• l’année dernière
Alors que l'euthanasie est une pratique légale en Belgique, des patients de pays limitrophes, en particulier français, s'y rendent pour bénéficier de ce geste, strictement encadré. Notre reporter Dimitri Korczak est allé découvrir la réalité sur place.

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Transcription
00:00 Je me trouve en France, derrière moi la Belgique,
00:02 un pays où l'euthanasie est autorisée depuis plus de 20 ans.
00:05 Et cette frontière, beaucoup de Français ou d'étrangers ont décidé de la franchir
00:08 pour venir y mourir.
00:09 Une réalité qui pose beaucoup de questions.
00:11 Quels sont les critères pour qu'une demande soit acceptée ?
00:13 Comment ça se répercute sur les professionnels de santé sur le terrain ?
00:16 Pour Witness, je suis parti à la rencontre de ces personnes
00:19 qui ont décidé de, comme elles le disent, mourir dans la dignité.
00:22 J'ai repris le contrôle de ma vie.
00:24 J'ai choisi comment je finirais.
00:26 Souvent, les deuils se passent mieux après une euthanasie.
00:28 Je ne suis pas du tout en train de dire que tout le monde doit faire des euthanasies.
00:31 Les choses sont très claires, les choses ont été dites,
00:33 les au revoirs sont faits, les merci et tout ça.
00:36 L'euthanasie ne peut se pratiquer que sous certaines conditions.
00:40 C'est une possibilité pour le patient, ce n'est pas un droit pour le patient.
00:43 C'est une possibilité pour le médecin, ce n'est pas un devoir pour le médecin.
00:47 Bruxelles, le Parlement belge.
00:54 C'est là qu'a été adoptée la loi dépénalisant l'euthanasie en 2002.
00:57 Les Pays-Bas et la Belgique sont les deux premiers pays de l'Union européenne
01:00 à avoir légalisé la liberté de mourir.
01:02 Le Luxembourg suivra en 2009, puis plus récemment l'Espagne en 2021
01:06 et le Portugal en mai 2023.
01:09 En Belgique, une particularité importante,
01:11 les soins de santé ne sont pas liés à un pays de résidence.
01:14 Cela veut dire que, contrairement aux Pays-Bas,
01:16 un ressortissant étranger peut introduire une demande d'euthanasie sur le territoire.
01:20 Rien que pour cette année, plus de 70 Français sont déjà venus mourir en Belgique.
01:24 J'ai voulu comprendre comment cela se passe en pratique.
01:26 Alors à moins de deux heures de Bruxelles, dans le nord de la France,
01:28 j'ai rencontré Sabine.
01:31 Elle est atteinte d'arthrite chronique depuis l'âge de 5 ans.
01:33 Après deux arrêts cardiaques, une détresse respiratoire,
01:36 des douleurs sévères et continues et les doses de morphine qui vont avec,
01:38 elle a décidé de mourir à 56 ans.
01:41 François, médecin à la retraite, l'a aidée et conseillée dans ses démarches.
01:45 Dans les semaines à venir, Sabine s'éteindra en Belgique, à la date qu'elle a choisie.
01:49 J'ai repris le contrôle de ma vie.
01:52 J'ai choisi comment elle finirait.
01:54 Je préfère partir dans la dignité, dans le calme, entourée des miens,
02:02 qu'à l'hôpital, piqué de partout, avec les miens en pleurs.
02:08 Non, j'en veux pas.
02:11 Donc moi je suis en paix avec ça.
02:14 Je veux dire, je suis en paix.
02:18 Avant de savoir que ce serait possible,
02:21 moi je me couchais le soir en me disant,
02:24 ça serait bien que je me réveille pas demain matin.
02:27 Maintenant je me le dis plus parce que je sais que j'ai la date,
02:30 je sais quand est-ce que je me réveillerai pas.
02:32 Mais j'ai plus besoin de dire ça serait bien.
02:35 De l'apaisement certes, mais aussi un regret,
02:38 celui de ne pas pouvoir mourir chez elle en France.
02:40 Une revendication qu'elle portera jusqu'à son dernier souffle.
02:43 On n'obligera jamais un médecin, on n'ira jamais lui dire,
02:46 bon bah, consultation aujourd'hui,
02:48 tu vas aller t'anasier, monsieur, entre telle heure et telle heure.
02:52 Faut arrêter quoi. C'est des faux débats ça.
02:55 Donc moi la seule chose que je demande,
02:58 c'est qu'on lui laisse ma liberté et qu'on la laisse aux autres.
03:01 J'oblige personne à être anasié,
03:04 mais par contre j'accepte pas qu'on le refuse aux autres.
03:08 Et ça, ça me met très en colère.
03:10 Une frustration partagée par le docteur Guillaumeau.
03:15 Avec d'autres médecins français,
03:17 il a décidé d'accompagner des patients en fin de vie.
03:19 Un chemin qui peut les mener, s'il le souhaite,
03:21 vers l'euthanasie en Belgique.
03:23 On a créé un collectif ici dans le Nord.
03:27 Ce collectif, il a deux buts.
03:31 Le premier, c'est effectivement d'accompagner les personnes,
03:34 de répondre à leurs questions,
03:35 d'accompagner également ce qu'on peut appeler l'ambivalence,
03:37 c'est-à-dire leur changement d'avis éventuellement,
03:41 leur remise en cause et pourquoi pas de différer ou d'arrêter
03:44 ce qu'ils ont entrepris initialement.
03:46 Ça, c'est le plus important, la construction,
03:49 ce qu'on fait ensemble, les accompagner.
03:51 Mais l'autre élément, c'est effectivement de filtrer,
03:54 je n'aime pas ce terme, c'est de filtrer les demandes.
03:56 Parce que d'une part, il ne faut pas que ces personnes
04:00 se retrouvent face à un non qui est effectivement très délétère
04:02 sur le plan psychologique,
04:03 mais il faut également éviter à nos amis, nos collègues belges,
04:06 qu'ils se retrouvent en face de personnes
04:08 qui ne connaissent pas bien la loi belge
04:10 et auxquelles il va falloir dire non.
04:12 Ces personnes vont mal le supporter
04:13 et la relation sera très mauvaise et très traumatisante,
04:16 que ce soit pour la personne
04:17 comme pour le médecin belge qui sera en face.
04:19 De retour à Bruxelles,
04:24 je vais à la rencontre de celui qui a accepté d'aider Samine.
04:27 Marc De Crolly est médecin généraliste
04:30 et il est souvent confronté aux demandes de patients français.
04:33 Il n'hésite d'ailleurs pas à traverser la frontière
04:35 pour informer ses collègues sur la réalité de cet acte
04:37 qu'il pratique depuis plusieurs années.
04:39 Pour lui, l'euthanasie ne devrait pas faire débat.
04:43 L'obstacle actuel, c'est le corps médical.
04:46 C'est pas la population.
04:49 Je pense qu'aujourd'hui en France, c'est la même chose.
04:52 Une grande majorité de la population
04:54 aimerait qu'on puisse légiférer,
04:56 aimerait que dans certaines situations,
04:59 on puisse y accéder.
05:00 Il y a des pros, il y a des contres.
05:04 C'est pour ça qu'il ne faut pas porter ça en débat.
05:07 Il vaut mieux essayer d'aller à l'écoute de la demande des gens
05:12 et essayer de proposer quelque chose
05:14 qui respecte ceux qui sont contre.
05:16 Je pense que c'est souvent un petit peu
05:18 ce que les antis nous reprochent.
05:20 C'est "oui, mais nous on n'a pas envie".
05:22 Ça reste une démarche de patient.
05:25 Le patient ne fait pas la démarche.
05:27 Le médecin ne propose pas l'euthanasie.
05:29 C'est pas notre rôle. On ne propose pas d'euthanasie.
05:32 Si le patient ne nous en parle pas, on n'en parle pas.
05:35 L'euthanasie ne peut se pratiquer que sous certaines conditions.
05:39 C'est une possibilité pour le patient.
05:41 Ce n'est pas un droit pour le patient.
05:42 C'est une possibilité pour le médecin.
05:44 Ce n'est pas un devoir pour le médecin.
05:47 Et les critères, comme j'ai dit, sont simples.
05:49 C'est pathologie incurable, souffrance inapaisable,
05:54 qu'elle soit psychique ou physique,
05:58 et demande répétée, réitérée, consciente, sans pression extérieure.
06:02 L'année dernière, près de 3000 personnes ont choisi l'euthanasie.
06:08 Cela représente moins de 3% de la mortalité en Belgique.
06:11 Si les chiffres augmentent chaque année et sont pour autant explosés,
06:13 les demandes, elles, affluent en nombre,
06:15 avec parfois des justifications fantasques.
06:18 Pourtant, l'acte est réglementé et n'est réservé qu'à des patients
06:21 pour lesquels toutes les solutions alternatives ont été explorées.
06:24 Un point important pour Jacqueline Hermans,
06:26 présidente de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité.
06:29 Active lors de la création de la loi en 2002,
06:31 elle déplore l'image trop permissive attribuée à la Belgique.
06:36 La loi relative à l'euthanasie en Belgique a été votée en 2002.
06:41 Donc, on a une expérience de quelques 20 ans, un peu plus,
06:46 par rapport à cette loi qui est souvent, je dirais, caricaturée
06:51 à l'étranger et principalement en France.
06:54 C'est le paradoxe.
06:56 C'est qu'à cause de la caricature qui en est faite en France,
07:01 des Français pensent qu'il suffit de venir en Belgique,
07:04 de demander l'euthanasie et de l'obtenir.
07:07 Alors que même si notre loi est souple,
07:11 il faut rappeler qu'il y a des conditions.
07:14 Et le paradoxe veut que, comme nous sommes en Europe,
07:19 que nous sommes aussi dans l'Union européenne
07:21 avec la libre circulation des personnes,
07:25 la France, en quelque sorte, intervient dans les frais d'hospitalisation,
07:31 que sais-je, par rapport à des procédures d'euthanasie
07:34 qui ont lieu en Belgique.
07:36 Donc, ils sont prêts éventuellement, enfin,
07:39 les responsables français sont prêts à assumer financièrement
07:44 certaines euthanasies, mais pas prêts à les assumer
07:47 dans leurs propres pays.
07:49 Ma dernière visite se passe à Tournai, toujours en Belgique,
07:54 au service des soins palliatifs à 8 km de la frontière franco-belge.
07:59 C'est ici que se déroulent les euthanasies,
08:01 et la moitié d'entre elles concernent des patients français.
08:05 Si euthanasie et soins palliatifs sont souvent opposés
08:07 dans le débat français, les deux sont intrinsèquement liés
08:10 dans les soins de santé belges.
08:11 Le docteur Delperdange, par exemple, considère l'euthanasie
08:13 comme un service qui vient compléter les soins de fin de vie.
08:17 Il propose ailleurs des consultations spécialement dédiées.
08:20 Pour lui, il appartient à chaque patient
08:21 de définir ses limites personnelles.
08:29 Ce qui me touche le plus dans les euthanasies qu'on fait,
08:32 c'est de me rendre compte de la reconnaissance que les gens ont.
08:35 Je suis toujours étonné parce qu'on va faire un geste
08:37 qui n'est pas anodin et qui est de lui retirer la vie.
08:40 Et que quasiment à chaque cas, le patient,
08:43 dans les heures qui précèdent et les jours qui précèdent,
08:45 quand je parle avec eux, ils sont extrêmement reconnaissants
08:48 qu'on accepte de faire ça pour eux.
08:49 Aussi par rapport aux familles, je me souviens
08:51 où il y avait une dame qui était là et ses filles
08:53 vraiment ont passé la nuit là et elle était...
08:56 Enfin...
08:58 Donc voilà, il y avait un peu...
09:00 Les filles étaient là pour masser les jambes de la dame
09:03 jusqu'au bout et on voyait...
09:05 Souvent, en fait, ce que je voulais dire,
09:06 c'est que souvent, c'est des beaux moments, en fait.
09:08 C'est pas du tout quelque chose de...
09:10 Même pour les familles, enfin, de triste, bien sûr,
09:13 mais c'est toujours un beau moment de partage, d'émotion.
09:17 Et j'ai l'impression, et je pense qu'il y a des études
09:19 qui le montrent, que souvent, les deuils se passent mieux
09:22 après une euthanasie.
09:23 Je ne suis pas du tout en train de dire
09:24 que tout le monde doit faire des euthanasies.
09:26 Mais parce que les choses sont très claires,
09:29 les choses ont été dites, les au revoirs sont faits,
09:31 les merci et tout ça, c'est parfois des moments un peu émouvants.
09:35 Mais légers, pas lourds, parce que justement,
09:37 il y a cette reconnaissance, il y a tout ça qui fait que...
09:39 Voilà, j'en parle comme ça maintenant,
09:41 mais je ne le vis pas du tout mal ou je ne trouve pas ça pesant.
09:44 Peut-être qu'on devait en faire beaucoup, peut-être,
09:46 mais à l'échelle où on le fait, ça se passe toujours bien.
09:49 ♪ Piano ♪

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