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Yves Thréard reçoit Tahar Ben Jelloun écrivain, poète et peintre franco-marocain.

Dans cet entretien Tahar Ben Jelloun renouvèle ses engagements pour la littérature, la politique et pour le Maroc. Écrivain à succès, il n'en cache pas pour autant ses positions politiques concernant l'évolution de la société marocaine, les relations diplomatiques, les relations avec la France, avec l'Algérie, son soutien indéfectible au roi Mohammed VI et son combat contre l'islamisme. Il se désigne lui-même comme citoyen engagé.
Son engagement ne s'arrête pas aux frontières du politique, il salue des relations amicales entre les peuples français et marocains mais déplore cependant le délaissement de la langue française par le Maroc au profit de l'anglais, lui-même écrivant principalement en français. Il revendique en revanche des influences littéraires mixtes, de la littérature française mais aussi magrébine. Il reconnait en la littérature magrébine une forme de rébellion qui met l'accent sur les problèmes que connaissent ces pays.
Auteur prolifique et récompensé, il publie son dernier roman Les amants de Casablanca aux éditions Gallimard qui parle d'amour, de mariage et de divorce. Des thèmes progressistes qui lui permettent d'aborder le déchirement que connait cette société entre l'arrivée depuis l'occident d'une forme de modernité et la volonté de conserver les valeurs traditionnelles marocaines.

Soixante ans après la vague des indépendances, l'Afrique, berceau de l'humanité, est présentée aujourd'hui comme celui de l'avenir, le continent du XXIème siècle. Pourquoi cet engouement soudain, souvent motivé par des motifs économiques ? Dans un contexte international en perpétuel mouvement, Yves Thréard s'intéresse à l'influence grandissante de l'Afrique sous tous ses aspects, en donnant à la parole à Calixthe Beyala, Oswalde Lewat, Alain Mabanckou, Boualem Sansal et Lionel Zinsou, pour des « Souvenirs et avenir d'Afrique ».

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Transcription
00:00 "Uncatchable", Alexandr Zhelanov
00:02 ...
00:26 -Tarben Jelouna, on sait que les relations
00:29 entre les responsables de la France et du Maroc
00:32 sont des relations un peu tendues,
00:34 c'est le moins qu'on puisse dire,
00:36 et pourtant, les deux pays, les deux peuples
00:39 entretiennent une amitié
00:41 qui est assez singulière,
00:44 un peu différente de ce qui existe, par exemple,
00:47 entre la France et l'Algérie.
00:48 -Tout à fait, d'autant plus que les deux peuples
00:52 s'apprécient, s'estiment,
00:56 ont des relations amicales.
00:58 -Oui. -Là, nous vivons une crise
01:00 qui vient d'en haut, au niveau des deux chefs d'Etat.
01:03 -Oui. -Et je crois que c'est
01:05 la première fois qu'on vit une crise aussi grave
01:08 du...
01:11 Il faut dire les choses clairement, maladresse,
01:14 le président Macron,
01:16 qui n'a pas compris à qui il avait affaire.
01:19 -Vous parlez de Mohamed VI.
01:21 -Oui, Mohamed VI.
01:22 Dès le départ, dès qu'il est arrivé à l'Elysée,
01:25 il a été très déçu par des amis qui travaillaient avec lui,
01:29 et il a donné priorité au dossier algérien.
01:33 -Oui. -Et il a voulu
01:35 réussir là où ses précédents
01:38 sénateurs ont échoué.
01:40 C'est-à-dire que lui va être plus fort,
01:43 il va faire l'impossible, c'est-à-dire
01:45 que la page franco-algérienne se tourne
01:48 et qu'on établisse des relations normales,
01:51 sans culpabilité, sans honte mémoriale...
01:54 -Sans ressentiment. -Il se trompe.
01:56 -Oui. -Il se trompe et...
01:59 Le Maroc n'a jamais culpabilisé personne.
02:03 Et il avait en face de lui un monarque,
02:07 qui n'est pas un monarque symbolique,
02:09 c'est un monarque qui gouverne,
02:11 qui a eu l'usinité depuis des siècles
02:14 et qui est adoré par le peuple marocain.
02:17 -C'est le royaume shérifien.
02:18 -Mais réellement, le peuple adore son roi.
02:23 Du temps de son père, c'était autre chose,
02:26 mais là, Mohamed Sissi l'a adoré, il l'a beaucoup aimé.
02:29 Il n'a pas compris comment on parle à un roi.
02:32 -Oui.
02:34 -Enfin bon, tout est parti des écoutes...
02:38 -Pégasus. -Pégasus.
02:40 -C'est-à-dire qu'il accuse justement la monarchie marocaine
02:45 de l'avoir écoutée avec un système israélien, d'ailleurs.
02:48 -Oui. Alors, d'abord,
02:50 tous les États du monde s'écoutent les uns les autres.
02:54 -Ils surveillent. -Tout le monde s'écoute.
02:57 C'est pas la question.
02:58 La question, c'est qu'il a accusé le roi
03:01 de l'avoir fait écouter spécialement lui.
03:03 Le roi lui a dit, "Je vous donne ma parole,
03:06 "que je vous ai pas fait écouter."
03:08 Et Macron lui dit, "J'ai des preuves."
03:11 Le roi lui répète, "Je ne vous ai pas fait écouter",
03:16 et là, il lui dit quelque chose de très désagréable,
03:20 qu'on ne dit pas ni d'ailleurs à un chef d'Etat,
03:23 ni à un Premier ministre, ni à personne.
03:25 Il était très désobligeant.
03:27 -Il avait dit "roi".
03:29 -Le roi a arrêté l'exécution, net.
03:31 -Comment vous expliquez qu'avec le président Trump,
03:35 le Maroc a signé les accords,
03:38 ce qu'on appelait les accords d'Abraham,
03:41 c'est-à-dire qu'ils ont renoué des relations diplomatiques,
03:44 avec Israël aussi,
03:47 en échange de quoi, d'ailleurs, les États-Unis reconnaissent
03:50 la marocanité du Sahara occidental,
03:53 mais pas la France.
03:55 Ca a-t-il joué ?
03:56 -Ca a joué un peu, parce qu'il n'était pas au courant.
03:59 Il n'a pas été mis au courant.
04:00 Et en fait, ceux qui ont le plus travaillé
04:03 les accords d'Abraham, ce sont quelques Israéliens.
04:06 -Oui.
04:07 -Trump ne connaît pas bien le dossier,
04:12 il ne connaît pas le Maroc, mais il a dit "OK, bon coup".
04:15 D'autant plus qu'après, il y a les Émirats arabes, etc.
04:19 -Israël a bien joué.
04:20 Ca a bien joué.
04:21 Et ça a été, contrairement à ce qu'on pensait,
04:26 ça a été très bien reçu par le peuple marocain.
04:29 -Oui. -D'abord, parce qu'il y a...
04:31 On a vraiment une très grande proximité
04:35 avec la communauté juive marocaine
04:38 qui est en Israël et ailleurs dans le monde,
04:41 et qui revient très souvent en Maroc en tant que touriste.
04:44 -C'est un des pays arabes
04:46 où il y a la plus grosse communauté juive.
04:49 -Oui, c'est la plus grosse.
04:50 Maintenant, il y en a environ 5 000,
04:52 mais il y a 1 000 000 touristes.
04:54 C'est autre chose.
04:56 Et puis, on a des choses en commun.
04:58 On a beaucoup de... Une culture commune.
05:01 Une culture, une civilisation, une cohabitation.
05:05 On n'a pas fait la guerre.
05:08 C'est pas l'Egypte, c'est pas la Jordanie,
05:10 c'est pas le Liban.
05:11 Donc, on a une relation, disons,
05:15 assez... assez riche
05:17 et, finalement, même si le roi est président
05:21 du comité Krotz du Jérusalem,
05:23 on reste vigilant vis-à-vis de la question palestinienne.
05:27 -C'est ça. Alors, je voudrais qu'on revienne,
05:30 parce qu'on a parlé des dirigeants des deux pays,
05:33 mais, en revanche, si on regarde bien l'histoire
05:35 des deux peuples, justement,
05:37 c'est plutôt des bonnes relations, puisque...
05:41 -C'est toujours ça.
05:43 -En 56, à l'indépendance,
05:46 on parlait de l'indépendance dans l'interdépendance.
05:49 -Mais la première et grande crise,
05:52 qui est, à mon avis, beaucoup plus grave que celle-ci,
05:55 c'est l'affaire Benbarka. -Oui.
05:57 -Octobre 65. -Il était donc un opposant au roi.
06:00 -On avait très, très mal pris.
06:02 C'est une histoire qui s'est très mal passée,
06:05 qui s'est terminée par la mort du pauvre...
06:07 -Benbarka. -Benbarka.
06:09 -1965. -Oui, le 29 octobre.
06:12 Le roi avait demandé à Oukir,
06:15 "Ramène-moi Mehdi."
06:17 -Mehdi Benbarka. -Oui.
06:19 -Opposant politique. -Il était opposant.
06:22 Et il était son prof de maths.
06:24 Donc le roi n'a jamais dit,
06:27 "Tu es moi, Benbarka."
06:29 Non, c'était pas son genre. C'est pas ça.
06:31 Sauf que les Américains
06:34 craignaient beaucoup ce personnage,
06:36 qui s'agitait beaucoup, qui avait des relations
06:39 avec la Tricontinentale, avec la Havane,
06:41 avec la Yougoslavie, avec beaucoup de...
06:44 Et qui devenait un personnage du Tiers-Monde
06:46 qui menaçait un petit peu l'Amérique et la CIA.
06:49 On sait pas ce qui s'est passé réellement.
06:51 Tout ce qu'on sait, c'est qu'il est mort sur la torture
06:55 et son corps a disparu.
06:56 Ca a fait un... -En France.
06:59 -En France.
07:00 Ca a fait un très, très grand choc.
07:03 Le général de Gaulle était très, très en colère.
07:07 Le roi Hassan II était extrêmement en colère, lui aussi.
07:11 Bref.
07:12 Mais on a fini par...
07:15 à y avoir des relations normales.
07:18 -Oui. -Il y a eu
07:19 un deuxième... -Crise.
07:21 -Une deuxième crise sur l'Onde,
07:23 lorsque la police a débarqué
07:25 chez l'ambassadeur du Maroc dans sa résidence.
07:28 -En France. -Oui, toujours à Neuilly,
07:31 pour signifier un papier de police
07:35 ou de justice pour le directeur à la DST marocain
07:39 poursuivi pour torture, etc.
07:41 Ca, ça a été...
07:43 Ca a duré une bonne année.
07:45 -Ca a été considéré comme une agression diplomatique.
07:49 -Ca se fait pas.
07:50 Ca se fait pas d'aller chez l'ambassadeur
07:52 et de rentrer comme ça.
07:54 Ca a été très maladroit de la part des Français.
07:57 Et les amis du Maroc et de la France,
07:59 comme Elisabeth Guigou,
08:01 ont rétabli les choses à vrai.
08:05 -Alors, la langue française
08:07 a beaucoup de lustres
08:11 au Maroc.
08:12 Et d'ailleurs, les établissements français au Maroc
08:16 sont très fréquentés par les Marocains.
08:19 -Alors, il faut quand même
08:22 tirer une sonnette d'alarme.
08:24 La langue française commence un petit peu
08:28 à être malmenée
08:30 par les familles.
08:32 Il y a eu les histoires des visas.
08:34 -Oui. -C'est très maladroit.
08:36 -C'est pas très ancienne.
08:38 Il n'est pas question de venir s'installer en France
08:41 pour le travail des Français ni des immigrants.
08:44 Il y a des professeurs de médecine,
08:46 un procureur du roi, un ancien ministre...
08:48 -Ils n'ont pas pu faire le voyage.
08:50 Ils n'ont pas eu de visa pour venir en France
08:53 après une décision qui consistait à diviser par deux
08:56 le nombre de visas accordés aux Marocains.
08:58 -C'était une punition collective.
09:00 Ca, ce sont des choses très maladroites
09:03 qu'aucun régime avant Macron n'aurait fait.
09:05 Bien sûr qu'il faut qu'il y ait des visas,
09:09 pour savoir, qui rentrent plus tard,
09:11 mais quand vous avez un procureur du roi
09:13 qui demande un visa pour X raison,
09:16 ou un ancien ministre,
09:18 il va pas venir pour occuper un poste.
09:21 Mais c'était l'humiliation.
09:23 Ca a été très mal perçu par les Marocains.
09:26 Il y a eu aussi une humiliation
09:28 à un niveau personnel
09:30 à l'ancien ministre de l'Economie,
09:34 Mourehafedda Alami,
09:36 qui est un milliardaire, un monsieur très riche,
09:39 et qui a beaucoup d'affaires, dont des affaires en France.
09:42 Il a des affaires aux Etats-Unis, ici.
09:45 Il est venu avec son jet privé au Bourget
09:47 pour régler ses affaires.
09:48 Et là, application des lois strictes,
09:51 fouille systématique pendant quatre heures,
09:53 du jet, de ses affaires, de son ordinateur,
09:56 de son téléphone, de sa fouille corporelle,
09:59 ça a duré quatre heures ou quatre heures et demie.
10:02 Et l'ancien ministre a repris son jet et est reparti au Maroc.
10:06 -C'est pas pour ça que l'enseignement
10:08 de la langue française recule au Maroc.
10:10 -Il recule parce qu'à partir d'octobre ou septembre,
10:14 l'anglais sera deuxième langue dans le collège.
10:17 -Après l'arabe. -Oui.
10:19 -Et donc... -C'est un recul d'une...
10:23 -Vous le déplorez pas, vous,
10:24 qui êtes un écrivain de langue française ?
10:27 -Bien sûr que je le déplore, mais c'est pas que d'aujourd'hui.
10:31 Mais la France n'a pas fait grand-chose
10:33 pour défendre la langue française.
10:35 Seul problème. -Pourtant, il y a beaucoup
10:37 d'établissements de langue française au Maroc,
10:40 gérés d'ailleurs par la France. -Il y a énormément d'établissements
10:44 qui pratiquent l'éducation française.
10:46 Il y a les Bassignan, par exemple,
10:49 il y a le... -Les Soliotnès.
10:51 -Bref. Et les Marocains se disputent
10:54 pour mettre là-bas leurs enfants,
10:56 et ça coûte 500 euros, enfin, 5 000 dirhams,
10:59 par enfant, par mois. C'est pas donné.
11:01 -Donc c'est pas donné.
11:03 C'est la bourgeoisie qui peut se le permettre.
11:05 -Il y a beaucoup de... En même temps,
11:08 on...
11:09 Une espèce de désagrément
11:11 désagréable entre la France et le Maroc
11:13 a fait que certains ont commencé à inscrire leurs enfants
11:17 dans les universités américaines, anglaises,
11:20 quand ils ont les moyens, bien sûr.
11:22 -D'accord.
11:23 Expliquez-moi pourquoi les relations
11:26 entre le Maroc et l'Algérie sont aussi détestables,
11:29 aussi compliquées.
11:31 Il m'est arrivé récemment d'interviewer
11:34 le président algérien, qui m'a dit,
11:37 qui m'a répondu à une question,
11:39 "On a fermé la frontière avec le Maroc
11:42 "pour ne pas se faire la guerre."
11:44 C'est terrible, ça.
11:45 -Il dit n'importe quoi, celui-là.
11:47 Je vais vous raconter une anecdote.
11:49 Sacha Guitry, le grand Sacha Guitry.
11:52 -Oui.
11:53 -Il a une pièce qui passe
11:56 et le lendemain, son secrétaire
11:58 lui appelle, "Maître, ne lisez pas
12:00 "Le Figaro ce matin, il y a quelque chose
12:03 "de très agréable sur votre pièce."
12:05 Sacha, du front de son bureau,
12:07 lui dit, "J'imagine que là, c'est critiqué
12:09 "par quelqu'un à qui nous avons rendu service avant."
12:12 Il dit, "Exactement, maître."
12:14 L'Algérie et le Maroc, c'est ça.
12:17 Le Maroc a sacrifié beaucoup de choses,
12:20 a été vraiment l'arrière-pays pendant la guerre.
12:24 Il y a eu la réunion de Tangier en 58,
12:27 où les trois parties nationalistes,
12:29 le FLN, le Styrclan et le Destour,
12:31 sont réunis à Tangier pour voir l'avenir du Maghreb
12:34 dans l'esprit d'indépendance des trois pays
12:37 et surtout d'un Maghreb uni,
12:38 dans un sens de progrès,
12:40 avant l'événement islamiste,
12:42 ni rien, à l'époque.
12:44 Et se posait à l'époque le problème de Tindouf,
12:47 ville marocaine,
12:49 qui en 1932 a été annexée par la France
12:51 parce qu'il y avait des couverts du fer,
12:53 et comme l'Algérie était française,
12:55 on l'a mise dans le territoire français.
12:58 -D'accord. -Et Fahad Abbas Diallal Fassi,
13:00 qui pose la question,
13:02 "Bien sûr, une fois indépendant,
13:04 "on vous rendra votre ville."
13:05 C'est normal, c'est une ville marocaine.
13:08 Ca a commencé comme ça. -D'accord.
13:10 -62, l'indépendance,
13:14 le Maroc était content.
13:15 65, on pose le problème des frontières.
13:20 Il y a la guerre des sables. -Oui.
13:23 -Avec Benbella,
13:25 il y a des sables.
13:26 Ils ont tout oublié.
13:29 Bon.
13:30 Le Monde mondial prend le pouvoir avec un coup d'Etat.
13:33 -Alger, oui.
13:34 -Et en 74, il y a le sommet islamique à Gaza,
13:39 Gaza Blancar,
13:41 et là, le Maroc fait voter une résolution
13:46 pour récupérer les territoires sahariens
13:50 entre les mains de l'Espagne, occupés par l'Espagne.
13:53 L'Espagne va quitter le territoire
13:56 au moment où Franco était en train de mourir.
13:59 On est en 75.
14:00 Il y a la marche verte.
14:01 On avance, ils récupèrent les territoires.
14:04 L'Algérie applaudit, c'est formidable,
14:07 mais le Monde mondial, qui n'était pas à Gaza Blancar,
14:10 il y avait Bouteflika qui les représentait,
14:13 se met en colère et dit "pas du tout,
14:15 "nous, on veut une sortie sur l'Atlantique."
14:18 -Du Sahara occidental. -Voilà.
14:19 Ca a commencé comme ça. -Et c'est comme ça que...
14:22 -Et Kadhafi donnait de l'argent,
14:25 a financé le mouvement polisario dès le départ.
14:28 Et après, bon, Kadhafi,
14:30 parfois, lui, il n'a pas continué,
14:33 mais l'Algérie a continué à financer,
14:36 à armer les polisarios jusqu'à aujourd'hui.
14:39 -Donc vous considérez que l'Algérie
14:42 est un adversaire dans le contexte régional ?
14:45 -Alors, ce qui est extraordinaire,
14:47 c'est que le peuple algérien adore le Maroc.
14:50 Le Maroc n'a aucune animosité à l'égard du peuple algérien.
14:53 -C'est encore une histoire de dirigeants.
14:56 -C'est une histoire entre une gente militaire,
14:59 qui a besoin de ça pour exister,
15:03 et puis un pays qui veut avoir une intégrité territoriale.
15:08 -Vous parliez tout à l'heure d'Assane II et de Mohamed Six.
15:11 Alors, Assane II avait très bonne presse en France,
15:15 parce qu'il avait une espèce d'aisance oratoire,
15:18 il apparaissait souvent sur les écrans,
15:20 on le voit là, ici, en photo.
15:22 Il connaissait la politique française
15:25 mieux que personne, sans doute.
15:27 Mohamed Six, votre roi n'a pas tout à fait la même image,
15:30 d'abord parce qu'on le connaît beaucoup moins bien,
15:33 il apparaît moins souvent, et...
15:35 Je crois, pour avoir lu, vous, vous avez beaucoup lu,
15:40 vous trouvez, et entendu,
15:42 qu'il y a une grande injustice vis-à-vis de lui.
15:45 C'est-à-dire que lui, contrairement à son père,
15:47 il n'est pas les médias, il n'est pas la communication.
15:50 -C'est la différence. -D'ailleurs,
15:52 quand il fait les discours officiels, on voit que...
15:56 -C'est dur. -Ca le pèse, ça le pèse.
15:58 Bon. Mais il travaille beaucoup.
16:00 Il travaille beaucoup et il connaît très bien
16:02 tout ce qui se passe en France et ailleurs,
16:05 il est extrêmement informé, surtout,
16:07 et il est très bien disposé à l'égard de beaucoup de...
16:11 à l'égard du peuple français, en tout cas,
16:13 il vient très souvent en France, il a ses habitudes,
16:16 il connaît les meilleurs restaurants,
16:18 il connaît les meilleures librairies,
16:21 il connaît les meilleures galeries de peinture,
16:24 parce qu'il adore l'art.
16:25 Non, c'est quelqu'un qui aime la France.
16:28 -On vous reproche parfois d'être très royaliste, vous.
16:32 -Moi, je suis avec le roi à 100 %,
16:34 parce que... Je vais vous dire pourquoi.
16:37 Parce que, lorsqu'il y a eu le coup d'Etat de 1971,
16:41 le 10 juillet 1971,
16:43 il a été fait par des officiers
16:47 et des sous-officiers de l'armée marocaine,
16:50 que j'ai très bien connus.
16:52 J'avais 20 ans,
16:53 j'étais dans une prison militaire marocaine,
16:57 un camp de disciplinaires marocains,
16:59 et ils étaient dirigés par ces gens-là.
17:01 Et je sais pertinemment ce qu'ils auraient fait du Maroc
17:04 s'ils avaient réussi. -Les poutistes ?
17:07 -Ce sont été l'Irak ou la Syrie,
17:09 ni plus ni moins.
17:10 C'était des brutes, la plupart venus d'Indochine.
17:13 Ils ont fait la guerre d'Indochine,
17:16 comme le fameux Aka, qui va participer au coup d'Etat,
17:19 qui sera abattu à Calitra.
17:21 Donc, je suis avec le roi,
17:25 parce qu'il travaille beaucoup, il aime son pays,
17:27 et il sert son pays.
17:29 -Et vous, vous êtes, de façon acharnée,
17:33 vous opposez et vous luttez contre l'islamisme.
17:36 Vous avez beaucoup écrit là-dessus, dans la presse.
17:39 -C'est pas la nature marocaine.
17:41 Nous avons un rythme à l'équipe très simple, très modéré.
17:45 En plus, les frères musulmans, en Maroc,
17:49 sur le parti PSD,
17:51 parti de justice et développement,
17:53 ont été deux fois au pouvoir
17:56 parce que le roi a respecté la loi démocratique,
17:59 comme en France, il n'y avait plus de frottes,
18:01 d'élections.
18:02 Ils ont gouverné pendant 10 ans deux législatures catastrophiques
18:06 qui n'ont rien fait pour le Maroc.
18:08 Et en même temps, ils ont essayé un peu de semer l'idéologie
18:13 des frères musulmans, qui n'est pas la plus progressiste.
18:17 -Ca n'a pas accroché ? -Non.
18:19 -La menace est derrière nous ?
18:21 -Pour le PSD, c'est fini,
18:23 parce que quand les élections,
18:25 ils passent de 125 députés à 13...
18:27 -Hm-hm.
18:28 -Vous estimez que le Maroc est...
18:30 -Alors, il y a autre chose.
18:32 Il y a le terrorisme. -Oui.
18:35 -On a une police efficace.
18:37 On a un peuple vigilant.
18:39 Tout le monde travaille, tout le monde surveille.
18:42 Il y a, presque toutes les semaines,
18:44 un démantèlement de cellules terroristes
18:46 qui ont fait allégeance à Daech.
18:48 On les prend, on les met devant les tribunaux,
18:51 et après, on les met en prison.
18:53 Et souvent, les gens du quartier,
18:55 ils dénoncent, ils voient quelque chose qui ne va pas,
18:58 ils appellent la police. Pourquoi ?
19:00 Parce que, nous, un attentat chez nous,
19:02 c'est la fin du tourisme. -Bien sûr.
19:04 Je voudrais vous parler de votre dernier livre.
19:07 Vous avez une bibliothèque
19:09 et un nombre de livres absolument innombrables.
19:14 Je sais combien vous en avez écrit depuis les années 60,
19:19 et vous passez par le Prix Goncourt,
19:21 que vous avez eu, il ne faut pas l'oublier,
19:23 avec "La nuit sacrée", un livre magnifique.
19:26 Votre dernier livre, qui est sorti il y a peu,
19:28 qui s'appelle, un très joli titre, "Les amants de Casablanca",
19:32 c'est une photographie, me semble-t-il,
19:34 de ce qu'est la société bourgeoise, on va dire,
19:38 quand même, à certains niveaux, marocaine.
19:41 Là, ça se passe à Casablanca, la grande ville,
19:44 pas la capitale, mais la grande ville marocaine.
19:47 Et entre une femme qui gagne très bien sa vie,
19:51 qui est pharmacienne, qui a un amant,
19:55 et qui, d'ailleurs, gagne mieux sa vie que son mari.
19:58 Quand il est question de divorce,
20:00 c'est elle qui doit payer une pension, et pas lui.
20:03 -Oui.
20:04 Est-ce que c'est le reflet de la société marocaine,
20:08 telle que... Alors, l'histoire de séparation,
20:11 c'est un peu partout pareil,
20:13 mais est-ce que ce que vous décrivez là,
20:16 un mélange de tradition et de modernité,
20:20 c'est ça, le Maroc d'aujourd'hui ?
20:22 -C'est le... Comment dire ?
20:24 On est déchirés entre, d'un côté,
20:27 les traditions marocaines auxquelles on tient,
20:29 parce qu'elles font partie de nos valeurs,
20:32 et puis, cette modernité qui vient de l'Occident, en général,
20:37 qui est la bienvenue et qu'on veut partager avec l'univers.
20:41 Finalement, on veut être les deux, un pied là et un pied là.
20:45 En même temps, on n'arrive pas à trouver
20:47 une espèce d'équilibre.
20:49 Et...
20:51 Et le couple vit sur les deux.
20:55 -Oui.
20:56 -Et parfois, c'est de là que viennent les difficultés.
20:59 -Est-ce que la société marocaine,
21:01 vous la sentez beaucoup évoluer ?
21:03 On dit qu'aujourd'hui, elle a complètement changé
21:06 par rapport à ce qu'elle était.
21:08 -Alors, elle évolue, c'est vrai,
21:10 mais tant que le Parlement
21:13 n'a pas abrogé deux articles de loi,
21:16 le 489 et le 490,
21:19 qui interdisent l'homosexualité
21:22 et les relations sexuelles hors mariage,
21:24 on peut pas dire que le Maroc a changé.
21:27 Pour moi, je milite pour l'abrogation
21:30 de ces deux... -Deux articles.
21:32 -Deux articles qui sont stupides,
21:34 d'autant plus qu'on va pas condamner quelqu'un
21:38 parce qu'il a une sexualité différente.
21:41 C'est stupide. Il a sa vie, il est né comme ça pour aller,
21:45 on n'a pas à discuter.
21:47 Quand on relation sexuelle hors de mariage,
21:50 il faut pas être sorcier pour savoir
21:52 que tous les Marocains font l'amour avant se marier.
21:55 C'est une réalité connue et reconnue.
21:58 En même temps, ça permet à la police,
22:02 quand un jeune Marocain avec une jeune femme
22:05 arrive à un hôtel, même cinq étoiles,
22:07 on lui dit "Vous avez... Qui c'est, cette femme-là ?"
22:10 -Vous n'avez pas le droit... -C'est pas votre femme dehors.
22:14 "Vous avez cette femme, donnez-moi l'acte de mariage."
22:17 Ca arrive à des gens très connus. -Vous déplorez ça.
22:20 -Bien sûr. Et ça, c'est...
22:22 C'est les derniers...
22:24 Comment dire ? C'est les derniers articles
22:27 auxquels s'accrochent les islamistes,
22:29 parce qu'en ce moment, il y a une révision
22:32 du Code de la famille.
22:33 Il y a une commission qui travaille.
22:35 Et dans cette révision, moi, je lui aurais dit
22:38 qu'il faut absolument qu'on ait la liberté de conscience.
22:41 Comme les Tunisiens, ils l'ont.
22:43 Les Tunisiens, c'est pas meilleur que nous.
22:46 Et nous, on l'a pas.
22:47 Donc, si on n'a pas ça, l'évolution est un peu bancale.
22:51 -Vous vous estimez,
22:52 vous, écrivain franco-marocain, comme un écrivain engagé ?
22:56 -Je suis un citoyen engagé. -Vous êtes un citoyen engagé.
22:59 -La littérature engagée, c'est pas très bon.
23:02 Je suis un citoyen, je suis concerné
23:04 par ce qui se passe dans les deux pays,
23:06 la France et le Maroc.
23:07 J'écris beaucoup dans...
23:09 Toutes les semaines,
23:11 une chronique dans le 360,
23:13 qui est un peu proche du pouvoir,
23:15 où je dis tout ce que je veux avec liberté,
23:18 et qui est très lue.
23:19 Et puis, ici, je critique la politique française
23:23 quand ça va pas.
23:24 -Vous êtes à l'Académie Goncourt.
23:26 Vous avez, il y a quelques années, posé votre candidature
23:30 pour être à l'Académie française, et vous l'avez retirée.
23:33 -C'était avant. -Vous l'avez retirée.
23:35 -J'ai retirée parce que...
23:37 C'était presque fait.
23:42 Mais un soir, Alain Decaux,
23:44 mon ami et mon protecteur à l'époque,
23:47 m'a dit "tu laisses tomber".
23:49 Il m'a dit "Jiskar veut le poste, enfin, le fauteuil".
23:52 -Ah oui.
23:53 -C'était pour Senghor.
23:54 C'est pas grave, c'est pas un problème.
23:56 A l'Académie Goncourt, on peut pas aller là-bas.
23:59 Et nous, à l'Académie Goncourt,
24:01 on rend service à la littérature,
24:03 et on rend heureux quelques auteurs,
24:05 c'est très bien.
24:06 -Est-ce qu'il y a des écrivains maghrébins
24:09 qui vous ont inspiré ou que vous admirez ?
24:12 -Il y a Keté Biasine, d'abord.
24:14 -Keté Biasine, grand écrivain algérien.
24:16 -Mohamed Dib, aussi.
24:18 -Mohamed Dib, très, très grand écrivain algérien.
24:21 -Et puis, Trich Traibi, comme on l'entend,
24:24 Khatibi, comme marocain.
24:25 Euh...
24:26 J'ai lu beaucoup.
24:28 Tous mes aînés m'ont beaucoup apporté, bien sûr.
24:31 -Et qu'est-ce que vous retenez
24:35 de cette littérature maghrébine ?
24:37 C'est souvent une littérature de combat.
24:40 -C'est une littérature de rébellion,
24:42 plutôt que de combat, parce que beaucoup de femmes
24:45 s'y écrivent pour dire leurs conditions insoutenables,
24:48 insupportables, et beaucoup de jeunes
24:50 s'y écrivent pour parler d'un Maroc
24:53 qui pourrait être bien mieux que ce qu'il est actuellement.
24:57 Je parle de la pauvreté, je parle du niveau de l'état
25:01 de la santé du pays, dans le pays, l'éducation.
25:04 Il y a des problèmes.
25:05 Mais par ailleurs, le roi a fait le maximum,
25:08 il a doté le pays d'infrastructures
25:10 extraordinaires, et on a deux Pormèdes
25:13 sur la Méditerranée, à Tangier,
25:16 qui sont exceptionnels, les autoroutes, le TGV,
25:20 le...
25:22 Aouarzazate, il a construit
25:26 une très grande centrale pour capter le soleil.
25:29 -La centrale solaire. -Il a fait beaucoup de choses.
25:32 Dans les directives.
25:34 Il y a le Parlement, le peuple, c'est autre chose.
25:37 -Aujourd'hui, le Maroc, aussi,
25:39 regarde beaucoup vers l'Afrique subsaharienne.
25:41 -Très important. -Énormément d'investissements.
25:44 -Ça, par amour de l'Afrique.
25:46 Mohammed VI adore l'Afrique,
25:48 et il a un petit peu, disons, rectifié une erreur de son père,
25:53 qui n'avait pas une très grande proximité
25:56 en dehors de Senghor et Foix-de-Boigny.
25:59 Mais Mohammed VI,
26:01 il est allé dans presque tous les Etats africains,
26:05 il a séjourné longtemps,
26:07 il a des relations privilégiées avec beaucoup d'entre eux,
26:10 et il y a des investisseurs marocains qui l'ont suivi,
26:13 et le Maroc est devenu un pays émergent,
26:16 et les relations entre beaucoup de pays africains
26:20 et le Maroc sont excellentes.
26:22 -Merci, Tahar Majeloun.
26:24 Merci beaucoup de votre... -Merci, à vous.
26:26 -De vos réponses.
26:28 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
26:31 Générique
26:33 ...

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