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00:00 -Sud-ouest de la France, Gorges-de-l'Aveyron.
00:03 Dans ce décor immuable, tout respire la préhistoire.
00:06 On ne compte plus les grottes et les pieds de falaises
00:09 qui ont livré des sites d'habitats, des sépultures
00:13 et même des grottes ornées.
00:15 Mais ce que les spéléologues ont découvert dans une grotte secrète,
00:22 à 350 m de l'entrée,
00:24 dépend de la nature de la grotte.
00:26 Les grottes secrètes, à 350 m de l'entrée, dépassent l'imagination.
00:31 Leurs lampes ont sorti des ténèbres
00:34 une étrange architecture venue d'un autre temps.
00:37 Des centaines de stalagmites, brisés, rangés,
00:41 empilés les unes sur les autres,
00:44 avec ici et là des traces de feu.
00:47 Qui a construit ça ?
00:49 Quand ? Et pourquoi ?
00:51 Depuis sa découverte, il y a 25 ans,
00:54 la grotte n'a jamais révélé ses secrets.
00:57 Une équipe de chercheurs a décidé d'y retourner,
01:00 espérant enfin résoudre l'énigme de Bruniquel.
01:04 J'ai conscience d'être dans un site unique.
01:07 C'est un privilège.
01:09 Pendant 4 ans, nous les avons suivis dans leur enquête.
01:12 Nous sommes allés là où aucune caméra n'avait encore jamais pu entrer,
01:16 là où aucun visiteur n'aura jamais le droit de pénétrer.
01:21 C'est vraiment très vieux, très ancien.
01:24 C'est énorme.
01:26 Nous avons accompagné ces explorateurs de la science
01:33 dans les méandres de leur recherche.
01:35 A leur côté, nous avons assisté à l'une des plus importantes
01:39 découvertes archéologiques de notre époque.
01:42 Et l'homme de Néandertal en est le héros.
01:45 ...
02:11 -L'histoire commence à la fin des années 1980,
02:14 à un jet de pierre du village médiéval de Bruniquel.
02:17 Bruno Kowalczewski est alors un adolescent de 15 ans,
02:21 passionné de spéléologie.
02:23 Au gré de ses pérégrinations,
02:25 il repère un trou de renard qui l'intrigue.
02:28 -L'entrée de la grotte, c'était un voyeau rempli de terre
02:32 qu'il fallait déblayer.
02:35 ...
02:38 J'ai utilisé des outils comme un marteau en durain
02:41 et un wagonnet qui était fabriqué par mon père.
02:44 C'est une entrée qui a un courant d'air.
02:47 Ca signifie grand volume derrière.
02:51 -Bruno sacrifie ses week-ends et ses vacances.
02:54 En 3 ans, le jeune garçon progresse de 20 m.
02:57 Reste un dernier goulet à passer, le plus étroit.
03:00 -Je passe en expiration, ça veut dire que je pousse tout l'air
03:04 de mes poumons pour réduire le volume de la grotte.
03:08 Tout l'air de mes poumons pour réduire le volume
03:11 de la cage thoracique.
03:13 Je force, je force, ça y est, je suis derrière.
03:16 ...
03:19 -Le 24 février 1990,
03:23 Bruno entre dans une grande galerie, éblouissante.
03:26 -Ce jour-là, j'étais loin d'imaginer
03:29 les répercussions scientifiques qui allaient en découler.
03:32 -Les jours suivants, Bruno revient
03:36 avec des membres expérimentés du club Speleo de Caussade.
03:39 Du moins, ceux qui arrivent à franchir les étroitures.
03:42 ...
03:45 ...
03:48 -Le 2e membre arrive.
03:51 -Michel Soulier, leader du groupe, était de l'aventure il y a 25 ans.
03:56 ...
03:59 La fièvre de l'exploration cède vite la place
04:02 à des découvertes inattendues.
04:04 Des bouches d'ours,
04:07 des griffades sur les parois,
04:11 des empreintes millénaires dans l'argile des sols.
04:14 Des ours ont hiberné ici,
04:17 mais quand ?
04:20 La grotte était visiblement fermée depuis très longtemps.
04:23 Ils s'enfoncent.
04:27 A 350 m de l'entrée, le mystère s'épaissit encore.
04:30 Dans une grande salle,
04:33 Bruno découvre un assemblage curieux de concrétions cassées.
04:36 Qui en sont les auteurs ? Des hommes ou des ours des cavernes ?
04:39 -Je me souviens d'être arrivé
04:43 à cette salle où trônait la structure.
04:46 On l'avait appelée ça au départ, le barrage.
04:49 -Pour ces spéléologues rompus aux découvertes archéologiques,
04:52 le barrage est un mystère.
04:55 -Aucun autre indice visible comme ça au premier abord.
04:59 C'est très curieux.
05:02 C'est aussi loin.
05:05 -Michel fait appel à un vieux complice, François Rousseau,
05:08 archéologue spécialiste du monde souterrain.
05:11 -Il est arrivé devant cette structure pour lui citer
05:15 quelque chose d'extraordinaire, d'anormal, aussi loin de souterrain.
05:18 Il n'avait jamais vu ça.
05:21 -Les 2 premiers enquêteurs décident de lancer une étude.
05:24 En 1992, ils lèvent un plan précis des concrétions
05:27 qui composent les structures.
05:31 -On voit bien qu'il y a un rangement volontaire
05:34 au niveau des structures.
05:37 C'est à partir de ce moment-là qu'il a écrit
05:40 que c'était l'homme qui avait édifié cet ensemble-là.
05:43 ...
05:47 Le site est tellement atypique
05:50 qu'on ne sait pas comment le prendre.
05:53 C'est un site qui n'est pas fouillable.
05:56 Les concrétions sont soudées entre elles.
06:00 Peut-être que dans 20 ans, les techniques vont évoluer
06:03 et nous pourrons reprendre l'étude.
06:06 -Le décès de François Rousseau dans une grotte en 1999
06:09 marque un coup d'arrêt définitif à cette 1re enquête.
06:12 La cavité est fermée.
06:15 ...
06:19 ...
06:22 -Je crois que j'ai grossi depuis la dernière fois.
06:25 Rires
06:28 -Mai 2014.
06:31 Une nouvelle équipe scientifique s'attaque au mystère
06:35 de la grotte de Bruniquel.
06:38 -Le voilà.
06:41 -L'un d'eux, on le connaît déjà, c'est Michel Soulier.
06:44 Depuis 15 ans, il attend de reprendre l'enquête.
06:47 Il est accompagné des paléoclimatologues
06:51 Sophie Vreiden et Dominique Gentil
06:54 et du préhistorien Jacques Jaubert.
06:57 Interdit de filmer l'entrée
07:00 afin de préserver la grotte des curieux et des pillards.
07:03 ...
07:07 L'accès est toujours aussi difficile.
07:10 Tout trésor se mérite.
07:13 -Ca s'appelle l'archéologie de l'extrême.
07:16 -Jacques Jaubert a déjà visité la grotte il y a 20 ans.
07:19 Il pilote la nouvelle mission avec Sophie Vreiden
07:23 qui compte bien faire parler les stalagmites de la structure.
07:26 ...
07:29 Elle est en tandem avec Dominique Gentil,
07:32 plus à l'aise à étudier les climats anciens
07:35 qu'à franchir ce passage.
07:39 Enfin, Michel Soulier, spéléologue, le gardien du temple.
07:42 ...
07:45 -Je hais les spéléologues.
07:48 ...
07:51 -Enfin la libération.
07:55 -Le fait de se redresser et pouvoir dévaler un immense cône déboulie
07:58 témoins de l'effondrement du porche d'entrée.
08:01 -C'est grand, cette salle.
08:04 -Elle est super éclairée.
08:07 -La grotte de Bruniquel est unique dans les gorges de l'Aveyron.
08:11 C'est une vaste galerie rectiligne
08:14 assaillie par les concrétions qui jaillissent du sol au plafond
08:17 agrémentées de petits lacs.
08:20 ...
08:24 -Le lac Zem. Très reposant. On va s'arrêter un peu.
08:27 Il y a toujours plein d'eau, Michel. -Ah oui.
08:30 ...
08:33 -Ce qui est splendide dans cette grotte, c'est le nombre de couleurs.
08:36 Les jaunes, ocres, rouges, c'est splendide.
08:39 C'est quand même très beau, comme grotte.
08:43 -C'est très beau, ça. Les couleurs sont fabuleuses.
08:46 -Un véritable paysage des profondeurs.
08:49 Saisissant.
08:52 -Ouais, c'est très joli.
08:55 -Regarde là ! -Un hippocampe, peut-être.
08:59 ...
09:02 -On arrive où, là, Michel ? -On va attaquer
09:05 presque la dernière longueur avant la salle des structures.
09:08 ...
09:11 ...
09:15 -C'est impressionnant.
09:18 ...
09:21 ...
09:24 ...
09:27 -Et voilà, nous arrivons.
09:31 Nous rentrons dans la salle de la structure.
09:34 ...
09:37 Toujours aussi impressionnant.
09:40 ...
09:43 -Elle est grande, cette salle. -Oui.
09:47 Elle est 25 m de large. C'est une salle
09:50 la plus facile à vivre. -Ils l'ont aménagée.
09:53 -Le gros avantage, la structure est recouverte de calcite.
09:57 On peut se déplacer facilement à l'intérieur.
10:00 -Sans l'abîmer. -Oui. Mais ça bloque les études.
10:04 On ne sait pas ce qu'il y a en dessous.
10:07 -J'ai conscience d'être dans un site unique.
10:10 C'est un privilège. Beaucoup de préhistoriens
10:13 seraient contents d'avoir ce genre d'héritage.
10:17 C'est le premier à essayer d'avancer sur des problématiques
10:20 qui n'ont jamais été abordées.
10:23 -Depuis sa découverte par les spéléologues,
10:26 le site reste sans équivalent.
10:29 ...
10:32 ...
10:36 La plus grande structure est en forme d'anneau.
10:39 Elle couvre environ 30 m2 et se compose de centaines d'éléments,
10:43 ainsi que des fragments de stalagmites arrachés du sol.
10:46 Dans ce vaste ensemble, certaines zones se distinguent.
10:50 -La petite structure annulaire qui est accolée.
10:54 ...
10:57 Et puis, au centre, les deux accumulations.
11:01 ...
11:04 Plus les structures de combustion avec ces zones très noires.
11:08 -Ici, les hommes ont fait du feu.
11:12 C'est dans ce foyer que nous avons prélevé, en 1993,
11:16 un morceau d'os d'ours brûlé.
11:20 -Cet os brûlé, découvert dans le foyer,
11:23 est la seule piste à l'époque pour obtenir une datation
11:26 grâce au carbone 14.
11:29 Par déduction, on aura l'âge du feu.
11:32 -47 600 ans, au moins.
11:34 Date limite de datation au carbone 14.
11:37 Ca pouvait être plus vieux, mais c'était pas plus jeune.
11:41 Mais nous n'avions qu'une seule date sur un seul morceau d'os d'ours.
11:45 ...
11:48 -Plus de 47 600 ans.
11:50 Qui a pu pénétrer 350 m dans les ténèbres
11:53 de la grotte de Bruniquel ?
11:55 ...
11:59 Est-ce l'homme de Néandertal ?
12:02 La datation imprécise de 1995 ne permet pas de l'affirmer.
12:06 Sophie et Dominique ont pour mission
12:09 d'obtenir une nouvelle datation grâce à une autre technique
12:12 que le carbone 14.
12:15 C'est le point de départ de cette enquête.
12:18 ...
12:21 ...
12:24 -Ici, on a une stalagmite.
12:27 A l'extérieur, voilà ce qu'on voit dans la grotte.
12:31 On la coupe en deux. Hop !
12:33 Et on a toute la structure interne,
12:36 la structure sédimentologique de dépôt,
12:39 qui est une couche clairement visible.
12:42 ...
12:45 La goutte d'eau tombe régulièrement
12:49 et dépose à chaque fois une toute petite couche.
12:52 La stalagmite commence là, grandit, grandit, par couches successives.
12:56 -L'eau vient déposer de la calcite qui se cristallise.
12:59 C'est le composant principal des stalagmites.
13:02 On peut dater très précisément ces couches
13:06 avec la méthode uranium-thorium.
13:08 -Cette technique semble faite pour bruniquel.
13:11 Sophie espère découvrir quand les stalagmites de la structure
13:15 ont été manipulés.
13:16 -L'idée, c'est de dater le sommet des concrétions
13:20 utilisées dans la structure.
13:22 Les hommes ont dû prélever la stalagmite pour faire la structure.
13:26 Elle s'est arrêtée au moment où ils l'ont prélevée.
13:29 -Prenons cette stalagmite.
13:31 Quand elle a été arrachée par l'homme, elle a cessé de grandir
13:36 puisqu'elle n'était plus alimentée par son goutte-à-goutte.
13:39 Si on date son sommet, on devrait obtenir l'âge de cette manipulation.
13:43 -Une fois qu'ils sont partis,
13:45 il y a des stalagmites qui ont poussé sur la structure.
13:48 -Les repousses.
13:50 Il y en a un peu partout sur la structure.
13:53 C'est le 2e volet de l'analyse
13:55 qui consiste à obtenir l'âge du début des repousses.
13:58 -La structure devrait être construite entre les 2 âges.
14:04 -Il n'y a plus qu'à espérer
14:06 que l'écart entre les 2 âges ne soit pas trop grand.
14:09 Sinon, à nouveau, on ne pourra rien conclure de précis.
14:13 -On va utiliser la méthode de l'uranium-thorium.
14:16 Cette méthode peut aller jusqu'à 500 000, 550 000.
14:20 -Il y a de la marge. -Il y a de la marge.
14:24 -C'est notre seul espoir de dater cette structure.
14:27 On est dans un contexte archéologique particulier.
14:30 C'est une archéologie de l'extrême où il n'y a pas de vestiges.
14:33 Sans les datations, on ne pourra pas aller plus loin.
14:36 Tout repose là-dessus.
14:39 -Après une préparation minutieuse, le grand jour est arrivé.
14:51 Aujourd'hui, l'équipe va prélever les échantillons de stalagmite.
14:55 C'est la mission d'Edouard.
14:57 Dans les sacs, une foreuse, des mèches, une pompe à eau
15:02 et des poches à échantillons.
15:04 Pour préserver l'intégrité du site, on ne prélève que le strict minimum,
15:08 une carotte de 2 cm de diamètre.
15:10 D'abord, recouper en bielles la base des repousses.
15:14 -La pierre, là.
15:19 -Puis, attaquer le sommet des stalagmites agencés par l'homme.
15:24 Deux jours d'effort et de concentration.
15:30 Les scientifiques obtiennent 10 petites carottes de calcite
15:34 d'une quinzaine de centimètres.
15:36 3 mois plus tard,
15:48 nous retrouvons la paléo-climatologue
15:51 dans son laboratoire à Bruxelles.
15:53 Après les questions sur le terrain, les réponses en laboratoire.
15:58 Sophie prépare les échantillons pour la datation.
16:01 -Regarde, voilà.
16:02 Vraiment bien laminé, très régulier.
16:05 -C'est le moment le plus délicat.
16:07 Avec sa fraiseuse, Sophie prélève la calcite
16:10 en suivant la couche dont elle veut connaître l'âge.
16:14 C'est cette précieuse poudre qui lui permettra
16:19 de remonter dans l'histoire de la stalagmite.
16:22 -Chaque échantillon se retrouve dans un petit flacon.
16:25 C'est ça que je vais envoyer au laboratoire de datation en Chine.
16:29 On espère que ce soit plus ancien que 50 000.
16:36 Secrètement, j'espère pouvoir arriver jusqu'à 120 000.
16:40 Ce serait bien, 120 000.
16:42 En plus, il n'y a rien d'autre d'aussi ancien.
16:46 Donc, voilà, c'est peu probable.
16:48 C'est peu probable, mais bon, on peut toujours espérer.
16:51 On peut rêver.
16:53 On peut rêver.
16:55 -Numéro de photo ?
16:56 -Alors...
16:57 -8080.
16:58 -8080.
16:59 -Je passe à une plus générale.
17:01 -C'est bon ?
17:04 -Ca roule. C'est la boîte.
17:06 -En attendant les datations, l'équipe dresse une fiche
17:09 de chaque élément de ce mycado géant.
17:11 Les enquêteurs suivent toutes les pistes.
17:14 -Rupture perpendiculaire.
17:16 -Rupture perpendiculaire, OK.
17:19 -Et, Michel, tu voulais dire... Longueur ?
17:21 -33.
17:23 -33. C'est quand même des chiffres qui reviennent souvent.
17:26 30, 32, 34, 38,
17:28 31...
17:29 -30, 33 et tout, c'est le coude.
17:31 -C'est...
17:33 -C'est la brique.
17:34 La brique de Bruniquet, là.
17:36 Le coude.
17:37 J'avais pas pensé à ça.
17:38 Un coude.
17:40 -L'indice est important.
17:41 Les hommes auraient débité ces éléments en suivant un gabarit.
17:45 -Le 70.
17:46 -Dressés contre la structure,
17:48 5 stalagmites dépassent la longueur standard.
17:52 Leur position intrigue.
17:53 -Diamètre...
17:55 6,5.
17:56 -Donc, finalement, tu appelles ça comment ?
17:59 On n'est pas dans l'assise...
18:01 -On va le servir à tenir la structure,
18:03 pour stabiliser la structure.
18:06 -C'est ça.
18:07 -Contrefort, en fait.
18:08 -Gabarit, contrefort, la réflexion progresse.
18:12 -Donc, là, on arrive à ce petit truc-là.
18:14 C'est curieux.
18:16 -Il est vertical, celui-là ?
18:18 -Il est anormal dans la série.
18:20 -C'est tout petit.
18:21 -Ca, ça fait pas 30 cm.
18:23 C'est une stalagmite aussi.
18:25 -Ca fait un peu...
18:26 pierre de calage.
18:28 Ca, c'est super important.
18:30 -Il y en a régulièrement, des petites,
18:32 pour soutenir les plus grandes.
18:35 Ca veut dire qu'il y a une certaine technicité dans la structure.
18:39 -C'est super net.
18:40 -Il y a une technique de construction.
18:43 -C'est génial.
18:44 Les ours, pour faire des pierres de calage,
18:47 c'est plus compliqué.
18:49 Ca commence à bien s'étayer.
18:51 Donc, c'est construit.
18:52 En partie démantelé, c'est sous la calcite.
18:55 Il y a de l'argile,
18:57 il y a les repousses plus récentes, mais tout ça est bien construit.
19:01 -Les pièces du puzzle s'assemblent.
19:03 De petits détails restés invisibles jusque-là,
19:06 on surgit des ténèbres,
19:08 prouvant non seulement l'action des hommes,
19:11 mais surtout une action réfléchie, répandante à une technique.
19:15 Mais de quels hommes s'agit-il ?
19:18 Et de quelle époque ?
19:19 Musique douce
19:21 14 août 2014.
19:23 Un jour qui restera gravé dans la mémoire de Sophie.
19:26 -Ah !
19:27 -Les résultats sont arrivés de Chine,
19:30 grâce à Ai Cheng, de l'université de Xi'an,
19:33 l'un des meilleurs spécialistes mondiaux
19:36 des datations de stalagmites.
19:38 -Donc...
19:40 On va tous les positionner, comme ça, on est sûrs.
19:43 -Sophie reporte les âges obtenus sur chaque échantillon
19:47 pour pouvoir les comparer.
19:49 -18...
19:50 18,4...
19:51 Un peu comme...
19:52 Mais c'est ancien !
19:54 Voilà !
19:55 La structure, c'est aux environs de 176 000 ans, quoi.
19:59 C'est entre 175 000 et 177 000.
20:01 C'est même pas dans nos rêves les plus fous !
20:05 Jacques ?
20:06 Oui, c'est Sophie.
20:07 Ca va ? Je te dérange pas ?
20:09 -Oui, salut, Sophie.
20:10 -C'est assis ?
20:11 -Une seconde, je...
20:12 -C'est vraiment très vieux.
20:14 C'est vraiment très, très ancien.
20:16 On devrait être à...
20:18 176 500 ans,
20:20 avec une erreur d'environ 2000 ans.
20:23 -Ah...
20:24 -177 000.
20:25 -C'est sidérant, quoi.
20:27 Je reste muet pendant quelques secondes.
20:30 C'est pas possible.
20:31 C'est pas imaginable, une seconde, dans la mesure où on attendait...
20:35 Moi, j'attendais 20 000, 25 000.
20:37 -Tu es vraiment sûre du résultat ?
20:39 -Si je suis sûre ?
20:41 Bah...
20:42 Écoute, j'ai tout replacé, j'ai revérifié.
20:45 -Si vraiment, c'était néandertalien,
20:47 ça pouvait être 45 000, 50 000,
20:49 donc à la fin de la période néandertale.
20:52 Là, on est à 175 000,
20:53 donc c'est pas du tout ce qu'on attendait.
20:56 -C'est tellement fou que...
20:57 C'est pas que tu fais...
20:59 "Yé, génial !"
21:00 Parce que tu te rends pas compte, en fait, de ce que ça implique.
21:04 Tu te dis... Du coup, quoi ?
21:05 -On est conscient que ce genre de choses arrive une fois ou deux dans une carrière,
21:09 tellement le résultat est complètement stupéfiant.
21:12 -Est-ce qu'on va oser dire ça,
21:14 voilà, au monde extérieur ?
21:16 Est-ce qu'on va oser ?
21:17 -Leur découverte est une vraie révolution anthropologique.
21:26 Bruniquel devient la plus ancienne construction humaine
21:29 digne de ce nom
21:30 et la plus ancienne trace de fréquentation des grottes par l'homme
21:33 jamais découverte.
21:34 -Quand même, hein.
21:36 On s'attendait pas à voir des âges aussi anciens.
21:39 Rires
21:40 -Honnêtement, là, non.
21:41 180 000, 175 000, c'est un délire total.
21:44 -Ouais.
21:46 -6 mois pour digérer l'importance de leur découverte
21:49 et proposer un article au top mondial des revues scientifiques,
21:52 "Nature".
21:53 Un défi.
21:54 -Mais dans ce type de revue,
21:57 il faut étayer les résultats avec des calculs,
22:01 avec des mesures physico-chimiques.
22:03 -Un an encore pour préparer la publication
22:07 dans le secret le plus total.
22:09 Il faut faire et refaire des analyses,
22:12 laisser les experts mis dans la confidence,
22:14 décortiquer leur travail,
22:16 passer la datation au crible.
22:18 Aucun droit à l'erreur.
22:20 -Il y en a pas beaucoup, par contre.
22:22 -Les datations sont confirmées par le prélèvement de nouveaux échantillons
22:27 et toujours les mêmes résultats.
22:29 Tous les feux sont au vert.
22:31 En publiant dans "Nature",
22:35 les scientifiques savent que la découverte fera le tour du monde.
22:40 ...
22:42 -Bonjour.
22:43 ...
22:46 -25 mai 2016, l'équipe rend publiques ses travaux.
22:49 -L'originité de ces structures,
22:51 c'est qu'elles se sont constituées de ce qu'on appelle des spéloptèmes.
22:56 -Le jour de la publication, une conférence de presse est organisée.
23:00 Comme prévu, le retentissement est mondial.
23:02 La grotte de Bruniquel s'est fait un nom.
23:05 -L'homme de Néandertal était beaucoup moins primitif et sauvage
23:09 que les autres.
23:10 -Une équipe de chercheurs franco-belges
23:12 a fait dans la grotte de Bruniquel une découverte qui chamboule.
23:16 -C'est l'appropriation du monde souterrain par l'homme de Néandertal.
23:20 -Elles pourraient révolutionner nos connaissances sur l'homme.
23:24 -Tout ça prouve que ça ne peut être fait que par l'homme.
23:27 -Pour les archéologues aussi, la découverte est exceptionnelle.
23:31 -Surtout pour une construction humaine et au fond d'une grotte.
23:35 -Ce n'est pas seulement la fréquentation de la grotte,
23:38 mais aussi la change de l'image de l'homme de Néandertal.
23:41 -Il y a 180 000 ans, seul l'homme de Néandertal évolue en Europe.
23:48 Il nomadise en petites bandes,
23:50 éparpillés sur un territoire gigantesque
23:53 qui va de la péninsule ibérique jusqu'à la Sibérie.
23:56 A Bruniquel, imaginons ce clan,
24:03 installé dans le porche d'entrée, alors grand ouvert,
24:06 qui domine la vallée de l'Aveyron.
24:08 Pourquoi serait-il allé s'enfoncer à 350 m de profondeur,
24:13 dans une grotte où hibernaient des ours,
24:16 pour y construire des structures en stalagmite ?
24:19 Le mystère est total.
24:21 -La principale question qui demeure pour Bruniquel,
24:27 c'est la fonction de ces structures, leur rôle.
24:30 Pourquoi ont-ils fabriqué, aménagé ces structures
24:33 si loin de l'entrée ?
24:34 -Septembre 2016.
24:37 Après la folie médiatique,
24:39 l'équipe retrouve la sérénité de la grotte.
24:41 Il faut reprendre l'enquête, poursuivre les investigations.
24:45 -On ne sait pas ce qu'on peut faire sur un site comme ça.
24:51 Une fois les datations, ça a 180 000 ans, 175 000 ans,
24:54 mais qu'est-ce qu'on en fait ?
24:57 On va essayer de préciser des éléments de cette construction,
25:00 mais on ne va pas la démonter.
25:02 -Quelqu'un va pouvoir prendre le sac ?
25:06 -Catherine Ferrier est géologue, spécialisée en archéologie.
25:10 -Alors ? -Bah...
25:11 Ça pourrait être plus large.
25:13 -L'équipe l'a appelée en renfort pour étudier les traces de feu.
25:17 Catherine a l'art de faire parler les vestiges calcinés.
25:20 Elle travaille déjà sur ceux découverts dans la grotte Chauvet,
25:24 une grotte fréquentée par homo sapiens,
25:27 il y a 36 000 ans.
25:28 Mais Bruniquel, c'est 140 000 ans avant Chauvet.
25:31 On a très peu de données sur les feux des Néandertaliens de cette époque.
25:35 Comment ont-ils éclairé leur progression sous terre ?
25:39 Comment ont-ils éclairé la grande salle ?
25:41 -Là, rien de plus anormal.
25:43 -Oui ?
25:45 -Comprendre les feux,
25:46 c'est peut-être comprendre la fonction de la structure.
25:49 -Qu'est-ce que c'est joli, ici. Magnifique, cette boîte.
25:56 -Ah, ouais.
25:57 -Le temps qu'on a investi à inventorier tous ces éléments,
26:06 ça nous a permis de connaître à fond la structure
26:09 et de découvrir des points de chauffe.
26:11 L'année dernière, on faisait le tour avec Jacques.
26:14 On a repéré une quinzaine, plus trois, on fait 18, au total.
26:17 -L'inventaire totalise 18 points de chauffe.
26:20 La mission de Catherine,
26:22 apporter son expertise sur ces feuillets supposés.
26:25 -Et l'os était logé ici. L'os d'ours a été bloqué là.
26:29 -Magnifique.
26:32 Je pensais pas avoir des couleurs aussi évidentes.
26:35 -C'est une photo, peut-être.
26:37 C'est rouge, violet, noir.
26:39 -Tout à fait.
26:41 -Ici, une stalagmite a viré au rouge.
26:46 Là, elle est noire dessus.
26:48 Ici encore, une fissure.
26:51 -C'est magnifique.
26:53 C'est super.
26:56 -Il y a plein de choses à observer, à enregistrer.
26:59 -Catherine et son assistante consacrent trois jours
27:02 à inventorier les 18 points de chauffe.
27:04 Un travail de bénédicte.
27:06 -Oui, c'est le petit bout, là-bas.
27:08 -C'est en-dessus.
27:10 -Ouais, ouais.
27:11 -Tu vois ce que tu veux dire ?
27:13 Ah, il y a un petit point.
27:15 -Déjà, les premières constatations tombent.
27:18 -Le feu, évidemment, ça sert à s'éclairer, à se chauffer, à cuire.
27:22 Là, on voit très bien que ce ne sont pas des foyers domestiques.
27:26 Bon, ça paraît pas des très gros foyers pour produire de la chaleur.
27:30 Donc, on produit de la lumière.
27:32 Et pourquoi est-ce qu'on produit la lumière ?
27:35 Parce qu'il faut de l'éclairage quand même
27:38 pour faire une structure comme ça.
27:41 C'est du temps.
27:42 -Là, tu vois, on ne sait pas.
27:44 -On va faire des expériences de feu avec des calcites
27:47 pour voir quelles sont les températures
27:50 qui sont nécessaires pour obtenir les colorations, les éclatements.
27:54 -Alors, ça, c'est du coup, là...
27:58 -Voilà.
27:59 -30.
28:00 Non.
28:01 -Attends.
28:02 -L'étude des feux implique un matériel spécifique.
28:06 -Je fais une petite saignée
28:08 pour essayer de passer le tube qui fait 1,75 m de long.
28:12 -Attention.
28:13 -Encore faut-il que le volume du matériel reste raisonnable.
28:17 -C'est tout bon.
28:18 -François Lévesque est géologue, un de plus.
28:21 Mais lui, sa spécialité, c'est l'étude du géomagnétisme.
28:26 -Ah ! Du plomb !
28:29 ...
28:33 -A partir d'un capteur ultrasensible
28:36 conçu pour l'armée américaine,
28:38 il a développé un système qui va cartographier
28:41 les variations du champ magnétique causées par des feux.
28:45 -C'est clair, on va démontrer la...
28:47 On va démontrer la présence de foyers.
28:50 Mais l'intérêt, c'est qu'on peut aussi aller les voir
28:53 sous la calcite.
28:54 -Il est là, le bord de la structure.
28:57 Là, y a rien.
28:58 On chope celui qui crache.
29:00 -La première expérience livre une image inédite
29:03 des points de chauffe,
29:04 confirmant que traces visibles et impacts magnétiques coïncident.
29:08 -La méthode marche bien.
29:10 -C'est génial, ça coïncide vraiment avec...
29:13 -Cela prouve que les feux n'ont pas été déplacés
29:16 depuis 75 000 ans.
29:18 -Vertigineux.
29:19 Dès lors, l'équipe peut proposer
29:21 une reconstitution visuelle des feux dans la salle.
29:24 ...
29:31 Afin d'étudier la structure en laboratoire
29:34 et de la démonter virtuellement,
29:36 une équipe de l'université de Saragosse investit la cavité
29:39 pour en réaliser un scan au laser,
29:42 mais avec une précision inférieure au millimètre.
29:45 ...
29:51 Mai 2017.
29:52 Catherine et Jacques ont rendez-vous avec la structure,
29:55 mais pas au fond de la grotte.
29:57 Désormais numérisée, son étude peut se poursuivre
30:00 dans un laboratoire dédié à l'archéologie numérique,
30:04 Archéotransfer.
30:05 ...
30:15 -Je vais te montrer ce à quoi on est arrivé.
30:18 -Les chercheurs se concentrent
30:20 sur un des foyers au centre de la structure.
30:23 En disposant pas à pas chaque fragment numérisé,
30:26 Pascal en reconstitue l'agencement.
30:29 Catherine et Jacques peuvent imaginer son fonctionnement.
30:32 -Ce qui sera intéressant pour nous,
30:35 c'est de l'expérimenter, ce foyer.
30:37 De voir si ça vient.
30:39 -Et même, je pense, maintenant que tu as le schéma d'origine,
30:43 de peut-être revenir sur le terrain
30:45 et de voir s'il n'y a pas des traces qu'on n'a pas vues
30:48 parce qu'elles sont dessous.
30:50 -Il y a des choses qu'on ne voit pas
30:52 et qui nous manquent pour interpréter la structure.
30:57 L'avantage de la 3D, c'est que le voir visuellement
31:00 et aller ensuite sur le terrain avec ça,
31:02 ça va nous faire encore progresser sur la compréhension.
31:06 -Catherine découvre ainsi
31:08 que rien dans ce foyer n'est dû au hasard.
31:11 Néandertal maîtrise à merveille le feu.
31:14 -On voit qu'il est très bien construit,
31:17 qu'il est tout à fait pensé et bien maîtrisé dans sa construction.
31:23 -Le virtuel a ses limites.
31:25 L'archéologie expérimentale prend la relève.
31:29 Jean-Claude Leblanc mène l'expérience.
31:34 -Là, on va reconstituer l'aspect morphologique
31:39 de la structure de Bruniquel.
31:41 -118 et puis ? -105 et la 123.
31:45 On va remettre des sels admis
31:47 qui sont en calcaire dans la même position.
31:50 -C'est là qu'il faut la redescendre.
31:52 C'est la 118, ça ? -Oui.
31:54 -Il y en a une, là ?
31:56 Voilà. Très bien. Ah, super.
32:00 Non ? Non, ça me plaît, ça.
32:02 -L'expérience va comparer deux combustibles.
32:05 D'un côté, le pin sylvestre,
32:07 le seul arbre dans la région il y a 180 000 ans.
32:10 Et de l'autre, un matériau qui peut nous sembler inattendu,
32:14 mais qui était fréquent durant les périodes glaciaires,
32:17 où les arbres étaient plus rares, de l'os de grands mammifères.
32:21 -Ah, ça me plaît, votre truc.
32:23 -Rien ne se perdait chez Néandertal.
32:26 Ils consommaient la moelle
32:28 et la tête des eaux, riches en graisse, servaient au feu.
32:32 Le feu est lancé au chalumeau.
32:34 Top chrono.
32:36 Les températures sont mesurées par des sondes.
32:39 On attend qu'ils se consument et on observe.
32:42 -Ah, voilà.
32:43 -Moi, je ne croyais pas, en fait.
32:45 Je pensais que l'os allait se carboniser, se calciner,
32:48 mais sans donner cette flamme-là.
32:51 Il y a une première combustion, très timide, très riche, à nous.
32:55 Et là, maintenant, on a, comme on ne l'a pas vue, là,
32:58 on n'a plus qu'une combustion de graisse.
33:01 Il n'y a pratiquement plus de fumée.
33:03 ...
33:07 -La même quantité de pain sylvestre a brûlé en une heure,
33:11 laissant un tas de cendres.
33:13 Ici, au contraire, l'os brûle beaucoup plus longtemps,
33:17 sans perdre de son volume.
33:19 -Bon, concluons.
33:21 -Le foyer a duré combien, cette fois-ci ?
33:24 -2 heures.
33:25 -La question qu'on se posait, est-ce qu'avec de l'os comme combustible,
33:29 on arrive à monter en température suffisamment
33:32 pour fabriquer les thermoaltérations ?
33:34 -Il y a un autre fait marquant, ce que nous avons constaté à Bruniquel,
33:39 c'est l'éclatement.
33:40 -Ca veut dire qu'on a fissuré la même, c'est la 106.
33:43 -Oui. -Et en plus, tout le long.
33:45 -Les expériences se répètent, et à chaque fois,
33:48 les traces du feu et les fissures sont identiques
33:51 à celles que l'on observe à Bruniquel.
33:54 Les néandertaliens venus investir cette grotte,
33:57 se seraient-ils éclairés avec un combustible d'os,
34:00 tandis qu'ils édifiaient leurs curieux assemblages ?
34:03 On progresse.
34:04 Il reste à tester ce combustible dans un milieu souterrain confiné.
34:09 La carrière est préparée.
34:10 Cette fois-ci, on ne rigole plus.
34:13 Les pompiers de Gironde sont là pour sécuriser les lieux
34:16 et seconder les archéologues.
34:18 Eux seuls sont habilités à entrer dans la carrière
34:27 pendant l'expérience.
34:30 -C'est pas très veillant, là, quand même.
34:33 -Il faut toujours relancer le fil.
34:35 -Regarde, tu les vois ?
34:36 Regarde-les. Regarde-les démarrer.
34:39 Voilà.
34:40 -Moi, je vous le donne. Vous faites un plan un peu large.
34:43 -Les pompiers s'approchent du foyer
34:46 pour permettre aux chercheurs d'obtenir des images
34:49 au plus près des flammes.
34:51 Les expériences dans la carrière apportent de nouveaux éléments.
34:55 L'os brûlant dégage moins de fumée et de gaz toxique
34:58 que le bois.
34:59 Son éclairage est plus homogène.
35:02 Des qualités précieuses en milieu souterrain.
35:05 Les hommes de Bruniquel savaient précisément ce qu'ils faisaient.
35:09 -T'as vu le craquillon, là ? C'est génial.
35:11 Et celui-là, t'as vu de nouveau ?
35:14 Pas trop chaud ?
35:15 -Tu mets ton doigt dessus. -C'est vrai.
35:17 -Oui, on peut y aller.
35:19 Rires
35:20 -C'est intéressant, parce que c'est pas une expérience très commune.
35:25 C'est le moins qu'on puisse dire.
35:27 -Celui-là, il est bien lourd, encore.
35:29 Y en a de la greffée, je le sens.
35:31 -Il y a de la réserve à oeufs.
35:33 -C'est celle-ci. Elle est fissurée sur le terrain.
35:37 ...
35:40 Ils font du feu tous les jours, ces gens-là.
35:43 Quand ils vont dans la grotte, ils savent maîtriser l'éclairage,
35:47 l'alimentation en feu.
35:49 S'ils vont à 300 m de l'entrée, ça pose aucun problème.
35:52 -Un peu de moelle, de la mousse séchée,
35:55 et voilà une lampe à huile.
35:57 -Et si ce type de procédé avait été utilisé par les Néandertaliens
36:01 pour traverser le noir d'encre de leur souterrain ?
36:04 Ce qui est sûr, c'est qu'ils ont dû transporter leur éclairage.
36:08 -Avec Bruniquel, là, on a circulation des hommes avec des torches.
36:12 Ils vont dans le milieu souterrain avec la capacité de s'éclairer
36:16 et de maintenir un éclairage pour fabriquer,
36:19 construire ces aménagements.
36:21 Tout ça, c'est complètement nouveau.
36:24 -Au terme de cette première étude,
36:26 voici comment les chercheurs peuvent reconstituer les structures
36:30 et leurs feux.
36:31 Peut-être ne brûlaient-ils pas tous en même temps,
36:35 mais tous étaient des feux destinés à l'éclairage,
36:38 pas des foyers domestiques.
36:40 Ce que Bruniquel nous enseigne sur les capacités des Néandertaliens,
36:44 premiers spéléologues de l'humanité, est exceptionnel.
36:48 On est loin de l'image qui a si longtemps collé à la peau
36:54 de notre lointain cousin.
36:56 En 1908, on exhume un squelette de la grotte de la Chapelle-aux-Seins.
37:00 La reconstitution qu'en donne l'illustration
37:03 témoigne de la réputation qui suivra Néandertal pendant des décennies.
37:07 Une espèce de singe, velu,
37:10 tout juste bon à utiliser un gourdin
37:12 et incapable de se tenir droit.
37:14 Voici comment le musée de la Chapelle-aux-Seins
37:17 le représente aujourd'hui,
37:19 enterré avec tendresse par les membres de son clan.
37:22 On mesure le chemin parcouru.
37:24 Les découvertes archéologiques ininterrompues
37:27 ont réhabilité l'homme de Néandertal dit classique,
37:30 situé entre -60 et -40 000 ans.
37:33 On sait désormais qu'il maîtrisait le langage,
37:36 produisait des outils en pierre élaborés,
37:38 qu'il enterrait parfois ses morts et utilisait de l'ocre.
37:42 Mais des pré-néandertaliens, il y a 180 000 ans,
37:45 on ne connaissait presque rien.
37:47 C'est assez excitant,
37:49 parce que ce sont des pédales très peu documentées.
37:52 Il y a très peu de sites.
37:54 Si on prend une carte de l'Europe à 180 000,
37:56 on va avoir du mal à trouver beaucoup de sites.
37:59 -Par chance, à peu de distance de Bruniquel,
38:02 2 autres sites de la même époque ont livré des informations
38:06 qui contribuent à donner des néandertaliens anciens
38:09 une vision surprenante.
38:11 Nous sommes à Koudoulous, au bord du Lot.
38:14 Flashback de 180 000 ans.
38:16 C'est l'automne, saison de migration des bisons.
38:19 Un paysage qui a été dévasté
38:21 par la pluie et la pluie.
38:23 Un paysage de steppes, pauvre en arbre.
38:26 Sur le plateau, un large gouffre est ouvert.
38:29 Néandertal y a tendu son piège.
38:31 Jacques emmène Sophie visiter ce site
38:36 dont il a codirigé les fouilles durant une dizaine d'années.
38:40 -C'est bon ? -Oui.
38:42 -Il y a un bandeau de à peu près 40 cm en moyenne
38:45 qui est extrêmement riche en vestiges de bisons.
38:49 -Les pinceaux et les scalpels des archéologues
38:52 ont mis au jour plus d'une centaine de carcasses de bisons piégés,
38:56 exploités et consommés.
38:58 -Ca dit quelque chose de la manière dont vivaient ces gens ?
39:01 -Ils connaissent très bien le milieu animal.
39:04 Pour chasser ce type de proie,
39:06 à partir du moment où on n'a ni fusil, ni pointe de flèche,
39:10 c'est une contribution qui est organisée, collective.
39:14 Si elle est collective, il y a quelqu'un qui pense.
39:17 -Ce qui révèle une méthode.
39:19 On imagine les guetteurs qui attendent le passage du gibier,
39:23 puis les rabatteurs qui effraient leurs proies
39:26 et les dirigent vers cette dépression naturelle profonde.
39:29 La technique est imparable.
39:31 -Il y a des gens qui tuent et qui dépêchent des bouchers.
39:35 Le néandertal a cette capacité à organiser son acquisition,
39:42 son marché à la viande.
39:43 Rien n'est opportuniste.
39:45 Ici, par exemple, ils chassent pas n'importe quels animaux
39:49 dans le troupeau.
39:50 Ils isolent les plus faciles à chasser,
39:53 c'est-à-dire des jeunes adultes et quelques femelles.
39:56 -Vous récoltez des informations sur le même homme
40:00 qui est passé par Bruniquel.
40:02 -L'homme de Bruniquel, ce néandertalien ancien de 180 000 ans,
40:06 a pu aussi passer par les gorges de l'Alzou,
40:09 à quelques jours de marge de Bruniquel.
40:12 A-t-il fait étape dans la petite grotte sirogne,
40:15 une valte de chasse temporaire occupée en alternance avec l'ours ?
40:19 Elle est fouillée depuis 2013 par l'anthropologue Priscilla Bale,
40:23 qui vient de dater son occupation de la même époque que Bruniquel.
40:27 Les vestiges exhumés par les scientifiques
40:30 interrogent quant au comportement de l'homme de Bruniquel
40:34 face à la mort.
40:35 -Il est tout à fait possible que ici soit un site
40:38 où l'homme de Bruniquel ait fait diverses activités
40:42 de boucherie, de taille.
40:45 -Ces petits outils de silex, destinés à dépecer les proies abattues,
40:49 semblent bien dérisoires face aux canines des ours des cavernes
40:53 qui hibernaient dans la grotte.
40:55 -On a les restes d'au moins neuf individus différents,
40:59 avec des dents qui ont appartenu à des enfants,
41:02 un morceau de bras, un morceau de pied.
41:06 Et sur pratiquement tous ces restes,
41:09 on a des traces de découpe très claires sur les ossements
41:13 après la mort des individus,
41:15 signant une activité de cannibalisme
41:18 pour différentes raisons,
41:20 des raisons rituelles, des raisons alimentaires.
41:24 C'est difficile à dire pour le moment.
41:26 -Ces gestes funéraires sont-ils la preuve d'une spiritualité
41:30 liée aux morts à l'époque de Bruniquel ?
41:33 Rien, jusqu'à présent, n'a permis de prouver une telle hypothèse.
41:37 Mais une découverte qui est intéressante à 1 000 km de là
41:41 vient d'apporter la preuve qu'il y a 115 000 ans au moins,
41:45 Néandertal avait un comportement symbolique indiscutable.
41:49 Tout a commencé à Cartagène, dans le sud de l'Espagne, en 1985.
41:54 Les vagues avaient fait apparaître des vestiges archéologiques
41:58 à l'entrée de la Cueva de los Aviones,
42:01 quelques coquillages coincés entre deux couches de calcite.
42:05 Le coquillage est conservé dans une simple boîte en plastique
42:09 au milieu de milliers d'enfants romaines
42:12 du musée archéologique local.
42:14 Oui, c'est bel et bien un trésor.
42:17 Car en 2017, un archéologue portugais, Joao Zilao,
42:21 est parvenu à dater ces coquillages.
42:24 Ils ont entre 140 et 115 000 ans.
42:27 -Les coquillages perforés et ocrés
42:30 sont interprétés toujours dans n'importe quel contexte archéologique
42:35 et par la parure.
42:37 La parure est une expression d'identité individuelle ou sociale.
42:42 Elle transmet de l'information,
42:45 qui n'a de sens que pour ceux qui comprennent le code derrière l'objet.
42:50 C'est un symbole par définition.
42:53 On démontre par le biais de cette culture matérielle,
43:00 de ces produits de l'artisanat néandertalien,
43:03 des capacités de communication symboliques
43:06 qui ne se différencient pas dans l'essentiel de l'humanité actuelle.
43:11 Elles datent d'au moins 20 000 à 30 000 ans
43:16 avant que des vestiges semblables soient rencontrés
43:20 ou trouvés dans n'importe quelle autre partie du monde.
43:24 -Ainsi, la fracture longtemps établie
43:27 entre Néandertal et Sapiens dit l'homme moderne,
43:31 et les symboliques tend peu à peu à se résorber.
43:35 Nous sommes en septembre 2017.
43:40 Du côté de Bruniquel, le travail reprend.
43:43 Contre-coup de l'officialisation de la découverte,
43:47 la grotte va être classée monument historique
43:50 et le moindre prélèvement est encore plus réglementé.
43:54 Les chercheurs poursuivent leur enquête selon des méthodes non invasives.
43:59 Le projet est venu de faire appel à de nouveaux spécialistes.
44:03 Hubert Camus est géologue, expert du milieu souterrain.
44:07 Il est chargé de cartographier en détail les sols de la grotte.
44:11 -Alors ? Un peu étroit.
44:13 -Fred Maxud est un grand spécialiste du milieu souterrain.
44:17 Surnommé le "tracker", il suit à la trace les animaux du passé.
44:21 Car une question cruciale demeure.
44:24 Existe-t-il dans la grotte d'autres traces humaines
44:28 qui sont de la nature et de ses feux ?
44:31 -Le seul passage où on est obligé de se baisser.
44:37 -Nous y voilà.
44:45 -Les chercheurs étendent leurs investigations à toute la salle
44:49 avec des méthodes dignes de la police scientifique.
44:53 La salle de la structure devient la scène du crime.
44:57 -C'est un travail de recherche d'empreintes,
45:00 d'interprétation.
45:02 05-794.
45:05 Environ 25 de long.
45:07 12-5 de large.
45:09 Zone nord, fond de zone.
45:12 -C'est un travail qui a pu être réalisé par une équipe nombreuse
45:17 qui a amené du combustible dans la grotte.
45:20 Il a fallu faire ses feux, etc.
45:22 On peut supposer que la présence humaine est assez massive.
45:26 Il y a fort à parier que les ours ont dû piétiner les empreintes humaines.
45:31 -Le duo balaie le sol centimètre par centimètre.
45:41 Alors qu'il n'y croyait plus.
45:44 -C'est vraiment troublant, l'allure.
45:49 17 de large. C'est la taille de mon petit doigt.
45:56 -Précisément.
45:58 En longueur, c'est 38 ans.
46:00 Deux phalanges.
46:02 Cette dépression bordée d'un bourrelet d'argile repoussé.
46:06 C'est une empreinte avec une extrémité cylindrique,
46:10 comme le bout d'un doigt.
46:12 On a quelque chose qui, par les dimensions,
46:15 par la forme et la position, fait penser à une empreinte de doigt humain.
46:20 Si elle a 176 000 ans,
46:22 c'est une des plus anciennes du monde.
46:26 -C'est mouvant.
46:27 -Saurons-nous seulement un jour s'il s'agit du doigt de Néandertal ?
46:32 De son côté, Hubert cartographie le moindre détail.
46:36 Avec Michel et Jacques,
46:38 ils cherchent d'où viennent les concrétions utilisées.
46:42 -Ils ont déplacé 112 mètres linéaires de spéléothème
46:46 pour fabriquer ces aménagements.
46:49 Ce qui représente plus de 2 tonnes.
46:53 -2 300 kg, je crois, de spéléothème qui ont été bougés.
46:56 -C'est pas rien.
46:58 -2 tonnes 3.
47:00 L'ouvrage n'est pas un jeu d'enfant.
47:03 D'où pouvaient venir ces centaines de briques de construction ?
47:07 -On est dans une zone proche des structures aménagées.
47:11 C'est une zone où ils ont probablement emprunté
47:14 les éléments pour la construction.
47:16 On essaie d'identifier des zones d'arrachement.
47:19 -On voit une casse ici et une casse là.
47:22 -Ce sont des briques qui venaient se servir.
47:25 Ils faisaient leur choix pour construire les structures.
47:29 Un élément de calage.
47:31 -On a l'impression d'être au milieu d'un magasin de stalagmites
47:35 où ils sont venus se servir.
47:37 Il reste dans les rayonnages quelques stalagmites
47:40 qui ne les ont pas intéressés.
47:42 On a commencé à cartographier l'ensemble des éléments
47:47 en dehors de la structure.
47:49 On a trouvé autant d'éléments en dehors de la structure
47:53 qu'il y en a dans la structure, à savoir 400 à peu près.
47:57 -Ce qui frappe les chercheurs depuis le début,
48:00 ce sont les cassures très nettes des tronçons de stalagmites.
48:04 Hubert Camus, notre géologue, a sa petite idée.
48:07 -Si on tape dans la concrétion de façon perpendiculaire,
48:11 on explose une partie de la paroi.
48:14 Si on tape verticalement à la base de la concrétion,
48:17 le choc vient cliver le stalagmite à l'horizontale.
48:20 -L'étude du site a permis d'avancer sur la zone
48:23 et la méthode d'extraction des stalagmites.
48:26 Les chercheurs peuvent mieux cerner l'homme de Bruniquel dans la grotte.
48:30 -Certainement, ils avaient un plan, donc ils l'ont conçu,
48:34 ils l'ont mis en place, certainement avec un groupe,
48:37 un collectif, peut-être un donneur d'ordres,
48:40 et puis des exécutants, on peut imaginer ça.
48:43 -Je ne vois pas de traces d'habitat dans ces aménagements-là.
48:47 Je ne comprends pas pourquoi un habitat serait aussi loin d'une entrée.
48:51 -La seule chose qu'on peut dire là-dessus,
48:57 c'est qu'on ne va pas 300 m à l'intérieur d'une grotte pour rien.
49:01 On y va pour quelque chose de nature symbolique et rituelle.
49:05 Donc ça nous renseigne sur la pensée,
49:08 sur l'organisation sociale des gens de cette époque-là.
49:12 En quoi exactement consistait l'activité qui a eu lieu à Bruniquel ?
49:16 -Je pense qu'on ne le saura jamais, la raison exacte.
49:20 -Les sites qui sont liés à ces sanctuaires, ces cultes,
49:23 les manifestations symboliques,
49:25 quelle qu'elle soit, une scène d'initiation, peu importe,
49:29 elles ne génèrent pas de vestiges, et Bruniquel ressemble à ça.
49:33 C'est tentant d'aller aussi dans cette direction-là pour cette raison.
49:37 -Brian Hayden est un archéologue canadien.
49:45 Il est déjà venu à Bruniquel en 1996.
49:48 Adepte de l'ethnoarchéologie,
49:50 il a recours aux symboliques universelles de l'humanité
49:53 pour pallier ce que les sites archéologiques ne peuvent raconter.
49:57 -Les données ethnographiques, de base, très générales,
50:01 peuvent donner des idées pour interpréter les structures comme ça.
50:07 -La 1re fois que tu as visité le site,
50:12 tu as d'entrée exclu tout ce qui était habitat.
50:16 -C'est impensable. -Pour toi, c'est inimaginable.
50:19 C'est même pas une hypothèse qu'on peut... -Non.
50:22 On se demande pourquoi ils sont venus ici.
50:25 C'est un monde imaginaire, un monde au-delà.
50:28 Ça relie les trois mondes au-delà,
50:33 le monde actuel et le monde en dessous.
50:36 -Ouais, ma rêve, elle est en roue, m'a dit !
50:39 -On a un feu, ça fait un cercle.
50:41 -Le chalet chasseur-cueilleur, c'est la forme naturelle du monde.
50:47 Cris de joie
50:50 -Ouais !
50:52 -Les magiciens, les sorciers, ils faisaient des cercles
50:56 pour faire des rites.
50:58 C'est un symbole quasi universel.
51:02 Et si c'est universel maintenant, il y a de bonnes chances
51:06 qu'il y ait eu des traditions qui étaient beaucoup plus anciennes.
51:11 -Après 4 ans d'une enquête passionnée,
51:14 nos explorateurs de l'extrême ont encore beaucoup de chemin à parcourir
51:18 pour tenter de percer les secrets de Bruniquel.
51:21 Étudier une période qui remonte à 180 000 ans
51:24 est un défi hors normes, mais toujours palpitant.
51:28 -C'est le départ d'une étude. On a posé le cadre.
51:34 Et puis, maintenant, tout reste à faire.
51:37 On est partis pour des années, une à moins.
51:40 Notre rôle en tant que scientifiques, c'est d'avancer.
51:43 Sur la ligne droite qui nous conduit à l'interprétation,
51:46 il faut faire des pas en avant.
51:48 -C'est inouï.
51:50 C'est une des grandes découvertes de la préhistoire, je crois,
51:54 de nos années.
51:56 -Des deux côtés de la Méditerranée,
52:01 il y a deux humanités qui se font face,
52:04 deux espèces, l'homme anatomiquement moderne en Afrique,
52:08 et l'homme moderne, l'espèce, et l'anéandertale, en Europe.
52:11 Ces deux humanités se font face,
52:13 mais elles progressent de manière parallèle en même temps,
52:16 d'un point de vue technique, technologique, économique,
52:19 c'est-à-dire alimentation, subsistance, habitat,
52:22 avec d'infimes décalages.
52:25 Ces infimes décalages ne permettent pas de dire
52:29 que l'homme moderne serait supérieur à l'anéandertale.
52:32 Non, ce sont deux humanités qui sont parallèles et disjointes.
52:35 -Une chose semble certaine désormais,
52:38 la grotte de Bruniquel n'a pas fini de nous surprendre.
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52:43 Musique douce
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