• l’année dernière
Transcription
00:00:00 Bonjour à toute la communauté ODCtv ! Aujourd'hui une fois n'est pas coutume,
00:00:11 nous allons parler d'amour. De Bollywood à Netflix, en passant par les séries ramadanesques
00:00:16 dont le cru 2023 est encore une fois dévastateur, nos vies surconnectées en
00:00:21 pourtoile de fond, l'amour. De la superstar qui retrouve l'amour,
00:00:25 par exemple Monica Bellucci au bras de Tim Burton, à l'instagrammeuse marocaine ou autre,
00:00:30 de toute manière elles se ressemblent toutes, qui se marient ou divorcent pour la énième fois,
00:00:34 de la publicité la plus insignifiante au dernier film de Leonardo DiCaprio,
00:00:39 tout nous parle d'amour. Nous reconnaissons ainsi volontairement, ou à nos corps défendants,
00:00:44 l'amour comme monnaie universelle et talent du bonheur. Comme le modernisme est une vague
00:00:50 destructrice qui commence aux Etats-Unis, passe par la France avant de déferler sur nos côtes,
00:00:55 nous laissons au moins le temps de nous préparer. Et comme nous ne faisons jamais rien comme les
00:01:00 autres à ODCtv, nous allons montrer que l'amour, le couple et la famille sont des
00:01:05 constructions sociales à la base de nos idéologies et de nos comportements.
00:01:09 Nous allons utiliser un vrai penseur de droite, Denis de Rougemont et son livre "L'amour et
00:01:14 l'Occident" et un vrai penseur de gauche, Michel Kluskar et son traité de l'amour fou,
00:01:18 pour notre démonstration. Viendra s'ajouter à cela l'excellent livre de Pacom Tchelmont,
00:01:23 "Si comores, si camoures" pour faire un état des lieux. Alors sans plus attendre,
00:01:28 let's talk about love.
00:01:30 Cher Amim Khmeshonde, bonjour.
00:01:33 Oui bonjour, heureux de te retrouver.
00:01:35 Alors lors de ton dernier passage à ODCtv, tu t'es fait plein d'amis. Alors au sens propre,
00:01:41 comme au figuré, voilà, beaucoup de soutien, des choses qui... enfin des phrases, des commentaires
00:01:45 qui font remonter le moral et qui font qu'on ne perd pas espoir par rapport à l'intelligence
00:01:50 collective au Maroc, mais c'est presque au niveau du minorité. Bon, quelques critiques
00:01:54 pour pimenter le tout.
00:01:55 Oui, même si je me suis focalisé sur les critiques en bon...
00:01:59 En bon pessimiste.
00:02:01 En bon pessimiste que je suis, je t'associe à ce pessimisme aussi.
00:02:05 Non, non, non, c'est une phase révolue. Alors de quoi aimerais-tu nous parler aujourd'hui?
00:02:11 Alors par quoi on va commencer?
00:02:12 En fait, pour prolonger notre discussion de la dernière fois, comme j'avais peur de ne pas
00:02:17 avoir été clair sur ce que c'est, ce que vraiment la gauche et ce qu'est vraiment la droite,
00:02:21 je voulais qu'on prenne comme exemple un sujet qui semble banal et qui est l'amour, dont
00:02:27 tout le monde parle, pour montrer ce qu'est un vrai penseur de gauche et ce qu'est un
00:02:32 vrai penseur de droite. Très loin de ce que nous sommes, de ce qu'on peut voir maintenant
00:02:38 au niveau du spectre politique.
00:02:41 Alors on commence par la droite ou la gauche? En bon musulman, on commence par la droite?
00:02:44 Oui, on commence par la droite. C'est une bonne idée.
00:02:47 Aux chrétiens, pareil, la droite c'est universellement reconnu comme étant la droite tueur, ça vient de là.
00:02:51 Sachant qu'on est tous les deux gauchers.
00:02:53 Oui, oui, pas faux. Bon, bah oui, alors droite, Rougemont.
00:02:59 En fait, pourquoi je voulais te parler de Denis de Rougemont? Parce que comme je te disais,
00:03:04 l'amour, c'est vraiment l'étalon, comme tu disais, dont on est d'hito.
00:03:10 Et de Rougemont, en 1939, sort un petit livre sans prétention qui s'appelle "L'amour et l'Occident"
00:03:17 pour montrer que notre vision de l'amour vient tout droit d'une hérésie chrétienne,
00:03:25 qui est le catharisme et la gnose.
00:03:27 D'accord.
00:03:28 Donc, les gens vont sauter au plafond en entendant ça.
00:03:32 Ils vont dire que j'affabule. Je vais te prendre deux petits exemples.
00:03:35 Parce que la plupart des gens, juste pour recadrer, la plupart des gens croient que l'amour,
00:03:38 tel qu'on le connaît aujourd'hui, est un concept moderne, qu'on ne connaissait pas avant,
00:03:42 qu'avant, les mariages étaient arrangés.
00:03:44 Alors qu'au fait, l'amour contemporain, la conception que l'on a de l'amour,
00:03:49 pas le vécu, puisse ses sources dans la gnose.
00:03:52 Exactement, d'une certaine vision de la gnose.
00:03:54 D'accord.
00:03:55 Donc, la dernière fois, on m'a reproché de faire trop de citations.
00:03:59 Donc, très rapidement, il y a la roche Foucault qui nous dit qu'il y a des gens
00:04:03 qui ne seraient jamais tombés amoureux s'ils n'avaient jamais entendu parler d'amour.
00:04:07 Et une chanson phare que tous les francophones marocains connaissent, c'est "Je l'aime à mourir".
00:04:13 Alors déjà...
00:04:14 Enfin, tous les Marocains, je ne lui en ferai plus.
00:04:16 Déjà, je voulais qu'on se pose une question tous ensemble.
00:04:20 Pourquoi associer de cette manière le fait d'aimer à la mort ?
00:04:25 "Je l'aime à mourir".
00:04:26 Maintenant, on ne se pose pas la question pour nous, c'est une évidence,
00:04:29 parce que c'est une chanson qu'on connaît depuis toujours.
00:04:31 Mais d'ailleurs, même dans les poèmes mystiques, même musulmans,
00:04:34 l'amour de Dieu est souvent comparé au fait d'être consumé par une flamme.
00:04:39 C'est au fait de s'évanouir, de cesser d'être à travers l'amour.
00:04:42 Donc, on renvoie à l'idée de la mort également.
00:04:44 - Exactement.
00:04:45 C'est exactement là où je veux en venir.
00:04:49 Parce que quand on dit "quand tu aimes quelqu'un, tu as plutôt envie de le marquer
00:04:52 comme un bon vieux défenseur italien, tu n'as pas envie de mourir".
00:04:56 Donc, en fait, ce qu'explique Rougemont, c'est que je sais que c'est une notion
00:05:01 qui t'intéresse beaucoup, celle du mythe.
00:05:03 Il montre que le mythe de Tristan et Isot avait pour but de contenir la passion.
00:05:12 - Donc, en fait, c'est une manière, c'est une forme de catharsis,
00:05:14 c'est-à-dire à travers le mythe, je vais vivre une expérience
00:05:18 pour ne pas la vivre réellement.
00:05:20 - Oui, on va revenir sur sa définition du mythe.
00:05:22 Déjà, il dit que le mythe, c'est une histoire ou une fable
00:05:25 qui regroupe un ensemble de situations données analogues
00:05:30 et dont le but est de montrer, qui relève d'un caractère sacré,
00:05:35 parce que ça dit quelque chose des règles sociales et religieuses
00:05:38 du groupe qui le produit.
00:05:43 Donc, le mythe de Tristan et Isot, quand il apparaît au XIIe siècle,
00:05:47 ce n'est pas un hasard.
00:05:48 C'est parce qu'il y a un mouvement hérétique.
00:05:52 Hérétique, ce n'est pas un jugement de valeur dans ma bouche.
00:05:54 - C'est-à-dire, on dirait hétérodoxe.
00:05:56 Il n'est pas conforme à l'orthodoxie dominante à l'époque.
00:05:58 - Exactement. Et qui est le catharisme.
00:06:00 Et qui va donner quelque chose d'assez connu,
00:06:03 qui est la croisade albigeoise où l'Église va massacrer les cathares.
00:06:07 Avec ce célèbre mot du prélat du pape,
00:06:12 "Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens".
00:06:15 - Bon, c'est ce qu'on va lui attribuer,
00:06:16 parce qu'il a été attribué à d'autres personnages par la suite.
00:06:18 Mais bon, on comprend l'idée.
00:06:20 - Mais l'idée, c'est justement ça. Pourquoi je te parle de ça ?
00:06:22 Parce que les cathares, pour les définir,
00:06:25 on va faire plein de raccourcis...
00:06:27 - Non, après les gens doivent lire.
00:06:29 - On va faire plein de raccourcis,
00:06:31 mais juste pour donner aux gens l'envie de découvrir tout ça.
00:06:35 Alors le catharisme, qu'est-ce que c'est ?
00:06:37 C'est l'idée qui vient de la gnose
00:06:39 que le vrai Dieu n'a pas vraiment d'influence sur notre vie terrestre.
00:06:43 C'est la Sophia, si.
00:06:46 Et que le Dieu qui gère ce monde, c'est le démurge.
00:06:51 C'est le mauvais Dieu.
00:06:53 Et c'est le Dieu de l'Ancien Testament.
00:06:55 Et le vrai Dieu n'a pas vraiment d'influence sur notre vie,
00:06:59 à part d'avoir envoyé le Christ.
00:07:03 Donc eux, ce qu'ils font, c'est reconnaître le Nouveau Testament,
00:07:07 et ne puiser dans l'Ancien Testament que ce qui va,
00:07:11 ce qui n'est pas en contradiction avec le Nouveau Testament.
00:07:15 Donc pour eux, notre âme est emprisonnée dans notre corps terrestre.
00:07:21 D'ailleurs il y a cette idée, quand même chez certains kabbalistes,
00:07:25 que nos âmes sont des fragments de ce Dieu bon,
00:07:27 qui n'a pas d'influence sur ce monde,
00:07:29 et qu'en mourant, on recompose ce Dieu bon.
00:07:31 En fait, on refusionne avec lui.
00:07:33 Et quand les cathares aiment, en fait,
00:07:35 l'autre n'est qu'un moyen d'aimer Dieu.
00:07:39 Ou d'atteindre la Sophia,
00:07:41 ou d'atteindre l'anima, notre part divine qui est en nous.
00:07:45 Je sais que c'est un terme repris par Young.
00:07:47 Je vois tes yeux teclés.
00:07:49 J'essaie de voir l'analogie.
00:07:51 Il y a une divin chanson.
00:07:53 Je commence à anticiper tes commentaires.
00:07:57 Oui, pardon.
00:07:59 Oui, on disait que quand on aime quelqu'un,
00:08:01 en fait, on aime l'autre, c'est une médiation,
00:08:03 à travers laquelle on aime la Sophia, le Dieu bon.
00:08:07 En fait, mon idée, c'est ça.
00:08:09 C'est que, on est enfermé dans le règne du démiurge.
00:08:15 Alors, ça te dirait de définir rapidement ce qu'est le démiurge ?
00:08:19 Le mauvais Dieu ?
00:08:20 C'est une puissance créatrice, à la base,
00:08:22 c'est qui a créé le monde, chez l'agnostique.
00:08:24 Ce n'est pas le bon Dieu qui a créé le monde.
00:08:26 On va se référer à Guénon, dans son livre "Mélange".
00:08:29 Le premier texte où il définit le démiurge,
00:08:32 alors, en fait, il fait la distinction entre le manifesté et le non-manifesté.
00:08:37 Ou le voilé.
00:08:38 D'accord ? Parce que, en fait, le catharisme vient du manichéisme aussi.
00:08:43 Le manichéisme, qu'est-ce que c'est ?
00:08:45 Quand on dit "tu es manichéen", ça veut dire que tu fais le bien et le mal.
00:08:48 Alors que c'est un contresens complet, c'est une insulte au prophète Manique.
00:08:52 Parce que l'exotérisme du manichéisme,
00:08:56 c'est juste un moyen de montrer que la dualité est une fausse dualité.
00:09:00 Et que l'ésotérisme de la religion manichéisme,
00:09:03 c'est que tout provient du Dieu bon.
00:09:05 Et que la distinction entre le bien et le mal
00:09:08 n'est qu'une vision de l'esprit imposée par le démiurge.
00:09:11 D'accord.
00:09:12 Donc, Guénon, rapidement.
00:09:14 Le non-manifesté et le manifesté.
00:09:17 Le non-manifesté contient en lui tout ce qui sera manifesté.
00:09:20 En plus de tout ce qui ne sera jamais.
00:09:23 Donc c'est le potentiel, l'existence dans toute sa potentialité.
00:09:26 Oui, parce que quand on est chez Guénon, on n'est pas à E=MCQC.
00:09:30 Soit tu acceptes ce qui l'avance, soit pas du tout.
00:09:35 Donc, le manifesté et le non-manifesté.
00:09:38 Mais si tu dis que Dieu est bon, c'est une vieille question religieuse.
00:09:43 C'est comment Dieu, qui n'est que bonté, est capable...
00:09:47 Comment expliquer le mal.
00:09:48 Comment expliquer le mal, exactement.
00:09:49 Un enfant qui a un cancer, des choses inexplicables, je veux dire.
00:09:52 Exactement.
00:09:53 C'est une vieille question théologique, l'une des plus anciennes.
00:09:55 Tout à fait.
00:09:56 Quand tu as un athénitien, la première chose qu'il te rejette, c'est de te dire
00:09:59 "Si Dieu est bon, comment ça se fait qu'il y ait du mal ?"
00:10:01 Oui, que les enfants meurent.
00:10:03 Que les enfants meurent.
00:10:04 Donc, l'explication de Guénon.
00:10:06 Tu me dis s'il te plaît, si je saute du coca-l'indie,
00:10:08 j'ai tellement de choses importantes à te dire.
00:10:10 Donc, oui, le manifesté et le non-manifesté.
00:10:13 Dans le non-manifesté, il y a le bon, il y a la vérité.
00:10:18 D'accord ?
00:10:19 Il y a tout ce qui est...
00:10:21 Pur, bon, vrai.
00:10:22 Il y a tout ce qui est pur et bon.
00:10:24 Mais si on dit que ce non-manifesté contient le mal,
00:10:28 ça veut dire que ce n'est pas vraiment du mal, parce que ça va...
00:10:31 C'est une illusion que j'y vois du mal, en réalité.
00:10:35 Parce que ce qu'on appelle erreur, c'est juste une vérité relative.
00:10:38 Si tu prends la vérité comme l'ensemble du manifesté et du non-manifesté.
00:10:42 Oui.
00:10:43 D'accord ?
00:10:44 Donc, si tu dis que le bien contient en lui-même une partie du mal,
00:10:48 ça veut dire que ce n'est pas vraiment le bien.
00:10:51 Je comprends.
00:10:52 Tu comprends ?
00:10:53 Il ne peut pas inclure en lui-même...
00:10:55 La perfection ne peut pas inclure en elle-même le mal.
00:10:58 Donc, le bon et le mal, c'est un couple qu'on crée en même temps.
00:11:01 C'est en voyant le mal qu'on voit le bon.
00:11:05 Enfin, il y a la dialectique entre le bien et le mal.
00:11:08 C'est ce qu'il racontait dans la Genèse, la chute d'Adam et Ève.
00:11:12 C'est qu'Adam et Ève choisissent, font le choix du libre-arbitre
00:11:16 de faire la distinction entre le bien et le mal,
00:11:19 qu'ils revêtent une tunique de peau,
00:11:22 et qu'ils descendent sur terre pour que s'applique sur eux le règne du démure.
00:11:28 Ça, c'est le manichéisme.
00:11:32 Au IIe siècle, au IXe siècle, il y a les Bolgores,
00:11:38 sous l'école du gnosticisme, si tu me passes l'expression.
00:11:43 Et au XIIe siècle, il y a les cathares dans le milieu de la France,
00:11:47 qui touchent vraiment une élite intellectuelle.
00:11:52 C'est ce qui fait que l'Église a peur du catharisme et cherche à le...
00:11:57 - Après, on va un peu sortir du cadre,
00:11:59 mais ce que l'Église reproche aux cathares,
00:12:01 et ce qui est globalement avéré,
00:12:03 c'est qu'il y avait toute une littérature,
00:12:05 alors orale et écrite, chez eux,
00:12:07 qui faisait l'apologie du suicide, l'apologie de l'avortement,
00:12:10 ce qui doit naturellement être combattu par toute Église qui se respecte.
00:12:14 Dans l'idée que le corps, tu l'expliquais tout à l'heure,
00:12:17 le corps est le cercueil de notre âme,
00:12:19 et que moins on met au monde d'enfants,
00:12:22 moins il y aura de fragments du bon Dieu qui seront capturés dans des corps.
00:12:25 Et plus il y a de gens qui meurent,
00:12:27 et plus on libère des fragments, des étincelles du divin qui vont recomposer.
00:12:31 Parce que, à temps temps, depuis le début,
00:12:33 on dirait que c'est des gens extrêmement gentils,
00:12:35 des anges qui mâchent sur terre,
00:12:36 et puis il y a la méchante Église qui vient les massacrer.
00:12:38 Non, non, quand même, ils étaient porteurs d'une idéologie mortifère.
00:12:41 Aujourd'hui, on dirait nihiliste, nihilisme de la mort, etc.
00:12:45 Même si pour eux, c'était métaphysique,
00:12:47 mais juste pour recontextualiser un peu.
00:12:49 - Oui, oui, non, non, c'est pas mon propos.
00:12:51 Je n'ai pas de jugement de valeur.
00:12:53 Je me dis juste que c'est une idéologie qui est intéressante.
00:12:56 - Oui, elle est intéressante intellectuellement.
00:12:58 - Intellectuellement.
00:12:59 Surtout parce qu'après, tu as eu le martionnisme,
00:13:02 tu as plein d'idées,
00:13:04 des questions qu'on se pose tous les jours auxquelles on n'a pas de réponse,
00:13:09 parce qu'on n'a pas la culture pour savoir que des gens se sont posé les mêmes questions.
00:13:13 - Oui, et tu as raison, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain.
00:13:18 C'est que, effectivement, chez l'agnostic,
00:13:19 il y a cet aspect immoral qui est effectivement condamnable,
00:13:22 mais par ailleurs, peut-être qu'il y a des aspects intéressants
00:13:25 comme par rapport à la question du mal.
00:13:27 - Exactement, mais tu avais les purs,
00:13:29 c'est eux qui évitaient de se marier et de se reproduire,
00:13:31 puis tu avais les adeptes auxquels on tolérait le mariage.
00:13:35 Mais c'est juste qu'ils savaient que pour eux,
00:13:38 le fait de se reproduire, c'est le fait d'enfermer d'autres âmes dans des corps...
00:13:42 - De perpétuer le rêne du démiurge.
00:13:44 - De perpétuer le rêne du démiurge, exactement.
00:13:46 Donc le refus du mariage,
00:13:49 c'est en quelque sorte le refus de faire souffrir d'autres individus.
00:13:53 Et c'est peut-être ce qu'on retrouve chez les nihilistes, encore une fois.
00:13:56 Tu vois, c'est toujours des idées qui...
00:13:58 - Oui, mais on le retrouve même chez Émile Cioran, dans ses aphorismes,
00:14:01 où il dit que les parents sont les plus grands des criminels
00:14:04 car ils condamnent à mort leurs enfants.
00:14:06 - Ah, je connaissais pas.
00:14:07 - En les mettant en morte, de fait.
00:14:08 Dès que tu mets au mort d'un enfant, il va mourir.
00:14:10 C'est ce que fait. Tu l'as condamné à mort, alors qu'il n'existait pas avant.
00:14:12 Donc on est dans ce schéma-là, effectivement,
00:14:14 il y a une perpétuation de cette approche-là.
00:14:17 - Peut-être que les gens vont se dire,
00:14:19 mais quel est le rapport avec le "je l'aime à mourir" de Cabrel,
00:14:22 mais c'est juste parce que c'est des choses qui façonnent notre psyché.
00:14:25 Encore juste un exemple, il y a une très très belle chanson de Brassens
00:14:29 qui s'appelle "La non-demande en mariage",
00:14:31 où il dit "Mamie de grâce ne met-on,
00:14:34 Pas sous la gorge à Cupidon, sa propre flèche,
00:14:37 Tant d'amoureux l'ont essayé,
00:14:39 Qui de leur bonheur ont payé ce sacrilège.
00:14:41 J'ai l'honneur de ne pas te demander ta main,
00:14:44 Ne gravons pas nos noms au bas d'un parchemin,
00:14:46 De servante n'est pas besoin,
00:14:48 Et du ménage et de ses soins je te dispense,
00:14:50 D'un éternel fiancé à la dame de mes pensées,
00:14:53 Toujours je pense."
00:14:54 "La dame de mes pensées" c'est proprement une terminologie de l'amour courtois,
00:14:59 qui vient directement du mythe du Tristan et Isotope.
00:15:02 Donc on retourne au mythe.
00:15:04 - Et puis rappelez peut-être que,
00:15:06 après peut-être ça diverge de la lecture de Rougement,
00:15:08 mais l'idée de contextualiser le mythe comme étant ce qui exprime l'esprit de l'époque,
00:15:13 c'est pas tout à fait vrai.
00:15:15 Ça peut être vrai par certains aspects,
00:15:16 parce qu'il y a quand même ce qu'on appelle le mythème,
00:15:18 c'est-à-dire que vous prenez n'importe quel mythe,
00:15:19 par exemple Tristan et Isotope,
00:15:20 vous enlevez le coloriage, c'est-à-dire les personnages, l'environnement, etc.
00:15:23 Vous ne gardez que la structure narrative.
00:15:25 Celle-là elle relève de l'universel,
00:15:27 parce qu'on trouve des analogies du même mythe dans d'autres cultures.
00:15:30 "Res oelei la" etc.
00:15:32 "Romeu et Juliette par la suite",
00:15:33 c'est toujours la mort qui finit,
00:15:34 ou la folie,
00:15:35 qui est une forme de mort de l'esprit,
00:15:37 dans le mythe de "Res oelei la".
00:15:39 Donc il y a cet universel,
00:15:41 qui peut être une forme de thérapie,
00:15:43 c'est-à-dire qu'on vit à travers le mythe,
00:15:45 ce qu'on ne doit pas, surtout pas vivre,
00:15:47 c'est ce qu'on appelle la catharsis,
00:15:48 qui était le rôle du théâtre chez les grecs d'ailleurs.
00:15:50 C'est thérapeutique.
00:15:51 - Exactement.
00:15:52 En fait, ce qu'il dit,
00:15:53 on va revenir sur le mythe de Tristan et Isotope
00:15:55 pour le résumer très brièvement,
00:15:57 mais en fait ce qu'il dit,
00:15:58 c'est que le mythe de Tristan et Isotope
00:15:59 a pour but de contenir
00:16:01 les forces anarchisantes de la passion.
00:16:03 C'est l'expression de Denis de Rougemont.
00:16:06 Parce que, en fait,
00:16:07 ce qu'on ne comprend pas dans le mythe de Tristan et Isotope,
00:16:09 c'est les non-cathares qui disent aux gens,
00:16:12 attention, si vous suivez l'héros comme Tristan suit son héros,
00:16:17 il ne peut aboutir à sa fin qu'en mourant.
00:16:20 Parce que ce que dit Denis de Rougemont,
00:16:23 c'est que Tristan et Isotope ne s'aiment pas vraiment.
00:16:25 Ils aiment l'idée d'aimer.
00:16:27 Et l'autre n'est qu'un moyen d'atteindre la divinité,
00:16:32 d'atteindre la Sophia qui n'est pas de ce monde.
00:16:34 Donc pour atteindre quelque chose qui n'est pas de ce monde,
00:16:36 c'est QFD comme on dirait.
00:16:38 Tu fais bien de parler de Qaïs ou de Qaïs ou Leyla,
00:16:42 parce que que dit Denis de Rougemont ?
00:16:44 Donc tu as le manichéisme,
00:16:46 ça passe à travers les mystiques arabes au 9e siècle,
00:16:51 les Shoravardies, etc.
00:16:54 Et ça retombe au 12e siècle dans le catharisme.
00:16:58 Parce que tu as une très belle histoire, par exemple,
00:17:00 ça c'est ma femme qui me l'a raconté, je ne connaissais pas.
00:17:02 Apparemment c'est Qaïs qui se balade,
00:17:05 et qui piétine sur des gens qui sont en train de faire la prière.
00:17:08 Et quand il termine la prière, il lui reproche,
00:17:11 il lui dit "Tu penses tellement à Leyla que tu n'as pas vu qu'on priait".
00:17:15 Il lui dit "Oui c'est vrai, mais si vous pensiez à Dieu comme moi je pense à Leyla,
00:17:20 vous n'aurez pas fait la prière".
00:17:21 Donc il y a toujours ce lien entre l'amour de la femme et l'amour du divin.
00:17:25 C'est ce que dit cette histoire aussi.
00:17:27 D'ailleurs il y a un magnifique compositeur de théâtre,
00:17:32 écrivain et interprète, Hassan Jey,
00:17:35 qui est un ami, qui a interprété le "Major Noon" de Leyla.
00:17:39 Et d'ailleurs quand tu en parles,
00:17:41 ce n'est pas le texte que j'ai déjà lu qui me vient à l'esprit,
00:17:44 mais c'est Hassan Jey en train d'interpréter cette scène qui est tout simplement sublime.
00:17:48 Et d'ailleurs j'invite tous les gens à aller voir ses spectacles dès qu'ils sont lancés.
00:17:53 On peut gratter une invitation ?
00:17:55 Une fois, pas deux.
00:17:57 Alors déjà, on résume le métier pour structurer.
00:18:00 On est en train de perdre des gens,
00:18:02 alors pour les ramener, on dira pourquoi on a parlé de la gnose et on a fait tous ces détours.
00:18:06 C'est pour dire que la conception que l'on a aujourd'hui de l'amour est imprégnée de gnose.
00:18:10 En tout cas, elle continue de véhiculer un certain rapport particulier entre l'amour et la mort.
00:18:16 Donc ce n'est pas un truc de poète contemporain,
00:18:19 mais ça remonte à il y a très longtemps.
00:18:21 Et pour ce faire, il a fallu parler du démurge, du Dieu qui est bon derrière,
00:18:25 et puis le démurge qui domine le monde,
00:18:27 et puis l'amour chez les gnostiques et chez les cathares,
00:18:30 qui est une déclinaison du gnostisme,
00:18:32 est étroitement lié à l'amour de Dieu et qui ne peut s'accomplir que par la mort.
00:18:36 Par antes Claus, deuxième aspect.
00:18:38 Donc on résume le mythe de Tristan et Isotte rapidement,
00:18:41 parce qu'on va en avoir besoin même chez Claus.
00:18:45 Donc le roi Marc est le roi de Cornouailles.
00:18:50 Tristan est orphelin de naissance,
00:18:55 d'où l'étymologie de son nom, Tristan, triste.
00:18:58 En fait, le roi Marc ne le connaît pas à sa naissance,
00:19:04 mais comme il ne veut pas revendiquer le trône,
00:19:11 il va premièrement se faire connaître grâce à un fait héroïque,
00:19:14 qui est de dépecer un cerf.
00:19:16 Et c'est là où le roi Marc le reconnaît comme vaillant guerrier.
00:19:21 Il reconnaît en lui un guerrier.
00:19:23 C'est Talorois d'Irlande qui envoie Morold,
00:19:26 qui est l'oncle d'Isotte,
00:19:28 pour réclamer un dû annuel de 300 hommes et de 300 filles.
00:19:34 Un tribut.
00:19:35 Un tribut, exactement.
00:19:36 Là, Tristan le tue,
00:19:38 mais il est blessé mortellement pendant cette bataille
00:19:41 et il demande à ce qu'on le laisse errer sur un navire
00:19:46 pour que Dieu décide de son sort.
00:19:49 Là, il est recueilli par Isotte, qui le soigne et le renvoie.
00:19:54 Donc, quand il revient, il a ce souvenir d'Isotte, mais sans plus.
00:20:00 Quelques années plus tard,
00:20:03 le roi Marc, qui a la chance d'être veuve,
00:20:06 ça c'est l'expression de Kluska,
00:20:08 dit qu'il se mariera avec une fille dont les cheveux blonds
00:20:12 ont été ramenés par deux hirondelles sur son balcon.
00:20:15 Tristan, qui se rappelle d'Isotte,
00:20:18 lui dit qu'il connaît la dame propriétaire de ses cheveux
00:20:22 et il va la récupérer.
00:20:24 Il tue un dragon.
00:20:25 Tu vois la vieille mythologie du prince qui tue un dragon
00:20:29 pour libérer la princesse.
00:20:31 Et il est blessé encore une fois mortellement.
00:20:33 Il est souvent blessé mortellement.
00:20:35 C'est un bras cassé, le gars.
00:20:37 Tristan, il est souvent blessé mortellement.
00:20:39 C'est que la deuxième fois, il reste une troisième.
00:20:41 Bref, il est soigné par Isotte,
00:20:44 mais qui reconnaît grâce à son arme
00:20:47 le tueur de son oncle Moro.
00:20:49 Mais elle décide de lui pardonner
00:20:51 parce qu'elle est déjà "amoureuse".
00:20:54 Et il ramène Isotte en Cornouailles
00:20:58 pour épouser le roi Marc.
00:21:00 Mais dans le trajet,
00:21:02 ils ont consommé un filtre d'amour
00:21:04 qui rend enfant amoureux qui dure trois ans.
00:21:06 Petit clin d'œil à "L'amour dure trois ans".
00:21:09 - Après ça ?
00:21:10 - Non, du "L'amour dure trois ans".
00:21:13 C'était un roman de BKBD.
00:21:15 C'est juste... Désolé encore,
00:21:17 je sais que je fais plein de digressions,
00:21:19 mais c'est juste pour montrer que
00:21:21 la mythologie est omniprésente.
00:21:24 - On continue.
00:21:25 "L'amour dure trois ans".
00:21:27 Trois ans de galipettes après.
00:21:29 - Non, non.
00:21:30 Ils arrivent à se contenir,
00:21:32 ils se voient en secret
00:21:34 parce qu'entre temps, Isotte est devenu reine.
00:21:37 Mais les barons qui se doutent de quelque chose,
00:21:40 tendent un piège à Tristot
00:21:42 qui vient visiter Isotte de nuit.
00:21:46 Ils mettent de la farine par terre
00:21:48 et lui voit la farine, il saute.
00:21:50 Mais pendant le saut,
00:21:52 ça réouvre de vieilles blessures.
00:21:55 Donc le sang est répandu partout
00:21:58 et mis en exergue par la farine.
00:22:00 Donc le roi Marc découvre l'adultère
00:22:02 pour chasser Tristot
00:22:05 et condamne Isotte
00:22:07 à être connu bibliquement par des lépreux.
00:22:11 - D'accord.
00:22:12 - C'est pas la joie, comme on dirait.
00:22:14 Mais ils s'échappent et ils vont vivre en forêt
00:22:17 jusqu'à ce que l'effet du filtre se dissipe.
00:22:19 Ça, c'est quelques versions du mythe.
00:22:21 - Après, il y a toujours des variations.
00:22:23 - Après, il y a le pardon du roi Marc
00:22:25 qui les trouve endormis avec une épée entre eux.
00:22:29 C'est très important, cette épée, je te dirais pourquoi.
00:22:32 - Tout une symbolique.
00:22:33 - Tout une symbolique.
00:22:34 Et dans certaines versions du mythe,
00:22:36 soit il met son gant sur le toit pour les protéger,
00:22:40 soit il change sa bague contre celle d'Isotte et il repart.
00:22:44 Tristot et Isotte comprennent que le roi Marc les a trouvés,
00:22:48 qu'il les a pardonnés et ils reviennent.
00:22:51 Et une troisième fois, sans rentrer dans les détails,
00:22:56 parce qu'il y a plein de versions,
00:22:58 Tristot est encore blessé
00:23:00 et entre-temps, il a épousé Isotte aux mains blanches,
00:23:04 qu'il ne faut pas confondre avec Isotte la blonde.
00:23:07 Ça aussi, ça a une importance.
00:23:08 Ce sont des homonymes, mais ce n'est pas la même personne.
00:23:11 Il est blessé mortellement.
00:23:13 Il demande à sa femme de demander l'aide d'Isotte
00:23:17 pour qu'elle le soigne une dernière fois.
00:23:20 Et si le navire qui va emmener Isotte a des voiles blanches,
00:23:26 ça veut dire qu'elle accepte de le guérir.
00:23:29 Si c'est des voiles noires, ça veut dire qu'elle n'a pas accepté.
00:23:32 Même si Isotte la blonde décide de le soigner
00:23:36 en affichant des voiles blanches,
00:23:39 sa femme lui ment, elle est jalouse.
00:23:42 Donc, il se laisse mourir.
00:23:45 Et Isotte, qui le retrouve trop tard,
00:23:48 se laisse mourir à son tour.
00:23:50 Fin de l'histoire, générique.
00:23:53 Alors, maintenant, on a fixé un peu le tableau,
00:23:56 tout le mythe, la structure principale du mythe.
00:23:59 De quoi est-on parlé ?
00:24:01 Maintenant, la lecture de Denis de Rougemont,
00:24:02 de ce que je viens de raconter.
00:24:04 Pour lui, le mythe, c'était pour dire aux gens
00:24:07 "Attention, si vous vous laissez prendre par l'Eros,
00:24:10 votre destinée sera la mort."
00:24:11 Parce que si vous voulez vraiment vivre ce que Tristan a vécu,
00:24:16 il faudra mourir pour aller dans l'Au-Delà.
00:24:19 Et il fait la distinction entre Eros et Agapé.
00:24:24 Parce que le roi Marc, en les retrouvant,
00:24:26 il a pardonné.
00:24:28 Parce que c'est l'Agapé, pas l'Eros.
00:24:30 Exactement.
00:24:31 Le roi Marc les a pardonnés.
00:24:33 Et il met aussi l'accent sur l'épée dont je te parlais.
00:24:37 Parce que que montre l'épée pour Denis de Rougemont ?
00:24:40 C'est que le but dans l'amour Eros,
00:24:44 l'amour passion à Tristan et Isotte,
00:24:46 ce n'est pas la personne.
00:24:47 C'est-à-dire que même quand ils n'avaient plus de problèmes,
00:24:51 de choses qui les empêchaient de se voir,
00:24:54 ils ont mis une épée symbolique contre eux.
00:24:56 Parce qu'en fait, ce que veut Tristan et ce que veut Isotte,
00:24:58 ce n'est pas de consommer l'autre.
00:25:00 C'est juste d'utiliser l'autre comme un moyen
00:25:03 pour aller vers l'au-delà,
00:25:05 pour atteindre la divinité.
00:25:07 Mais ça, comme le mythe s'est profanisé et s'est sécularisé,
00:25:10 on ne le voit absolument plus.
00:25:13 D'accord ?
00:25:14 Ça, c'est vraiment la lecture de Denis de Rougemont.
00:25:17 Et ce qui est important,
00:25:18 après peut-être que tu vas trouver ça tiré par les cheveux,
00:25:21 mais dans la deuxième partie du livre,
00:25:23 il fait toute une lecture de la littérature
00:25:25 à travers la sécularisation du mythe.
00:25:28 Déjà, il faut rappeler,
00:25:30 parce qu'on a parlé de l'agapé et de l'éros,
00:25:32 c'est qu'en grec, il y a différents types d'amour.
00:25:34 L'éros, l'agapé, la philia, etc.
00:25:37 Et que chacun correspond à un aspect particulier
00:25:39 de cette émotion-là.
00:25:41 Et que l'agapé, c'est davantage une forme d'amour abstrait
00:25:44 et pas consommé, un peu comme l'éros.
00:25:46 Est-ce que je me trompe ?
00:25:47 Non, c'est exactement ça.
00:25:48 Parce qu'il dit en fait que l'agapé...
00:25:49 Un amour idéalisé, un amour idéal.
00:25:51 Davantage qu'un amour corporel, charnel.
00:25:53 Exactement.
00:25:54 Parce que lui, ce qu'il dit en bon chrétien,
00:25:58 en bon chrétien que est Denis de Rosemont,
00:26:00 il dit qu'en fait, ce que le Christ est venu faire,
00:26:03 c'est oublier l'éros et aimer vous les uns les autres.
00:26:06 Oui.
00:26:07 Aimer l'autre dans ses...
00:26:08 Dans ses prochains, dans ses défauts.
00:26:09 Dans ses défauts.
00:26:10 Le réel, il le dit dans les évangiles,
00:26:12 "Quel mérite auriez-vous à aimer ceux qui vous aiment ?"
00:26:14 Le vrai mérite, c'est d'aimer ceux qui vous détestent.
00:26:17 Avec tous leurs défauts.
00:26:18 Exactement.
00:26:19 C'est ça l'idée de Denis de Rosemont.
00:26:22 Donc on va prendre juste des exemples très très rapides.
00:26:26 T'as Dante et sa Béatrice.
00:26:28 Oui.
00:26:29 Qui est aussi juste un moyen d'aller vers...
00:26:33 Le divin.
00:26:34 D'aller vers le divin.
00:26:35 T'as le...
00:26:37 Quel est l'autre ?
00:26:38 Pour lui, Don Quichotte aussi, Cervantes très important.
00:26:41 Pour lui, Cervantes connaissait la vraie...
00:26:44 Ce que cachait vraiment le mythe.
00:26:47 Il se moquait des gens qui...
00:26:48 Qui ne comprenaient pas.
00:26:49 Qui ne le comprenaient pas et qui pensaient vraiment qu'être chevalier,
00:26:52 ça avait encore une certaine valeur et une certaine notion.
00:26:56 T'as sa lecture de Don Juan.
00:26:58 Où il voit Don Juan comme un tristan qui a...
00:27:01 Comme un tristan abusé.
00:27:04 Et qui ne fait que multiplier les conquêtes.
00:27:07 Et qui devient cynique.
00:27:08 Un tristan cynique.
00:27:09 Don Juan est un tristan cynique.
00:27:11 Parce qu'il ne fait que multiplier les conquêtes à la recherche de ce divin justement.
00:27:14 Parce qu'il ne comprend plus la vraie idée.
00:27:18 Après, tu as sa lecture de Sade aussi.
00:27:21 Parce que pour lui, Sade torture son corps parce qu'il ne lui permet plus d'atteindre l'héros comme décrit dans le mythe de Tristan et les autres.
00:27:31 T'as Rousseau.
00:27:33 Parce que pour lui, en excellent intellectuel qu'est Rousseau,
00:27:39 dans la nouvelle héroïse, il revient vers l'agapé.
00:27:43 D'accord.
00:27:44 Même si de Rougemont dit que Rousseau se disait protestant.
00:27:49 Mais son intelligence a fait que pour contenir le mythe, lui aussi est revenu vers l'agapé dans la nouvelle héroïse.
00:27:56 D'accord.
00:27:57 Et tout ce qui est cinéma hollywoodien, c'est vraiment la profanation absolue du mythe.
00:28:03 Là, ça va intéresser beaucoup de gens.
00:28:04 Parce que c'est plus proche de beaucoup.
00:28:06 Plus proche de beaucoup.
00:28:07 Et que dit Denis de Rougemont exactement ?
00:28:09 C'est qu'on a pris les obstacles qu'il y avait dans le mythe de Tristan et les autres.
00:28:13 La multiplication des obstacles.
00:28:15 Le Titanic par exemple.
00:28:17 Oui.
00:28:18 À la fin, il meurt.
00:28:20 Oui, c'est intelligent.
00:28:22 Il y avait déjà des obstacles de classe.
00:28:26 Que lui est un prolétaire, il est plutôt une bourgeoise.
00:28:29 Il y avait un ensemble de péripéties et ça se conclut par la mort.
00:28:33 Enfin, par l'amour de l'un.
00:28:34 Pas des deux, mais c'est toujours l'idée de la mort.
00:28:37 Qui fige cet amour dans l'éternité.
00:28:39 Exactement.
00:28:40 Mais tu sais, tu fais bien de parler du Titanic quand on parlera de Clouscard.
00:28:43 Si tu veux, on pourra faire une petite synthèse.
00:28:45 Oui, on y retournera.
00:28:46 Une petite synthèse en parlant du Titanic.
00:28:48 Mais pour lui, ça veut dire qu'on a gardé que les obstacles du mythe.
00:28:51 Ça veut dire que tu as deux protagonistes dans n'importe quel film, Hollywood et Netflix,
00:28:55 qui sont censés être ensemble, mais une multitude de choses fait qu'ils ne sont pas ensemble.
00:29:00 Donc ça dure pendant une heure et demie, deux heures.
00:29:02 Et à la fin, tu as le happy end.
00:29:04 Au lieu de la mort, tu as le happy end.
00:29:06 Mais on ne voit pas, on nous dit juste qu'ils vécurent heureux.
00:29:09 On est obligé d'écrire sur parole.
00:29:12 Mais ce que dit Denis de Rougemont, c'est que si on n'accepte pas vraiment le mariage
00:29:17 comme institution qui rejette l'héros passion, il est impossible de durer en tant que couple.
00:29:26 Parce que aimer quelqu'un et se marier avec lui, c'est justement l'accepter dans ses défauts.
00:29:32 C'est de l'agaper.
00:29:33 C'est de le prendre, le chérir malgré tous les défauts qui se révéleront au fil du temps
00:29:38 et toutes les difficultés que vous aurez à affronter.
00:29:40 En "Rebel" Stendhal avait parlé de cette idée de cristallisation.
00:29:46 Vous prenez un bout de bois, une branche, vous la jetez dans du sel.
00:29:49 Elle est moche, elle est déformée.
00:29:51 Mais avec le temps, il y a le sel qui va se cristalliser autour.
00:29:54 Et à la fin, ça va devenir un magnifique cristal brillant, etc.
00:29:58 Et que l'amour, c'est un peu le même process.
00:30:00 C'est-à-dire que je prends une femme, je ne la vois pas telle qu'elle est.
00:30:04 Mais au contraire, je la cristallise.
00:30:06 J'hypertrophie toutes ses qualités, quitte à les fantasmer.
00:30:10 J'occulte par une forme de déni tous les défauts.
00:30:13 Et c'est la condition sine qua non pour tomber amoureux du point de vue passionnel.
00:30:17 Mais après, les cristaux finissent par s'effriter et on retrouve la branche.
00:30:20 Et que, au fait, dès le début, si c'était l'agaper qui avait procédé au rapprochement
00:30:24 entre la personne et la branche, entre l'homme et la femme,
00:30:27 on n'aurait pas cette dynamique de cristallisation, décristallisation.
00:30:31 Et donc, au fait, le mariage ne peut durer que s'il est fondé avant tout sur l'agaper.
00:30:35 Et pas sur l'amour passionnel qui n'est jamais qu'une illusion, du point de vue du quotidien.
00:30:40 C'est exactement ça. C'est exactement l'idée de Nido Rougemont.
00:30:44 Il résume sa théorie "Tristan et Zotte ne s'aiment pas"
00:30:48 et c'est l'amour contre la passion.
00:30:50 C'est soit l'amour, soit la passion.
00:30:52 Il est impossible d'avoir les deux.
00:30:55 Parce que la passion elle se consomme.
00:30:57 On consomme, on consomme.
00:30:59 L'autre, une fois consommée, quelque part, il y a une forme d'évanouissement de cette passion-là.
00:31:03 Par contre, l'agaper n'est pas un concept réductible ou inhérent au corps.
00:31:09 Et donc, il échappe à la dimension de la consommation et de la consommation de l'autre.
00:31:14 Oui, exactement. Et c'est ce qui explique justement les taux de divorce.
00:31:18 Parce qu'on est imprégné de mythologie gnostique,
00:31:22 qu'on ne comprend pas ce qui est encore plus dangereux.
00:31:25 Donc on pense que ça va toujours être l'amour fou.
00:31:29 Il faut mourir au premier mois du mariage.
00:31:31 Et pour figer dans l'éternité...
00:31:33 Et un mois encore t'es optimiste.
00:31:35 Juste après le voyage de noces.
00:31:37 Ah oui, d'accord.
00:31:39 Si tu me permets.
00:31:41 Donc on fait vraiment du jazz.
00:31:45 Exactement.
00:31:46 On part vraiment dans tous les sens.
00:31:47 Prochaine étape.
00:31:48 Prochaine étape, je voulais aussi te dire quelque chose par rapport à Denis de Rougemont.
00:31:51 Je sais que tu vas adorer sa théorie.
00:31:55 Dans le dernier tiers du livre, il explique la nation et les guerres par le livre de Tristan Huse.
00:32:02 Oui, alors je reprends son expression pour ne pas dévoyer son idée.
00:32:08 Il dit que la nation, c'est la passion transposée sur le plan collectif.
00:32:12 Et donc ça donne également le nationalisme.
00:32:15 Exactement.
00:32:16 C'est une passion commune.
00:32:17 Pour lui, il renvoie dos à dos communisme.
00:32:19 Pareil.
00:32:21 Tout messianisme.
00:32:22 Communisme et fascisme.
00:32:24 Il dit que ce qu'on refuse maintenant à l'individu, parce que que dit Hitler pour Denis de Rougemont ?
00:32:29 Il dit aux Allemands, multipliez-vous.
00:32:31 Et ça veut dire, ne suivez pas les rosses.
00:32:34 Mais qui va suivre les rosses maintenant ? C'est la nation allemande.
00:32:37 La procuration, que les individus n'aient pas à le faire.
00:32:40 Exactement, merci.
00:32:41 C'est elle qui a besoin d'espace vital.
00:32:43 C'est elle qui a besoin de grandir.
00:32:45 Encore une fois, ce qui est intéressant, ce n'est pas de dire si Denis de Rougemont ou Kloskar ont raison.
00:32:51 C'est juste de montrer à quel point le débat philosophique et intellectuel est encore quelque chose.
00:32:56 Denis de Rougemont, L'amour et l'Occident de Rougemont, c'est 1939.
00:33:01 Il y a eu une chute qualitative, évidemment.
00:33:03 Et le traité de l'amour faux de Kloskar, c'est 93, je pense.
00:33:07 Donc tu te dis, en quelques années...
00:33:09 Oui, une chute vertigineuse.
00:33:12 Après bon, si on parle du libéralisme, parce que tu as parlé du fascisme, du communisme et du nazisme,
00:33:17 peut-on dire que le libéralisme a totalement évacué l'AGP, en ne laissant que les rosses, au fait ?
00:33:23 Oui, c'est exactement ça.
00:33:24 Parce que l'individu doit...
00:33:25 Parce que les rosses permettent la consommation.
00:33:26 Tout à fait.
00:33:27 Et que l'AGP, ce qui permet d'échapper à la consommation...
00:33:29 L'AGP, c'est deux salaires dans le même...
00:33:32 Exactement.
00:33:33 On consomme en tant que ménage et pas en tant que plusieurs individus qui composent un ménage.
00:33:37 Et tu as des arbitrages alors que quand tu es déprime, quand tu viens de te faire larguer par quelqu'un, tu vas consommer.
00:33:44 Exactement.
00:33:45 Deux fois plus.
00:33:46 Parce qu'on peut dire que le libéralisme, c'est également le règne de les rosses, au détriment de l'AGP.
00:33:49 Oui, exactement.
00:33:50 Donc, je te disais, il explique aussi la violence des guerres à travers...
00:33:55 C'est vraiment intéressant.
00:33:56 Il dit qu'en fait, le but de l'amour courtois, c'était quoi ?
00:34:00 C'était de contenir toutes ces passions à travers la chevalerie.
00:34:03 On allait voir sa dame qui nous bénissait, on allait se battre pour elle.
00:34:07 Tout le rituel de la séduction également, qui était ritualisé, qui était...
00:34:10 Aujourd'hui, également, puisqu'on parlait de libéralisme, on est dans une ère totalement déritualisée.
00:34:15 Tout le fait qu'on a l'harcèlement, etc.
00:34:17 Parce que même les hommes ne sont plus initiés à des rituels...
00:34:22 À des rituels de séduction.
00:34:23 Qui passent par l'AGP.
00:34:24 Exactement.
00:34:25 C'est que voilà, on magnifie la personne aimée, on peut passer par la médiation de la musique, on a toujours l'image avec la guitare, la fleur, etc.
00:34:31 Aujourd'hui, ça paraît ringard.
00:34:33 Mais au fait, c'était extrêmement profond de mythifier la personne aimée parce que ça procédait de l'AGP.
00:34:39 Mais il faut comprendre que c'était des relations adultères.
00:34:42 Oui.
00:34:43 Mais que le fait n'était pas de "consommer" ou de connaître bibliquement la princesse.
00:34:49 C'était juste de montrer ses qualités de chevalier, de guerrier, de faire un catharsis, comme tu dis.
00:34:57 Tout à fait.
00:34:58 Tout en rendant hommage à la dame.
00:35:01 À la dame dépensée.
00:35:03 Là où je te citais, Brassens, tout à l'heure.
00:35:05 Oui, tout à fait.
00:35:06 Ça c'est la terminologie courtisane.
00:35:08 Donc qu'est-ce qu'il dit ? Il dit qu'en fait la séduction...
00:35:10 Il y a une terminologie guerrière dedans, tu vois.
00:35:12 Je suis en train de me battre contre ses défenses.
00:35:16 Oui, j'ai eu plusieurs conquêtes.
00:35:17 Je suis en train de me conquérir.
00:35:19 Elle lutte mais je vais finir par l'avoir.
00:35:22 Donc il dit que le début des guerres, il y avait une certaine chevalerie.
00:35:27 On se battait mais c'était dans des endroits précis.
00:35:30 Il y avait des règles où on n'allait pas abattre sauvagement son ennemi.
00:35:35 Il dit qu'en fait que la modernité et les armes sont venues détruire tout ça.
00:35:40 C'est la barbarie.
00:35:41 C'est la barbarie des deux guerres mondiales.
00:35:44 Tout le romantisme de la guerre est évacué et on est dans l'industrialisation et la machinisation de la guerre
00:35:49 qui broient les humains comme des cartouches utilisées à l'infini.
00:35:54 Mais effectivement on a perdu tout le côté romantique.
00:35:57 Demain matin à l'aube, c'est fini.
00:36:00 Pareil pour le duel.
00:36:02 Demain matin à l'aube, tu te retournes et je te mets une balle dans la...
00:36:06 Mais d'ailleurs cette idée, même l'amour peut-être de...
00:36:11 Pas de la notoriété mais comment dirais-je...
00:36:14 Moi je pense à Pushkin, le grand poète russe qui d'ailleurs a commencé à écrire ses poèmes en français
00:36:20 qui était la langue également de la cour à l'époque en Russie et qui est mort jeune dans un duel.
00:36:25 Pour l'honneur, c'est-à-dire l'amour de l'honneur peut-être également se résout dans la mort en quelque sorte
00:36:32 et dans le fait d'accepter d'affronter la mort, notamment par le duel.
00:36:36 Parce que c'est quoi le duel au fait ?
00:36:39 Au final, si je situe l'honneur au-dessus de la vie, c'est au fait de ça.
00:36:44 Et que la mort ne m'effraie pas.
00:36:46 Ça ne sert à rien de demeurer vivant si mon honneur est bafoué.
00:36:50 Je préfère mourir en préservant mon honneur que de vivre dans le défeunant.
00:36:54 En fait c'est ça l'idée de Rauchmont, c'est de montrer encore une fois que le mythe a été sécularisé et profané
00:37:01 et c'est ce qui donne toute la gabegie actuelle.
00:37:06 Alors maintenant, Clouscard.
00:37:09 On passe déjà à Clouscard ?
00:37:11 On pourra revenir à un autre épisode à Rauchmont.
00:37:14 Ok, tellement de choses que je voulais te dire.
00:37:16 Je reviens sur le filtre et après on passe à Clouscard.
00:37:20 Parce que ce que montre Denis de Rauchmont, parlons du filtre,
00:37:25 c'est une manière de dire que la passion nous entraîne et que c'est plus fort que nous.
00:37:30 C'est pour ça que le filtre est important dans le narratif.
00:37:35 Et pourquoi dans les cinq grandes versions différentes du mythe,
00:37:39 ça commence par "Seigneur, vous plaît-il d'entendre une histoire d'amour et de mort ?"
00:37:43 Tu vois comment on lit l'amour et la mort ?
00:37:45 Et c'est typiquement le "Je l'aime à mourir" de Francis Cabrel.
00:37:49 D'ailleurs même au niveau de la langue des oiseaux, comme les alchimistes l'appellent,
00:37:54 phonétiquement le mot "amour" à "mort" contient le mot "mort".
00:37:59 Ça n'a aucune signification sémantique ou linguistique ou autre chose.
00:38:02 Le langage des oiseaux c'est ça, on entend dire "les métaux précieux" parce qu'ils sont prédécieux.
00:38:06 C'est des jeux de mots comme ça mais qui permettent de cacher un sens que l'on ne veut pas rendre exotérique
00:38:14 parce qu'il est dangereux, notamment chez les moustiques.
00:38:16 Et donc on va construire un cante pour enfant comme une souris verte.
00:38:19 Pourquoi verte ? Parce que le vert est la couleur de la connaissance cachée, etc.
00:38:23 Je la montre à ces messieurs, à ces messieurs, le pluriel de ciel.
00:38:27 Mais en jouant sur la phonétique des mots, on peut la faire passer clandestinement,
00:38:32 c'est-à-dire une sagesse peut voyager clandestinement parce que la plupart des gens vont la lire littéralement.
00:38:37 Mais si on comprend le langage des oiseaux, qu'ils s'appellent comme ça, on peut déduire le vrai sens.
00:38:42 Et donc le mot "amour" qui vient du latin "amor" accidentellement contient également la phonétique du mot "mort".
00:38:48 Donc je te disais, pour donner de rougement, tous les troubadours étaient cathares
00:38:54 et qu'ils cachaient leur religion à travers des chansons d'amour ou ce qui est chanté.
00:39:00 Peut-être cathares malgré eux. Je veux dire, peut-être que certains véhiculaient tout simplement les chants qui étaient d'origine cathare
00:39:07 mais sans eux-mêmes en avoir connaissance peut-être.
00:39:11 Ils insistent pour dire que tous les troubadours étaient cathares. Après, c'est un travail d'historien.
00:39:17 T'as même la revue Historia qui vient de sortir une revue pour... et le titre c'est "Les cathares ont-ils vraiment existé ?"
00:39:24 Tu vois, tout est remis en question. Mais le but justement c'est juste de montrer à quel point notre vision de l'amour est imprégnée de gnauses.
00:39:33 Et pour les fans de Francis Cabrel qui pensent que je suis en train d'affabuler, t'as une chanson de Francis Cabrel qui s'appelle "Les chevaliers cathares"
00:39:42 où il dit... - Bon là y'a plus de doute. - Y'a plus de doute.
00:39:45 Il dit "N'en déplaise à ceux qui décident du passé et du présent, ils n'ont que sept siècles d'histoire et ils sont toujours vivants.
00:39:54 Je vois toujours des flammes et des charniers géants."
00:40:03 Parce qu'il vient du Midi aussi et le Midi a gardé la mémoire des... - Un peu comme la Vendée.
00:40:11 Des traumatismes collectifs qui voyagent dans l'histoire. - Des traumatismes collectifs, exactement.
00:40:15 - Par des contes, des légendes, des histoires... - Et dans son dernier album t'as une chanson qui s'appelle "Ode à l'amour courtois"
00:40:20 et une chanson qui s'appelle "Rockstar du Moyen-Âge" où il cite des troubadours cathares selon Denis Derougement.
00:40:28 C'est juste pour défendre ma théorie. - Alors maintenant passons à gauche.
00:40:32 - On passe à gauche chez Kluska. - Oui.
00:40:35 - Alors très très très intéressant et absolument rien à voir avec Denis Derougement. La thèse de Kluska, qu'est-ce que c'est ?
00:40:42 C'est de dire que le mythe en fait a pour but de montrer qu'on est passé de la société tribale à ce qu'il appelle l'exogamie monogamique.
00:40:53 - Notamment par le monoprélique. - Une société féodale de classe.
00:40:56 Une société sans classe à une société féodale de classe et on invente, on crée une nouvelle classe qui est la noblesse.
00:41:03 - D'accord. Et donc là l'exogamie monogamique c'est plutôt l'avènement du christianisme et du catholicisme qui va l'instaurer.
00:41:13 - Il parle pas vraiment de... - Il parle pas de la période, d'accord.
00:41:15 - Non il parle pas vraiment de christianisme, c'est surtout une vision de classe. - Anthropologique.
00:41:19 - Anthropologique de classe. - D'accord.
00:41:21 - Parce que c'est ce qu'il appelle, comme je te disais, on passe de la société tribale endogamique à l'exogamie monogamique.
00:41:29 - D'accord. Alors pour expliquer exogamie monogamique, exogamie c'est qu'on se marie à l'extérieur du groupe familial et tribal et monogamique,
00:41:37 c'est-à-dire c'est une épouse qui est autorisée et doit être en dehors du groupe familial parce que c'est une exogamie.
00:41:42 L'endogamie tribale, l'endogamie n'est pas forcément tribale, mais l'endogamie c'est le fait de considérer que l'épouse parfaite est la cousine.
00:41:50 Voilà pour le dire simplement. On se marie à l'intérieur du groupe familial et la tribu n'est jamais que la famille élargie en réalité.
00:41:56 - Exactement. - Bon, ça crée des attards démondos au bout de trois générations, quatre générations.
00:42:02 Mais voilà, bon, le risque génétique est avéré, je veux dire, juste pour déconseiller le mariage endogamique aujourd'hui.
00:42:09 - Tu aimes le mélange, si je peux me permettre. - Bon, on continue. Alors le passage de la société tribale endogamique à la société...
00:42:15 - À travers le milieu de Tristan et Zot. - Oui. - On se connaît depuis longtemps et je sais que je te parle de ce livre depuis tout le temps
00:42:22 parce que c'est vraiment un livre qui m'avait bouleversé. Je me dis comment... - Traité de l'amour fou.
00:42:27 - Comment ce type a réussi à avoir ça. L'intelligence de Klutschko qui écrit en 1973 par exemple "Néofascisme et idéologie du désir" après cinq ans de 1968.
00:42:38 - C'est une avant-garde. - Cinq ans après 1968, il voit tout venir. Je me dis c'est... - C'est la pensée dialectique.
00:42:45 - C'est la pensée. Justement, si tu permets, pour revenir très rapidement sur ce qu'est la gauche et ce qu'est la droite avant de parler de Klutschko.
00:42:53 - D'accord. Très rapidement, parce qu'on en a déjà parlé lors du précédent épisode. - Oui, c'était juste pour dire qu'en fait, il y a deux catégories très importantes chez Klutschko.
00:43:00 C'est le frivole et le sérieux. Et il faut toujours se... J'invite les gens à toujours se demander quand il y a une décision politique, s'il relève du frivole ou du sérieux.
00:43:10 - Alors quels sont les critères ? - Aussi, elle relève... Ce qui est facile, ce que je conseille aux gens de faire, c'est de toujours se demander si c'est du sociétal ou du social.
00:43:19 - D'accord. - Un exemple, par exemple, Macron vient d'inscrire dans la Constitution le droit à l'avortement comme droit immuable.
00:43:26 - Oui. - Ça, c'est du sociétal. - Oui. - Et en même temps, d'un point de vue social, il repose l'âge de la retraite. - Oui.
00:43:32 - T'as le ministre de la retraite qui a défendu cette loi unique. Et en même temps, il dit "on m'attaque parce que je suis homo". - Oui.
00:43:42 - C'est du sociétal. Quand le PJD était au pouvoir, ils ont fait du sociétal. Ils n'ont pas fait de social. - Oui.
00:43:48 - Ils ont fait du frivole, pas du sérieux. - D'accord. - C'est juste ça que je voulais...
00:43:53 - Mais là, le frivole n'est pas l'apanage de la gauche ou de la droite. Je veux dire, les deux peuvent relever du frivole comme ils peuvent relever du sérieux.
00:43:59 - Exactement. Tu as deux gauches, en fait. Tu as une gauche libertaire qui relève du frivole. Et t'as une gauche sociale qui relève du sérieux.
00:44:08 Et t'as une droite libérale qui relève du frivole dangereux parce que c'est la fausse droite ou la vraie extrême droite, si je peux me permettre.
00:44:22 Et t'as le sérieux de la droite qui est la droite des valeurs. Et t'as, pour combattre la jonction de la déferlante libérale qu'on se prend dans nos tranches,
00:44:34 qui est le libéralisme libertaire, pour le combattre, il faut faire une jonction entre ce qui est la gauche du travail et la droite des valeurs.
00:44:41 - Petit clin d'œil à "Égalité, Réconciliation, Que dans le salut, Dieu s'en prie". - Reconnaissance éternelle à l'insurad de tout ce qu'il nous a apporté comme...
00:44:50 - Comme ouverture intellectuelle. - Exactement.
00:44:54 - On parlait de la jonction de... Non, on est depuis tout à l'heure chez Kluska. On parlait de l'impossibilité ou des obstacles mis devant la jonction entre la droite des valeurs et la gauche du travail.
00:45:05 - Exactement. En occultant justement ce genre de lecture très très intéressante. Parce que maintenant, je te raconte la lecture du mythe selon Kluska.
00:45:14 - Kluska, oui. - Donc pour lui, tout part de ce qu'il appelle la famille à l'envers. C'est-à-dire que le roi Marc, Tristan et Iseult se choisissent mutuellement.
00:45:24 Parce que comme je te disais, le roi Marc, ayant la chance d'être veuve, peut choisir son épouse en dehors du clan.
00:45:31 - Oui. - Tristan, en tuant Morold, met fin au tribalisme et à la circulation des esclaves.
00:45:40 Parce que pour Kluska, le tribu que demandait Morold, c'est des esclaves masculins et un harem féminin.
00:45:48 Donc en tuant Tristan, en tuant Morold, il met fin à ce tribalisme-là. - Symboliquement, ça.
00:45:53 - Symboliquement. Et il choisit le roi Marc comme souverain. Parce qu'à un moment, le roi Marc veut le proposer comme successeur au trône, mais il refuse.
00:46:02 Kluska dit que c'est peut-être un calcul politique parce que son trône est peut-être encore un peu trop fragile.
00:46:11 Iseult devient reine grâce au mariage avec le roi Marc et Tristan devient chevalier.
00:46:18 Et tu as la création de la relation roi-reine-vassal-chevalier. - Oui.
00:46:25 - Donc tu as toute l'ordre social en germe à l'époque qui est décrit par le mythe. - Exactement, merci.
00:46:32 Donc quand Tristan et Iseult ne peuvent pas consommer leur amour, parce qu'ils sirènent la branche sur laquelle ils sont assis.
00:46:45 Iseult ne sera plus reine, Tristan ne sera plus chevalier. C'est ça la beauté du mythe pour Kluska.
00:46:56 C'est de montrer qu'en se choisissant tous les trois, ils construisent la superstructure qui va leur permettre d'atteindre un statut social.
00:47:07 Et ce qui est très intéressant, j'adore cette expression de Kluska, il dit "l'état amoureux est axé à l'identité de classe".
00:47:13 - Encore une fois ? - "L'état amoureux est axé à l'identité de classe".
00:47:17 Parce que contrairement à ce que pensent nos gauchistes, ils pensent que être amoureux c'est être en dehors de la superstructure.
00:47:25 Ce que montre Kluska c'est que l'amour permet la création de la classe sociale.
00:47:30 - D'accord. C'est-à-dire ce que tu dis, alors je vais te laisser synthétiser, c'est que l'amour est ce qui engendre la superstructure
00:47:39 qui va légitimer et rendre possible une infrastructure, c'est-à-dire des rapports sociaux de hiérarchie, etc.
00:47:46 - Non, c'est les nouveaux rapports sociaux que demande la féodalité qui va engendrer une superstructure.
00:47:54 - Qui va légitimer, renforcer la superstructure. - Exactement.
00:47:57 Mais c'est en tombant amoureux qu'ils accèdent à l'identité de classe.
00:48:03 Parce que pour Kluska, Iseult est amoureux d'un dédoublement. Elle aime Tristan et le roi Marc en même temps.
00:48:11 - Mais c'est vraiment différent. - Ils lui permettent de devenir reine.
00:48:15 Alors qu'elle n'était que... elle était princesse dans un royaume alors qu'elle devient reine celte.
00:48:25 Kluska dit par exemple que la blondeur d'Iseult fait référence à la celtitude, si tu me permets le néologisme.
00:48:34 Et que le fait que les hirondelles aient traversé le territoire celte pour ramener ses cheveux au roi Marc pour qu'il l'épouse,
00:48:43 c'est aussi pour montrer que la nation va être fédérée à travers leur mariage.
00:48:48 Il y a toute une symbolique... - Matrimoniale mais également politique.
00:48:52 - Matrimoniale et politique, exactement.
00:48:55 - D'accord, donc pour Kluska, si tu peux resynthétiser, alors l'amour et la conscience de classe, l'identité de classe, le lien entre les deux.
00:49:04 - En fait il dit que... - L'amour est ce qui rend possible l'amour.
00:49:10 Parce qu'il y a la création de deux espaces pour Kluska. La création d'une nouvelle classe sociale et la sortie de l'endogamie à l'exogamie monogamie.
00:49:18 Donc c'est à travers cet espace dialectique entre nécessité et liberté.
00:49:22 C'est à travers cet espace qui rend nécessaire l'amour exogamique que Tristan et Isote peuvent s'aimer.
00:49:30 Sinon c'est antinomique, avant c'était impossible. Donc c'est pour ça qu'il dit...
00:49:34 - C'est le cas de Reis et Leila, on est dans une société tribale où effectivement le mariage est rendu impossible en raison de difficile entre deux chefs de tribu,
00:49:42 le père de Leila et le père de Reis. Donc là on est dans un chemin un peu différent quand même.
00:49:46 - Exactement. C'est la liberté mais en fait Kluska dit que Isote est la première femme libérée.
00:49:52 - D'accord. - Alors que c'est une notion totalement... - Anachronique.
00:49:56 - ...tombée en désuétude chez nos gosses. Parce que encore une fois pour quelqu'un de gauche il va te dire que le couple, le mariage chrétien enferme les gens.
00:50:08 Et c'est quelque chose qu'on ne choisit pas alors que quand on décide d'aimer quelqu'un on se bat contre l'ordre établi alors que pour Kluska c'est exactement le contraire.
00:50:18 C'est grâce à cet amour qu'on crée un ordre et une superstructure. Je sais pas si c'est...
00:50:24 - Claire alors j'ai... Mon travail c'est de définir les termes pour clarifier. Alors superstructure, infrastructure est un vocabulaire marxiste.
00:50:31 Alors l'infrastructure déjà c'est l'ensemble des rapports de force, des liens, des hiérarchies qui fondent un mode de production donné.
00:50:41 Donc soit le mode de production féodale, médiéval ou capitaliste ou antique etc.
00:50:45 Mais un ordre qui est fondé naturellement sur des rapports de force et des hiérarchies doit trouver au niveau des idées, au niveau des croyances, au niveau de la culture quelque chose qui le rend légitime.
00:50:56 Sinon il sera contesté en permanence et sera dysfonctionnel. Et donc ces différents liens de rapports de force engendrent un ensemble de croyances, de mythes, d'idées
00:51:06 qui sont quelque part le reflet de ce rapport de force mais au niveau de la culture et des idées et qui va finir par légitimer cet ordre là.
00:51:13 Et quand on passe d'un mode de production à un autre, d'une structure sociale, anthropologique à une autre structure,
00:51:18 et bien il faut changer également d'une infrastructure à une autre, il faut changer également la superstructure.
00:51:24 On ne peut pas garder l'ancienne superstructure parce qu'elle ne justifie plus rien par rapport à la nouvelle infrastructure.
00:51:31 Donc pour le dire simplement quand on passe du mode de production médiéval au mode de production capitaliste, on ne peut pas emmener avec soi l'église catholique.
00:51:38 Elle justifie l'ordre médiéval mais au niveau du capitalisme elle ne justifie plus rien, elle ne légitime plus rien.
00:51:43 Donc il faut une nouvelle religion. - Elle empêche même le déploiement de la nouvelle superstructure.
00:51:48 - Donc il faut quoi ? Il faut le protestantisme, pour le dire simplement. Et donc la réforme protestante, etc.
00:51:53 c'est un peu l'équivalent du mythe de Tristan et de Hitler. C'est ce qui va justifier le nouvel ordre et le rendre possible.
00:52:00 - Exactement. Donc je continue juste la lecture de Klaus Kahr. Elle est très drôle et très intéressante.
00:52:06 - On y va, on y va. Non, juste ne pas trop... - D'accord. Donc je te disais, pour lui le filtre c'est juste un moyen de cacher cette explication que je viens de te donner.
00:52:20 Et ce qui est très drôle chez Klaus Kahr c'est que pour lui quand il s'enfuit dans la forêt, les trois ans qu'ils ont passé ensemble en ayant une vie sylvestre avant que le roi Marc les retrouve,
00:52:32 pour lui il pose une question très intéressante. Comment l'amour peut-il durer en dehors de la superstructure ?
00:52:40 Parce que pour certains le fait qu'ils effluent dans la nature c'était pour profiter, pour retourner à l'état naturel.
00:52:46 Alors que pour Klaus Kahr c'est exactement le contraire. Comme ils viennent du haut du panier, ils ne savent rien faire et ils découvrent que sans superstructure il n'y a plus d'amour.
00:52:56 - Parce que Isolde ne sait pas cuisiner, lui... - C'est un peu comme le mythe, enfin pas le mythe mais d'ailleurs on parlait de film tout à l'heure, "Into the Wild".
00:53:05 L'histoire de ce jeune qui voulait se rebeller contre la société, qui a coupé les cartes de crédit, qui a douvé, qui est allé vers une nature qui l'a fantasmé, qui croyait belle, généreuse,
00:53:14 bon il est mort, empoisonné, en bouffant une plante qu'il a confondue. Avec une autre, c'est qu'effectivement c'est exactement ça.
00:53:20 C'est le petit bobo qui fantasme la nature et qui croit que là-bas il va trouver la vraie liberté, le vrai amour.
00:53:26 Et une fois qu'il est confronté à la vraie nature avec toute la dimension hostile, etc., il crève. Il revient à la civilisation.
00:53:32 Et peut-être de ce point de vue, ce que tu l'as expliqué tout à l'heure, c'est que ce qui rend possible cet amour-là, c'est l'ordre.
00:53:40 Il y a une forme de dialectique entre l'ordre et l'amour qui fait que l'un n'est pas possible sans l'autre.
00:53:44 C'est-à-dire que l'amour ne peut exister que dans l'ordre qui le justifie et l'ordre ne peut exister que grâce à l'amour qui le fonde.
00:53:50 Exact. C'est ça. Donc pour lui, ils sont dans la nature, ils sont haut, ils sont à la périphérie de la superstructure,
00:53:59 mais le roi Marc a un informateur et il sait qu'ils sont là-bas. Et il les laisse vivre parce qu'en même temps, s'il les poursasse,
00:54:05 il tue ce qu'il est en train de créer. Il tue la féodalité. Donc il les laisse vivre. Il découvre que c'est impossible d'aimer sans bouffer, si tu me façons l'expression.
00:54:20 Donc après, il les retrouve et il trouve l'épée entre les deux. Donc il se dit qu'ils n'ont pas consommé leur mariage.
00:54:33 Donc il remplace l'épée de Tristan par son épée. Et pour Klaus Kahr, c'est pour montrer que la superstructure vient se mettre entre les deux amants.
00:54:42 Et donc il leur pardonne. Il met son gant pour mettre l'accent sur la vétusté de leur habitat. Parce qu'encore une fois,
00:54:55 ils ont dû s'habituer à un standard de vie et Tristan a dû s'habituer à la bonne bouffe. C'est pour ça que j'adore ce livre.
00:55:04 Parce qu'encore une fois, peut-être que ça n'a rien à voir avec la réalité.
00:55:07 C'est une lecture, l'hérménétique du mythe qui doit être inventée à chaque époque. Le propre du mythe, c'est d'être intemporal.
00:55:15 C'est qu'à chaque époque, il a des choses à dire.
00:55:17 Et puis il y a un livre sur Marxiste pour montrer que la praxis, peut-être que c'est pour ça que c'est l'un des fondements de la modernité,
00:55:25 nous faire croire qu'on n'a pas vraiment d'impact sur notre vie, que notre praxis ne vaut rien.
00:55:31 Et justement, Klaus Kahr montre que même l'amour qu'on fantase, mais qu'on rêve tous d'atteindre, vient de la praxis.
00:55:39 Vient de ce que l'homme est capable de faire pour modifier son état naturel et les rapports sociaux.
00:55:46 Donc après, quand ils reviennent, ils ne font que perpétuer la superstructure.
00:55:56 Tristan se marie avec une iselte qui lui rappelle une homonyme, parce qu'il doit perpétuer ce qu'il a créé.
00:56:05 Donc toute cette dialectique entre "lui, il atteint le statut de chevalier et il a cette beauté qu'est le..."
00:56:15 Klaus Kahr dit qu'en fait, c'est le héros et l'artiste en même temps.
00:56:18 Il a le côté positif du héros et le côté négatif de l'artiste déchu.
00:56:24 Et Klaus Kahr dit qu'en fait, ces deux caractéristiques vont se dédoubler.
00:56:28 Et c'est ce que tu retrouves par exemple chez les artistes.
00:56:32 Tu vois par exemple, je ne sais pas, quand Aznavour chante "La bohème", je vous parle d'un temps où il crevait de faim parce qu'il peignait.
00:56:40 Tout à fait. Bon, il vendait un tableau pour un repas chaud et ils étaient contents.
00:56:44 Mais ce qu'ils ne disent pas, c'est que pour... ça, ce n'est pas la lecture de Klaus Kahr.
00:56:48 C'est une application de la lecture de Kahr.
00:56:50 Exactement. En fait, ce qu'il dit, c'est que c'est les cadets de la bourgeoisie qui cherchent des endroits où se caser.
00:56:56 Mais c'est grâce à la superstructure qu'ils sont cadets de la bourgeoisie et qu'ils peuvent se permettre d'aller chanter et de vendre des toits.
00:57:03 Parce qu'à la fin, il revient à sa ville-là.
00:57:05 Voilà, quand il a vraiment faim, il revient chez papa.
00:57:07 Non, mais il y a également cette idée, alors tout à l'heure on parlait du bobo qui fantasme la nature,
00:57:12 mais également les bobos qui fantasment la pauvreté, qui fantasment les pauvres, qui les subliment en quelque sorte.
00:57:17 C'est un peu l'un des problèmes d'un certain marxisme, c'est d'avoir idéalisé le prolétaire.
00:57:22 C'est-à-dire que le prolétaire est bon par nature parce qu'il est prolétaire, alors que le prolétaire concret, comme disait Céline, est un bourgeois qui n'a pas réussi,
00:57:28 dans la plupart des cas.
00:57:30 Et qu'aujourd'hui, on le voit au niveau de la mode, qu'on ne va pas citer de marque, mais une marque de jeans.
00:57:34 Le jeans coûte 500 euros, 5 000 dirhams à peu près.
00:57:37 En fait, c'est un jean déchiré.
00:57:39 C'est un jean déchiré, c'est les pauvres qui portent un jean déchiré.
00:57:41 Donc un riche paye 5 000 dirhams pour imiter un pauvre.
00:57:45 On est dans cette logique de fantasme du pauvre, ou même d'aventurisme, de ressentir de l'adrénaline en allant dans un quartier populaire.
00:57:53 Donc c'est toujours cette idée de fantasme que tu as très bien décrit à travers le ska.
00:57:58 Quelqu'un que j'aime beaucoup, par exemple, encore une fois, Brel.
00:58:02 On a eu Brel parce qu'il a hérité d'une usine de carton.
00:58:06 Je pense qu'il a pu se permettre de laisser sa femme et ses trois enfants pour aller chanter à Paris.
00:58:13 Il y a cette dialectique très intéressante.
00:58:17 Comme Engels, qui était fils d'un industriel, qui avait les moyens de théoriser avec Karl Marx et de financer Karl Marx.
00:58:24 Il ne vivait pas très bien. Karl Marx était des fois à la frontière de la famine avec ses enfants.
00:58:29 Il a perdu beaucoup de ses enfants en bas âge.
00:58:32 Des fois, il ne pouvait même pas sortir de chez lui parce qu'il avait mis en gage son dernier pantalon.
00:58:36 Non, mais là, ce n'est pas des blagues. Il a vécu une misère atroce.
00:58:39 Il a survécu parce que derrière, il y avait entre autres Engels qui lui envoyait de temps en temps une petite somme à Londres pour lui permettre de survivre.
00:58:47 Mais effectivement, la pensée, Schopenhauer le disait très bien, la philosophie est une affaire aristocrate.
00:58:53 C'est malheureusement inévident. Quand on a le ventre creux, il y a d'autres priorités.
00:59:00 C'est pour ça que la gauche est passée de l'ouvrier aux minorités.
00:59:04 Parce qu'ils ont découvert que quand tu es terroriste et marxiste, tu fais la sortie des usines et que tu demandes à l'ouvrier de faire la révolution,
00:59:13 il te dit "demain, je ne peux pas, je dois travailler".
00:59:15 Ils sont déçus par un prolétariat qu'ils ont fantasmé. C'est tout.
00:59:20 Et qui a préféré le fascisme à la gauche.
00:59:25 Je crois qu'on a fini par rapport à un autre sujet, vu les limites, suite à ce qu'ils ont appris de parler de Kluska et du traité de l'amour fou.
00:59:35 Peut-être qu'on va faire un petit retour en arrière à la question de la gnose avec un autre auteur, je ne sais pas si il se qualifie comme penseur, Pacom Tiellement.
00:59:43 C'est quelqu'un que j'aime beaucoup.
00:59:45 Il a un rire très particulier.
00:59:47 C'est quelqu'un que j'aime énormément. Il a une théorie spéciale pour lui. Le dieu caché.
00:59:55 Le bon, le dieu pur.
00:59:57 Le bon dieu. Je voulais te parler de Lucien Goldman aussi, mais bon, ce sera pour une autre fois.
01:00:02 Il se manifeste à travers la gnose. Chez les Beatles, dans la science-fiction, chez Philippe Kadic.
01:00:09 Pacom Tiellement parle des Beatles, il parle de plusieurs chanteurs.
01:00:12 Tu as même une citation de John Lennon où il dit que les seuls vrais chrétiens qu'il connaissent, c'est les gnostiques.
01:00:17 Encore une fois, les Beatles, tout le monde connaît les Beatles, mais rares sont les gens qui savent que John Lennon était gnostique.
01:00:25 Jung aussi était gnostique.
01:00:27 Il se définissait comme protestant. Il y a des aspects gnostiques dans la pensée de Jung.
01:00:33 Mais de là à dire qu'il était gnostique, oui, peut-être qu'il l'était par certains aspects, oui.
01:00:37 Tu sais que la bibliothèque de Nag Hammadi, les textes gnostiques qu'on a retrouvés en Égypte en 1945, le premier codex était destiné à Jung.
01:00:45 Il s'intéressait à toutes les esotéries, tu vois, les alchimistes.
01:00:50 Il n'y a pas un champ qui relève de l'ésotérisme que Jung n'a pas investi.
01:00:56 Il y a une lecture très intéressante, justement, dans ce premier papyrus.
01:01:01 C'est une version alternative de la chute d'Adam et Eve.
01:01:04 Très, très intéressant, je te la raconte vraiment.
01:01:07 Il y avait Lilith, et qu'Adam et Eve ne sont pas les premiers humains.
01:01:10 Je crois qu'il y avait une autre femme qui était...
01:01:12 Pas cette version, en fait. Dans cette version gnostique, c'est vraiment un reboot d'Adam et Eve.
01:01:19 En fait, pour eux, la Sophia crée un être androgyne.
01:01:24 Ah oui, et qu'après, le démurge envoie ses anges maudits...
01:01:28 Le démurge par jalousie crée Adam, qui est un être sans âme, dans une fosse.
01:01:34 Et Sophia, prise de pitié, lui envoie l'androgyne qui est devenue femme, entre-temps, qui s'appelle Eve de la vie.
01:01:41 Quand elle envoie l'androgyne, le démurge est mis au courant que l'androgyne allait peut-être extraire Adam de sa vie totalement inerte.
01:01:53 Et qu'il envoie ses démons, les archontes, pour violer l'âme humaine.
01:02:00 Et ils lui disent "tu as une bonne femme qui va te ramener, elle va te raconter plein d'histoires, il ne faut surtout pas la croire".
01:02:05 Peut-être que pour eux, c'est de là où vient la misogynie religieuse qu'on retrouve quelquefois.
01:02:14 Après, également, l'évangile selon saint Thomas, qui est un évangile intégralement gnostique,
01:02:19 c'est-à-dire que si vous n'avez pas les codes, c'est du chinois, vous ne comprenez rien.
01:02:23 Donc effectivement, il y a beaucoup de révélations aujourd'hui, ce qu'on appelle des évangiles apocryphes,
01:02:27 qui sont très intéressantes et qui apportent des éclairages intéressants.
01:02:30 Et encore une fois, pour montrer comment notre psyché est imprégnée de gnose,
01:02:34 tous les grands films de science-fiction viennent des livres de Philip K. Dick, ça on est d'accord.
01:02:39 Blade Runner, Total Recall...
01:02:42 Même Marvel, les comics également, il y a beaucoup d'essais féroces, on peut rentrer là-dedans.
01:02:48 Parce que la cabale fait partie de la gnozé quand même.
01:02:50 - "Chiclinde, Ius fin diana" - Exactement.
01:02:52 - "Conselu" - Pardon, j'ai mal...
01:02:55 - Donc on parlait de science-fiction, que l'on appelle la...
01:02:58 - Oui, donc K. Dick était un peu gnostique. Apparemment, dans les années 70, il est parti en France
01:03:03 et ses fans s'attendaient à voir une loque humaine gauchiste.
01:03:08 Et il leur dit "moi je suis chrétien" et pour lui, en fait, on était toujours à 70 ans après Jésus-Christ
01:03:15 et on était toujours en plein empire romain.
01:03:18 - C'est fort.
01:03:20 - C'est de là où viennent toutes ces idées géniales. Dans Total Recall, tu as quelqu'un qui vit une vie normale
01:03:25 puis il se rappelle tout d'un coup...
01:03:27 - Il se rappelle de sa vraie vie. - Il se rappelle de sa vraie vie.
01:03:30 De sa nature profonde et divine.
01:03:32 - Alors, "Pas comme tiens le mort" - Oui, "Pas comme tiens le mort".
01:03:35 - "L'amour" - Je conseille son livre absolument merveilleux qui s'appelle "Psychomore, Psychamour"
01:03:39 - Oui, alors "Psychomore"...
01:03:41 - Le "Psychomore" justement, alors il parle beaucoup de Shakespeare.
01:03:44 Je n'ai pas parlé intentionnellement tout à l'heure de Shakespeare.
01:03:48 - Le meilleur pour la fin. - Le meilleur pour la fin.
01:03:51 Parce que, en fait, Roméo et Juliette, comme tu vois, ça vient de Tristan et Zeutz.
01:03:55 Il n'a pas inventé cette histoire Shakespeare.
01:03:57 Mais ce qu'il fait déjà, c'est qu'il introduit le "Psychomore"
01:04:00 qui a une petite dimension religieuse parce que dans l'évangile,
01:04:03 tu as quelqu'un qui est monté sur... Zaké il s'appelle.
01:04:07 Zaké, c'est un personnage de la Bible qui monte sur un "Psychomore" pour voir Jésus passer
01:04:12 et Jésus se fait inviter chez lui, il devient un vrai chrétien alors que c'était un voleur.
01:04:20 Tu as la petite dimension religieuse et tu as le jeu de mots entre "Psychomore" et "Psychamour".
01:04:25 - "Amour malade". - "Amour malade" en anglais.
01:04:27 - Parce que, en fait, la thèse de Shakespeare...
01:04:31 - "Tiernan". - La thèse de "Tiernan", pardon,
01:04:34 c'est que dans les pièces de théâtre de Shakespeare,
01:04:38 tu as les mêmes personnages qui cherchent à être un homme et une femme qui s'aiment,
01:04:44 qui n'arrivent pas à vivre pleinement leur amour du fait des contingences du réel,
01:04:50 et qui vont essayer de revivre encore une fois cet amour dans une autre vie.
01:05:00 - D'accord. - On passe d'une pièce à une autre,
01:05:03 mais c'est toujours les mêmes personnages qui cherchent à vivre.
01:05:08 - Donc c'est un peu une trame de fond qui est là en filigrane dans toute l'oeuvre de Shakespeare,
01:05:12 dans toutes les pièces. - Exactement.
01:05:14 Et pourquoi "Roméo et Juliette" c'est à Véronne ?
01:05:18 Parce que Véronne a connu l'un des plus grands bûchers de Qatar,
01:05:22 on en a brûlé quelques-uns de cent. - D'accord.
01:05:24 Donc il y a la symbolique, la toponymie, c'est-à-dire le nom des villes n'est pas choisi par hasard,
01:05:27 le lieu où se délivrent les... - Rien n'est hasard chez Shakespeare.
01:05:32 - Pas chez tous les gens... - Feptiles et pas bien intelligents.
01:05:35 - Exactement. Donc en fait ce que nous invite à faire Thielemans dans son livre,
01:05:41 que je conseille vraiment, c'est vraiment un chef-d'oeuvre,
01:05:44 c'est de vivre cet amour, d'accepter les contingences du réel,
01:05:50 d'accepter que l'amour est souvent un amour malade,
01:05:55 qu'on doit lutter contre le temps,
01:06:02 mais qu'on doit, comme tel des Dervish tourneurs, revivre cette histoire pour s'extirper des...
01:06:07 - Parce qu'on dit "entretenir la flamme",
01:06:09 parce qu'il y a des vents qui tentent d'éteindre la flamme,
01:06:11 il faut toujours la protéger, l'entretenir. - Exactement.
01:06:13 - C'est une logique cyclique où il faut... enfin c'est l'éternel retour d'un amour,
01:06:17 il faut aboutir à cet éternel retour qui effectivement est au bord de la mort
01:06:21 et puis il faut le revivifier à nouveau. - Exactement.
01:06:23 - Et c'est surtout la symbolique des Dervish tourneurs, des Samsara,
01:06:27 pour essayer de s'extirper des traces, de la marque du démure.
01:06:32 - D'accord. Et donc est-ce qu'on est dans une logique de cycle circulaire ou de cycle en forme de spirale ?
01:06:38 C'est-à-dire à chaque fois qu'on s'extrait, on s'épurifie davantage ?
01:06:41 - Voilà, c'est ça. À chaque fois qu'on s'extrait, on monte vers la divinité,
01:06:46 mais pas en se donnant la mort, mais vraiment en aimant l'autre
01:06:50 et en essayant d'atteindre tous les deux l'amour de la Sophia.
01:06:54 - Donc c'est une démarche purificatrice par un effort permanent qui fait que plus on renouvelle cet amour-là,
01:07:01 qui n'a de cesse d'être malade, et bien plus on s'épurifie et on s'approche de la Sophia.
01:07:05 - Et s'éloigner du démure, surtout, qui condamne chaque amour depuis Adam et Ève au malheur et à la tristesse.
01:07:14 - D'accord. Ce qui est malheureusement le lot de la plupart des gens qui sont en couple mariés.
01:07:18 - Exactement. - Voilà.
01:07:20 - Là, on vous remercie d'avoir partagé avec nous les clés d'un amouré aussi.
01:07:25 - Avec plaisir. Et si tu permets, je voudrais justement dédier tout ce que je viens de raconter
01:07:30 à la femme qui supporte ma mélancolie... - À la pauvre !
01:07:35 - ... qui est inhérente au sujet qui nous intéresse. - T'as du boulot, t'as du boulot.
01:07:40 - Avec qui on essaie de s'extirper du règne du démure. Voilà.
01:07:45 - Ça marche pas, on est deux au final, en réalité. Elles nous supportent et on les aime bien pour cela.
01:07:50 En tout cas, merci infiniment. - Merci à toi.
01:07:52 - Et on se donne rendez-vous pour un prochain épisode où on reviendra sur Rougement, mais également d'autres auteurs.
01:07:57 Peut-être pas toujours sur la thématique de l'amour, mais sur d'autres thématiques intéressantes, tout aussi intéressantes.
01:08:02 - C'est du loin. OK. Merci à toi. - Merci infiniment, cher ami.
01:08:04 Et merci à toutes les personnes qui nous ont suivies. J'espère que cet épisode-là et cet échange a été enrichissant pour tout le monde.
01:08:10 Et je vous donne rendez-vous très prochainement pour un nouvel épisode.
01:08:13 (Générique)