• l’année dernière
Transcription
00:00 * Extrait de « La saga millenium » de Nicolas Herbeau *
00:18 Oh comme il n'est pas simple d'hériter d'un grand succès de librairie la saga millenium
00:23 On en parle ce midi dans la table critique car vient d'être publié chez Actes Sud
00:27 le premier volume de la nouvelle trilogie de cette saga
00:31 Polar à succès suédois, la fille dans les serres de l'aigle
00:36 Troisième trilogie qui a été confiée à Karine Smirnoff
00:40 Et puis puisqu'on parle ce midi de littérature noire
00:42 nous avons aussi mis entre les mains de nos critiques
00:44 Oka Vango de l'auteur français Karyl Ferret
00:46 Un polar au cœur des réserves animalières d'Afrique
00:50 Et pour en débattre nous accueillons Élise Lépine, bonjour
00:53 Bonjour
00:53 Vous êtes journaliste littéraire au point
00:55 Et nous accueillons un familier de la maison, François Angelier, bonjour
00:59 Bonjour
01:00 Vous êtes producteur de l'émission Mauvais Genre sur France Culture
01:03 le dimanche de 15h à 16h
01:05 et je vous présente aussi comme spécialiste de littérature populaire
01:08 Tout à fait
01:08 Bienvenue à tous les deux dans les midis de culture
01:10 Nous commençons donc cette table critique avec « Millenium » le tome 7
01:23 La fille dans les serres de l'aigle de Karine Smirnoff
01:26 dans la collection Actes Noirs des éditions Actes Sud
01:30 Le nettoyeur regarde l'heure
01:32 41 secondes se sont écoulées
01:35 entre le moment où il a rempli la pas de charogne
01:37 et l'arrivée du premier aigle, une femelle
01:41 Il ne sait jamais précisément d'où ils vont surgir
01:44 Ils peuvent nicher dans un arbre tout près
01:47 ou planer à des hauteurs incroyables
01:49 Leur acuité visuelle 200 fois supérieure à celle de l'homme
01:53 leur permet de détecter une proie à des kilomètres
01:56 Caché à 50 mètres de là
01:58 le nettoyeur observe le festin à travers ses jumelles
02:03 Les premières lignes nous dressent donc le décor
02:05 Bienvenue dans le nord de la Suède en pleine nature
02:07 sur des terres qui ont été classées réserve naturelle
02:10 L'observation des aigles qui est décrite
02:12 nous rappelle tout de suite le titre de ce premier volet
02:15 de cette troisième trilogie
02:17 J'espère que vous suivez « La fille dans les serres de l'aigle »
02:20 tome 7 de Millennium qui reste fidèle au choix des personnages
02:23 de Stieg Larsson, celui qui a inventé la saga
02:26 mort d'une crise cardiaque en 2004
02:27 On retrouve donc le célèbre journaliste d'investigation
02:30 Michael Blomqvist, même s'il est devenu grand-père
02:34 et que son journal s'est transformé en podcast
02:36 on va en reparler, ainsi que son acolyte
02:38 la hackeuse Lisbeth Salander
02:40 Tous les deux doivent donc prendre le train
02:41 pour se retrouver au même endroit
02:43 dans une ville imaginaire, Gascasse, au nord du pays
02:46 et pour des raisons différentes
02:48 Blomqvist marie sa fille au maire de la ville
02:50 dont les fréquentations sont quelque peu douteuses
02:52 voire dangereuses
02:53 Salander doit, elle, s'occuper de sa nièce
02:56 depuis que sa mère a totalement disparu
02:58 Comme ça tombe bien qu'ils soient là, tous les deux réunis
03:00 alors que des entreprises et des criminels
03:02 tentent de tirer profit en exploitant cette réserve naturelle
03:05 et en installant un parc éolien
03:07 malgré l'opposition de certains habitants
03:09 François Angelier, vous êtes-vous laissé embarquer
03:12 par le souffle de cette nouvelle autrice ?
03:15 Oui, il faut dire les choses réellement
03:17 mais pourquoi je me suis laissé embarquer ?
03:19 Alors la question elle est là
03:20 Est-ce parce que j'ai lu au moins 4 des précédents volumes
03:24 ou quelque quoi, il y a une espèce d'effet musée
03:27 on pense à des souvenirs de lecture
03:29 du premier, du deuxième, du troisième
03:31 enfin la trilogie Larson
03:33 je suis moins fan de la période Berger-Krantz
03:36 Alors c'est ça toujours l'énigme qui se pose
03:39 je veux dire, est-ce qu'on aime les personnages
03:40 parce qu'on a vécu avec eux des moments de lecture
03:42 assez extraordinaires il y a de ça 20 ans ?
03:45 Peut-être, mais je dois dire quand même
03:47 que le travail de reformatage
03:51 est quand même assez réussi
03:53 même si c'est toujours un peu difficile
03:56 de voir Michael Blomquist en pré-retraite
03:59 faisant un petit peu le consultant pour presse régionale
04:02 et puis Lisbeth Salander en tata gentille
04:05 donnant des cours de karaté à son héritière spirituelle
04:10 donc si vous voulez, c'est à la fois réussi
04:14 mais je pense que c'est surtout très émouvant
04:16 pour les primo-lecteurs, ceux qui avaient dévoré
04:19 j'en suis, la première trilogie
04:21 mais ça se lit très très bien
04:23 avec notamment une gestion de la violence
04:25 qui est assez étonnante, beaucoup plus ramassée
04:27 beaucoup plus fulgurante et peut-être plus angoissante
04:31 On va reparler de la violence dans un instant
04:32 Élise Lépine, vous aussi émue de retrouver ces deux personnages ?
04:36 Oui, émue de retrouver les personnages
04:38 émue de retrouver la saga dans son ADN originel
04:41 parce que je trouve qu'il y a quand même plus de points communs
04:43 entre Karine Smirnoff et Stieg Larsson
04:45 qu'entre Stieg Larsson et David Lagerkrantz
04:47 qui était un aristocrate plutôt dans les sphères de droite
04:53 contrairement à Stieg Larsson qui lui était vraiment
04:56 un homme de gauche engagé
04:57 Là on se retrouve avec une autrice qui a vécu mille vies
05:01 qui a dirigé une Syrie dans les forêts
05:04 qui a été journaliste, qui a été punk
05:07 qui a vécu à Paris, qui a élevé des enfants toute seule
05:09 et puis qui a commencé à écrire à la cinquantaine
05:11 et qui là se retrouve avec cette saga entre les mains
05:13 et qui en fait quelque chose de vraiment bien
05:15 Je pense qu'on peut commencer quand même par dire que
05:17 pour moi, je pense que c'est pareil pour vous François
05:20 personne n'arrivera ou n'est arrivé à reprendre vraiment
05:25 le flambeau de Stieg Larsson et à l'égaler
05:27 et à mon avis c'est impossible
05:29 Donc il faut déjà renoncer à ça quand on commence à lire
05:31 les nouveaux tomes de cette aventure de Millenium
05:34 À partir du moment où on a renoncé à ça
05:36 effectivement il y a un plaisir et une émotion
05:38 de retrouver ces personnages
05:39 Moi ça m'a moins dérangé de les voir vieillissant
05:42 justement parce que je trouve qu'elle amène
05:44 avec beaucoup de tendresse et d'intelligence
05:48 ces héritiers et cette héritière sur Valas
05:51 Rentrons dans le détail, par exemple pour le journaliste
05:54 d'investigation presque à la retraite
05:55 la Mikael Blomqvist
05:58 elle considérait qu'à Rinsmirnoff
05:59 que ce personnage n'était pas très intéressant
06:02 parce qu'il travaillait trop ou parce qu'il était
06:04 et ça c'est effectivement l'image qu'on a de lui
06:06 trop courant de jupons
06:07 donc elle essaye en quelque sorte de leur donner
06:10 à lui d'ailleurs et à Salander aussi
06:13 une forme d'épaisseur, de relief
06:16 un peu plus important aujourd'hui
06:17 peut-être avec l'âge qui vient
06:19 Mikael Blomqvist il est un petit peu en retrait
06:22 on le voit moins quand même dans cette saga-là
06:24 enfin dans ce tome-là
06:26 il est fatigué et il découvre quelque chose
06:29 qui effectivement n'avait pas été exploité
06:31 par les deux précédents auteurs
06:33 qui est la fibre paternelle
06:35 la fibre grand-paternelle
06:36 je ne sais pas si ça se dit
06:37 il explore un peu la réalité des sentiments et des émotions
06:43 autres que ceux que peuvent provoquer les femmes
06:46 ou l'investigation journalistique
06:48 là il découvre et puis il va lui arriver des choses
06:50 sa famille va être attaquée dans l'histoire
06:54 donc forcément ça le secoue
06:56 ça réveille chez lui des choses qu'on ne connaissait pas
06:59 qui sont une forme d'émotivité plus grande
07:02 donc ça c'est touchant
07:04 François Rangelier, sur les personnages
07:06 Oui sur la complexité des personnages
07:08 il ne faut pas non plus trop en faire
07:10 parce qu'effectivement les personnages au moins tels que les a inventés Larson
07:13 étaient déjà extrêmement complexes
07:15 il faut quand même rappeler que Lisbeth Salander
07:17 la cyberpunkette, warrior, tout ce qu'on veut
07:21 est quand même un personnage qui a été inventé
07:25 qui est devenu un personnage clé dans l'imaginaire
07:28 de la fiction contemporaine
07:30 qui a été inventé dans Millenium
07:32 comme le capitaine Nemo
07:34 ou autre, c'est un personnage qu'on a vu naître là
07:37 donc le personnage avait déjà sa complexité
07:40 puisqu'il était confronté à une espèce de détresse sociale
07:43 à une sorte de folie physique
07:46 et à un génie intellectuel totalement dévastateur
07:49 donc elle a gardé ça
07:51 alors évidemment les personnages sont un peu patinés
07:53 sont un petit peu apaisés
07:55 mais ils sont adoucis
07:57 ils ne sont pas adoucis mais ils ont je dirais
07:59 la connaissance de leur colère
08:01 ils ont la science de leur fureur
08:03 et à quel moment on a la science de sa fureur ?
08:06 les vieux samouraïs
08:08 vous savez les vieux samouraïs ils donnent moins de coups d'épée
08:10 que les jeunes samouraïs
08:12 les jeunes samouraïs montrent à quel point il est talentueux
08:16 donc en 4, 5, 10 coups
08:18 il arrive à démonter son adversaire
08:20 le vieux samouraï est un sage
08:22 en deux coups la question est réglée
08:24 c'est un peu comme dans le crabe tambour
08:26 quand Dufilo à propos de Rochefort
08:28 en 8 moments il arrive à manœuvrer le cargo
08:31 le bateau de guerre, là c'est pareil
08:33 donc on a des gens qui sont un peu plus
08:35 calmes, arrondis
08:37 mais qui ont toujours la fureur
08:39 c'est peut-être le talent aussi de Karine Smirnoff
08:41 de montrer que tout ça est à l'intérieur
08:44 et que ça n'est plus dans cette espèce d'extraversion
08:47 terrible parce qu'il faut quand même relire les 3 premiers
08:50 pour voir ce qu'était la colère de Lisbeth Salander
08:53 la colère intellectuelle
08:55 et la colère physique
08:57 - Vous avez prononcé le mot "d'héritier"
09:00 donc tous les deux ont un héritier
09:03 dont ils vont s'occuper
09:05 ça c'est peut-être la première chose
09:07 qui modifie la personnalité de ces personnages
09:11 dans l'intrigue, où est-ce qu'on nous emmène ?
09:15 parce qu'on a beaucoup dit que Karine Smirnoff
09:18 essayait de reprendre et de faire des petits clins d'œil
09:21 à la première trilogie
09:23 est-ce que là aussi on a l'impression de retrouver
09:26 sur les thèmes abordés, notamment la politique
09:29 des choses qu'on a déjà connues ?
09:31 - Oui, elle s'engage, et là on retrouve vraiment
09:34 l'héritage de Stieg Larsson
09:36 elle s'engage pour des thématiques politiques fortes
09:38 l'écologie, avec ses questions de "greenwashing"
09:42 là on entendait le mot juste avant aux infos
09:44 mais c'est vrai, c'est ça, c'est du greenwashing
09:46 c'est de l'enfumage complet
09:48 et puis c'est une planète qu'on détruit
09:50 ce sont des gens qu'on menace
09:52 qu'on attaque
09:54 elle soulève des scandales
09:56 comme l'a fait Stieg Larsson à son époque
09:58 et c'était intéressant en 2003
10:00 parce que c'était le moment où Ségolène Royal
10:02 chantait le modèle suédois dans ses discours
10:04 pour la présidence
10:06 elle disait "le modèle suédois, ils ont tout compris"
10:08 et puis là, boum, "millennium"
10:10 et on voit la violence, la corruption, etc
10:14 les violences sexuelles en Suède
10:16 donc là, elle poursuit ça
10:18 on a tendance à penser que les pays scandinaves
10:20 écologiquement sont un peu plus propres
10:22 que les autres
10:24 et là, elle met le doigt sur ce qui fait mal
10:26 donc là, elle est vraiment héritière de Stieg Larsson
10:28 - Les critiques qui sont parues sont vraiment pas très bonnes
10:30 est-ce que vous pensez que ces critiques-là
10:32 tiennent au fait
10:34 qu'on n'arrive pas à se consoler
10:36 du fait que ce soit plus Stieg Larsson
10:38 ou vraiment, il y a quand même des problèmes dans ce livre
10:40 une intrigue fade
10:42 des personnages trop sympas
10:44 que finalement, on a perdu beaucoup
10:46 - Des personnages trop sympas
10:48 il faut voir quand même en détail
10:50 je crois que M. Branco
10:52 soit un personnage excessivement sympathique
10:54 - C'est qui ? C'est le patron de...
10:56 - M. Branco, c'est l'homme qui tire les selles
10:58 c'est le "puppet master"
11:00 c'est l'homme qui dans l'ombre de son bunker
11:02 et des souterrains, c'est une espèce un peu hitlérien
11:04 tire les ficelles d'une espèce de gigantesque magouille locale
11:08 autour de l'écologie
11:10 je pense pas que ce soit quelqu'un de très sympathique
11:12 et de la manière dont il est mis en scène, assez habilement
11:14 il apparaît comme ça, comme une espèce de monstre
11:16 avec les gens qu'il entoure
11:18 il est entouré d'une sorte de prétoriens
11:20 cagoulés de noir, qui ne sont pas eux non plus des modèles de douceur
11:22 donc je pense pas à ce niveau là
11:24 que ce soit vraiment le cas
11:26 et puis c'est vrai qu'on retrouve l'inspiration du premier
11:30 la trilogie Larsson
11:32 le premier tome qui s'appelait "L'homme qui n'aimait pas les femmes"
11:34 là aussi ça a été repris aujourd'hui dans le 7
11:36 c'est un règlement de compte avec le modèle suédois
11:40 l'image mythique du modèle suédois
11:42 justement en montrant la collaboration
11:46 entre l'aristocratie locale et les nazis
11:50 donc ça, ça a été réglé
11:52 puis après il y a eu justement les questions beaucoup plus contemporaines
11:54 dans les deux tomes qui ont suivi
11:56 et là on retrouve ça, effectivement
11:58 on retrouve une espèce de règlement de compte
12:00 et de dénonciation
12:02 sur tout ce qui est les
12:04 les enfumages effectivement
12:06 industriels, idéologiques, actuels
12:08 avec le personnage qui s'appelle Henri Salaud, le malheureux
12:10 - Bien nommé - Esa-Hélo
12:12 qui est intéressant parce qu'il est à la fois
12:14 tiraillé, enfin c'est un personnage qui est plus victime
12:18 de l'histoire et de sa propre histoire
12:20 qu'il ne veut bien le dire
12:22 c'est un personnage donjouanesque, arrogant
12:24 magouilleur, violent
12:26 donc on se dit "ben voilà, c'est le méchant"
12:28 mais bon, après on découvre que comme beaucoup de personnages
12:30 de cette série, il a
12:32 une sorte d'arrière d'histoire
12:34 personnelle extrêmement douloureuse
12:36 et parfaitement atroce
12:38 donc le personnage est complexifié par ses origines
12:40 et sa manière de fonctionner aussi
12:42 enfin c'est
12:44 à mon avis c'est le personnage le plus réussi
12:46 du livre
12:48 cette espèce d'élu municipal
12:50 qui se croit le maître de la situation
12:52 et qui n'est en définitive que la victime
12:54 de son temps et de son époque
12:56 - Sans trop en dire
12:58 sur l'intrigue, parce que parfois moi j'ai eu du mal
13:00 aussi à tout comprendre, il faut quand même se laisser
13:02 un peu porter et aller un peu loin dans le livre
13:04 pour tout saisir, mais
13:06 on parlait de violence tout à l'heure avec François Angélique, elle est où cette violence ?
13:08 Est-ce qu'on retrouve cette atmosphère
13:10 sombre des premiers
13:12 volets ?
13:14 - Elle est dès le début, il y a cette scène d'introduction
13:16 avec le fameux
13:18 maître des aigles qui est un homme
13:20 de main, qui va tuer une femme et qui va
13:22 la violer avant, la scène de viol moi j'ai
13:24 trouvé qu'elle donnait le ton du livre, parce qu'en fait
13:26 elle est très brève, elle est très violente, elle est pas
13:28 du tout complaisante, elle est dégoûtante
13:30 mais sans détail
13:32 et elle se termine vite et
13:34 il y a un crime, et moi j'ai trouvé que là ça donnait
13:36 la couleur justement François, au tout début de votre
13:38 de cette émission vous disiez que la violence
13:40 était plus ramassée, plus brute et
13:42 j'ai trouvé que ça c'était très réussi, parce que
13:44 chez Stieg Larsson
13:46 il y avait de longues scènes de violence, il y avait
13:48 de longues descriptions de violence sexuelle
13:50 etc, là c'est plus brutal
13:52 plus ramassé, plus frontal
13:54 et je trouve qu'il y a quelque chose de politique aussi
13:56 dans ce traitement de la violence. - François Angélique ?
13:58 - Oui, elle apparaît dans
14:00 des moments qui sont un peu interstitiels
14:02 qui ont un... on en se connaît, par exemple un moment
14:04 il y a un des hommes de main de Branco,
14:06 on va pas trop en dire
14:08 mais c'est un grand...
14:10 c'est un ogre, dévorateur de
14:12 femmes de manière compulsive
14:14 et donc il faut la provisionner
14:16 et il envoie ses hommes de main dans
14:18 une sorte d'asile
14:20 de migrants, et alors bon
14:22 il faut quand même un type de
14:24 de chair fraîche bien particulière
14:26 donc on va d'une chambre à l'autre
14:28 et l'homme de main dit "non ça c'est pas, non, non, non, c'est pas"
14:30 et puis il dit "bon ben
14:32 le responsable local qui est également
14:34 mouillé dans des histoires très sordides
14:36 dit "bon maintenant j'ai plus personne à proposer"
14:38 l'autre dit "mais t'es sûr ?" et puis il est obligé d'avouer
14:40 qu'il y a une dernière chambre, c'est un peu comme
14:42 Barbe Bleue qui l'ouvre et là, là il y a quelqu'un
14:44 qui va être victime. Et le personnage
14:46 dit "ben tu vois quand tu veux
14:48 madame fera très bien la... ", une phrase à peu près équivalente
14:50 c'est rien !
14:52 Mais c'est extrêmement violent
14:54 et c'est très fort là.
14:56 - Et il lui dit "si tu nous donnes pas une fille, on va aller voir
14:58 du côté du secteur des enfants"
15:00 - C'est des petites choses comme ça.
15:02 - Pour terminer, est-ce qu'on peut commencer par celui-là
15:04 si on n'a jamais rien lu ou est-ce qu'on
15:06 revient aux origines d'abord ? - C'est dommage de commencer
15:08 par celui-là, de se priver quand même de
15:10 Millenium 1, 2, 3
15:12 qui sont incroyables, mais après
15:14 c'est pas grave de le faire.
15:16 - Non, je pense qu'il faut commencer par
15:18 le début, et peut-être même par
15:20 le numéro 2, si mes souvenirs sont bons
15:22 c'est l'apparition d'Isbeth Salander
15:24 comme personnage central.
15:26 On commence par le numéro 2, ensuite on lit
15:28 le numéro 3, on lit le numéro 1
15:30 et puis après tout c'est intéressant, histoire.
15:32 - Et voilà. - L'ordonnance du docteur
15:34 Angelou Schlesser. - On peut lire
15:36 le numéro 7.
15:38 * Extrait de Millenium *
15:40 - Millenium, tome 7
15:58 "La fille dans les serres" de l'aigle de Karim Smirnov
16:00 roman traduit du suédois par
16:02 Hegé-Roel Rousson, publié aux éditions
16:04 Actes Sud dans la collection Actes Noires
16:06 deux autres volets sont attendus.
16:08 * Extrait de Millenium *
16:10 - Nous parlons à présent d'un auteur
16:20 français, Karyl Ferré, qui a publié
16:22 Okavango aux éditions Gallimard
16:24 collection série noire.
16:26 * Extrait de Millenium *
16:28 * Extrait de Millenium *
16:30 * Extrait de Millenium *
16:58 - Bienvenue dans la réserve
17:00 de Wild Bunch.
17:02 Une réserve animalière installée le long du fleuve
17:04 Okavango qui donc donne
17:06 son titre à ce roman.
17:08 Aux frontières de 5 pays,
17:10 la Namibie, la Zambie, le Zimbabwe, le Botswana
17:12 et l'Angola. C'est dans cette réserve
17:14 que se déroule l'intrigue. Un meurtre
17:16 est signalé, découvert par un groupe de touristes
17:18 et leur guide. Ce cadavre serait celui
17:20 d'un braconnier. Vient alors
17:22 la ranger du Botswana, Solana
17:24 Betwaz, qui se rend sur place
17:26 et qui va devoir faire avec le propriétaire
17:28 des lieux, John Latman. Pas très
17:30 coopératif alors qu'il y aura
17:32 d'autres morts et d'autres
17:34 animaux empoisonnés. Difficile de décrire
17:36 leurs relations. Ils sont en tout cas guidés par
17:38 la défense, tous les deux.
17:40 La volonté de protéger et de défendre les animaux
17:42 perpétuellement mis en danger par ces braconniers
17:44 et notamment le trafiquant surnommé
17:46 Scorpion qui n'est jamais bien loin.
17:48 Après plusieurs polars situés
17:50 en Amérique du Sud ou en Sibérie,
17:52 Karyl Ferret place donc son intrigue sur le continent
17:54 africain à nouveau
17:56 pour dénoncer les ravages causés par l'homme
17:58 sur la nature et sur ses espèces protégées.
18:00 Élise Lépine, avez-vous été sensible à
18:02 ce nouveau décor et à cette nouvelle intrigue ?
18:04 Oui, très sensible.
18:06 Je lis les romans de Karyl Ferret
18:08 depuis très longtemps, depuis bien avant
18:10 de faire ce métier. J'étais déjà
18:12 complètement conquise et là
18:14 je trouve qu'il graduellement
18:16 à chaque fois développe une nouvelle
18:18 facette de son talent ou le
18:20 fait grandir. Donc là, on est dans
18:22 un livre qui est plus sensible
18:24 que certains précédents
18:26 romans. Il est plus
18:28 sentimental si je puis dire
18:30 parce que ça touche une corde sensible
18:32 chez Karyl Ferret qui est celle de la défense des animaux
18:34 et quand on lui en parle, il nous explique qu'il a eu
18:36 son premier drame d'enfance, il avait 6 ans
18:38 c'était un animal braconné
18:40 on n'avait pas dormi de la nuit, etc.
18:42 Là, il va vraiment chercher quelque chose qui lui
18:44 fait mal. C'est quelqu'un qui voyage beaucoup
18:46 pour écrire ses polars, comme vous l'avez dit, qui part
18:48 à chaque fois dans le pays
18:50 où il va situer son intrigue. Là, il l'a fait
18:52 également et on est vraiment dans un roman
18:54 que je trouve assez complet, c'est-à-dire qu'on a une
18:56 superbe intrigue, on apprend des choses
18:58 quand même assez foudroyantes
19:00 sur le trafic des animaux, la mafia
19:02 etc. Et puis il y a une écriture
19:04 que je trouve toujours, qui déploie
19:06 toujours toutes ces
19:08 facettes comme ça, qu'il ne s'interdit
19:10 rien, il écrit bien, il s'interdit
19:12 aucun mot, aucun adjectif, aucune
19:14 formule. Moi, j'aime beaucoup.
19:16 - François Angelier, sur la sensibilité
19:18 de l'auteur et peut-être aussi sur ce côté
19:20 presque documentaire, car il
19:22 travaille beaucoup en amont, on l'a dit.
19:24 - Oui, alors déjà, ce qui fait que
19:26 c'est un cas à part, Caril Ferret, c'est quelqu'un de
19:28 profondément sincère, ce qui n'est pas le cas
19:30 de tous les auteurs de polar, qui sont souvent
19:32 des fesseurs et de médiocres fesseurs.
19:34 - C'est dit. - Là, on a affaire
19:36 - je ne parle pas de Caril
19:38 Ferret - là, on a affaire à quelqu'un qui est
19:40 sincère, c'est-à-dire
19:42 qui vit véritablement à la
19:44 cadence de ce qu'il écrit, qui pense
19:46 ce qu'il dit, qui dit ce qu'il pense et qui est
19:48 véritablement dans une
19:50 espèce de démarche personnelle.
19:52 Alors, qui l'emmène aux quatre coins du monde, effectivement.
19:54 On a connu Caril Ferret
19:56 avec Uthu et Aka chez les Maoris, Zulu
19:58 c'était en Afrique du Sud, Mapuche
20:00 c'était en Amérique du Sud.
20:02 Donc, il se déplace et à chaque
20:04 fois, c'est ça qui est terrible, c'est qu'il refuse
20:06 le jeu de l'exotisme.
20:08 On est dans des biotopes,
20:10 comme on dit savamment, ou dans des milieux,
20:12 des populations, des cultures, des folklores,
20:14 des fournes, tout ce qu'on veut. Chaque fois
20:16 radicalement différent, qu'il a
20:18 pris le temps de connaître.
20:20 Et en même temps, on retrouve toujours
20:22 les mêmes problèmes. C'est ça qui veut dire
20:24 que la planète est vaste, mais que
20:26 les emmerdements sont assez restreints.
20:28 C'est-à-dire, grosso modo,
20:30 l'exploitation, l'asservissement,
20:32 le pouvoir,
20:34 tout ça. Je veux dire, et à chaque fois,
20:36 c'est les mêmes figures qui apparaissent
20:38 sous un autre habillage.
20:40 Et donc là, effectivement, c'est
20:42 encore quelque chose de neuf au contact
20:44 de ce qu'est le trafic animalier mondial,
20:46 qui est encore
20:48 un nouveau problème. - Donc il revient en Afrique,
20:50 parce que vous l'avez dit, dans Zulu, il y était déjà
20:52 allé. Il va passer pour ce
20:54 livre Okavango deux fois
20:56 un mois en Namibie, pour
20:58 enquêter sur le braconnage. Alors ça,
21:00 c'est intéressant, mais est-ce que ça donne
21:02 de la crédibilité à ses personnages
21:04 et à son récit ? Ou est-ce que du coup, parfois,
21:06 on n'est pas trop dans le documentaire,
21:08 pas le documentaire animalier, mais
21:10 le côté très informationnel,
21:12 presque très descriptif, Elisepine ?
21:14 - Non, parce que comme le disait très justement
21:16 François, on échappe avec lui au mode
21:18 et on échappe absolument au cahier des charges.
21:20 C'est pas du tout un écrivain qui coche des cases.
21:22 Et il y a des modes dans le polar.
21:24 Le polar nordique, on vient d'en parler, c'est quand même
21:26 un truc qui a commencé avec
21:28 Millenium et puis qui est devenu... Tous les Français
21:30 se mettent à écrire un polar qui se passe en Norvège.
21:32 Voilà, là, lui, il y va... - Mais c'est bientôt fini ?
21:34 - J'espère !
21:36 Mais il y va
21:38 parce qu'il est poussé, mais viscéralement,
21:40 par l'envie d'investir
21:42 un endroit, de le découvrir et de le retranscrire.
21:44 Et donc, il n'y a pas d'aspect vraiment documentaire.
21:46 Parce qu'il fait chair
21:48 avec son sujet. Donc, tout ça
21:50 est intriqué avec
21:52 ses émotions, sa colère, sa rage,
21:54 son talent d'écrivain et ce qu'il a observé sur place.
21:56 De façon, on l'imagine, moi, j'ai jamais
21:58 voyagé avec Caryl Ferré autrement qu'avec les livres,
22:00 mais on imagine que quand il est sur place,
22:02 il n'est pas du tout dans un 5 étoiles
22:04 à faire un petit peu de recherche 2 heures par jour
22:06 et puis le reste du temps, il se dorer la pilule.
22:08 C'est vraiment quelqu'un qui rentre dans ses sujets et donc,
22:10 ça se ressent dans les livres. - Je voulais être tueur
22:12 de braconis quand j'étais petit, écrit Caryl Ferré.
22:14 Je le veux toujours. Écrire
22:16 comme remède. Les personnages,
22:18 François Angelier, qu'est-ce qu'ils ont de particulier ?
22:20 - Les personnages,
22:22 ils obéissent un petit peu
22:24 au problème traité. C'est-à-dire que pour certains,
22:26 la chasse, le safari,
22:28 la chasse, l'exploitation des
22:30 richesses animalières, au sens, comme on dit,
22:32 des richesses minières, est
22:34 véritablement une industrie
22:36 que l'on mène à bien avec le maximum
22:38 d'efficacité, soucis du rendement,
22:40 de la croissance, des chiffres et tout ça.
22:42 Donc, une espèce de vision.
22:44 Les personnages sont à la fois
22:46 sur place, mais en même temps, ils sont ailleurs.
22:48 Ils pourraient être n'importe où. Donc, ça donne
22:50 des personnages qui sont violents, qui sont
22:52 détachés. Ça, c'est notamment
22:54 le grand exploitant
22:56 en animaux rares.
22:58 Donc, ça, c'est des gens détachés.
23:00 Et puis à côté, il y a ceux qui sont
23:02 viscéralement liés, on l'a dit,
23:04 à la faune locale. Donc, ça donne une espèce
23:06 de rapport totalement...
23:08 une disjonction permanente
23:10 entre ceux qui sont, je dirais,
23:12 qui font corps avec l'animal,
23:14 qui font corps avec la faune, et ceux qui
23:16 n'y voient qu'une source
23:18 de rendement. Donc, ça donne déjà
23:20 à l'histoire une sorte de double
23:22 régime permanent
23:24 qui est assez fascinant
23:26 et vient celui... Alors, il y a
23:28 la biologie, je veux dire, l'espèce strictement
23:30 scientifique, la faune, la biologie
23:32 et tout ça. Mais il y a la dimension de l'imaginaire,
23:34 il y a la dimension du folklore
23:36 qui est une troisième dimension
23:38 qui ronde dans tout ça. Et ça crée
23:40 des personnages très complexes
23:42 et qu'on ne peut pas
23:44 justement réduire à des schémas et à des
23:46 archétypes. - Élise Lépine ? - Et puis, il y a
23:48 des personnages de femmes aussi que j'ai trouvés assez
23:50 incroyables. Il y a Solana, donc vous en avez
23:52 parlé, qui est cette ranger qui
23:54 a un mariage, qui bat de l'aile, etc.
23:56 qui va essayer de se chercher aussi, tout en cherchant
23:58 les braconniers et les
24:00 criminels. Il y a Priti, qui est une jeune
24:02 fille, qui vient aussi
24:04 d'une ethnie, parce qu'on en apprend beaucoup sur
24:06 les ethnies locales. Et là, le documentaire
24:08 passe très bien, mais on a quand même énormément
24:10 d'informations. Donc, ces femmes-là
24:12 échappent complètement aux clichés
24:14 exotiques, qui est le
24:16 grand risque quand même, quand un homme
24:18 blanc écrit sur des femmes
24:20 africaines qui vivent... Et il
24:22 le fait de manière, moi, j'ai trouvé très
24:24 rigoureuse, très humble.
24:26 Il n'y a pas du tout d'explication
24:28 de ce que c'est qu'une femme, ce que c'est qu'une femme
24:30 en Afrique, etc. Il arrive vraiment, il nous donne
24:32 des personnages complexes,
24:34 riches, profonds, courageux,
24:36 mais pas non plus des
24:38 archétypes de la nana qui débarque
24:40 à la kill bill avec son sabre, etc.
24:42 C'est vraiment une grande subtilité
24:44 et il est vraiment du côté
24:46 des femmes, de la bonne façon.
24:48 Pas de la façon dont certains auteurs
24:50 se disent du côté des femmes, et puis en fait, ils sont du côté de leur
24:52 fantasme. - Et les animaux ?
24:54 - Et les animaux ? - J'allais vous lancer sur les animaux.
24:56 - On ne regardera plus les hyènes
24:58 de la même manière quand on a
25:00 lu le roman Okavango de
25:02 Caril Ferret. On ne regardera
25:04 du tout non plus les rhinocéros de la même manière.
25:06 Il y a des considérations sur l'accouchement
25:08 des mamans rhinocéros. Je veux pas
25:10 dire que j'ai pleuré, mais j'ai
25:12 eu une sorte d'émotion sur la
25:14 protection de l'enfant nouveau-né
25:16 et tout ça. Idem pour
25:18 les éléphants. Il y a véritablement, on dit souvent,
25:20 "Ah bah oui, mais la ville est un personnage du roman."
25:22 C'est une partie des choses qu'on dit.
25:24 Il y a un peu les poncifs.
25:26 Là, on peut dire que les animaux sont
25:28 véritablement non pas un élément
25:30 du décor, mais une sorte
25:32 de puissance, de force dramatique
25:34 totalement insérée dans le roman.
25:36 Il y a véritablement... Alors évidemment,
25:38 les personnages d'animaux ont
25:40 une sorte d'existence. Il n'y a pas
25:42 d'animaux individualisés, mais on peut dire
25:44 que le spectacle,
25:46 véritablement, la communion avec
25:48 la faune est poussée très très loin.
25:50 - Voir les animaux sauvages est bouleversant.
25:52 Ou alors, on est un caillou, écrit
25:54 Ferrer à la fin de son livre,
25:56 dans une note de l'auteur. Où est la noirceur
25:58 dans ce tableau que vous nous avez décrit ?
26:00 C'est très beau, les animaux sont formidables.
26:02 - Oui, c'est quoi l'enquête ? Est-ce que c'est très évident ?
26:04 - Qu'est-ce qui nous saisit ? Qu'est-ce qui nous pétrifie ?
26:06 - Alors déjà, il y a des morts.
26:08 Il y a un mort dès le début, donc ne soyez pas
26:10 inquiets, il y aura des cadavres. - Ce ne sont pas des demi-morts.
26:12 - Ce ne sont pas des demi-morts. - Ils sont bien morts.
26:14 - Ils sont bien morts, ils sont morts dans la douleur, etc.
26:16 Donc tout va bien, mais
26:18 la violence, elle est d'une part,
26:20 j'ai trouvé très intéressante, dans le monde
26:22 animal en soi, c'est-à-dire qu'elle est
26:24 intrinsèque et nous montre aussi la violence
26:26 entre les animaux, etc. Mais surtout, elle est
26:28 dans ce système absolument délirant
26:30 d'exploitation et de
26:32 massacre à grande échelle d'animaux
26:34 par tous les moyens possibles. On les empoisonne,
26:36 on les piège, on les tue
26:38 au couteau, à la mitrailleuse, etc.
26:40 Et là, il y a quand même un
26:42 constat déplorable et terrible
26:44 sur la violence
26:46 affreuse qui est faite aux animaux par
26:48 ces mafias pour donner des
26:50 érections à des gens qui mangent des cornes de rhinocéros.
26:52 - Même indépendamment des
26:54 guerres civiles locales, il y a
26:56 une harde d'éléphants qui, paniqués,
26:58 partent sur un champ de mines
27:00 et ils décrivent l'explosion
27:02 - L'explosion des éléphants. - L'explosion, le massacre
27:04 des éléphants par les mines.
27:06 - C'est plus violent que tout.
27:08 - Ca s'appelle "Okavango" de Caril Ferré, aux éditions
27:10 Calimard Collection, série noire. On vous met toutes les références
27:12 à la page de l'émission sur le site de France Culture.
27:14 Merci beaucoup Élise Lépine, on vous lit dans le
27:16 point. François Angeli, on vous retrouve dimanche
27:18 à 15h pour "Mauvais genre" sur
27:20 France Culture. Merci à tous les deux.
27:22 Notre émission est à l'écouter sur le site de France Culture
27:24 et sur l'appli Radio France.

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