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À l’occasion de la sortie de son livre "Ça craque", le grand reporter de TF1 était l’invité de L’Est éclair - Libération Champagne, hier matin. Une intervention passionnante pendant laquelle il est revenu sur "la débrouillardise subie" dont font preuve de nombreux Français. Images : Angélique Toscano & Mattéo Clochard / Réalisation : Mattéo Clochard

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Transcription
00:00 très bel exemple de débrouillardie.
00:01 Alors, que je vous explique en deux mots,
00:03 elle s'appelle Apolline.
00:06 Apolline, elle a toujours le sourire.
00:08 Tout le temps, tout le temps, tout le temps.
00:09 Quand je la croise, c'est par le plus grand des hasards.
00:12 Personne ne m'a dit d'aller la voir.
00:14 On est dans une petite ville à côté de Versailles,
00:16 Oudan, magnifique ville d'ailleurs,
00:19 où les choses semblent aller plutôt très bien.
00:20 Ben c'est aussi un désert médical.
00:23 C'est tellement un désert médical que quand vous voulez voir le médecin,
00:26 bien souvent les médecins généralistes sont tous pleins,
00:28 vous rentrez dans les cabines,
00:29 vous avez peut-être ça ici aussi,
00:31 et dans les cabines, vous avez une téléconsultation.
00:32 J'ai fait le test, ça dure 1 minute 30,
00:35 et la personne qui est en face de vous est médecin,
00:37 mais il a besoin de faire du chiffre,
00:39 et il va donc aller voir, comme ça en ligne,
00:41 75 patients en une journée.
00:42 Donc ce n'est pas tout à fait la médecine dont on rêve,
00:44 soyons honnêtes.
00:46 Et Apolline, elle est infirmière libérale,
00:48 et elle a bossé 365 jours non-stop.
00:52 Elle a trois enfants,
00:54 elle a malheureusement perdu son mari d'une maladie,
00:56 et elle a bossé 365 jours non-stop,
00:59 tous les samedis, tous les dimanches, pendant un an.
01:02 Sa maman a dû déménager pour venir habiter dans sa commune,
01:05 pour l'aider à travailler,
01:07 et Apolline vous dit "je fais ça pour mes patients".
01:11 Elle est allée, malheureusement un jour,
01:14 dans le cadre d'un déplacement,
01:15 elle s'est retrouvée dans le fossé,
01:17 elle s'est mise à crier, pas pour sa voiture,
01:18 parce qu'il y avait un patient qui l'attendait.
01:21 Apolline, quand elle voit des patients
01:24 qui ont des difficultés médicales,
01:26 qui semblent assez importantes et graves,
01:28 elle leur dit "vous allez mentir,
01:30 vous allez aux urgences et vous en rajoutez.
01:33 Il faut en rajouter sur vos symptômes,
01:35 sinon vous ne serez pas pris".
01:36 Voilà, ça c'est Apolline,
01:38 qui est quand même une femme, là aussi,
01:40 remplie d'optimisme,
01:41 qui une fois sur trois ne remplit pas
01:43 tous les papiers qu'elle devrait remplir,
01:45 parce qu'alors là aussi, il faut voir
01:46 comment les infirmières libérales
01:47 passent deux heures par jour à gérer la paperasse.
01:49 Elle dit "bah c'est pas grave,
01:50 je serai pas payée pour certains actes".
01:52 Et elle peut rester une heure,
01:53 je l'ai suivi au quotidien,
01:54 une heure chez des personnes
01:54 qui par ailleurs ne parleraient à personne.
01:57 Et ce ciment social aussi,
01:58 qui est, je pense, très important
02:00 dans beaucoup de communes,
02:01 pareil, j'ai l'impression,
02:04 et je fais amende honorable,
02:06 qu'on n'en parle pas assez souvent.
02:07 Les infirmières libérales,
02:08 je ne suis pas sûr qu'on en parle souvent,
02:09 et dans de nombreuses communes,
02:11 s'il n'y a plus d'infirmières libérales,
02:12 il n'y a plus du tout de tissu social
02:14 pour beaucoup d'habitants.
02:15 Et donc là aussi, je pense que c'est important
02:17 de raconter ces batailles du quotidien,
02:20 et ce sont des héros.
02:21 Et Apolline, je l'ai eue au téléphone
02:24 longuement après,
02:25 et j'ai eu la chance de faire
02:26 plusieurs interviews pour ce livre,
02:27 et à chaque fois,
02:28 son exemple est revenu dans la bouche
02:29 de beaucoup de journalistes
02:31 qui étaient assez épatés
02:32 parce qu'elle dégageait.
02:34 Elle ne m'a pas cru au début.
02:35 Elle me dit « ce n'est pas vrai,
02:36 ce n'est pas vrai,
02:37 vous n'avez pas écrit sur moi
02:38 et vous n'avez pas parlé de moi dans les médias ».
02:39 Je fais « si, si, je vous assure Apolline,
02:40 et c'est vous l'exemple,
02:42 c'est vous qui nourrissez ».
02:43 Et elle m'a dit cette phrase,
02:45 j'en ai la chair de poule,
02:45 elle m'a dit « mes enfants m'ont dit
02:49 qu'ils étaient quand même très fiers de moi ».
02:50 Et elle a pleuré au téléphone,
02:51 et moi avec, et je trouve que c'est…
02:54 voilà, c'est inspirant.
02:56 C'est inspirant.
02:57 Quelle chance dans cette religion du terrain
02:59 de rencontrer des personnes
03:00 qui sont tellement inspirantes
03:01 et qui vous remettent à votre place
03:02 d'ailleurs, accessoirement.
03:03 Justement, ça change votre regard,
03:04 votre manière de faire votre métier,
03:07 ces rencontres au quotidien sur le terrain,
03:09 parfois.
03:10 Souvent, parce que…
03:12 Je n'ai vraiment aucune leçon
03:13 de journalisme à donner,
03:14 mais j'ai plus de bienveillance
03:18 pour une personne qui n'a jamais
03:20 pris la parole publiquement,
03:22 qui n'a aucun intérêt à le faire.
03:25 Apolline, elle n'a aucun intérêt
03:26 à dire qu'elle bosse 365 jours dans l'année.
03:28 Elle va même se faire engueuler
03:30 par ses syndicats si elle est syndiquée.
03:33 Quelqu'un qui ouvre sa porte
03:34 et qui nous dit « on a 300 balles
03:36 pour bouffer avec mes enfants ».
03:39 Si dans ma tête, je ne me dis pas
03:40 « quel courage d'oser parler comme ça
03:42 devant la caméra, puis nous on parle encore
03:44 à 5 millions ou 6 millions de Français
03:45 tous les soirs », donc…
03:46 Heureusement que j'ai ça en tête.
03:48 Et heureusement que j'ai de la bienveillance.
03:50 Parce qu'il n'y a aucun intérêt particulier.
03:53 J'ai moins de bienveillance à avoir
03:56 pour des personnes dont la parole
03:59 est un outil,
04:00 ou sert des intérêts privés.
04:02 Je vous dis, j'ai fait 5 campagnes présidentielles,
04:04 un candidat pour l'élection présidentielle,
04:06 il a des intérêts particuliers,
04:07 et des intérêts généraux aussi, bien sûr.
04:10 Mais je veux dire, oui,
04:11 mettons notre bienveillance d'abord
04:14 vers ceux qui n'ont aucun intérêt à parler,
04:17 et que l'on doit non pas protéger,
04:18 parce que nous on est là pour raconter la vérité,
04:20 on n'est pas là pour maquiller les choses
04:21 et faire du cosmétique,
04:22 mais je pense quand même,
04:23 et vraiment sans donner de leçon à qui que ce soit,
04:25 mais je me le dis pour moi,
04:26 il faut beaucoup de bienveillance.
04:27 Et c'est tellement normal.
04:29 Tellement normal.
04:30 [SILENCE]

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