le fait qu'il y a une forme
01:04:49 qui donne l'impression comme ça, de prime abord,
01:04:51 de nihilisme et simplement de consumérisme
01:04:54 qui peut être facilement balayé,
01:04:59 un peu trop facilement parfois, balayé d'un verre de main.
01:05:01 Merci. Monsieur Rogel.
01:05:03 Oui, vous avez dit le mot "il faudrait déspécialiser".
01:05:12 Vous, monsieur, vous avez parlé du ghetto
01:05:16 qu'on était en train de fabriquer,
01:05:17 en diminuant la mixité.
01:05:19 Je me demande si nos politiques publiques
01:05:22 ne sont pas allées à l'encontre finalement de l'objectif,
01:05:26 puisque la politique de la ville conduit
01:05:28 à spécialiser de plus en plus les quartiers.
01:05:31 Le fait que les maires n'aient pas la main
01:05:39 sur le peuplement fait qu'on ne peut pas agir
01:05:43 dans le sens de la mixité sociale.
01:05:45 Moi, j'ai des quartiers qui se sont ghettoisés.
01:05:48 J'ai bien compris aussi que les institutions
01:05:53 ne sont pas les institutions qui viennent des quartiers,
01:05:56 mais les médiathèques qu'on jette dans les quartiers.
01:06:00 Et donc, ce n'est pas les leurs.
01:06:03 Quelles sont selon vous les incidences,
01:06:07 votre constat conduit à un certain nombre
01:06:12 de conclusions institutionnelles ?
01:06:14 Qu'est-ce qu'il faudrait changer dans nos politiques publiques
01:06:16 pour arriver à un résultat plus acceptable ?
01:06:18 Parce qu'on a mis énormément d'argent,
01:06:20 on a refait ces quartiers.
01:06:22 Moi, j'ai reconstruit des quartiers entiers dans ma ville.
01:06:24 Et finalement, ça n'a absolument pas amélioré la situation.
01:06:28 Vous avez beaucoup parlé des médiathèques,
01:06:30 mais aussi toutes les cantines scolaires,
01:06:32 les cantines scolaires de leurs propres écoles
01:06:34 qui ont été brûlées.
01:06:36 Donc, est-ce que vous pourriez,
01:06:39 à partir du constat que vous avez fait,
01:06:42 nous dire un peu ce qu'il faudrait qu'on change
01:06:44 pour que nos politiques publiques
01:06:46 arrivent à un résultat plus efficace ?
01:06:48 Parce que, à la limite, les gens disent
01:06:50 que c'est beaucoup d'argent jeté par la fenêtre, en fait.
01:06:53 Bien, vous avez une minute ?
01:06:57 J'exagère.
01:06:59 Monsieur Merkel peut-être ?
01:07:00 Ou Monsieur Jardin ?
01:07:02 Signalez-vous pour prendre la parole, il n'y a pas de problème.
01:07:04 Alors, pour dire les choses de manière très rapide,
01:07:11 on a parlé des constats paradoxaux,
01:07:17 des espèces de contradictions qu'on observe.
01:07:20 Ce qui est clair, c'est que, dans tout ce qui est devant nous,
01:07:24 rien n'est une évoque.
01:07:26 Je prends la question que rien n'évoque dans un sens clair.
01:07:31 Et donc, pour reprendre la question que vous posiez,
01:07:36 d'une certaine façon, comme l'a dit François Dubé,
01:07:38 effectivement, on peut dire, par exemple,
01:07:41 si au lieu d'avoir une mobilisation ou une réaction des jeunes,
01:07:45 que s'était-il passé si c'était des mères, des mamans ?
01:07:51 On a, par exemple, à Toulouse, j'ai beaucoup enquêté
01:07:54 sur une association dans le quartier des Isards,
01:07:56 ce sont des mamans qui se mobilisent pour défendre les adolescents
01:08:00 suite aux violences liées au narcotrafic, etc.,
01:08:02 donc qui protègent la vie des adolescents.
01:08:04 On a une protestation d'une autre nature.
01:08:06 Bon. Qu'est-ce qui se passe avec ces autres acteurs
01:08:10 qui ne prennent pas le devant de la scène,
01:08:12 qui ne viennent pas sur le devant de la scène
01:08:14 pour transformer la révolte en revendication,
01:08:18 comme l'a dit François Dubé ?
01:08:20 Mais, de l'autre côté, qu'est-ce que nous avons eu le 27 juin ?
01:08:25 L'image d'un policier qui tue un jeune comme eux,
01:08:29 avec son arme de service, et ça, c'est un fait nouveau,
01:08:34 et donc il y a, on peut dire, et nous serons tous d'accord,
01:08:39 la démocratie est malade, mais la maladie serait,
01:08:46 je dirais, docteur, beaucoup plus grave
01:08:49 si devant ces images, rien ne s'était passé.
01:08:52 Et donc, le fait qu'il y ait eu une révolte généralisée
01:08:58 montre une certaine santé de la citoyenneté.
01:09:03 Ce serait beaucoup plus grave si nous étions dans des situations
01:09:07 comme, par exemple, connaissent le Brésil ou le Mexique,
01:09:10 où la violence est quotidienne, la violence, je dis, des armes à feu,
01:09:13 d'un côté et de l'autre, et qu'il y avait une indifférence généralisée,
01:09:17 c'était intégré à la vie démocratique, la démocratie fonctionne
01:09:20 avec des morts dans la rue ou dans les espaces des quartiers populaires.
01:09:24 En France, ce n'est pas possible.
01:09:26 Il y en a un, et la France s'enflamme, et ça, je dirais, tant mieux.
01:09:30 Je ne m'irais pas, j'aimerais qu'il n'y ait pas des écoles,
01:09:34 des commissariats pour la prise par cible, mais il y a,
01:09:40 ce n'est pas clair, il faut y donner la clarté,
01:09:43 et ça, c'est à la parole politique de la construire, cette clarté.
01:09:48 De l'autre côté, que se passe-t-il avec les institutions ?
01:09:52 Il y a une présence des institutions, et en cela, je me distancie un petit peu,
01:09:57 je comprends parfaitement bien ce que François Dubé dit autour du peuplement,
01:10:01 et c'est exact, mais il y a une présence institutionnelle.
01:10:05 Cette présence institutionnelle est à la fois le salut et le problème.
01:10:11 On le voit à travers l'école, ceux qui s'en sortent à l'école,
01:10:14 hop, tant mieux, mais ils s'en vont, et donc c'est la bonne intervention
01:10:18 de la République, de la démocratie sociale, mais en même temps,
01:10:21 c'est la porte qui s'est fermonnée de tout un tas de gens
01:10:24 pour qui l'avenir sera compromis parce qu'ils ne maîtrisent pas
01:10:27 la grand-mère et l'orthographe. Et donc on dit à ces gens-là,
01:10:30 tu ne sais pas bien écrire, tu n'auras pas un travail digne
01:10:33 d'un avenir prometteur. Et donc on voit bien que cette institution
01:10:37 va cristalliser une situation incroyable.
01:10:43 Si le logement social vous donne des logements de qualité,
01:10:47 tout va bien, et la République vous soutient, mais si les ascenseurs
01:10:50 sont en panne, la même institution qui est la solution à vos problèmes
01:10:54 devient la source des problèmes. Et la même chose se passe
01:10:57 aux urgences de l'hôpital, au contact avec la police, etc.
01:11:00 Les institutions de l'État social dysfonctionnent parce qu'elles
01:11:06 dysfonctionnent en interne, dans leur fonctionnement interne,
01:11:10 mais aussi parce qu'elles n'ont pas la capacité à répondre
01:11:15 aux problèmes sociaux. L'école ne peut pas moduler
01:11:18 le marché du travail. Et donc que le muscle ait perdu sa valeur
01:11:24 dans le marché du travail en France, c'est une question qui échappe
01:11:28 à l'action des instituteurs. Donc on ne peut pas demander
01:11:31 aux institutions de ressourcer tous les problèmes.
01:11:33 Ce sont des situations paradoxales qui ne trouveront pas
01:11:37 de solution facile et évidente sur le plan local.
01:11:42 Je veux dire, quand les bibliothécaires me demandent
01:11:45 "Mais quoi faire de mieux ? Rien de mieux, vous ne pouvez pas
01:11:48 mieux faire." Malheureusement, vous serez confronté à une situation
01:11:53 conflictuelle. La barque sera séquée par les vents qui traversent
01:11:59 ces espaces sociaux, quoi que vous en fassiez. Ce n'est pas
01:12:03 un pessimisme, c'est un constat d'observateur, disons.
01:12:08 C'est malheureux de dire ça à un élu, c'est malheureux de dire ça
01:12:12 au directeur d'une bibliothèque, mais je ne pense pas qu'il n'y ait
01:12:17 rien d'autre à faire que de continuer à faire ce qui est fait.
01:12:22 Alors, Monsieur Jardin.
01:12:25 Quelques points rapidement en complément. Sur la question des origines
01:12:31 des émeutes du nihilisme, ça a été dit, mais je crois que s'il n'y avait pas
01:12:35 eu les images, il n'y aurait pas eu le même impact. Et au-delà des images,
01:12:39 la réaction politique au plus haut niveau de l'État a finalement
01:12:42 souligné l'enjeu et l'importance de ce qui s'était passé à Nanterre.
01:12:46 Et les déclarations par la voix de son avocat du mis en cause ont confirmé
01:12:52 le caractère intentionnel du tir, pas le caractère homicide,
01:12:55 mais le caractère intentionnel. Donc on n'était pas dans une circonstance
01:12:58 d'accident en cas d'espèce. Donc je pense que ça a alimenté une conflictualité
01:13:04 qui n'aurait pas existé autrement. Et je pense qu'on est convaincus
01:13:06 que si on n'avait pas eu ces images, il n'y aurait pas eu des protestations
01:13:09 de cette ampleur. Sur la question des trajectoires des quartiers,
01:13:13 je pense que les trajectoires sont très différentes selon les quartiers.
01:13:15 Il y a des territoires marginalisés qui sont aux portes des grandes métropoles
01:13:19 et qui, elles, connaissent des dynamiques de gentrification
01:13:21 et d'embourgeoisement parce qu'elles bénéficient d'un écosystème
01:13:25 et d'un contexte socio-économique qui permet le développement,
01:13:28 l'arrivée des transports en commun, l'installation d'entreprises.
01:13:30 Et c'est ce qu'on voit notamment en Seine-Saint-Denis,
01:13:32 qui est un territoire qui se différencie très fortement.
01:13:34 Et puis, on a des quartiers marginalisés, de métropoles plus petites
01:13:39 dans des régions plus éloignées des grands pôles urbains,
01:13:41 où là, la marginalité est durable en l'absence, véritablement,
01:13:44 de perspectives de développement structurel de ces territoires.
01:13:47 Donc, je pense qu'un des enjeux essentiels, c'est d'agir peut-être
01:13:49 sur ces territoires qui n'ont pas d'autres ressources que l'action publique
01:13:55 pour bénéficier d'un développement social et économique,
01:13:57 alors que des territoires ont pu capter des dynamiques
01:14:00 liées à l'activité économique générale.
01:14:02 Je pense qu'un point qui passe un peu sous silence,
01:14:04 c'est la question de la démographie de ces quartiers,
01:14:06 qui deviennent des quartiers de plus en plus vieillissants,
01:14:09 qui vont rester des quartiers plus jeunes que le reste de la France,
01:14:11 mais dans lesquels les enjeux du vieillissement et de la transformation
01:14:14 de la structure des familles et des générations sont très importants.
01:14:17 Et c'est quelque chose qui va sans doute modifier leur rapport au politique
01:14:21 et leur rapport aux institutions dans les années qui viennent.
01:14:23 Et peut-être un dernier point sur quelque chose qui est souvent
01:14:26 un peu un impensé ou quelque chose qui est pensé à part,
01:14:29 c'est le fait qu'il y a des entrepreneurs moraux et identitaires
01:14:32 qui cherchent à formuler un discours politique dans ces quartiers,
01:14:35 et ça passe parfois par des structures qui sont liées
01:14:40 aux courants islamistes ou rigoristes,
01:14:42 qui tirent les bénéfices de cette conflictualité avec les institutions
01:14:47 et qui tentent de dire "nous, nous avons la capacité
01:14:50 à générer des institutions locales".
01:14:52 Et un petit travail que nous avons fait avec mon collègue Hugo Micheron
01:14:55 sur les contenus en ligne des organisations salafistes en France,
01:15:01 elle parle beaucoup des émeutes, elle les condamne systématiquement,
01:15:05 elle en parle en termes sociaux et elle s'intéresse aux conditions de vie
01:15:09 dans les quartiers.
01:15:10 Donc il y a des dynamiques qui sont vraiment des logiques d'implantation
01:15:14 idéologiques et politiques qui s'inscrivent dans des espaces interstitiels
01:15:18 et dans des vides pour ces populations parce qu'elles ne sont plus immigrées,
01:15:23 elles ne sont plus forcément ouvrières ou pas dans le monde du travail.
01:15:27 Le quartier n'est pas quelque chose qui produit des propres ressources
01:15:30 d'identification. Le rapport à l'ethnicité n'est pas un rapport légitime
01:15:35 en France pour se construire une identité politique.
01:15:37 Leur religion est un support disponible pour construire une identité politique
01:15:40 et ça se produit dans un certain nombre de territoires
01:15:42 pour une certaine partie de la population.
01:15:45 Merci Monsieur Jardin. Peut-être du côté de Monsieur Domingo,
01:15:48 Monsieur Dubé.
01:15:50 Allez-y Monsieur Domingo.
01:15:57 Je relance mon micro. Bonjour.
01:15:59 Ça marche.
01:16:01 Beaucoup de choses ont déjà été dites.
01:16:03 Moi je pense que souligner Monsieur Dubé sur les contradictions finalement
01:16:08 de l'action publique, ça me paraît au cœur d'un certain nombre
01:16:11 de nos difficultés, c'est-à-dire des injonctions contradictoires
01:16:16 et une parole politique qui pèse.
01:16:19 On a dans un écosystème médiatique qui est lui-même conflictuel
01:16:23 où on parle des quartiers ou des populations des quartiers
01:16:27 sans qu'en effet que les premiers concernés soient relayés.
01:16:33 On a vu aussi pendant ces émeutes des habitants qui se sont mobilisés
01:16:36 pour sauver leurs écoles.
01:16:40 Vous parliez tout à l'heure, un de mes collègues parlait de l'expérience
01:16:43 de maman qui essaie de construire des choses.
01:16:46 Je pense qu'il y a des enjeux où il faut reconstruire du politique
01:16:49 par le bas, retisser du lien social et pas seulement penser
01:16:53 sur le plan purement urbanistique ou dur.
01:16:56 Il faut retisser des formes de liens sociaux, les réinventer peut-être
01:16:59 parce qu'elles se sont peut-être déstructurées au fil des ans.
01:17:02 Donc là il y a un enjeu par le bas qui implique d'ailleurs très directement
01:17:05 à mon avis les collectivités locales, leur capacité avec l'État
01:17:08 à avoir une logique qui aille dans le même sens et sans contradiction.
01:17:14 Et puis il y a peut-être aussi un volet plus sociétal, plus méta
01:17:19 sur la parole publique, sur la manière dont on parle de ces quartiers,
01:17:23 dont on identifie les populations, dont on en parle,
01:17:27 parce que je pense qu'elles sont aussi réceptives à cette forme
01:17:32 de décrochage qui fait qu'ensuite, ça a été aussi dit,
01:17:37 il y a des formes alternatives au-delà de l'émeute qui vont permettre
01:17:40 de construire du politique, du politique sans doute plus ordinaire
01:17:42 mais beaucoup plus concret et qui permet de vivre au jour le jour.
01:17:45 Et donc le religieux est un de ces leviers, mais aussi la marginalisation
01:17:49 parfois est une de ses conséquences.
01:17:52 C'est-à-dire qu'on ne parle plus, il n'y a pas d'émeute,
01:17:54 et là aussi c'est problématique, parce que ça veut dire qu'il y a sûrement
01:17:57 des gens qui s'enferment dans des processus de très grande pauvreté
01:18:00 et avec une incapacité à se mobiliser, même par le biais de la violence.
01:18:05 Donc je pense qu'on a en effet un problème de modèle qui est en tension
01:18:09 parce qu'en plus on est sur une province républicaine, celle de l'école,
01:18:12 mais plus largement une province républicaine qui est très forte en France
01:18:15 et dont les populations, et notamment les populations jeunes,
01:18:18 voient bien que cette promesse a des difficultés à se mettre concrètement en œuvre.
01:18:24 Et donc là on est dans une vraie tension, une tension où l'État finalement
01:18:30 fait beaucoup de choses en France, mais cette action elle est mal perçue
01:18:33 et il y a une forme de désajustement très fort entre ce que font les autorités publiques
01:18:39 et la manière dont cette action est perçue, est appropriée dans ces quartiers.
01:18:46 Donc je pense qu'on a, et c'est là où on rejoue l'enjeu démocratique,
01:18:51 c'est comment on sort de dispositifs pour recréer des formes de démocratie
01:18:56 plus ordinaires dans le cadre de cette politique de la ville,
01:18:59 peut-être avec moins parfois d'argent, mais avec une reconstruction d'un lien social
01:19:04 qui aujourd'hui est à la peine et qui est lié à tous les processus
01:19:08 qui ont pu être exposés précédemment.
01:19:11 Merci M. Domingo, je ne sais pas si M. Dubé veut prendre la parole.
01:19:15 Non, très rapidement, pardonnez-moi, oui très rapidement je voudrais rappeler
01:19:23 qu'il faut admettre à la fois que ce sont des révoltes et que ce sont des émeutes
01:19:29 et que dans l'émeute, on en connaît depuis très longtemps, dans les émeutes
01:19:33 il y a des rationalités qui sont strictement délinquantes, ludiques,
01:19:39 le bonheur de détruire, et ça ne date pas d'hier, je veux dire,
01:19:43 on a toute une histoire des émeutes qui montre que c'était pas très sympathique,
01:19:47 mais il n'empêche que le cœur c'est celui d'une injustice, d'une révolte, etc.
01:19:51 Donc je crois qu'on est confronté à ça et peut-être au-delà aujourd'hui des banlieues.
01:19:58 Après tout, j'ai été très frappé de voir comment le mouvement des Gilets jaunes
01:20:03 a eu de grandes difficultés à produire une revendication.
01:20:06 C'était des gens très en colère, mais qui avaient beaucoup de mal à produire une demande.
01:20:13 Donc c'est un mécanisme assez général, ce qui nous pourrait créer d'ailleurs
01:20:18 chez beaucoup d'entre nous la nostalgie des syndicats, des mouvements d'éducation populaire,
01:20:23 de toutes ces machines à refroidir les colères que nous avons peut-être trop mal traitées.
01:20:28 Je voudrais le dire. Au passage, moi je crois que le remplacement
01:20:33 des mouvements d'éducation populaire par des prestataires de services,
01:20:36 c'est pas forcément une bonne chose, c'est même pas une bonne chose du tout.
01:20:41 Donc je crois qu'on est quand même devant ce problème.
01:20:45 Alors, il n'est pas que français, mais nous sommes particulièrement forts là-dessus,
01:20:49 parce que nous sommes centralisateurs, etc. Donc je crois qu'il faut bien comprendre là-dessus.
01:20:56 La deuxième chose, ça a été dit et nous sommes tous embarrassés là-dessus,
01:21:01 c'est que si on veut que les acteurs de ces quartiers deviennent,
01:21:06 les habitants de ces quartiers deviennent des acteurs, il faudra bien admettre au jour
01:21:10 qu'ils deviennent des acteurs en étant ceux qu'ils sont.
01:21:14 Or, et c'est tout notre problème avec l'islam. Après tout, c'est à la fois des choses
01:21:21 extrêmement dangereuses et c'est à la fois la seule chose qui fabrique du lien à de la dignité.
01:21:27 Et donc, je suis moi, comme tout français normalement constitué, très embarrassé,
01:21:33 mais on ne peut pas dire au 19ème siècle, aux bretons,
01:21:37 "soyez sympas, organisez-vous, mais sans catholicisme".
01:21:41 Les bretons étaient catholiques. Et donc, il y a quelque chose de cet ordre-là
01:21:47 qui n'est pas réglé et de ce point de vue-là, le discours médiatique de stigmatisation
01:21:52 est tout à fait terrifiant et je voudrais bien préciser que je n'ai aucune naïveté
01:21:57 par rapport à certaines formes d'islamisme. Ensuite, je crois qu'on peut agir quand même
01:22:04 sur le peuplement. On a peut-être, on peut renoncer rapidement à essayer
01:22:10 de créer un peu de mixité dans les quartiers et je voudrais dire, c'est le dernier point,
01:22:14 qu'on pourrait agir beaucoup mieux qu'on ne le fait sur la mixité scolaire.
01:22:19 Je veux dire que, puisqu'on a un Toulousain parmi nous, il y a eu un exemple célèbre à Toulouse
01:22:25 où on a pas tout cassé un collège ultra-ghettoisé.
01:22:29 Ça a pris beaucoup de temps pour convaincre les collèges de classe moyenne d'à côté
01:22:33 qu'avoir quelques arabes chez eux, ça ne serait pas une catastrophe,
01:22:37 mais ça a marché, donc on peut le faire. Et je crois que de ce côté-là aussi,
01:22:42 si on faisait confiance aux acteurs locaux, on sentirait parfois un peu mieux
01:22:47 que nous ne le faisons. Après tout, les pays plus décentralisés que le nôtre
01:22:51 ne se sentirent pas plus mal sur toutes ces questions-là.
01:22:54 Merci monsieur, mais vraiment c'est passionnant tout ce que vous avez dit.
01:23:00 Moi je partage beaucoup de choses et je pense qu'il n'y a pas une solution facile,
01:23:04 mais la question du peuplement, je pense que c'est une question fondamentale
01:23:07 et elle répond parfaitement à ce que vous disiez tout à l'heure,
01:23:10 c'est-à-dire que la ghettoïsation, elle tient aussi beaucoup aux mécanismes
01:23:13 même qu'on a mis en place, aux règles qu'on s'est infligées pour des tas de raisons,
01:23:17 positives ou pas positives, mais qui ont fait que les maires, enfin les élus locaux,
01:23:22 pour faire plus simple, se sont retrouvés bloqués dans des situations
01:23:25 qu'ils auraient sans doute gérées différemment, sans excès, on est bien d'accord,
01:23:30 différemment, mais en tous les cas de manière plus équilibrée.
01:23:34 Je peux raconter ma vie d'élu, j'ai été maire pendant 20 ans d'une commune du Rhône,
01:23:38 avec des quartiers, c'était un petit territoire mais dense, 27 000 habitants,
01:23:44 avec des quartiers compliqués, on a réussi à gérer tout ça correctement,
01:23:50 mais avec cette forme d'équilibre qu'on a réintroduit dans certains secteurs,
01:23:55 dans d'autres on n'a pas hésité à démolir, et ça va être en cours de reconstruction,
01:23:59 je ne vous cache pas que mon inquiétude sur la reconstruction est grande,
01:24:03 parce qu'on est encore sur les mécanismes anciens en termes de réflexion,
01:24:07 et que si on n'y prend pas garde, ce que l'on va faire,
01:24:10 ou ce qui pourra être fait dans les années qui viennent,
01:24:12 va générer dans quelques années la même situation que nous avons aujourd'hui,
01:24:15 parce qu'on est toujours sur ce même modèle, et il faut arriver, je pense,
01:24:19 impérativement à sortir, et puis je termine par un petit moment de gloire de ma vie communale,
01:24:24 j'avais dans un quartier une école primaire, qui était dans une situation
01:24:28 de ghettoisation, mais totale, absolument totale, et j'avais obligé,
01:24:33 je le dis vraiment obligé, après une grosse colère d'ailleurs de l'éducation nationale,
01:24:36 de dire on rase l'école, et on réaffecte les enfants en dehors de l'école maternelle,
01:24:42 dans les autres écoles des autres quartiers de la ville,
01:24:47 avec un système qu'on a appelé busing, parce que le bus les prenait,
01:24:50 et ça continue toujours d'ailleurs, parce que le quartier n'est pas encore reconstruit,
01:24:53 et bien je ne regrette pas du tout une seule seconde de l'avoir fait,
01:24:56 parce que finalement tous les directeurs des autres écoles, y compris les enfants,
01:25:00 tout ça s'est passé merveilleusement bien, avec des résultats scolaires de grande qualité,
01:25:04 et on a probablement aidé les gamins à faire des choses qu'ils n'auraient pas faites
01:25:07 si on n'avait pas fait ça, et alors c'est un peu particulier,
01:25:11 parce que mon territoire n'est pas très grand, on peut le faire,
01:25:13 mais le principe en tous les cas, est pour moi un principe qui mérite d'être multiplié,
01:25:16 lorsque les situations deviennent inextricables, sinon on n'en sortira pas.
01:25:20 Bon, tout ça c'est une petite réflexion avant le déjeuner,
01:25:23 parce que je vous ai écoutés, et que ça m'a rappelé quelques souvenirs,
01:25:27 mais la complexité que vous avez évoquée est quand même tout à fait fondamentale,
01:25:31 et si on ne se pose pas les bonnes questions, je ne suis pas sûr qu'on trouve les bonnes solutions.
01:25:34 L'enjeu, c'est de réussir à trouver des canaux de désaccord et d'affrontement politique
01:25:38 qui ne passent pas par la violence.
01:25:40 Voici la conclusion de cette série d'auditions,
01:25:43 qui a pour but de déterminer les causes et les origines profondes des violences urbaines
01:25:47 qui ont suivi la mort du jeune Nahel l'été dernier.
01:25:50 La commission d'enquête du Sénat poursuit désormais ses travaux.
01:25:54 Quant à moi, je vous souhaite une très belle journée sur les chaînes parlementaires.
01:25:59 [Musique]

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